Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La demande de nomination pour une période déterminée du fonctionnaire s’estimant lésé a été rejetée - il n’a pas obtenu la note de passage requise au titre des qualités personnelles et de l’entregent en raison des références négatives fournies par son superviseur au cours du processus d’évaluation - le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que l’employeur avait contrevenu à l’article42 de la convention collective - l’employeur a contesté la compétence de la Commission pour entendre le grief en soutenant que celui-ci portait sur le processus de dotation - il a soutenu que le paragraphe208(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique limite expressément le droit d’un fonctionnaire de présenter un grief en ce qui a trait à une question pour laquelle un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale - l’arbitre de grief a statué qu’il avait compétence pour entendre le grief, mais uniquement dans la mesure où il porte sur une éventuelle violation de la convention collective - même si plusieurs des mesures de réparation demandées concernaient la dotation et qu’elles excédaient la compétence de la Commission, ce n’était pas le cas du grief proprement dit. Objection rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-07-03
  • Dossier:  566-02-1278
  • Référence:  2008 CRTFP 47

Devant un arbitre de grief


ENTRE

STEPHEN HUREAU

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de l’Environnement)

employeur

Répertorié
Hureau c. Conseil du Trésor (ministère de l’Environnement)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Nao Fernando, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Caroline Engmann, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 2 et 12 juin 2008
(Traduction de la CRTFP)

Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Stephen Hureau (le « fonctionnaire s’estimant lésé ») travaille pour le ministère de l’Environnement (l’« employeur ») à Delta, en Colombie-Britannique. Son poste est classifié dans le groupe et au niveau BI-02 et il occupe actuellement par intérim un poste classifié dans le groupe et au niveau BI-03. Il est assujetti à la convention collective du groupe Sciences appliquées et examen des brevets conclue entre le Conseil du Trésor et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, qui a expiré le 30 septembre 2007 (la « convention collective »).

2 Le 12 juin 2006, le fonctionnaire s'estimant lésé a présenté une demande en réponse à une possibilité d’emploi interne en tant que spécialiste des écosystèmes nordiques. Le poste se trouvait à Whitehorse, au Yukon, et devait durer une période déterminée, soit de juin 2006 à mars 2007. Tous les employés de l’employeur occupant des postes dans la région du Pacifique et du Yukon pouvaient postuler le poste.

3 Durant le processus d’évaluation, l’employeur s’est mis en rapport avec les personnes indiquées comme sources de références pour obtenir de l’information au sujet de qualités personnelles comme l’entregent, l’initiative et la fiabilité.

4 Au moyen d’une lettre datée du 25 septembre 2006, l’employeur a informé le fonctionnaire s'estimant lésé qu’on avait décidé qu’il ne possédait pas les qualifications nécessaires durant le processus de nomination, puisqu’il n’avait pas obtenu la note de passage en ce qui concernait ses qualités personnelles et son entregent.

5 Le 18 octobre 2006, le fonctionnaire s'estimant lésé a déposé le grief suivant :

[Traduction]

[…]

(Énoncé du grief)

Le 4 octobre 2006, j’ai été informé du fait que je n’avais pas réussi le processus de nomination 06-DOE-IA-PYR-ESB-3178, spécialiste des écosystèmes nordiques, à Environnement Canada, à Whitehorse (no du poste 2530-9174, PC-02) parce que mes superviseurs actuel et antérieurs au Service canadien de la faune avaient fourni, au comité de sélection, des références négatives au sujet de mon caractère et de mon aptitude à occuper le poste, en dépit du fait que, d’après le comité de sélection, je possédais toutes les autres qualités requises pour exercer les fonctions du poste.

Selon moi, ces références négatives non seulement enfreignent les articles 5 et 42 de la convention collective, mais elles sont également diffamatoires.

(Redressement demandé)

  1. une déclaration selon laquelle l’employeur a enfreint la convention collective;

  2. une déclaration que les références négatives fournies par mes superviseurs actuel et antérieurs ne reposaient sur aucun fait concret et étaient diffamatoires;

  3. que toutes les références négatives au sujet de mon caractère soient retirées et éliminées du processus de nomination;

  4. qu’une sélection soit faite en conformité avec le processus de nomination, sans que l'on tienne compte des références négatives;

  5. que je sois indemnisé intégralement à tous égards.

    […]

6 Le grief a été rejeté à tous les paliers de la procédure interne de règlement des griefs. Le fonctionnaire s'estimant lésé a renvoyé l’affaire à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») le 31 mai 2007. L’agent négociateur, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, a accepté de représenter le fonctionnaire s'estimant lésé dans le cadre de la procédure d’arbitrage.

7 Le 15 avril 2008, l’employeur a informé la Commission de son objection préliminaire que le grief avait trait au processus de dotation et que la Commission n’avait pas compétence en la matière aux termes du paragraphe 208(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »).

8 La Commission a demandé aux parties de fournir leurs arguments écrits au sujet de l’objection de l’employeur au plus tard le 2 juin 2008. Le 3 juin 2008, les parties ont reçu les arguments de l’autre partie et on leur a demandé de fournir leur réfutation au plus tard le 16 juin 2008. L’employeur a soumis une réfutation le 12 juin 2008, et le fonctionnaire s'estimant lésé a indiqué à la Commission qu’il ne soumettrait pas de réfutation.

Résumé de l'argumentation

9 L’employeur fait valoir que le paragraphe 208(2) de la Loi limite clairement le droit d’un fonctionnaire de présenter un grief en ce qui a trait à une question pour laquelle un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale. Dans pareil cas, le fonctionnaire s'estimant lésé ne peut se prévaloir des procédures de présentation d’un grief et d’arbitrage énoncées aux articles 208 et 209 de la Loi. Au lieu de cela, l’employé doit soumettre sa plainte à l’autorité qui, en vertu de la loi appropriée, a le pouvoir de statuer sur elle.

10 L’employeur soutient également que les parties reconnaissaient cette limite législative lorsqu’elles ont approuvé la stipulation 35.05 de la convention collective.

11 Du point de vue de l’employeur, le grief concerne directement le processus de dotation. Le fonctionnaire s'estimant lésé allègue qu’une référence négative fournie par son superviseur a causé son élimination du processus de dotation. L’employeur a affirmé qu’il convient de noter particulièrement que le fonctionnaire s'estimant lésé demandait, à titre de mesure de redressement, [traduction] « qu’une sélection soit faite en conformité avec le processus de nomination, sans que l’on tienne compte des références négatives ».

12 L’employeur a indiqué que les questions soulevées par le fonctionnaire s'estimant lésé devraient être réglées par la présentation d’une plainte de dotation plutôt que d’un grief. Dans ce contexte, la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la « LEFP ») renferme une procédure de recours complète pour les mesures de dotation au sein de la fonction publique fédérale. Ce recours, toujours d’après lui, peut être exercé par la présentation d’une plainte au Tribunal de la dotation de la fonction publique.

13 À l’appui de son argument, l’avocate de l’employeur soumet les cas suivants : Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), [1995] 3 C.F. 445; Canada (Procureur général) c. Boutilier, [1999] 1 C.F. 459; Browne et al. c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douanes, Accise et Impôt), dossiers de la CRTFP 166-02-27650 à 27661 (19971201); Dhudwal et al. c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 116; Cooper (Re), [1974] 2 C.F. 407 (C.A.). L’avocate de l’employeur soumet également deux décisions du Tribunal de la dotation de la fonction publique.

14 Dans son argumentation et sa réfutation écrites, l’avocate de l’employeur présente, subsidiairement, des arguments selon lesquels il n’y a pas eu violation de la convention collective. Compte tenu de l’objet de la présente décision, je ne crois pas qu’il soit nécessaire pour moi d’inclure ces arguments.

15 Le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé soutient que la question n’a pas trait à la dotation et que le fait d’affirmer qu'elle relève de la LEFP est trompeur. L’article 42 de la convention collective est un article distinct qui porte sur les références de l’employeur dans le cadre de la dotation. Le fonctionnaire s'estimant lésé demande que l’employeur soit tenu responsable en vertu de cet article, qui traite strictement des références d’emploi et non pas du processus de dotation ni du processus d’appel.

16 Le fonctionnaire s'estimant lésé n’allègue pas qu’il aurait dû réussir le processus de nomination. Il allègue une infraction de l’article 42 de la convention collective en ce sens que l’employeur a franchi les limites qu’impose d’après lui cet article, qui précise les aspects au sujet desquels l’employeur peut faire des observations et qui sont la durée du service, les principales fonctions et responsabilités et l’exécution des fonctions. Dans son grief, le fonctionnaire s'estimant lésé allègue que l’employeur a enfreint cet article en exprimant un point de vue subjectif concernant son caractère.

17 Le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé fait valoir que si l’objection de l’employeur venait à être acceptée, on rendrait sans objet l’article 42 de la convention collective. L’employeur n’a pas négocié un article et ne s’est pas entendu sur celui-ci pour simplement dire maintenant qu’il est sans objet. Le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé affirme par ailleurs que la Commission n’a pas le pouvoir de supprimer, de modifier ou de réviser un article ou de le rendre invalide ou sans objet. Sur ce point, il cite Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, troisième édition, au paragr. 2:1201.

18 Le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé indique par ailleurs qu'afin de faire en sorte que la Commission se concentre sur l’article 42 de la convention collective, le fonctionnaire s'estimant lésé retire en partie le redressement exigé, soit l'exigence [traduction] « que la Commission ordonne à l’employeur de tenir à nouveau le concours ».

Motifs

19 Lorsqu’on l’applique en l'espèce, le paragraphe 208(2) de la Loi empêche un employé de présenter un grief pour obtenir un redressement dans le cadre d’un processus de dotation. Le paragraphe se lit comme suit :

      208.(2) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

20 La stipulation 35.05 de la convention collective renforce ce principe :

35.05 Sous réserve de l’article 208 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et conformément à ses dispositions, l’employé qui estime avoir été traité de façon injuste ou qui se considère lésé par une action quelconque ou une absence d’action de la part de l’Employeur au sujet de questions autres que celles qui résultent du processus de classification a le droit de présenter un grief de la façon prescrite par la clause 35.03, sauf que :

a) dans les cas où il existe une autre procédure administrative prévue par une loi du Parlement ou établie aux termes de cette loi pour traiter sa plainte, cette procédure doit être suivie,

et

b) dans les cas où le grief se rattache à l’interprétation ou à l’application de la présente convention collective ou d’une décision arbitrale, il n’a pas le droit de présenter un grief à moins d’avoir obtenu l’approbation de l’Institut et de se faire représenter par lui.

21 Le grief concerne une violation alléguée par l’employeur de la stipulation 42.01 de la convention collective, formulée comme suit :

42.01 Sur demande de l’employé, l’Employeur donne à un employeur éventuel des références personnelles qui indiquent la durée du service de l’employé, ses principales fonctions et responsabilités et l’exécution de ces fonctions. Lorsqu’un employeur éventuel de l’extérieur de la fonction publique demande des références personnelles au sujet d’un employé, elles ne lui seront fournies qu’avec le consentement écrit de ce dernier.

22 La quatrième mesure de redressement demandée par le fonctionnaire s'estimant lésé était [traduction] « qu’une sélection soit faite en conformité avec le processus de nomination, sans que l’on tienne compte des références négatives […] ». L’octroi d’un tel redressement échapperait clairement à la compétence de la Commission, à la lumière du paragraphe 208(2) de la Loi et de la stipulation 35.05 de la convention collective. Or, le fonctionnaire s'estimant lésé a retiré cette mesure de redressement particulière qu'il exigeait dans sa demande.

23 La troisième mesure de redressement exigée par le fonctionnaire s'estimant lésé demandait à la Commission d'intervenir dans le processus de nomination et d'éliminer toutes les références négatives du processus. Comme c’est le cas pour la quatrième mesure de redressement, l’octroi d’une telle mesure de redressement serait clairement en dehors du champ de compétence de la Commission.

24 La jurisprudence soumise par l’avocate de l’employeur établit clairement qu’un arbitre de grief de la Commission n’a pas la compétence pour entendre une affaire et rendre une décision au sujet des questions soulevées si un recours administratif de réparation est prévu sous le régime d’une autre loi fédérale pour régler une plainte précise déposée par le fonctionnaire.

25 Cependant, cela ne veut pas dire que j’accepte l’objection soulevée par l’employeur. Au contraire, j’accepte l’argument du représentant du fonctionnaire s'estimant lésé selon lequel j’ai la compétence d’entendre le grief, mais uniquement dans la mesure où il porte sur une éventuelle violation de la convention collective. Les deux parties se sont entendues sur la convention collective et sa stipulation 42.01. Il est inconcevable que si un conflit d’interprétation survenait, il ne pourrait être examiné par une tierce partie chargée de le faire, plus particulièrement un arbitre de grief de la Commission.

26 L’employeur, lorsqu’il fait valoir que le grief échappe à la compétence de la Commission, attire l'attention sur plusieurs des mesures de redressement que contient le grief à première vue. Tandis que j’ai indiqué que je suis d’accord avec l’argument de l’employeur selon lequel ces mesures échappent peut-être à la compétence de la Commission, cela ne vaut pas pour le grief proprement dit. Le grief a trait au lien qui existe entre les gestes posés par l’employeur lorsqu’il a donné des références concernant le fonctionnaire s'estimant lésé et les dispositions de l’article 42. Cela relève entièrement de ma compétence.

27 Pour les motifs susmentionnés, je rejette l’objection soulevée par l’employeur, et je déclare avoir la compétence d’entendre le grief. Cependant, tout argument ou tout redressement demandé par le fonctionnaire s'estimant lésé qui concerne le processus de dotation sera considéré comme en dehors du champ de ma compétence.

28 L’employeur a suggéré que si l’objection était rejetée, le grief soit décidé sans la tenue d’une audience, conformément à l’article 227 de la Loi. Je n’accepte pas cette suggestion. Les parties devraient avoir l’occasion d’être entendues entièrement quant au bien-fondé du grief.

29 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

30 L’objection de l’employeur est rejetée.

31 La Commission communiquera avec les parties pour fixer la date d’une audience qui portera sur le bien-fondé du grief.

Le 3 juillet 2008.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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