Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Pratique déloyale de travail - Plainte présentée visée à l’article190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la <<Loi>>) alléguant une violation des sous-alinéas186(2)a)(iii) et (iv) - Compétence - Fardeau de la preuve Le plaignant s'est plaint que les défendeurs ont refusé de le réengager parce qu’il avait déposé un grief pour contester la cessation de son emploi à l’Agence des douanes et du revenu du Canada - les défendeurs ont objecté que la Commission ne pouvait entendre la plainte, parce que, à première vue, elle ne révélait pas l’existence d’une violation des sous-alinéas186(2)a)(iii) et (iv) de la Loi - à titre subsidiaire, les défendeurs ont demandé que la plainte soit rejetée comme étant frustatoire - la Commission a statué que, en considérant les faits avancés par le plaignant comme avérés, il était possible de soutenir qu’il y avait un rapport entre l’exercice antérieur par le plaignant de son droit de déposer un grief et la décision des défendeurs de ne pas le réengager - la Commission a de plus conclu que, en vertu du paragraphe191(3) de la Loi, il incombe aux défendeurs d’établir que la plainte n’est pas fondée. Objection rejetée. Demande d’audience sur le fond. Demande de modification d’une plainte visée à l’article190 de la Loi - Pratique déloyale de travail - Nouvelle allégation de violation de l’alinéa186(2)c) Le plaignant a demandé la modification de sa plainte pour y ajouter une allégation selon laquelle les défendeurs avaient cherché à l'obliger de s'abstenir d’adhérer à une organisation syndicale ou de participer à une procédure prévue par la Loi - la Commission a statué que, en considérant les faits allégués par le plaignant comme avérés, il était impossible de présenter des arguments défendables selon lesquels il y avait violation de l’alinéa186(2)c) de la Loi. Demande rejetée. Demande visant l'obtention du consentement de la Commission à des poursuites visé à l’article205 de la Loi Le plaignant a demandé que la Commission consente à la poursuite de 40 personnes nommées pour avoir enfreint les interdictions énoncées aux sous-alinéas186(2)a)(iii) et (iv) de la Loi - la Commission a conclu que la demande était prématurée, car elle n’avait pas encore entendu la preuve du fondement de la plainte. Demande retournée au plaignant.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-05-28
  • Dossier:  561-34-196
  • Référence:  2008 CRTFP 37

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique


ENTRE

RUDY MORENO QUADRINI

plaignant

et

Agence du revenu du Canada et Larry Hillier

defendeurs

Répertorié
Quadrini c. Agence du revenu du Canada et Hillier

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, commissaire

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Lui-même

Pour l'employeur:
Anne Ross, Agence du revenu du Canada

Décision rendue sur la base d'arguments écrits
déposés le 5 décembre 2007, et les 4, 8, 17 et 31 janvier et le 4 février 2008.
(Traduction de la CRTFP)

I. Affaires devant la Commission

1 Le 14 novembre 2007, Rudy Moreno Quadrini (le « plaignant ») a déposé une plainte en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (« la nouvelle Loi »), édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, contre l’Agence du revenu du Canada (« l’ARC ») et William V. Baker, commissaire de l’ARC. Le plaignant a par la suite précisé que les défendeurs devaient être considérés comme étant l’ARC et R. Larry Hillier, sous-commissaire de l’ARC, région de l’Ontario (les « défendeurs »).

2 Le plaignant a exposé les détails de sa plainte comme suit :

[Traduction]

[…]

Pratique déloyale de travail en vertu de l’article 185 et des sous-alinéas 186 (2)a)(iii) et (iv) découlant du refus de me permettre de postuler un emploi, comme ont pu le faire 371 autres employés concernés de façon similaire, ainsi que l’exige l’Accord sur les ressources humaines (« ARH ») conclu entre l’ARC et le ministère du Revenu de l'Ontario (« MRO »), soit à l’extérieur de celui-ci ou aux termes de l’article 4.1 correspondant, en raison de ce qui suit :

- Le refus de l’AIRSO de m’inviter à une séance de Q et R ayant eu lieu à Whitby le 5 novembre 2007, alors qu’on m’a enjoint de participer à toutes les autres séances et procédures d’information ayant trait à l’ARH de l’ARC, telles que celles relatives au formulaire de renseignements et de consentement des employés de l’ARC.

- Le refus de M. Hillier d’accuser réception des lettres envoyées les 19, 23, 29 et 31 octobre 2007, de répondre à celles-ci ou de fournir de vive voix ou par écrit l’information ou la documentation connexe ou pertinente demandée.

- Le refus de Mme Laurie Wallace de fournir des motifs pertinents jusqu’au 26 octobre 2007.

- Le refus écrit de M. Hillier de m’offrir un emploi dans une lettre datée du 13 septembre 2007, lequel a par le fait même agi de façon intimidante, menaçante, contraignante et discriminatoire à mon égard, entre autres employés du MRO concernés par le PRAIS, et l’envoi de ladite lettre à la Direction des ressources humaines du MRO censément sans qu’il ne soit tenu compte du processus de l’ARH.

- L’avis donné au MRO par l’AIRSO, avant le 8 août 2007, qu’aucun poste ne me serait offert prochainement.

- Le refus de M. Hillier de me fournir une lettre de présentation datée du 17 août 2007.

- Le fait que l’AIRSO ait laissé mon poste au MRO inscrit à la page 23 de l’annexe 1 de l’ARH malgré le refus prévu et volontaire de m’engager.

[…]

3 Les dispositions de la nouvelle Loi que les défendeurs ont censément violée se lisent comme suit :

[…]

185. Dans la présente section, « pratiques déloyales » s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

186. (2) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, que ce dernier agisse ou non pour le compte de l’employeur :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité, ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

[…]

(iii) elle a soit présenté une demande ou déposé une plainte sous le régime de la présente partie, soit déposé un grief sous le régime de la partie 2,

(iv) elle a exercé tout droit prévu par la présente partie ou la partie 2;

[…]

4 Comme mesure corrective, le plaignant a demandé ce qui suit à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (« la CRTFP ») :

[Traduction]

Une ordonnance exigeant que l’ARC se conforme à la Loi et à l’ARH afin :

i) que je puisse postuler un emploi comme le prévoit l’ARH, alors que l’ARC et M. Hillier ou toute autre personne agissant pour le compte de l’ARC ont refusé de m’employer ou de continuer à m’employer, ou encore ont fait des distinctions injustes à mon endroit ou m’ont congédié de façon déguisée, en violation de l’alinéa 186(2)a) et de l’ARH;

ii) qu’on me paye, en conséquence de cette faute, toute rémunération et toute prestation liées à l’emploi d’un montant égal à ce que m’aurait versé l’ARC n’eut été de la faute, de sorte que je sois indemnisé intégralement comparé à d’autres employés du MRO touchés par le PRAIS, dans le contexte de la mutation d’employés à l’ARC aux termes de l’ARH;

iii) qu’on annule la mesure disciplinaire déguisée prise à mon égard résultant de tous les refus de l’ARC, en rendant sans effet et en retirant la lettre du 13 septembre 2007, en m’envoyant une lettre d’excuse de la part de M. Hillier, dont recevra copie le MRO, dans laquelle lui-même et l’ARC reconnaissent leur erreur, en me fournissant tous les renseignements et documents demandés et, en ce qui a trait à la faute, en me versant un dédommagement d’un montant égal à toute sanction pécuniaire ou autre que m’a imposée l’ARC, y compris l’ensemble des coûts et des dépens engagés.

5 Était jointe à la plainte une lettre d’accompagnement de cinq page datée du 9 novembre 2007 et portant les mentions [traduction] « Personnel et confidentiel » et [traduction] « Sous réserve de tous droits ». Le plaignant a également joint des documents totalisant 125 pages auxquels renvoyaient des notes en bas de page dans sa lettre.

6 Il est difficile de comprendre pourquoi le plaignant a inscrit les mentions « Personnel et confidentiel » et « Sous réserve de tous droits » sur sa lettre. Étant donné que la lettre comporte des énoncés qui s’avèrent essentiels pour comprendre la nature de la plainte ainsi que la position qu’il a adoptée en ce qui concerne la procédure d’audience de sa plainte, le plaignant a sûrement voulu qu’elle fasse partie du dossier officiel et soit soumise à la CRTFP. Par conséquent, je considère que je suis tout à fait libre de citer le contenu de la lettre dans la présente décision et qu’en agissant de la sorte, je ne porte aucunement atteinte aux droits du plaignant. J’ai adopté la même position à l’égard d’autres arguments que le plaignant a déposés par la suite et qui portaient également les mentions « Personnel et confidentiel » et « Sous réserve de tous droits ».

7 Dans la lettre d’accompagnement, le plaignant a réitéré son droit d’action en l’énonçant comme suit :

[Traduction]

[…]

La plainte, accompagnée de la formule 16, est présentée en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (« la Loi ») et porte sur le fait que l’employeur a refusé d'employer ou de continuer à employer le plaignant, ou qu’il a fait à son égard des distinctions illicites en matière d'emploi, ou qu’il l’a intimidé, menacé ou pris d'autres mesures disciplinaires à son égard, ce qui est interdit aux termes de l’article 185, et plus précisément des sous-alinéas 186(2)a)(iii) et (iv), et contraire à l’article 4.1 de l’Accord sur les ressources humaines (« ARH ») conclu avec le ministère du Revenu de l’Ontario, en vertu duquel l’employeur était tenu de présenter une offre d’emploi le 13 novembre.

[…]

8 Le plaignant a demandé à la CRTFP de trancher sa plainte sur la base des arguments écrits :

[Traduction]

[…]

[…] la présente affaire est relativement simple, et il est peu probable qu’une audience s’avère nécessaire. Je propose qu’elle soit tranchée uniquement par écrit et, à cette fin, j’ai joint aux présentes seulement les documents pertinents […] qui permettront à la CRTFP de rendre une décision […]

[…]

9 Selon le plaignant, l’évènement qui l’a incité à présenter son affaire devant la CRTFP a été la réception de la lettre ci-après, datée du 13 septembre 2007, que le défendeur, M. Hillier, lui a envoyé au nom de l’ARC :

[Traduction]

[…]

Il a été porté à mon attention que votre nom avait été inclus à la liste des employés dont le poste est directement concerné par le transfert à l’ARC de fonctions relatives à l’impôt des sociétés qui relevaient du MRO.

Je suis convaincu que vous vous rappelez la médiation de vos griefs concernant votre licenciement par l’ARC, une mesure qui a été prise après qu’on eut découvert que, tandis que vous étiez en congé de maladie payé à l’ARC, vous vous présentiez à un nouveau poste au gouvernement de l’Ontario. Par conséquent, je me vois dans l’obligation de vous faire savoir que l’ARC ne prévoit pas vous faire d’offre d’emploi. Vous devriez savoir que, en ce qui touche notre protocole d’entente en matière de confidentialité, le ministre du Revenu sera informé uniquement du fait qu’aucune lettre d’offre ne vous sera envoyée prochainement, et aucun autre renseignement ou détail ne lui sera communiqué.

[…]

10 Les extraits ci-après de la lettre d’accompagnement du plaignant datée du 9 novembre 2007 fournissent d’autres explications concernant sa plainte et en précise le contexte :

[Traduction]

[…]

La présente plainte porte uniquement sur le refus de l’ARC de m’offrir un emploi et sur le fait que je me vois refuser les avantages découlant de ce poste. Plus particulièrement, elle n’est liée à aucune autre action que j’ai pu entreprendre contre l’ARC ou à d’autres recours accessibles par l’entremise du MRO en ce qui a trait à tout redressement possible, toute diligence raisonnable ou tout défaut de redressement en vertu de l’article 21 de l’ARH pour raison de force majeure ou autre.

[…]

[…] l’ARC […] refuse dem’offrir un emploi même si j’y ai légalement droit aux termes de l’ARH.

Ce refus de l’ARC ne tient aucunement compte du processus de l’ARH; l’ARC ne me fournit aucun motif et s’obstine à garder le silence, malgré l’ouverture et la transparence dont je fais preuve à son égard.

L’ARH constitue une entente administrative négociée en vertu de l’article 6 de l’annexe C, Protocole d’entente sur l’administration des impôts ontariens des sociétés, du Protocole d’accord sur l’administration unique de l’impôt ontarien des sociétés conclu par les gouvernements du Canada et de l’Ontario. L’article 2.1 du protocole d’accord stipule que l’ARC doit se conformer à la loi, laquelle s’applique donc également à l’ARH.

[…]

Selon [le libellé de la lettre de l’ARC datée du 13 septembre 2007], l’ARC justifie son refus en évoquant la médiation de la CRTFP susmentionnée, mes griefs et la lettre de licenciement, ce qui incluait des demandes antérieures venant censément appuyer mon licenciement par l’ARC. Cependant, tout cela a été entièrement et définitivement réglé au moyen d’une médiation.

Par conséquent, mis à part tout possible manquement à l'obligation de confidentialité ou violation de contrat par M. Hillier lorsqu’il renvoie à mon PE confidentiel dans ladite lettre étant donné qu’il n’est pas partie au PE et n’est pas tenu de le mettre en œuvre, je soumets respectueusement que la conduite de l’ARC et son refus de m’offrir un emploi relèvent expressément des sous-alinéas 186(2)a)(iii) et (iv) de la Loi.

[…]

Peu importe la mesure dans laquelle mon comportement passé à l’ARC a pu être fautif, en apparence ou dans les faits, à la lumière de mon licenciement, les revendications antérieures de l’ARC, tout comme les miennes, ne sont dorénavant plus pertinentes en raison de la médiation de la CRTFP […]

[…]

Je soumets respectueusement que cette façon de faire constitue par conséquent une mesure disciplinaire déguisée et une double incrimination après le fait, et que le principe de la préclusion devrait dorénavant empêcher l’ARC de me refuser le droit de postuler un emploi pour les motifs énoncés dans la lettre du 13 septembre. Le PE constitue un accord de règlement valide et liant les parties, et il représente un obstacle insurmontable à toute autre action que pourrait vouloir prendre l’une ou l’autre des parties concernées. Ma position est que l’ARC ne peut, dans aucune circonstance, et plus particulièrement dans le cadre de l’ARH, s’appuyer sur le PE ou des demandes antérieures pour refuser de m’offrir un emploi. Si l’ARC m’offrait un poste, le MRO ne serait nullement concerné et n’aurait aucune raison de conclure avec moi un règlement extérieur au processus de l’ARH.

[…]

Il ne fait aucun doute qu’un PE règle de manière complète et définitive toutes les demandes liées à une affaire donnée. En outre, les principes de la double incrimination, de la préclusion, de la chose jugée ou préclusion découlant d'une question déjà tranchée, et de la mesure disciplinaire déguisée empêchent pour toujours l’ARC d’évoquer la médiation des demandes en question pour refuser de m’offrir emploi à l’extérieur du processus de l’ARH.

Il convient également de souligner que le PE ne traite aucunement de la question du réemploi ou l’impossibilité de celui-ci. Par conséquent, je soumets respectueusement que les agissements de l’ARC constituent manifestement une pratique déloyale de travail au sens des articles 185 et 186 de la Loi.

[…]

Cette lettre ne semble s’appuyer sur aucun fondement pertinent à l’extérieur du processus de l’ARH ou même dans les textes de loi. En conséquence, les agissements de l’ARC sont totalement injustifiés compte tenu de ses obligations en vertu de l’ARH, du caractère irrévocable de toutes les demandes aux termes du PE et de ma solide relation employeur-employé avec le MRO, laquelle devrait constituer le seul facteur valable permettant de déterminer si l’ARC doit m’offrir un emploi à l’heure actuelle en vertu de l’ARH.

[…]

[J’omets les notes en bas de page]

[Le passage en gras l’est dans l’original]

11 Dans la réponse des défendeurs qu’a reçue la CRTFP le 5 décembre 2007, ceux-ci contestent la compétence de la CRTFP pour entendre la plainte. Subsidiairement, ils font valoir que le plaignant [traduction] « […] n’a pas produit de preuve prima facie et, en outre, que la plainte devrait être rejetée en vertu du paragraphe 40(2) de la LRTFP en raison de sa nature frustratoire ».

12 Les défendeurs ont étayé leur contestation de la compétence comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] sous prétexte d’une pratique déloyale de travail, M. Quadrini demande à la Commission de contraindre l’ARC à respecter une obligation dont il croit à tort qu’elle figure dans l’ARH. L’ARH ne lie que les deux ordres de gouvernement et M. Quadrini n’est pas partie à l’Accord. La Commission n’a pas le pouvoir de forcer l’application de l’ARH ni celui d’obliger l’ARC à présenter une offre d’emploi à M. Quadrini.

[…] en ce qui concerne son affirmation selon laquelle la position de l’ARC constitue une mesure disciplinaire, il convient de noter que M. Quadrini est un employé du ministère du Revenu de l’Ontario et qu’il est représenté par l’AEGAPCO. En conséquence, il ne peut faire appel à la CRTFP pour trancher des affaires ayant trait à des mesures disciplinaires […]

M. Quadrini affirme que l’ARC a refusé de lui offrir un emploi en raison d’un grief qu’il a déposé au sujet de son licenciement par l’ARC, lequel s’est produit le 8 avril 2003. Ce grief a été renvoyé à l'arbitrage devant la CRTFP […] ce qui a donné lieu à une séance de médiation, laquelle s’est soldée par un règlement permettant à M. Quadrini de démissionner de son poste à l’ARC. La position de l’ARC est qu’un règlement complet et définitif a été conclu relativement à la cessation de la relation employeur-employé et qu’il ne serait pas approprié de lui offrir un emploi, car cela aurait pour effet d’« annuler » le règlement en question. Le refus de l’ARC d’offrir un emploi à M. Quadrini dans le cadre de l’ARH ne résulte pas du fait qu’il a exercé son droit de présenter un grief en 2003. Il n’y a pas de preuve prima facie d’une violation des sous-alinéas 186(2)a)(iii) ou (iv) de la LRTFP. En outre, la plainte devrait être rejetée en vertu du paragraphe 40(2) de la LRTFP en raison de sa nature frustratoire.

[…]

13 LA CRTFP a demandé au plaignant d’indiquer sa position à l’égard de la contestation de la compétence soulevée par les défendeurs. La CRTFP a reçu les arguments du plaignant le 4 janvier 2008, ainsi que des renseignements supplémentaires qu’il a présentés les 8 et 17 janvier 2008.

14 Les arguments du plaignant que la CRTFP a reçus le 4 janvier 2008 consistaient en une lettre de 46 pages, accompagnée de documents totalisant plusieurs centaines de pages auxquels il renvoyait par le biais de nombreuses notes en bas de page. Comme ce fut le cas dans sa correspondance précédente, le plaignant a fait beaucoup d’allégations à l’encontre des défendeurs et il a mentionné de multiples violations touchant la loi, des principes juridiques et des procédures. Étant donné le volume important d’arguments fournis par le plaignant, je ne mentionnerai ici qu’un « aperçu » d’un certain nombre d’éléments qui m’ont paru être les plus pertinents.

15 Le plaignant a allégué divers « vices de procédure » et a présenté ses demandes comme suit :

  • Les défendeurs ont violé le paragraphe 7(1) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, DORS/2005-79, en présentant leur réponse à la CRTFP à une autre personne que le directeur général. Par conséquent, la CRTFP devrait rejeter leur réponse.
  • Étant donné que le plaignant n’a pas reçu d’indications claires quant à la façon de répondre aux arguments des défendeurs, ce qui a eu pour effet de l’induire en erreur et de lui causer un préjudice, la CRTFP devrait rejeter la réponse des défendeurs.
  • Il devrait être pris en compte que l’attitude franche et directe qu’affiche le plaignant dans ses arguments fait contraste avec les agissements de l’ARC et de son employeur actuel, le ministère du Revenu de l’Ontario (le « MRO »), qui relèvent de la « collusion ou conspiration ».
  • Dans leur réponse, les défendeurs s’appuient sur des preuves par ouï-dire forgées après les faits. La CRTFP devrait statuer que la preuve est irrecevable.
  • Si la CRTFP décide de procéder à une audience, elle devrait ordonner aux défendeurs de produire, en vertu de l’alinéa 40(1)h) de la nouvelle Loi, les renseignements pertinents qu’ils ont précédemment refusé de fournir au plaignant.
  • En vertu de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1, le plaignant n’a pu accéder aux renseignements sur lesquels s’appuyaient les mesures prises par les défendeurs contre lui, renseignements dont le plaignant réfute l’existence.
  • La plaignant demande que la CRTFP exerce le pouvoir dont elle dispose en vertu de l’alinéa 40(1)j) de la nouvelle Loi pour mandater un enquêteur qui serait chargé :

    [Traduction]

    […]

    […] de se rendre aux locaux des défendeurs pour y examiner tous les documents pertinents et d’obtenir réponse à toutes mes questions ayant trait à la présente affaire, y compris les noms et les adresses personnelles de tous les employés de l’ARC ayant pris part à la décision et aux mesures prises contre moi, de sorte que je puisse entreprendre un recours approprié contre eux relativement aux mesures illégales dont j’ai fait l’objet.

    […]

  • Le plaignant demande à la CRTFP d’autoriser, en vertu de l’article 205 de la nouvelle Loi, des poursuites contre 10 personnes aux termes des articles 200 et 204, ou, plus généralement, [traduction] « […] toute partie dont [il] sait qu’elle a pris part à la décision et aux mesures prises contre [lui] […] » ainsi que toute personne additionnelledont le nom pourrait ressortir à la lumière d’autres preuves.

16 En ce qui concerne la contestation de la compétence soulevée par les défendeurs, le plaignant a répondu que ceux-ci se trompaient et [traduction] « […] commettaient des erreurs flagrantes tant sur le plan des faits et que sur celui du droit » :

  • Les défendeurs n’ont pas été en mesure de réfuter les allégations du plaignant concernant le traitement discriminatoire, l’intimidation et les menaces. Il ne fait aucun doute que la CRTFP doit accepter ces allégations comme ayant été prouvées.
  • Le plaignant a le statut de « personne » aux fins de la présentation de la plainte devant la CRTFP. Son statut d’employé du gouvernement de l’Ontario n’est absolument pas pertinent.
  • Le fait que le plaignant a accepté un autre poste au MRO, [traduction] « […] manifestement sous la contrainte […] », depuis le dépôt de sa plainte n’a aucune incidence sur celle-ci.
  • Bien que les défendeurs puissent alléguer que la plainte est liée à l’interprétation de l’article 4.2 de l’Accord sur les ressources humaines (l’« ARH ») signé en juillet 2007 par l’ARC et le MRO, le litige porte en fait sur le refus des défendeurs d’engager le plaignant.
  • En répondant à la plainte, les défendeurs ont [traduction] « […] de toute évidence agi de façon arbitraire et capricieuse, et en faisant preuve de mauvaise foi ».
  • Aux termes du paragraphe 191(3) de la nouvelle Loi, la plainte écrite du plaignant constitue une preuve que la faute alléguée a bel et bien été commise. Par conséquent, le critère de la preuve prima facie [à première vue] mentionné par les défendeurs a été satisfait.
  • Il revient aux défendeurs de prouver qu’ils n’ont pas violé la nouvelle Loi. Selon les arguments du plaignant, [traduction] « […] il leur est impossible de s’acquitter de ce fardeau compte tenu de leurs actions injustifiées, du libellé de l’article 4.2 de l’ARH et de la prépondérance de la preuve qui favorise le plaignant ».
  • Étant donné que le critère de la preuve prima facie a été satisfait, il s’ensuit qu’on ne peut considérer la plainte comme étant frustratoire.
  • La preuve qu’ont présentée les défendeurs [traduction] « […] a été tout simplement forgée ex post facto [après les faits] et fait appel à la rétroactivité, et, de ce fait, constitue à la fois un leurre et un camouflage ».

17 Parmi beaucoup d’autres affirmations et allégations faites par le plaignant, j’ai relevé plus particulièrement celles qui suivent :

  • Le refus de l’ARC d’offrir un emploi au plaignant constitue un congédiement déguisé ainsi qu’une mesure disciplinaire déguisée. Les défendeurs ont tenté d’appliquer une sanction disciplinaire pour une inconduite ayant fait l’objet d’un règlement en 2003, ce qu’interdisent les principes de la préclusion et de la double incrimination.
  • Une analyse minutieuse de l’ARH prouve que le plaignant est admissible à une offre d’emploi.
  • Le comportement de M. Hillier, à l’époque et encore aujourd’hui, relève du harcèlement et de l’abus de pouvoir.
  • La lettre du 13 septembre [traduction] « […] visait sans l’ombre d’un doute à intimider ou à menacer [le plaignant] ou à prendre d'autres mesures disciplinaires contre lui parce qu’il a contesté et soumis à la médiation son licenciement par l’ARC à la suite de l’inconduite alléguée survenue en 2003 […] ».
  • [Traduction] « L’ancienne relation employeur-employé [du plaignant] avec l’ARC est terminée et non pertinente. »
  • La Loi sur l'Agence du revenu du Canada, L.C. 1999, ch. 17, ne prévoit aucun pouvoir permettant aux défendeurs de refuser d’engager le plaignant dans les circonstances que celui-ci a décrites dans sa plainte.
  • Le transfert des fonctions d’administration de l’impôt des sociétés du MRO à l’ARC est assujetti aux lois sur les droits et les obligations du successeur. Par conséquent, la CRTFP est l’organe de décision ayant compétence dans la présente affaire.
  • Rien n’empêche la nouvelle Loi d’interdire les pratiques déloyales de travail survenant dans le cadre de nouvelles embauches.
  • Le fait que les défendeurs n’aient pas respecté le droit du plaignant, en common law, de travailler pour l’employeur de son choix constitue une erreur de droit qui relève directement de la compétence de la CRTFP, et [traduction] « cette question doit être examinée sous l’angle de la norme du bien-fondé, qui est plus exigeante ».
  • En ce qui concerne l’ARH, le plaignant a le statut de « tierce personne », même s’il ne profite pas d’une connexité contractuelle.
  • Si la CRTFP n’a pas le pouvoir de mettre l’ARH en application ou d’obliger l’ARC à faire une offre d’emploi au plaignant, elle peut rendre une décision concernant toute pratique de travail déloyale ayant trait aux pratiques d’embauche de l’ARC.
  • La CRTFP n’a aucunement la compétence pour interpréter le Protocole d’accord sur l’administration unique de l’impôt ontarien des sociétés (le « PA »). La plainte concerne l’ARH et la CRTFP peut interpréter celui-ci, mais sans tenir compte du PA, c’est-à-dire en faisant comme si celui-ci n’existait pas.
  • En renvoyant au PA à l’appui de sa décision, M. Hillier a commis un manquement à l'obligation de confidentialité et une violation de contrat.
  • Le refus des défendeurs d’engager le plaignant constitue une violation de la convention collective de l’Association des employés et employées gestionnaires, administratifs et professionnels de la Couronne de l'Ontario (l’« AEGAPCO »).

18 En annexe de ses arguments, le plaignant dresse la liste des « droits et des avantages » relativement auxquels il a subi une perte ou une « différenciation » en raison du refus des défendeurs de lui offrir un poste :

[Traduction]

[…]

  • Une indifférence flagrante à l’égard de mon domaine de compétence professionnelle et de spécialité.
  • Le remboursement des cotisations professionnelles.
  • La reconnaissance de près de 18 ans de service ininterrompu à la fonction publique.
  • Un droit à des congés annuels accrus.
  • Le report de crédits de congé de maladie cumulatifs non utilisés.
  • Un jour de congé pour bénévolat par année.
  • Un jour de congé pour raisons personnelles par année.
  • Cinq jours de congé pour obligations familiales par année.
  • Un nombre illimité de rendez-vous chez le médecin.
  • Un congé de retraite payé d’au plus de cinq semaines à l’âge de 55 ans et après 30 ans de service.
  • Des congés non payés pour raisons diverses.
  • Une mobilité professionnelle progressive latérale et ascendante.

19 Dans ses arguments, le plaignant a demandé qu’on ajoute aux motifs de sa plainte une allégation selon laquelle les défendeurs auraient violé l’alinéa 186(2)c) de la nouvelle Loi :

186. (2) c) de chercher, notamment par intimidation, par menace de congédiement ou par l’imposition de sanctions pécuniaires ou autres, à obliger une personne soit à s’abstenir ou à cesser d’adhérer à une organisation syndicale ou d’occuper un poste de dirigeant ou de représentant syndical, soit à s’abstenir :

(i) de participer, à titre de témoin ou autrement, à une procédure prévue par la présente partie ou la partie 2,

(ii) de révéler des renseignements qu’elle peut être requise de communiquer dans le cadre d’une procédure prévue par la présente partie ou la partie 2,

(iii) de présenter une demande ou de déposer une plainte sous le régime de la présente partie ou de déposer un grief sous le régime de la partie 2.

II. Questions préliminaires

20 La nature et l’étendue des arguments du plaignant présentent un défi important en ce qui a trait à la gestion de l’affaire. Il n’est pas inhabituel qu’un plaignant ou un fonctionnaire s’estimant lésé regroupe un grand nombre d’allégations sous une seule action. Cependant, le nombre d’affirmations et d’allégations soumis par le plaignant, dont bon nombre pourraient à elles seules faire l’objet d’audiences distinctes, est tellement considérable, que le décideur risque de ne plus s’y retrouver. Je peux seulement supposer que le plaignant s’attend à ce qu’une décision mûrement réfléchie soit rendue pour chacune des allégations relatives à tous les chemins factuels et juridiques sur lesquels il s’est engagé. Il ne fait aucun doute qu’il a dépensé énormément de temps et d’énergie à la tâche. Il doit toutefois comprendre qu’il est de mon devoir d’agir d’une manière qui soit pratique et appropriée compte tenu de la nature de l’affaire devant la CRTFP, tout en protégeant le droit à l’équité procédurale des deux parties. Selon moi, en raison de cette exigence, je dois restreindre grandement la portée de l’analyse, en premier lieu du moins, pour que la tâche puisse être accomplie de façon appropriée et qu’il soit tenu étroitement compte de l’allégation qui se trouve au cœur de la plainte originale. Pour ces motifs, on a informé les parties en mon nom, le 22 janvier 2008, de mon intention de trancher avant tout une question préliminaire fondamentale :

[Traduction]

[…]

La Commission, se fondant sur les arguments écrits soumis à ce jour, considère qu’il n‘y a pas de différend au sujet du principal fait à l’origine de la plainte, c.-à-d. le refus du défendeur d’engager le plaignant, comme celui-ci l’a indiqué dans sa lettre du 13 septembre 2007.

Selon la Commission, la question devant être tranchée en tout premier lieu est celle consistant à savoir si les faits mentionnés par le plaignant relativement au refus de l’employeur de l’engager comportent une preuve prima facie d’une violation des sous-alinéas 186(2)a)(iii) et (iv) de la Loi.

La Commission fait observer qu’elle garde en suspens, pour le moment, la demande que le plaignant lui a présentée visant à ce qu’elle autorise des poursuites en vertu de l’article 205 de la Loi, car cette demande nécessite qu’une décision préalable soit rendue relativement à la plainte.

[…]

J’ai donné aux parties la possibilité de me soumettre d’autres arguments écrits, mais portant uniquement sur la question abordée dans la lettre du 22 janvier 2008.

21 Je reconnais que les défendeurs ont mentionné plus d’une raison afin de contester la compétence qu’a la CRTFP pour examiner la plainte, et qu’ils ont demandé que, subsidiairement, la CRTFP rejette la plainte parce qu’elle est frustratoire. Selon moi, il est essentiel de déterminer si la plainte, à première vue, est raisonnablement corrélée aux interdictions stipulées aux sous-alinéas 186(2)a)(iii) et (iv) de la nouvelle Loi. Cela touche directement à la compétence en tout premier lieu. Si, en supposant que tous les faits allégués dans la plainte sont vrais, il s’avère qu’on ne peut prouver que les défendeurs ont violé les sous-alinéas 186(2)a)(iii) ou (iv), alors la plainte peut être rejetée pour ce seul motif. Les autres questions relatives à la compétence et l’argument subsidiaire des défendeurs selon lequel la plainte devrait être rejetée parce qu’elle est frustratoire, ainsi que certaines ou la totalité des demandes présentées par le plaignant, pourront être ou seront soumises à la CRTFP si le critère préalable de preuve prima facie relatif à la plainte est satisfait. J’ai fondé ma décision quant à la procédure sur ma compréhension de la nature de l’analyse requise aux termes de la nouvelle Loi, en tenant compte de la jurisprudence.

22 Dans la plainte en question, on allègue que les défendeurs ont eu recours à une pratique déloyale de travail au sens de l’article 185 de la nouvelle Loi, qui se lit comme suit :

185. Dans la présente section, « pratiques déloyales » s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

23 Selon les détails de la plainte, les défendeurs auraient violé les sous-alinéas 186(2)a)(iii) et (iv) de la nouvelle Loi :

186. (2) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, que ce dernier agisse ou non pour le compte de l’employeur :

(a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité, ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

[…]

(iii) elle a soit présenté une demande ou déposé une plainte sous le régime de la présente partie, soit déposé un grief sous le régime de la partie 2,

(iv) elle a exercé tout droit prévu par la présente partie ou la partie 2;

24 Le paragraphe 191(3) de la nouvelle Loi indique à qui incombe le fardeau de la preuve dans le cas d’une plainte de pratique déloyale de travail faisant intervenir le paragraphe 186(2) :

191. (3) La présentation par écrit, au titre du paragraphe 190(1), de toute plainte faisant état d’une contravention, par l’employeur ou la personne agissant pour son compte, du paragraphe 186(2), constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

25 L’inversion du fardeau de la preuve à laquelle fait référence le paragraphe 191(3) de la nouvelle Loi est inhabituelle dans ce cadre législatif et constitue clairement une exception par rapport au fait que, normalement, dans les affaires devant la CRTFP, c’est à la partie qui allègue une violation qu’incombe la charge de la preuve.Cette disposition indique manifestement que, selon le législateur, les actions relevant du paragraphe 186(2) se produiraient dans des circonstances exceptionnelles nécessitant une approche différente relativement au fardeau de la preuve, afin d’établir des règles du jeu équitables pour les deux parties.

26 On trouve dans le Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (le « Code »), une approche similaire dont s’est peut-être inspiré le législateur dans le cas qui nous occupe. En effet, les sous-alinéas 186(2)a)(iii) et (iv) ressemblent grandement à une partie du paragraphe 94(3) du Code :

94. (3) Il est interdit à tout employeur et à quiconque agit pour son compte :

(a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne, ou encore de la suspendre, muter ou mettre à pied, ou de faire à son égard des distinctions injustes en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son encontre pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

[…]

(v) elle a présenté une demande ou déposé une plainte sous le régime de la présente partie […]

[…]

27 En ce qui concerne le paragraphe 191(3) de la nouvelle Loi,le paragraphe 98(4) du Code stipule lui aussi une inversion du fardeau de la preuve :

98.(4) Dans toute plainte faisant état d’une violation, par l’employeur ou une personne agissant pour son compte, du paragraphe 94(3), la présentation même d’une plainte écrite constitue une preuve de la violation; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

28 D’après une interprétation stricte du paragraphe 191(3) de la nouvelle Loi ou du paragraphe 98(4) du Code, la CRTFP ou le Conseil canadien des relations industrielles (le « CCRI »), selon le cas, doit considérer l’existence d’une plainte écrite selon laquelle un employeur ou une personne agissant pour son compte n’a pas observé l’une des interdictions prévues par la loi visées aux paragraphes en question comme une preuve qu’une faute a été commise. Il incombe alors à la partie adverse de prouver que ce ne fut pas le cas.

29 Dans Wilson c. ADM Agri-industries Ltd., [2000] CCRI no 99, le CCRI a proposé une condition qui m’apparaît essentielle. Pour que puisse s’appliquer l’inversion du fardeau de la preuve prévue au paragraphe 98(4) du Code, il faut avant tout que la plainte s’accompagne d’une preuve prima facie. Dans le cadre de l’examen d’une situation où il n’était pas certain du bien-fondé d’une plainte de pratique déloyale de travail déposée contre un syndicat, le CCRI a résumé l’approche qu’il a adoptée en vertu du Code dans de telles circonstances :

[…]

[13] Au début des audiences, le Conseil a déclaré que les circonstances énoncées dans la plainte étaient plutôt vagues et ne semblaient pas établir une preuve prima facie des activités syndicales qui ont donné lieu au litige. Le paragraphe 98(4) fait reposer le fardeau de preuve sur l’employeur. Par contre, tel que décidé par le Conseil dans Société canadienne des postes (1983), 52 di 106; et 83 CLLC 16,047 (CCRT no 426), « malgré les dispositions du paragraphe 188(3) [maintenant le paragraphe 98(4)] du Code relatives au fardeau de la preuve, il faut, pour prouver qu’il y a eu violation du Code, qu’une plainte s’appuie sur des motifs suffisants. En effet, il ne suffit pas au plaignant de formuler des accusations contre une partie puis de se croiser les bras en comptant que celle-ci sera incapable d’en démontrer la fausseté. » Le Conseil a le pouvoir de décider si le plaignant a produit les éléments nécessaires pour établir une cause prima facie, avant que le fardeau de la preuve soit imputé à l’employeur. Cette pratique a été appliquée entre autres dans les décisions suivantes : CHUM Western Ltd., Radio CKVN (1974), 3 di 19 (CCRT no 6); Radio Ste-Agathe (CJSA) Inc. (1975), 8 di 8; et 75 CLLC 16,154 (CCRT no 39); Air Canada (1975), 11 di 6; {1975} 2 Can LRBR 193; et 75 CLLC 16,164 (CCRT no 45); et Les Transports Provost Inc. (1985), 61 di 77 (CCRT no 517).

[…]

30 À mon avis, la similarité entre les dispositions concernées de la nouvelle Loi et du Code justifie amplement que l’on s’inspire de la façon dont le CCRI a interprété le paragraphe 98(4) du Code pour en arriver à une interprétation du paragraphe 191(3) de la nouvelle Loi. Dans le cas de la présente plainte, je crois qu’il est approprié et nécessaire d’adopter une telle approche.

31 Dans Laplante c. Conseil du Trésor (Industrie Canada et le Centre de recherches sur les communications), 2007 CRTFP 95, la CRTFP en est arrivée à une conclusion similaire en ce qui concerne la façon d’interpréter l’inversion du fardeau de la preuve qui s’applique aux actions visées à l’article 186(2) de la nouvelle Loi :

[…]

[88] En conclusion, la plaignante doit remplir une première condition pour que la disposition relative au renversement de la charge de la preuve puisse être appliquée. Avant que l’on puisse demander à l’employeur de prouver qu’il n’a pas contrevenu aux interdictions, la plaignante doit se fonder sur une des circonstances prévues au paragraphe 186(2) de la nouvelle Loi. Sans une preuve à cet égard, la plainte est irrecevable et le renversement de la charge de la preuve ne peut s'effectuer.

[…]

32 Au bout du compte, le critère de la preuve prima facie fait appel au bon sens. S’il suffisait de déposer une plainte dans laquelle on affirme que le paragraphe 186(2) de la nouvelle Loi a été violé pour faire en sorte que le défendeur soit automatiquement soumis à l’obligation légale de prouver le contraire, cela ouvrirait toute grande la porte aux plaintes vexatoires. Il faut qu’une allégation de violation du paragraphe 186(2) soit raisonnablement défendable à première vue. Comme je l’ai indiqué plus haut, la question essentielle à trancher est la suivante : si l’on tient pour acquis que tous les faits allégués dans la plainte sont vrais, y a-t-il une preuve soutenable que les défendeurs ont violé les sous-alinéas 186(2)a)(iii) ou (iv) de la nouvelle Loi?

33 Le plaignant a essentiellement allégué que les défendeurs ont eu recours à une pratique déloyale de travail lorsqu’ils ont refusé de l’engager au motif qu’il avait exercé, en 2003, son droit de présenter certains griefs en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (« l’ancienne Loi ») et qu’il avait ensuite renvoyé ces griefs à l’arbitrage. Lorsque j’ai examiné les documents que le plaignant a rédigés à l’appui de sa plainte, je n’ai pu déterminé avec certitude, malgré les détails et le volume des documents en question, que la plainte s’accompagnait d’une preuve soutenable que les défendeurs avaient violé les interdictions stipulées aux sous-alinéas 186(2)a)(iii) ou (iv) de la nouvelle Loi. Autrement dit, il me restait encore à répondre à la question consistant à savoir s’il existait une preuve prima facie d’une corrélation entre la pratique déloyale de travail faisant l’objet de la plainte et le fait que le plaignant avait précédemment exercé ses droits en vertu de l’ancienne Loi. Je ne pourrais être en mesure de poursuivre l’analyse de l’affaire que si j’en arrivais à la conclusion que la plainte, à première vue, est soutenue par une preuve défendable. L’inversion du fardeau de la preuve prévue au paragraphe 191(3) de la nouvelle Loi entrerait alors en jeu, en supposant que les décisions relatives aux autres questions préliminaires m’auraient amené à examiner le bien-fondé de la plainte. Si je ne pouvais en arriver à la conclusion qu’il existe bel et bien une preuve prima facie d’une corrélation, je n’aurais alors plus aucun motif d’analyser l’affaire plus avant.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour les défendeurs

34 Le 31 janvier 2008, les défendeurs ont présenté de brefs arguments se lisant comme suit :

[Traduction]

[…]

L’employeur maintient sa position selon laquelle le plaignant n’a pas fourni de preuve prima facie concernant le défaut de l’employeur ou de toute personne agissant pour son compte de se conformer au paragraphe 186(2) de la LRTFP. Il ressort clairement de la plainte que l’employeur a fondé sa décision de ne pas réemployer le plaignant sur la précédente inconduite de celui-ci, et non sur le fait qu’il a déposé un grief visant à contester son licenciement par l’employeur en 2003. Le plaignant demande simplement à la Commission de conclure qu’il y a eu des mesures de représailles, ce qui n’est soutenu par aucune preuve alléguée. En outre, l’employeur a reçu le grief du plaignant et a conclu avec lui une entente exécutoire à la satisfaction de toutes les parties.

Lors de la procédure de règlement du grief, l’agent négociateur a représenté le plaignant. Toute assertion du plaignant selon laquelle l’employeur aurait usé de mesures de représailles à son égard au motif qu’il a exercé ses droits en vertu de la Loin’est que pure supposition de sa part et ne repose sur aucun fait, et il n’a fourni aucune justification concrète permettant d’étayer sa plainte.

[…]

B. Pour le plaignant

35 Le plaignant a présenté ses arguments le 4 février 2008, lesquels ont consisté en une réfutation des arguments soumis par les défendeurs le 31 janvier 2008.

36 Le plaignant a allégué que les défendeurs tentaient de modifier le fond de leur argumentation justifiant leur refus de l’employer :

[Traduction]

[…]

Ils essaient encore une fois de modifier leur argumentation par rapport aux motifs clairement exprimés dans la lettre elle-même, en s’appuyant maintenant sur « l’inconduite précédente » alléguée du 3 janvier 2003. Ce faisant, ils contredisent entièrement leurs propres arguments concernant la compétence et causent un préjudice au plaignant, qui a démoli dans sa réponse la preuve qu’il leur incombait de fournir.

Cela prouve que leurs arguments ne reposent sur aucun fondement concret, si ce n’est sur un esprit vengeur et un désir ardent de rayer illégalement le plaignant de l’ARH, en l’empêchant d’y prendre part « sans tenir compte du processus » en raison de leur sentiment qu’il est indésirable. Tout cela a été entièrement réfuté grâce notamment à une preuve corroborante du MRO, qui a agi à titre d’agent de l’employeur relativement à la plainte présentée en vertu de l’ARH.

[…]

37 Le plaignant a réitéré sa position selon laquelle les défendeurs ont refusé de l’engager pour des motifs liés au grief qu’il a renvoyé à l’arbitrage en 2003 :

[Traduction]

[…]

Le plaignant maintient sa position selon laquelle, entre autres choses, les défendeurs ont commis une faute, à première vue, en refusant de l’employer ou de continuer de l’employer, et selon laquelle il n’y a aucun fondement en fait ou en droit les ayant autorisés à agir de la sorte.

[…]

Il n’y a tout simplement aucune incompatibilité entre le PE censément conclu et l’ARH aux termes duquel les défendeurs étaient tenus de m’engager quelles que soient les circonstances. La question de l’inconduite alléguée a été réglée par voie de médiation. Par conséquent, étant donné que les événements passés ont été réglés de façon irrévocable, l’employeur ne peut refuser de m’employer ou de continuer de m’employer au motif de la médiation.

Comme la preuve prima facie a été clairement établie, le plaignant réitère sa demande à la CRTFP de recevoir sa plainte en vertu de l’article 41 […]

[…]

38 Le plaignant a critiqué le fait que les défendeurs ont utilisé le terme « réemployer » dans leurs arguments :

[Traduction]

[…]

En outre, le fait de dénaturer l’affaire en écrivant « […] le refus de l’employeur de réemployer [le plaignant][…] », alors que dans ma plainte, dans ma réponse et dans la lettre du CRTFP il était question du « […] refus de l’employeur d’employer [le plaignant] […] », constitue une autre tentative irrespectueuse de détourner la CRTFPdes faits réels allégués. Les faits à l’appui de la plainte et de la réponse concernent uniquement le refus des défendeurs de m’employer ou de continuer à m’employer, et non pas leur refus de me « réemployer ».

L’alinéa 186(2)a) ne contient pas le terme « réemployer », et il doit donc être interprété en tenant compte du contexte approprié. À la lumière de la convention collective de l’AEGAPCO, des modalités de l’ARH et de la common law, ce contexte exclut toute relation de travail antérieure avec l’ARH et, par conséquent, le fait d’employer le plaignant doit être vu comme une nouvelle embauche, comme ce serait le cas pour n’importe quel autre employé du MRO.

Mis à part les précisions concernant les modalités du PE que j’ai apportées dans la plainte et dans la lettre, lequel n’empêche aucunement mon réemploi et n’est pas pertinent de toute façon, il n’y a jamais eu aucune question ou aucun fait allégué ayant trait à un quelconque « réemploi ». Cela découle du fait que, dans le cadre du transfert de l’administration des impôts du MRO, les défendeurs ont simplement assumé le rôle du MRO à titre d’employeur relativement à la relation employeur-employé me concernant. En conséquence, la question du « réemploi » n’est pas concernée; cela aurait pu être le cas si, par exemple, j’avais présenté de mon propre chef une demande d’emploi à l’ARC. Dans les faits, j’ai été muté sans mon consentement en raison du transfert des fonctions relatives à l’impôt des sociétés qui relevaient du MRO.

[…]

39 Le plaignant semble avoir livré les éléments fondamentaux de son argumentation dans le passage suivant :

[Traduction]

[…]

[…] Bien que les défendeurs semblent avoir admis que la CRTFP a la compétence pour entendre la plainte, ils ignorent délibérément le fait qu’une preuve prima facie est réputée avoir été fournie étant donné qu’une plainte a été déposée, à moins qu’ils puissent la réfuter. Par ailleurs, ils dénaturent volontairement le paragraphe 191(3) de la Loien refusant d’admettre qu’il leur incombe de prouver que la faute alléguée n’a pas eu lieu.

Pour ce qui est de savoir si le refus de l’employeur ou de toute personne agissant pour son compte a découlé de mon inconduite alléguée (ce qui, encore une fois, pour les raisons précédemment fournies, n’est pas pertinent, mais est expressément nié), le libellé de la lettre du 13 septembre parle de lui-même. J’ai acquitté tout fardeau de preuve me revenant (ce qui, ici encore, est expressément nié). Si tout ce dont ont besoin les défendeurs pour refuser de m’employer est une raison liée à l’emploi (ce qui, en ce qui a trait à ma situation particulière, est expressément nié), ils n’ont pas réfuté la preuve que j’ai fournie concernant une mauvaise foi de leur part et le recours à un leurre ou à du camouflage.

De toute évidence, les droits que l’employeur a prétendu avoir en émettant ladite lettre n’existent pas en droit et, par conséquent, son refus de m’employer a manifestement constitué un leurre. Il s’ensuit de façon évidente qu’en maintenant son refus dans des circonstances illégales, il fait preuve de mauvaise foi tout en ayant recours à du camouflage. Il est déjà bien établi qu’on ne peut plaider l’ignorance et qu’il n’y a aucune défense contre un mépris flagrant de la loi. Par conséquent, l’employeur devrait tout simplement « rendre les armes ».

[…]

[…] la plainte devant la CRTFP porte sur le fait qu’en refusant de m’employer ou de continuer à m’employer, l’employeur n’a pas respecté les droits qui me sont conférés en vertu de l’ARH, et non pas sur la question de savoir si les modalités du PE sont ou non maintenues en vertu de l’ARH. Bien que j’aie déjà prouvé que la CRTFP n’a pas la compétence pour déterminer si le PE serait non exécuté en raison de l’ARH, les défendeurs ont essentiellement demandé à la CRTFP de mettre le PE en application sans aucunement tenir compte du contexte, tout en s’appuyant apparemment sur des décisions de la CRTFP qui me sont favorables plutôt qu’à eux. Pour cause de vexation, une adjudication des dépens m’est donc due.

[…]

40 Dans ses arguments, le plaignant a demandé que la CRTFP, en vertu du pouvoir qui lui est conféré par l’alinéa 40(1)h) de la nouvelle Loi, oblige le MRO à produire une certaine « preuve » qu’il a lui-même demandé en vain au MRO en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée, L.R.O. 1990, ch. F-31 de la province.

41 Le plaignant a aussi inclus dans ses arguments un certain nombre de documents qu’il a reçus de l’ARC en janvier 2008 après avoir présenté une demande d’accès à l’information. Étant donné que le contenu de certains documents avait été retouché par l’ARC, le plaignant a demandé que la CRTFP oblige les défendeurs à fournir tous les documents dans leur version originale, sans les modifications.

42 Enfin, se fondant sur de « nouvelles informations », le plaignant a présenté des formules demandant à la CRTFP d’autoriser des poursuites contre 30 autres personnes nommées.

IV. Motifs

A. Violation alléguée des sous-alinéas 186(2)a)(iii) et (iv) de la nouvelle Loi

43 Les interdictions stipulées aux sous-alinéas 186(2)a)(iii) et (iv) de la nouvelle Loi sont des éléments essentiels du régime législatif :

186. (2) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, que ce dernier agisse ou non pour le compte de l’employeur :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité, ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

[…]

(iii) elle a soit présenté une demande ou déposé une plainte sous le régime de la présente partie, soit déposé un grief sous le régime de la partie 2,

(iv) elle a exercé tout droit prévu par la présente partie ou la partie 2;

44 On trouve une interdiction similaire dans l’ancienne Loi :

[…]

8. (2) Sous réserve du paragraphe (3), il est interdit :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne, ou encore de faire des distinctions injustes fondées, en ce qui concerne l’emploi ou l’une quelconque des conditions d’emploi d’une personne, sur l’appartenance de celle-ci à une organisation syndicale ou sur l’exercice d’un droit que lui accorde la présente loi;

[…]

45 Il est encore et toujours essentiel, pour assurer l’intégrité des régimes des relations de travail créés par la nouvelle Loi et l’ancienne Loi, que les personnes aient la possibilité d’exercer les droits qui leur ont été accordés par ces lois sans avoir à craindre des représailles. S’il en était autrement, étant donné la possibilité qu’il y ait abus de pouvoir dans le cadre de la relation employeur-employé, l’effet dissuasif qu’aurait la menace de représailles pour qui exerce ses droits acquis découlant de la loi pourrait faire en sorte d’atténuer la force réelle de ces droits.

46 Dans la nouvelle Loi, les éléments visés par une action interdite considérée comme une mesure de représailles ont été précisés davantage aux termes des sous-alinéas 186(2)a)(iii) et (iv). En effet, il est interdit « de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne […] ou de faire à son égard des distinctions illicites » au motif qu’elle a présenté un grief ou qu’elle a exercé tout autre droit prévu par les parties 1 et 2 de la nouvelle Loi.

47 Selon moi, le concept de représailles constitue le contexte fondamental dans lequel une plainte de pratique déloyale de travail de ce genre doit être examinée. Dans la présente affaire, le plaignant soutient en effet qu’il a fait l’objet d’une mesure de représailles au sens des sous-alinéas 186(2)a)(iii) et (iv) de la nouvelle Loi. La mesure de représailles alléguée par le plaignant s’est manifestée sous la forme d’un refus par les défendeurs « d’employer ou de continuer à employer » le plaignant. Cette mesure aurait découlé du fait que le plaignant a présenté un grief lorsqu’il travaillait pour l’organisme qui était alors l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’« ADRC »), maintenant l’ARC, et qu’il a renvoyé ce grief à l’arbitrage.

48 Je dois donc préciser la question préliminaire devant la CRTFP comme suit : la plainte s’accompagne-t-elle d’une preuve prima facie d’une corrélation entre la décision des défendeurs de ne pas employer ou de ne pas continuer à employer le plaignant en 2007 – la mesure de représailles alléguée – et le fait que le plaignant a exercé plusieurs années plus tôt son droit de présenter un grief et de renvoyer celui-ci à l’arbitrage, lorsqu’il travaillait pour l’ADRC? Comme je l’ai déjà mentionné, pour que je puisse considérer que j’ai compétence pour entendre la plainte et que l’inversion du fardeau de la preuve prévue au paragraphe 191(3) de la nouvelle Loi puisse entrer en jeu, il faut en premier lieu que la plainte établisse une preuve défendable.

49 Malgré le volume de renseignements fournis par le plaignant, je crois que les faits essentiels me permettant de rendre une décision sont relativement limités. À l’époque où il travaillait à l’ADRC, le plaignant a déposé deux griefs et a ensuite renvoyé ceux-ci à l’arbitrage en vertu de l’ancienne Loi. Le plaignant a démissionné de son emploi à l’ADRC en octobre 2004, après le règlement de ses griefs par voie de médiation. Au moment où il a déposé sa plainte, le plaignant était un employé du MRO et travaillait à la division de l’impôt des sociétés. Après l’entrée en fonction du plaignant au MRO, les gouvernements du Canada et de l’Ontario ont conclu un protocole d’accord sur l’administration unique des fonctions fédérales et provinciales de gestion de l’impôt des sociétés. Dans le cadre de la mise en œuvre du PA, l’ARC et le MRO ont signé l’ARH, aux termes duquel les titulaires des postes concernés relevant de l’administration de l’impôt des sociétés au MRO ont été mutés à l’ARC. Le nom du plaignant a apparemment été placé sur une liste des employés devant être mutés. Les défendeurs ont plus tard affirmé que son nom a figuré sur la liste par erreur. Dans sa lettre du 13 septembre 2007, le défendeur Hillier, au nom de l’ARC, a fait savoir au plaignant que l’Agence n’était pas disposée à lui offrir d’emploi même si son nom figurait sur la liste susmentionnée.

50 Le plaignant a pour sa part considéré que [traduction] « […] le refus de [lui] permettre de postuler un emploi, comme ont pu le faire 371 autres employés concernés de façon similaire, ainsi que l’exige l’Accord sur les ressources humaines (“ARH”) conclu entre l’ARC et le ministère du Revenu de l'Ontario (“MRO”) […] » constituait une pratique déloyale de travail au sens des sous-alinéas 186(2)a)(iii) et (iv) de la nouvelle Loi, et il a donc déposé la présente plainte.

51 En appliquant le critère de la preuve prima facie susmentionné, je dois évaluer si, en supposant que tous les faits allégués par le plaignant sont vrais, il existe une preuve soutenable que les défendeurs ont violé les interdictions mentionnées aux sous-alinéas 186(2)a)(iii) ou (iv) de la nouvelle Loi. Plus précisément, l’application du critère à cette étape ne consiste pas à savoir si je crois qu’une telle violation a réellement eu lieu. Il ne s’agit pas non plus de savoir si je suis convaincu qu’il est plus probable, comme le soutiennent les défendeurs, que ceux-ci ont fondé leur décision de ne pas employer le plaignant sur sa prétendue inconduite. Il s’agit plutôt de savoir s’il existe une preuve défendable d’une corrélation entre le fait que le plaignant a exercé ses pouvoirs en vertu de l’ancienne Loi et la décision des défendeurs de ne pas l’employer en 2007, si je considère comme vrais tous les faits allégués dans la plainte.

52 En effectuant l’évaluation requise, je reconnais que si j’ai la moindre incertitude quant à ce que révèle les faits considérés comme vrais, je devrai pencher du côté de l’existence d’une preuve défendable d’une corrélation, et par conséquent accorder au plaignant la possibilité de faire entendre sa plainte dans le cadre d’une procédure qui tienne compte de l’exigence prévue au paragraphe 191(3) de la nouvelle Loi selon laquelle il y a inversion du fardeau de la preuve.

53 Mon évaluation m’a amené à conclure qu’il est à tout le moins possible que les défendeurs aient refusé d’engager le plaignant en 2007 parce qu’il a exercé ses droits en vertu de l’ancienne Loi. Bien qu’il puisse tout à fait exister des explications différentes et plus probables concernant la suite d’événements allégués par le plaignant, je ne peux conclure qu’il n’existe aucune façon raisonnable de faire valoir une théorie selon laquelle il y aurait une corrélation entre la lettre des défendeurs datée du 13 septembre 2007 et le fait que le plaignant a exercé son droit de grief et de renvoi de grief à l’arbitrage. Pour ces motifs, je suis obligé de conclure que la plainte s’accompagne d’une preuve soutenable que les défendeurs ont violé les sous-alinéas 186(2)a)(iii) ou (iv) de la nouvelle Loi. La question de savoir s’il y a réellement eu violation de ces dispositions devra être tranchée d’après la preuve officielle sur le fond que présenteront les parties.

54 Étant donné que j’ai conclu que la plainte s’accompagne, à première vue, d’une preuve soutenable que les défendeurs ont violé les sous-alinéas 186(2)a)(iii) ou (iv) de la nouvelle Loi, c’est à ceux-ci, en vertu du paragraphe 191(3), qu’il incombe d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que leur refus d’employer ou de réemployer le plaignant n’était pas fondé sur le fait qu’il a présenté un grief et l’a renvoyé à l’arbitrage.

55 Je souhaiterais maintenant formuler deux autres commentaires concernant les arguments du plaignant, en espérant qu’ils aideront à préciser les éléments sur lesquels devrait porter une audience future. Ces commentaires ne doivent pas être considérés comme des décisions officielles.

56 Dans le passage suivant, le plaignant semble alléguer que les défendeurs ont affiché un « sentiment antisyndical » et qu’ils ont imposé une mesure disciplinaire déguisée :

[Traduction]

[…]

[…] les raisons des défendeurs tenaient au conflit d’intérêts allégué et à leur sentiment antisyndical. Ils ont essentiellement tenté d’imposer une mesure disciplinaire déguisée pour la même inconduite apparente, ce qui est interdit par les principes de la préclusion et de la double incrimination.

[…]

57 La question du sentiment antisyndical renvoie à une autre disposition de la nouvelle Loi, soit le sous-alinéa 186(2)a)(i). Les sous-alinéas 186(2)a)(iii) et (iv), sur lesquels s’appuient la plainte originale, ne traitent pas des motifs liés à l’adhésion syndicale.

58 Le plaignant a ensuite indiqué que [traduction] « […] la lettre [de M. Hillier] visait à me rappeler et à me faire savoir que, malgré mon droit indéniable de recevoir une offre aux termes de l’ARH, M. Hillier (et peut-être d’autres personnes à l’ARC) ne souhaitait pas me voir revenir à l’ARC ». Je ne crois pas que la décision que je dois rendre sur le fond nécessite que j’interprète l’ARH ou le PA, ou, avant même de faire une telle chose, que je détermine si la CRTFP a compétence pour tirer des conclusions en fonction des exigences de ces ententes relativement à la situation dans laquelle se trouvait le plaignant.

B. Allégation supplémentaire relative à la violation de l’alinéa 186(2)c) de la nouvelle Loi

59 Dans les arguments fournis en réplique le 4 janvier 2008, le plaignant a souhaité élargir la portée de sa plainte pour y inclure une allégation selon laquelle les défendeurs avaient violé l’alinéa 186(2)c) de la nouvelle Loi, qui se lit comme suit :

186. (2) c) de chercher, notamment par intimidation, par menace de congédiement ou par l’imposition de sanctions pécuniaires ou autres, à obliger une personne soit à s’abstenir ou à cesser d’adhérer à une organisation syndicale ou d’occuper un poste de dirigeant ou de représentant syndical, soit à s’abstenir :

(i) de participer, à titre de témoin ou autrement, à une procédure prévue par la présente partie ou la partie 2,

(ii) de révéler des renseignements qu’elle peut être requise de communiquer dans le cadre d’une procédure prévue par la présente partie ou la partie 2,

(iii) de présenter une demande ou de déposer une plainte sous le régime de la présente partie ou de déposer un grief sous le régime de la partie 2.

60 Le plaignant a fourni l’explication suivante :

[Traduction]

[…]

[…] bien qu’à l’origine ma plainte n’était pas fondée sur l’alinéa 186(2)c) de la Loi, je vous demande maintenant la permission de l’invoquer en raison de la preuve d’intimidation concernant le MRO, mon employeur actuel, qui accompagne la réplique des défendeurs.

L’échange d’information et les transactions me concernant ayant eu lieu entre l’ARC et le MRO sans ma participation, sans mon consentement et à mon insu ne sont pas loin de ressembler à une conspiration et sont en fait très menaçants. Peut-être peut-on considérer maintenant que le MRO « agit pour le compte de l’employeur », soit les défendeurs, dans le contexte de l’introduction du paragraphe 186 (2).

Selon moi, les parties ont ignoré l’article 1.2.5 de l’ARH tout en utilisant l’article 1.2.4. Ma crainte liée à des représailles de la part du MRO, à mon possible licenciement et à des sanctions pécuniaires résultantes dont je pourrais être victime si je poursuis la présente affaire est devenue très concrète et on ne peut plus convaincante. Par exemple, le fait que les parties aient prétendument utilisé comme une menace contre moi la disposition sur le règlement des différends pour modifier l’annexe de l’ARH, après que j’eus demandé, afin de me protéger, qu’on y recoure pour forcer l’ARC à respecter son obligation de m’offrir un emploi, m’inquiète au plus haut point.

[…]

[J’omets les notes en bas de page]

61 J’ai examiné les documents qu’ont joints les demandeurs à leur réplique du 5 décembre 2007 et qui constituent la prétendue « preuve d’intimidation » sur laquelle le plaignant a fondé son allégation. Il s’agit des documents suivants : i) une lettre d’un représentant du MRO datée du 9 novembre 2007, dans laquelle il est notamment dit que [traduction] « […] M. Quadrini aurait dû être exclu de la liste d’offres d’emploi rattachée à l’ARH en raison de l’entente intervenue entre l’ARC et le MRO, et il ne se verra pas offrir de poste […] »; ii) une lettre datée du 27 novembre 2007 de la commissaire du revenu de l’Ontario au président de l’AEGAPCO confirmant l’affectation du plaignant à un autre poste au MRO après son retrait de la « liste des employés chargés de l’impôt des sociétés directement concernés ».

62 Je ne trouve rien dans ces deux lettres ni dans le reste des documents qui puisse constituer une preuve soutenable que les défendeurs ont cherché à obliger le plaignant « […] à s’abstenir ou à cesser d’adhérer à une organisation syndicale ou d’occuper un poste de dirigeant ou de représentant syndical ». Aucun élément ne renvoie à la possibilité que le plaignant ait été contraint de s’abstenir 1) de participer, à titre de témoin ou autrement, à la procédure de règlement de la présente plainte en vertu de la nouvelle Loi, 2) de révéler des renseignements ou 3) de présenter une demande ou de déposer une plainte sous le régime de la partie 1 de la nouvelle Loi.

63 Dans la mesure où il y a possiblement un fondement à l’allégation du plaignant, ce qui selon moi constitue un problème, le principal objet de ses préoccupations, de par sa propre omission, est le MRO. Le MRO n’est pas un défendeur dans le cadre de la présente plainte, et le plaignant ne s’appuie sur aucune assise crédible lorsqu’il suggère que le MRO peut être vu comme ayant [traduction] « […] agi pour le compte […] » des défendeurs.

64 Lorsque j’applique ici le critère de la preuve prima facie mentionné plus haut, je ne suis pas convaincu, en considérant comme vrais les faits allégués, qu’il y a une preuve soutenable que les défendeurs ont violé les interdictions stipulées à l’alinéa 186(2)c) de la nouvelle Loi. Pour ce motif, je rejette la demande du plaignant visant à élargir la portée de sa plainte.

C. Demande d’autorisation d’intenter des poursuites et autres revendications et demandes

65 Jusqu’ici, le plaignant a demandé à la CRTFP l’autorisation de poursuivre 40 personnes nommées en vertu de l’article 205 de la nouvelle Loi :

205. Il ne peut être intenté de poursuite pour infraction prévue dans la présente section sans le consentement de la Commission.

66 Étant donné que j’ai rejeté la demande du plaignant visant à élargir la portée de sa plainte et qu’il reste à déterminer si les défendeurs ont violé les interdictions stipulées aux sous-alinéas 186(2)a)(iii) et (iv) de la nouvelle Loi, j’en conclus que les demandes d’autorisation d’intenter des poursuites sont prématurées. Elles seront donc renvoyées au plaignant.

67 Je tiens à préciser que, à ma connaissance, il n’y a pas eu d’autres demandes devant la CRTFP présentées en vertu de l’article 205 de la nouvelle Loi depuis l’entrée en vigueur de celle-ci, le 1er avril 2005. Sous le régime de l’ancienne Loi, les demandes d’autorisation d’intenter des poursuites présentées en vertu d’une disposition similaire (l’article 107 de ladite Loi) étaient extrêmement rares et ont presque toutes eu lieu dans des situations où il était allégué que des employés avaient participé à une grève illégale.

68 Selon moi, il est tout à fait approprié que la CRTFP considère le très petit nombre de demandes d’autorisation de poursuivre qui lui sont présentées comme étant très sérieuses et exceptionnelles. L’article 205 de la nouvelle Loi ne doit pas être invoqué à la légère, étant donné qu’il peut en résulter des conséquences de nature juridique extraordinaires pour les personnes faisant l’objet des poursuites proposées. En ce qui concerne la présente affaire, je ne suis pas sûr que le plaignant ait bien évalué la jurisprudence très limitée dont dispose la CRTFP dans ce domaine. Peut-être croit-il qu’il est relativement courant d’invoquer l’article 205 lorsqu’on dépose une plainte de pratique déloyale de travail. Si tel est le cas, il s’agit là d’une pratique qui doit être découragée.

69 Il n’y a aucun besoin ni aucune raison pour l’instant d’examiner les autres revendications ou demandes que le plaignant a présentées dans le cadre de ses divers arguments.

70 Pour ces motifs, la CRTFP rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

71 La contestation par les défendeurs de ma compétence pour entendre la plainte en vertu des sous-alinéas 186(2)a)(iii) et (iv) de la nouvelle Loi est rejetée.

72 Une audience sera tenue pour évaluer si les défendeurs ont violé les interdictions stipulées dans les dispositions susmentionnées. Il incombera aux défendeurs de réfuter l’allégation du plaignant selon la prépondérance des probabilités.

73 La demande du plaignant visant à élargir la portée de sa plainte pour y inclure une allégation selon laquelle les défendeurs ont violé l’alinéa 186(2)c) de la nouvelle Loi est rejetée.

74 Les demandes du plaignant visant à ce que le CRTFP autorise des poursuites lui sont renvoyées.

Le 28 mai 2008.

Traduction de la CRTFP

Dan Butler,
commissaire

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