Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a allégué que la décision de l’employeur de ne pas renouveler son emploi pour une période déterminée constituait de la discrimination fondée sur une déficience - l’arbitre de grief s’est dit compétent pour entendre l’allégation selon laquelle la décision de l’employeur était motivée par de la discrimination - il a statué que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas démontré qu’elle avait une déficience au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne - il a aussi conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée avait omis d’informer l’employeur de la nature des mesures d’adaptation dont elle avait besoin. Compétence assumée. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-08-15
  • Dossier:  566-02-731
  • Référence:  2008 CRTFP 68

Devant un arbitre de grief


ENTRE

TAMMY GIBSON

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Santé)

employeur

Répertorié
Gibson c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
George Filliter, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Neil Harden, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Adrian Bieniasiewicz, avocat

Affaire entendue à Regina (Saskatchewan),
les 24 et 25 juin 2008.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Tammy Gibson (la « fonctionnaire s’estimant lésée ») a commencé son emploi au ministère de la Santé en décembre 2003, comme analyste des systèmes informatiques (poste classé aux groupe et niveau CS-01). Elle travaillait principalement au centre d’assistance situé à Regina (Saskatchewan), au sein de ce que l’on appelait la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuit (DGSPNI). Le 9 mars 2005, elle a accepté une offre d’emploi pour la période déterminée du 1er avril 2005 au 31 mars 2006. Lorsque son mandat n’a pas été renouvelé, elle a déposé un grief, en date du 22 mars 2006. Elle a allégué avoir été victime de discrimination fondée sur une incapacité médicale, en violation de l’article 43 de la convention collective signée par le Conseil du Trésor et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, le 3 juin 2002, pour l’unité de négociation du groupe Gestion des systèmes d’ordinateur (la « convention collective »).

2 Le 10 janvier 2007, la fonctionnaire s’estimant lésée a avisé la Commission canadienne des droits de la personne qu’elle renvoyait à l’arbitrage une question portant sur l’interprétation ou l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « LCDP »), L.R.C. (1985), ch. H-6. Le 6 février 2007, la Commission a avisé le greffe de la Commission des relations de travail dans la fonction publique qu’elle n’avait pas l’intention de présenter des arguments au sujet de la question soulevée par la fonctionnaire s'estimant lésée.

II. Objection à la compétence

A. Arguments de l’employeur

3 Par lettre datée du 26 janvier 2007, l’employeur a contesté la compétence d’un arbitre de grief pour instruire le grief. Au début de l’audience, l’avocat de l’employeur a indiqué qu’il avait l’intention de donner suite à cette objection.

4 Essentiellement, l’avocat de l’employeur a affirmé que la [traduction] « non-prolongation d’une période déterminée » ne constituait pas un licenciement et donc sortait des paramètres du paragraphe 209(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « nouvelle Loi »), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22. On a soutenu que, en réalité, l’article 209 constituait une limitation des pouvoirs – par ailleurs larges – que la nouvelle Loi confère à un arbitre de grief. À l’appui de son affirmation, l’avocat a cité les quatre cas suivants : Pieters c. Conseil du Trésor (Cour fédéral du Canada), 2001 CRTFP 100; Monteiro c. Conseil du Trésor (Agence spatiale canadienne), 2005 CRTFP 27; Braconnier c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2006 CRTFP 109; Hanna c. Conseil du Trésor (Citoyenneté et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 166-02-26983 (19960624).

5 Toutes les décisions citées par l’avocat de l’employeur portaient sur l’article 92 de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Loi »), L.R.C. (1985), ch. P-35, disposition qui, de dire l’avocat, correspondait à l’article 209 de la nouvelle Loi. On a soutenu qu’un arbitre de grief nommé en vertu de la nouvelle Loi ou de l’ancienne Loi tiraitses pouvoirs du droit législatif et ne possédait pas de pouvoirs inhérents. Les pouvoirs d’un arbitre de grief sont définis ou limités soit dans l’article 209 de la nouvelle Loi,soit dans l’article 92 de l’ancienne.

6 L’avocat de l'employeur a déclaré que, en l’espèce, il ne s’agissait pas d’interpréter la disposition d’une convention collective, mais plutôt la non-prorogation d’une période d’emploi déterminée, une question qui ressortit à l’application de l’article 58 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, édictée par les articles 12 et 13 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22. Essentiellement, l’article 58 codifie les conclusions auxquelles on est arrivé dans la jurisprudence citée par l’avocat de l'employeur, selon lesquelles, lorsqu’une durée d’emploi déterminée vient à échéance, la relation d’emploi prend fin, à moins que les autorités compétentes ne décident d’en renouveler la durée. Plus précisément, l’avocat a affirmé que les arbitres de griefs nommés aux termes de l’ancienne Loi ont toujours statué que, en pareil cas, ils n’avaient pas compétence, étant donné que le fait de ne pas renouveler une période ne revient pas à mettre fin à un emploi : Monteiro, Pieters, Hanna et Braconnier. Essentiellement, on m’a fait valoir que la question que je devais me poser était de savoir si j’avais compétence pour instruire l’affaire dans laquelle un cas de discrimination est allégué.

B. Arguments présentés pour la fonctionnaire s'estimant lésée

7 Le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée a concédé que la disposition pertinente de la nouvelle Loi était l’alinéa 209(1)a), qui permet le renvoi d’un grief à l’arbitrage s’il porte sur « l’interprétation ou l’application […] de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale […] ».

8 En revanche, le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée a fait valoir qu’au 1er avril 2005, la nouvelle Loi était en vigueur et qu’elle comportait des changements significatifs et déterminants qui conféraient désormais à un arbitre de grief des pouvoirs en cette matière. Pour étayer son argumentation, le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée a cité les cinq décisions suivantes : Kerr-Alich c. Conseil du Trésor (ministère du Développement social), 2007 CRTFP 33; Canada (procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.); Canada (procureur général) c. Leonarduzzi, 2001 CFPI 529; Longpré c. Conseil du Trésor (Défense nationale), 2004 CRTFP 81; Sincère c. Conseil national de recherche du Canada, 2004 CRTFP 2. Essentiellement, la position défendue par le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée est que l’employeur a agi de mauvaise foi en faisant preuve de discrimination envers elle et que, par conséquent, l’arbitre de grief a compétence.

9 En outre, le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée a cité l’alinéa 226(1)g) de la nouvelle Loi. Il a soutenu que cet alinéa habilite un arbitre de grief à interpréter et appliquer la LCDP, ce qui représente un pouvoir qui s’ajoute à ceux que confère l’article 209 de la nouvelle Loi.

C. Décision sur l’objection

10 L’avocat de l'employeur a proposé que je me prononce sur la question de son objection à ma compétence avant d’entendre la preuve et les arguments du grief sur le fond. J’ai donc brièvement ajourné la séance, à l’issue de la présentation des arguments, pour me pencher sur les questions soulevées. À la reprise de l’audience, j’ai fait lecture de ce qui suit :

[Traduction]

Ayant étudié l’objection préliminaire soulevée par l’employeur dans la présente affaire et ayant examiné plus avant la jurisprudence à laquelle m’ont renvoyé les deux parties ainsi que les arguments fort recevables respectivement avancés par leurs représentants, il m’est d’avis que j’ai compétence dans la présente affaire pour entendre la preuve et les arguments sur le fond.

J’entrerai assurément, au moment de rendre ma décision, dans le détail des motifs qui m’ont amené à faire cette conclusion, mais j’estime d’ores et déjà indiqué de mentionner que l’alinéa 226(1)g) de la [nouvelle Loi] a revêtu une dimension importante dans mes délibérations. Au moment d’en arriver à cette conclusion, j’aimerais aussi faire valoir que le grief en tant que tel se rapporte à l’article 43 de la convention collective et que, dans la réponse faite au premier palier, l’employeur a indiqué que le non-renouvellement de la période d’emploi était motivé non seulement par des raisons budgétaires, mais aussi par des questions ayant trait au rendement et à l’assiduité.

Par conséquent, je souhaite entendre la preuve qui lie les allégations de discrimination aux motifs de non-renouvellement énoncés par l’employeur dans la réponse au premier palier. Ne pas le faire porterait un coup fatal au grief. Néanmoins, j’entendrai au besoin les arguments sur ce point.

Sur la question du redressement, j’aimerais aussi entendre, à terme, les observations faites sur ce que sont mes pouvoirs réparateurs. En particulier, étant donné la conclusion à laquelle en étaient arrivés les arbitres de griefs, en vertu  de l’[ancienne Loi], conclusion selon laquelle le non-renouvellement d’une période d’emploi ne constitue pas un licenciement, j’aimerais établir dans quelle mesure j’ai autorité pour ordonner que l’emploi de durée déterminée soit renouvelé ou qu’un paiement soit fait à titre de compensation pour le traitement perdu par suite du non-renouvellement de l’emploi. En d’autres termes, mon pouvoir de redressement se limite-t-il à l’octroi de dommages-intérêts?

11 Ayant eu le loisir de réfléchir plus longuement sur la question, je continue de croire qu’un arbitre de grief a compétence pour instruire l’allégation faite dans ce grief. Lorsqu’une personne dont la période d’emploi déterminée n’a pas été renouvelée impute ce non-renouvellement à une pratique discriminatoire contrevenant à la LCDP, un arbitre de grief a autorité pour enquêter plus avant sur la question. Tous les cas auxquels l’avocat de l'employeur m’a renvoyé à l’appui de cette objection ont été tranchées en application de l’ancienne Loi. Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi était en vigueur et avait remplacé l’ancienne Loi.

12 Outre la compétence d’un arbitre de grief stipulée à l’article 209 de la nouvelle loi, lequel fait écho à l’article 92 de l’ancienne Loi, le Parlement, dans sa sagesse, a inclus une nouvelle disposition accordant d’autres « pouvoirs » aux arbitres de griefs. L’alinéa 226(1)g) de la nouvelle Loi indique qu’un arbitre de grief est habilité à interpréter et appliquer la LCDP. Ce pouvoir nouvellement stipulé est lié à l’article 43 de la convention collective qui prohibe la discrimination.

13 Bien que l’alinéa 226(1)g) de la nouvelle Loi n’ait pas été spécifiquement interprété, je suis persuadé du bien-fondé des remarques incidentes que l’arbitre de grief a faites dans Sincère :

[…]

[44]    Pour assurer la compétence de l’arbitre, il faudrait donc trouver dans les motifs du non-renouvellement [de la période d’emploi] des éléments disciplinaires ou indépendants [de la période d’emploi]. Entre alors en jeu toute la question de la compétence de [l’arbitre de grief] en matière de droits de la personne puisque ce sont là les seuls motifs allégués par la fonctionnaire s'estimant lésée.

[…]

14 Pour ces motifs, je suis d’avis que la nouvelle Loi, en particulier l’alinéa 226(1)g), habilite un arbitre de grief à entendre sur le fond un grief portant sur la décision de ne pas renouveler une période d’emploi déterminée lorsqu’il est allégué que cette décision repose sur une pratique discriminatoire interdite de la part de l’employeur.

III. Résumé de la preuve

15 La fonctionnaire s’estimant lésée a été le seul témoin appelé par son représentant. L’avocat de l'employeur a fait intervenir Joy Smith, la superviseure immédiate de la fonctionnaire s'estimant lésée, Irene Davies, qui, à l’époque pertinente, était la directrice adjointe de la DGSPNI pour la région du Manitoba et de la Saskatchewan, ainsi que Patricia Merrithew-Mercredi, qui, pendant la période en cause, était la directrice de la DGSPNI pour la région du Manitoba et de la Saskatchewan. En outre, un certain nombre de documents ont été versés comme pièces. À l’examen de la preuve, je conclus qu’il n’y a pas de divergence quant aux faits pertinents.

16 Le curriculum vitae de la fonctionnaire s'estimant lésée confirme que, en plus de sa formation spécialisée, elle possédait les qualifications d’un analyste programmeur et connaissait plusieurs langages de programmation, systèmes d’exploitation et applications. En décembre 2003, la fonctionnaire s'estimant lésée a commencé à travailler, au niveau CS-01, à la Direction générale de l’informatique du ministère de la Santé. Son emploi portait sur une période déterminée et, en septembre 2004, elle a été détachée à la DGSPNI, en raison de l’ampleur de la charge de travail de cette direction. Cette affectation a donné lieu à un déploiement à la DGSPNI en février 2005. En mars 2005, la fonctionnaire s’estimant lésée a accepté, pour un an, un autre emploi à durée déterminée dont la période venait à échéance le 31 mars 2006.

17 La principale fonction de la fonctionnaire s'estimant lésée était d’assurer les opérations du centre d’assistance. Ce service de dépannage assiste les collectivités inuites et des Premières nations dans le fonctionnement des ordinateurs utilisés pour le programme de Cybersanté. Outre cette fonction, elle avait la responsabilité de créer et de gérer le portail onehealth.ca ainsi que de faciliter la distribution de matériel informatique et le réseautage au sein des collectivités inuites et des Premières nations.

18 En juillet 2005, la fonctionnaire s’estimant lésée a rencontré Mme Smith après avoir manqué une semaine de travail en raison de problèmes personnels. À la réunion, la fonctionnaire s'estimant lésée a déclaré qu’elle était déçue d’elle-même et qu’elle irait au fond du problème en sollicitant de l’aide. Elle n’a pas reçu de rétroaction sur son rendement avant le 6 février 2006. En fait, dans son témoignage non contesté, elle a dit avoir communiqué avec Mme Smith en décembre 2005 et lui avoir demandé s’il lui faudrait se mettre en quête d’un nouvel emploi. On lui a alors donné à croire que ce n’était probablement pas nécessaire, mais elle a confirmé qu’elle savait que Mme Smith ne pouvait rien garantir.

19 Le 6 février 2006, Mme Smith a rencontré la fonctionnaire s’estimant lésée pour discuter de ses problèmes de rendement et de présence. Devant les préoccupations de Mme Smith, la fonctionnaire s’estimant lésée lui a dit qu’elle souffrait d’[traduction] « extrême anxiété et de dépression » et qu’elle avait l’intention de consulter son médecin de famille, de voir des conseillers, de faire appel au Programme d’aide aux employés (PAE) et à un naturopathe ainsi que de participer à divers ateliers et lire des ouvrages sur l’affirmation de soi, le développement personnel, la gestion du stress, la dépression et le soulagement de l’anxiété.

20 La fonctionnaire s’estimant lésée a témoigné que, sa vie durant, elle a souffert de ce que l’on a initialement diagnostiqué chez elle, selon ses explications, comme de l’[traduction] « anxiété et de la dépression » puis subséquemment un [traduction] « trouble bipolaire ». Elle a expliqué avec moult détails comment elle avait souffert de cela toute sa vie. Selon son témoignage, elle a reçu un premier diagnostic médical de dépression en 1997 et s’est fait prescrire des médicaments. À ce moment de son témoignage, l’avocat de l'employeur a objecté qu’il s’agissait là d’une preuve par ouï-dire et, pire encore, que c’était une façon de produire des opinions médicales qui ne pourraient être contestées d’aucune façon. Bien que j’aie accueilli le témoignage, j’ai avisé la fonctionnaire s'estimant lésée que je déciderai du poids à accorder à cette preuve.

21 En plus du témoignage de la fonctionnaire s'estimant lésée auquel s’est objecté l’avocat de l'employeur, le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée a produit un document (pièce G-3) sensé être un rapport de médecin. L’avocat de l'employeur s’est opposé à ce que le document soit produit en preuve sans que le prétendu médecin soit appelé à témoigner. Qui plus est, l’avocat a déclaré que l’employeur n’avait jamais eu connaissance de ce document avant le jour de l’audience et que, à l’examen du document, il était apparu que la plupart des dates citées étaient postérieures à la date à laquelle on avait pris la décision de ne pas proroger la période d’emploi de la fonctionnaire s'estimant lésée. Là encore, j’ai admis le document en avisant le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée que, bien qu’il semblait s’agir d’un rapport de médecin, j’ignorais totalement qui en était l’auteur ou si la personne censée être un médecin était effectivement un médecin et, le cas échéant, quelles étaient les qualifications de cette personne, de sorte que je pourrais n’accorder que peu ou pas de poids à cette preuve.

22 Le 6 février 2006, la fonctionnaire s'estimant lésée a adressé à Mme Smith un courriel faisant état de la nature de leur conversation et demandant, entre autres choses, à ce que l’on prenne à son endroit des [traduction] « […] mesures d’accommodement relatives à son anxiété jusqu’à ce que le problème soit sous contrôle ». Mme Smith n’a pas demandé – pas plus que la fonctionnaire s'estimant lésée n’en a fourni – de document faisant état de la nature des mesures d’accommodement sollicitées. Toutefois, elle a reconnu qu’elle aurait dû se montrer plus proactive dans cette affaire.

23 Mme Smith a bel et bien permis à la fonctionnaire s'estimant lésée de se présenter à des rendez-vous chez le médecin et de prendre part à des rencontres dans le cadre du PAE pendant ses heures de travail. Mme Smith a témoigné qu’elle attendait une rétroaction de la part de la fonctionnaire s'estimant lésée pour être en mesure de mieux évaluer la demande d’accommodement. Le 20 février 2006, Mme Smith a envoyé un courriel à la fonctionnaire s'estimant lésée et lui a présenté un résumé des attentes en matière de rendement. Dans ce courriel, Mme Smith avise la fonctionnaire s'estimant lésée qu’elle recommandera qu’on prolonge de trois mois sa période d’emploi déterminée (jusqu’au 30 juin 2006) afin d’évaluer son rendement. Aucune objection n’a été soulevée quant au fait que Mme Smith n’avait pas le dernier mot pour ce qui était d’autoriser une prorogation de la période d’emploi; c’était un comité d’administrateurs appelé comité de gestion des directeurs régionaux principaux qui prenait ce genre de décisions.

24 Le 22 février 2006, Mme Davies a rédigé une note de service dans laquelle elle préconisait, sur la recommandation de Mme Smith, de prolonger de trois mois la période d’emploi de la fonctionnaire s'estimant lésée. Dans cette note de service,  Mme Davies indique que Mme Smith collaborait avec Raeanne Kurtz, gestionnaire des Ressources humaines, pour dresser un « plan de rendement » pour la fonctionnaire s'estimant lésée. Le comité de gestion des directeurs régionaux principaux s’est réuni le 27 février 2006. Mme Merrithew-Mercredi et Mme Davies ont indiqué dans leur témoignage, que la prorogation de trois mois n’a pas été approuvée.

25 Mme Merrithew-Mercredi a témoigné que les raisons pour lesquelles on n’avait pas approuvé la prolongation étaient d’ordre strictement budgétaire, mais Mme Smith a mentionné que, lors d’un entretien avec Mme Davies, celle-ci lui a dit que le comité de gestion des directeurs régionaux principaux n’était pas prêt à « gérer le risque » d’un autre employé. Je conclus que, en réalité, il y avait un peu de ces deux raisons. Les réels problèmes budgétaires se sont posés pendant l’exercice 2007-2008, lorsqu’on a amputé le budget de quelque 70 %, mais, en 2006-2007, le budget était resté le même qu’au précédent exercice. Cependant, en prévision des coupures budgétaires, la DGSPNI devait se doter d’un plan de transition pour y faire face. Aussi, lorsque le nom de la fonctionnaire s'estimant lésée a été porté à l’attention du comité de gestion des directeurs régionaux principaux en vue d’une prorogation de trois mois, les membres du comité ont tenu compte à la fois de la nécessité d’un plan de transition et des problèmes de rendement et de présence abordés dans la note de service de Mme Davies. Comme l’a fait remarquer Mme Davies, ces problèmes [traduction] « n’ont certes pas aidé la cause de Mme Gibson ».

IV. Résumé des arguments et motifs

26 Les questions à trancher en l’espèce sont les suivantes :

a) La fonctionnaire s’estimant lésée a-t-elle établi qu’elle était atteinte d’une « déficience », au sens de la LCDP?

b) Si l’on répond par l’affirmative à la première question, la fonctionnaire s’estimant lésée a-t-elle établi qu’elle a été victime de discrimination? En particulier, a-t-elle établi que le motif pour lequel son emploi à durée déterminée n’a pas été prolongé était directement lié à de la discrimination de la part de l’employeur?

c) Si l’on répond par l’affirmative à la seconde question, quel est le pouvoir de redressement d’un arbitre de grief en vertu de la nouvelle « Loi »?

d) Compte tenu du pouvoir de redressement de l’arbitre de grief, quelle est la réparation appropriée à accorder dans les circonstances de l’espèce?

A. La fonctionnaire s’estimant lésée a-t-elle établi qu’elle était atteinte d’une « déficience » au sens de la LCDP

27 La Cour suprême du Canada s’est penchée sur le critère à appliquer dans les affaires d’allégation de discrimination dans une situation d’emploi. En particulier, elle a déterminé une méthode en trois étapes qui élimine la distinction faite entre discrimination directe et indirecte : Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU (Meiorin), [1999] 3 R.C.S. 3, paragr. 54. Cependant, un aspect qui est souvent négligé, mais qu’a clairement fait valoir la Cour d’appel fédérale, est que l’un des principes fondamentaux de l’arrêt Meiorin prévoit que c’est au demandeur (en l’occurrence, ici, la fonctionnaire s'estimant lésée) qu’il incombe de produire une preuve prima facie : Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 C.A.F. 404, paragr. 86.

28 Dans Pepper c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 8, un arbitre de grief s’est penché sur l’application du critère énoncé au paragraphe 28 de Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, paragr. 28) eu égard à ce qu’un fonctionnaire s’estimant lésé est tenu d’établir lorsqu’il y a allégation de discrimination fondée sur la déficience. Au paragraphe 141 de cette décision, l’arbitre de grief a déterminé qu’il incombait à un fonctionnaire s'estimant lésé d’établir « […] qu’il a une déficience considérée comme un motif de distinction illicite par la Loi canadienne sur les droits de la personne, qu’il a été défavorisé dans son milieu de travail et que cette déficience a contribué au traitement discriminatoire qu’il a subi ».

29 La Cour suprême du Canada a de nouveau confirmé que la norme de preuve à adopter dans une affaire comportant une allégation de discrimination est la norme civile ordinaire de la prépondérance des probabilités : Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202. Dans l’application de cette norme, les tribunaux ont reconnu que la preuve était souvent circonstancielle.

30 Le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée a affirmé que le témoignage de cette dernière était suffisant pour établir qu’elle était atteinte d’une déficience. Le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée n’a pas été en mesure de citer une décision qui viendrait corroborer sa thèse selon laquelle la preuve produite par la fonctionnaire s'estimant lésée était suffisante pour conclure qu’elle souffrait d’une déficience.

31 Bien que je compatisse sincèrement aux symptômes décrits par la fonctionnaire s'estimant lésée, je ne dispose guère ici d’éléments probants, si même il y en a, qui me signalent l’existence d’une « déficience ». À bien y penser, je ne suis pas convaincu que la preuve que la fonctionnaire s'estimant lésée a produite, lorsqu’elle a suggéré qu’on lui avait diagnostiqué de l’« anxiété et de la dépression », puis ultérieurement un « trouble bipolaire », soit suffisante, et elle ne l’est assurément pas pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. J’ai conclu en outre que je n’accorderai pas de poids au document produit comme pièce présenté comme émanant d’un médecin (pièce G-3). Il n’a pas de valeur probante et ne peut être contesté en contre-interrogatoire ou par un autre médecin. Pour en arriver à cette conclusion, j’ai retenu, en particulier, le fait qu’aucune preuve n’a été produite au sujet de la personne ayant rédigé ce document ou des qualifications de cette dernière. En fait, tandis que je rédige ces lignes, j’ignore totalement si cette personne est un homme ou une femme, ou même un médecin, sans parler de ce que ses qualifications peuvent être ou ne pas être.

32 Cette conclusion est déterminante dans l’issue de la cause en instance, puisque j’ai conclu que la preuve qui m’a été présentée n’est d’aucun secours pour déterminer que la fonctionnaire s'estimant lésée souffrait d’une « déficience » au sens de la LCDP. Lorsque je l’ai questionné au sujet de la preuve sur laquelle il s’appuyait pour prouver l’existence de la déficience de la fonctionnaire s'estimant lésée, le représentant de cette dernière a déclaré plus d’une fois qu’il ne se fiait qu’au témoignage de la fonctionnaire et à la pièce G-3. Ceci est fort regrettable, car tout ce qu’il y avait à faire était d’appeler à la barre des témoins l’auteur supposé de la pièce G-.3. Un ajournement aurait été accordé à cette fin s’il avait été demandé, mais pareille demande n’a pas été faite.

33 J’en arrive donc à la conclusion que, le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée n’ayant pas prouvé un élément crucial de l’allégation de discrimination interdite, à savoir que la fonctionnaire s'estimant lésée souffrait d’une « déficience », telle que définie par la LCDP, le grief doit être rejeté. Il ne m’est pas nécessaire de trancher les autres questions dont je suis saisi. Toutefois, au cas où j’errerai dans cette conclusion, je commenterai brièvement les autres questions.

B. La fonctionnaire s'estimant lésée a-t-elle établi que le motif pour lequel son emploi à durée déterminée n’a pas été prolongé était directement lié à une discrimination de la part de l’employeur?

34 S’il me fallait trancher la question de savoir si le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée a établi que le non-renouvellement de l’emploi à durée déterminée de la fonctionnaire s'estimant lésée était directement lié à une discrimination de la part de l’employeur, je conclurai que le grief ne saurait être accueilli. Cette détermination découle de la conclusion qui précède, car, à mon sens, bien que, « au vu du dossier », la fonctionnaire s'estimant lésée ait bel et bien sollicité une mesure d’accommodement et avisé l’employeur qu’elle souffrait d’une affection, à aucun moment elle n’a fourni de renseignements confirmant sa déficience, ni même concernant la nature de la mesure d’accommodement qu’elle sollicitait.

35 Aux paragraphes 43 et 44 de l’arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, la Cour suprême du Canada a indiqué que la […] recherche d’un compromis fait intervenir plusieurs parties […] ». En écrivant cela, la Cour a conclu que le plaignant avait également « l’obligation d’aider à en arriver à un compromis convenable ». Bien que la Cour ait rapidement fait valoir que l’employeur soit le mieux placé « […] pour déterminer la façon dont il est possible de composer avec le plaignant sans s’ingérer indûment dans l’exploitation de son entreprise […] », il est clair, à la lecture de cette décision, que le plaignant doit aussi faire sa part.

36 À mon sens, il serait déraisonnable d’obliger l’employeur à déterminer unilatéralement la nature de la déficience de l’employé et à déterminer, tout aussi unilatéralement, la nature de l’accommodement à prévoir sans un certain apport de l’employé : Price v. Fredericton (City), [2004] N.B.H.R.B.I.D. no 1 (QL); décision confirmée par Price c. Fredericton (Ville), 2004 NBBR 319, et Nouveau-Brunswick (Commission des droits de la personne) c. Fredericton (Ville), 2005 NBCA 45. Dans le cas qui nous occupe, la fonctionnaire s'estimant lésée a livré en témoignage – et son représentant a également soutenu cela – la position non défendable selon laquelle, dès lors que l’employeur était au courant de l’existence d’une possible déficience, c’était à lui qu’il incombait entièrement de trouver un accommodement pour répondre aux besoins de la fonctionnaire s'estimant lésée. Je ne peux tout simplement pas accepter ce raisonnement, et le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée n’a pas été capable de citer un cas de jurisprudence donnant à croire que cela reflétait l’état du droit.

37 Je désire avancer que, dans les circonstances de l’espèce, Mme Smith aurait dû être plus proactive. À ce sujet, je note qu’elle a reconnu ce fait dans son témoignage, mais, en dernière analyse, le défaut de l’employeur de se montrer plus proactif ne constitue pas un défaut d’accommodement, puisque des actions manquaient de la part de la fonctionnaire s'estimant lésée.

38 Ayant déterminé que la fonctionnaire s'estimant lésée n’a pas établi que les motifs du non-renouvellement de son emploi à durée déterminée étaient directement liés à une discrimination de la part de l’employeur, je n’ai pas besoin de me prononcer sur la mesure dans laquelle un arbitre de grief est habilité, en vertu de la nouvelle Loi, à ordonner un redressement approprié.

C. Conclusion

39 Pour tous les motifs qui précèdent, je conclus que le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée n’a pas prouvé sa cause, de sorte que le grief est rejeté.

40 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

41 Le grief est rejeté.

Le 15 août 2008.

Traduction de la CRTFP

George Filliter,
arbitre de grief

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