Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les plaignantes ont porté plainte contre l’agent négociateur qui, selon elles, ne les avait pas suffisamment aidé à obtenir un poste permanent - l’employeur n’avait pas renouvelé leurs contrats à durée déterminée - la Commission a jugé que l’agent négociateur s’était acquitté de son devoir à l'égard des plaignantes - l’agent négociateur avait appuyé les plaignantes dans leurs premières démarches, puis avait payé pour un avis juridique - l’avocat déconseillait la poursuite du dossier des plaignantes - l’agent négociateur n’avait aucune obligation de payer pour l’avis juridique d’un deuxième avocat, plus favorable à la cause des plaignantes. Plaintes rejetées.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-08-27
  • Dossier:  561-02-126, 128, 129 et 130
  • Référence:  2008 CRTFP 70

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

HÉLÈNE DUMONT, FRANÇOISE GAUTHIER TARDIF, MICHELINE BOULAY,
ET FRANCINE JOMPHE

plaignantes

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

Répertorié
Dumont et al. c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant des plaintes visées à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Marie-Josée Bédard, vice-présidente

Pour les plaignantes:
Hélène Dumont

Pour la défenderesse:
Guylaine Bourbeau, Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire entendue à Québec (Québec),
le 18 juin 2008.

I. Plaintes devant la Commission

1 Les plaignantes, Hélène Dumont, Françoise Gauthier Tardif, Micheline Boulay et Francine Jomphe, ont chacune déposé une plainte contre leur syndicat, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (la « défenderesse »). Les plaintes ont initialement été déposées à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») le 10 novembre 2006. À la suite d’une demande de précisions de la part de la Commission, des plaintes amendées ont été déposées le 27 décembre 2006.

2 Les plaignantes ont indiqué, à la partie 3 du formulaire de plainte, qu’elles fondaient leurs plaintes sur l’alinéa 190(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). Cet alinéa traite d’une contravention de l’employeur ou de l’agent négociateur à l’obligation de négocier de bonne foi prévue à l’article 106 de la Loi.

3 En date du 2 novembre 2007, les plaignantes ont demandé à la Commission de joindre leurs plaintes et de rendre une décision unique qui s’appliquerait à chacune des plaintes.

II. Objections à la compétence de la Commission

4 La défenderesse a soulevé deux objections à la compétence de la Commission pour instruire les plaintes. Dans le cadre de la première objection, la défenderesse a soutenu que les plaintes avaient été déposées à l’extérieur du délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi. Aux termes de la seconde objection, la défenderesse a allégué que les plaignantes ne pouvaient valablement fonder une plainte contre leur syndicat sur la base de l’alinéa 190(1)b) de la Loi, qui traite de l’obligation de négocier de bonne foi.

5 Les deux objections ont été prises sous réserve et les plaignantes ont fourni une preuve tant à l’égard des objections que du bien-fondé de leurs plaintes. La défenderesse pour sa part, n’a pas fourni de preuve.

6 Après avoir entendu la preuve soumise par les plaignantes, la défenderesse a retiré son objection relative au délai de présentation des plaintes, mais elle a maintenu la seconde relative à l’objet des plaintes.

III. Résumé de la preuve

7 Essentiellement, les plaignantes reprochent à la défenderesse de les avoir mal dirigées et mal représentées dans le cadre des recours qu’elles ont entrepris pour contester leurs mises à pied. Mme Dumont, qui agissait comme représentante principale des plaignantes, a témoigné pour présenter le cours des événements ayant mené au dépôt des plaintes.

8 Les plaignantes étaient à l’emploi de Développement des ressources humaines Canada (DRHC ou l’« employeur ») en vertu de contrats à durée déterminée. Le 26 septembre 2003, à l’échéance de leur contrat, elles ont été mises à pied. À cette date, elles occupaient leur poste depuis près de 2 ans et 9 mois. Elles ont été réembauchées vers le 15 décembre 2003. Elles prétendent que l’employeur les a mises à pied pour une période de plus de 60 jours consécutifs afin de les empêcher de cumuler trois ans de service continu et d’obtenir un poste de durée indéterminée.

9 Mme Dumont a déclaré que, sur recommandation de leur syndicat local, les plaignantes ont dans un premier temps contesté leurs mises à pied auprès de la Commission de la fonction publique (CFP). Elles y ont déposé une demande d’enquête le 6 novembre 2003.

10 Dans une correspondance du 22 mars 2004 adressée à Mme Dumont, le greffier adjoint de la CFP a indiqué que la problématique soulevée par les plaignantes ne relevait pas de la CFP et que la Politique sur l’emploi pour une période déterminée qui était applicable en l’espèce, relevait du Conseil du Trésor. Dans cette correspondance, le greffier adjoint a plus précisément renvoyé Mme Dumont à la section 8 de lapolitique du Conseil du Trésorqui « charge le ministère de prévoir un mécanisme d’examen temporaire de recours à l’intention des employés nommés pour une période déterminée qui estiment que leur mandat n’est pas renouvelé dans le but d’éviter qu’ils soient nommés pour une période indéterminée. »

11 En date du 22 avril 2004, la défenderesse, par l’entremise de Marc Labrecque, a déposé auprès du Conseil du Trésor une plainte contestant les mises à pied des plaignantes.

12 Cette plainte a été traitée par l’Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique du Canada. Dans une correspondance datée du 26 juillet 2004 et adressée à M. Labrecque, Richard Burton, vice-président, Modernisation de la gestion des ressources humaines, conclut à la lumière de l’enquête effectuée auprès de DRHC, que la décision du Ministère de ne pas prolonger le contrat des plaignantes était fondée sur des besoins opérationnels et que cette décision était conforme à l’objectif poursuivi par la politique de préserver un équilibre entre le traitement équitable des employés nommés pour des périodes déterminées et le besoin de flexibilité opérationnelle.

13  Mme Dumont a déclaré qu’entre le mois d’août 2004 et le mois d’octobre 2005, les plaignantes ont poursuivi leurs démarches auprès de l’employeur. Elle a également indiqué qu’une directrice nouvellement arrivée avait reconnu l’injustice qu’elles avaient vécue. Sur la base de ce nouveau contexte, les plaignantes ont décidé de ressaisir M. Burton de leur dossier.

14 Le 24 octobre 2005, M. Labrecque, au nom des plaignantes, a adressé à M. Burton une demande de révision de la décision rendue en juillet 2004.

15 Le 25 novembre 2005, M. Burton a rejeté en ces termes la demande de révision :

[…]

          Comme vous le savez, la gestion de la Politique sur l’emploi pour une période déterminée (PEPD) incombe aux ministères. Par conséquent, l’Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique du Canada (AGRHFPC) ne s’ingère ni dans la gestion quotidienne de la PEDP, ni dans la gestion quotidienne des ressources humaines ministérielles.

          Ainsi, lorsque nous avions reçu votre plainte du 22 avril 2004, notre intervention consistait à vérifier si la décision prise par le ministère violait l’esprit de la politique. Après analyse des informations dont nous disposions, il était apparu que la décision prise par le ministère (au moins 3 mois avant que les plaignantes ne totalisent 3 ans de service) de ne pas prolonger le contrat des employés plaignantes était justifié par des contraintes budgétaires et ne constituait guère une violation de la PEPD.

          Vous affirmez dans votre lettre que la situation vient de changer au ministère, car l’ancienne administration a été remplacée par une nouvelle, et que cette dernière a officieusement admis qu’il y a eu injustice dans le présent dossier, sans toutefois corriger la situation. Nous devons malheureusement réitérer que la gestion de la PEPD et la planification des ressources humaines sont avant tout la responsabilité du ministère. Il lui appartient d’organiser ses ressources humaines conformément à ses besoins et au budget dont il dispose, et de gérer les conflits qui, parfois peuvent survenir. Alors, nous vous suggérons de continuer vos discussions avec les personnes responsables.

[…]

16 Il appert de divers courriels qui ont été déposés en preuve que des discussions entre les plaignantes et les représentants locaux de la défenderesse se sont par la suite poursuivies et que plusieurs échanges ont également eu lieu entre divers représentants de la défenderesse quant aux suites à donner au dossier des plaignantes.

17 En avril 2006, la défenderesse a accepté de soumettre le dossier à un avocat. Des délais ont été occasionnés par la nécessité pour la défenderesse de trouver un avocat francophone. Il ressort des courriels échangés entre divers représentants de la défenderesse qu’à un certain moment la section locale de la défenderesse était insatisfaite des délais encourus par les représentants de la défenderesse au bureau d’Ottawa pour traiter la demande d’avis juridique et trouver un avocat francophone. Le dossier a finalement été acheminé à Me Ronald Bélec du cabinet Bélec & Associés.

18 Me Bélec a émis un avis juridique écrit en date du 15 août 2006. Voici un extrait de cet avis juridique :

[…]

La raison invoquée de ne pas prolonger le contrat des employés (plaignantes) était justifiée selon le ministère concerné par des contraintes budgétaires et si tel est le cas, cette décision ne constituerait pas une violation de la Politique sur l’emploi pour une période déterminée (PEPD).

Aussi, dans les circonstances, le fardeau de prouver qu’il y a eu une injustice en ne renouvelant pas le contrat avant l’expiration des trois (3) ans de l’embauche incombe aux plaignantes.

Il n’y a de par la loi ou les règlements adoptés par le Conseil du Trésor, aucun recours prévu afin de corriger la situation s’il y a eu une injustice de commise puisque le ministère a un pouvoir discrétionnaire qu’il peut exercer selon ses besoins, à condition que ce pouvoir ne soit pas exercer [sic] d’une façon malhonnête ou injuste. Seule une plainte peut dénoncer cet état de faits et cette plainte doit être traitée avec objectivité, impartialité et dans un délai raisonnable par le ministère.

Le Ministère aurait donc le pouvoir et le droit de gérer les conflits qui peuvent survenir à la suite de ses décisions qui mettent fin à tous contrats d’embauche qui se terminent de par sa décision, avant les trois (3) ans plus haut discutés.

Enfin, il faut se rappeler que la gestion de la Politique sur l’emploi pour une période déterminée (PEPD) et la planification des ressources humaines sont de la seule responsabilité et compétence du ministère concerné. En cette qualité, il appartient audit ministère toujours selon la nouvelle politique émise par le Conseil du Trésor, de gérer, d’organiser et de décider des besoins en ressources humaines sans qu’il n’y ait possibilité d’appel. Il a donc seul la responsabilité pour le faire conformément à ses besoins et selon le budget administratif dont il dispose.

Il n’y a donc qu’une suggestion à retenir et c’est de continuer les négociations avec les administrateurs responsables de ce programme au ministère.

À retenir qu’il s’est écoulé plus de deux (2) ans depuis la décision défavorable. Le temps presse car la plainte deviendra caduque si tel n’est pas le cas présentement.

Enfin, nous ne saurions vous informer à ce stade, sur les chances des six (6) plaignantes de faire vérifier par la Cour fédérale du Canada la décision contestée du ministère.

Il faut se rappeler que le système plus haut décrit, instauré par le Conseil du Trésor, était connu et accepté par les plaignantes au moment de leur emploi. Il n’y avait rien de sous-entendu. Elles connaissaient bien les règles du jeu.

Aussi, cette avenue devant la Cour fédérale du Canada serait très difficile compte tenu pour les plaignantes, de prouver que le ministère a agi d’une façon malhonnête, malicieuse et injuste à leur endroit, que ce dernier n’a pas observé les règles du Conseil du Trésor, sans oublier qu’il s’est écoulé plus de deux (2) ans depuis la formulation de la plainte déposée auprès du ministère.

[…]

[Le passage souligné est dans l’original]

19  Mme Dumont a déclaré que les plaignantes n’avaient jamais rencontré Me Bélec ou discuté avec lui avant qu’il émette son avis juridique, et qu’elles ne savaient pas sur quelle information il avait fondé son opinion.

20 Mme Dumont a ajouté que le 29 septembre 2006, les plaignantes ont fait parvenir une lettre à leur représentante syndicale locale, Mona Labbé, lui demandant de transmettre à Me Bélec une demande de précisions au regard de son avis juridique. Mme Dumont a déclaré n’avoir jamais obtenu les précisions demandées.

21 Insatisfaites de l’opinion émise par Me Bélec, les plaignantes ont décidé de consulter un second avocat, Me Marcel Croteau. Cette consultation a eu lieu le 28 septembre 2006. Dans un courriel adressé à Mme Dumont le 3 octobre 2006, Me Croteau a écrit :

[…]

La façon dont vos contrats de travail sont interrompus puis renouvelés mérite qu’on s’interroge sur la légalité de ce processus qui a pour effet de vous empêcher d’acquérir un statut plus stable au sein de la fonction publique fédérale. La précarité des emplois ne devrait pas, selon nous, être une politique de gestion acceptable et il y a matière à examiner les tenants et aboutissants de ce dossier pour en vérifier la validité sur le plan juridique.

Comme nous vous l’avons indiqué une telle étude implique inévitablement des coûts. C’est pourquoi nous vous avons conseillé d’en discuter avec votre syndicat qui devrait, selon notre humble point de vue, et compte tenu de son devoir de représentation, vous assister dans la recherche du respect de votre stabilité et dignité comme employées et, notamment, commander une étude beaucoup plus élaborée que celle que vous nous avez montrée.

[…]

22 Le 3 octobre 2006, Mme Dumont a sollicité l’aide de la défenderesse pour recevoir de sa part une aide financière pour poursuivre les démarches juridiques. La demande de Mme Dumont se lit comme suit :

[…]

Suite à notre plainte concernant notre congédiement injustifié et après consultation auprès d’un avocat d’une firme privée, nous sollicitons votre aide financière pour poursuivre notre démarche juridique.

Entant [sic] que membre du syndicat, nous comptons énormément sur votre aide pour conclure la bataille que nous menons depuis plusieurs années.

[…]

23 Le 10 octobre 2006, Mme Labbé a fait parvenir aux plaignantes le courriel qu’elle avait reçu de Réjean Genest, vice-président régional (Québec) de la défenderesse :

[…]

Salut, lorsque j’avais rencontré ces membres la dernière fois, (et tu étais présente) c’était pour accepter qu’une demande soit faite au SSBE National afin qu’il trouve un avocat francophone pour étude du dossier et que cela serait la dernière action demandée et payée par le National,
l’avocat après étude
prendrait une décision si l’on continu ou non la défense de ce dossier.
J’avais clairement signifié à dette rencontre que si ces membres entreprendraient d’autres démarches, cela serait à leurs frais…
Ceci dit, je suis d’accord à ce que l’avocat désigné par le SSBE ré-value le dossier et répondre aux questions des membres et ensuite une décision finale….(poursuivre le dossier ou non)

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

24 Le 21 novembre 2006, Gary Trivett, représentant de la défenderesse à Ottawa, a écrit un courriel à M. Genest répondant à la demande de précisions formulée par les plaignantes à l’égard de l’avis juridique de Me Bélec. Il s’y exprime comme suit :

[…]

Je suis en retard avec mes réponses à mes couriels. J’ai bien reçu la demande de questions pour l’avocat à qui j’ai demandé l’opinion.

On me dit qu’une opinion légale est toujours la propriété du juriste qui l’a émise. Son opinion est sana doute basé sur sa lecture du dossier et je mal ma position de lui demander une deuxième opinion basée sur l’opinion d’un autre juriste.

Les membres voulaient une opinion sur la chance de leur cause, ils ne la trouve pas favorable alors ils demandent la question à un autre juriste qui lui leur donne la réponse qu’ils veulent.

Je crois que nous avons remplis notre mandat, comme toujours si les membres veulent entreprendre autres démarches ils sont libre de le faire mais comme Mona et toi leurs ont expliqués, les démarches seraient à leur frais.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

25 Mme Dumont a déclaré avoir discuté de ce refus de la défenderesse d’assumer les frais d’avocat avec Me Croteau qui lui aurait mentionné la possibilité de déposer une plainte à la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Mme Dumont a précisé que Me Croteau ne les a pas aidé dans la préparation de la plainte.

26 Mme Gauthier a témoigné au sujet de la préparation de la plainte. Elle a déclaré qu’elles manquaient toutes de connaissance de la Loi et qu’elles n’avaient aucune expertise dans ce domaine. Mme Gauthier a ajouté qu’elles n’avaient pas eu d’aide et qu’elles avaient mal interprété la Loi, ce qui avait fait en sorte qu’elles avaient choisi le mauvais article.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Objection à la compétence de la Commission

1. Pour la défenderesse

27 La défenderesse a soutenu que l’alinéa 190(1)b) de la Loi ne donne pas ouverture à un recours individuel ni à un recours basé sur les circonstances alléguées par les plaignantes.

28 L’alinéa 190(1)b) réfère à une contravention par l’employeur ou l’agent négociateur, à l’obligation prévue à l’article 106 de négocier de bonne foi. Cette disposition interpelle deux interlocuteurs, l’employeur et l’agent négociateur dans le contexte précis de la négociation d’une convention collective. Elle n’offre aucun recours individuel aux membres d’une unité de négociation. La défenderesse a également soutenu que la Commission n’a pas la compétence de statuer sur le redressement recherché par les plaignantes qui réclament que l’employeur leur accorde la permanence. La défenderesse m’a renvoyé à la décision rendue dans Dumont et al. c. Ministère du Développement social, 2008 CRTFP 15.

29 La défenderesse s’est également opposée à ce que les plaignantes puissent amender leurs plaintes pour invoquer d’autres dispositions de la Loi. Selon la défenderesse, les plaignantes ont pu bénéficier des conseils d’un avocat avant de déposer leurs plaintes. Les plaintes ont été déposées en bonne et due forme et doivent être prises pour ce qu’elles sont.

2. Pour les plaignantes

30 Les plaignantes ont soutenu avoir rédigé les plaintes au meilleur de leurs connaissances. Elles ont lu l’article 190 de la Loi et elles ne trouvaient aucun paragraphe qui pouvait bien s’appliquer à leur dossier. Sur le formulaire de plainte, elles ont donc coché le paragraphe qui leur apparaissait le plus approprié. Elles ont soutenu ne pas être des expertes et ne pas avoir reçu d’aide pour rédiger leurs plaintes. De façon subsidiaire, les plaignantes ont demandé la possibilité de modifier leurs plaintes afin que le bon article de la Loi soit invoqué.

B. Bien-fondé des plaintes

1. Pour les plaignantes

31 Les plaignantes ont soutenu avoir été mal dirigées et mal représentées par la défenderesse et ce depuis le début des démarches entreprises pour contester leurs mises à pied. Elles reprochent plus précisément à la défenderesse de ne pas avoir initialement entrepris le recours approprié pour contester leurs mises à pied. Elles lui reprochent également son refus d’assumer les honoraires de Me Croteau pour qu’il poursuive le dossier.

2. Pour la défenderesse

32 La défenderesse a soutenu avoir assumé adéquatement son devoir de représentation à l’égard des plaignantes. Elle a invoqué que la preuve, et notamment les documents déposés par les plaignantes, démontre clairement que la défenderesse a appuyé les démarches des plaignantes et s’est occupée du dossier et ce à toutes les étapes. La défenderesse a ajouté être allée au-delà de ses obligations en retenant les services d’un avocat pour qu’il analyse le dossier des plaignantes. La défenderesse a également soutenu que le désaccord des plaignantes avec l’avis émis par l’avocat ne signifie pas que l’avis juridique était erroné. Rien n’indique non plus que l’avis émis par le second avocat consulté par les plaignantes constituait « la bonne réponse ». De plus, la défenderesse a soutenu que les plaignantes savaient que si elles entreprenaient des démarches auprès d’un autre avocat que celui retenu par la défenderesse, ce serait à leurs frais.

V. Motifs

A. Objection à la compétence de la Commission

33 Les plaintes soumises à la Commission doivent être formulées en utilisant le formulaire prévu à cet effet. À la partie 3 du formulaire de plainte, le plaignant ou la plaignante doit cocher l’alinéa de la Loi sur lequel la plainte est fondée. Les plaignantes ont coché l’alinéa 190(1)b) qui traite d’une contravention à l’obligation de négocier de bonne foi.

34 Bien que les plaignantes aient indiqué dans le formulaire de plainte que leurs plaintes étaient fondées sur une contravention à l’obligation de négocier de bonne foi, il appert clairement du témoignage de Mmes Dumont et Gauthier Tardif que les plaignantes reprochent à la défenderesse de ne pas avoir satisfait à son obligation de juste représentation à leur endroit. Le formulaire de plainte comporte lui aussi des indications des reproches formulés à l’endroit de la défenderesse.

35 La partie 8 du formulaire de plainte requiert d’un plaignant qu’il précise les « Démarches entreprises […] en vue de remédier à l’action, l’omission ou la situation ayant donné lieu à la plainte. » Les plaignantes y ont inscrit ce qui suit :

Suite à notre plainte nous avons eu plusieurs rencontres avec notre syndicat local. Notre syndicat a demandé au National de nous trouver un avocat. La réponse reçue de cet avocat “Roland Bélec” ne nous a pas satisfait. Nous avons essayé d’avoir plus d’explications auprès de cet avocat mais M Gary Trivet [sic] nous a répondu que l’avocat n’avait pas à justifier sa décision.
Nous avons été voir un autre avocat d’une firme privée pour discuter de notre cas. Cet avocat a trouvé notre cause valable. Il était d’accord pour prendre notre cause mais financièrement nous ne pouvions pas continuer. Nous avons demandé l’aide de notre syndicat mais M. Gary Trivett du National nous a donné une réponse négative.

36 À la partie 10 du formulaire de plainte (« Autres renseignements pertinents à la plainte »), les plaignantes ont écrit : « Nous pensons que notre syndicat ne nous a pas défendu et représenté adéquatement dans cette cause. »

37 À la partie 3 du formulaire de plainte, les plaignantes ont coché le mauvais alinéa de la Loi. Les plaignantes auraient dû invoquer, au soutien de leurs plaintes, l’alinéa 190(1)g) qui prévoit l’instruction d’une plainte pour pratique déloyale au sens de l’article 185. L’article 185 de la Loi précise que « pratiques déloyales » s’entend notamment de ce qui est interdit par l’article 187 qui prévoit ce qui suit :

      187. Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

38 J’estime qu’il s’agit d’une situation où le fond doit l’emporter sur la forme et qu’en l’espèce, les plaintes doivent être considérées comme étant des plaintes fondées sur l’alinéa 190(1)g) de la Loi. L’article 241 de la Loi prévoit d’ailleurs qu’un vice de forme ou de procédure ne peut servir à invalider les procédures décrétées par la Loi. J’estime que l’erreur des plaignantes, dans les circonstances présentes, constituait un vice de forme ou de procédure.

39 Dans un premier temps, il est clair que les plaignantes ne sont pas des juristes ou des expertes en droit du travail. Or, il est loin d’être évident pour un néophyte qui doit identifier sur quel alinéa du paragraphe 190(1) de la Loi il fonde sa plainte, que l’alinéa 190(1)g) qui traite de pratique déloyale inclut le défaut de juste représentation.

40 De plus, et tel qu’indiqué précédemment, il appert clairement, et des formulaires de plaintes, et de la preuve entendue que dès le départ, le reproche formulé à l’endroit de la défenderesse a trait au devoir de représentation de la défenderesse. À cet égard la défenderesse n’a pu être prise par surprise par les allégations des plaignantes puisqu’elle avait en sa possession les formulaires de plainte. D’ailleurs dans une correspondance datée du 24 janvier 2007 adressée à la Commission, la représentante de la défenderesse, identifiait comme suit les allégations des plaignantes :

[…]

Les allégations de mesdames Dumont, Guay, Gauthier-Tardif, Boulay et Jomphe portent sur le refus du syndicat de défrayer les coûts d’un second avocat d’une firme privée dans leur représentation à l’égard d’une plainte déposée en 2003 à la Commission de la fonction publique ainsi qu’une plainte déposée contre le Conseil du trésor en 2004.

[…]

41 J’estime donc qu’il y a lieu, compte tenu des circonstances particulières du présent dossier, de considérer les plaintes comme étant fondées sur l’alinéa 190(1)g) de la Loi. L’objection formulée par la défenderesse est donc rejetée.

B. Décision sur le bien-fondé des plaintes

42 Je dois maintenant déterminer, conformément à l’article 187 de la Loi, si la défenderesse a agi de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi dans le traitement du dossier des plaignantes.

43 Traitant du devoir de représentation des syndicats, la Cour suprême du Canada a résumé les principes applicables dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon,[1984] 1 R.C.S. 509 :

[…]

De la jurisprudence et de la doctrine consultées se dégagent les principes suivants, en ce qui touche le devoir de représentation d’un syndicat relativement à un grief:

  1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

  2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

  3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

  4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

  5. Le représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[…]

44 Ces principes constituent des paramètres généraux qui s’appliquent à l’égard du devoir de juste représentation d’un syndicat de façon générale et ils ne se limitent pas aux seuls cas de griefs.

45 En l’espèce la preuve ne permet pas de conclure que la défenderesse a agi de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi dans le support apporté aux plaignantes et dans le suivi accordé aux dossiers de contestation des plaignantes.

46 La preuve établit clairement que dès la mise à pied des plaignantes, la défenderesse a accompagné et conseillé les plaignantes quant aux divers recours qu’elles pouvaient entreprendre.

47 Les plaignantes ont dans un premier temps contesté leurs mises à pied, sur la recommandation de la défenderesse, auprès de la CFP. Bien que la CFP ait refusé de se saisir des contestations des plaignantes pour défaut de compétence, rien ne démontre que la contestation déposée était farfelue. Qui plus est, il est reconnu par la jurisprudence que le syndicat a droit à l’erreur dans son évaluation d’un dossier. Dans Jakutavicius c. Alliance de la Fonction publique du Canada,2005 CRTFP 70,la Commission mentionnait, au paragraphe 125 :

[125] La défenderesse a le droit de commettre une erreur dans son évaluation du dossier. Le devoir de représentation juste n’équivaut pas à une garantie contre les erreurs et omissions. Les tribunaux et les commissions des relations du travail ont traité de cette question à plusieurs reprises. Dans la décision Quesnel v. Ontario Public Service Employees Union and Ministry of the Attorney General, [2004] CRTO Rep. janvier/février 133 (QL), la Commission des relations de travail de l’Ontario a commenté en ces termes :

[Traduction]

[…]

[…] le simple fait qu’un représentant syndical ait commis une erreur dans sa façon de traiter un grief pour le compte d’un employé ne signifie pas nécessairement que le syndicat a enfreint son devoir de représentation juste, même si cette erreur a entraîné un préjudice pour le ou les employés concernés […]

[…]

48 En l’espèce, l’erreur commise en dirigeant la contestation devant le mauvais forum, si ce choix constituait une erreur, n’a entraîné aucun préjudice pour les plaignantes. En effet, suite au refus de la CFP de se saisir des contestations des plaignantes, la défenderesse a déposé une plainte au Conseil du Trésor. Bien que cette plainte ait été rejetée le 26 juillet 2004, elle a été traitée au mérite et le délai de présentation de la plainte n’a pas été considéré comme étant problématique.

49 À la suite du rejet de ces plaintes, la défenderesse a continué d’agir dans le dossier des plaignantes. En octobre 2005, sur la foi des nouvelles informations transmises, la défenderesse a soumis une demande de révision de la décision rendue le 26 juillet 2004.

50 Suite au refus de M. Burton de réviser la décision du 26 juillet 2004, la défenderesse a accepté de consulter à ses frais un avocat de pratique privé. Il y a bien eu un certain délai attribuable aux démarches en vue de trouver un avocat francophone, mais il n’y a aucune preuve de négligence ou de mauvaise foi. Un avocat a finalement été identifié et il a émis un avis juridique le 15 août 2006. Rien n’indique que cet avis juridique était erroné.

51 Insatisfaites de l’avis émis par cet avocat, les plaignantes ont choisi de consulter un second avocat. J’estime qu’en refusant d’assumer les honoraires de ce second avocat, la défenderesse n’a pas manqué à son devoir de représentation, qui à mon avis n’allait pas jusqu’à devoir assumer les honoraires de cet avocat. Les plaignantes étaient tout à fait en droit de consulter un second avocat, mais elles ne pouvaient dans les circonstances exiger de la défenderesse qu’elle en assume les frais.

52 Je comprends la déception des plaignantes qui ont entrepris différentes démarches qui ont été infructueuses pour contester leur mise à pied et qui n’ont pu poursuivre leurs démarches après avoir consulté un second avocat, faute de moyens financiers. J’estime par ailleurs que la défenderesse ne peut être blâmée pour cette situation. Les représentants de la défenderesse ont appuyé les plaignantes dans leurs démarches de contestation et ce, dès leur mise à pied, ils ont entrepris les recours qu’ils estimaient adéquats et ont même soumis le dossier à un avocat. Tel qu’indiqué, l’obligation de la défenderesse n’allait pas jusqu’à devoir assumer les honoraires d’un second avocat. Je conclus donc qu’il n’y a en l’espèce aucune preuve d’agissements arbitraires, discriminatoires ou de mauvaise foi de la part des représentants de la défenderesse.

53 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

54 Les plaintes sont rejetées.

Le 27 août 2008.

Marie-Josée Bédard,
vice-présidente

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