Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés travaillaient comme inspecteurs des douanes - ils ont déposé un grief contre l’employeur quand ce dernier a mis fin à sa pratique de les rémunérer pour le temps qu’ils consacraient pour se rendre de leur résidence et à leur travail à l’aéroport - les employés travaillaient en alternance chaque semaine à l’aéroport et à un bureau appelé le bureau Dalhousie - comme le bureau Dalhousie était considéré comme leur lieu de travail, l’effet combiné de la convention collective et de la politique sur les voyages de l’employeur faisait en sorte que les employés avaient le droit d’être rémunérés pour leur temps de déplacement entre leur résidence et le travail les semaines où ils devaient travailler à l’aéroport - l’employeur a décidé de mettre fin à sa pratique de rotation des employés pour des raisons d’efficacité et de nature économique et a informé les fonctionnaires s’estimant lésés qu’ils devaient dorénavant travailler à l’aéroport - il a cessé de les rémunérer pour leur temps de déplacement puisqu’il considérait maintenant que leur lieu de travail était l’aéroport - les employés devaient, à l’occasion, se rendre au bureau Dalhousie, mais passaient la plus grande partie de leur temps à l’aéroport - tout le personnel administratif travaillait au bureau Dalhousie - à ce bureau, on traitait tous les formulaires, on se chargeait de la dotation, on administrait les uniformes des employés et on traitait toutes les saisies - chaque employé qui travaillait au bureau de Dalhousie avait un espace de travail et un casier et il y avait des salles de toilette distinctes pour les femmes et les hommes - le code figurant sur les formulaires d’autorisation de voyager et les lettres d’offre indiquait que le centre de coûts des fonctionnaires s’estimant lésés était le bureau Dalhousie - aucune mesure de dotation n’a été prise pour informer les employés qu’ils avaient été transférés à l’aéroport - les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait valoir que l’aéroport était un lieu de travail temporaire étant donné l’espace de travail inadéquat et que leur véritable lieu de travail était toujours le bureau Dalhousie - pour avoir droit d’être rémunérés pour leur temps de déplacement, les fonctionnaires s’estimant lésés devaient prouver que leur lieu de travail était le bureau Dalhousie et non l’aéroport - la politique, mentionnée dans la convention collective, définissait le lieu de travail comme étant l’endroit où un employé exécute habituellement les fonctions de son poste - l’arbitre de grief a conclu que le lieu de travail des fonctionnaires s’estimant lésés était l’aéroport parce qu’ils y exerçaient habituellement leur travail - le fait qu’ils jugeaient inadéquat leur espace de travail à l’aéroport et le fait que le bureau Dalhousie demeurait le centre d’administration ne déterminait pas leur lieu de travail. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-07-16
  • Dossier:  166-02-37252 à 37255 et 37395
  • Référence:  2008 CRTFP 54

Devant un arbitre de grief


ENTRE

GABRIEL CHAMBERLAND, RICHARD LÉTOURNEAU ET HÉLÈNE DESJARDINS

fonctionnaires s'estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Agence des services frontaliers du Canada)

employeur

Répertorié
Chamberland et al. c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant des griefs renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
John A. Mooney, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Guylaine Bourbeau, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Karl G. Chemsi, avocat

Affaire entendue à Québec (Québec),
les 17 et 18 avril 2008.

I. Griefs renvoyés à l'arbitrage

1 Gabriel Chamberland, Richard Létourneau et Hélène Desjardins (les « fonctionnaires s’estimant lésés ») occupaient des postes d’inspecteurs des douanes. M. Chamberland et Mme Desjardins travaillaient à l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« ASFC ») lors de la présentation de leurs griefs.M. Létourneau travaillait pour l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’« ADRC ») lors de la présentation de son premier grief, et pour l’ASFC lors de la présentation de son deuxième grief. Les postes de M. Chamberland et de M. Létourneau étaient classifiés au groupe et niveau PM-02, et celui de MmeDesjardins au groupe et niveau PM-03 (leurs postes ont été reclassifiés depuis).Avant le 12 décembre 2003, l’ASFC faisait partie del’ADRC.

2 M. Chamberland a présenté deux griefs : un le 19 décembre 2003 et l’autre le 14 janvier 2004. M. Létourneau en a également présenté deux : un le 19 novembre 2003 et l’autre le 15 janvier 2004. Mme Desjardins a présenté un grief le 23 janvier 2004. Les fonctionnaires s’estimant lésés demandent à l’ASFC qu’elle leur paie le temps de déplacement pour se rendre au travail à l’aéroport Jean Lesage de Québec (« aéroport ») à partir de leur résidence. Ils demandent, de façon plus spécifique, d’être rémunérés pour leur temps de déplacements pendant les périodes suivantes :

M. Chamberland

M. Létourneau

Mme Desjardins

1er grief
- du 17 février au 28 novembre 2003
- à partir du 28 novembre et pour tout temps de déplacement futur

1er grief
- du 17 février au 7 novembre 2003
- à partir du 7 novembre 2003 et pour tout temps de déplacement futur

- du 3 au 9 janvier 2004

- à partir du 10 janvier 2004 et pour tout temps de déplacements futur

2e grief
- du 13 décembre au 19 décembre 2003
- à partir du 20 décembre 2003 et pour tout temps de déplacement futur

2e grief
- du 13 décembre au 19 décembre 2003
- à partir du 20 décembre 2003 et pour tout temps de déplacement futur

3 En résumé, M. Chamberland et M. Létourneau demandent que l’ASFC leur paie leur temps de déplacement à partir du 17 février 2003, et MmeDesjardins à partir du 3 janvier 2004. Tous les trois demandent également que l’ASFC paie leurs temps de déplacement futurs.

4 Les fonctionnaires s’estimant lésés ont porté leurs griefs jusqu’au dernier palier de la procédure de grief sans avoir obtenu satisfaction. M. Chamberland et M. Létourneau ont renvoyé leurs griefs à l’arbitrage le 10 mai 2006, tandis que Mme Desjardins a renvoyé le sien le 12 octobre 2006.

5 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ces renvois à l’arbitrage de grief doivent être décidés conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienneLRTFP »).

6 Au moment du dépôt de leurs griefs, les fonctionnaires s’estimant lésés étaient régis par la convention collective intervenue entre l'Agence des douanes et du revenu du Canada et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (Exécution des programmes et des services administratifs - Date d’expiration : 31 octobre 2003 (la « convention collective ») (pièce F-1)). Cette convention collective a été remplacée le 14 mars 2005 par la convention collective intervenue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (Services des programmes et de l’administration (tous les employé-e-s) - Date d’expiration : le 20 juin 2007 (pièce E-8)). Le Conseil du Trésor (l’« employeur ») est devenu l’employeur lorsque l’ASFC a été créée le 12 décembre 2003.

II. Résumé de la preuve

7 Les fonctionnaires s’estimant lésés ont tous trois témoigné, et l’employeur a appelé un témoin. Les fonctionnaires s’estimant lésés ont déposé 28 pièces en preuve tandis que l’employeur en a déposé 8.

8 Plusieurs éléments du contexte de ce grief, qui ressort du témoignage des témoins, ne sont pas contestés. Les griefs résultent des changements que l’ADRC a apportés à la rémunération du temps de déplacement des employés, et du changement du lieu de travail des fonctionnaires s’estimant lésés.

9 La stipulation 32.04 de la convention collective (pièce F-1) précise que les employés ont droit à une rémunération pour leur temps de déplacement lorsqu’ils sont tenus de se rendre à l’extérieur de la zone d’affectation :

32.04 Lorsque l’employé-e est tenu de se rendre à l’extérieur de sa zone d’affectation en service commandé, au sens donné par l’Employeur à ces expressions, l’heure de départ et le mode de transport sont déterminés par l’Employeur, et l’employé-e est rémunéré pour le temps de déplacement conformément aux paragraphes 32.05 et 32.06. Le temps de déplacement comprend le temps des arrêts en cours de route, à condition que ces arrêts ne dépassent pas trois (3) heures.

10 Les fonctionnaires s’estimant lésés faisaient la rotation entre le bureau de l’ADRC situé au 130 de la rue Dalhousie et l’aéroport; travaillant une semaine au premier endroit et une semaine à l’autre.

11 L’ancienne politique sur les voyages d’affaires(pièce E-3) définissait la zone d’affectation de la façon suivante : (page 49)

Zone d’affectation— Zone située dans un rayon de 16 kilomètres du lieu de travail […]

12 Cette distance était mesurée à vol d’oiseau. Le lieu de travail des fonctionnaires s’estimant lésés était le bureau de la rue Dalhousie. Comme l’aéroport se trouvait à l’intérieur de ce paramètre, les fonctionnaires s’estimant lésés ne recevaient pas de rémunération pour leur temps de déplacement lorsqu’ils se rendaient à l’aéroport.

13 Le 1er octobre 2002, l’ADRC a adopté une nouvelle politique sur les voyages d’affaires, que l’on trouve dans le Manuel de l’administration financière (pièce F-5). Cette politique prévoyait que le kilométrage pour délimiter la zone d’affectation serait dorénavant mesuré en termes de kilomètres en empruntant la route terrestre. La nouvelle définition de « zone d’affectation » se lit comme suit :

y) Zone d’affectation— région qui s’étend sur 16 kilomètres du lieu de travail assigné en empruntant la route terrestre la plus directe, sûre et praticable.

14 La nouvelle définition de « zone d’affectation » faisait en sorte que l’aéroport se retrouvait à l’extérieur de cette zone. La distance entre le bureau de la rue Dalhousie et l’aéroport est de 16,55 kilomètres (pièce F-6). L’impact de ce changement était que l’ADRC devait rembourser à chaque employé en rotation son temps de déplacement vers l’aéroport.

15 L’ADRC a décidé de mettre fin au système de rotation et de changer le lieu de travail des fonctionnaires s’estimant lésés. L’ADRC a informé M. Chamberland (pièce F-20) et M. Létourneau (pièce F-7) qu’à partir du 17 février 2003, leur lieu de travail serait l’aéroport. L’ADRC a fait de même dans le cas de MmeDesjardins; l’aéroport devenait son nouveau lieu de travail à partir du 22 décembre 2003 (pièce F-15). Le lieu de travail des fonctionnaires s’estimant lésés étant dorénavant l’aéroport, selon l’ADRC, l’Agence a donc cessé de leur payer le temps de déplacement lorsqu’ils s’y rendent.

16 M. Létourneau a témoigné. Il a expliqué qu’il travaille à la fonction publique fédérale depuis 1988. Il a commencé à travailler au bureau de la rue Dalhousie à Québec en juillet 1998. Il faisait la rotation entre le bureau de la rue Dalhousie et l’aéroport. Il se rendait également à des entrepôts routiers et à des navires pour dédouaner les marchandises.

17 M. Létourneau a raconté comment est survenu le changement de son lieu de travail. Le 2 décembre 2002, André Nadeau, le directeur intérimaire pour la région de Québec, avait convoqué les employés du bureau de la rue Dalhousie à une rencontre. Lors de cette rencontre, M. Nadeau avait expliqué que la nouvelle politique sur les voyages d’affaires avait engendré des coûts supplémentaires. Pour sauver des coûts, l’ADRC allait mettre fin au système de rotation et changer le lieu de travail de certains employés du bureau de la rue Dalhousie. Certains employés seraient affectés à l’aéroport de façon permanente. La gestion accepterait d’abord les employés qui se porteraient volontaires, mais s’il n’y avait pas assez de volontaires, la gestion choisirait les employés qui ont le moins d’années de service. M. Létourneau n’avait pas beaucoup d’années de service alors il a été forcé d’accepter ce changement d’affectation. M. Nadeau avait distribué aux participants à cette rencontre un document qui décrivait les changements prévus (pièce F-6).

18 Après son changement d’affectation, M. Létourneau accomplissait à l’aéroport le même travail qu’il accomplissait à ce lieu lorsqu’il faisait la rotation entre le bureau de la rue Dalhousie et l’aéroport. Il continuait également de visiter les entrepôts et les navires pour effectuer le dédouanement des marchandises.

19 M. Létourneau est d’avis que les locaux de l’aéroport ne sont pas convenables. Il n’y a pas de casiers et de toilettes distinctes pour les hommes et les femmes. On ne lui a pas assigné un bureau. Il n’y a pas de salle de réunion et il n’y a pas d’endroit pour ranger les objets saisis.

20 Selon M. Létourneau, le bureau de la rue Dalhousie demeure son lieu de travail. On y trouve tout le soutien administratif pour les employés, tels les relevés de temps et les formulaires administratifs. C’est également là qu’on traite les saisies de marchandises et les appels concernant ces saisies. Les réunions du comité de santé et sécurité au travail se tiennent également là. Pour ce qui est de la condition des locaux, elle est convenable. Chaque employé a un bureau et un espace de travail. Il y a des toilettes et des vestiaires distincts pour les hommes et les femmes ainsi qu’une cuisine convenable. On y trouve également une chambre forte pour entreposer les objets saisis et plusieurs coffres-forts pour ranger les documents et les objets précieux ou de nature confidentielle.

21 M. Létourneau m’a renvoyé à plusieurs documents qui, selon lui, appuient le fait que son lieu de travail est le bureau de la rue Dalhousie. Par exemple, les formulaires Autorisation annuelle de voyage qu’il a remplis le 16 avril 2003 (pièce F-9) et le 30 mars 2004 (pièce F-8) indiquent que le numéro du centre de coûts est le 3921-530-0-0. Il s’agit du numéro assigné au bureau de la rue Dalhousie. Le formulaire Autorisation annuelle de voyage qu’il a rempli le 27 avril 2005 (pièce F-12) est encore plus explicite puisqu’en plus d’afficher le même numéro de centre de coûts, il indique que le lieu de travail du voyageur est « Bureau de Québec, 130, rue Dalhousie ». On trouve le même numéro de centre de coûts dans la lettre d’offre d’emploi qu’on lui a fait parvenir le 24 janvier 2005 (pièce F-11). Le formulaire Demande d’indemnité de déplacement qu’il a rempli le 2 novembre 2006 (pièce F-13) indique également que son lieu de travail est le bureau de la rue Dalhousie. M. Létourneau avait indiqué sur ce formulaire que son lieu de travail était l’aéroport, mais la personne qui a traité la demande a biffé l’adresse de l’aéroport et l’a remplacée par celle du bureau de la rue Dalhousie.

22 M. Létourneau a déclaré qu’il a attendu plus de 10 mois avant de déposer son grief parce qu’il pensait qu’on améliorerait les locaux de l’aéroport. Il s’est finalement rendu compte que ce ne serait pas le cas et il a décidé de déposer un grief.

23 En contre-interrogatoire, M. Létourneau a indiqué que la distance entre sa résidence et l’aéroport est approximativement 73 kilomètres, tandis que celle entre sa résidence et le bureau de la rue Dalhousie est approximativement 79 kilomètres. Il a aussi indiqué qu’il se rend directement de sa résidence à l’aéroport pour travailler.

24 M. Létourneau a également indiqué en contre-interrogatoire qu’il accomplissait son travail à l’aéroport, mais qu’il se rendait parfois au bureau de la rue Dalhousie pour y travailler. Malgré l’insistance de l’avocat de l’employeur, il ne pouvait préciser combien de fois il se rendait au bureau de la rue Dalhousie. M. Létourneau a dit s’y rendre de temps en temps ; il réclamait des frais de déplacement lorsque cela se produisait.

25 M. Létourneau a fait une distinction entre le lieu de travail et l’endroit de travail. Selon lui, le lieu de travail est l’endroit où l’on trouve tout ce qui est nécessaire pour accomplir son travail.

26 M. Létourneau a également indiqué qu’il n'avait pas déposé de grief pour obtenir des casiers ou des vestiaires convenables ou pour améliorer les conditions de travail à l’aéroport.

27 Mme Desjardins a témoigné par la suite. Elle a commencé à travailler pour l’ADRC en 1988. En 2000, elle a accepté une nomination à un poste d’inspecteur des douanes au bureau de la rue Dalhousie. En 2002 et 2003, elle a accepté une affectation avec l’Équipe d’intervention mobile (l’« ÉIM »).

28 Mme Desjardins n’a pas participé à la réunion convoquée par la gestion le 2 décembre 2002, mais elle avait pris connaissance du document qui avait été distribué (pièce F-6). Elle se sentait concernée par le sujet abordé à cette réunion car même si elle était alors affectée à l’ÉIM, son poste d’attache demeurait au bureau de la rue Dalhousie.

29 Selon elle, son lieu de travail demeure le bureau de la rue Dalhousie puisque tout le travail administratif, tels le traitement des formulaires administratifs, l’administration du budget et l’embauche du personnel, se fait à ce bureau. C’est aussi à ce bureau qu’on fait la formation du personnel et la gestion des uniformes des employés.

30 Mme Desjardins m’a renvoyé à plusieurs documents qui affichent le centre de coûts du bureau de la rue Dalhousie : les formulaires Autorisation annuelle de voyage qu’elle a remplis le 19 avril 2004 (pièce F-16) et le 27 avril 2005 (pièce F-17); la lettre d’offre d’emploi qu’on lui a fait parvenir le 24 janvier 2005 (pièce F-18); et le formulaire Demande d’indemnité de déplacement qu’elle a rempli le 15 novembre 2006 (pièce F-19). Elle avait indiqué sur ce dernier document que son lieu de travail était l’aéroport, mais la personne qui a traité la demande a biffé l’adresse de l’aéroport et l’a remplacée par celle du bureau de la rue Dalhousie.

31 De plus, Mme Desjardins considérait que son lieu de travail était le bureau de la rue Dalhousie parce que l’ADRC n’a jamais fait d’action de dotation pour la transférer à l’aéroport.

32 Mme Desjardins a décrit le fonctionnement et l’aménagement des locaux de l’ÉIM afin de démontrer ce qu’est un véritable lieu de travail. L’ÉIM venait d’être formée lorsqu’elle a accepté un détachement à cette équipe. L’ÉIM a mis en place sa propre structure physique et administrative et a embauché le personnel nécessaire. Les locaux de l’ÉIM étaient situés au 94 de la rue Dalhousie. Toute l’administration de l’ÉIM se faisait à cet endroit. Le numéro de centre de coûts de l’ÉIM était différent de celui du bureau du 130 de la rue Dalhousie. Pour ce qui est de l’aménagement des lieux, il y avait des garde-robes, une salle à dîner et tous les outils de travail nécessaires.

33 En contre-interrogatoire, Mme Desjardins a indiqué qu’elle demeure à 32 ou 33 kilomètres de l’aéroport. La distance entre sa résidence et le bureau de la rue Dalhousie est plus longue de quelques kilomètres. Mme Desjardins se rendait directement à l’aéroport pour travailler.

34 Mme Desjardins a témoigné qu’elle a travaillé au bureau de la rue Dalhousie pour remplacer des employés en vacances. Elle effectue 95 % de son travail à l’aéroport.

35 Dans son témoignage, M. Chamberland a expliqué qu’il travaille pour l’ASFC et les organismes qui l’ont précédé depuis 1981. Il a travaillé dans différentes régions, dont à Rock Island, au Québec, de 1986 à 1989, et à Pohénégamook, au Québec, de 1989 à 1991. Il a commencé à travailler au bureau de la rue Dalhousie en 1997. Il a accepté quelques détachements temporaires à l’ÉIM entre le 1er avril 2001 et le 31 mars 2002. Depuis le 17 février 2003, il est affecté à l’aéroport (pièce F-20).

36 M. Chamberland a accepté l’affectation à l’aéroport parce que cela lui donnait l’occasion d’exercer de nouveaux pouvoirs qu’on venait de lui donner et d’utiliser de nouveaux outils de travail.

37 M. Chamberland a décrit les lieux de l’aéroport où il effectue son travail. La gestion n’a pas assigné de bureaux aux inspecteurs des douanes. Cela complique la tâche lorsqu’un inspecteur procède à une arrestation; il est difficile de trouver un ordinateur pour rédiger le rapport d’arrestation. Il n’y a pas de chambre forte pour garder les drogues saisies ou les documents confidentiels. Les inspecteurs des douanes sont obligés de mettre ces objets dans un coffre-fort. Il n’a jamais travaillé dans des locaux semblables dans le passé. Même à Rock Island et à Pohénégamook, il avait un espace convenable pour travailler.

38 À l’aéroport, une trentaine de personnes travaillent par quarts de travail. Au bureau de la rue Dalhousie, les heures de travail sont de 8 h à 16 h du lundi au vendredi. La gestion a transféré le surplus de travail du bureau de la rue Dalhousie à l’aéroport. En plus de son travail régulier, M. Chamberland traite des dossiers concernant le trafic maritime. Aussi, s’il y a une urgence au bureau de la rue Dalhousie, après les heures normales de travail, les employés de l’aéroport s’en occupent. Si l’urgence a lieu dans un autre endroit, les employés de l’aéroport s’y rendent directement, sans passer par le bureau de la rue Dalhousie.

39 M. Chamberland a présenté un grief parce que, selon lui, il avait droit à une indemnité de déplacement pour se rendre à l’aéroport puisque son lieu de travail est le bureau de la rue Dalhousie. Il m’a renvoyé à divers documents qui affichent le numéro de centre de coûts du bureau de la rue Dalhousie : le formulaire de gestion du personnel qu’il a signé le 24 août 2007 (pièce F-21), les formulaires Autorisation annuelle de voyage qu’il a signés le 30 mars 2004 (pièce F-22), le 17 avril 2003 (pièce F-23) et le 27 avril 2005 (pièce F-24), et une lettre d’offre d’emploi qu’on lui a fait parvenir le 24 janvier 2005 (pièce F-25).

40 En contre-interrogatoire, M. Chamberland a déclaré se rendre directement à l’aéroport pour travailler. Il demeure à 11 kilomètres de l’aéroport. Le bureau de la rue Dalhousie est plus loin, mais il peut emprunter le transport en commun pour s’y rendre.

41 Lorsque l’avocat de l’employeur a demandé à M. Chamberland s’il effectuait 95 % de son travail à l’aéroport, ce dernier a répondu qu’il y consacrait moins de temps que cela. Malgré l’insistance de l’avocat de l’employeur, M. Chamberland n’a pu donner plus de précision sur la fréquence de travail à l’aéroport.

42 M. Chamberland a déclaré qu’il avait tardé à contester son affectation puisqu’il attendait qu’on aménage des locaux convenables à l’aéroport. De plus, il attendait que la gestion procède à une action de dotation pour confirmer son changement d’affection, ce qui ne s’est pas produit.

43 Louis Berberi a témoigné pour l’employeur. Il est surintendant des services frontaliers depuis novembre 2001. Ses responsabilités incluent la supervision du personnel, la gestion des opérations et le règlement des différends. Il supervise les employés de l’aéroport depuis 2003.

44 M. Berberi a décrit le travail que les fonctionnaires s’estimant lésés accomplissent à l’aéroport. Ils s’occupent surtout du trafic aérien. Ils posent des questions aux voyageurs et aux personnes en charge de marchandises pour déterminer si l’entrée de ces personnes ou de ces marchandises au Canada pose un risque pour le pays. S’ils croient qu’il peut y avoir un risque, ils procèdent à un examen plus approfondi.

45 Il y a présentement 35 employés à l’aéroport, et 130 au bureau de la rue Dalhousie. Les employés accomplissent certaines tâches semblables dans les deux endroits, telle l’entrée au Canada de marchandises commerciales (par opposition aux objets que les voyageurs apportent avec eux). Par contre, il y a des différences importantes entre les deux bureaux. À l’aéroport, les employés s’occupent surtout du trafic aérien, tandis qu’au bureau de la rue Dalhousie les employés s’occupent surtout du transport maritime. À l’aéroport, on fournit un soutien à tous les autres bureaux de la région de Québec en dehors des heures régulières de travail, incluant le bureau de la rue Dalhousie. Lorsqu’il y a un débordement de travail au bureau de la rue Dalhousie, on demande de l’aide aux employés de l’aéroport, et vice versa.

46 M. Berberi a expliqué les raisons principales qui ont motivé l’abandon du système de rotation des employés. Avant 2003, 16 inspecteurs des douanes faisaient la rotation entre l’aéroport et le bureau de la rue Dalhousie. Les deux surintendants étaient postés au bureau de la rue Dalhousie. Cela rendait difficile la gestion du personnel. De plus, ce système de rotation n’assurait pas un suivi adéquat des dossiers. La gestion croyait également qu’avoir les mêmes inspecteurs des douanes présents de façon permanente à l’aéroport augmenterait leur connaissance des réalités locales de l'aéroport, c’est-à-dire les clients, les personnes qui y travaillent et le genre d'activités qu’on y pratique. La gestion a aussi effectué ce changement parce l’ADRC avait adopté une nouvelle politique nationale sur le rendement qui exigeait de mettre en place une gestion plus structurée comportant des échéanciers et des critères spécifiques. Le système de rotation ne semblait pas cadrer avec ces nouvelles exigences.

47 La gestion a donc envisagé de mettre fin au système de rotation. La gestion a tenu une réunion le 2 décembre 2002 pour en discuter avec les employés. À la fin de décembre 2002 ou au début de janvier 2003, la gestion a décidé de mettre fin au système de rotation et de créer deux équipes permanentes, une au bureau de la rue Dalhousie et une autre à l’aéroport.

48 Depuis le changement apporté à la définition de la zone d’affectation dans la nouvelle politique sur les voyages d’affaires, l’ASFC doit payer les frais de déplacement des employés de l'aéroport qui se rendent au bureau de la rue Dalhousie pour aider les employés de ce bureau lorsqu’il y a trop de travail. L’inverse est aussi vrai : les employés du bureau de la rue Dalhousie qui aident les employés de l’aéroport ont aussi droit à des frais de déplacement.

49 M. Berberi a analysé les relevés de temps de M. Chamberland (pièce E-7), M. Létourneau (pièce E-5) et Mme Desjardins (pièce E-6) et en a conclu qu’entre le 1er avril 2004 et le 31 mars 2006, les fonctionnaires s’estimant lésés ont travaillé en moyenne chacun pendant 1 à 2 % de leur temps au bureau de la rue Dalhousie. M. Chamberland a travaillé sept fois au bureau de la rue Dalhousie, M. Létourneau une dizaine de fois, et Mme Desjardins deux fois.

50 M. Berberi a expliqué que le numéro de centre des coûts qui est indiqué sur les formulaires Autorisation annuelle de voyage (pièces F-8, F-9, F-12, F-16, F-22, F-23 et F-24), ainsi que les formulaires Demande d’indemnité de déplacement(pièces F-13 et F-19) des fonctionnaires s’estimant lésés, est bien le numéro assigné au bureau de la rue Dalhousie, mais il s’agit là d’une mesure purement administrative. Le centre des coûts aurait pu être celui du siège social à Ottawa.

51 M. Berberi a expliqué que le changement du lieu de travail a eu pour effet de rapprocher les fonctionnaires s’estimant lésés de leur domicile. Il m’a renvoyé à une carte géographique sur laquelle on a indiqué le lieu des résidences des fonctionnaires s’estimant lésés, celui du bureau de la rue Dalhousie et celui de l’aéroport (pièce E-1). Cette carte indique que la distance entre la résidence de M. Chamberland et le bureau de la rue Dalhousie est de 17 kilomètres; celle entre sa résidence et l’aéroport est de 11 kilomètres. La distance entre la résidence de M. Létourneau et le bureau de la rue Dalhousie est de 73,4 kilomètres; celle entre sa résidence et l’aéroport est de 70 kilomètres. La distance entre la résidence de MmeDesjardins et le bureau de la rue Dalhousie est de 28,8 kilomètres; celle entre sa résidence et l’aéroport est de 24,8 kilomètres.

52 M. Berberi a déclaré que la gestion de l’ASFC est à l’écoute des doléances des employés concernant l’aménagement de l’aéroport. Les employés travailleront dans de nouveaux locaux sous peu. On y a installé des casiers pour eux. M. Berberi a aussi négocié avec l’aéroport, en 2004, une entente pour avoir une salle de réunion à cet endroit.

53 En contre-interrogatoire, M. Berberi a déclaré que la gestion avait envisagé de créer deux équipes de travail à partir d’avril 2002. Il en avait discuté avec Pierre Lemieux, surintendant du secteur Québec — Douanes, et Luc Tremblay, chef des opérations de la région de Québec. Ils n’ont pas eu de discussions formelles avec les syndicats puisqu’ils ne faisaient que réfléchir à la question. Quand l’ADRC a émis la nouvelle politique sur les voyages d’affaires, la gestion y voyait une raison additionnelle pour mettre fin au système de rotation des employés. C'est le comité de gestion du district qui a pris la décision d’y mettre fin entre décembre 2002 et janvier 2003.

54 M. Berberi a témoigné que le fait d’affecter des employés à l’aéroport de façon permanente comportait des avantages budgétaires appréciables. L’ADRC économiserait 91 000 $ en frais et indemnités de déplacement. Le budget du bureau de Québec se chiffrait à un peu plus de 1 000 000 $ en 2002.

55 Lors du contre-interrogatoire, M. Berberi a déclaré qu’on avait demandé aux employés du bureau de la rue Dalhousie leurs préférences pour ce qui est de leur lieu de travail entre le bureau de la rue Dalhousie et l’aéroport. Il ne se souvenait pas si les fonctionnaires s’estimant lésés avaient manifesté leur préférence.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

56 La représentante des fonctionnaires s’estimant lésés a soutenu que ces derniers ont droit à la rémunération de déplacement lorsqu’ils se rendent à l’aéroport. Ils font le même travail qu’avant et le bureau de la rue Dalhousie demeure leur lieu de travail. L’aéroport n’est qu’un endroit de travail temporaire puisque les locaux ne sont pas adéquats.

57 Les fonctionnaires s’estimant lésés continuent de travailler au bureau de la rue Dalhousie le soir et les fins de semaine. La formation des employés se fait encore à ce bureau. Les documents de nature administrative, tels les formulaires Autorisation annuelle de voyage (pièces F-8, F-9, F-12, F-16, F-22, F-23 et F-24), et les formulaires Demande d’indemnité de déplacement(pièces F-13 et F-19) sont encore traités au bureau de la rue Dalhousie et ils affichent le centre de coûts de ce bureau. Les lettres d’offre d’emploi des fonctionnaires s’estimant lésés (pièces F-11, F-18 et F-25) affichent également le centre de coûts de ce bureau.

58 En ce qui a trait à l’aéroport, la gestion n’a rien changé. Les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas encore d’endroit pour ranger leurs objets personnels. Il n’y a pas de salle de réunion adéquate ni de toilettes ou de casiers distincts pour les hommes et les femmes.

59 Selon la représentante des fonctionnaires s’estimant lésés, l’ADRC a aboli le système de rotation pour économiser sur les frais d’exploitation.

60 Les fonctionnaires s’estimant lésés pensaient que l’affectation était temporaire. Ils attendaient que l’ADRC fasse une action de dotation pour concrétiser ce changement de travail en procédant à un transfert ou à une mutation. L’ADRC n’a jamais fait d’action de dotation pour donner suite au changement apporté à l’endroit de travail.

61 M. Chamberland a accepté l’affectation à l’aéroport, mais on a imposé ce transfert à M. Létourneau qui ne pouvait s’y opposer parce qu’il n’avait pas suffisamment d’années d’ancienneté.

62 La représentante des fonctionnaires s’estimant lésés a soutenu que le changement du lieu d’affectation des employés et le refus de l’ASFC d’améliorer la condition des lieux à l’aéroport ne respecte pas la stipulation 1.02 de la convention collective (pièce F-1) qui prévoit que les parties à la convention collective « […] ont un désir commun d’améliorer la qualité de la fonction publique du Canada et de favoriser le bien-être de ses employé-e-s […] ». Ce qui détermine le lieu de travail ce n’est pas seulement les fonctions qu’on y accomplit, mais aussi les conditions dans lesquelles les employés travaillent.

63 La représentante des fonctionnaires s’estimant lésés a aussi plaidé que le changement du lieu de travail des fonctionnaires s’estimant lésés et le refus de l’ASFC d’améliorer la condition des locaux à l’aéroport ne respectent pas les valeurs de confiance, souplesse et respect énoncées dans la Directive sur les voyages (pièce F-28, page 1).

64 La représentante des fonctionnaires s’estimant lésés m’a renvoyé à deux décisions de la CRTFP dans lesquelles l’arbitre de grief a décidé que les employés avaient droit à la rémunération de déplacement même si l’employeur avait changé leur lieu de travail : Vijh et al. c. Conseil du Trésor (Revenu Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-26509, 26510, 26512, 26513, 26514 et 26516 (19951204) et Leroux c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douanes et Accise), dossiers de la CRTFP 166-02-23192 (19940516).

B. Pour l’employeur

65 L’avocat de l’employeur a soutenu que les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas droit à une rémunération pour leur temps de déplacement pour se rendre à l’aéroport. La stipulation 32.04 de la convention collective (pièce F-1) précise que les employés n’ont droit à cette rémunération que lorsqu’ils se rendent à l’extérieur de la zone d’affectation. La stipulation 2.01 de la convention collective précise que la zone d’affectation « s’entend au sens donné à cette expression dans la Politique de l’Employeur sur les voyages […] »La nouvelle politique sur les voyages d’affaires, qui est entrée en vigueur le 1er octobre 2002, définit la zone d’affectation comme étant la région qui s'étend sur 16 kilomètres du lieu de travail par route terrestre (pièce F-5, page 62). Cette même politique définit le lieu de travail comme étant le « […] lieu où un employé exerce habituellement les fonctions de son poste […] » (pièce F-5, page 60). Le lieu de travail des fonctionnaires s’estimant lésés, est l’aéroport. C’est là qu’ils effectuent leurs fonctions depuis le 17 février 2003. La preuve a démontré qu’ils y travaillent pendant  95 % de leur temps ou plus.

66 L’avocat de l’employeur a plaidé que les lacunes de l’aéroport au chapitre de l’aménagement, tel le manque de casiers ou d’une salle de réunion adéquate, ne sont pas des facteurs pertinents. Ces lacunes ne peuvent servir à déterminer le lieu de travail des fonctionnaires s’estimant lésés. Il m’a fait noter que même si les fonctionnaires s’estimant lésés n’étaient pas satisfaits de leurs conditions de travail, ils n'ont jamais déposé de grief à ce sujet.

67  Le fait que certaines fonctions administratives, tel le traitement des formulaires Autorisation annuelle de voyage, soient accomplies au bureau de la rue Dalhousie ne sont pas des facteurs déterminants en ce qui a trait à l’identification du lieu de travail. Ces fonctions auraient même pu être faites à Ottawa. Le seul critère qui sert à identifier le lieu de travail est l’endroit où les fonctionnaires s’estimant lésés exercent leurs fonctions.

68 C’est pour des rasions d’efficacité que l’ADRC a aboli le système de rotation entre le bureau de la rue Dalhousie et l’aéroport. Cela assurait un meilleur suivi des dossiers et augmentait la connaissance locale des employés. Le fait que la nouvelle définition de la zone d’affectation engendrait des coûts supplémentaires constituait une raison additionnelle pour mettre fin au système de rotation. Les considérations budgétaires sont des raisons valables et l’employeur n’a pas à s’en excuser. L’employeur a pris une saine décision de gestion des fonds publics. Les fonctionnaires s’estimant lésés ne sont pas en situation de voyage d’affaires lorsqu’ils se rendent à l’aéroport. Ils veulent être rémunérés pour se rendre au travail tous les matins. Que penserait le contribuable raisonnable s’il apprenait que son gouvernement paie pour de tels trajets?

69 L’avocat de l’employeur a noté que le changement du lieu de travail des fonctionnaires s’estimant lésés a eu un effet bénéfique pour eux. L’aéroport est plus près de leur résidence que ne l’est le bureau de la rue Dalhousie.

70 Selon l’avocat de l’employeur, payer les fonctionnaires s’estimant lésés pour qu'ils se rendent au travail irait à l’encontre des buts de la nouvelle politique sur les voyages d’affaires. Celle-ci stipule dans son énoncé général (pièce F-5, page 2) que l’ADRC garantit un traitement uniforme et juste à tous les employés et que ces derniers ne doivent pas tirer de cette politique un revenu ou une rémunération qui équivaudrait à un avantage personnel.

71 L’avocat de l’employeur a souligné que rien ne laissait penser aux fonctionnaires s'estimant lésés que leur affectation était temporaire. Les lettres que l’ADRC leur a fait parvenir (pièces F-7, F-15 et F-20) indiquaient clairement que l’aéroport serait dorénavant leur nouveau lieu de travail. Les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont d’ailleurs jamais contesté cette décision.

72 L’avocat de l’employeur m’a renvoyé aux quatre décisions suivantes dans lesquelles l’arbitre de grief a décidé que le lieu de travail pour les fins d’indemnités de voyage était le lieu où l’employé accomplissait les fonctions de son travail : Arcand c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 166-02-26582 (19951128); Fuller et al. c. Conseil du Trésor (Agriculture Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-15276, 15277, 16068 et 16069 (19970617); Wurdell c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2002 CRTFP 27; Kovacs c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douanes et Accise), dossier de la CRTFP 166-02-11433 (19820817).

73 Selon l’avocat de l’employeur, les faits dans Vijh et al., citée par le représentant des fonctionnaires s’estimant lésés, étaient très différents des faits dans le présent grief. Dans Vijh et al., le changement du lieu de travail était temporaire, alors que dans le cas des fonctionnaires s’estimant lésés, il s’agit d’un changement permanent. Les faits étaient également très différents dans Leroux puisque dans ce grief, l’employé était en formation lorsque l’employeur a changé son lieu de travail, ce qui n’est pas le cas dans le présent grief.

74 Au chapitre des mesures correctives, l’avocat de l’employeur a soutenu que si je devais accueillir le grief, tout montant accordé à titre de mesure corrective ne peut dépasser la période prévue dans la convention collective pour présenter un grief. Sur ce point, il m’a renvoyé à Canada (Office national du film) c. Coallier, [1983] A.C.F. No 813 (C.A.). L’avocat de l’employeur a accepté cependant que la fin de la période couverte par la mesure corrective soit la date à laquelle j’émettrai ma décision. Il a ajouté que je ne pouvais accueillir le grief pour des déplacements futurs.

IV. Motifs

75 Les fonctionnaires s’estimant lésés ont chacun renvoyé à l’arbitrage un grief en vertu de l’alinéa 92(1)a) de l’ancienne LRTFP,qui se lit comme suit :

92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :

a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

76 Le présent litige porte sur le refus de l'ASFC de rémunérer les fonctionnaires s’estimant lésés pour leur temps de déplacement lorsqu’ils se rendent à l’aéroport à partir de leur résidence. À mon avis, les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas droit à cette rémunération pour les raisons qui suivent.

77 La convention collective (pièce F-1) précise que les employés ont le droit d’être rémunérés pour leur temps de déplacement lorsqu’ils sont tenus de se rendre à l’extérieur de la zone d’affectation. La stipulation 32.04 de la convention collective prévoit ce qui suit :

 32.04 Lorsque l’employé-e est tenu de se rendre à l’extérieur de sa zone d’affectation en service commandé, au sens donné par l’Employeur à ces expressions, l’heure de départ et le mode de transport sont déterminés par l’Employeur, et l’employé-e est rémunéré pour le temps de déplacement conformément aux paragraphes 32.05 et 32.06. Le temps de déplacement comprend le temps des arrêts en cours de route, à condition que ces arrêts ne dépassent pas trois (3) heures.

[Je souligne]

78 La stipulation 2.01 de la convention collective (pièce F-1) définit la « zone d’affectation » comme suit :

[…]

« zone d’affectation » s’entend au sens donné à cette expression dans la Politique de l’Employeur sur les voyages […]

[…]

[Je souligne]

79 M. Létourneau et M. Chamberland travaillaient, jusqu’au 17 février 2003, en rotation entre le bureau de la rue Dalhousie et l’aéroport, travaillant une semaine au premier endroit et l’autre au second endroit. Mme Desjardins en a fait de même jusqu’au 22 décembre 2003. Leur lieu de travail était le bureau de la rue Dalhousie. Avant le 1er  octobre 2002, ils n’avaient pas droit à la rémunération pour leur temps de déplacement pour se rendre du bureau de la rue Dalhousie à l’aéroport, ou de leur résidence à l’aéroport. La zone d'affectation, selon l’ancienne politique sur les voyages d’affaires, était la zone située dans un rayon de 16 kilomètres du lieu de travail, c’est-à-dire 16 kilomètres à vol d’oiseau. L’aéroport se situait à l’intérieur de ce paramètre.

80 L’ADRC a modifié la définition de la zone d’affectation le 1er octobre 2002 lorsque la nouvelle politique sur les voyages d’affaires est entrée en vigueur (pièce F-5). La zone d’affectation demeurait un rayon de 16 kilomètres, mais l’ADRC a changé la façon de mesurer cette distance. La distance est dorénavant mesurée par voie terrestre. La nouvelle définition se lit comme suit : (page 62)

y) Zone d’affectation— région qui s’étend sur 16 kilomètres du lieu de travail assigné en empruntant la route terrestre la plus directe, sûre et praticable.

81 L’effet de la nouvelle définition de la zone d’affectation est que l’aéroport se trouve à l’extérieur de la zone d’affectation, la distance par voie terrestre étant plus grande que la distance à vol d’oiseau. La distance par voie terrestre entre le bureau de la rue Dalhousie et l’aéroport est de 16,55 kilomètres (pièce F-6). L’impact de ce changement était que l’ADRC devait rembourser aux employés qui faisaient la rotation entre le bureau de la rue Dalhousie et l’aéroport leur temps de déplacement lorsqu’ils se rendaient à l’aéroport.

82 L’ADRC a décidé de mettre fin au système de rotation à partir du 17 février 2003 et d’affecter certains employés, dont les fonctionnaires s’estimant lésés, de façon permanente à l’aéroport. Depuis cette date, l’ADRC refuse de payer aux fonctionnaires s’estimant lésés le temps de déplacement pour se rendre à l’aéroport puisque, selon l’employeur, ce lieu est devenu leur lieu de travail.

83 Pour avoir droit à la rémunération pour le temps de déplacement, les fonctionnaires s’estimant lésés doivent donc établir que leur lieu de travail est le bureau de la rue Dalhousie. La nouvelle politique sur les voyages d’affaires définit le « lieu de travail » comme étant le « lieu où un employé exerce habituellement les fonctions de son poste » : (pièce F-5, page 60)

j) Lieu de travail lieu où un employé exerce habituellement les fonctions de son poste ou d’où il part à cette fin et, dans le cas d’un employé qui doit se déplacer pour exercer ses fonctions, l’immeuble où il revient pour préparer ou présenter ses rapports, etc. et où s’exercent les autres fonctions administratives relatives à son emploi.

[Je souligne]

84 La preuve montre que ce n’est qu’exceptionnellement que les fonctionnaires s’estimant lésés se rendent au bureau de la rue Dalhousie, que ce soit pour des urgences après les heures de travail, pour y remplacer des employés en vacances ou pour tout autre raison. M. Berberi a analysé les relevés de temps de M. Chamberland (pièce E-7), de M. Létourneau (pièce E-5) et de Mme Desjardins (pièce E-6) et en a conclu qu’entre le 1er avril 2004 et le 31 mars 2006, ils ont travaillé en moyenne chacun pendant 1 à 2 % de leur temps au bureau de la rue Dalhousie. M. Chamberland a travaillé sept fois au bureau de la rue Dalhousie, M. Létourneau une dizaine de fois, et Mme Desjardins deux fois. MmeDesjardins a témoigné qu’elle travaillait 95 % de son tempsà l’aéroport. M. Chamberland a dit qu’il y travaillait moins souvent que Mme Desjardins, mais il n’a pas voulu préciser combien de temps il y travaillait, malgré l’insistance de l’avocat de l’employeur. M. Létourneau a également refusé de dire combien de fois il se rendait au bureau de la rue Dalhousie, malgré les questions répétées à ce sujet de la part de l’avocat de l’employeur. L’analyse et le témoignage de M. Berberi n’ont donc pas été contredits par les fonctionnaires s’estimant lésés. J’en conclus donc que le lieu de travail des fonctionnaires s’estimant lésés est l’aéroport parce qu’ils y exercent habituellement les fonctions de leur poste. En fait, ils y travaillent la très grande majorité de leur temps, tel qu’expliqué plus haut.

85 Le lieu de travail des fonctionnaires s’estimant lésés est le lieu où ils exercent habituellement les fonctions de leur poste, et non le lieu où l’employeur forme les employés, comme le prétendent les fonctionnaires s’estimant lésés.

86 Je ne peux accepter l’argument des fonctionnaires s’estimant lésés que leur lieu de travail demeure le bureau de la rue Dalhousie parce que l’aéroport n'est pas aménagé de façon convenable. À mon avis, le mauvais aménagement de l’aéroport ne peut influer sur la détermination du lieu de travail. Comme je l’ai dit ci-haut, le lieu de travail est le lieu où les fonctionnaires s’estimant lésés exercent habituellement leurs fonctions.

87 On ne peut non plus, à mon avis, conclure que le bureau de la rue Dalhousie est le lieu de travail des fonctionnaires s’estimant lésés du fait que les formulaires Autorisation annuelle de voyage(pièces F-8, F-9, F-12, F-16, F-17, F-22, F-23 et F-24), les formulaires Demande d’indemnité de déplacement(pièces F-13 et F-19) et les lettres d’offre d’emploi aux fonctionnaires s’estimant lésés (pièces F-11, F-18 et F-25) indiquent que le centre de coûts est le bureau de la rue Dalhousie. Il s’agit là d’une mesure administrative qui n’influe pas sur la détermination du lieu de travail.

88 Les fonctionnaires s’estimant lésés ont aussi soutenu qu’ils croyaient que leur affectation à l’aéroport était temporaire. Je ne peux accepter cet argument. Les lettres leur annonçant le changement de leur lieu de travail (pièces F-7, F-15 et F-20) n’indiquent aucunement qu’il s’agissait d’une affectation temporaire. On ne m'a soumis aucune preuve voulant que la gestion ait pu leur donner cette impression.

89 Les fonctionnaires s’estimant lésés ont aussi soutenu que leur lieu de travail demeure le bureau de la rue Dalhousie parce qu’il n’y a pas eu d’action de dotation. Je dois rejeter cet argument. Pour les fins du temps de déplacement prévu à la convention collective et à la politique sur les voyages d’affaires, ce qui importe, c’est l’endroit où les fonctionnaires s’estimant lésés effectuent leurs fonctions. Dans ce cas-ci, ils effectuent leurs fonctions à l’aéroport.

90 M. Létourneau a témoigné qu’il fait le même travail à l’aéroport qu’il faisait avant d’y être affecté de façon permanente. À mon avis, cet argument n’établit pas que son lieu de travail est l’aéroport. La situation est très différente aujourd’hui. Avant le changement de son lieu de travail, il ne travaillait qu’une semaine sur deux à l’aéroport. Son affectation permanente à l’aéroport fait en sorte qu’il y travaille la très grande majorité de son temps. Il fait le même travail, mais il le fait à l’aéroport de façon permanente.

91 Je ne peux non plus accepter l’argument des fonctionnaires s’estimant lésés voulant que leur lieu de travail est le bureau de la rue Dalhousie parce que le refus de l’ASFC d’améliorer la condition des locaux à l’aéroport ne respecte pas la stipulation 1.02 de la convention collective (pièce F-1) qui prévoit que les parties à la convention collective « […] ont un désir commun d’améliorer la qualité de la fonction publique du Canada et de favoriser le bien-être de ses employé-e-s […] ». À mon avis, le respect ou le non-respect de cette stipulation n’est pas pertinent pour ce qui est de la détermination du lieu de travail des fonctionnaires s’estimant lésés. La détermination du lieu de travail est une question de fait qui n’est pas influencé par la qualité de la fonction publique ou le bien-être des employés. Même si les conditions de travail à l’aéroport auraient été pires qu’elles le sont, cela ne change pas le fait que l’aéroport est le lieu de travail des fonctionnaires s’estimant lésés parce que c’est le lieu où ils exercent habituellement leurs fonctions. Il en est de même de leur argument voulant que l’employeur n’ait pas respecté les valeurs de confiance, souplesse et respect énoncées dans la Directive sur les voyages (pièce F-28, page 1).

92 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

93 Les griefs sont rejetés.

Le 16 juillet 2008.

John A. Mooney,
arbitre de grief

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