Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’administrateur général a licencié la fonctionnaire s’estimant lésée sur la base de huit incidents distincts - l’arbitre de grief a conclu qu’aucun des incidents en question ne méritait de mesure disciplinaire - les deux incidents d’insubordination étaient anodins; la preuve n’a pas établi que la fonctionnaire s’estimant lésée avait mal agi dans ses transactions avec un usager difficile; le manque de doigté de la gestion pouvait expliquer les propos désobligeants que la fonctionnaire s’estimant lésée a tenus à l’égard d’une collègue; le blâme exprimé à l’égard d’une autre collègue n’était pas suffisamment grave; la modification apportée à un document était sans conséquence et a été corrigée par la fonctionnaire s’estimant lésée lorsqu’on le lui a demandé; les absences et demandes de modification d’horaire ont été approuvées par la gestion - de plus, l’arbitre de grief a conclu que la théorie de l’incident déterminant ne peut justifier le licenciement, puisque les incidents reprochés n’étaient pas individuellement passibles d’une mesure disciplinaire, n’ont pas été signalés à la fonctionnaire s’estimant lésée à l’époque où ils se sont produits et n’étaient pas étroitement liés à des mesures disciplinaires imposées à la fonctionnaire s’estimant lésée dans le passé - l’arbitre de grief a conclu que la réintégration n’était ni viable ni raisonnable dans les circonstances - elle a ordonné un complément d’audience portant sur les mesures de réparation pouvant indemniser la fonctionnaire s’estimant lésée pour la perte de son emploi. Grief accueilli en partie. Audience convoquée à l’égard des mesures de réparation appropriées.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-07-29
  • Dossier:  566-02-605
  • Référence:  2008 CRTFP 61

Devant un arbitre de grief


ENTRE

THU-CÙC LÂM

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Agence de la santé publique du Canada)

défendeur

Répertorié
Lâm c. Administrateur général (Agence de la santé publique du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Jean Saint-Pierre, avocat

Pour le défendeur:
Stephan J. Bertrand, avocat

Affaire entendue à Montréal (Québec),
le 19 et 20 juin, du 15 au 18 octobre, du 29 octobre au 1er novembre,
du 6 au 9 novembre, les 20, 29 et 30 novembre et le 7 décembre 2007.

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 La fonctionnaire s’estimant lésée, Thu-Cùc Lâm (« la fonctionnaire ») a débuté son emploi au sein de la fonction publique fédérale le 15 avril 1998 comme employée de Santé Canada. Depuis octobre 2000, elle agit à titre de consultante en programmes au niveau PM-04 pour l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) à la Direction générale de la santé de la population et de la santé publique (DGSPSP), Région du Québec. De façon générale, son rôle est d’appuyer la mise en œuvre et le financement de projets fédéraux pour le secteur ouest de l’Île de Montréal dans le cadre du Programme d’action communautaire pour les enfants (PACE).

2 Le 12 juillet 2006, la fonctionnaire est licenciée.

3 La fonctionnaire conteste son licenciement par voie d’un grief déposé le 18 juillet 2006, et présenté au palier final de la procédure de règlement des griefs. Le grief est rejeté le 25 septembre 2006, au motif qu’il n’y a pas de preuve suffisante ou de circonstance atténuante justifiant le renversement de la décision de licenciement, d’où le présent renvoi à l’arbitrage.

4 La lettre de licenciement fait état de huit « principaux événements » déterminants qui ont influencé la décision de l’employeur :

  1. propos inappropriés tenus lors d’une rencontre officielle;

  2. plainte d’un organisme relativement à la prestation de services;

  3. intimidation d’une employée travaillant à l’ASPC;

  4. blâme à l’égard d’un collègue;

  5. falsification d’un document;

  6. absence non autorisée préalablement;

  7. intervention visant à discréditer la gestion lors d’une réunion d’équipe;

  8. demandes répétées d’utilisation de pauses-café alors qu’il y avait une entente signée interdisant une telle pratique.

5 Avant que se succèdent ces événements, la fonctionnaire avait cumulé un dossier disciplinaire qui se compose comme suit :

  1. le 13 août 2003, premier avertissement visant à faire le point sur la conduite de la fonctionnaire;

  2. le 22 septembre 2003, deuxième avertissement, lettre de réprimande pour insubordination;

  3. le 24 septembre 2003, suspension de deux jours pour insubordination;

  4. le 3 février 2004, suspension de 10 jours pour attitude irrespectueuse envers son gestionnaire et refus de supporter les orientations de la gestion régionale auprès de ses clients;

  5. le 28 octobre 2004, suspension de 20 jours pour avoir remis en question les décisions de la gestion et avoir eu un comportement irrespectueux envers ses collègues et la gestion.

6 Les suspensions de 2, 10 et 20 jours ont fait l’objet de griefs et d’une décision rendue le 9 juillet 2007 par l’arbitre de grief Tessier (2007 CRTFP 69). Les mesures disciplinaires ont été maintenues intégralement.

7 À l’appui du licenciement, l’administrateur général de l’ASPC (l’ « administrateur général ») invoque l’absence de modification du comportement de la fonctionnaire, malgré les nombreux avertissements promulgués et la progression des mesures disciplinaires, à un point tel que le lien de confiance essentiel à la poursuite d’un emploi au sein de l’ASPC aurait été irrémédiablement rompu.

8 Le 7 décembre 2006, la fonctionnaire a avisé la Commission canadienne des droits de la personne qu’elle entendait soulever une question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne dans le cadre du renvoi à l’arbitrage de son grief. La Commission canadienne des droits de la personne a éventuellement indiqué son intention de ne pas faire de représentations relativement à la question soulevée par la fonctionnaire.

9 Aucune question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne n’a été soulevée dans le cadre de l’audience tenue devant moi.

II. Description du contexte de travail de la fonctionnaire

10 L’ASPC fait partie du portefeuille fédéral de la Santé. L’ASPC travaille de concert avec des partenaires pour favoriser la prise de mesures pancanadiennes afin de renouveler le système de santé publique au Canada et de soutenir un système de soins de santé durable.

11 Le PACE fournit du financement à long terme à des groupes communautaires pour leur permettre de mettre sur pied et d’offrir des services qui répondent aux besoins de santé et de développement d’enfants – de la naissance à l’âge de six ans – qui vivent dans des conditions à risque. Le PACE s’appuie sur les organismes communautaires et les services de santé et sociaux provinciaux pour définir les besoins des enfants et pour identifier les ressources nécessaires à la gestion des projets qu’ils proposent. Le PACE vise les enfants qui vivent dans des familles à faible revenu ou dans des familles de parents adolescents, des enfants qui éprouvent des problèmes de développement ou de comportement, ou qui ont été agressés et négligés.

12 Le PACE est régi par des protocoles administratifs conclus avec chaque province et territoire qui définissent les modalités et conditions de gestion et établissent les priorités d’attribution des fonds. Au Québec, les organismes communautaires admissibles au PACE sont ceux qui respectent les orientations provinciales en matière de santé et de services sociaux. La gestion des programmes se fait par l’entremise d’un comité de gestion mixte qui comprend des représentants de l’ASPC, d’organismes de services à la santé et de services sociaux, comme les centres locaux de services communautaires (CLSC), ainsi que d’organismes communautaires. Les nouveaux projets sont présentés par les consultants, et le comité de gestion mixte détermine la meilleure façon de répondre aux priorités et d’allouer les fonds. Les projets sont évalués annuellement à l’échelle nationale, régionale et locale afin de fournir de l’information sur l’évolution des programmes et les effets sur les communautés desservies.

13 Le rôle d’une consultante de la DGSPSP est d’assurer la bonne marche des programmes financés par l’ASPC, en voyant à la réalisation de leurs objectifs et de leurs engagements financiers. Par le transfert de ses connaissances, la consultante soutient les organismes qui parrainent les projets. Entre autres, la consultante présente et explique les guides et directives qui s’appliquent au financement et conseille les organismes quant aux exigences de l’ASPC pour obtenir le financement demandé. La consultante évalue les demandes de financement des organismes de son secteur afin de s’assurer que les soumissions soient conformes aux politiques établies et recommande le rejet ou l’approbation des projets des organismes. La consultante vérifie si l’exécution des projets est conforme aux ententes contractuelles et, si nécessaire, recommande le maintien ou l’interruption du financement ou la prise de mesures correctives.

III. Preuve concernant les incidents reprochés à la fonctionnaire

A. Propos inappropriés tenus lors d’une rencontre officielle

14 Une rencontre d’information sur le PACE se tient le 5 avril 2006 avec la Direction de la santé publique de Montréal. Le contexte de cette réunion est pour permettre aux consultants de la DGSPSP de partager de l’information concernant des initiatives de promotion de la santé avec leurs homologues provinciaux pour la mise en œuvre de projets conjoints. Michel Gaussiran, chef d’équipe et coordonnateur du PACE pour la Région du Québec et la fonctionnaire sont présents à cette rencontre au nom de l’ASPC.

15 La rencontre porte, entre autres, sur les rôles et responsabilités de l’ASPC dans la mise en œuvre du PACE et du Programme canadien de nutrition prénatale (PCNP) ainsi que sur la collaboration entre l’ASPC et l’Agence de la Santé et des Services Sociaux de Montréal dans la mise en œuvre PACE sur l’Île de Montréal.

16 L’un des sujets abordés à la réunion est celui de l’évaluation des projets et du soutien à l’évaluation pouvant être apporté aux organismes bénéficiaires d’une contribution en vertu du PACE. Au cours de cette discussion, M. Gaussiran, présente une initiative du bureau régional du Québec de l’ASPC, soit « l’analyse transversale », dont l’objectif principal est d’augmenter la capacité d’évaluation des organismes bénéficiaires du PACE. M. Gaussiran offre de partager les résultats pour le secteur est de Montréal et, éventuellement, le secteur ouest de l’Ile de Montréal. Après la présentation de M. Gaussiran, la fonctionnaire intervient en mentionnant que l’ASPC utilise aussi une autre méthode de collecte et d’analyse standardisée des données pour l’ensemble de ses programmes, soit le Profil national des projets (PNP). Elle fait savoir que l’analyse transversale est une initiative artisanale dont les données ne valent que pour l’année de leur collecte.

17 Lors d’une conversation le 2 juin 2006 ou peu de temps avant, M. Gaussiran rapporte les propos de la fonctionnaire à son propre supérieur immédiat, Benoît Jarry. M. Jarry lui dit que « beaucoup de choses » se passent impliquant la fonctionnaire et que M. Gaussiran aurait dû rapporter immédiatement les propos de la fonctionnaire car ils vont à l’encontre des lignes directrices de l’ASPC.

18 À la demande de M. Jarry, M. Gaussiran prépare une déclaration écrite à propos de l’incident du 5 avril 2006. Dans sa déclaration date du 2 juin 2006, M. Gaussiran explique qu’il n’a pas relevé les propos de la fonctionnaire au moment de la rencontre afin d’éviter un affrontement devant d’importants collaborateurs provinciaux. Il ajoute que, même si la fonctionnaire ne privilégiait pas l’approche de l’analyse transversale, cette méthode avait été adoptée par la Région du Québec et que l’intervention de la fonctionnaire servait à le discréditer.

19 Dans son témoignage, M. Gaussiran explique que tous les projets qui reçoivent une contribution de l’ASPC font l’objet d’une évaluation annuelle afin de s’assurer que les services rendus rencontrent les objectifs de départ. Le PNP est un programme d’évaluation nationale, tandis que l’analyse transversale est une initiative et une pratique propre à la Région du Québec. La pratique n’existe pas en tant que ligne directrice écrite, mais elle est mentionnée dans des comptes rendus du bureau régional du Québec. Un guide qui explique le processus d’évaluation est remis aux organismes dans le cadre de séances de formation régionales données par l’ASPC relativement à son programme de contributions. L’évaluation nationale se fait indépendamment du processus régional d’évaluation. Le processus d’évaluation par voie de l’analyse transversale est un processus cyclique; il a commencé graduellement et se poursuit maintenant dans 15 des 16 régions desservies par l’ASPC. Par contre, il n’y a pas eu d’exercice d’analyse transversale des projets de la fonctionnaire dans le secteur ouest de l’Île de Montréal depuis 2004. La consultante responsable pour le secteur est de l’Île de Montréal étant absente depuis 2005, l’analyse transversale pour ce secteur n’a pas été faite non plus.

20 M. Gaussiran explique qu’il ne participe pas régulièrement aux rencontres avec les représentants provinciaux puisqu’il revient aux consultants d’interagir avec eux. Toutefois, lors de la rencontre du 5 avril 2006, Yolande Marchand, sa nouvelle homologue provinciale, lui a demandé d’être présent afin d’expliquer le système de contributions aux agences régionales et le partage des responsabilités entre l’ASPC et les agences provinciales dans le cadre du PACE.

21 M. Gaussiran admet qu’au moment de la rencontre, il considère l’intervention de la fonctionnaire plutôt anodine, tout en sachant que la fonctionnaire ne partage pas les mêmes idées quant à la valeur de l’une ou l’autre des méthodes d’analyse des projets.

22 Le 8 juin 2006, à la suite de la déclaration de M. Gaussiran, Jean-Louis Caya, le directeur de l’ASPC pour la Région du Québec, demande à la fonctionnaire de faire des commentaires concernant la déclaration de M. Gaussiran. M. Caya souligne ce qui suit :

[…]

[…] lors d’une rencontre tenue le 5 avril dernier […] vous auriez tenu des propos jugés inappropriés. Selon M. Gaussiran, vos propos, à l’encontre de l’analyse transversale, visaient à discréditer ce dernier et à faire valoir vos opinions personnelles au détriment de cette pratique qui est adoptée par l’Unité des programmes pour enfants de l’ASPC en matière de soutien à l’évaluation. Ces commentaires sont d’autant plus regrettables qu’ils on [sic] été formulés en présence de partenaires provinciaux et qu’ils remettaient directement en question les informations transmises aux représentants de la province lors de cette rencontre par le coordonnateur du programme PACE pour la région. J’aimerais obtenir vos commentaires d’ici le 16 juin prochain […]

[…]

23 Le 28 juin 2006, la fonctionnaire répond à la déclaration écrite de M. Gaussiran. Elle explique l’objet de la réunion du 5 avril 2006 et la discussion en question, qui n’était pas à l’ordre du jour. Après l’exposé de M. Gaussiran sur l’analyse transversale, la fonctionnaire intervient en précisant que l’analyse transversale des rapports d’analyse de Montréal a été fait ponctuellement en 2004 (une seule fois) et d’une façon artisanale (manuellement). La fonctionnaire enchaîne qu’il existe un autre rapport d’évaluation fondé sur une base de données électroniques mise à jour annuellement, le PNP. À la suite de son intervention, M. Gaussiran lui a demandé de fournir à Mme Marchand le gabarit des questionnaires liés au PNP qui sont distribués annuellement pour tous les projets du PACE, ce que la fonctionnaire a fait le même jour.

24 Par la suite, M. Caya demande à M. Gaussiran de commenter la réponse de la fonctionnaire. Les commentaires sont intégrés dans une version électronique de la réponse de la fonctionnaire et remis à M. Caya. Ces commentaires de M. Gaussiran ne sont pas remis à la fonctionnaire.

25 Mme Marchand témoigne que les intervenants provinciaux se sont dits satisfaits du déroulement de la rencontre du 5 avril 2006. Mme Marchand n’a rien noté d’inapproprié dans les échanges d’information entre la fonctionnaire et M. Gaussiran. Sans se souvenir précisément des propos échangés entre la fonctionnaire et M. Gaussiran, Mme Marchand est d’avis que le climat général de la réunion était cordial, que le programme était intéressant et que la fonctionnaire a bien collaboré.

26 M. Caya témoigne que, lorsqu’il a évalué les conséquences de cet incident, il a tenu compte du « dénigrement » à l’égard de l’analyse transversale, de certaines intentions prêtées à la fonctionnaire, dont le fait que M. Gaussiran aurait été invité indirectement à la rencontre, et des contradictions entre la version de la fonctionnaire et celle de M. Gaussiran. M. Caya dit en avoir discuté avec la fonctionnaire lors de rencontres avec elle le 16, 19 et 29 juin 2006 et avoir préféré la version de M. Gaussiran.

B. Plainte d’un organisme relativement à la prestation de services

27 Le Centre PRISME est un des organismes bénéficiaires d’un accord de contribution conclu avec l’ASPC. La fonctionnaire agit comme consultante pour le PACE auprès de cet organisme. Le projet subventionné s’appelle « Cercle Magique ». Le 14 mars 2006, Edmundo Pavon, Directeur général du Centre PRISME, et Ginette Quenneville, secrétaire du conseil d’administration du Centre PRISME, font parvenir à M. Jarry une lettre dont l’objet s’intitule « Demande d’arbitrage ».

28 La lettre du Centre PRISME fait état de son bon fonctionnement et de la stabilité de sa programmation et indique que la situation ne justifie pas à son avis l’imposition des conditions recommandées par la fonctionnaire pour le renouvellement de leur accord de contribution. L’organisme demande la désignation d’un autre consultant et la levée de toutes les conditions, sauf une, celle de remettre les rapports prescrits par la loi selon les échéanciers proposés dans l’entente de renouvellement de l’accord de contribution.

29 M. Jarry rencontre M. Pavon et Zahia Agsous, co-présidente du conseil d’administration du Centre PRISME, le 23 mars 2006. M. Pavon et Mme Agsous réitèrent les éléments soulevés dans la lettre du 14 mars 2006. Mme Agsous se dit en profond désaccord avec les conditions de renouvellement de l’accord de contribution. Selon M. Pavon, la fonctionnaire ne semble pas écouter ce qu’on lui dit au sujet de la stabilité de la programmation. M. Pavon et Mme Agsous sont d’avis que les conditions imposées remettent en question la bonne foi de l’organisme. Ils ajoutent que la fonctionnaire leur a fait comprendre depuis le 9 mars 2006 que les conditions de renouvellement ne sont pas négociables.

30 M. Pavon et Mme Agsous trouvent la fonctionnaire trop exigeante quant à l’information qu’elle leur demande et ils estiment qu’elle manipule l’information qu’elle reçoit. Entre autres commentaires, la fonctionnaire a écrit « La réponse du type je suis nul en chiffres n’est plus acceptable ». Ces propos de la fonctionnaire laissent sous-entendre que M. Pavon est incompétent. Selon M. Pavon, l’élément déclencheur de la lettre est une visite de la fonctionnaire en juillet 2005 après le réaménagement des bureaux effectué pendant le congé de maladie de M. Pavon. La fonctionnaire aurait dit que, puisque le Centre PRISME disposait maintenant de moins d’espace, moins d’enfants seraient en mesure de bénéficier du projet subventionné. M. Pavon répond que c’est faux. La fonctionnaire aurait alors menacé de réduire les subventions. M. Pavon décrit cette situation comme une « relation harcelante ».

31 Par ailleurs, la fonctionnaire aurait affirmé ne pas avoir reçu un document que M. Pavon a déposé personnellement aux bureaux de l’ASPC et aurait blâmé une collègue lorsqu’elle l’a retrouvé. De plus, la fonctionnaire aurait refusé de se déplacer pour rencontrer les représentants de Centre PRISME.

32 Bref, le conseil d’administration et le directeur général du Centre PRISME n’ont plus confiance en la fonctionnaire.

33 M. Jarry rencontre Mme Agsous et M. Pavon une deuxième fois le 12 avril 2006, auquel moment M. Jarry remet à chacun une déclaration qu’il a préparée pour eux et qu’il leur demande de signer. M. Pavon retourne sa copie signée le 13 avril 2006 et Mme Agsous retourne la sienne le 20 avril 2006, sans modification de part ou d’autre.

34 Le 27 mars 2006, M. Jarry rencontre la fonctionnaire concernant le dossier du Centre PRISME. La fonctionnaire défend ses actions. Essentiellement, la situation est tout autre que ce que décrivent M. Pavon et Mme Agsous. La fonctionnaire a des inquiétudes concernant la bonne marche du projet subventionné par l’ASPC. Il y a eu un roulement important de personnel; les rapports prescrits par la loi sont systématiquement remis en retard; il y a eu un déficit inquiétant; la preuve d’assurance-responsabilité civile a tardé à lui parvenir. Par ailleurs, M. Pavon ne s’intéresse pas aux questions financières et estime qu’en raison du fait que l’ASPC ne finance que 30 % du projet, il y a trop de suivi et d’exigences. Bien que les inquiétudes de la fonctionnaire soient ponctuelles, les conditions quant au renouvellement de l’accord de contribution demeurent justifiées. Selon la fonctionnaire, les problèmes de l’organisme se résument à un conflit entre M. Pavon et Marino Balcorta, le vice-président qui a assuré sa relève pendant qu’il était en congé de maladie prolongé. Elle suggère une rencontre avec l’organisme pour en discuter.

35 Pendant la rencontre du 27 mars 2006, M. Jarry revient sur une autre rencontre qu’il a eu avec la fonctionnaire pendant laquelle il a été question de reformuler une des clauses du renouvellement. La fonctionnaire répond qu’elle a projeté d’en discuter avec Mme Agsous lors d’une rencontre qu’elle planifie avec elle, suite à un appel qu’elle a placé le 9 mars 2006. À l’issu de la rencontre du 27 mars 2006, M. Jarry doit prendre une décision concernant la fonctionnaire. Ce même jour, M. Jarry substitue Nathalie Pelletier à la fonctionnaire comme consultante responsable du Centre PRISME.

36 Le 9 mai 2006, M. Jarry transmet à la fonctionnaire un rapport d’enquête concernant la plainte du Centre PRISME et lui demande de soumettre ses commentaires avant le 16 mai 2006. Ce rapport reprend (sans annexer les documents en question) le contenu des rapports écrits de la rencontre du 23 mars 2006 avec M. Pavon et Mme Agsous, leurs déclarations subséquentes ainsi que le résumé de la rencontre avec la fonctionnaire le 27 mars 2006. Voici les conclusions de l’enquête de M. Jarry :

Les témoignages de Mme Agsous et de M. Pavon se corroborent entre eux et sont contradictoires sous quelques aspects, avec celui de Mme Lâm. Il faut donc déterminer la probabilité ainsi que la crédibilité de chacun de ceux-ci.

Les deux témoignages recueillis chez Prisme ont été jugés crédibles et dignes de foi. Il faut noter qu’il n’est pas facile pour des dirigeants d’organisme communautaire de formuler ce genre de plainte. L’ASPC octroie une contribution à cet organisme et le fait de se plaindre aurait pu, à leurs yeux, compromettre cette contribution. Ceci vient augmenter d’autant la probabilité que les faits se soient déroulés tel que décrit par Mme Agsous et M. Pavon.

Les allégations qui ont été mentionnées par les dirigeants de Prisme nous décrivent une situation de harcèlement, de questionnement sans fondement et de manipulation de l’information. À cela s’ajoute du contrôle excessif et de l’ingérence de Mme Lâm, dans les activités de l’organisme.

Le harcèlement est le mot qui a été utilisé par M. Pavon, pour décrire le type de relation avec Mme Lâm. L’exemple parlait de lui-même. Suite à une entente, Mme Lâm a changé d’idée sur un délai accordé et n’a pas expliqué sa décision. Pour ce qui est du questionnement sans fondement, Mme Agsous ne comprenait pas les intentions de Mme Lâm lors de ce questionnement et était d’autant plus craintive de ce genre de question.

La manipulation de l’information n’était plus supportable pour M. Pavon. La mention à l’effet que les chiffres n’étaient pas la matière forte de M. Pavon, mention reprise hors contexte dans une lettre que Mme Lâm a fait parvenir à ce dernier, était totalement déplacée et inexcusable. Pour ce qui est du contrôle excessif, l’exemple de demander un rapport hebdomadaire écrit pour corriger une lacune dans le projet parle de lui-même.

De son côté, Mme Lâm a expliqué la situation actuelle en mentionnant que les difficultés ont été engendrées suite à l’arrêt de travail de M. Pavon et aux conflits qui s’en sont suivis [sic] entre le DG et le DG intérimaire, suite au retour du DG. Ceci est très plausible, et ces faits auraient d’autant plus justifié que cet organisme reçoive de l’aide dans le suivi de son dossier avec l’ASPC, au lieu de tout ce qui a été mentionné précédemment.

Finalement, le refus de la part de Mme Lâm d’accepter d’aller les rencontrer en personne, dans le contexte de négociation des conditions de renouvellement, a certainement contribué à la situation actuelle.

Après avoir analysé l’ensemble des témoignages, j’arrive à la conclusion que le lien de confiance est rompu, de manière définitive, entre les dirigeants de Prisme et Mme Lâm.

Compte tenu de tout ce qui précède, la décision de changer de consultante a été prise le 27 mars 2006 et est effective depuis cette date.

37 Le 25 mai 2006, après avoir obtenu certains délais, la fonctionnaire apporte ses commentaires concernant le rapport d’enquête de M. Jarry, en précisant qu’elle apportera un complément d’information. M. Caya demande à M. Jarry de commenter les commentaires de la fonctionnaire. M. Jarry présente ses commentaires à M. Caya le 20 juin 2006. M. Jarry rejette alors les justifications de la fonctionnaire sur tous les points, préférant la version de M. Pavon et de Mme Agsous. Toutefois, M. Caya ne présente pas les deuxièmes commentaires de M. Jarry à la fonctionnaire.

38 Le 19 juin 2006, M. Caya rencontre la fonctionnaire en présence de M. Jarry et d’Alain Bélanger, le représentant syndical de la fonctionnaire. Entre autres incidents qui seront analysés plus loin dans cette décision, il est question de la plainte du Centre PRISME. M. Caya demande encore une fois à la fonctionnaire de répondre aux commentaires de M. Jarry. La fonctionnaire est alors libérée de ses fonctions, jusqu’à une prochaine rencontre fixée au 29 juin 2006, afin qu’elle puisse travailler à domicile et préparer son « argumentation » liée à six dossiers, dont celui-ci.

39 Le 28 juin 2006, la fonctionnaire remet à M. Caya ses commentaires et réplique à l’enquête concernant le Centre PRISME soit un document de 9 pages accompagné de 10 documents à l’appui de ses propos.

40 Le 6 juillet 2006, la fonctionnaire remet à M. Caya une version révisée finale concernant ses dossiers, y compris des commentaires additionnels au sujet du Centre PRISME. M. Caya demande alors à la fonctionnaire de lui communiquer des faits ou facteurs atténuants, tant personnels que professionnels autres que ceux déjà présentés dans ses documents, qui pourraient influencer sa décision éventuelle d’imposer une sanction disciplinaire. Il précise cette demande dans un courriel et confirme que la fonctionnaire est suspendue avec solde jusqu’à ce qu’il prenne une décision.

41 La fonctionnaire répond au courriel en demandant à M. Caya de lui préciser les éléments peu convaincants des commentaires qu’elle a déposés, afin de pouvoir répondre efficacement à sa demande. M. Caya ne répond pas au courriel de la fonctionnaire.

42 Le 11 juillet 2006, la fonctionnaire dépose ses commentaires concernant les faits et facteurs atténuants concernant tous les événements qui lui sont reprochés.

43 À l’audience, quatre témoins sont entendus concernant la plainte du Centre PRISME. M. Jarry explique son rôle en tant que récipiendaire de la lettre de plainte et de son rôle d’enquête. Il a reçu les déclarations mentionnées plus avant, il a fait part de ses commentaires à M. Caya. Dans son témoignage, M. Jarry reproche à la fonctionnaire son manque de flexibilité et sa tendance à donner des ordres plutôt que des conseils. Toutes versions réunies, il n’a pas trouvé crédibles les explications de la fonctionnaire et a préféré la version des faits des représentants du Centre PRISME.

44 M. Pavon témoigne des faits qui sont à l’origine de la lettre de plainte. Ces faits sont essentiellement ceux déjà mentionnés. Il insiste sur le fait que les conditions de renouvellement de l’accord de contribution étaient déraisonnables compte tenu qu’à l’époque l’organisme existait depuis 18 ans. Il trouve la fonctionnaire trop insistante et pointilleuse à l’égard du fait que l’organisme doive suivre à la lettre les politiques de renouvellement de contribution de l’ASPC. Il s’est senti visé, personnellement, comme une personne incapable de satisfaire aux nombreuses exigences de la fonctionnaire. Par contre, il admet que la fonctionnaire a toujours, par le passé, diligemment traité le dossier du Centre PRISME et a expliqué aux représentants, à plus d’une reprise, la façon de préparer les rapports prescrits par la loi. L’organisme a vécu une période difficile à l’été 2005 : l’absence de huit mois de M. Pavon, le départ soudain à son retour de M. Balcorta, les compressions budgétaires et les rénovations en vue de réduire la superficie des locaux. M. Pavon compare cette période à un « tsunami ». Il confirme que le conseil d’administration du Centre PRISME était prêt à renoncer à la subvention de l’ASPC plutôt que de continuer de traiter avec la fonctionnaire.

45 En contre-interrogatoire, M. Pavon reconnaît qu’en 2004-2005, le Centre PRISME a enregistré un déficit de 75 000 $ en raison de l’échec d’un programme d’économie sociale et de la perte d’une importante subvention d’Emploi-Québec en raison de l’échec de ce programme. Il n’a pas averti la fonctionnaire de son absence prolongée, ni du congédiement de la coordonnatrice responsable du projet Cercle Magique, ni du fait que le réaménagement des locaux pouvait déranger temporairement les activités des enfants, ou du déficit qui allait être rapporté dans le bilan vérifié. Il admet que le contrat d’assurance-responsabilité civile du conseil d’administration du Centre PRISME avait été résilié, que le conseil d’administration a été sans contrat d’assurance-responsabilité civile entre le mois d’avril 2005 et le 10 novembre 2006 et que la clause 26.01 de l’accord de contribution exige des assurances appropriées. Il reconnait que l’organisme a toujours fait défaut de remettre les rapports prescrits par la loi dans les échéances. Il explique que ce qu’il a décrit comme une relation harcelante vient du fait que la fonctionnaire a devancé un des échéanciers à l’intérieur duquel l’organisme devait remettre un des rapports prescrits par la loi. Il ne se souvient pas des détails de ses rencontres avec la fonctionnaire.

46 M. Caya témoigne qu’il a été mis au courant de la plainte du Centre PRISME dans les jours qui ont suivi la réception de la lettre du 14 mars 2006. Il a demandé à M. Jarry de faire enquête. Trois éléments retiennent son attention : la fonctionnaire a insisté sur le fait que l’ASPC ne pouvait subventionner un organisme qui ne détenait pas d’assurance-responsabilité civile; la fonctionnaire semblait mettre en cause l’honnêteté de l’organisme; la fonctionnaire recommandait le renouvellement de l’accord de contribution sous certaines conditions. Il ne se souvient pas de l’échange de courriels et de correspondance entre la fonctionnaire et le Centre PRISME que la fonctionnaire a soumis pour appuyer ses commentaires. M. Caya affirme que la plainte du Centre PRISME n’était pas la première plainte formulée par un organisme contre la fonctionnaire. En 2002, trois plaintes ont été reçues à l’égard de la fonctionnaire : elle était trop exigeante; pas assez aidante; elle s’accrochait à des peccadilles et les gens se sentaient intimidés par elle.

47 M. Gaussiran témoigne que d’autres organismes se sont plaints de la fonctionnaire en 2002 alors qu’il était son gestionnaire. Par contre, aucune sanction disciplinaire n’a été imposée à la fonctionnaire à cette époque; les dossiers litigieux ont simplement été réassignés.

48 Nathalie Pelletier témoigne que le dossier du Centre PRISME lui a été assigné le 27 mars 2006. Elle constate que la demande de renouvellement de l’accord de contribution était en retard et que M. Pavon voulait procéder au renouvellement. Elle révise le dossier monté par la fonctionnaire, y compris le devis d’évaluation, et le trouvé bien monté, très complet et accompagné de toutes les pièces exigées pour procéder au renouvellement. Il n’y a rien à refaire ou à compléter. Elle juge que les conditions proposées par la fonctionnaire sont déjà comprises de façon générale dans l’accord de contribution et ses annexes, que le projet semble bien géré, que les écarts ne sont pas majeurs et que M. Pavon démontre de la bonne volonté. Même si la police d’assurance-responsabilité civile du conseil d’administration du Centre PRISME n’est plus en vigueur, Nathalie Pelletier décide qu’il est possible de gérer le risque. Par conséquent, elle recommande de renouveler l’accord de contribution sans condition.

49 Elle rencontre M. Pavon et le conseil d’administration du Centre PRISME le 4 avril 2006 entre 10 h 30 et midi pour signer le renouvellement de l’accord de contribution. En contre-interrogatoire, Nathalie Pelletier affirme que certains consultants n’insistent sur la date de remise des rapports que si le projet le justifie, car le rôle du consultant est d’appuyer le projet. Il est même fréquent que les organismes soient en retard dans le dépôt de leurs rapports. Lorsqu’elle s’est présentée au Centre PRISME, Nathalie Pelletier avait tous les documents qu’il fallait remplir et cela s’est fait sur place. Elle était satisfaite que M. Pavon veillait à ses affaires et qu’il continuait de tenter de trouver une police d’assurance-responsabilité pour le conseil d’administration même si cela allait prendre un certain temps. Elle accepte l’explication de M. Pavon qui dit que les assureurs sont devenus méfiants en raison du déficit financier de l’année 2004-2005.

50 La fonctionnaire témoigne que le Centre PRISME offre des services d’intégration aux immigrants. Il gère de quatre à cinq projets comptant plusieurs bailleurs de fonds pour chaque projet. Le projet Cercle Magique, subventionné par le PACE, offre des activités de stimulation pour les enfants jusqu’à l’âge de 6 ans. Le projet a trois sources de revenus : le PACE en ce qui a trait au salaire du coordonnateur du projet; Emploi-Québec pour le salaire des éducateurs; l’apport des parents. Le PACE représente environ un tiers des revenus du projet : 90 % subvient au salaire du coordonnateur et 10 % sont consacrés aux dépenses de fonctionnement.  Une des conditions de l’accord de contribution est que la subvention ne puisse servir à éponger les déficits découlant d’autres projets de l’organisme. Au printemps 2005, en l’absence de M. Pavon, M. Balcorta a congédié la coordonnatrice du projet Cercle Magique. Celle-ci n’a été remplacée qu’à l’automne 2005. M. Pavon n’a fourni aucune explication quant à l’utilisation des fonds prévus pour le salaire de la coordonnatrice entre le départ de l’ancienne coordonnatrice en mai et l’arrivée de la nouvelle coordonnatrice à l’automne.

51 Depuis le début du projet Cercle Magique, et pour faciliter la tâche à M. Pavon, la fonctionnaire fait souvent affaire avec M. Gomez, le comptable attitré du Centre PRISME, pour obtenir certains renseignements financiers. Lors d’une conversation téléphonique avec ce dernier pendant l’hiver 2004-2005, la fonctionnaire apprend l’absence prolongée de M. Pavon et qu’aucune date de retour n’est prévue. Elle s’inquiète de savoir qui s’occupera de préparer les rapports nécessaires pour le versement des avances de fonds périodiques associées à l’accord de contribution en cours. Les 21 et 22 février 2005, elle communique avec sa gestionnaire d’alors, Lise Pelletier, pour lui faire part de ses inquiétudes concernant deux projets qui ont un roulement de personnel, dont celui du Centre PRISME. En mars 2005, la fonctionnaire rencontre M. Balcorta lors d’une séance de formation multiethnique. Il lui apprend qu’il remplace désormais M. Pavon. Elle lui téléphone un peu plus tard et fixe un rendez-vous avec lui pour sa visite annuelle de suivi du dossier.

52 La rencontre se tient le 20 mai 2005 selon un ordre du jour précis. C’est à ce moment que M. Balcorta lui annonce que l’année financière précédente a donné lieu à un déficit en raison du retrait de financement d’Emploi-Québec. Toutefois, d’autres fonds ont été avancés pour des éducateurs dans le cadre du PACE. La fonctionnaire demande alors à M. Balcorta de lui faire parvenir une copie du bilan financier du Centre PRISME vérifié au 31 mars 2004, lequel n’a pas été envoyé selon les échéanciers prévus. M. Balcorta dit alors ne rien connaître des obligations associées à l’accord de contribution de l’APSC. Il ne veut pas toucher aux dossiers de M. Pavon et demande à la fonctionnaire de lui faire parvenir une trousse complète d’information pour qu’il puisse comprendre le dossier et préparer les rapports prescrits par la loi. La fonctionnaire le sensibilise au fait que l’organisme va recevoir une lettre de l’ASPC concernant le renouvellement de l’accord de contribution en raison de changements aux politiques ayant trait au financement des projets. Cette lettre est envoyée par Lise Pelletier à M. Pavon le 21 juin 2005.

53 À la suite de la rencontre, la fonctionnaire prépare un compte rendu détaillé et fait état des conseils donnés pour que le Centre PRISME puisse se conformer aux exigences de l’accord de contribution. Le 26 mai 2005, la fonctionnaire fait parvenir à M. Balcorta la trousse d’information demandée ainsi qu’une copie du compte-rendu de leur rencontre. Le bilan financier du Centre PRISME vérifié au 31 mars 2004, est communiqué à la fonctionnaire le 26 mai 2005. Quelques jours plus tard, M. Balcorta téléphone à la fonctionnaire pour lui dire qu’il quitte et que M. Pavon revient le 21 juin 2005. M. Balcorta ne donne aucune suite à la rencontre du 20 mai 2005.

54 Le 13 juillet 2005, M. Pavon communique avec la fonctionnaire pour l’informer de son retour. Le même jour, la fonctionnaire lui demande par courriel une mise à jour du dossier, vu que la date de remise du rapport d’évaluation du 15 juin 2005 n’a pas été respectée. M. Pavon lui répond qu’il n’était pas au courant de la date de remise du rapport, que le Centre PRISME a été négligé et qu’il est en période de réaménagement. Une rencontre est confirmée pour le 29 juillet 2005. Par retour de courriel, la fonctionnaire lui confirme l’ordre du jour de la rencontre.

55 Le jour de la rencontre, M. Pavon lui fait visiter les « nouveaux » locaux qui ont été réaménagés et réduits du tiers à des fins d’économie. Ils ont une discussion sur trois points : les enjeux du retour au travail de M. Pavon, une revue des points communiqués à M. Balcorta lors de la visite du 20 mai 2005 et un plan d’action sur les engagements à venir dans le cadre du PACE. Il est convenu que le formulaire de renouvellement de l’accord de contribution, qui devait être déposé le 15 juin 2005, pourra être remis le 15 septembre 2005. La fonctionnaire soulève aussi que l’exiguïté des locaux pourrait avoir des conséquences sur l’accord de contribution si moins d’enfants participent au projet Cercle Magique. M. Pavon devient très agité. M. Pavon lui montre alors un schéma qui illustre toutes les activités du Centre PRISME, et où il a noté les activités qu’il songe à modifier en raison de l’espace maintenant plus restreint. La fonctionnaire lui demande une copie du schéma et de lui revenir sur la décision qu’il entend prendre à ce sujet. Elle lui explique qu’il peut changer le projet, mais qu’elle doit en être informée pour qu’elle puisse l’accompagner dans l’établissement des modifications afin de s’assurer que la subvention soit maintenue. La fonctionnaire lui demande aussi de s’intéresser de plus près à l’aspect financier du projet et à respecter les échéanciers pour la remise des rapports, car les perpétuels retards exigent des rappels et un suivi continu de sa part.

56 Le 27 septembre 2005, la fonctionnaire envoie un courriel à M. Pavon lui rappelant qu’elle n’a pas reçu la demande de renouvellement de l’accord de contribution pour 2007, bien qu’une date de remise ait été fixée au 15 septembre 2005. M. Pavon lui répond que « nous avons un sérieux problème de compréhension » car il a compris qu’il lui fallait remettre les rapports d’évaluation et non la demande de renouvellement de l’accord de contribution. Il lui indique qu’il a posté les rapports avec quelques jours de retard. La fonctionnaire réplique qu’ils ont discuté de ce point précis pendant la rencontre du 29 juillet 2005 et qu’il ne pouvait y avoir aucune confusion, étant donné que la lettre de Lise Pelletier, concernant le besoin de remplir le formulaire de prolongation, était adressée à M. Pavon personnellement.

57 Le 29 septembre 2005, M. Pavon réplique que « ça va très mal » et qu’il veut une rencontre d’urgence avec la fonctionnaire. Il demande de recevoir à nouveau les documents de travail car ils sont introuvables depuis le « tsunami des rénovations ». Le 30 septembre 2005, M. Pavon récrit qu’il a retrouvé la lettre de Lise Pelletier du 21 juin 2005 et qu’il souhaite une rencontre, mais que ce n’est pas aussi urgent. La fonctionnaire lui répond en lui envoyant les fichiers électroniques comprenant le formulaire de renouvellement de l’accord de contribution et le budget détaillé du projet Cercle Magique. Elle lui demande de retourner le formulaire pour le 12 octobre 2005. Le 4 octobre 2005, M. Pavon écrit à la fonctionnaire en disant qu’il va essayer de respecter la date du 12 octobre 2005. Le 5 octobre 2005, la fonctionnaire lui écrit de nouveau, en précisant qu’elle souhaite recevoir le formulaire de prolongation au plus tard le 7 octobre 2005, mais qu’elle accepterait de le recevoir le 12 octobre s’il est personnellement déposé à son bureau à cette date. Elle propose aussi deux dates de rencontre avec M. Pavon et le conseil d’administration du Centre PRISME. Le 6 octobre 2005, la fonctionnaire demande à M. Pavon de confirmer l’une de deux dates de rencontre.

58 Le 6 octobre 2005, M. Pavon envoie une lettre par télécopieur à la fonctionnaire lui indiquant qu’il remettra le formulaire de demande de renouvellement de l’accord de contribution le 12 octobre 2005. Il ajoute :

[…]

Quant à la réorganisation ou restructuration de Cercle Magique, comme je vous l’ai déjà manifesté auparavant, je vous réitère le fait que nous n’avons pas l’intention d’apporter des changements au devis d’évaluation, ce qui a comme conséquence logique qu’il n’y aura pas de changements dans la prestations de services.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

M. Pavon précise que les co-présidentes du conseil d’administration du Centre PRISME sont disposées à rencontrer la fonctionnaire après 18 heures seulement et la prie de communiquer avec lui.

59 Le 17 octobre 2005, la fonctionnaire envoie un courriel à M. Pavon dans lequel elle propose une téléconférence le 25 octobre à 18 h 30 afin de passer en revue les points d’intérêt concernant la gestion du projet Cercle Magique. Elle lui dit qu’elle est très occupée en raison de la période d’analyse intensive des demandes de renouvellement des projets pour 2007, mais qu’elle fera le suivi habituel des courriels et des messages.

60 Dans une lettre en date du 24 octobre 2005, Christine Fändrich, co-présidente du conseil d’administration du Centre PRISME, confirme à la fonctionnaire que l’organisme a repris ses activités habituelles suite aux rénovations, qu’aucun projet financé par le PACE n’a été modifié et qu’il n’est pas dans les intentions de l’organisme de les modifier. Mme Fändrich précise que le seul point sur lequel l’organisme ne se conforme pas à l’accord de contribution est l’absence d’assurance-responsabilité civile pour le conseil d’administration, ce sur quoi il travaille à remédier. Elle indique qu’une rencontre en personne serait préférable, mais qu’il serait mieux d’attendre une réponse des assureurs.

61 Le 25 octobre 2005, la fonctionnaire accuse réception de la lettre de Mme Fändrich par un courriel adressé à M. Pavon. Dans son courriel, elle souligne qu’il est urgent qu’il y ait un resserrement de la gestion du projet Cercle Magique. Elle souhaite un entretien téléphonique avec Mme Fändrich ou une brève rencontre avec le conseil d’administration du Centre PRISME et M. Pavon au bureau de la fonctionnaire à partir de 18 h 30 à une date à déterminer.

62 Dans son témoignage, la fonctionnaire explique les raisons pour lesquelles elle a demandé au conseil d’administration du Centre PRISME de la rencontrer à son bureau. La dernière fois que la fonctionnaire s’est déplacée pour rencontrer un organisme en dehors de ses heures de travail, elle s’est vu refuser le paiement du temps qu’il a fallu pour retourner la voiture de location ayant servi au déplacement et de la prime de repas; de plus elle a reçu un avertissement à ce sujet. Depuis ce temps, lorsqu’une rencontre doit se tenir en dehors de ses heures régulières de travail, elle demande plutôt au client de se déplacer.

63 Également le 25 octobre 2005, la fonctionnaire écrit une lettre à Mme Fändrich lui indiquant qu’elle est d’accord pour annuler la téléconférence et la remplacer par une rencontre en novembre puisqu’elle est très occupée par le renouvellement des accords de contribution pour 2007. Dans cette lettre de trois pages, la fonctionnaire fait part de ses inquiétudes à l’égard de la gestion du projet Cercle Magique suite à sa rencontre du 29 juillet 2005 avec M. Pavon, et suggère des points d’amélioration; c’est-à-dire, que le Centre PRISME l’informe du roulement de personnel, que les rapports prescrits par la loi soient remis selon l’échéancier prévu dans l’accord de contribution, que le plan de programmation et le rapport annuel d’évaluation qui devaient être déposés le 1er mai 2005 soient remis selon certaines échéances, que M. Pavon assure une gestion plus serrée du projet et qu’un plan d’action soit élaboré en vue d’obtenir les assurances manquantes, point sur lequel la fonctionnaire demande une mise à jour hebdomadaire par courriel. La fonctionnaire se dit toujours disponible pour consultation au sujet de ces suggestions. Une copie conforme de cette lettre est adressée à M. Jarry.

64 Le 25 octobre 2005, la fonctionnaire se constitue un registre de réception des rapports financiers trimestriels du Centre PRISME, depuis le mois de juillet 2003 jusqu’à la fin de l’année financière 2005-2006. Selon les dates qui y sont notées, sauf pour le mois d’octobre 2003, les rapports provenant du Centre PRISME sont systématiquement en retard.

65 Le 26 octobre 2005, M. Pavon envoie à la fonctionnaire certains documents manquants à la demande de renouvellement de l’accord de contribution, notamment la liste des membres du conseil d’administration du Centre PRISME; les prévisions budgétaires ont été envoyées par télécopieur. Il explique que la police d’assurance-responsabilité (sans préciser laquelle) a été résiliée et que l’assemblée générale de l’organisme est prévue pour la mi-novembre.

66 Le 26 octobre 2005, la fonctionnaire discute avec M. Jarry de deux organismes dont elle assure la supervision, dont le Centre PRISME. M. Jarry confirme par courriel qu’il est d’accord pour renouveler l’accord de contribution de ces deux organismes avec certaines conditions :

[…]

Suite à notre conversation de ce matin concernant le sujet en rubrique et après consultation avec Michel [Gaussiran], je me range à ta suggestion d’aviser la Régie et ensuite les organismes qu’il pourrait s’agir dans ces cas-ci, [sic] de prolongation d’entente avec conditions.

[…]

M. Jarry approuve la recommandation sur dossier présentée par la fonctionnaire le 14 décembre 2005.

67 Le 31 octobre 2005, la fonctionnaire complète la grille d’analyse pour l’approbation d’une demande de renouvellement de l’accord de contribution du Centre PRISME pour 2006-2007, dans laquelle elle note que le projet Cercle Magique a un rendement acceptable mais qu’il y a une instabilité ponctuelle suite à l’absence de M. Pavon pendant huit mois. Elle recommande un renouvellement de l’accord de contribution sous trois conditions : le respect des dates de remise des rapports prescrits par la loi, la pratique d’une saine gestion et un plus grand contrôle par M. Pavon. Il est noté subséquemment dans le rapport qu’une des preuves d’assurance-responsabilité civile a été fournie par l’organisme le 18 novembre 2005.

68 Le 2 décembre 2005, la fonctionnaire fait un suivi auprès de M. Pavon à propos d’une lettre envoyée à Mme Fändrich et un rappel par courriel des dates de remise de divers rapports et documents prescrits par la loi. Elle termine en lui disant que certains rapports qui devaient être remis le 1er mai 2005 n’ont toujours pas été déposés, qu’ils doivent être déposés au plus tard le 9 décembre 2005 et que cette date n’est pas négociable. M. Pavon lui répond que le projet Cercle Magique se porte bien et que les activités sont les mêmes. Il lui dit que deux documents qu’elle recherche ont été livrés en personne en septembre 2005, le rapport financier a été remis le 12 octobre et les plans d’action et de programmation sont compris dans le même document. Il ne manque que le rapport annuel, qu’il lui fera parvenir sous peu. Le 8 décembre 2005, la fonctionnaire envoie un autre courriel à M. Pavon lui disant que malgré ses recherches, les documents en question n’ont pas été reçus et lui demande d’envoyer une autre copie par télécopieur ou de la déposer en personne. Elle lui explique que le rapport financier qu’elle recherche n’est pas le bilan financier vérifié auquel fait référence M. Pavon, mais le rapport trimestriel qui sert au versement des avances de fonds pour cette période. Elle lui rappelle que le rapport annuel d’évaluation doit inclure le plan d’action pour l’année suivante et non celui de l’année courante. Elle attend donc les documents en question au plus tard le 14 décembre 2005.

69 M. Pavon lui répond le 9 décembre 2005 en lui disant qu’il a lui-même livré les documents manquants et que la fonctionnaire a déjà reçu le bilan financier. Pour ce qui est du rapport financier trimestriel, il le lui fera parvenir le plus tôt possible.

70 Le 20 décembre 2005, la fonctionnaire signale à M. Pavon que les documents déposés en septembre 2005 ont été retrouvés; ils avaient été remis par erreur à Pauline Tardif, consultante responsable pour un autre projet. Elle lui signale que malgré tout, les documents ne sont toujours pas conformes aux exigences de l’accord de contribution et elle lui rappelle encore une fois de soumettre un rapport annuel d’évaluation et un plan d’action au plus tard le 15 janvier 2006. Elle lui transmet à nouveau les documents électroniques pour lui faciliter la tâche de préparer les documents demandés.

71 Le 21 décembre 2005, M. Pavon fait parvenir une deuxième copie des documents qu’il lui avait déposés en septembre 2005. Le 22 décembre 2005, la fonctionnaire lui souligne qu’un des rapports est incomplet et ne se conforme pas aux exigences de l’accord de contribution.

72 Le 22 décembre 2005, M. Pavon lui répond que le rapport soumis regroupe deux rapports en un seul. Le même jour, la fonctionnaire lui répond que ce qu’elle lui avait demandé était de présenter un seul rapport, mais avec deux sections. Elle lui demande de compléter les informations manquantes. Le 19 janvier 2006, la fonctionnaire accuse réception du rapport financier du troisième trimestre du Centre PRISME, et indique que la signature du signataire du rapport n’a pas été autorisée selon le formulaire qu’elle lui a communiqué le 17 octobre 2005. Afin de ne pas retarder le paiement de la subvention, elle lui demande de remplir le formulaire approprié et de le lui retourner par télécopieur. Elle envoie à M. Pavon une copie de l’accord modificateur de contribution pour signature.

73 Le 27 janvier 2006, M. Pavon retourne le formulaire de signature autorisée (sans l’accord modificateur), mais il a oublié de faire approuver la signature soit par une co-présidente du conseil d’administration du Centre PRISME, soit par une résolution du conseil d’administration.

74 Le 9 février 2006, la fonctionnaire a une conversation avec Mme Agsous concernant les exigences à respecter pour obtenir la subvention. Selon les notes de la fonctionnaire, Mme Agsous soulève que l’ASPC ne finance que le tiers du projet Cercle Magique. Le 13 février 2006, la fonctionnaire rappelle à M. Pavon que le Centre PRISME n’a toujours pas retourné l’accord modificateur de contribution avec les signatures autorisées. Le 14 février 2006, la fonctionnaire reçoit la résolution du conseil d’administration du Centre PRISME autorisant M. Pavon, M. Gomez et une autre personne à signer tous les documents financiers concernant le projet Cercle Magique.

75 Le 2 mars 2006, la fonctionnaire écrit à M. Pavon pour lui dire qu’elle est d’accord pour supprimer une des trois conditions de l’accord modificateur de contribution et lui télécopie l’annexe révisée pour sa signature. Le 4 mars 2006, M. Pavon lui répond que seul le conseil d’administration peut approuver le changement de conditions et qu’il doit se réunir au cours des deux semaines suivantes. Il ne pourra donc rien retourner avant cela. Le 10 mars 2006, la fonctionnaire écrit à M. Pavon pour l’aviser officiellement qu’elle n’a pas reçu les copies signées de l’accord modificateur de contribution, en lui rappelant les conséquences si l’accord modificateur n’est pas signé et retourné avant le 1er avril 2006. M. Jarry reçoit copie de cette lettre.

76 Le 14 mars 2006, le Centre PRISME fait parvenir sa plainte à M. Jarry et l’informe de son refus de continuer à travailler avec la fonctionnaire.

C. Intimidation d’une employée travaillant à l’ASPC

77 Tel que déjà mentionné, le 27 mars 2006, M. Jarry rencontre la fonctionnaire concernant le dossier du Centre PRISME. Thiên-Thanh Nguyên, l’adjointe administrative de M. Jarry, et M. Bélanger assistent aussi à cette rencontre. Le rôle de Mme Nguyên est alors de prendre des notes, un rôle qu’elle assume régulièrement lors de réunions de groupe. Au début de la réunion, la fonctionnaire fait une intervention concernant la présence de Mme Nguyên. Les notes de la réunion mentionnent ce qui suit :

[…]

Mme Lâm désire s’assurer que la prise de notes sera faite de manière objective et non subjective et mentionne que Mme Nguyên étant de la même petite communauté vietnamienne de Montréal, la rend craintive. M. Jarry confirme que de part les fonctions qu’elle occupe soit d’adjointe administrative au gestionnaire, Mme Nguyên doit garder le secret professionnel.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

Après cette entrée en matière et la réponse de M. Jarry, la rencontre se poursuit sans autre incident. Après la réunion, Mme Nguyên soulève verbalement à M. Jarry son inconfort concernant l’intervention de la fonctionnaire à son égard.

78 Une heure plus tard, Mme Nguyên envoie le courriel qui suit à M. Jarry :

Malgré le fait que je comprenne la situation difficile et délicate dans lequel Thu-Cuc Lâm se trouve, je voulais t’aviser que je n’ai pas apprécié la façon dont elle a mentionné sa « crainte » reliée au fait que j’étais de la même communauté vietnamienne qu’elle, que cette communauté était petite et que nos famille, même si elles ne se côtoyaient pas, se connaissaient de nom Qu’elle voulait s’assurer que les notes que je prenne soient faites de manière « objective » et non pas « subjective ».

J’ai trouvé cette remarque insultante et inappropriée. Je n’ai pas du tout apprécié le fait qu’elle mette en question mon professionnalisme et je trouve complètement injustifiable qu’elle mentionne ma famille et ma « communauté » dans un contexte où j’était présente en tant qu’adjointe administrative.

Bref, je tenais à te faire part de mon incomfort par rapport à ces remarques et tenais aussi à te remercier d’avoir précisé à Thu-Cuc que de par mes fonctions, je devais respecter la confidentialité des propos dits et notés lors de réunions.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

79 Mme Nguyên témoigne que les propos de la fonctionnaire l’ont surprise et l’ont préoccupée pendant quelque temps. Elle s’est sentie discréditée en raison de ses origines; les propos ont aussi mis en question sa crédibilité et sa discrétion. Elle témoigne cependant qu’elle ne s’est sentie ni menacée, ni intimidée.

80 À la suite du courriel de Mme Nguyên, M. Jarry rapporte l’incident et le courriel de Mme Nguyên à M. Caya. M. Caya trouve la situation délicate et consulte Serge Beaulieu, Directeur des relations de travail à Santé Canada, qui lui suggère une enquête approfondie par une personne à l’extérieur à l’ASPC. Le 10 avril 2006, M. Caya décide de faire effectuer une enquête de sécurité concernant l’incident. M. Caya s’adresse ainsi à Deborah O’Donnell le 18 avril 2006 :

[…]

La présente est pour vous informer qu’après discussion avec M. Serge Beaulieu des Relations de travail, j’ai demandé à M. Mario Roy d’effectuer une enquête de sécurité suite à un événement survenu récemment à l’Agence de santé publique du Canada (Région du Québec) et mettant en cause une de mes employées. Compte tenu de la nature des faits rapportés et de la complexité du dossier en cause, j’ai jugé souhaitable que l’enquête soit effectuée par une instance neutre [sic] d’où la demande faite auprès de M. Roy.

[…]

81 M. Caya témoigne qu’il a rencontré Mme Nguyên pour obtenir sa version des faits avant de demander une enquête. Mme Nguyên lui a dit qu’elle ne s’est pas sentie intimidée ou menacée physiquement par les propos de la fonctionnaire. Par contre, M. Caya y voit de l’intimidation voilée, ce qui serait contraire à la Politique relative à la prévention et au règlement du harcèlement en milieu de travail de Santé Canada.

82 En contre-interrogatoire, M. Caya témoigne qu’il a remis à la fonctionnaire, à la fin de mai ou au début de juin 2006, pour qu’elle puisse y apporter ses commentaires, une copie du rapport et des conclusions de l’enquête de Mario Roy, enquêteur principal/analyste en sécurité, Division de la gestion de la sécurité et des mesures d’urgence, Santé Canada, et de Robert Provencher, Gestionnaire régional de la sécurité, Région du Québec, ASPC. M. Caya n’a pas attaché d’importance à l’utilisation du mot « méfait » utilisé par les enquêteurs pour décrire le reproche adressé à la fonctionnaire. Suite aux commentaires écrits de la fonctionnaire du 9 juin 2006, il la rencontre le 19 juin 2006. Le même jour, il lui envoie un courriel dans lequel il lui demande son « argumentation » par rapport à ce dossier et aux six autres dont il a été question pendant la rencontre. M. Caya explique le retard à rencontrer la fonctionnaire par le fait que son horaire était chargé, notamment pour les raisons suivantes : une période de vacances, des audiences devant l’arbitre de grief Tessier, l’accumulation de nouveaux dossiers contre la fonctionnaire, les rapports d’événements concernant la fonctionnaire qui se succèdent et des rencontres à l’extérieur.

83 M. Roy qui a déjà été enquêteur à la Gendarmerie royale du Canada, est chargé de l’enquête. Il est assisté de Robert Provencher. De façon générale, M. Roy fait enquête par rapport aux incidents liés à des bris de sécurité, de la violence en milieu de travail et des délits criminels. Il est mandaté par M. Caya le 10 avril 2006 pour faire une enquête concernant un comportement inapproprié de la fonctionnaire envers Mme Nguyên. Il en fait part à M. Provencher. Des rendez-vous sont fixés avec les témoins pour le 1er mai 2006 (Mme Nguyên et M. Jarry) et le 2 mai 2006 (la fonctionnaire et M. Bélanger) afin d’obtenir leurs déclarations. Il explique dans son témoignage que, lorsque l’enquête a commencé, M. Jarry avait décrit l’incident comme de l’intimidation voilée. Toutefois, après avoir entendu les témoignages, M. Roy conclu que Mme Nguyên avait été bouleversée par l’incident, mais qu’il ne s’agissait ni de menaces, ni d’intimidation. Dans le rapport d’enquête cosigné par M. Provencher, M. Roy conclut ce qui suit :

[…]

Étant donné les circonstances et les témoignages recueillis dans ce dossier, les auteurs de ce rapport sont d’avis que Mme Lâm a eu un comportement offensant envers Mme Nguyên contrairement à la Politique (de Santé Canada) relative et [sic] à la prévention et au règlement du harcèlement au milieu de travail.

I. RECOMMANDATIONS

Compte tenu du sérieux des accusations envers Mme Lâm, la répondante dans ce dossier, les auteurs de ce rapport recommandent que la gestion prenne les mesures appropriées.

84 M. Roy explique qu’avec le recul, il apporterait deux modifications à son rapport : il remplacerait l’allégation de méfait par une allégation de comportement inapproprié car le terme méfait « est trop fort pour le comportement en question »; à l’avant-dernier paragraphe du rapport, il ferait référence au fait que les gestes de la fonctionnaire étaient contraires à la Politique relative à la prévention et au règlement du harcèlement en milieu de travail.

85 En contre-interrogatoire, M. Roy admet que le mot méfait a été, en l’occurrence, une mauvaise traduction du mot anglais « misconduct ». Il admet qu’il n’y a aucune mention de harcèlement dans les déclarations et qu’il n’a pas interrogé Mme Nguyên à savoir si elle avait ressenti du harcèlement lors de l’incident en question. Il admet également que son mandat était circonscrit uniquement par le courriel reçu de M. Caya lui demandant de faire enquête, et non par un mandat détaillé.

86 M. Roy témoigne qu’il a communiqué avec Mme Nguyên et avec M. Jarry deux semaines avant leur entrevue respectives afin qu’ils puissent préparer leurs déclarations. Il admet qu’une allégation de méfait n’a été présentée à la fonctionnaire que le 2 mai 2006, lors de son entrevue, et qu’il n’a pas présenté les formulaires de consentement à la divulgation ou les questions à la fonctionnaire ou à M. Bélanger avant le jour de leur entrevue respective. Au moment de se présenter pour l’entrevue, la fonctionnaire n’avait en main qu’une lettre du 27 avril 2006 de M. Caya, qui ne fait pas mention d’une enquête concernant un méfait.

87 Selon M. Bélanger, les enquêteurs ont fait preuve d’ingérence dans sa représentation de la fonctionnaire en refusant qu’il assiste à l’entrevue de cette dernière. Les enquêteurs l’ont traité comme un témoin plutôt qu’un représentant syndical. Dans une lettre adressée à M. Caya en date du 8 mai 2006, M. Bélanger s’oppose au processus d’enquête utilisé, et tout particulièrement à l’allégation de méfait, alors que Mme Nguyên n’a même pas utilisé le mot « plainte » dans son courriel à M. Caya. M. Bélanger déplore la conduite des enquêteurs, qui ont refusé à la fonctionnaire son droit d’être représentée par un délégué syndical pendant son interrogatoire du 2 mai 2006, et celle de l’employeur, pour ne pas avoir fait appel à la procédure de gestion informelle de règlement de conflits avant de procéder à une enquête officielle. M. Bélanger est de nouveau mis en cause dans ce dossier au moment où M. Caya remet certains documents à la fonctionnaire, le 19 juin 2006, pour obtenir ses commentaires. Lorsqu’il demande à l’employeur de préciser les reproches adressés à la fonctionnaire, M. Bélanger se fait répondre que « c’est dans les documents ».

88 En contre-interrogatoire, M. Bélanger confirme qu’il a assisté à la réunion du 27 mars 2007, comme observateur pour la fonctionnaire. Il ne s’est pas opposé à la présence de Mme Nguyên. Il ignore si la fonctionnaire s’était opposée à la présence de Mme Nguyên avant la réunion. Il précise que Mme Nguyên fait partie de la même unité de négociation que la fonctionnaire. Mme Nguyên n’occupe pas un poste de direction ou de confiance exclu de l’unité de négociation.

89 La fonctionnaire témoigne que deux rencontres préalables à celle du 27 mars 2006 ont été fixées, puis annulées en raison de l’absence de M. Bélanger. Elle est nerveuse en raison de la présence de Mme Nguyên et du début de l’audience devant l’arbitre de grief Tessier cet après-midi-là à l’égard de ses suspensions de 2, 10 et 20 jours. Comme M. Bélanger s’est présenté juste avant le début de la réunion, elle n’a pas eu la possibilité de lui expliquer ses préoccupations. Comme entrée en matière, M. Jarry demande à la fonctionnaire de présenter sa version des faits concernant le dossier du Centre PRISME. La fonctionnaire prend la parole et explique qu’elle ne se sent pas à l’aise en présence de Mme Nguyên, puisque leurs familles se connaissent et que la communauté vietnamienne est petite. M. Jarry l’assure de la discrétion et de la compétence de Mme Nguyên, ce à quoi la fonctionnaire répond qu’elle s’attend à ce que les notes soient prises de façon objective.

90 Puis, le 27 avril 2006, le jour de son retour de vacances, la fonctionnaire est sommée de se présenter au bureau de M. Caya. M. Caya n’y est pas, ce sont M. Roy et M. Provencher qui la reçoivent. M. Roy est vêtu selon elle d’un complet qui ressemble à un uniforme et a la tête rasée. Elle trouve cela intimidant. M. Roy et M. Provencher lui disent qu’elle est convoquée à une rencontre. Elle demande la présence de M. Bélanger pour cette entrevue, mais les enquêteurs refusent parce qu’il est aussi témoin de l’incident du 27 mars 2006. Une lettre signée par M. Caya lui est alors remise. Elle retourne à son bureau et ouvre l’enveloppe. Voici le contenu de la lettre :

[…]

Des allégations et faits portés à notre attention nécessitent que nous obtenions des informations supplémentaires de votre part. J’ai donc mandaté deux enquêteurs de la Sécurité ministérielle, monsieur Mario Roy et monsieur Robert Provencher, de vous rencontrer en entrevue afin d’obtenir votre version des faits ainsi que toute autre clarification pertinente au dossier.

Nous désirons clarifier les faits entourant votre rencontre du 27 mars dernier avec monsieur Benoît Jarry en présence de monsieur Alain Bélanger et de madame Thien Thanh Nguyen [sic] et au cours de laquelle vous auriez tenu des propos jugés inacceptables par certains des participants. Vous êtes donc convoquée à une entrevue […] le mardi 2 mai prochain […] Lors de l’entrevue, si vous le souhaitez, vous pouvez être accompagnée de la personne de votre choix.

Nous sollicitons votre pleine coopération dans ce processus de vérification d’allégations. Si les allégations s’avèrent fondées, des mesures disciplinaires appropriées pourraient suivre.

[…]

91 L’entrevue est fixée au 2 mai 2006. La fonctionnaire se présente comme prévu avec les dossiers PRISME en main car on ne lui a pas expliqué le but de la réunion hormis qu’elle a tenu des propos jugés inacceptables le 27 mars. Elle croit que certains éléments du dossier PRISME sont considérés incorrects. Lorsqu’elle se présente à la sécurité, M. Provencher l’attend à l’ascenseur au bas de l’immeuble et l’accompagne jusqu’à la salle de réunion. Cette procédure et le mutisme de M. Provencher lui font peur.

92 Lorsque la fonctionnaire entre dans la salle de réunion, M. Roy l’attend, assis devant un ordinateur portable. Une fois assise, M. Roy lui annonce qu’il s’agit d’une enquête à l’égard d’un méfait. La fonctionnaire lui demande de quel méfait il s’agit. M. Roy ne lui donne aucune précision et veut commencer l’interrogatoire.

93 La fonctionnaire refuse de coopérer si on ne lui fait pas part des allégations formulées contre elle. En guise de réponse, M. Roy lui remet une disquette avec une copie des questions qu’il entend lui poser, lui demande d’y répondre chez-elle et lui indique qu’une deuxième rencontre aura lieu le 9 mai 2006. Elle retourne à son bureau et prend connaissance des questions. Elle communique alors par courriel avec son agent négociateur pour se faire représenter pendant l’enquête. Elle envoie un courriel à M. Provencher pour avoir accès aux allégations de Mme Nguyên. M. Provencher lui transmet alors le courriel que Mme Nguyên a envoyé à M. Jarry. C’est la première fois que la fonctionnaire prend connaissance des allégations de Mme Nguyên à son endroit. Elle demande de remettre la rencontre au 10 mai 2006. Entre-temps, elle obtient un avis juridique quant à la conséquence des allégations sur son statut d’immigrante et une opinion de son agent négociateur concernant son droit d’être représentée. Elle apprend qu’elle a droit à la présence d’un représentant syndical et que ce droit a été violé lors de la première entrevue le 27 avril 2006.

94 Le 9 mai 2006, le rapport d’enquête de M. Jarry concernant la plainte du Centre PRISME lui est remis, mais sans les annexes ni le résumé de la rencontre du 27 mars 2006. Elle n’obtient ces annexes que le 19 juin 2006.

95 Le 10 mai 2006, la fonctionnaire se présente à l’entrevue avec M. Bélanger. M. Provencher lui dit que M. Bélanger ne peut être présent parce qu’il un des témoins de l’incident du 27 mars 2006. M. Bélanger insiste pour être présent et dit à M. Provencher que son refus constitue de l’ingérence syndicale s’il refuse. M. Provencher, qui est alors seul, téléphone à M. Roy, qui lui dit de permettre la présence de M. Bélanger. La fonctionnaire refuse de signer le formulaire de consentement à la divulgation qu’elle aurait commis un méfait. Elle signe toutefois une déclaration, dans laquelle elle nie avoir tenu des propos insultants et inappropriés à l’égard de Mme Nguyên.

96 Le rapport de M. Roy et M. Provencher est remis à la fonctionnaire le 31 mai 2006 par M. Caya, en présence de Christiane Lefebvre, conseillère principale en ressources humaines. M. Caya demande à la fonctionnaire des commentaires sur le rapport d’enquête dans un bref délai. Comme c’est la première fois qu’elle prend connaissance des pièces en annexe, soit les déclarations de Mme Nguyên et de M. Jarry, la fonctionnaire demande un délai supplémentaire. M. Caya lui donne jusqu’au 9 juin 2006.

97 Le jour avant la date de remise de ses commentaires sur le rapport de M. Roy et M. Provencher, la fonctionnaire reçoit de M. Caya un courriel lui demandant de commenter au plus tard le 16 juin 2006 un compte-rendu de la rencontre du 5 avril 2006 préparé par M. Gaussiran, au cours de laquelle la fonctionnaire aurait tenu des propos inappropriés lors d’une rencontre officielle (voir le premier incident). C’est la première fois qu’elle prend connaissance de ces reproches.

98 La fonctionnaire remet ses commentaires sur le rapport de M. Roy et M. Provencher le 9 juin 2006, tel qu’il lui a été demandé. À la rencontre déjà mentionnée du 19 juin 2006, en présence de M. Jarry et M. Bélanger, M. Caya demande aussi à la fonctionnaire de résumer ses commentaires concernant le rapport de M. Roy et M. Provencher.

D. Blâme à l’égard d’une collègue

99 M. Jarry témoigne que l’incident concernant le blâme d’un collègue est soulevé dans le dixième paragraphe de la déclaration de M. Pavon ayant trait à la plainte déposée par le Centre PRISME, qui se lit comme suit :

10)   En septembre 2005, M. Pavon s’est déplacé personnellement au bureau de l’ASPC pour venir porter des documents concernant l’évaluation du projet. Mme Lâm disait ne pas avoir reçu le document et quand celui-ci a été retrouvé, Mme Lâm a fait porter le blâme sur une collègue de travail, en mentionnant à M. Pavon que cette dernière ne connaissait pas son travail;

[Je souligne]

100 Ce passage de la déclaration de M. Pavon retient l’attention de M. Jarry parce qu’il est d’avis que « tout ce qui arrive à Mme Lâm, c’est toujours la faute de quelqu’un d’autre, comme le document perdu ». M. Jarry ne se souvient pas d’avoir discuté de cet incident avec M. Caya au moment où il a préparé son rapport d’enquête sur la plainte du Centre PRISME.

101 M. Caya témoigne que le fait de parler à un tiers, soit le directeur général du Centre PRISME, de ses collègues de façon inappropriée, dans le présent cas, de l’incompétence perçue de l’une d’elles, ternit l’image de l’ASPC. Il croit que l’incident a été porté à l’attention de la fonctionnaire au début de juin 2006, mais que, de toute façon, il fait partie des documents remis à la fonctionnaire pour ses commentaires.

102 La fonctionnaire témoigne qu’elle n’a compris la nature de cet incident qu’au moment de la conférence préparatoire à la présente audience. Elle avait toujours cru qu’il s’agissait d’un incident impliquant Nicole Doré, consultante subalterne de l’Unité des programmes pour enfants, ayant trait à un document appartenant à un de ses dossiers retrouvé dans le bureau de Mme Tardif pendant le congé de maladie prolongé de cette dernière. Elle affirme que, pendant ses rencontres avec M. Caya, il n’a jamais été question de blâme à l’égard d’une collègue. La fonctionnaire souligne que le fait qu’un document soit perdu et retrouvé n’était pas un fait isolé. Les erreurs d’acheminement attribuables au roulement constant du personnel dans la salle de courrier étaient un fait bien connu. C’est ce point qu’elle a fait valoir à M. Pavon lorsqu’elle lui a demandé de déposer à nouveau son document le 20 décembre 2005. La version des faits de la fonctionnaire est appuyée d’une note manuscrite que lui a fait parvenir Rosaline Salois le 28 juin 2006, qui indique qu’un document appartenant à un de ses dossiers a été retrouvé dans un autre dossier.

E. Falsification d’un document

103 Mme Doré est chargée de recevoir le courrier concernant les demandes de renouvellement d’accord de contribution. Mme Doré témoigne que, le 23 mars 2006, la fonctionnaire lui remet un formulaire « Prévisions de comptant et État des dépenses trimestrielles 2006-2007 » reçu de l’organisme La Maisonnette des Parents. L’estampille a été modifiée et porte la date du 23 mars 2006, suivie des initiales de la fonctionnaire. Mme Doré demande à la fonctionnaire pourquoi la date a été modifiée. La fonctionnaire répond que la date estampillée doit être erronée car elle a reçu le document le 23 mars et non le 21 mars, tel qu’estampillé. Mme Doré dit à la fonctionnaire qu’il n’est pas permis de changer les dates estampillées sur les documents. En présence de la fonctionnaire, Mme Doré vérifie à l’ordinateur la date d’enregistrement du document et constate que le document a été reçu et estampillé le 21 mars 2006. Mme Doré demande à la fonctionnaire de modifier la date, pour la remettre au 21 mars, et de l’initialer, ce que fait la fonctionnaire. Mme Doré porte cet incident à l’attention de M. Jarry dans un courriel en date du 23 mars 2006. À la demande de M. Jarry, elle rédige une déclaration écrite le 10 avril 2006. Mme Doré témoigne qu’elle est la seule personne autorisée à changer les dates sur les documents et qu’elle ne peut le faire sans preuve à l’appui. En contre-interrogatoire, elle confirme que les documents reçus par courrier sont déposés le jour même dans le panier de réception de courrier du consultant concerné. Elle témoigne cependant qu’en raison du volume, le courrier peut parfois ne pas être enregistré immédiatement. Mme Doré ne se souvient pas que la fonctionnaire lui ait demandé le 21 mars 2006 de vérifier la réception du formulaire en question.

104 M. Jarry témoigne qu’il considère très grave l’incident de modification de la date de réception d’un document. Il donne comme exemple les conséquences du changement d’une date dans un des dossiers qu’il a eu à traiter devant la cour. Il mentionne l’incident à M. Caya.

105 M. Caya témoigne que, selon son expérience, la date de réception d’un document peut avoir des conséquences juridiques, par exemple l’octroi indu d’une subvention, et qu’il n’était pas du ressort de la fonctionnaire de modifier la date des documents, étant donné qu’il revient à Mme Doré de gérer cet aspect du courrier. Il dit en avoir discuté avec la fonctionnaire lors de ses rencontres en juin 2006.

106 La fonctionnaire témoigne qu’elle n’a pas entendu parler de cet incident avant le 19 juin 2006, au moment où M. Caya lui a remis la déclaration de Mme Doré pour ses commentaires. La fonctionnaire appuie ses propos en référant au courriel de M. Caya en date du 19 juin 2006 où il fait mention qu’il lui remet trois nouveaux dossiers pour commentaires, dont celui ayant trait au présent incident. La fonctionnaire explique que, le 21 mars 2006, elle a constaté le retard de formulaires de prolongation de deux organismes, dont celui de La Maisonnette des Parents. Ainsi à 12 h 25, après la réception journalière du courrier, elle fait parvenir un courriel à Mme Doré lui demandant de vérifier si les formulaires ont été reçus. À 13 h 36, Mme Doré lui répond qu’un formulaire a été reçu par télécopieur de La Maisonnette des Parents et lui a été transmis, mais pas celui qu’elle cherche. Mme Doré suggère à la fonctionnaire de demander que le formulaire manquant lui soit envoyé à nouveau. La fonctionnaire communique donc avec les deux organismes pour obtenir les documents manquants. Deux jours plus tard, une copie du document provenant de La Maisonnette des Parents se retrouve dans son panier de courrier. C’est à ce moment qu’elle change la date de réception et y appose ses initiales. Elle explique qu’en février 2006, il y a eu un problème lié au programme informatique servant à enregistrer la réception des documents et que des informations ont été modifiées manuellement sans qu’il y ait eu de conséquences.

F. Absence non autorisée préalablement

107 M. Jarry témoigne que, le 6 avril 2006, la fonctionnaire s’est absentée pour trois heures pour un rendez-vous médical sans avoir obtenu une pré-autorisation au moyen d’une demande faite en utilisant le formulaire électronique prévu pour ce type de congé. La fonctionnaire a plutôt inscrit l’absence prévue dans l’agenda de l’Unité des programmes pour enfants, ce qui n’est pas la façon habituelle de procéder. M. Jarry réfère à une lettre du 14 décembre 2005, dans laquelle la fonctionnaire a été avertie qu’elle devait présenter une demande de congé avant de s’absenter. La lettre indique que, si elle néglige de le faire, elle s’expose à deux conséquences : un congé non payé et une sanction disciplinaire. Bien qu’il ait signalé cet écart à la fonctionnaire, M. Jarry approuve le congé le 21 avril 2006, au motif qu’elle a droit à ce type de congé.

108 M. Caya témoigne que le défaut de demander une pré-autorisation de congé a été porté à sa connaissance par M. Jarry. Comme la fonctionnaire avait déjà été avertie qu’elle devait se faire autoriser ses congés à l’avance, il a considéré l’incident comme une récidive et digne d’une sanction disciplinaire.

109 Dans son témoignage, la fonctionnaire admet son erreur de ne pas avoir fait sa demande de congé d’une demi-journée à l’avance au moyen du formulaire électronique. Elle ne s’est souvenue de son rendez-vous médical que le jour précédent son rendez-vous alors que le cabinet du médecin lui a téléphoné pour le lui rappeler. Il était alors trop tard pour obtenir une pré-autorisation. Elle l’a toutefois déclaré le lendemain en soumettant une demande d’approbation tardive. Elle n’a pris aucun autre congé non autorisé entre la date de la lettre d’avertissement et son congédiement. Après que le congé ait été autorisé, elle n’en a plus entendu parler jusqu’au 19 juin 2006, date à laquelle on lui a demandé ses commentaires sur ce « dossier ».

G. Intervention visant à discréditer la gestion lors d’une réunion d’équipe

110 Le 14 mars 2006, se tient une réunion des consultants du PACE. Pendant le tour de table en fin de réunion, la fonctionnaire mentionne qu’elle est en attente d’une décision de la gestion pour un budget de 1 000 $ en vue d’effectuer des envois postaux dans le cadre de son projet de formation multiethnique. Elle en a déjà fait la demande auprès de M. Gaussiran, qui n’est pas présent à la réunion. Les autres gestionnaires présents ne sont pas au courant de la demande et ne peuvent y répondre.

111 Aline Bernier, alors coordonnatrice du PCNP, témoigne qu’elle est présente à la réunion en tant que gestionnaire et qu’elle a perçu l’intervention de la fonctionnaire comme déplacée. Selon Mme Bernier, ce type de demande aurait dû être adressé directement au gestionnaire concerné. Elle perçoit l’intervention comme une façon de discréditer la gestion plutôt qu’une vraie question. Elle trouve l’intervention déplaisante, voire arrogante, parce qu’elle n’est pas au fait de la demande. Elle n’ose pas poser de question à la fonctionnaire, craignant de provoquer un conflit au sein de l’équipe. Selon Mme Bernier, le tour de table sert à partager des informations, faire valoir « les bons coups », les avancements et les réalisations d’un projet. Ce n’est pas le moment de faire des interventions négatives. En contre-interrogatoire, Mme Bernier admet qu’elle a déjà supervisé les activités de la fonctionnaire, qu’elle ne s’entendait pas avec elle et qu’elle a demandé d’être remplacée. Ce n’est pas la première fois qu’elle se plaint des interventions de la fonctionnaire, entre autres, une plainte en date du 15 décembre 2003. Après le 14 mars 2006, Mme Bernier participe à la préparation de l’arbitrage des griefs de suspension de la fonctionnaire devant l’arbitre de grief Tessier et c’est pendant ces rencontres qu’elle informe M. Caya de l’incident. Après son témoignage devant l’arbitre de grief Tessier, Mme Bernier prépare une déclaration écrite et la présente à M. Caya le 10 avril 2006. Elle ne peut expliquer la coïncidence que M. Jarry ait rédigé et remis à M. Caya le même jour une déclaration concernant le même événement.

112 M. Jarry témoigne qu’il était aussi présent à la réunion du 14 mars 2006. Par le ton de l’intervention de la fonctionnaire, il a compris que la gestion ne semblait pas répondre aux demandes de la fonctionnaire. Il discute de ce point avec la fonctionnaire après la réunion et lui fait savoir que, la prochaine fois, elle devra s’adresser directement à lui. Il consulte M. Gaussiran, qui lui répond qu’aucune promesse n’a été faite au sujet d’un budget pour effectuer des envois postaux; de toute façon, il est maintenant trop tard pour l’année 2005-2006. M. Jarry en discute avec M. Caya mais ne se souvient pas s’il a rédigé la déclaration à la demande de ce dernier.

113 La fonctionnaire témoigne que ce n’est que le 19 juin 2006 qu’elle apprend que des reproches lui sont adressées au sujet de la réunion du 14 mars juin 2006, alors que M. Caya lui présente les déclarations de Mme Bernier et de M. Jarry et lui demande ses commentaires pour le 29 juin 2006. Elle se souvient que, le 14 mars 2006, elle n’est pas au courant des montants du PACE qui ne sont pas engagés à la fin de l’année financière 2005-2006. Elle s’occupe de plusieurs projets, dont la mise à jour du programme de formation multiethnique; elle a reçu la directive de négocier des budgets supplémentaires avec M. Gaussiran. En décembre 2005, M. Gaussiran lui fait savoir qu’il trouverait une somme de 1 000 $ pour l’envoi postal, mais aucune action concrète n’a suivi. Elle fait mention du budget de son projet à la réunion du 14 mars 2006 parce qu’il est question de budget à ces réunions et parce que l’année financière se termine deux semaines plus tard, soit le 31 mars 2006. Elle ne veut pas rater l’occasion de recevoir les sommes nécessaires. Après la réunion, M. Jarry passe la voir pour des éclaircissements et il repart sans répondre à sa demande.

H. Demandes répétées d’utilisation de pauses-café alors qu’il y avait une entente signée interdisant une telle pratique

114 Mme Bernier témoigne qu’elle a assuré la supervision de la fonctionnaire du 17 février au 26 novembre 2004, ainsi que de façon intérimaire à la mi-octobre 2005. En juin 2004, elle décide qu’elle ne veut plus assurer la supervision de la fonctionnaire car la tâche du suivi de l’horaire de la fonctionnaire est trop lourde. En octobre 2005, avec le consentement de son supérieur, elle approuve une demande de la fonctionnaire de prendre ses pauses-café à la fin de son horaire de travail et une période de télétravail de deux semaines en attendant l’arrivée de M. Jarry, qui sera le nouveau supérieur de la fonctionnaire. En contre-interrogatoire, Mme Bernier admet qu’elle ignorait toute autre entente concernant les horaires de travail de la fonctionnaire à ce moment-là.

115 M. Jarry témoigne qu’il y a eu toute une négociation concernant les heures de travail de la fonctionnaire en 2005. Apparemment, la fonctionnaire ne voulait pas signer le formulaire d’horaire variable qui lui était proposé. Elle s’est absentée en septembre et en octobre 2005 pour suivre des cours universitaires selon un horaire temporaire. Au moment de signer un horaire permanent, la fonctionnaire s’est rétractée et a déposé un grief afin de reprendre l’horaire qu’elle proposait. Le grief a été rejeté. Le 17 février 2006, la fonctionnaire demande de réduire sa pause-repas ou de prendre ses pauses-café à la fin de son horaire afin de quitter le bureau plus tôt. M. Jarry autorise cette demande à titre de demande ponctuelle et exceptionnelle tel que le prévoit une entente avec Lise Pelletier. M. Jarry souligne qu’en l’absence d’une entente sur l’horaire pour 2006, la fonctionnaire doit se conformer à l’horaire habituel.

116 M. Caya témoigne que la question des demandes répétées en vue de quitter le bureau plus tôt en renonçant aux pauses-café a été porté à son attention en avril 2006. Il recevait alors les déclarations de Mme Bernier et de M. Jarry concernant d’autres dossiers de la fonctionnaire. Des courriels pour la période du 2 mai 2003 au 2 juin 2006 ont été échangés entre la fonctionnaire et ses supérieurs, sur cette question. Ce qui retient l’attention de M. Caya est la réponse de Mme Bernier à l’effet que la fonctionnaire ne pouvait regrouper et prendre ses pauses-café en fin de journée afin de terminer plus tôt, hormis de façon exceptionnelle et ponctuelle. Il ne se souvient pas si l’horaire de travail pour l’exercice 2005-2006, qui comportait cette exception, a été porté à son attention à ce moment-là. Il se souvient que les négociations avec la fonctionnaire ont perduré entre janvier et juin 2005. Cet horaire est échu puisque la fonctionnaire n’a pas signé une entente pour l’année 2006-2007. La fonctionnaire a eu l’occasion d’apporter ses commentaires concernant l’horaire de travail au moment des rencontres en juin et en juillet 2006. En ré-interrogatoire, M. Caya affirme que l’horaire de la fonctionnaire n’était jamais fixe, tel que l’indique le nombre important de courriels demandant des modifications à l’horaire.

117 La fonctionnaire témoigne qu’elle a entrepris des études de doctorat en bioéthique en 2004, que ces cours ont été approuvés par l’employeur et qu’elle est remboursée au fur et à mesure de ses réussites. L’horaire de cours change à chaque session et elle ne contrôle pas cet horaire. Les cours sont habituellement en fin de journée et elle doit adapter son horaire de travail en conséquence. Entre le 15 janvier et le 15 avril 2005, elle demande de regrouper ses pauses-café en fin de journée et de quitter le bureau plus tôt pour suivre les cours de la session d’hiver. Après une longue négociation, un document intitulé « Déclaration de l’horaire de travail — Exercice 2005-2006 » est préparé et une entente sur les heures de travail est conclue rétroactivement. Selon la fonctionnaire, les dispositions de cet horaire continuent à s’appliquer puisqu’il n’y a pas eu d’autre renouvellement d’horaire.

118 La fonctionnaire fait valoir que, depuis le début de 2006, les demandes de modifier son horaire ont été exceptionnelles. Elle a fait une demande le 15 février 2006 qui a été acceptée par M. Jarry le 17 février 2006. Elle a fait une autre demande le 1er juin 2006 pour reprendre le temps perdu en raison de son arrivée au travail en retard cette journée-là parce qu’elle a eu à retourner à la maison pour un dossier qu’elle avait oublié. M. Jarry lui a répondu par courriel, le 2 juin 2006, qu’il accordait sa demande « de manière exceptionnelle et ponctuelle ». La question de la modification de l’horaire de travail n’est soulevée qu’au moment de la rencontre du 29 juin 2006 alors que M. Caya a remis à la fonctionnaire copie d’une lettre de M. Jarry datée du 14 décembre 2005, l’horaire de travail de 2003-2004 signé par M. Gaussiran et 40 courriels échangés avec Mme Bernier et avec Lise Pelletier pour ses commentaires avant le 6 juillet 2006.

IV. Argumentation des parties

A.  Pour l’administrateur général

119 L’administrateur général plaide que les témoignages et la preuve documentaire à l’appui des huit événements décrits dans la lettre de licenciement justifient la décision de mettre fin à l’emploi de la fonctionnaire. Même si les incidents, pris individuellement, ne justifient pas un congédiement, il y a lieu d’appliquer la doctrine de l’incident déterminant au regard de l’ensemble du dossier disciplinaire de la fonctionnaire et de la gradation des sanctions. L’administrateur général me renvoie à Cloutier c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CRTFP 50. De toute évidence les sanctions disciplinaires antérieures n’ont pas eu l’effet de modifier le comportement de la fonctionnaire et la sanction disciplinaire ultime doit être maintenue. À ce titre, l’administrateur général me renvoie à Doucette c. Conseil du Trésor (Ministère de la Défense nationale), 2003 CRTFP 66.

120 L’administrateur général fait valoir que les incidents déterminants dans ce cas-ci ne sont pas banals; ils étaient tous passibles de sanctions disciplinaires, ils ont fait l’objet d’un avertissement sous une forme ou une autre et sont reliés aux sanctions disciplinaires antérieures. Par conséquent, l’administrateur général satisfait aux critères établis dans Doucette. La fonctionnaire a fait l’objet de lettres de réprimande et de suspensions; les suspensions ont été maintenues par l’arbitre de grief Tessier, qui prend acte des nombreuses mises en garde de l’ASPC; et il y a un lien entre la conduite antérieure et les événements reprochés au soutien du licenciement.

121 Par contre, il n’est pas nécessaire que la conduite antérieure et les événements reprochés soient absolument identiques, en autant qu’il s’agisse d’un comportement de nature semblable. L’administrateur général me renvoie à Schuberg c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-15123, 15159, 15350 et 15424 (19860318). Dans le cas de la fonctionnaire, les incidents sont suffisamment semblables aux précédents pour appliquer ce principe. L’administrateur général me renvoie à la lettre d’avertissement remise à la fonctionnaire le 14 décembre 2005 concernant les absences du travail non justifiées. Sur ce point, bien que la fonctionnaire ait reconnu sa faute à l’audience, l’administrateur général plaide que l’arbitre n’a pas à en tenir compte puisque l’ASPC n’en a pas eu connaissance au moment de prendre sa décision. Les événements reprochés à la fonctionnaire démontrent sa persistance à adopter un comportement répréhensible envers ses collègues de travail, l’ASPC et ses clients.

122 L’administrateur général fait valoir qu’il faut considérer l’ensemble des faits de cette affaire en tenant compte de la sévérité des mesures disciplinaires antérieures, soit 2, 10 et 20 jours de suspension, et le fait qu’elles ont été maintenues par un arbitre de grief. Tout comme dans Desrochers c. Canada (Procureur général), [2000]A.C.F. no 505 (1re inst.) (QL), l’arbitre de grief doit se mettre à la place de l’administrateur général et considérer l’ensemble des faits pertinents, le dossier disciplinaire de la fonctionnaire, la récidive de la fonctionnaire et le fait que la relation de confiance est irrémédiablement rompue.

123 En l’espèce, les propos inappropriés tenus lors d’une rencontre officielle, des commentaires qui semblaient anodins au départ, ne l’étaient plus une fois que le gestionnaire supérieur a eu l’occasion de reconsidérer la situation dans son ensemble et d’en parler avec d’autres.

124 Par rapport à l’intimidation d’une employée travaillant à l’ASPC, il ne faut pas s’attarder sur l’explication de la fonctionnaire, mais bien sur ses motifs et l’effet sur l’employée qui a été intimidée. Que les enquêteurs aient utilisé le mot « méfait » ou que M. Roy veuille apporter certaines précisions à son rapport ne change pas le but de l’enquête ou ses conclusions. De plus, la fonctionnaire a eu l’occasion de présenter ses commentaires à plus d’une reprise concernant cet événement.

125 L’explication de la fonctionnaire concernant la falsification d’une date sur un document n’est pas crédible, compte tenu que le courrier est enregistré électroniquement et que la fonctionnaire devait connaître la procédure à suivre.

126 Quant à l’intervention lors de la réunion d’équipe le 14 mars 2006, visant à discréditer la gestion, il faut retenir la constatation de M. Jarry et de Mme Bernier concernant le ton utilisé par la fonctionnaire plutôt que le résumé de la réunion, qui ne donne pas le contexte de ce qui a été dit. Il faut examiner l’objectif des propos de la fonctionnaire et non les mots qu’elle a pu utiliser.

127 Au regard de la plainte du Centre PRISME, les témoignages de M. Jarry, de M. Caya et de M. Pavon sont accablants. Les explications de la fonctionnaire ne font que rejeter la faute sur le client, sans reconnaître sa part de responsabilité pour la situation qui s’est développée. Les plaintes de ce genre de la part d’organismes qui reçoivent des subventions ne sont pas courantes, puisqu’ils hésitent à se plaindre de peur de ne pas recevoir de fonds. Dans le cas de la fonctionnaire, c’était la quatrième plainte en trois ans.

128 Selon le témoignage de M. Caya, aucun facteur n’aurait permis d’atténuer la décision de licencier la fonctionnaire, même après avoir demandé à la fonctionnaire d’en faire valoir. La fonctionnaire n’a pas un dossier vierge, ni de longues années de service. Il ne s’agit pas d’incidents isolés ou de réactions spontanées provoquées par un collègue ou un client. Il ne s’agit pas non plus d’un malentendu sur la signification des avertissements déjà reçus ou du défaut de l’ASPC d’avoir averti la fonctionnaire de son comportement inacceptable. L’admission d’un tort n’est pas une excuse. Au contraire, l’ASPC a signalé le comportement répréhensible et a averti la fonctionnaire, par la gradation des sanctions, que si elle persistait, des mesures plus sévères seraient imposées.

129 L’administrateur général soutient que l’arbitre de grief Tessier a justement souligné que la fonctionnaire ne semblait pas comprendre les reproches qu’on lui faisait et que la fonctionnaire devait se considérer avertie de changer de comportement. Les commentaires de l’arbitre de grief Tessier s’appliquent également à la présente affaire, car, apparemment, la fonctionnaire ne s’est pas corrigée. Le témoignage de la fonctionnaire confirme qu’elle demeure intransigeante, qu’elle n’accepte toujours pas de modifier son comportement et qu’elle n’est jamais responsable de ce qui lui arrive.

130 Même si les événements reprochés à la fonctionnaire ne sont pas d’une sévérité alarmante, ils démontrent, dans leur ensemble, un problème continu de comportement inacceptable. L’administrateur général n’a aucune raison de croire qu’une mesure plus sévère qu’une suspension de 20 jours, hormis le licenciement, changerait les choses. La fonctionnaire a fait la preuve qu’elle ne peut être réhabilitée, quelle que soit la sanction disciplinaire imposée. Pour ces motifs, le lien de confiance a été irrémédiablement rompu et le licenciement est motivé.

B. Pour la fonctionnaire

131 La fonctionnaire plaide que, depuis sa décision de faire valoir ses droits en arbitrage, l’ASPC cherche à se défaire d’elle en faisant de tous les accrocs des éléments mettant en jeu son emploi. Entre autres, la date du 10 avril 2006 doit être retenue : Mme Bernier remet sa déclaration concernant une rencontre du 14 mars 2006; M. Jarry remet sa déclaration concernant la même rencontre; Mme Doré rédige une déclaration concernant un changement de date sur un document reçu par courrier. M. Caya nie avoir sollicité ces déclarations; les témoins affirment autre chose. Le 10 avril 2006, M. Caya consulte M. Beaulieu, qui communique avec M. Roy en vue d’amorcer une enquête par le service de sécurité concernant une déclaration voulant que Mme Nguyên ait été victime d’intimidation voilée.

132 La fonctionnaire soutient que ce qui était au point de départ une demande d’arbitrage sur les conditions de renouvellement d’un accord de contribution et la décision administrative de la remplacer s’est transformé en enquête sur son comportement : le rapport d’enquête de M. Jarry concernant la plainte du Centre PRISME va bien au-delà de la plainte initiale de l’organisme et conclut au harcèlement, aux questions et doutes sans fondement, à la manipulation de l’information, au contrôle excessif, à l’ingérence et au refus de rencontrer l’organisme. La fonctionnaire est punie pour avoir imposé des conditions de renouvellement d’un accord de contribution qui avaient été préalablement approuvées par M. Jarry dans un courriel du 26 octobre 2005, après consultation avec M. Gaussiran. Par contre, le 4 avril 2006, se fondant sur les mêmes conclusions que la fonctionnaire quant à l’état du dossier, Nathalie Pelletier supprime ces conditions, sans qu’il y ait de conséquence.

133 Le 27 mars 2006, M. Jarry rencontre la fonctionnaire concernant la lettre du Centre PRISME contestant l’imposition des conditions de renouvellement de l’accord de contribution, sans lui communiquer les éléments qui sont ressortis lors de sa rencontre avec M. Pavon et Mme Agsous quelques jours auparavant. Par ailleurs, le 12 avril 2006, M. Jarry rencontre à nouveau M. Pavon et Mme Agsous et leur remet les déclarations qu’il a préparées pour leurs signatures. La fonctionnaire ignore toujours ce qu’on lui reproche avant de se faire remettre le rapport d’enquête de M. Jarry le 9 mai 2006, pour commentaires. La copie du rapport qu’elle reçoit ne contient pas les annexes qui ont servi à la préparation du rapport, soit le résumé des rencontres avec M. Pavon et Mme Agsous, leurs déclarations ou les notes de la rencontre du 27 mars 2006 préparées par Mme Nguyên. La fonctionnaire remet ses commentaires une première fois sur le rapport d’enquête le 25 mai 2006. M. Caya demande à M. Jarry de répondre aux commentaires de la fonctionnaire. Le 19 juin 2006, M. Caya demande à la fonctionnaire de commenter le rapport, cette fois-ci en lui remettant les documents en question, mais sans les commentaires écrits de M. Jarry. La fonctionnaire remet des commentaires le 28 juin et le 6 juillet 2006. La fonctionnaire ne reçoit les commentaires de M. Jarry qu’à l’audience devant moi. La fonctionnaire souligne que les commentaires de M. Jarry sont truffés de faussetés et d’imprécisions; par exemple, les rencontres avec le Centre PRISME à l’automne 2005 sont confondues avec celle demandée avec Mme Agsous le 9 mars 2006. La fonctionnaire soutient qu’en lui remettant l’information au compte-gouttes, elle n’a pas eu l’occasion de se défendre pleinement.

134 La fonctionnaire plaide que la même malveillance se manifeste par rapport à la déclaration de Mme Nguyên concernant un « inconfort », qui revêt par la suite les allures d’une enquête criminelle. Le 27 mars 2006, la fonctionnaire a tout simplement déclaré qu’elle était mal à l’aise à l’égard de la présence d’une collègue de travail qui avait des liens avec la même communauté qu’elle. Elle voulait que les notes de la réunion soient prises de façon objective et que la réunion soit confidentielle. Ses propos ont été dramatisés pour justifier une enquête alors que l’affaire aurait pu se régler informellement en utilisant les méthodes de résolution de conflit prévues dans les politiques en vigueur. La fonctionnaire me renvoie à la Politique relative à la prévention et au règlement du harcèlement en milieu de travail.

135 La fonctionnaire a été humiliée par la procédure très formelle de convocation, par le fait qu’on ne lui a pas communiqué à l’avance les allégations formulées contre elle, dont des allégations de méfait et par le fait qu’elle a dû assister à une première rencontre sans représentation syndicale. De plus, la fonctionnaire n’a pas eu la même chance que M. Jarry et Mme Nguyên de bien connaître à l’avance les détails de l’enquête ou les questions qui lui seraient posées. La fonctionnaire soutient que les conclusions du rapport sont fondées sur une allégation de méfait, alors qu’aucun méfait n’a été prouvé, ni retenu. M. Roy l’a reconnu dans son témoignage mais M. Caya a insisté pour que la fonctionnaire réponde à cette allégation non fondée. Néanmoins, la fonctionnaire a été licenciée pour ce motif.

136 La fonctionnaire soutient également que les événements concernant des propos inappropriés tenus lors d’une rencontre officielle le 5 avril 2006, la modification d’un document, le blâme à l’égard d’une collègue et l’intervention visant à discréditer la gestion lors d’une réunion d’équipe ont été portés à son attention plusieurs semaines, voire plusieurs mois après les événements, sans lui dire pour autant ce qu’on lui reprochait. Il s’agit, dans les circonstances, d’une mesure abusive. C’est le cas du rapport de M. Jarry concernant la plainte du Centre PRISME, de la rétroaction de M. Gaussiran concernant la rencontre du 5 avril 2006 ainsi que de l’index et des courriels concernant les demandes répétées d’utilisation de pauses-café. La procédure suivie pour lui reprocher d’autres gestes est aussi abusive. M. Caya questionne la fonctionnaire, lui présente des documents pour ses commentaires à plus d’une reprise sans lui dire ce qu’il lui reproche; un des incidents, le blâme à l’égard d’une collègue, est enfoui dans une déclaration de M. Pavon. Ce n’est qu’à l’audience que la fonctionnaire apprend l’incident reproché. On ne tient pas compte de l’entente sur l’horaire de travail signé avec Mme Bernier ni des autorisations de congé par M. Jarry.

137 La fonctionnaire plaide que, même s’il y avait faute de sa part, le non-respect de la procédure de plainte en matière de harcèlement en milieu de travail et le défaut de respecter l’obligation d’agir équitablement ont vicié les mesures disciplinaires imposées.

138 Au soutien de sa position que l’ASPC a procédé de façon abusive, la fonctionnaire me renvoie à : Sûreté régionale des Riverains c. Fraternité des policiers des Riverains (Lallemand), 12 septembre 2000 (Lussier). Au soutien de sa position que l’ASPC a manqué à l’équité procédurale, la fonctionnaire me renvoie à : Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Université Laval c. Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université Laval, 1999 CanLII 13318 (C.A.Q.); Pelletier c. Canada (Procureur général, 2007 CAF 6; et Bernier, Blanchet, Granasik et Séguin, Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs de travail, Éditions Yvon Blais, paragr. 2.345-2.352.

139 La fonctionnaire fait valoir également qu’avant de parler de la gradation des sanctions et d’événements culminants, il faut d’abord prouver une faute.

140 La fonctionnaire expose que les commentaires qu’elle a fait concernant l’analyse transversale étaient pour clarifier que ce processus ne n’applique qu’à la Région du Québec et n’avaient rien de péjoratif. Il s’agissait d’un échange d’information et ces propos étaient exacts; qui plus est, M. Gaussiran lui a demandé pendant la réunion de transmettre le gabarit du formulaire de collecte des données du PNP à chacun des participants, à titre de renseignement. Mme Marchand a témoigné qu’elle n’a rien constaté d’anormal pendant cette réunion et que les échanges étaient cordiaux. M. Gaussiran a admis qu’il ne s’agissait, au moment où ils ont été dits, que de propos anodins. Puis M. Gaussiran change d’idée une fois qu’il a parlé à M. Caya, d’où sa déclaration du 2 juin 2006. La fonctionnaire clame qu’il s’agit d’un procès d’intention qui n’a pas la valeur d’une faute justifiant son licenciement.

141 La fonctionnaire soutien que l’enquête concernant la plainte du Centre PRISME n’a pas été faite de façon sérieuse. M. Jarry a tout simplement accepté la version des faits de M. Pavon et de Mme Agsous et décidé que la fonctionnaire avait tort, sans vérifier les faits qu’elle avançait. M. Pavon a admis qu’il présentait toujours ses rapports en retard. M. Pavon a aussi admis que le « harcèlement » venait du fait que la fonctionnaire lui a demandé de présenter un rapport déjà très en retard quelques jours plus tôt que prévu. L’expression « je suis nul en chiffres » est une expression que M. Pavon a utilisée pour expliquer à la fonctionnaire qu’il ne remettait pas ses rapports à temps. M. Jarry a reçu copie de la lettre dans laquelle apparaît cette expression; toutefois, il n’a pas réagi jusqu’à ce qu’il entame un processus d’enquête le 23 mars 2006.

142 Quant au contrôle excessif, la fonctionnaire soutient que les courriels hebdomadaires au sujet de l’obtention de l’assurance-responsabilité civile du conseil d’administration du Centre PRISME était un moyen de veiller à ce que l’organisme s’efforce de respecter les conditions de l’accord de contribution qu’il avait signé. De toute façon, M. Pavon a choisi d’ignorer cette directive. La demande d’une preuve d’assurance-responsabilité civile n’est pas le « gros problème » qui a été mis de l’avant par l’administrateur général, puisque la fonctionnaire a inscrit au dossier, le 18 novembre 2005, que la situation était réglée. Dans un cas comme dans l’autre, il ne peut s’agir d’une « faute » de la fonctionnaire.

143 Après la rencontre du mois de juillet 2005, M. Pavon ne joue pas franc-jeu avec la fonctionnaire. Il lui dit qu’il a renvoyé le dossier du renouvellement de l’accord de contribution au conseil d’administration du Centre PRISME, avec qui elle devra maintenant transiger. Pourtant, lorsque la fonctionnaire écrit à Mme Fändrich, la co-présidente du conseil d’administration, le 25 octobre 2005, c’est M. Pavon qui répond et qui continue à répondre à ses courriels. Puis, c’est le conseil d’administration du Centre PRISME qui envoie la lettre du 14 mars 2006 formulant les doléances de M. Pavon.

144 La fonctionnaire se défend d’avoir refusé de rencontrer le conseil d’administration du Centre PRISME. Une téléconférence a été annulée à la demande du conseil d’administration, mais la fonctionnaire avait déjà placé un appel à Mme Agsous le 9 mars 2006 et attendait un retour d’appel pour fixer une date de rencontre le mois suivant. La lettre de plainte a été reçue le 14 mars 2006 et tout s’est arrêté à ce moment-là.

145 De plus, la fonctionnaire tenait M. Jarry informé de toutes ses actions concernant le renouvellement de l’accord de contribution avec conditions pour le Centre PRISME : il a reçu une copie de la lettre adressée à Mme Fändrich le 25 octobre 2005; il a signifié son accord par courriel le 26 octobre 2005 et a signé la recommandation sur dossier présentée par la fonctionnaire le 14 décembre 2005 qui comprenait la grille d’analyse notant la recommandation de renouvellement avec conditions.

146 La fonctionnaire soumet également qu’elle n’a jamais été sanctionnée ou convoquée concernant les plaintes de clients en 2002. Par ailleurs, la plainte du Centre PRISME de 2006 n’est pas de la même nature que les autres plaintes. Aucune référence à ces plaintes n’a été faite pendant l’enquête concernant le Centre PRISME.

147 Quant à l’ensemble des événements reprochés, la fonctionnaire soutient que l’ASPC lui a demandé de commenter six événements signalés par d’autres sans pour autant lui dire précisément ce qu’elle lui reprochait, et en ne lui dévoilant pas les éléments-clés. Pour quatre de ces événements, l’ASPC a laissé perdurer la situation au point où la fonctionnaire ne pouvait y répondre adéquatement; par rapport aux autres événements, la réaction de l’ASPC a été exagérée. Les propos tenus lors d’une rencontre officielle qui apparemment étaient anodins sont devenus inappropriés à la suite d’une déclaration officielle; la plainte d’un organisme concernant les conditions de renouvellement d’un accord de contribution a été transformée en enquête sur le comportement de la fonctionnaire; la déclaration d’inconfort d’une collègue à la suite du propos de la fonctionnaire est devenue une enquête quasi criminelle; le blâme à l’égard d’une collègue, associé à un document perdu puis retrouvé, est matière à congédiement; un changement de date insignifiant est devenu de la falsification d’un document; une demande de budget pendant une réunion d’équipe est décriée deux mois plus tard comme une intervention visant à discréditer la gestion. Sont devenues matière à congédiement une absence non autorisée au préalable, mais subséquemment accordée, tout comme deux demandes d’autorisation de rattraper du temps perdu, approuvées comme étant des mesures ponctuelles et exceptionnelles.

148 La fonctionnaire fait valoir que, si ces événements étaient aussi sérieux que le prétend l’administrateur général, l’ASPC aurait dû lui faire part de ses reproches et intervenir immédiatement plutôt que de les accumuler afin de justifier la décision ultime de la congédier.

149 La fonctionnaire demande que son grief soit accueilli, que le congédiement soit annulé et qu’elle soit réintégrée avec tous ses droits.

C. Réplique de l’administrateur général

150 L’administrateur général réplique que la plaidoirie de la fonctionnaire laisse sous-entendre qu’il y avait un mot d’ordre à la suite des trois suspensions, mais tel n’est pas le cas. Sept des huit incidents surviennent entre le 14 mars et le 6 avril 2006. La plainte du Centre PRISME est déposée 26 jours avant le 10 avril 2006, les autres incidents viennent à l’attention des gestionnaires progressivement et sont examinés de plus près à ce moment-là.

151 L’administrateur général souligne que la plainte du Centre PRISME est plus qu’une simple demande d’arbitrage pour supprimer des conditions au renouvellement d’un accord de contribution; il s’agit d’une demande en vue de retirer la fonctionnaire du dossier, faute de quoi l’organisme retirera sa demande de subvention. L’ASPC voulait savoir pourquoi l’organisme prenait une telle position. Il n’est pas interdit à un employeur de prendre des notes lorsqu’il rencontre des témoins. Dans ce cas-ci, M. Pavon et Mme Agsous ont eu la possibilité de relire leurs déclarations avant de les signer. Ces déclarations présentent le comportement qui est reproché à la fonctionnaire, soit l’imposition de conditions au renouvellement de l’accord de contribution. Néanmoins, à la lumière des mêmes données, la consultante qui a remplacé la fonctionnaire est d’avis qu’il est inutile d’insister sur ces conditions puisqu’elles se retrouvent dans les critères généraux applicables à toute demande de renouvellement.

152 Quel que soit le moment où la fonctionnaire a eu connaissance des divers documents et des éléments sur lesquels l’ASPC enquêtait, elle a eu l’occasion, à tout le moins, d’y apporter ses commentaires au moins deux semaines avant que M. Caya prenne sa décision de la licencier. S’il y a eu iniquité procédurale, l’audience de novo devant l’arbitre de grief sert à corriger toute perception d’injustice. Ce point ne vicie pas pour autant la décision ultime de l’ASPC. À cet égard, l’administrateur général cite Renaud c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel du Canada), 2002 CRTFP 42, et Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (C.A.) (QL).

153 Quant aux propos de la fonctionnaire à l’égard de Mme Nguyên, l’administrateur général maintient qu’il s’agissait plus que des propos maladroits et qu’ils étaient intentionnels. La fonctionnaire savait à l’avance que Mme Nguyên allait être présente à la réunion parce que la réunion du 27 mars 2006 a été remise à deux reprises. Elle aurait pu faire connaître ses préoccupations à l’avance et ainsi éviter un affrontement en début de réunion. L’administrateur général ajoute que la déclaration de Mme Nguyên ne pouvait donner ouverture aux modes de règlement de conflit que prévoit la politique de harcèlement en milieu de travail parce qu’il n’y aucune mention de harcèlement. Il s’agissait d’une situation très sérieuse, mettant en cause une employée ayant un lourd dossier disciplinaire, qui ne reconnaissait pas ses torts. L’APSC était donc justifiée de prendre les moyens d’enquête adaptés aux circonstances. L’APSC était aussi justifiée de tenir M. Bélanger à l’écart de l’entrevue de la fonctionnaire, puisqu’il était aussi témoin de ses dires. On ne refusait pas toute représentation syndicale à la fonctionnaire, seulement celle prodiguée par M. Bélanger. En bout de ligne, M. Bélanger a assisté la fonctionnaire lors de l’entrevue définitive et la fonctionnaire a reçu une copie de la déclaration de Mme Nguyên avant de faire la sienne. L’administrateur général se dit en désaccord avec l’argument de la fonctionnaire voulant qu’elle n’ait pas été traitée comme l’aurait été tout autre employé.

154 M. Roy a admis dans son témoignage que le mot « méfait » était une traduction maladroite. Aucune accusation criminelle n’avait été déposée contre la fonctionnaire lorsqu’il l’a rencontrée pour obtenir sa déclaration. Par ailleurs, la fonctionnaire a toujours soutenu que ses gestes n’étaient pas des méfaits et M. Caya ne lui a pas demandé de répondre à une telle allégation.

155 L’administrateur général nie que l’ASPC ait gardé les incidents dans sa manche. Cet argument a été présenté à l’arbitre de grief Tessier, qui l’a rejeté. Les incidents se sont déroulés entre le 14 mars et le 6 avril 2006. Ils ont été traités aussi ponctuellement que possible et de façon soutenue à compter du mois de mai.

156 L’administrateur général ajoute que tous les critères de Pelletier ont été respectés. L’ASPC a informé la fonctionnaire que son emploi était en danger et lui a donné la possibilité de rectifier la situation, tant par la gradation des sanctions que par les nombreuses rencontres pour recevoir les commentaires de la fonctionnaire au sujet des incidents qui lui étaient reprochés. La fonctionnaire soutient qu’elle n’a pas été sanctionnée pour des plaintes antérieures. À ceci, l’administrateur général répond que les témoignages entendus dans la présente affaire ne laissent aucun doute qu’il s’agissait de récidive, et l’ASPC était pleinement justifié d’en tenir compte. Pour la fonctionnaire, de prétendre qu’elle ne savait pas que son emploi était en jeu, n’est pas crédible. Il n’y a pas de faits atténuants à considérer parce qu’il n’en existe pas. La fonctionnaire a été traitée comme tout autre employé ayant un dossier disciplinaire lourd. Elle n’a rien appris des avertissements qu’elle a reçus; elle ne peut, par conséquent, se dire surprise de la décision de l’ASPC de mettre fin à son emploi.

V. Motifs

157 Le bien-fondé de la décision de l’ASPC de licencier la fonctionnaire repose sur l’interprétation des faits de cette affaire plutôt qu’une question de droit; essentiellement, l’ASPC avait-elle des motifs suffisants pour mettre fin de à l’emploi de la fonctionnaire? Afin de déterminer le sérieux des motifs, les principes suivants s’appliquent de façon générale. Le fardeau de la preuve des motifs de licenciement repose sur l’administrateur général. Il doit faire la preuve de l’inconduite ou d’une partie suffisamment importante des éléments de l’inconduite selon une prépondérance de la preuve. L’administrateur général doit aussi décrire l’inconduite de la fonctionnaire avec suffisamment de précision et de particularité pour que l’arbitre de grief puisse évaluer la nature des questions en litige et pour que la fonctionnaire puisse y répondre dans sa défense. L’inconduite de la fonctionnaire doit être sérieuse. La preuve dans ce dossier est analysée à la lumière de ces principes, puis au regard du principe de l’incident déterminant, soulevé par l’administrateur général.

A. Inconduite reprochée à la fonctionnaire

1. Propos inappropriés tenus lors d’une rencontre officielle

158 Il s’agit d’un incident qui est survenu le 5 avril 2006. La fonctionnaire a expliqué aux participants, lors d’une réunion à l’extérieur de l’ASPC, une méthode de collecte de données différente de celle présentée par un gestionnaire de l’ASPC. Les témoignages sont contradictoires. M. Gaussiran dit qu’il a considéré anodines à l’époque les remarques de la fonctionnaire et ce n’est que lorsqu’il en a fait part à M. Jarry qu’il a compris que les propos de la fonctionnaire étaient inappropriés dans le contexte d’une réunion officielle. La fonctionnaire dit que ses propos sont factuels : l’analyse transversale est une collecte artisanale de données régionales et n’a eu lieu qu’une fois. Elle ajoute un complément d’information en disant qu’il existait aussi une méthode nationale de collecte de données. M. Gaussiran soutient les propos de la fonctionnaire en lui demandant d’envoyer aux participants à la réunion de gabarit pour la collecte de données nationales, ce qu’elle a fait. Les dires de la fonctionnaire sont consignés dans une correspondance subséquente à la réunion. Mme Marchand témoigne qu’elle n’a rien vu de déplacé dans les propos de la fonctionnaire et que la réunion s’est déroulée dans le plus grand ordre. L’administrateur général n’a pas mis en preuve que les propos de la fonctionnaire étaient faux.

159 Les commentaires écrits que M. Gaussiran a remis à M. Caya ne décrivent pas avec précision l’inconduite de la fonctionnaire et n’expliquent pas pourquoi cette inconduite méritait une sanction. Il y a, à mon avis, contradiction entre le fait que M. Gaussiran reconnaisse l’à-propos de l’intervention de la fonctionnaire en lui demandant de fournir le gabarit du PNP à tous les participants de la réunion, puis se rétracte par la suite quant au bien-fondé de ces propos, au motif qu’elle l’aurait publiquement contredit. Bref aucune preuve n’est venue expliquer comment des propos apparemment anodins au départ sont devenus des « propos inappropriés » aux fins du licenciement de la fonctionnaire.

160 L’ASPC n’a porté cet incident à l’attention de la fonctionnaire que le 8 juin 2006, soit deux mois plus tard. Si l’incident était à ce point sérieux, l’administrateur général ne m’a pas été expliqué pourquoi cet incident n’a pas été soulevé immédiatement plutôt que deux mois plus tard. Le délai laisse plutôt croire que l’événement était effectivement anodin au moment où il s’est produit. Je suis d’avis que cet incident s’est ajouté aux autres incidents reprochés que lorsque que l’ASPC a décidé qu’il y avait matière à congédiement. Par conséquent, cet incident ne peut, en lui-même, être retenu comme étant un motif sérieux justifiant le congédiement.

2. Plainte d’un organisme relativement à la prestation de services

161 L’inconduite reprochée à la fonctionnaire par rapport aux faits qui ont été mis en preuve se résume à ceci. L’administrateur général reproche à la fonctionnaire d’avoir été trop rigoureuse dans l’application des politiques de renouvellement des accords de contribution, d’avoir imposé des conditions de renouvellement déraisonnables et d’avoir manqué de respect à l’égard du Centre PRISME. Par contre, une autre consultante a revu le dossier et, en se fondant sur les mêmes données, a conclu que le client ne constituait pas un risque important et qu’il n’y avait pas lieu d’imposer quelque condition que ce soit. L’administrateur général ajoute que ce n’était pas la première fois qu’un organisme déposait une plainte contre la fonctionnaire.

162 De son côté, la fonctionnaire explique qu’elle a eu des difficultés sérieuses avec le Centre PRISME. Le directeur général ne la tenait pas au courant des changements qui pouvaient avoir une incidence sur les conditions de la subvention, que ce soit les locaux, le personnel ou les programmes. L’organisme avait épongé un déficit important l’année précédente. Le directeur général ne prenait pas un grand intérêt aux questions financières. Les rapports exigés en vertu de l’accord de contribution étaient toujours en retard. Elle devait faire un suivi continuel pour s’assurer que les documents exigés étaient déposés. La fonctionnaire a déposé des preuves documentaires à l’appui de toutes ses explications. L’administrateur général n’a contredit aucun des faits avancés par la fonctionnaire.

163 La description de travail de la fonctionnaire en vigueur depuis le 5 mai 1999 prévoit ce qui suit :

[…]

Information utilisée par d’autres

[…]

Fournir aux entrepreneurs et aux organismes parrains des ressources générales et des commentaires précis sur l’élaboration de projets, la rédaction de rapports, des aspects précis du matériel, etc. afin de les soutenir dans la préparation, présentation et suivi de leurs initiatives.

Analyser et rédiger des propositions comportant des recommandations d’approbation à soumettre aux gestionnaires responsables, et en bout de ligne, au ministre, à qui on demandera d’approuver le financement

[…]

[à la page 4 du document]

Budgétisation

Recommander l’attribution générale des subventions et contributions ou les budgets et dépenses de fonctionnement dans les secteurs de responsabilité.*

Surveiller les budgets des subventions et contributions et les dépenses de fonctionnement dans les secteurs de responsabilité.*

Surveiller les dépenses des projets individuels approuvés et des budgets de contrat.*

*Le travail décrit ci-dessus est effectué conformément aux politiques et aux procédures de la Direction générale, du Ministère et des organismes centraux et, dans tous les cas, influe sur la viabilité des activités en cours d’exécution ou planifiées.

[…]

[à la page 5 du document]

Surveillance de la conformité

Évaluer si les demandes de financement et les soumissions sont conformes aux politiques du Conseil du Trésor et du Ministère ainsi qu’aux lignes directrices concernant les programmes. Recommander ensuite le rejet ou l’approbation des propositions ou des soumissions.

Vérifier si l’exécution des projets ou des contrats est conforme aux ententes contractuelles. Recommander par la suite le maintien ou l’interruption du financement ou la prise de mesures correctives.

[…]

[à la page 6 du document]

164 Ces extraits démontrent assez clairement que la fonctionnaire a la responsabilité de voir à la formation des clients afin que ceux-ci puissent respecter leurs engagements. La fonctionnaire doit analyser et rédiger des propositions qui seront approuvées en bout de ligne par le ministre. Dans l’attribution générale des subventions, la fonctionnaire doit se conformer aux politiques et procédures gouvernementales. Enfin, la fonctionnaire doit vérifier si l’exécution des projets est conforme aux ententes contractuelles.

165 Lors de l’audience, l’administrateur général a admis que la description de travail dont est tiré cet extrait est encore en vigueur. Je n’y ai rien trouvé qui laissait à la fonctionnaire quelque discrétion quant à la rigueur avec laquelle elle doit appliquer les politiques gouvernementales. Au contraire, comme les recommandations de la fonctionnaire servent à engager la responsabilité financière du ministre, celle-ci doit faire preuve de vigilance afin d’éviter que des fonds publics soient mal utilisés et que la décision du ministre soit compromise. L’administrateur général n’a pas affirmé le contraire. Je considère complètement gratuite la conclusion du rapport d’enquête de M. Jarry selon laquelle une plus grande crédibilité doit être accordée à l’organisme qui s’est plaint parce qu’il risque de ne pas voir sa contribution renouvelée. Aucune preuve n’a été avancée à l’appui de cette conclusion. Au contraire, dans son témoignage, M. Pavon a affirmé que le Centre PRISME était prêt à renoncer à la subvention.

166 Quant au reproche à l’effet que la fonctionnaire voulait imposer au Centre PRISME des conditions déraisonnables pour le renouvellement de l’accord de contribution, il semble injustifié. La fonctionnaire a discuté des conditions de renouvellement avec M. Jarry. M. Jarry était d’accord avec les conditions de renouvellement. L’accord de M. Jarry est consigné dans un échange de courriels en date du 26 octobre 2005. M. Jarry a signé, au nom de l’ASPC, la demande de renouvellement de l’accord de contribution, avec conditions. Une copie conforme des lettres du 25 octobre 2005 et du 2 mars 2006 concernant les difficultés liées au projet Cercle Magique ont été en outre adressées à M. Jarry. Compte tenu du fait que la fonctionnaire a agit avec l’approbation de l’ASPC, elle ne devrait pas subir les conséquences d’avoir voulu imposer des conditions de renouvellement de la subvention, jugées déraisonnables par la suite.

167 La lettre du 25 octobre 2005, dans laquelle la fonctionnaire écrit: « […] La réponse du type : « Je suis nul en chiffres », n’est plus acceptable […] », peut être interprétée comme un manque de respect. M. Pavon a soulevé ce point lors de sa première rencontre avec M. Jarry en mars 2006. Dans son rapport, M. Jarry traite cet incident comme un fait nouveau. Toutefois, une copie conforme de cette lettre a été transmise à M. Jarry au moment de son envoi. Si les propos de la fonctionnaire étaient à ce point irrespectueux, l’APSC se devait de sévir immédiatement. Je considère que l’APSC a fermé les yeux sur ces propos et qu’elle ne pouvait les reprocher à la fonctionnaire quatre mois plus tard.

168 Par ailleurs, j’ai trouvé le témoignage de la fonctionnaire plus crédible que celui de M. Pavon sur ce qui s’est passé entre le retour du congé de maladie de ce dernier en juin 2005 et la lettre de plainte en date du 14 mars 2006. Autant la fonctionnaire a été précise dans son témoignage concernant chacune de ses démarches, autant M. Pavon a été flou. M. Pavon ne se souvenait pas des détails de réunions avec la fonctionnaire, alors qu’elle lui a fourni ordres-du-jour et comptes-rendus. M. Pavon ne s’est pas souvenu de la teneur d’un document qu’il avait lui-même préparé quant aux possibilités de changement au projet Cercle Magique. Il se souvenait peu des nombreuses démarches et demandes de rencontre avec la fonctionnaire en vue d’obtenir les documents prescrits par la loi. Il a décrit des démarches légitimes de la fonctionnaire comme « harcelantes ». L’ASPC a accepté les dires de M. Pavon sans tenir compte des faits avancés par la fonctionnaire.

169 Je n’ai pas été convaincue par une prépondérance de preuve que les agissements de la fonctionnaire étaient déplacés dans les circonstances. Elle transigeait avec un organisme difficile qui ne semblait pas coopérer. Elle devait faire constamment des rappels et des suivis. Le fait qu’une autre consultante ait recommandé un renouvellement de l’accord de contribution après que la fonctionnaire ait été démise de cette responsabilité n’est pas une preuve que la fonctionnaire a mal agi. Vu la situation dans laquelle la fonctionnaire s’est retrouvée, Nathalie Pelletier était mal placée pour ne pas accorder la subvention demandée par le Centre PRISME. Nathalie Pelletier a aussi témoigné à l’effet que le dossier avait été très bien monté par la fonctionnaire.

3. Intimidation d’une employée travaillant à l’ASPC

170 Cet incident se rapporte à une réunion avec la fonctionnaire concernant la lettre de plainte du Centre PRISME. M. Jarry désirait obtenir la version de la fonctionnaire. La fonctionnaire a demandé la présence de son représentant syndical, ce à quoi M. Jarry a acquiescé. Au début de la réunion, la fonctionnaire a fait part à M. Jarry de sa crainte que le sujet de la réunion s’ébruite en raison de la présence de Mme Nguyên, qui est de la même communauté vietnamienne qu’elle. Elle a demandé que les notes de Mme Nguyên soient objectives. M. Jarry a assuré la fonctionnaire du professionnalisme et de la discrétion de Mme Nguyên et a poursuivi la réunion. Après la réunion, Mme Nguyên a fait part à M. Jarry de son inconfort par rapport aux propos de la fonctionnaire. Les propos de la fonctionnaire ont donné lieu à une enquête officielle. L’enquête officielle a conclu que la fonctionnaire a eu un comportement offensant envers Mme Nguyên, contrairement à la Politique relative à la prévention et au règlement du harcèlement en milieu de travail de Santé Canada.

171 Dans son témoignage, M. Caya explique qu’il a procédé par voie d’enquête officielle afin de demeurer le plus neutre possible, et ce, après avoir consulté M. Beaulieu.

172 L’objectif et les conséquences recherchées par l’enquête officielle me laissent perplexe. Dans son courriel à M. Jarry, Mme Nguyên dit avoir ressenti un « inconfort » à la suite de la réunion et qu’elle a considéré la remarque de la fonctionnaire « insultante et inappropriée ». Le courriel de M. Caya à Mme O’Donnell mentionne que l’« enquête de sécurité » porte sur une affaire complexe. L’enquête de M. Roy et de M. Provencher est fondée sur des allégations de « méfait » commis par la fonctionnaire, alors que les conclusions du rapport sont fondées sur la violation d’une politique.

173 Il est surprenant que M. Roy, un enquêteur d’expérience à la Gendarmerie royale du Canada, ne connaisse pas la différence entre un méfait et de l’inconduite. Or, Mme Nguyên n’a jamais déposé une plainte de méfait à l’égard de la fonctionnaire, ni une quelconque plainte de harcèlement. Le 8 mai 2006, M. Bélanger a informé l’ASPC qu’il s’objectait à l’allégation de méfait contre la fonctionnaire. Or, l’administrateur général ne s’est rétracté qu’à l’audience, lorsque M. Roy a indiqué que l’utilisation du mot méfait était un impair. Enfin, les conclusions de l’enquête ne répondent pas au mandat donné par M. Caya.

174 Il y a lieu de souligner que l’incident a été traité de façon cavalière et humiliante pour la fonctionnaire : elle a été convoquée au bureau de M. Caya et a été accueillie par deux enquêteurs qui n’avaient pas été annoncés. Ils lui ont remis une lettre sans en expliquer le contenu. Lors de la première entrevue, le 2 mai 2006, la fonctionnaire s’est fait reprocher un « méfait », soit une infraction prévue au Code criminel. Les enquêteurs n’étaient pas en mesure de lui expliquer la nature du dit méfait et elle a dû insister pour recevoir une copie du courriel de Mme Nguyên pour connaître les faits qui lui étaient reprochés. Tout ceci sans considération au fait qu’une accusation en vertu du Code criminel aurait pu nuire au statut d’immigrante de la fonctionnaire.

175 Bien que les propos de la fonctionnaire puissent avoir été désobligeants envers Mme Nguyên, cette histoire aurait facilement pu être évitée. La réunion du 27 mars 2006 était de nature disciplinaire puisque l’ASPC a informé la fonctionnaire à la fin de la réunion qu’il allait lui communiquer une « décision ». L’ASPC a d’ailleurs permis au représentant syndical de la fonctionnaire d’y être présent. Toutefois, le dossier du Centre PRISME était déjà assigné. Lorsque la fonctionnaire s’est opposée à la présence de Mme Nguyên, M. Jarry aurait dû acquiescer immédiatement. Le besoin de prendre des notes ne rendait pas légitime pour autant la présence de Mme Nguyên.

176 Compte tenu de ce qui précède, et bien que les propos de la fonctionnaire aient pu être malavisés, la réaction de l’ASPC a été disproportionnée. L’ASPC a aussi manqué de doigté en convoquant la fonctionnaire pour une réunion de ce genre sachant que l’audience portant sur ses griefs de suspension commençait l’après-midi même devant l’arbitre de grief Tessier. Sans donner raison à la fonctionnaire, il faut reconnaître que le stress de la situation a sa part d’explication de cet incident. Cet incident comme élément du motif de congédiement n’est pas retenu.

4. Blâme à l’égard d’une collègue

177 Cet incident concerne une remarque faite par M. Pavon dans sa déclaration ayant trait à la plainte du Centre PRISME. La preuve de cet incident consiste dans les dires de M. Pavon. L’ASPC ne précise cet incident qu’au moment de licencier la fonctionnaire, alors que l’APSC a eu connaissance de l’incident le 23 mars 2006. Que ce reproche ait fait partie des documents remis à la fonctionnaire lors des diverses rencontres en juin et en juillet 2006 n’excuse pas l’omission de ne pas lui avoir souligné son inconduite et de l’importance de cet incident.

178 De plus, j’estime que la preuve est insuffisante pour déterminer la gravité de cet incident et le bien-fondé d’une sanction disciplinaire. Par conséquent, cet incident comme élément du motif de licenciement est rejeté.

5. Falsification d’un document

179 L’événement reproché à la fonctionnaire est d’avoir changé la date de réception d’un document et d’y avoir apposé ses initiales alors qu’elle n’était pas autorisée à le faire. Pour l’employeur, l’inconduite découle du fait qu’un changement de date peut avoir des conséquences juridiques, entre autres, sur l’attribution des subventions.

180 Selon le Larousse, falsifier un document veut dire « modifier volontairement en vue de tromper ». Selon Le Robert, la falsification comporte un élément de fraude. La falsification d’un document est donc un reproche fort sérieux.

181 Aucune preuve n’indique que la fonctionnaire ait eu l’intention de tromper qui que ce soit. De fait, l’explication de la fonctionnaire est plausible et soutenue par le courriel qu’elle a envoyé à Mme Doré. Lorsque Mme Doré lui a demandé de confirmer la date initiale de réception, la fonctionnaire a acquiescé. Il n’y a aucune preuve que la fonctionnaire a commis un acte frauduleux, que le changement de date ait eu quelque conséquence juridique ou qu’une subvention ait été mise en péril. Cet incident ne justifie pas une peine de licenciement.

6. Absence non autorisée préalablement

182 Cette inconduite reprochée à la fonctionnaire est liée à la prise d’un rendez-vous médical sans pré-autorisation le 6 avril 2006, pour trois heures. L’absence de la fonctionnaire a été autorisée subséquemment par M. Jarry. Le reproche de l’administrateur général est que le congé a été pris sans autorisation préalable, alors que la fonctionnaire avait été avertie par écrit, le 14 décembre 2005, qu’elle devait faire une demande avant de s’absenter. Il n’est pas contesté que la fonctionnaire a reçu un avertissement lui indiquant que des absences non autorisées l’exposaient à des conséquences disciplinaires en cas de récidive. Toutefois, rien n’explique de manière cohérente pourquoi l’ASPC, en dépit de cet avertissement, a tout de même approuvé l’absence en question le 21 avril 2006. Pour être conséquente, l’ASPC aurait dû tout simplement refuser le congé en citant l’avertissement déjà donné. L’ASPC aurait aussi été justifiée d’imposer une sanction disciplinaire appropriée en raison de cet avertissement. Toutefois, en approuvant la demande de congé sans autre conséquence, l’ASPC était forclose de considérer plus tard cette absence comme une récidive et d’imposer une sanction disciplinaire à son égard. Cet incident ne justifie pas une peine de licenciement.

7. Intervention visant à discréditer la gestion lors d’une réunion d’équipe

183 Cet incident concerne l’intervention de la fonctionnaire, lors d’une réunion d’équipe qui a eu lieu le 14 mars 2006 pour demander une somme de 1 000 $ en vue de faire un envoi postal lié à l’un de ses projets. Deux gestionnaires présents à la réunion ont trouvé l’intervention déplacée en raison du sujet ou du ton utilisé. N’étant pas au courant de la demande, ils ont estimé que la fonctionnaire ne devait pas soulever le sujet pendant le tour de table à la fin de la réunion. Le 10 avril 2006, M. Caya a obtenu des déclarations des gestionnaires présents, mais n’a porté ce point à la connaissance de la fonctionnaire que le 19 juin 2006 avec d’autres incidents. 

184 J’ai pris le soin de revoir le compte-rendu de la réunion déposé en preuve par la fonctionnaire. Le premier point concerne l’adoption de l’ordre du jour. Au point « varia », est noté ceci : « [s]uivi de 2 projets ponctuels (Thu Cuc), il est suggéré que Thu Cuc en discute au tour de table ». Au moment du tour de table, il est noté que la fonctionnaire « mentionne qu’elle est en attente pour confirmation de fonds pour des envois postaux pour le projet de formation ». Aucune réponse à cette demande n’est consignée dans le compte-rendu.

185 Le reproche de l’administrateur général à l’égard de l’intervention de la fonctionnaire n’est pas manifeste. Si le ton de l’intervention était irrespectueux, tout gestionnaire présent à la réunion pouvait signaler l’écart immédiatement. Si les gestionnaires présents n’étaient pas en mesure de fournir une réponse à la demande de la fonctionnaire, cet aspect aurait pu être noté et une réponse apportée plus tard. Si l’inconduite de la fonctionnaire consiste à avoir soulevé ce point durant le tour de table, le compte-rendu de la réunion explique l’intervention de la fonctionnaire puisqu’elle a été invitée à soulever ce point lors du tour de table final. Dans l’ensemble, il n’y a aucune preuve objective d’une incurie de la fonctionnaire. Cet incident ne justifie pas une peine de licenciement.

8. Demandes répétées d’utilisation de pauses-café alors qu’il y avait une entente signée interdisant une telle pratique 

186 Ce reproche de l’administrateur général relève du fait que la fonctionnaire, à plusieurs reprises, a demandé de varier son horaire, soit en réduisant sa pause-repas, en regroupant ses pauses-café en fin de journée, ou encore en demandant un horaire flexible. Selon la preuve, plusieurs demandes à cet égard ont été faites entre 2003 et 2005, en plus de celle qui a été autorisée par M. Jarry le 17 février 2006, en tant que demande ponctuelle et exceptionnelle à la suite d’une entente signée portant sur l’horaire de travail pour l’année 2005-2006.

187 La fonctionnaire a fait valoir que, jusqu’au début de 2006, les demandes de changement d’horaire visaient à lui permettre de suivre ses cours universitaires en fin de journée, et qu’une entente a été signée rétroactivement pour couvrir ces demandes. Pour l’année 2006, deux demandes de modification d’horaire ont été faites : une première, le 15 février 2006, accordée par M. Jarry le 17 février 2006; une deuxième, le 1er juin 2006, pour un retard non-fautif, accordée par M. Jarry le 2 juin 2006 « […] de manière exceptionnelle et ponctuelle […] ». La question de la modification de l’horaire de travail n’a été soulevée qu’au moment de la rencontre du 29 juin avec la fonctionnaire.

188 Pour ce qui est des changements d’horaire accordés pour tenir compte des cours universitaires de la fonctionnaire, l’ASPC se contredit. D’une part, elle encourage la formation permanente de ses employés en remboursant les frais et, d’autre part, elle n’est pas disposée à faire preuve de souplesse à l’égard des horaires pour leur permettre de suivre les cours en question. La fonctionnaire ne demandait pas du temps rémunéré pour suivre ses cours, mais était plutôt prête à sacrifier sa pause-repas et ses pauses-café pour donner un plein rendement. Tout ce qu’elle demandait, c’était d’ajuster son horaire afin de pouvoir suivre ses cours. L’administrateur général n’a pas démontré que les demandes, même si elles étaient fréquentes, avaient une incidence sur la quantité ou la qualité de travail de la fonctionnaire ou que la fonctionnaire négligeait ses dossiers. Si l’administrateur général veut licencier une employée pour ce type de demande, il doit lui donner un avertissement clair et lui donner l’occasion de changer ses habitudes. La période de trois ans qui fait l’objet des courriels était amplement suffisante pour que l’ASPC puisse sévir si telle était son intention.

189 De plus, je trouve inconséquent que, d’une part, M. Jarry approuve une modification à l’horaire à deux reprises, puis, d’autre part, que l’administrateur général veuille invoquer ces demandes comme motif de licenciement sans autre avertissement. J’estime qu’en approuvant les demandes de changement d’horaire, l’ASPC ne pouvait ensuite reprocher ces demandes à la fonctionnaire. Cet incident ne justifie pas une peine de licenciement.

B. Doctrine de l’incident déterminant

190 L’administrateur général a plaidé que l’ensemble de la preuve appuie la décision de licencier la fonctionnaire, même si les incidents, pris individuellement, ne sont pas matière à licenciement. L’administrateur général me demande d’appliquer la doctrine de l’incident déterminant au regard de l’ensemble des faits et de la gradation des sanctions.

191 Brown et Beatty, au paragr. 7:4314 de leur Canadian Labour Arbitration, 4e éd., écrivent que pour pouvoir invoquer la doctrine de l’incident déterminant afin de justifier le licenciement, la jurisprudence arbitrale fait état des éléments suivants :

  • l’incident déterminant doit être passible de sanction disciplinaire;
  • les écarts antérieurs sur lesquelles l’employeur se fonde doivent avoir été signalés au moment où ils se sont produits, ou peu après; certains arbitres ont conclu que l’employeur ne peut fonder sa décision sur des incidents à l’égard desquels aucune sanction disciplinaire n’a été imposée au moment où ils se sont produits.
  • il doit y avoir une relation étroite entre le dossier antérieur et l’incident déterminant; toutefois, les arbitres ne font pas l’unanimité sur cet élément.

192 Les mesures disciplinaires antérieures exposent ce qui suit. La fonctionnaire a reçu une réprimande écrite le 22 septembre 2003 concernant des conflits avec le personnel de l’ASPC et ses clients, des demandes d’absence soumises à la dernière minute ou après coup et une tendance à critiquer les décisions de la gestion. Le 24 septembre 2003, l’ASPC lui a imposé une suspension de deux jours pour des requêtes d’approbation ayant trait à sa formation universitaire à une personne autre que son supérieur immédiat et un manquement de respect à l’égard de ses supérieurs. Le 3 février 2004, l’ASPC lui a imposé une suspension de 10 jours pour un comportement irrespectueux envers ses supérieurs, une lettre à un organisme qui laissait planer le doute sur la compétence d’un gestionnaire intérimaire et l’attitude de la fonctionnaire concernant l’utilisation des sommes résiduelles. Le 28 octobre 2004, l’ASPC lui a imposé une suspension de 20 jours pour avoir remis en question les décisions de la gestion sur les points suivants : son horaire de travail, du temps supplémentaire non autorisé préalablement, la formation multiethnique, le comité de renouvellement du PCNP et un départ du travail non autorisé, ainsi que son attitude irrespectueuse envers la direction, y compris des absences et retards à des rencontres.

193 À première vue, certains de ces incidents ont des points communs avec le présent dossier soit, les demandes ayant trait à l’horaire de travail et les absences, le désaccord avec l’opinion de ses supérieurs, les plaintes de clients. Cependant, il n’y a pas de preuve au dossier devant moi que ces éléments sont nécessairement du même genre que ceux qui sont maintenant reprochés à la fonctionnaire. De plus, aucune preuve ne m’a été présentée pour démontrer que les éléments qui sont maintenant reprochés à la fonctionnaire aient entraîné une sanction disciplinaire, hormis la décision de licencier la fonctionnaire pour l’ensemble des huit écarts qui lui sont reprochés.

194 À l’égard des propos tenus lors d’une rencontre officielle, l’ASPC n’a dénoncé le comportement jugé inacceptable que beaucoup plus tard. De plus, le gestionnaire présent à la réunion a vraisemblablement appuyé les propos de la fonctionnaire puisqu’il lui a demandé de faire parvenir aux participants le gabarit pour la méthode de collecte de données nationales dont elle venait tout juste de parler. Aucune conséquence ou reproche n’a découlé de cette réunion avant la décision de licencier la fonctionnaire.

195 Il en est de même de la plainte d’un organisme relativement à la prestation de services. L’inconduite reprochée à la fonctionnaire n’est pas claire, car les conditions qu’elle a imposées pour le renouvellement de l’accord de contribution de l’organisme avaient préalablement reçu l’aval de son supérieur. La décision de l’ASPC de lui retirer ce dossier et de le remettre à une autre consultante n’est pas une sanction disciplinaire.

196 L’incident lié à une allégation d’intimidation d’une employée travaillant à l’ASPC n’est pas prouvé. L’enquête conclut qu’il y a eu manquement à une politique de Santé Canada, ce qui n’est pas l’incident reproché. Le blâme à l’égard d’une collègue et la falsification d’un document sont des incidents qui n’ont été signalés à la fonctionnaire qu’au moment où l’administrateur général s’apprêtait à licencier la fonctionnaire.

197 L’intervention de la fonctionnaire visant prétendument à discréditer la gestion lors d’une réunion d’équipe n’a pas été signalée à la fonctionnaire au moment où elle s’est produite. Aucune conséquence ou reproche n’a découlé de cette rencontre avant la décision de licencier la fonctionnaire.

198 Enfin, les demandes d’utilisation de pauses-café sont des événements qui remontent à la période entre 2003 et 2005, avant que survienne une entente sur l’horaire de travail pour l’année 2005-2006, en partie rétroactive pour couvrir des demandes de l’année 2005. Après cette date, les demandes ont été exceptionnelles et les deux demandes, en février et en juin 2006, ont reçu l’approbation de l’employeur. L’ASPC ne peut approuver un congé pour ensuite sanctionner la fonctionnaire à cet égard. Cet écart ne peut être considéré comme une récidive.

199 Par conséquent, je suis d’avis que les écarts reprochés à la fonctionnaire ne satisfont pas aux conditions de la doctrine de l’incident culminant. Il n’a pas été mis en preuve qu’ils étaient individuellement passibles de sanction disciplinaire; ils n’ont pas été signalés à la fonctionnaire au moment où ils se sont produits, ou peu après; et la preuve n’a pas été faite qu’il existe une relation étroite entre le dossier disciplinaire antérieur de la fonctionnaire et les incidents qui ont mené à son licenciement. Bien qu’il puisse y avoir certaines ressemblances avec d’autres incidents qui ont déjà fait l’objet de sanctions disciplinaires, je n’ai pas été convaincue, contrairement à Cloutier, qu’il s’agit d’un comportement qui mérite une sanction disciplinaire.

200 Pour ces motifs, je suis d’avis que le licenciement de la fonctionnaire était injustifié. Je dois donc me pencher sur la mesure réparatrice appropriée en l’instance.

C. Mesure de réparation appropriée

201 Dans Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, la Cour suprême du Canada a rappelé que le régime d’arbitrage des griefs se veut le moyen « […] d’assurer un règlement rapide, définitif et exécutoire des différends […] » concernant une convention collective. Dans Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, 2004 CSC 28, la Cour suprême du Canada reprend ces propos et ajoute qu’il y a une valeur sociale au règlement définitif des griefs par la procédure d’arbitrage des griefs :

[…]

[34] […] Le caractère définitif du règlement des griefs revêt une importance primordiale tant pour les parties que pour la société en général. L’arbitrage des griefs est le moyen de réaliser cet objectif. Brown et Beatty, op. cit., §2 :1401, soulignent qu’[TRADUCTION] « [i]l est reconnu et accepté que ce cadre législatif donne à l’arbitre le mandat d’apporter des solutions effectives, notamment en lui accordant la faculté d’accorder des dommages-intérêts, de telle sorte qu’il peut remédier aux violations de la convention collective autrement qu’au moyen d’une simple mesure déclaratoire » […] .

[35] De toute évidence, l’arbitre y trouve dans l’économie du Code [du travail de l’Alberta] et dans l’objectif prédominant de celui-ci de solides assises lui permettant de concevoir une réparation adaptée aux circonstances particulières du différend dont il est saisi.

[…]

[40] Notre Cour a reconnu qu'un vaste pouvoir de réparation était nécessaire pour donner effet au processus d'arbitrage des griefs. La nécessité de ne pas entraver l'exercice des pouvoirs de réparation de l'arbitre a été reconnue pour la première fois par le juge Dickson (plus tard Juge en chef) dans l'arrêt Heustis, précité, p. 781, où la considération de politique générale justifiant la limitation de l'intervention judiciaire a été expliquée comme suit :

Le but de l'arbitrage des griefs en vertu de la Loi est d'assurer un règlement rapide, définitif et exécutoire des différends résultant de l'interprétation et de l'application d'une convention collective ou d'une mesure disciplinaire imposée par l'employeur, le tout dans le but de maintenir la paix.

La position de notre Cour dans Heustis annonçait un élargissement des pouvoirs de l'arbitre.

[41] Par exemple, dans St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier, section locale 219, [1986] 1 R.C.S. 704, notre Cour a expressément reconnu la compétence élargie dont dispose l'arbitre lorsqu'il statue sur la violation d'un droit prévu par une convention collective. Des arrêts comme Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, et l'affaire connexe Nouveau-Brunswick c. O'Leary, [1995] 2 R.C.S. 967, de même que Parry Sound, précité, ont expliqué davantage comment s'est accru le rôle des arbitres de manière à leur permettre de s'acquitter de leur mandat. Dans Weber, notre Cour a reconnu que les arbitres avaient compétence exclusive à l'égard des différends portant sur l'interprétation, l'application, l'administration ou la violation d'une convention collective. L'arrêt Parry Sound a élargi la compétence de l'arbitre à l'application des lois sur les droits de la personne et des autres lois touchant à l'emploi. Ces décisions s'inscrivent dans un courant jurisprudentiel reconnaissant aux arbitres une compétence plus vaste et un large pouvoir de réparation. En outre, je ne peux m'empêcher de rappeler que notre Cour a à maintes reprises reconnu l'importance fondamentale du règlement des différends par voie d'arbitrage; voir Heustis, précité; voir aussi Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476; Conseil de l'éducation de Toronto, précité, et Parry Sound. Doter les arbitres des moyens de s'acquitter de leur mandat est un aspect fondamental du règlement des conflits en milieu de travail.

[…]

202 Malgré Parry Sound et Alberta Union, la Cour d’appel fédérale a statué dans Gannon c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 417, qu’en vertu de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, le pouvoir d’un arbitre de grief se limitait à ordonner la réintégration d’un fonctionnaire licencié sans motif suffisant parce que, entre autres, cette loi ne prévoyait pas un pouvoir de réparation aussi large que celui prévu au paragraphe 242(2) du Code canadien du travail.

203 Après Gannon cependant, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « nouvelle LRTFP »), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, est entrée en vigueur. Le paragraphe 228(2) de la nouvelle LRTFP prévoit que l’arbitre tranche le grief par l’ordonnance qu’elle juge indiquée. De plus, le préambule de la nouvelle LRTFP estsemblable à celui d’autres lois du travail, comme le Code canadien du travail, la Loi sur les relations de travail de l’Ontario et le code du travail de l’Alberta. Le préambule de la nouvelle LRTFP établit les objectifs principaux de cette loi, soit un engagement « […] à résoudre de façon juste, crédible et efficace les problèmes liés aux conditions d’emploi […] » et « […] l’établissement de relations harmonieuses [comme] élément indispensable pour ériger une fonction publique performante et productive […] ».

204 Bien que les dispositions du code du travail de l’Alberta étudiées dans Alberta Union ne soient pas identiques à celles la nouvelle LRTFP, elles lui sont suffisamment semblables pour que les conclusions de la Cour suprême du Canada dans Alberta Union puissent servir d’inspiration dans la présente affaire. Ainsi, je suis d’avis qu’en adoptant le préambule et le paragraphe 228(2) de la nouvelle LRTFP, le législateur a donné à l’arbitre de grief non seulement le pouvoir d’accorder une mesure réparatrice définitive, mais aussi celui de décider d’une mesure appropriée aux circonstances de chaque affaire.

205 Dans la présente affaire, j’ai conclu que le licenciement de la fonctionnaire était injustifié et, par conséquent, la fonctionnaire aurait normalement droit à la réintégration. Par contre, j’estime que la preuve a démontré que l’ASPC s’est livrée à un rare acharnement pour licencier la fonctionnaire, à un point tel que son retour dans le même milieu de travail n’est pas une mesure raisonnable et viable, parce qu’elle pourrait lui causer plus de tort que le licenciement lui-même. Il ne faut pas oublier que l’ASPC a demandé à la fonctionnaire de répondre, plusieurs mois après les faits, à de nombreux incidents qui, pris isolément, ne méritaient aucune sanction disciplinaire, et ceci au moment où la fonctionnaire comparaissait devant l’arbitre de grief Tessier relativement à trois griefs de suspension. Puisque le bureau de l’ASPC pour la Région du Québec ne compte que peu d’employés, il devient alors difficile, sinon impossible, d’ordonner une réintégration libre des ennuis qui ont mené au licenciement de la fonctionnaire. Compte tenu de ces circonstances, j’estime qu’ordonner sa réintégration ne constitue pas une option raisonnable ou viable et qu’il est plus indiqué de considérer quelles mesures de réparation peuvent compenser adéquatement la fonctionnaire dans les circonstances.

206 Comme les parties n’ont pas eu l’occasion en l’instance de faire de représentations sur les mesures de réparation qui seraient indiquées pour compenser adéquatement la fonctionnaire pour la perte de son emploi, j’ordonne qu’une audience soit fixée pour débattre de cette question.

207 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

208 Le grief est accueilli en partie.

209 Aucun des incidents reprochés à la fonctionnaire mérite une sanction disciplinaire et le licenciement est injustifié.

210 La réintégration de la fonctionnaire ne constitue pas une option raisonnable ou viable dans les circonstances.

211 Une audience sera fixée dans les plus brefs délais pour entendre les parties uniquement sur la question des mesures de réparation qui seraient indiquées pour compenser adéquatement la fonctionnaire pour la perte de son emploi.

Le 29 juillet 2008.

Michele A. Pineau,
arbitre de grief

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