Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant, coprésident, partie syndicale, du Comité de santé et de sécurité au travail (CSST), a allégué que l’employeur lui a imposé une sanction disciplinaire sans raison valable - au cours d’un entretien privé avec le coprésident, partie patronale, le plaignant a exprimé des réserves à propos des procès-verbaux des réunions du CSST et révélé qu’un employé lui avait dit que les gestionnaires en modifiaient le contenu - durant l’enquête qui s’est tenue par la suite, le plaignant a refusé de divulguer le nom de l’employé qui lui avait fourni l’information - le plaignant a reçu une lettre de réprimande pour ne pas avoir collaboré pleinement à l’enquête - l’arbitre de grief a conclu que l’employeur avait contrevenu à l’article 147 du Code en imposant une sanction disciplinaire au plaignant parce qu’il avait pris les mesures nécessaires afin de s’assurer de l’exactitude des procès-verbaux des réunions - étant donné que la plainte a été instruite plus de deux ans après les faits, la seule réparation possible était une déclaration dénonçant la contravention. Plainte accueillie.

Contenu de la décision



Code canadien du travail

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-06-02
  • Dossier:  560-34-29
  • Référence:  2008 CRTFP 38

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

DAVID BABB

plaignant

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

Répertorié
Babb c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 133 du code canadien du travail

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, commissaire

Pour le plaignant : :
Lisa Addario, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour la défenderesse:
Amita R. Chandra, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 6 au 8 mai  2008.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1 Le 26 avril 2006, David Babb (le « plaignant ») a déposé une plainte contre l’Agence du revenu du Canada (ARC ou la « défenderesse ») auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») :

[Traduction]

Gary Gustafson (directeur et coprésident de l’employeur au CSST) m’a imposé une mesure disciplinaire (voir la lettre du 27 mars 2006) pour avoir agi conformément à mes droits et à mes obligations à titre d’employé en vertu du Code canadien du travail.

2 Comme mesure corrective, le plaignant demandait : [traduction] […] que la mesure disciplinaire soit annulée […] etc. ».

3 Le plaignant a transmis à la Commission une copie de la lettre disciplinaire, datée du 27 mars 2006 et signée par Gary Gustafson, directeur, Centre technologique d’Ottawa, ARC, invoquée dans la plainte. Elle se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

À notre réunion de santé et sécurité au travail (SST), en février 2006, vous avez mentionné que le procès-verbal de la réunion d’août 2005 ayant été affiché sur le site Web du CTO était erroné, et différait grandement, censément, de la version finale ayant été approuvée. Après la réunion de SST, nous avons eu une rencontre au cours de laquelle vous m’avez expliqué que des employés vous avaient rapporté avoir entendu des gestionnaires parler de falsification du procès-verbal de SST du CTO. En raison de la gravité de vos allégations, j’ai demandé à Donna Martineau, conseillère principale en relations de travail pour la région, et à Chris Aylward, vice-président du SEI, de faire enquête sur vos allégations relativement à des actes fautifs commis par des gestionnaires et à l’affichage de la mauvaise version du procès-verbal.

À la réunion d’enquête, vous avez déclaré à plusieurs reprises avoir soulevé « des préoccupations » concernant le procès-verbal ayant été affiché sur le site Web, le procès‑verbal ayant été transmis au comité ministériel du SST et le procès-verbal officiel approuvé, contrairement à l’allégation d’acte fautif par la direction. Il a été établi qu’il y a eu des différences entre la version approuvée par les coprésidents et la version ayant été affichée. Cependant, il a également été établi qu’au moment où le procès-verbal a été affiché sur le site Web du CTO une erreur avait été commise. En effet, l’ébauche initiale du procès-verbal avait, par inadvertance, été envoyée aux fins d’affichage.

Il est essentiel d’avoir une relation optimale entre les employés, le syndicat et l’employeur fondée sur la confiance, le professionnalisme et le respect mutuel, et je crois que vous devez jouer un rôle important dans l’instauration d’une telle relation. Au moment de l’audience disciplinaire, vos explications variaient, étaient incohérentes et manquaient de crédibilité. J’ai tenu compte de votre dossier d’emploi, de votre affiliation syndicale et de votre rôle à titre de représentant des membres du SEI, mais ces éléments n’atténuent pas la gravité de votre inconduite. Vos gestes et votre comportement sont inacceptables et ne peuvent plus être tolérés.

De plus, vous avez fait preuve d’un manque de professionnalisme et de respect à l’égard de la direction en faisant des allégations que vous n’avez pu démontrer pendant l’enquête, ni à l’audience disciplinaire et je conclus que vous n’avez pas été franc avec moi. J’estime que vous avez manqué de transparence et avez embelli votre histoire et que, par conséquent, vous avez fait une plainte vexatoire à l’endroit de la direction, compromettant ainsi les bonnes relations syndicales-patronales nécessaires à l’établissement et au maintien de bons rapports. Vous avez agi d’une manière qui contrevient au Code d’éthiqueet de conduite de l’ARC et aux valeurs fondamentales de l’Agence.

Par conséquent, la présente lettre constitue une réprimande écrite. Une copie sera versée à votre dossier personnel pendant une période de deux ans, à la condition qu’aucune autre mesure disciplinaire ne soit prise contre vous pendant cette période.

Si vous deviez contrevenir de nouveau au Code d’éthique et de conduite de l’ARC, vous serez passible d’une mesure disciplinaire  plus grave pouvant aller jusqu’au licenciement.

Vous avez le droit de contester la présente décision en présentant un grief dans les 25 jours suivant la réception de la présente lettre.

Veuillez accuser réception de la présente lettre en signant la copie ci-jointe.

[…]

4 Le 14 juillet 2006, la Commission a reçu un avis de la défenderesse soutenant que les parties avaient conclu une « entente de principe ». Au cours des mois suivants, la Commission a écrit à trois reprises à l’agent négociateur du plaignant, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), en demandant à chaque fois qu’on l’informe de la situation de l’affaire. La Commission n’a reçu aucune réponse. Le 12 septembre 2007, la Commission a écrit aux parties pour leur demander si le dossier devait être fermé et, dans la négative, si elles préféraient la tenue d’une audience ou le traitement de la plainte par la voie d’arguments écrits. Après avoir examiné les réponses, la Commission a constaté qu’aucun accord n’était de toute évidence intervenu relativement à l’affaire. La Commission a alors décidé que la tenue d’une audience s’imposait.

Résumé de la preuve

5 Le plaignant a déposé 17 documents, 11 étant différentes versions du procès-verbal de réunions du comité de santé et de sécurité au travail (CSST). La représentante du plaignant a fait comparaître comme témoins Denis St-Jean, représentant national en matière de santé et sécurité, AFPC, Chris Aylward, vice-président régional, région de la capitale nationale, Syndicat des employé(e)s de l’impôt (SEI) et le plaignant lui-même. Six documents ont été déposés pour le compte de la défenderesse. La représentante de la défenderesse a fait comparaître Gary Gustafson et Donna Martineau, conseillère technique principale, relations du travail, ARC.

6 Le premier témoin du plaignant, M. St-Jean, est un expert de la santé et sécurité au travail. Il est représentant national dans le domaine pour l’AFPC depuis 15 ans. En cette qualité, M. St-Jean siège notamment aux tribunes bipartites et tripartites chargées d’élaborer des changements stratégiques et réglementaires relativement aux lois et règlements en matière de santé et sécurité au travail. Il a une connaissance approfondie de la partie II du Code canadien du travail (le « Code ») et de ses dispositions, et il a participé à sa dernière révision. À titre de représentant national, M. St-Jean donne également de la formation et conseille les représentants syndicaux qui siègent aux comités locaux de santé et de sécurité au travail.

7 M. St-Jean a décrit le rôle des représentants syndicaux et du coprésident siégeant aux CSST locaux. Ce rôle est énoncé dans la loi. Ils doivent recueillir l’information et les préoccupations des employés concernant la santé et la sécurité au travail. Ils doivent effectuer des inspections en milieu de travail et enquêter sur les plaintes et les accidents. De plus, le coprésident de la partie syndicale assume un rôle de meneur auprès des autres représentants syndicaux. Il prépare, en collaboration avec le coprésident de la partie patronale, le procès-verbal des réunions du CSST.

8 M. St-Jean a expliqué que le procès-verbal des réunions est un compte rendu schématisé des questions ayant été soulevées. Il est la principale source d’information pour déterminer comment les parties ont tranché une question. M. St-Jean a déclaré qu’en vertu du Code, les parties étaient tenues de conserver des comptes rendus fidèles. Habituellement, lors d’une réunion du CSST, une personne prend des notes et prépare une première ébauche du procès-verbal. L’ébauche est distribuée aux membres du comité pour qu’ils soumettent des commentaires. Les deux coprésidents intègrent les changements et signent le procès-verbal. Ils s’assurent que le procès-verbal reflète les positions respectives des parties, en l’absence d’un consensus. Une fois approuvé, le procès-verbal est affiché au lieu de travail pour que tous puissent être informés des progrès ou de l’absence de progrès sur différentes questions. Le procès-verbal donne également un aperçu des succès du comité et des résultats qu’il a obtenus.

9 Le plaignant était le deuxième témoin. Il a déclaré être entré à l’emploi de l’ARC comme technicien d’entretien et de machinerie en 2002. À la suite de l’abolition de son poste de technicien, il a été nommé à un poste de commis en 2005. Le plaignant souffre d’une invalidité causée par une maladie environnementale appelée neurotoxicité chimique chronique. Il a été blessé lors d’un accident de travail et s’est alors rendu compte qu’il ne connaissait pratiquement rien au sujet de la santé et sécurité au travail. Il a commencé à s’intéresser à la question et à participer aux activités de son CSST local. Il est devenu membre en 2004, puis coprésident au cours de la même année. Pour parfaire ses connaissances, le plaignant a suivi plusieurs cours sur la santé et sécurité offerts par le Syndicat des employé(e)s de l’impôt, l’AFPC et la Fédération du travail de l’Ontario.

10 Le plaignant a expliqué le rôle du CSST, qui est énoncé à la partie II du Code, ainsi que le rôle des coprésidents. Ils doivent veiller à ce que le comité soit efficace et à ce qu’il respecte son mandat en vertu de la loi et de son règlement. Ils coordonnent également le travail des autres membres du comité. Le CSST se rencontre environ 10 fois par année, et le procès-verbal des réunions est tenu. Les deux coprésidents doivent s’assurer que le procès-verbal reflète les discussions s’étant tenues pendant les réunions.

11 Le plaignant a expliqué le déroulement de la préparation du procès-verbal des réunions du comité. Le secrétaire rédige une première ébauche du procès-verbal à partir des notes qu’il a prises pendant la réunion, puis il l’envoie aux membres du comité qui peuvent suggérer des changements. Les deux coprésidents se rencontrent une fois que les commentaires sont reçus et s’entendent sur une version finale du procès-verbal. Une nouvelle version est préparée et soumise à la réunion suivante du comité pour être approuvée par les membres du comité.

12 L’employeur doit afficher le procès-verbal et en transmettre une copie à l’administration centrale de l’ARC. Le procès-verbal est affiché sur les babillards de santé et sécurité à tous les étages de l’immeuble. Il est également affiché sur l’intranet.

13 Selon le plaignant, certains problèmes de longue date entouraient le contenu et l’affichage des procès-verbaux. Le plaignant a constaté que la mauvaise version du procès-verbal de la réunion d’août 2005 était affichée sur l’intranet. Il s’agissait en effet de l’ébauche du procès-verbal et non de sa version finale. Le syndicat avait soulevé de nombreuses questions dont l’ébauche du procès-verbal ne tenait pas compte, ce qui le préoccupait. Il a décidé de soulever la question à la réunion du CSST du 23 février 2006. Le plaignant estimait que les registres de santé et sécurité, notamment en ce qui concerne l’issue des réunions, devaient être conservés de sorte à ce que les employés soient informés correctement.

14 Le jour suivant la réunion, le plaignant a rencontré M. Gustafson, coprésident de la partie patronale, dans le bureau de ce dernier. Le plaignant soutient qu’il s’agissait essentiellement de la continuation des discussions entamées à la réunion de la journée précédente. Les deux coprésidents ont reconnu l’existence d’un problème de longue date au sujet des procès-verbaux des réunions du CSST. Le plaignant a demandé à M. Gustafson s’ils pouvaient avoir une discussion officieuse, ouverte et franche à ce sujet. Ils ont fermé la porte. Le plaignant a alors parlé de l’affichage de la mauvaise version du procès-verbal par la direction. Il a demandé à M. Gustafson, « Qu’est-ce qui se passe ici? » Le plaignant a également expliqué qu’à l’automne 2005, un employé lui avait rapporté avoir entendu des gestionnaires discuter de ce qu’ils voulaient et ne voulaient voir dans le procès-verbal. Par ailleurs, en ce qui concerne les erreurs dans le procès-verbal, le plaignant a demandé à M. Gustafson : « Est-ce qu’elles ont été faites intentionnellement? »

15 Lorsque l’employé a parlé au plaignant à l’automne 2005, celui-ci l’a remercié de l’information et l’a assuré qu’il ferait enquête. L’employé ne savait pas qui étaient les gestionnaires en question. Il a demandé au plaignant de ne pas révéler son nom par crainte de représailles. À la réunion du 24 février 2006, M. Gustafson a demandé au plaignant le nom de l’employé qui avait entendu la conservation des gestionnaires au sujet du procès-verbal. Le plaignant a refusé de répondre à la question et de fournir le nom de l’employé.

16 Après la réunion, une enquête a été lancée sur l’allégation faite par le plaignant et portée à l’attention de M. Gustafson. Au début, le plaignant n’a pas retourné les appels de Mme Martineau, la responsable de l’enquête. Sur le conseil de M. Aylward, le plaignant a accepté de rencontré le comité d’enquête composé de M. Aylward et de Mme Martineau. Lors de cette rencontre, Mme Martineau a lu la politique en matière de discipline et le Code d’éthique. Elle a demandé le nom de l’employé ayant rapporté au plaignant à l’automne 2005 la discussion de gestionnaires sur le procès-verbal du CSST. Le plaignant a refusé. Il a également été question des mots exacts que le plaignant avait utilisés lors de sa rencontre avec M. Gustafson, le 24 février 2006. Le plaignant ne se rappelait pas ses mots exacts et ne se souvenait pas avoir parlé de « falsification » du procès-verbal, comme en fait état la lettre disciplinaire.

17 M. Aylward a témoigné pour le plaignant. Il siège au Comité national sur la santé et sécurité du SEI. Il a confirmé qu’il était membre du comité d’enquête mis sur pied par la défenderesse pour clarifier deux questions : 1) l’affichage de la mauvaise version du procès-verbal de la réunion du CSST et 2) l’allégation de falsification du procès-verbal faite par le plaignant.

18 En ce qui concerne la première question, le comité d’enquête a constaté que le secrétaire avait commis une erreur en n’envoyant pas la bonne version du procès-verbal aux fins de l’affichage. En ce qui concerne la deuxième question, lorsqu’on lui a demandé de fournir le nom de l’employé, le plaignant a refusé de fournir le nom au comité d’enquête. Il s’intéressait davantage à la question de l’exactitude du procès-verbal. Mme Martineau lui a expliqué les conséquences liées au refus de coopérer avec le comité d’enquête et la pertinence de révéler le nom. Le plaignant a maintenu sa position et a refusé de fournir le nom de l’employé.

19 M. Gustafson était le premier témoin de la défenderesse. Depuis l’automne 2003, il occupe le poste de directeur du Centre technologique d’Ottawa, ARC. Il est à l’emploi de l’ARC et de ses prédécesseurs depuis 1975. Il est l’équivalent d’un sous-ministre adjoint et est responsable de près de 1 000 employés embauchés pour une période indéterminée. L’organigramme démontre que le plaignant relève à quatre niveaux de direction près de M. Gustafson. Depuis juin 2005, M. Gustafson copréside le CSST de l’ARC pour l’immeuble situé au 875, chemin Heron à Ottawa. À ce titre, il est l’équivalent du plaignant en ce qui concerne le CSST.

20 M. Gustafson  a reçu une formation en matière de santé et sécurité. Il connaît le rôle du CSST et les obligations de l’employeur en vertu de la partie II du Code. M. Gustafson a d’abord décidé d’assumer la coprésidence parce que ses prédécesseurs étaient mécontents de l’efficacité du comité. Il a travaillé à l’élaboration d’un cadre de référence en collaboration avec le plaignant pour tenter d’améliorer l’efficacité du comité.

21 Sa relation de travail avec le plaignant à titre de coprésident était somme toute positive. Au fil du temps, les choses sont devenues plus difficiles parce que certains membres du comité étaient très exigeants. M. Gustafson a fourni des exemples démontrant cette affirmation.

22 M. Gustafson a corroboré le témoignage du plaignant concernant la procédure de préparation du procès-verbal. Il a seulement ajouté que ses commentaires initiaux se trouvaient déjà dans l’ébauche du procès-verbal ayant été envoyée aux membres du comité. Il a confirmé qu’il devait se réunir avec le plaignant pour rédiger la version finale du procès-verbal et qu’il arrivait que le procès-verbal ne soit pas terminé avant la réunion suivante.

23 M. Gustafson s’est rappelé la réunion du 24 février 2006, au cours de laquelle le plaignant lui avait rapporté les propos d’un employé qui avait entendu des gestionnaires parler de falsification du procès-verbal du CSST. Il a demandé au plaignant pourquoi il ne lui avait pas fait part de cette information plus tôt. Le plaignant n’a pas répondu à la question. M. Gustafson a réfléchi à la question pendant la soirée et a décidé qu’il fallait faire enquête sur cette allégation. Le jour suivant, il a rencontré Denis Maurice, chef des relations du travail, pour lui demander conseil. Il a alors été décidé de mener une enquête sur les allégations relatives à l’affichage de la mauvaise version du procès-verbal et à la falsification du procès-verbal.

24 L’enquête a permis de conclure que le secrétaire avait commis une erreur en affichant la mauvaise version du procès-verbal. Cependant, en ce qui concerne la deuxième allégation, l’enquête n’a révélé aucune nouvelle information. M. Gustafson voulait le nom de personnes pour pouvoir régler la question, et aucun nom ne lui a été donné. Le plaignant a refusé de coopérer. De concert avec la section des relations du travail, il a été établi que la direction n’avait d’autre choix que de prendre une mesure disciplinaire à l’endroit du plaignant. Son refus de coopérer était inacceptable. Son histoire n’était pas crédible et ses explications étaient incohérentes.

25 Le deuxième témoin de la défenderesse était Donna Martineau, conseillère technique principale, relations du travail, ARC. Elle oeuvre dans le domaine des relations du travail depuis plus de 12 ans. Elle siège également comme conseillère au CSST. Mme Martineau a affirmé qu’on avait demandé au plaignant de coopérer avec le comité créé pour faire enquête sur les allégations concernant le procès-verbal du CSST. Au début, le plaignant n’a pas retourné les appels, mais il a ensuite accepté de comparaître devant le comité. Il a par la suite refusé de coopérer en ne fournissant pas le nom de la personne qui avait fait l’allégation que la direction falsifiait le procès-verbal.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le plaignant

26 Le plaignant demandé à la Commission de déclarer que la défenderesse avait contrevenu à l’article 147 du Code et d’ordonner à la défenderesse de cesser de contrevenir à cet article. Bien que la lettre disciplinaire ait été retirée du dossier du plaignant, parce que deux années se sont maintenant écoulées, la question est toujours très actuelle et n’a pas une teneur théorique.

27 Le plaignant a fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour avoir exercé ses droits en vertu de la partie II du Code. Il a rapporté au coprésident de la partie patronale un problème lui ayant été révélé en confidence par un employé de l’ARC et il a ensuite agi en conformité avec l’alinéa 126(1)g) du Code. L’employé visé a révélé au plaignant des éléments préoccupants au sujet du procès-verbal du CSST. Le plaignant a soulevé la question auprès de la défenderesse et a fait l’objet d’une mesure disciplinaire en conséquence.

28 L’allégation d’inconduite portée par la défenderesse a découlé de l’exercice par le plaignant de droits lui étant conférés par le Code relativement au procès-verbal du CSST. En effet, le paragraphe 135.1 (9) du Code prévoit que le comité doit veiller à la tenue d’un registre précis et des procès-verbaux de ses réunions. Les questions dont le plaignant a fait part à M. Gustafson concernaient le procès-verbal. Le plaignant a fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour avoir refusé de coopérer avec la défenderesse en ne lui fournissant pas le nom de l’employé ayant soulevé la question. Le plaignant ne voulait pas fournir le nom de l’employé de crainte que celui-ci ne subisse des représailles. Il a simplement tenté de protéger cet employé.

29 Au lieu d’enquêter sur les agissements des représentants, la défenderesse s’est concentrée sur le fait que le plaignant refusait de révéler le nom de l’employé concerné. Face à ce refus, la défenderesse a décidé de lui imposer une mesure disciplinaire, s’en prenant ainsi à lui pour avoir exercé ses droits en vertu du Code.

30 Le plaignant est passionné par les questions de santé et sécurité et est dévoué à cette cause. Lorsqu’une allégation délicate au sujet du procès-verbal du CSST a été portée à son attention, il n’en a pas fait part à la réunion du comité, mais a plutôt choisi d’en discuter avec le coprésident de la partie patronale dans le cadre d’une rencontre en privé. Le plaignant n’a pas répété l’allégation à personne d’autre. Il y avait des problèmes concernant le procès-verbal du CSST, et il voulait savoir si ces problèmes étaient le fait d’une erreur humaine ou s’ils étaient intentionnels. Le plaignant a agi de manière responsable.

31 La représentante du plaignant a également souligné le manquement à l’équité procédurale dans le cadre de l’enquête ayant mené à la lettre disciplinaire. La propre politique en matière de discipline de la défenderesse n’a pas été entièrement respectée. Je ne reprendrai pas ces arguments parce qu’ils ne sont pas nécessaires pour me prononcer sur le fond de la plainte.

32 La représentante du plaignant a invoqué les décisions suivantes à l’appui de ses arguments : Ministry of Labour of Ontario v. City of Hamilton (2002), 58 O.R. (3d) 37; Canadian Freightways Limited v. Teamsters Local 31 and Smith (2001), O.H.S.B. décision no 01-025; Borowski c. Procureur général du Canada, [1989] 1 R.C.S. 342; Ouimet c. VIA Rail Canada Inc., [2002] CCRI no 171; Firestone Steel Products of Canada v. International Union, United Automobile, Aerospace and Agricultural Implement Workers of America, Local 27 (1975), 8 L.A.C. (2d) 164; Shaw c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2006 CRTFP 125; King et Waugh c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2005 CRTFP 3.

B. Pour la défenderesse

33 La présente affaire ne s’inscrit pas dans la définition de représailles. Aucune preuve n’a été produite à cet égard. Il faut établir une distinction entre les droits que confère le Code et le comportement d’un employé. La présente affaire concerne le deuxième cas. La défenderesse a imposé une mesure disciplinaire en raison du comportement de l’employé et non parce qu’il exerçait un droit. Le plaignant devait prouver le contraire, ce qu’il n’a pas fait.

34 Le 24 février 2006, le plaignant a dit à M. Gustafson, le coprésident du CSST, qu’un employé lui avait rapporté que la direction avait « falsifié » le procès-verbal du CSST. M. Gustafson n’a pas menacé le plaignant. En raison de la gravité des allégations, il a décidé de demander à quelqu’un des relations du travail de lancer une enquête. L’enquête a été menée, et le plaignant a refusé de coopérer, comme en témoigne la preuve. Il aurait dû savoir qu’en faisant des allégations de cette nature, il devrait les étayer. Son refus de coopérer constituait clairement de l’insubordination. C’est pourquoi il a fait l’objet d’une mesure disciplinaire, non pas parce qu’il a soumis un problème de santé et sécurité à la défenderesse.

35 La défenderesse n’avait aucune raison d’user de représailles à l’encontre du plaignant pour avoir soulevé l’allégation. Elle était motivée par la volonté d’aller au fond des choses. Il a refusé de coopérer à l’enquête et à la réunion disciplinaire. Il a eu plusieurs occasions de coopérer, mais a refusé. Le plaignant a fait preuve d’insubordination, c’est pourquoi il a fait l’objet d’une mesure disciplinaire, non pas parce qu’il a exercé ses droits en vertu du Code.

36 La représentante de la défenderesse a également signalé que la mesure corrective devait se limiter à ce qui était demandé dans la plainte, à savoir l’annulation de la mesure disciplinaire. La lettre disciplinaire a été supprimée du dossier parce que plus de deux années se sont écoulées depuis son envoi. La question n’est plus pertinente puisque la réparation a déjà été accordée. Le plaignant demande maintenant à la Commission de faire une déclaration contre la défenderesse. La Commission n’a pas la compétence nécessaire pour faire une telle déclaration compte tenu que la plainte ne contenait pas une demande à cet égard. Cela signifierait que la Commission accepte de modifier la plainte, ce qui est contraire à la jurisprudence.

37 La représentante de la défenderesse a aussi fait valoir le caractère correct et équitable de l’enquête ayant mené à l’émission de la lettre disciplinaire. Elle a affirmé que la défenderesse avait respecté sa politique en matière disciplinaire. Je ne reprendrai pas ces arguments parce qu’ils ne sont pas nécessaires pour me prononcer sur le fond de la plainte.

38 La représentante du plaignant a invoqué les décisions suivantes à l’appui de ses arguments : Ouimet c. VIA Rail Canada Inc., [2002] CCRI no 171; Blakely c. Algoma Central Corporation et Syndicat canadien des officiers de marine marchande, [2003] CCRI no240; Ridge v. Canadian Pacific Railway Company (1992), 88 di 20 (C.L.R.B.); Gilmore v. Canadian National Railway Company (1994), 96 di 61 (C.L.R.B.); Kucher c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1996), 102 di 121 (C.C.R.T.); Rozon c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada), 2002 CRTFP 30; Vallée c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2007 CRTFP 52; Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 et Sotirakos c. Agence des douanes et du revenu Canada, 2002 CRTFP 38.

IV. Motifs

39 Dans la présente affaire, il incombe au plaignant de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la défenderesse a enfreint l’article 147 du Code, qui est libellé comme suit :

      147. Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre -- ou menacer de prendre -- des mesures disciplinaires contre lui parce que

a) soit il a témoigné -- ou est sur le point de le faire -- dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

40 Exception faite de la question concernant l’utilisation de l’expression « falsifier le procès-verbal », la preuve produite par les parties n’était pas contradictoire. En sa qualité de coprésident du CSST, le plaignant était préoccupé par l’exactitude du procès-verbal des réunions du comité. À la réunion du comité, le 23 février 2006, il a mentionné que le procès-verbal de la réunion d’août 2005 affiché sur le site Web ne correspondait pas au procès-verbal officiel. La mauvaise version avait été affichée. Le lendemain, il a rencontré M. Gustafson, coprésident de la partie patronale, et a soulevé de nouveau la question. Le plaignant a aussi porté à l’attention de M. Gustafson le fait qu’un employé avait entendu des gestionnaires parler de ce qui devrait ou ne devrait pas apparaître dans le procès-verbal des réunions du CSST. La preuve ne permet pas d’établir clairement ce que le plaignant a dit. A-t-il utilisé ou non l’expression « falsifier le procès-verbal »? Le plaignant prétend que non, alors que M. Gustafson soutient qu’il a utilisé ces termes.

41 Ce qui ressort clairement de leur conversation est que le plaignant a fait part de sa préoccupation, d’après les propos rapportés par un employé, selon laquelle le procès-verbal était peut-être inexact parce que des gestionnaires avaient eu l’intention de le modifier ou de le falsifier. Rien dans la preuve ne m’amène à croire que le plaignant accusait la direction de falsification ou de manipulation du procès-verbal. Le plaignant a plutôt rapporté à M. Gustafson les propos d’un employé. Sur ce point, la preuve n’est pas contradictoire.

42 Par la suite, pendant l’enquête et la réunion disciplinaire, le plaignant a refusé de révéler le nom de l’employé. La défenderesse a assimilé ses nombreux refus de révéler le nom à un manque flagrant de coopération et à de l’insubordination. Pour la défenderesse, ce refus était aggravé par le fait que le plaignant avait d’abord refusé de comparaître devant la comité d’enquête et qu’il avait ensuite accepté, mais seulement après que M. Aylward lui avait parlé.

43 Selon le point de vue de la défenderesse, il s’agissait en l’occurrence d’une mesure disciplinaire prise contre un employé ayant porté de graves allégations à l’attention de la direction et ayant ensuite refusé de coopérer pour aller au fond des choses. Cet employé a accusé la direction de falsification des procès-verbaux des réunions du CSST et n’a pas coopéré à l’enquête ayant suivi. Il s’agissait d’insubordination. Selon la perspective du plaignant, en portant l’allégation à l’attention de la direction, il exerçait ses droits en vertu du Code à titre de coprésident du CSST.

44 En vertu du paragraphe 135(1) du Code, l’établissement d’un CSST est obligatoire dans les lieux de travail comptant plus de 20 employés. Le paragraphe 135(10) du Code prévoit que ce comité se réunit au moins neuf fois par année à intervalles réguliers. Le paragraphe 135.1(9) du Code oblige les comités à conserver des registres et des procès-verbaux des réunions :

      135.1(9) Le comité veille à la tenue d’un registre précis des questions dont il est saisi ainsi que de procès-verbaux de ses réunions; il les met sur demande à la disposition de l’agent de santé et de sécurité.

45 Le Code ne précise pas qui est responsable de la tenue des procès-verbaux des réunions. En l’espèce, la pratique était que les coprésidents, le plaignant et M. Gustafson, se partageaient cette responsabilité. Le plaignant a rencontré M. Gustafson pour discuter de possibles actes répréhensibles concernant la rédaction et l’affichage d’un procès-verbal. Il était dans son droit et a agi en conformité avec la partie II du Code en s’assurant de la fidélité du procès-verbal.

46 Le plaignant a fait part de ses préoccupations à M. Gustafson lors d’une rencontre en personne dans le bureau de M. Gustafson. Il n’a pas accusé publiquement la direction d’avoir modifié ou falsifié le procès-verbal. Il n’a pas non plus partagé cette information avec ses collègues du syndicat, ni soulevé la question ouvertement à la réunion du CSST le jour précédent. Il a simplement soumis l’affaire en privé à M. Gustafson. Dans le processus ayant suivi, le plaignant a soutenu ne pas pouvoir divulguer sa source parce qu’il s’était engagé auprès de l’employé à préserver son anonymat. Dans les circonstances, il était pleinement en droit d’agir de cette manière.

47 Compte tenu de tout ce qui précède, il est nécessaire d’établir si le plaignant a fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour avoir exercé ses droits en vertu du Code. Comme mentionné dans Ouimet :

[…]

[56] En outre, le rôle du Conseil n’est pas de déterminer si le degré de discipline était juste, ni même si l’employeur avait juste cause pour imposer quelques mesures disciplinaires que ce soit, comme pourrait le faire un arbitre dans une procédure de grief […] mais d’être convaincu que l’action de l’employeur n’est pas entachée de représailles envers le plaignant pour son rôle de coprésident du Comité et ses autres activités.

[…]

48 Dans Ouimet, la preuve a démontré que le plaignant a fait l’objet d’une mesure disciplinaire parce qu’il ne s’était pas acquitté correctement de ses fonctions à titre d’employé et que la mesure disciplinaire n’était aucunement liée à son poste de coprésident du CSST. Le même principe s’appliquait dans Blakely. La plainte a été rejetée parce que le plaignant n’a pas convaincu le Conseil canadien des relations industrielles que son employeur avait pris des mesures de représailles à son endroit parce qu’il avait exercé ses droits. Le même principe a été appliqué dans Ridge et la même conclusion a été tirée. Dans Gilmore et également dans Kucher, les plaintes ont été rejetées parce que les mesures disciplinaires avaient été imposées aux plaignants parce qu’ils refusaient d’assumer leurs fonctions, sans motif valable.

49 Dans Rozon, la Commission des relations de travail dans la fonction publique a conclu que la sanction imposée au plaignant semblait trop sévère, mais a décidé de ne pas intervenir étant donné qu’elle n’avait pas la compétence nécessaire pour imposer une sanction moins sévère. Dans Vallée, le plaignant n’a pas été en mesure de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existait un lien entre la mesure prise à son endroit et le fait qu’il ait exercé ses droits en vertu du Code.

50 L’affaire Sotirakos, invoquée par la défenderesse, est de nature différente. Mme Sotirakos a contesté la mesure disciplinaire lui ayant été imposée par son employeur pour avoir refusé de fournir des précisions à l’appui d’une allégation qu’elle avait faite par écrit contre un directeur adjoint. L’arbitre de grief a conclu que l’employeur était justifié d’imposer la sanction compte tenu que la fonctionnaire s’estimant lésée avait fondé son accusation sur des ouï-dire. Cette affaire se distingue clairement de la présente affaire du fait qu’elle ne concerne pas l’exercice par un employé de ses droits en vertu du Code ou de toute autre loi.

51 La représentante du plaignant a invoqué Ontario Ministry of Labour et Canadian Freightways Limited pour établir que les mesures législatives relatives à la santé et la sécurité au travail ne devraient pas être interprétées de manière restrictive ou technique. Les affaires Firestone Steel Products of Canada et Shaw ont également été citées pour établir que la norme de conduite attendue d’un représentant syndical, lorsqu’il s’acquitte de fonctions syndicales, est différente de ce que l’on attend d’un employé. Il convient de signaler que les deux dernières affaires ne concernent aucunement l’exercice de droits en vertu du Code.

52 Dans King et Waugh, les plaignants, qui étaient tous deux des représentants syndicaux, ont fait l’objet de mesures disciplinaires pour avoir refusé d’obéir aux ordres répétés de leur employeur. Ce dernier exigeait que les plaignants détruisent un document qu’ils cherchaient à présenter à une réunion du CSST. La Commission des relations de travail dans la fonction publique a accueilli la plainte et a déclaré ce qui suit dans ses motifs :

[…]

[105] La preuve a démontré que l’employeur a suspendu les plaignants parce qu’ils refusaient de détruire un document. Or, dans leurs fonctions de membres d’un comité de santé et de sécurité au travail, les deux plaignants avaient parfaitement le droit de porter des questions à l’attention du comité. Quel était l’objet de ce comité? Le paragraphe 135(1) du Code dispose qu’il consiste à « examiner les questions qui concernent le lieu de travail en matière de santé et de sécurité ». En ordonnant la destruction d’un document qui, la preuve l’a montré, ne constituait pas une infraction de l’article 107 de la Loi sur les douanes, l’employeur a empêché les plaignants d’examiner ces questions de santé et de sécurité en se servant des données qu’il contenait, et il a par conséquent enfreint le Code.

[…]

53 Dans King et Waugh, la défenderesse a fait valoir que la sanction disciplinaire avait été imposée en raison de leur inconduite, à savoir le refus d’obéir à un ordre. La défenderesse estimait qu’il n’y avait aucune indication de mauvaise foi et soutenait avoir tenté à maintes reprises d’amener les employés à obtempérer avant d’entamer une procédure disciplinaire. Il s’agissait d’un cas d’insubordination, rien de plus et rien de moins.

54 L’affaire King et Waugh diffère de l’affaire qui nous occupe en certains points, mais présente également plusieurs similitudes. Dans la présente affaire, le plaignant a refusé de révéler à la direction le nom d’un employé, au lieu de refuser de détruire un document. Les plaignants dans King et Waugh ont écopé de mesures disciplinaires pour avoir refusé d’obéir à un ordre. Le plaignant en l’espèce a fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour ne pas avoir coopéré avec une enquête et pour avoir refusé à maintes reprises de révéler un nom. Comme dans le cas de MM. King et Waugh, la mesure disciplinaire découlait d’agissements et de comportements à titre de représentant syndical en matière de santé et sécurité.

55 Il ressort clairement de la preuve que la mesure disciplinaire a été prise à l’endroit du plaignant à la suite d’une action, en l’occurrence la déclaration faite à M. Gustafson en sa qualité de coprésident du CSST. Le plaignant voulait s’assurer que les procès-verbaux des réunions du comité étaient tenus avec exactitude. En agissant ainsi, il a exercé un droit prévu par le Code.

56 Ce que j’ai entendu à l’audience m’amène à conclure que le plaignant est une personne honnête qui est très dévouée à la cause de la santé et sécurité au travail. Je crois qu’il a agi de bonne foi lorsqu’il a rencontré M. Gustafson pour lui faire part de ses préoccupations au sujet des propos rapportés par un employé. Rien dans la preuve ne démontre qu’il ait prétendu que la direction falsifiait les procès-verbaux. Il a simplement soulevé la question dans le cadre d’une rencontre informelle avec M. Gustafson. Sa préoccupation concernant l’exactitude du procès-verbal était légitime. Il a tenté d’appliquer le paragraphe 135.1(9) du Code, comme il était en droit de le faire à titre de coprésident du CSST. Le plaignant n’était nullement obligé de divulguer le nom de l’employé lors de l’enquête. Il était pratiquement impossible pour la direction d’identifier les gestionnaires fautifs, le cas échéant, sans le nom du témoin de leur conversation. Cependant, la direction n’avait pas pour autant le droit de prendre une mesure contre le plaignant.

57 La défenderesse a soulevé deux autres questions interreliées. La première porte sur la doctrine du caractère théorique et la deuxième, sur la mesure corrective demandée par le plaignant.

58 La défenderesse a expliqué que la lettre disciplinaire avait déjà été retirée du dossier du plaignant étant donné que plus de deux années s’étaient écoulées. Il n’y avait plus matière à litige et on pouvait affirmer que la question était théorique. Dans Borowski, la Cour suprême du Canada a écrit ceci au sujet de la doctrine relative au caractère théorique :

[…]

15.  La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu’un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu’une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s’applique quand la décision du tribunal n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l’affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l’action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l’introduction de l’action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu’il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. Le principe ou la pratique général s’applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n’exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l’appliquer. J’examinerai plus loin les facteurs dont le tribunal tient compte pour décider d’exercer ou non ce pouvoir discrétionnaire.

16.  La démarche suivie dans des affaires récentes comporte une analyse en deux temps. En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire. La jurisprudence n’indique pas toujours très clairement si le mot « théorique » (moot) s’applique aux affaires qui ne comportent pas de litige concret ou s’il s’applique seulement à celles de ces affaires que le tribunal refuse d’entendre. Pour être précis, je considère qu’une affaire est « théorique » si elle ne répond pas au critère du « litige actuel ». Un tribunal peut de toute façon choisir de juger une question théorique s’il estime que les circonstances le justifient.

[…]

59    Je ne souscris pas à l’argument de la défenderesse relativement au caractère théorique. Ma décision aura l’effet pratique de résoudre un litige qui a ou peut avoir des conséquences sur les droits des parties. Par ailleurs, la décision n’est pas purement théorique. Elle répond au critère du « litige actuel ». Bien que la lettre de réprimande ait effectivement été retirée du dossier du plaignant, il demeure pertinent que je détermine si la mesure disciplinaire a été prise à l’endroit du plaignant parce qu’il a exercé un droit prévu par le Code. La résolution de ce litige pourrait être fort utile à titre de ligne directrice pour les relations futures des parties en matière de santé et sécurité. D’autres questions et préoccupations seront soulevées dans le lieu de travail des parties, et d’autres litiges surviendront probablement dans le futur entre les parties. 

60    En dernier lieu, je conclus que j’ai compétence pour formuler une déclaration portant que la défenderesse a enfreint l’article 147 du Code en imposant une mesure disciplinaire au plaignant et pour ordonner à la défenderesse de cesser de contrevenir à l’article 147. Si la lettre de réprimande se trouvait toujours dans le dossier du plaignant, j’aurais ordonné son annulation. Le motif de ma décision aurait été que la mesure prise par l’employeur était contraire à la loi. La lettre de réprimande n’existe plus, non pas en raison d’une ordonnance rendue par la présente Commission, mais en raison de l’expiration du délai. Néanmoins, la conclusion demeure. Je crois qu’une déclaration s’impose pour affirmer les droits du plaignant, en conformité avec l’esprit du Code.

61    L’acceptation de ce recours subsidiaire ne va pas à l’encontre du principe établi dans Burchill. Dans cette affaire, la Cour a conclu qu’un fonctionnaire s’estimant lésé ne pouvait pas modifier son grief après le renvoi de celui-ci à l’arbitrage. Dans l’affaire qui nous occupe, la Commission entend une plainte. Il n’est pas question d’un grief ayant été renvoyé au dernier palier, puis à l’arbitrage. Le dépôt d’une plainte auprès de la Commission est l’unique recours offert à une personne qui veut contester une mesure prise par son employeur, en vertu de l’article 133.

62    De plus, je ne suis pas d’accord pour dire que le plaignant a modifié sa plainte. J’estime plutôt qu’il a proposé un recours approprié, étant donné que la présente audience s’est tenue plus de 24 mois après l’imposition de la mesure disciplinaire.

63    Dans Vallée, la Commission a proposé quatre critères pour accueillir une plainte.

64. Le plaignant devait donc démontrer :

  1. qu’il a exercé ses droits en vertu de la partie II du CCT (l’article 147);
  2. qu’il a subi des représailles (articles 133 et 147 du CCT);
  3. que ces représailles sont de nature disciplinaire telles que définies dans le CCT (l’article 147);
  4. qu’il existe un lien direct entre l’exercice de ses droits et les mesures subies.

64    En l’espèce, le plaignant a exercé ses droits en vertu du Code, il a subi des représailles de nature disciplinaire et il a établi, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un lien direct entre l’exercice de ses droits et la mesure prise contre lui.

65    En conclusion, le plaignant a été victime de représailles illégales telles que définies à l’article 147 du Code en faisant l’objet d’une mesure disciplinaire, le 27 mars 2006. La défenderesse n’avait pas le droit d’imposer une telle mesure disciplinaire à l’endroit du plaignant.

66    Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

67    La plainte est accueillie.

68    La Commission déclare que la défenderesse, l’Agence du revenu du Canada, a enfreint l’article 147 du Code.

69    La Commission ordonne à la défenderesse, l’Agence du revenu du Canada, d’afficher la présente décision sur tous les babillards de santé et sécurité du 875, chemin Heron, Ottawa (Ontario), pendant un minimum de deux mois, ainsi que sur l’intranet.

Le 2 juin 2008.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
commissaire

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