Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé était employé en tant que CX-01- il a fait l’objet d’une suspension puis il a été congédié à la suite de la publication de son livre intitulé À l’ombre du pénitencier de Donnacona- après la publication du livre et plusieurs entrevues accordées par le fonctionnaire s’estimant lésé, l’employeur a ouvert une enquête disciplinaire- dans son livre, le fonctionnaire s’estimant lésé fournit les détails entourant le grief déposé par un autre agent correctionnel, <<F>>, qui a été congédié parce qu'il avait été accusé d’avoir volé des vêtements au pénitencier- dans le livre, l’auteur prétend que F aurait été victime d’un coup monté par des agents correctionnels et des détenus, que le directeur du pénitencier de l’époque a donné un faux témoignage à l’audience d’arbitrage de grief de F, tout comme l’un des psychologues au pénitencier qui l'aurait fait en échange d’une nomination pour une période indéterminée- il a également qualifié la direction d’incompétente, a allégué qu’elle tolérait le trafic de drogue au sein de l’établissement, a dénoncé le processus de dotation de l’employeur et s’est attaqué à l’intégrité et à la réputation de plusieurs employés au pénitencier- dans son livre, il dénonçait également son agent négociateur (il l’accusait d’être de mèche avec la direction et de protéger les personnes à l’origine du coup monté contre F), le ministère de la Justice et la GRC- le directeur du pénitencier, qui savait que le livre était sur le point d’être publié, a proposé de le lire avant sa publication et de fournir des conseils à son sujet, mais le fonctionnaire s’estimant lésé a refusé son offre- le dossier disciplinaire du fonctionnaire s’estimant lésé était un facteur aggravant- le fonctionnaire s’estimant lésé a nié avoir reçu une copie du Code de conduite de l’employeur et a déclaré qu’il n’avait pas connaissance des politiques concernant les médias et la divulgation interne d’actes fautifs et qu’il avait cessé d’accorder des entrevues une fois que l’employeur lui avait fait part de ses préoccupations- il a reconnu qu’il avait mal agi et qu’il avait fait du tort à des personnes, mais a déclaré que ce n’était pas son but et qu’il s’en excusait- le Service correctionnel du Canada a décidé qu’il avait enfreint plusieurs de ses politiques et avait commis un abus de confiance- l’arbitre de grief a statué que le fonctionnaire s’estimant lésé avait été licencié parce qu’il avait manqué à son devoir de loyauté et avait enfreint les politiques de l’employeur, et a rejeté l’argument selon lequel l’obligation de loyauté du fonctionnaire s’estimant lésé ne constituait pas un motif séparé et distinct pour le congédiement- l’arbitre de grief a décidé que le fonctionnaire s’estimant lésé avait manqué à son obligation de loyauté dérivée du droit commun- la nature et le ton des accusations portées par le fonctionnaire s’estimant lésé étaient sérieux, et il avait accusé la direction et certains employés d'avoir commis des actes criminels- le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’était pas prévalu des mécanismes internes qui étaient à sa disposition pour faire connaître ses préoccupations avant de les rendre publiques et, par conséquent, a enfreint la politique sur la divulgation interne- l’employeur n’a pas dû fournir des preuves directes selon lesquelles sa réputation avait été ternie- on pouvait le déduire de la nature et du contenu des accusations et de leur contexte, forme et visibilité- le congédiement ne violait pas le droit à la liberté d’expression du fonctionnaire s’estimant lésé tel que garanti par la Charte canadienne des droits et libertés- le fonctionnaire s’estimant lésé ne pouvait pas évoquer l’exception au devoir de loyauté défini par la Cour suprême du Canada dans Fraser c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, [1985] 2R.C.S.455 puisqu’un employé doit prouver que ses accusations ont un fondement rationnel- le fonctionnaire s’estimant lésé n'a pas réussi à le prouver- ses allégations, basées sur des rumeurs et sur les déclarations faites par des détenus, étaient irrationnelles et sans fondement- les critiques formulées par le fonctionnaire s’estimant lésé ont eu un effet négatif sur sa capacité d’exécuter ses fonctions et sur la perception du public de sa capacité à le faire- l’arbitre de grief a jugé qu’il n’était pas nécessaire d’examiner en détail les autres politiques citées par l’employeur, puisque la violation par le fonctionnaire s’estimant lésé de son devoir de loyauté justifiait son licenciement- le fait que ses gestes enfreignaient également des politiques de l’employeur ajoutait à la gravité de ces gestes- le fonctionnaire s’estimant lésé a violé la politique sur le harcèlement malgré le fait qu’aucune plainte de harcèlement n’avait été déposée contre lui et que les accusations avaient été portées à l’extérieur de son lieu de travail- le fonctionnaire s’estimant lésé a enfreint le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique, le Code de discipline et le Code de déontologie lorsqu’il a porté des accusations d’illégalité non fondées- il n’était pas clair si le fonctionnaire s’estimant lésé avait lu le Code de discipline, mais c’était sa responsabilité de le faire- la lettre de congédiement ne mentionnait pas la politique de l’employeur sur les relations avec les médias, mais celle-ci constituait l'un des aspects examinés durant l’enquête disciplinaire, et le fonctionnaire s’estimant lésé n’a soulevé aucune objection quand l’employeur a fait valoir que cette politique avait été un facteur pris en compte au moment de la décision de le congédier- le fonctionnaire s’estimant lésé a enfreint la politique sur les relations avec les médias- les gestes posés par le fonctionnaire s’estimant lésé ont fait que l’employeur a perdu confiance en lui et ont nui à sa capacité d’exercer ses fonctions- il n’y avait pas de facteur atténuant qui aurait pu justifier une réduction de la sanction. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-10-17
  • Dossier:  566-02-18 et 93
  • Référence:  2008 CRTFP 85

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JEAN-PIERRE LABADIE

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Labadie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant deux griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
John A. Mooney, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Daniel Charest, avocat

Pour le défendeur:
Karl G. Chemsi, avocat

Affaire entendue à Québec (Québec),
du 3 au 6 décembre 2007 et les 10 et 11 juin 2008.
(Arguments écrits déposés le 21 juillet et le 8 août 2008)

I. Griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

1 Le fonctionnaire s’estimant lésé, Jean-Pierre Labadie, occupait un poste d’agent correctionnel au groupe et niveau CX-01 à l’établissement Donnacona (l’ « établissement » ou le « pénitencier ») du Service correctionnel du Canada (le « SCC » ou le « défendeur ») lors de son licenciement.

2 M. Labadie a été suspendu sans solde pour une période indéterminée le 6 mai 2005 à la suite de la parution d’un livre intitulé À l’ombre du pénitencier de Donnacona dont il est l’auteur (pièce E-1, onglet 3). L’administrateur général du SCC a procédé à une enquête disciplinaire et M. Labadie a été licencié le 30 septembre 2005 après la parution des résultats de cette enquête.

3 Pierre Laplante, le directeur de l’établissement, allègue dans la lettre de licenciement du 27 septembre 2005 (pièce E-5) que M. Labadie a enfreint les dispositions de divers documents reliés à son emploi et a manqué à son devoir de loyauté envers le SCC. Cette lettre se lit en partie comme suit :

[…]

La présente lettre fait suite au rapport d’enquête disciplinaire déposé le 26 août 2005 concernant la parution du livre intitulé « À l’ombre du pénitencier de Donnacona » dont vous êtes l’auteur et les entrevues que vous avez accordées aux médias à la suite de la parution de ce livre. Ce rapport d’enquête vous a été remis le 15 septembre 2005 afin d’obtenir vos commentaires.

Après analyse, je constate que vous avez enfreint la Politique sur la divulgation interne d’information concernant les actes fautifs au travail, la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail, le Code de valeurs et d’éthique de la Fonction publique, les Règles de conduite professionnelle au Service correctionnel du Canada et le Code de discipline.

J’estime que vous avez commis un acte de déloyauté tout à fait incompatible avec votre statut d’agent de la paix. Vous avez entaché la réputation du Service correctionnel du Canada. Vous avez brisé de façon irréparable le lien de confiance avec votre employeur. Enfin, j’ai tenu compte des facteurs atténuants et aggravants dans votre situation et je vous avise qu’en vertu de l’article 12(1)c de la Loi sur la gestion des finances publiques, j’ai pris la décision de vous licencier à compter du 30 septembre 2005.

[…]

4 Dans le deuxième paragraphe cité ci-haut, M. Laplante mentionne divers politiques, codes et règles. Les trois premiers documents émanent du Conseil du Trésor (l’« employeur »ou le « CT »), alors que les deux derniers émanent du défendeur. Afin de faciliter la lecture de cette décision, je vais référer à tous ces documents comme étant les politiques du défendeur et de l’employeur.

5 M. Labadie a déposé deux griefs contre des décisions de l’administrateur général du SCC. Il a déposé un premier grief le 16 mai 2005 contre la décision de le suspendre sans solde. M. Labadie a déclaré que sa suspension était injuste et qu’elle n’était pas fondée.

6 M. Labadie a présenté un deuxième grief le 5 octobre 2005 contre la décision de l’administrateur général de le licencier. M. Labadie a déclaré dans ce grief que cette mesure disciplinaire n’était pas fondée et portait atteinte à la liberté d’expression reconnue par la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). Il a présenté ses deux griefs jusqu’au dernier palier de la procédure de grief sans avoir obtenu satisfaction.

7 M. Labadie a renvoyé ses deux griefs à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C., ch. 22(LRTFP). Il a renvoyé à l’arbitrage celui concernant sa suspension le 13 septembre 2005, et celui concernant son licenciement le 30 novembre 2005. À la demande de son agent négociateur, les dossiers ont été mis en attente d’un avis de leur part, ce qui explique en partie le délai entre le renvoi et l’audition de ces dossiers.

II. Résumé de la preuve

8 M. Labadie a témoigné. Deux personnes ont témoigné pour le défendeur : Pierre Laplante et Lynne Connelly, analyste de politiques au Bureau des valeurs et de l’éthique (BVE) de l’Agence de la fonction publique du Canada (« l’Agence »). M. Labadie a déposé 5 pièces en preuve et le défendeur 13.

9 M. Labadie a écrit un livre dans lequel il porte des accusations d’actes illégaux et de parjures contre certains membres de la direction et certains employés de l’établissement. Certaines personnes sont identifiées par leur vrai nom, alors que d’autres le sont par un pseudonyme. Les avocats des deux parties m’ont demandé de procéder de la sorte dans la présente décision étant donnée la nature sérieuse des accusations de M. Labadie. J’ai accepté leur demande. J’ai indiqué dans ma décision les noms qui sont des pseudonymes.

10 Lorsque l’avocat du défendeur a voulu déposer en preuve un cahier à anneaux qui contient un rapport d’enquête disciplinaire et des annexes (pièce E-1), l’avocat de M. Labadie s’est objecté au dépôt du document que l’on trouve à l’onglet 9 de ce cahier à anneaux. Ce document est une transcription d’une rencontre que Mme Connelly et Paulette Arseneault ont eue avec M. Labadie et son représentant à ce moment là le 8 juin 2005, à l’hôtel Delta à Québec. Mme Arseneault était sous-commissaire adjointe des Services corporatifs de l’administration régionale de la région de l’Atlantique du SCC. Selon l’avocat de M. Labadie, ce document n’était pas recevable puisqu’il n’était pas fiable. Il s’agit d’une transcription d’un enregistrement faite par des employés du SCC. L’avocat du défendeur a fait valoir que cette transcription était recevable et qu’il me revenait de décider quelle est sa force probante. À ce moment, l’avocat du défendeur a indiqué qu’il n’allait peut-être pas se référer à ce document. J’ai donc décidé que je reviendrais sur cette question lorsque l’avocat du défendeur se référerait au document. L’avocat du défendeur ne s’y est jamais référé. Je n’ai donc pas pris ce document en considération dans ma décision.

11 Lynne Connelly a témoigné pour le défendeur. Elle a déclaré qu’elle occupe le poste d’analyste de politiques au BVE de l’Agence depuis un peu plus d’un an. De 2001 à 2005, elle travaillait pour le SCC. En 2005, elle était gestionnaire, Programme de lutte contre le harcèlement, Administration centrale du SCC à Ottawa. Son rôle dans ce poste consistait à conseiller la direction et les coordonnateurs régionaux de prévention du harcèlement sur l’interprétation dela Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail (la « politique sur la prévention du harcèlement »). Elle était aussi la secrétaire du comité conjoint consultatif sur la prévention du harcèlement.

12 Mme Connelly a expliqué que Mme Arseneault et elle avaient reçu le 31 mai 2005 de Denis Méthé, sous-commissaire de la région du Québec du SCC, le mandat de procéder à une enquête disciplinaire au sujet de la parution du livre de M. Labadie et de la diffusion des entrevues que ce dernier avait accordées aux médias (pièce E-1, onglet 7). Elles devaient déterminer si M. Labadie avait enfreint la politique Divulgation interne d’information concernant des actes fautifs au travail (la « politique sur la divulgation d’actes fautifs »), le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique (le « code de valeurs et d’éthique »), la politique sur la prévention du harcèlement, la Directive du commissaire 022 - Relations avec les médias (la « directive sur les relations avec les médias »), le Code de discipline au Service correctionnel du Canada (le « code de discipline ») et les Règles de conduite professionnelle au Service correctionnel du Canada (les « règles de conduite professionnelle »). Ellesont présenté leur rapport d’enquête disciplinaire le 26 août 2005.

13 Mme Connelly a expliqué que M. Labadie raconte dans son livre divers événements qui ont eu lieu entre 1999 et 2002 à l’établissement, un pénitencier à sécurité maximale de la région du Québec. Le livre relate surtout les circonstances entourant le grief d’Alain Friolet, un agent correctionnel de ce pénitencier qui a été licencié en 1999 pour un vol de chandails et de jeans. M. Friolet avait été intercepté par d’autres agents correctionnels à la fin de son quart de travail et ces derniers avaient trouvé ces biens en sa possession. M. Friolet avait déposé un grief contre son licenciement et ce grief a été rejeté par le défendeur. M. Friolet avait renvoyé son grief à l’arbitrage devant un arbitre de grief de la CRTFP. L’arbitre de grief avait rendu sa décision le 10 septembre 2002 (pièce E-1, onglet 11). L’arbitre de grief avait ordonné de réintégrer M. Friolet dans son emploi.

14 Selon le témoignage de Mme Connelly, M. Labadie allègue dans ce livre que, durant ces années, la direction de l’établissement a posé des gestes criminels. Il écrit qu’il y a eu complot entre des agents correctionnels et un détenu pour faire congédier M. Friolet. M. Labadie y fait également une dénonciation générale du SCC, des agents correctionnels et autres employés du SCC, du ministère de la Justice, de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et de son agent négociateur.

15 Mme Connelly a expliqué que M. Labadie, à la demande de son éditeur, a utilisé des pseudonymes dans son livre pour désigner certains employés. Il est cependant aisé d’identifier les personnes pour lesquelles M. Labadie a utilisé un pseudonyme. Par exemple, M. Labadie utilise un pseudonyme pour identifier le directeur de l’établissement; or il n’y a qu’un directeur de ce pénitencier. Il en est de même pour la psychologue de l’établissement, il n’y a que deux psychologues au pénitencier.

16 Mme Connelly a cité plusieurs extraits du livre de M. Labadie et des entrevues qu’il a accordées aux médias. Ces extraits sont énumérés à la pièce E-1, onglet 10. Mme Arseneault et elle avaient été frappées par la sévérité des critiques que M. Labadie adressait au SCC et à ses employés, et leur ton irrévérencieux.Voici quelques exemples :

Page 161

[…]

          [en parlant de la direction de l’établissement] Il est inconcevable qu’un organisme gouvernemental puisse permettre le trafic d’influence, le chantage, les menaces de toutes sortes, le non-respect des lois et des règlements, et le trafic de stupéfiants comme partie intégrante de son mode de fonctionnement.

[…]

Page 14

[…]

          Il est important de souligner que ce livre est un cri d’alarme contre un système décadent et rétrograde.

[…]

Page 159

[…]

          Par ailleurs, le harcèlement psychologique fait partie intégrante du mode de gestion au Service correctionnel du Canada. Les problèmes de harcèlement à Donnacona proviennent de deux sources principales : d’une part, un modèle de gestion inefficace, réfractaire à tout changement; et d’autre part, l’absence de volonté politique et l’ignorance ou l’inobservation des lois et règlements concernant cette problématique. Le malaise est profond au SCC. En fait, les difficultés de gestion qui existent à l’institution Donnacona semble être un phénomène répandu dans tous les pénitenciers fédéraux du Canada. Ces gaucheries dans la  gestion du personnel sont directement liées à la formation des gestionnaires et à un manque flagrant de compétence chez les individus qui occupent les postes à caractère décisionnel.

[…]

17 Mme Connelly a ensuite expliqué la politique sur la divulgation d’actes fautifs du CT (pièce E-1, onglet 22) qui était en vigueur quand M. Labadie a été licencié. (Cette politique a cessé d’être en vigueur le 15 avril 2007 quand elle a été remplacée par la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles). Cette politique permettait aux fonctionnaires de divulguer volontairement et de bonne foi des actes fautifs graves commis en milieu de travail. Elle prévoyait que tout ministère devait désigner un représentant neutre qui recevrait et évaluerait les allégations d’actes fautifs. Jean-Yves Bergeron, directeur intérimaire de l’établissement, a informé M. Labadie par lettre le 11 mai 2005 que Cheryl Fraser était l’agente supérieure désignée en vertu de cette politique pour ce qui est du SCC (pièce E-1, onglet 5). Dans cette même lettre, M. Bergeron a aussi informé M. Labadie qu’Edward Keyserlingk était l’agent de l’intégrité de la fonction publique fédérale. Mme Connelly a déclaré, qu’à sa connaissance, M. Labadie n’avait pas contacté ces gens.

18 Cette même politique prévoyait que les fonctionnaires devaient utiliser l’information à laquelle ils avaient accès de façon responsable, de bonne foi et respecter leur devoir de loyauté. Les employés devaient respecter le processus de divulgation interne, et ne pouvaient faire une divulgation publique que dans des cas bien précis, par exemple, lorsqu'il y un danger immédiat pour la vie, la santé et la sécurité du public.

19 Mme Connelly a témoigné qu’elle avait demandé à M. Labadie s’il connaissait la politique sur la divulgation d’actes fautifs et il lui a répondu affirmativement, ajoutant qu’il connaissait toutes les politiques du défendeur.

20 M. Labadie a aussi dit à Mme Connellyqu’il avait expédié au sous-commissaire Richard Watkins une lettre dans laquelle il alléguait des actes fautifs. Mme Connelly a examiné cette lettre et elle ne faisait pas allusion à de tels actes. M. Labadie y formule plutôt des allégations de harcèlement de la part de son superviseur.

21 Mme Connelly a déclaré que M. Labadie lui avait dit qu’il avait divulgué des actes fautifs à Pierre Mallette, président, région du Québec, UCCO-SACC-CSN, et ce dernier en avait informé Lucie McClung, la commissaire du SCC, lors de réunions syndicales/patronales nationales. Mme Connelly et Mme Arseneault ont examiné les procès-verbaux de ces réunions à compter de novembre 2001, mais elles n’ont pas trouvé de mentions liées à des actes fautifs.

22 Mme Connelly a témoigné que M. Labadie lui avait dit qu’il avait fait part de ses préoccupations au député fédéral de sa circonscription, Hélène Chalifour-Scherrer, et qu’elle lui avait répondu qu’elle en parlerait avec le ministre de la Justice et Procureur général du Canada de l’époque, Martin Cauchon. Mme Connelly a demandé à M. Labadie quelle était la nature de ses préoccupations, mais ce dernier ne lui a pas donné plus de précisions à ce sujet. Mme Connelly a tenté de retrouver des documents qui reflèteraient cette conversation mais n’a pu en trouver.

23 Mme Connelly a témoigné que M. Labadie lui a aussi dit qu’il avait expédié un courriel à la présidente du CT de l’époque, Lucienne Robillard (pièce E-1, onglet 12). Le courriel envoyé à Mme Robillard indique qu’il parvient de Johanne Boutin, mais c’est M. Labadie qui l’a expédié. Il est évident à la lecture du courriel à Mme Robillard que M. Labadie n’y traite pas d’actes fautifs, mais plutôt de harcèlement. Lors de la conversation, M. Labadie faisait allusion au courriel qu’il avait expédié à Cynthia Binnington du Secrétariat du Conseil du Trésor le 31 juillet 2003 (pièce E-1, onglet 12).

24 Mme Connelly et Mme Arseneault avaient conclu que M. Labadie avait enfreint la politique sur la divulgation d’actes fautifs. Il avait écrit un livre et avait accordé six entrevues aux médias. Ses entrevues ont été diffusées une douzaine de fois à la radio. Il n’avait pas fait appel au processus interne mis en place par cette politique pour la dénonciation d’actes fautifs et il n’avait pas contacté l’agent de l’intégrité de la fonction publique. Il a présenté publiquement ses doléances sans donner au SCC l’occasion de prendre connaissance de ses allégations et d’y répondre. Ses propos publics étaient critiques à l’endroit de l’organisme et des employés de SCC et extrêmement sévères. Il avait fait des commentaires cinglants à propos du SCC et avait porté des accusations personnelles contre plusieurs personnes. Il avait une grande crédibilité auprès du public à cause de la nature de son poste.

25 Mme Connelly a déclaré que son mandat exigeait également qu’elle détermine si les gestes posés par M. Labadie avaient enfreint la politique sur la prévention du harcèlement (pièce E-1, onglet 21). Le but de cette politique est de favoriser un milieu de travail sain, respectueux et exempt de harcèlement par la prévention et le règlement rapide de tout différend. La politique donne la définition suivante de « harcèlement » :

[…]

Harcèlement (harassment) - se définit comme tout comportement inopportun et injurieux, d'une personne envers une ou d'autres personnes en milieu de travail, et dont l'auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu'un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice. Il comprend tout acte, propos ou exhibition qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, ou tout acte d'intimidation ou de menace. Il comprend également le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[…]

26 Mme Connelly a témoigné que Mme Arseneault et elle avaient conclu que plusieurs passages du livre constituaient du harcèlement. M. Labadie a écrit, par exemple :

Page 17, note 3 en bas de page

          [en parlant des agents de la sécurité préventive] Je donne le nom de « Bureau » à l’officine où se trament les magouilles et autres actions de cet acabit. Il s’agit en fait du bureau du coordonnateur aux opérations correctionnelles, Jacques Montpassant [pseudonyme]. Ce dernier est l’ombre despotique et omniprésente qui plane au dessus de tout à l’établissement de Donnacona.

27 M. Labadie avait, dans son livre, traité deux enquêteurs du SCC d’incompétents :

Page 34

[…]

          […] Le laxisme éhonté dont ces deux hommes ont fait preuve durant l’enquête nous laisse perplexes au sujet de leur compétence et de leur rigueur intellectuelle.

[…]

28 Selon le témoin, on peut formuler des commentaires constructifs sur le travail de ses collègues, mais on ne peut les critiquer de façon personnelle. M. Labadie aurait dû savoir que ses propos étaient insultants.

29 Mme Connelly a attiré mon attention sur un passage du livre de M. Labadie où ce dernier fait le commentaire suivant au sujet d’une psychologue du pénitencier :

Page 43

[…]

          […] Manon Chalifoux [pseudonyme] […] n’aurait pas dû émettre autant de mensonges lorsque les enquêteurs l’ont rencontrée, si la rencontre a bien eu lieu. […]

[…]

Page 44

[…]

          […] Nous croyons que, pour ce service rendu, elle a hérité d’un poste permanent à l’établissement avant de faire son témoignage au procès de Friolet.

[…]

Page 130

[…]

          Le témoignage de Manon Chalifoux est encore plus saisissant que celui du directeur Ivan Dupré [pseudonyme]. En effet, la psychologue savait déjà, avant même d’avoir posé la main sur la Bible, qu’elle allait faire un témoignage dirigé et inexact. Effectivement, elle a livré, devant la cour, un témoignage tissé de mensonges et de faussetés. Les faits qu’elle a relatés n’ont jamais existé. […] En outre, cette gentille dame n’aura aucune autre excuse à offrir relativement à son geste qui démontre une condamnable connivence avec les gens qui veulent la perte d’Alain Friolet.

[…]

30 Mme Connelly s’est alors tournée vers le code de valeurs et d’éthique (pièce E-1, onglet 18). Ce code exige qu’un employé agisse en tout temps de manière à conserver la confiance du public. Il établit quatre familles de valeurs de la fonction publique : les valeurs démocratiques, les valeurs professionnelles, les valeurs liées à l’éthique et les valeurs liées aux personnes.

31 Mme Connelly a déclaré que M. Labadie a formulé des critiques très sévères à l’endroit de la direction de l’établissement. Elle a porté à mon attention le passage suivant du livre :

Page 163

[…]

          […] il faut commencer à dénoncer les injustices et les actes criminels de ces virtuoses de la manipulation qui n’hésitent pas à employer la menace, le chantage et à exercer des représailles contre ceux qui se mettent sur leur chemin.

[…]

32 Mme Connelly a aussi porté à mon attention un extrait d’une entrevue accordée à la station CBVT Câble 6 Québec, Société Radio-Canada, le 13 mai 2005 (pièce E-1, onglet 8) :

Page 1

          […] Il y a certains bureaux … le bureau de la sécurité préventive permet à certains détenus d’entrer de la drogue pour soit des renseignements, soit pour … toutes sortes de choses que je ne peux pas nommer parce que ça ne me regarde pas. Maismoi, ce qui me regarde, c’est que ces gens-là laissent entrer de la dope à l’intérieur des murs.

33 Selon Mme Connelly, en faisant ces déclarations M. Labadie n’a pas contribué à préserver et accroître la confiance du public envers le système judiciaire et le gouvernement, comme le veut le code des valeurs et d’éthique.

34 Mme Connelly s’est alors tournée vers la famille des valeurs professionnelles du code de valeurs et d’éthique. Respecter ces valeurs signifie servir avec compétence, excellence, efficience, objectivité et impartialité (pièce E-1, onglet 18, page 9). Selon Mme Connelly, M. Labadie avait contrevenu à cette famille de valeurs en choisissant de faire une dénonciation publique d’actes fautifs sans preuves à l’appui. Il avait porté préjudice au SCC en le dénigrant et en critiquant ses politiques, ses programmes et ses employés.

35  Mme Connelly s’est alors penché sur la famille de valeurs liées aux personnes que l’on retrouve dans ce code. Mme Arseneault et elle ont conclu que M. Labadie ne respectait pas ces valeurs parce que ses critiques étaient offensantes et humiliantes.

36 Mme Connelly a témoigné que, selon elle, M. Labadie a enfreint la règle 1 du code de discipline qui prévoit qu’un employé commet une infraction lorsqu’il « […] critique sévèrement et publiquement les politiques, les pratiques ou les programmes du Service, du gouvernement canadien ou de la Couronne […] » (pièce E-1, onglet 19, page 4). La conduite de M. Labadie a également enfreint la règle 2 du code de discipline qui prévoit qu’un employé commet une infraction s’il « […] se conduit d’une manière susceptible de ternir l’image du Service, qu’il soit de service ou non […] » (pièce E-1, onglet 19, page 6).

37 Selon Mme Connelly, M. Labadie a aussi enfreint les règles suivantes des règles de conduite professionnelle (pièce E-1, onglet 20) :

Page 8

[…]

1. Règle un – Responsabilité dans l’exécution des tâches

Les employés doivent avoir une conduite qui rejaillit positivement sur la fonction publique du Canada […]

Page 9

[…]

2. Règle deux

Conduite et apparence

Le comportement d’une personne, qu’elle soit de service ou non, doit faire honneur au Service correctionnel du Canada et à la fonction publique. Tous les employés doivent se comporter de façon à rehausser l’image de la profession, tant en paroles que par leurs actes. […]

Page 11

3. Règle trois – Relations avec les autres employés

Les relations avec les autres employés doivent être de nature à inciter le respect mutuel au sein de la profession et à améliorer la qualité du service. Les employés sont tenus de contribuer à la création d’un milieu de travail sain, sûr et sécuritaire, exempt de harcèlement et de discrimination.

[…]

38 Mme Connelly a ajouté que M. Labadie avait même attaqué l’arbitre de grief de la Commission des relations de travail de la fonction publique (la « CRTFP ») qui avait rendu la décision dans Friolet c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2002 CRTFP 85 (pièce E-1, onglet 11). Il a remis en question le professionnalisme de l’arbitre de grief et a manqué de respect pour ce tribunal administratif. Il écrit à la page 161 de son livre :

[…]

          […] Ce tribunal administratif a cautionné des gestes qu’il n’aurait pas dû accepter. La tragicomédie qui s’est jouée en son sein était à la fois triste et morbide. La commissaire suppléante n’a pas su mettre un terme à cette parodie de justice. Mais en avait-elle la possibilité?

[…]

39 Mme Connelly et Mme Arseneault en ont conclu que M. Labadie n’avait pas respecté les règles de conduite professionnelle parce que non seulement il n’a pas rehaussé l’image de la profession, mais son livre et les propos désobligeants et humiliants qu’il a tenus aux médias ont terni l’image du SCC et la réputation de tous ses employés.

40 Mme Connelly et Mme Arseneault ont examiné tous les documents qu’on leur avait remis et rien ne venait appuyer les accusations de M. Labadie.

41 Mme Connelly et Mme Arseneault ont conclu que M. Labadie avait enfreint les cinq politiques mentionnées ci-haut.

42 En contre-interrogatoire, l’avocat de M. Labadie a demandé à Mme Connelly si elle avait effectué un sondage sur la perception du public du SCC. Mme Connelly a répondu non.

43 Mme Connelly a expliqué que Sue Roberts était directrice, Divulgation interne et enquête, au SCC. L’avocat de M. Labadie a alors déposé en preuve un courriel de Mme Connelly à Mme Arseneault en date du 21 juin 2005 (pièce F-2). Dans ce courriel, Mme Connelly avait écrit que Mme Roberts lui avait dit qu’il n’était pas nécessaire qu’un employé communique avec le bureau de Mme Roberts pour divulguer des actes fautifs. Une telle étape était volontaire.

44 L’avocat de M. Labadie a demandé à Mme Connelly s’il n’y avait eu qu’un seul rapport. Mme Connelly a répondu qu’elle et Mme Arseneault avaient d’abord préparé un rapport préliminaire à la fin de juin ou au début de juillet. Elles ont ensuite remis leur rapport d’enquête disciplinaire final à M. Méthé le 26 août 2005. Le rapport final contenait plus « de viande » pour ce qui est de l’analyse. Le rapport a été remis à l’issue d’une rencontre avec des représentants du BVE. Mme Arsenault et elle avaient décidé d’obtenir leur point de vue sur le rapport d’enquête disciplinaire.

45 L’avocat de M. Labadie a déposé en preuve une lettre de Michel Gauthier, coordonateur, UCCO-SACC-CSN à Lucie McClung, commissaire du SCC, en date du 4 septembre 2001 (pièce F-1). L’avocat du SCC a indiqué qu’il ne s’opposait pas au dépôt de cette lettre, mais il voulait que je note qu’elle ne constitue pas nécessairement une preuve des allégations qu’elle comporte. Dans cette lettre, M. Gauthier fait part à Mme McClung de ses préoccupations au sujet des témoignages faits par des détenus dans l’affaire Friolet.

46 Lors du ré-interrogatoire de Mme Connelly, celle-ci a dit que le but de la discussion qu’elle avait eue avec Mme Roberts au sujet de la procédure à suivre lors d’une dénonciation d’actes fautifs était d’établir s’il fallait s’adresser au bureau de l’agent supérieur désigné et au BVE, c’est-à-dire à ces deux organismes.

47 Mme Connelly a alors expliqué les différences entre le rapport d’enquête préliminaire présenté le 21 juin 2005 (pièce F-3) et le rapport d’enquête final présenté le 26 août 2005 (pièce E-1, avant l’onglet 1). Dans le rapport d’enquête disciplinaire préliminaire, Mme Arseneaultet elle avaient conclu que M. Labadie n’avait pas enfreint la politique sur la divulgation d’actes fautifs; elles ont conclu le contraire dans le rapport d’enquête final. Le rapport d’enquête disciplinaire final présente l’analyse qui les a menées à cette conclusion.

48 Mme Connelly a donné plus de précisions sur la rencontre que Mme Arseneault et elle ont eue avec les représentants du BVE, à la demande de ces derniers. La rencontre a eu lieu à Ottawa dans les locaux du BVE à la fin de juillet ou au début d’août 2005. Les représentants du BVE voulaient surtout discuter de la politique sur la divulgation d’actes fautifs. Le BVE est responsable de cette politique. Les représentants du BVE ont déclaré que l’analyse était excellente. Ils ont cependant dit que les faits n’étayaient pas la conclusion que M. Labadie n’avait pas enfreint la politique sur la divulgation d’actes fautifs. Après la rencontre, Mme Connelly et Mme Arseneault ont discuté de cette politique et elles ont décidé de modifier leur conclusion. Elles ont conclu que M. Labadie avait enfreint cette politique.

49 M. Laplante a aussi témoigné pour le défendeur. Il a donné un historique de sa carrière au SCC. Il occupe depuis novembre 2007 le poste d’enquêteur principal au Bureau national des enquêtes sur les incidents de sécurité. Avant cela, il était directeur de l’établissement, poste qu’il a occupé à compter du 1er mars 2003. De juillet 1999 à mars 2003, il a occupé le poste de sous-directeur de l’établissement. De janvier 1995 à juillet 1999, il était directeur adjoint aux programmes et services au même pénitencier. De 1991 à 1995, il était gérant d’unité au Centre fédéral de formation du SCC à Laval. Cela fait bientôt 30 ans qu’il travaille pour le SCC.

50 M. Laplante a expliqué que lorsqu’il était directeur de l’établissement, il était responsable de la gestion de l’ensemble du pénitencier. Le budget de cet établissement dépasse 30 millions de dollars. L’établissement emploie 345 personnes à temps plein, y compris 220 agents correctionnels. M. Laplante a signé la lettre de licenciement (pièce E-5) de M. Labadie puisqu’il était directeur de cet établissement à cette époque.

51 M. Laplante a eu vent de la publication du livre une semaine ou deux avant sa parution. Le livre est paru au début mai. M. Laplante a décidé d’en discuter avec le sous-commissaire, M. Méthé. Ils ont discuté d’options et ont décidé qu’il valait mieux prendre les devants. M. Laplante a alors écrit à M. Labadie, le 11 avril 2005, pour lui rappeler son devoir de loyauté envers le SCC (pièce E-1, onglet 1). La lettre avait un but préventif. Il aurait aimé lire le livre pour expliquer à M. Labadie le risque que comportait sa parution. M. Laplante étai inquiet de l’effet que le livre pourrait avoir sur les détenus et la stabilité de l’établissement. Les détenus étaient rapides à capitaliser sur les conflits entre employés de l’établissement. Il ne faut pas oublier que les détenus ont accès aux médias, que ce soit la télé, la radio ou les journaux.

52 M. Laplante craignait aussi que le livre mine les efforts déployés au cours des dernières années pour améliorer le milieu de travail. L’établissement avait vécu plusieurs incidents difficiles. Deux employés s’étaient suicidés. L’affaire Friolet avait divisé les employés. Pour résoudre ces problèmes, la direction avait décidé de faire des changements organisationnels. Elle a fait appel à un organisme extérieur, le Centre de recherche et d’intervention sur le travail, l’efficacité organisationnelle et la santé. La direction avait reçu l’appui des syndicats pour cette initiative. M. Laplante craignait que ce livre vienne ouvrir des plaies alors que la gestion tentait de les soigner.

53 M. Labadie a répondu à la lettre de M. Laplante le 14 avril 2005 (pièce E-6). M. Laplante avait été surpris du ton hautain et réducteur de la lettre à son égard comme le montre l’extrait suivant :

[…]

Monsieur le Directeur, je constate à la lecture de votre lettre que votre rhétorique n’a pas changée [sic] d’un iota depuis bientôt cinq années. Vous écrivez toujours les mêmes balivernes et les mêmes accusations sans fondements raisonnables ni preuves sérieuses. […]

[…]

54 Le but de la lettre de M. Laplante était de prévenir tout manquement au devoir de loyauté, mais M. Labadie y a vu une tentative de censure. M. Laplante a cité le passage suivant de la lettre de M. Labadie :

[…]

          Vous souhaitez prendre connaissance de ce livre avant sa publication. Pourquoi ? Faite-vous parti, Monsieur le Directeur, d’un obscur bureau de censure qui a le pouvoir de mettre à l’index des livres écrits par les agents de correction œuvrant au sein du Service correctionnel du Canada ? Je suis convaincu qu’il n’en est rien. Je rejette donc votre demande empressée et ce n’est pas pour des considérations futiles. J’ai des droits fondamentaux en tant que citoyen canadien et j’entends les faire respecter.

[…]

[sic pour l’ensemble de la citation]

55 M. Laplante a pris connaissance du livre le jour de sa parution ou le lendemain. Il l’a lu en diagonale. Sa première impression était que M. Labadie décrivait l’établissement de façon assez dure et négative et avait dépassé les limites acceptables du droit d’expression d’un agent correctionnel. M. Laplante a décidé qu’il fallait mener une enquête sur ce sujet pour déterminer si M. Labadie avait enfreint les directives du SCC. Il aurait pu choisir des enquêteurs de l’établissement, mais il a préféré choisir des personnes à l’extérieur de l’établissement et à l’extérieur de la région.

56 M. Laplante a informé M. Labadie le 5 mai 2005 qu’une enquête disciplinaire serait instituée à la suite de la parution de son livre (pièce E-1, onglet 3). La lettre informait également M. Labadie qu’il serait suspendu sans solde à partir du 6 mai 2005.

57 M. Laplante a déclaré qu’il ne se souvenait pas d’avoir reçu le rapport d’enquête disciplinaire préliminaire (pièce F-3). Il se peut qu’il l'ait reçu, mais il n’en a pas pris connaissance.

58  Le rapport d’enquête disciplinaire final a été déposé le 26 août 2005 (pièce E-1, avant l’onglet 1). M. Laplante l’a reçu à la fin d’août 2005 lorsqu’il est revenu de vacances. Il a aussi pris connaissance à cette époque des transcriptions des entrevues que M. Labadie avait accordées aux médias (pièce E-1, onglet 8). C’est alors qu’il a envisagé le congédiement de M. Labadie. Les conclusions du rapport d’enquête disciplinaire sont venues confirmer les impressions qu’il avait eues lorsqu’il avait lu le livre. Avant de prendre une décision finale à ce sujet, il a demandé au service des relations de travail régional d’effectuer une recherche jurisprudentielle à ce sujet.

59 Pour prendre sa décision, M. Laplante a consulté le rapport d’enquête disciplinaire du 26 août 2005 et le dossier de M. Labadie pour voir s’il y avait des faits qui pouvaient atténuer sa situation ou l’aggraver. M. Laplante a également consulté les résultats de la recherche jurisprudentielle qu’il avait demandée au service des relations de travail.

60 M. Laplante a déclaré que certains faits mentionnés dans le livre de M. Labadie étaient tirés de la décision de l’arbitre de grief dans Friolet, mais d’autres ne l’étaient pas. Par exemple, M. Labadie a mentionné dans son livre qu’un agent correctionnel avait été suspendu pour s’être fait remplacé par quelqu’un d’autre lors d’un examen d’anglais relié à son travail. La décision de l’arbitre de grief ne mentionne pas ce fait.

61 M. Laplante a dit que ce qui le préoccupait surtout comme directeur, c’était l’effet du livre sur la réputation de l’établissement, sur ses employés et sur le climat de travail au pénitencier. M. Labadieattaquait l’intégrité et la réputation de plusieurs employés de l’établissement. M. Laplante était frappé par les termes utilisés par M. Labadie, tels « scélérat » et « vaux-rien ». M. Labadie accusait les gestionnaires de tolérer le trafic de stupéfiants, les menaces de mort, l’intimidation et les parjures. Sur ce point, M. Laplante m’a renvoyé au passage suivant du livre :

Page 11

[…]

          De septembre 1999 à septembre 2002 a eu lieu à l’établissement pénitentiaire à sécurité maximale de Donnacona la plus célèbre saga administrative et judiciaire de l’histoire de ce pénitencier fédéral. En effet, elle a alimenté toutes les conversations et provoqué des actions criminelles injustifiables de la part de membres de la direction et de certains agents correctionnels, allant du faux témoignage à la fabrication de preuves en passant par l’incitation au parjure, au parjure lui-même et aux menaces de mort. […]

[…]

62 Selon M. Laplante, ces affirmations ne reposent pas sur des faits concrets. M. Labadie se fonde sur la décision d’arbitrage dans Friolet. Mais l’arbitre de grief n’a pas dit pas qu’il y avait eu des menaces de mort ou un complot au pénitencier. M. Labadie se fonde sur les témoignages de détenus relatés dans cette décision et non sur les conclusions de l’arbitre de grief. Un détenu avait témoigné qu’on avait monté un complot pour faire congédier M. Friolet. En fait, l’arbitre de grief n’a pas retenu cette accusation (pièce E-1, onglet 11) :

[…]

[379]  La preuve du complot repose sur des allégations par la suite contredites du détenu M. Je n’accorde aucune crédibilité au détenu M. Je ne le crois pas quand il dit que M. Friolet lui fait des pressions pour qu’il vole. Je ne le crois pas plus quand il dit que [j’ai omis les noms] lui ont demandé de placer des jeans dans le sac de M. Friolet. Le détenu M est un fin observateur et un délateur invétéré. Qu’a-t-il vu? Qu’a-t-il fait? Qu’a-t-il entendu? C’est difficile à savoir car il dit tout sur ce qu’il voit ou croit voir, il dit n’importe quoi et se met au centre de toutes ses histoires.

63 Dans son livre, M. Labadie s’en prend au directeur de l’établissement de l’époque, qu’il accuse de faire un faux témoignage devant un arbitre de grief de la CRTFP :

Pages 129-130

[…]

          […] C’est incroyable, le nombre de mensonges et d’inexactitudes dont il a émaillé son témoignage. […] Dupré [pseudonyme] s’est donc laissé guider aveuglément par son service de sécurité préventive sans se douter un seul instant qu’il se faisait manipuler comme un gamin par ses experts du renseignement. Quelle disgrâce ! […]

[…]

64 M. Labadie laisse entendre dans son livre que Mme Chalifoux (pseudonyme) a fait un faux témoignage dans Friolet et qu’elle a obtenu un poste permanent pour ce geste.

65 M. Labadie laisse également entendre que le coordonnateur des opérations correctionnelles pourrait mettre en danger la vie d’un délateur que M. Labadie nomme « M. » dans son livre :

Page 133

[…]

          [en parlant du délateur M] Toutefois, les déclarations qu’il a faites à Francine Cabana et à Me Réginald Deblois nous laisse perplexe. Que voulait-il faire en agissant avec une telle imprudence? Il savait qu’il mettait sa vie en danger s’il dénonçait le complot auquel il avait participé contre Alain Friolet. Il savait pertinemment que le coordonnateur des opérations correctionnelles et ses sbires possédaient le pouvoir de vie et de mort sur lui. Un petit transfert fantôme dans un pénitencier ou un secteur inapproprié à son statut particulier de délateur pouvait lui coûter la vie presque instantanément. Il ne possédait pas de protection contre une telle décision de la part des conspirateurs.

[…]

66 Toujours selon M. Laplante, M. Labadie met en cause la crédibilité de la direction du SCC, y compris celle du commissaire et du sous-commissaire :

Page 134

[…]

          L’imputabilité est un concept que le Service correctionnel du Canada ignore. La faute est toujours renvoyée vers les employés, qui font leur possible mais qui reçoivent des directives souvent contradictoires dont l’application est la plupart du temps impossible. Le SCC présente une structure très étrange, au sein de laquelle évoluent des dirigeants d’une inefficacité à faire dresser les cheveux sur la tête. Il n’est donc pas surprenant de constater que les responsables, tant nationaux que régionaux, ne sont pas intervenus lorsque, au procès, le détenu B. a fait ses déclarations sur des officiers qui commettaient des actes criminels, ni lorsqu’ils se sont rendus compte que l’affaire Friolet était devenu un vaste gâchis que seuls les dires contradictoires d’un malfaiteur soutenaient. Quelle tragédie de constater l’impuissance de la commissaire Lucie McClung et de son subalterne régional, Richard Watkins.

[…]

[J’omets le renvoi]

[sic pour l’ensemble de la citation]

67 M. Labadie met également en doute la crédibilité du système de promotion au sein du SCC :

Page 75-76

[…]

          Que dire de Marc Bourret [pseudonyme], si ce n’est qu’il est le point de départ de cette affaire scabreuse? Cet agent de la sécurité préventive est sous la haute protection de Jacques Montpassant et de Pierre Boulé [pseudonymes]. Il a été nommé à ce poste même s’il ne possédait pas les qualifications linguistiques requises, mais il faut préciser que les concours permettant d’obtenir des promotions au SCC sont faits de façon pour le moins obscure. Nous ne nous écartons pas de la réalité en émettant une telle opinion. Il est connu de tous que ces concours sont tellement subjectifs qu’ils ne laissent aucune place au mérite des candidats. Par contre, si vous vous faites remarquer par quelqu’un de la bande et que vous accomplissez sans mot dire ce qu’il vous demande, vous avez de très grandes chances d’obtenir la promotion tant désirée.

Page 158-159

[…]

          […] Le système de promotion est marqué par une partialité malveillante. On tient compte non pas des qualifications et du mérite, mais de l’intensité du lien que les bienheureux promus ont tissé avec ceux qui ont le pouvoir d’accorder ces nominations. Il ne suffit donc pas d’être compétent et de posséder les outils intellectuels nécessaires pour obtenir une promotion bien méritée, il faut être complaisant à l’égard des décideurs.

68 M. Laplante a déclaré que les propos de M. Labadie laissent entendre que toutes les promotions au SCC sont « croches », qu’elles ne sont pas fondées sur les qualifications des candidats, et qu’elles sont accordées aux personnes qui ont fait une sale besogne pour la direction. Au contraire, le processus de sélection est un processus sérieux. Les employés de l’établissement ne participent pas à l’élaboration de l’énoncé de qualités pour les postes à pourvoir; cela se fait au siège social à Ottawa. Les concours sont ouverts à tout le pays et sont gérés par le bureau régional du SCC et non pas par des employés de l’établissement. Le comité de sélection est formé de gens de l’extérieur de l’établissement. Le pouvoir de nomination est un pouvoir qui est délégué au SCC par la Commission de la fonction publique du Canada et cette dernière n’a jamais retiré sa délégation.

69 M. Labadie écrit également que la direction est incompétente :

Page 159

[…]

          Dans une telle situation peu orthodoxe, où le manque de formation est conjugué à l’absence d’un bagage académique adéquat, il ne peut y avoir qu’une totale incompétence.

[…]

70 M. Laplante a précisé que le directeur de l’établissement avait une formation universitaire, même si M. Labadie laisse entendre le contraire. Aussi, chaque dirigeant du SCC doit suivre une formation obligatoire en gestion à l’école nationale de gestion à Cornwall en Ontario.

71 M. Laplante a déclaré que M. Labadie avait approché la Sureté du Québec (SQ) et la Gendarmerie royale du Canada (GRC) au sujet d’une déclaration qu’un détenu, que M. Labadie nomme le détenu B dans son livre, lui avait faite. Ce détenu aurait déclaré à M. Labadie et à Viviane Mathieu, la présidente du syndicat local, qu’il y avait connivence entre des personnes travaillant dans la section de la sécurité préventive de l’établissement et un détenu, que M. Labadie nomme le détenu M, pour faire congédier M. Friolet. Le détenu B alléguait que des personnes travaillant à cet établissement avaient donné des stupéfiants au détenu M pour avoir été partie à cette connivence. M. Labadie et Mme Mathieu ont fait part de cette histoire à la SQ et à la GRC.

72 Le directeur de l’établissement a alors demandé à deux employés de l’établissement de se renseigner auprès de la SQ et de la GRC au sujet des rencontres de M. Labadie avec ces deux organismes. Le but de cette enquête non officielle était de déterminer si les accusations de trafic de stupéfiants étaient fondées. Les deux enquêteurs ont produit leur rapport le 16 mai 2002 (pièce E-1, onglet 13). Ils y ont indiqué que la SQ avait conclu qu’il n’y avait pas matière à enquête (pièce E-1, onglet 13, p. 6), et que la GRC n’avait enregistré aucune plainte officielle parce qu’aucun fait se rapportant à un acte criminel n’avait été signalé à la GRC, seulement du ouï-dire (pièce E-1, onglet 13, p. 9).

73 M. Laplante a souligné que dans son livre, M. Labadie avait aussi insulté la GRC à cause de la façon dont ce corps policier avait donné suite à sa plainte :

Page 155

[…]

          […] Cela n’a aucun sens, il faudrait laisser se produire ces aberrations sans réagir, en faisant aveuglément confiance à ce système pourri. J’ai déjà respecté la police fédérale canadienne. Je jure que je ne commettrai plus la même erreur.

          Les priorités de ce service de police consistent à servir et à protéger non pas les citoyens, mais les vauriens et les bandits. Il ne faut pas mordre la main qui nous nourrit, dit le vieil adage. La GRC le met très bien en pratique.

          Il est pourtant malheureux de constater la lâcheté et la faiblesse de ce corps policier prestigieux. […]

[…]

74 M. Laplante a déclaré que de telles accusations portées à l’endroit de la GRC nuisent à la relation du SCC avec cet organisme. La GRC constitue une partie importante du système judiciaire.

75 M. Laplante a témoigné qu’il s’est penché sur la question du trafic de stupéfiants à l’établissement lorsqu’il est entré en fonction en 2003. Il avait alors demandé qu’on procède à une vérification des processus suivis au pénitencier pour la manutention des objets saisis. Le rapport de vérification est paru à l’automne 2003 (pièce E-1, onglet 14). Le rapport avait conclu qu’il n’y avait aucun problème important ayant trait à la manutention et au processus suivi pour les objets qui avaient fait l’objet de saisies, y compris les stupéfiants.

76 M. Labadie attaque dans son livre un autre partenaire du SCC : le syndicat. Il laisse entendre que le syndicat est de collusion avec la direction et que celle-ci protège les employés de la sécurité préventive :

Page 153

[…]

          Ces dirigeants du syndicat conservent le silence absolu sur les affirmations des délateurs. Les agents de la sécurité préventive sont des amis de longue date; il faut à tout prix les protéger. […] Il faut absolument garder le silence et masquer la vérité. […]

          Le président régional de l’époque Pierre Malette a aussi ses informations, mais il garde un silence complice. Il croit sans doute pouvoir monnayer ces informations contre quelque avantage lorsque viendra le moment de négocier le renouvellement de la convention collective. Il est donc prêt, lui aussi, à sacrifier des syndiqués par son silence. […]

[…]

77 M. Laplante a déclaré que l’établissement devait travailler avec les syndicats pour améliorer le milieu de travail. Ces accusations n’aident pas à atteindre ce but et peuvent créer des sentiments négatifs.

78 L’établissement avait fait des efforts pour rendre le pénitencier accessible aux médias. La direction voulait démystifier l’image folklorique qu’avaient les médias des pénitenciers. M. Laplante craignait que les propos de M. Labadie aux journalistes minent ces efforts.

79 M. Labadie a accordé une entrevue à Stéphane Gasse, animateur à CHRC dans la région de Québec, le 5 mai 2005. Il s’agissait une émission de ligne ouverte. M. Gasse avait un style polémiste, sensationnaliste, et aimait la confrontation. Dans cette entrevue, M. Labadie traite les employés de l’établissement de « bandits » et de « crosseurs ». M. Labadie fait même allusion à des actes criminels posés par les employés de l’établissement. M. Laplante s’est senti visé personnellement puisqu’il était sous-directeur au temps de l’affaire Friolet.M. Laplante a porté à mon attention les passages suivants de cette entrevue radiophonique (pièce E-1, onglet 8) :

Page 1

[…]

          STÉPHANE GASSE : […] L’impression que ça me laisse en lisant ça […] c’est qu’à Donnacona, les bandits et les crosseurs sont pas toujours derrière les barreaux.

          JEAN-PIERRE LABADIE : On ne peut rien vous cacher.

[…]

Page 2

[…]

          JEAN-PIERRE LABADIE : Bien, pour revenir à mon livre, l’affaire Friolet, c’est simple. C’est un gardien de prison qui s’est fait, il y a eu un petit frame up entre certains agents de sécurité et des détenus qui se sont mis pour, la direction, pour évidemment évincer ce gardien-là qui n’avait pas la langue dans sa poche puis qui disait ce qu’il pensait. Il disait ce qu’il pensait sur tout ce qui se passait à Donnacona, du trafic de stupéfiant [sic] à toutes sortes de choses, et puis évidemment, les instances décisionnelles qui étaient trempées dans ce trafic-là étaient tannées de l’entendre parler. […]

[…]

Page 7

[…]

          JEAN-PIERRE LABADIE : […] Je veux dire, ça n’a plus de bon sens. On est dans une société où on enferme les détenus parce qu’ils font du trafic, puis nous autres qui sommes des agents de la paix, nos dirigeants, qui sont aussi agents de la paix, se permettraient de commettre les mêmes crimes avec les gens qui sont embarrés ? Puis on dit à l'agent qui dénonce ça : « Bien toi, sacre ton camp puis les autres on les garde. »

[…]

[Les passages soulignés le sont dans la transcription de l’entrevue]

80 M. Laplante a aussi porté à mon attention l’extrait suivant de la même entrevue dans lequel M. Labadie accuse les agents correctionnels de la sécurité préventive d’ordonner à un détenu de commettre un vol :

Page 5

[…]

          JEAN-PIERRE LABADIE : Bien, ils ont fait voler le détenu. Ils l’ont fait, ils lui ont mis, ils lui ont dit de mettre des, des choses dans le sac à Friolet pour qu’il se fasse prendre à la sortie.

[…]

[Les passages soulignés le sont dans la transcription de l’entrevue]

81 M. Laplante a témoigné que M. Labadie a révélé des informations confidentielles lors de cette entrevue. Il a parlé d’un détenu de l’établissement très connu dans la région de Québec sous le nom de Colosse Plamondon :

Page 6

[…]

          STÉPHANE GASSE : Pourquoi il est parti de Donnacona, « Colosse Plamondon »?

          JEAN-PIERRE LABADIE : Ah, Monsieur Plamondon contrôlait un peu la prison. C’est-à-dire que, vous savez que les prisons sont contrôlées pour ce qui concerne les détenus par les détenus eux-mêmes. Et puis, bien, le temps de Monsieur Plamondon était terminé. C’était le temps de d’autres gangs. Alors Monsieur Plamondon a dû quitter. C’est tout.

[…]

[Les passages soulignés le sont dans la transcription de l’entrevue]

82 M. Labadie a dit que M. Plamondon avait été transféré parce qu’il avait été déplacé par une autre gang. Ce n’était pas le cas; il n’avait pas été transféré pour cette raison. M. Labadie ignorait les faits de ce transfert. Il a induit ainsi les gens en erreur et a nourri la perception du milieu carcéral propagée par le cinéma.

83 M. Laplante a expliqué qu’un agent correctionnel ne doit pas discuter du lieu d’incarcération d’un détenu. En discutant ainsi du transfert de M. Plamondon, M. Labadie enfreignait la directive sur les relations avec les médias qui prévoit qu’on ne peut divulguer des informations personnelles sans le consentement du détenu (pièce E-1, onglet 17, page 3, paragraphe 11).

84 M. Laplante a dit que les propos que M. Labadie avait tenus aux médias l’avaient touché personnellement. M. Labadie attaquait son intégrité. Cela avait affecté sa famille et ses enfants.

85 M. Laplante a témoigné qu’à sa connaissance, M. Labadie n’avait jamais fait une dénonciation d’actes fautifs auprès de l’agent supérieur du SCC.

86 M. Laplante a déclaré que le dossier disciplinaire de M. Labadie était un facteur aggravant dont il a tenu compte dans sa décision de le licencier. M. Labadie avait commis une des infractions tous les ans. M. Labadie était irrespectueux et avait des rapports conflictuels avec ses superviseurs et ses collègues. Pour résoudre ces problèmes, la direction lui avait donné l’occasion de suivre le cours d’aptitudes en relations interpersonnelles du 3 au 7 juin 2002.

87 En 2003, M. Labadie avait été absent pour des raisons de santé. Pendant cette période, la direction avait dressé un protocole particulier de supervision pour sa réintégration au travail (pièce E-8). Le but de l’entente était de régler les rapports conflictuels de M. Labadie avec ses collègues et ses supérieurs. Une des clauses de l’entente exigeait que M. Labadie s’engage à ne pas écrire de lettre à quiconque sans l’autorisation de son agent négociateur. Les personnes suivantes avaient joué un rôle dans l’élaboration du protocole : M. Labadie, M. Laplante, Philippe Vignis, directeur général de la Direction des ressources humaines, Michel Gauthier de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), et Pierre Dumont de l’UCCO-SACC. Selon M. Laplante, il est rare que l’établissement élabore un tel protocole. Il est aussi rare que le directeur de la Direction des ressources humaines soit appelé à participer à ce genre d’exercice. La direction a donc pris des mesures exceptionnelles pour trouver une solution à la réintégration de M. Labadie. Mais M. Labadie s’est retiré du processus d’élaboration de l’entente et n’a jamais communiqué avec M. Laplante pour lui dire pourquoi.

88 L’avocat du défendeur a déposé en preuve en liasse plusieurs rapports de mesures disciplinaires (pièce E-10). L’avocat de M. Labadie s’est objecté au dépôt du dernier rapport de cette série de rapports au motif que l’événement relaté dans ce rapport ne paraît pas dans la liste des mesures disciplinaires sur laquelle M. Laplante s’était fondé pour licencier M. Labadie (pièce E-7). L’avocat du défendeur, pour sa part, a soutenu que le rapport était pertinent puisqu’il relatait un comportement répréhensible de la part de M. Labadie. Il a ajouté que je devais accepter cette preuve en lui attribuant la force probante qu’elle mérite puisqu’un renvoi à l’arbitrage est un processus de novo. J’ai demandé à M. Laplante s’il avait pris en considération l’incident relaté dans ce rapport disciplinaire lorsqu’il a décidé de licencier M. Labadie. M. Laplante a répondu non puisque cet incident n’ajoutait rien au dossier. J’ai donc accepté l’objection de l’avocat de M. Labadie parce que M. Laplante n’avait pas pris en considération cet incident lorsqu’il a décidé de licencier M. Labadie.

89 Le rapport de mesures disciplinaires du 27 février 2002 relate un incident qui s’est produit le 14 décembre 2001. M. Labadie a tenu des propos déplacés à l’endroit de deux collègues. L’officier en charge de la poterne avait demandé à deux reprises de fouiller le sac de M. Labadie qui entrait dans l’établissement. M. Labadie avait manifesté une attitude défensive et peu collaboratrice. M. Labadie avait également fait des commentaires insolents au coordonnateur des fouilles de l’établissement.

90 Le deuxième rapport de mesures disciplinaires porte aussi la date du 27 février 2002. Il a trait à un événement qui a eu lieu le 16 décembre 2001. Ce jour-là, M. Labadie est sorti du pavillon de contrôle avec des armes alors qu’une bataille se déroulait dans une salle sous-jacente. Cette sortie de M. Labadie ne s’était pas faite sous une supervision appropriée.

91 Le rapport de mesures disciplinaires du 1er novembre 2002 fait état de propos irrespectueux envers un membre du personnel. L’avocat de M. Labadie s’est alors objecté au dépôt de ce rapport parce que cette mesure disciplinaire avait fait l’objet d'un grief et qu’aucune décision n’avait été prise à l’égard de ce grief. L’avocat du défendeur a plaidé que je devais accepter ce rapport en preuve parce qu’il était pertinent au licenciement. J’ai informé les deux avocats que je prendrais leurs arguments en délibéré et rendrait une décision sur cette question plus tard dans ma décision sur le fond de ces griefs. Puisque cette mesure disciplinaire a fait l’objet d’un grief, j’ai décidé de ne pas en tenir compte dans ma décision.

92 Le rapport de mesures disciplinaires du 8 juillet 2004 porte sur des incidents qui ont eu lieu en février et mars 2003. M. Labadie avait manqué de respect envers un gestionnaire et certains membres du personnel.

93 Le rapport de mesures disciplinaire du 6 octobre 2004 a trait à un incident qui s’est produit le 19 février 2004 au Colisée de Québec lors du Tournoi international de hockey Pee-Wee de Québec. Le rapport indique que M. Labadie a menacé et intimidé des retraités/bénévoles lors de ce tournoi. M. Labadie s’est identifié comme agent correctionnel du SCC en montrant aux retraités/bénévoles sa carte d’identité du SCC.

94 M. Laplante a déclaré que le fait que les enquêtrices avaient modifié leur conclusion au sujet de la politique sur la divulgation d’actes fautifs n’avait pas eu d’incidence sur sa décision de licencier M. Labadie. La raison fondamentale du licenciement de M. Labadie était qu’il avait commis des actes déloyaux envers le SCC par ses propos dans son livre et lors des entrevues qu’il a accordées aux médias. Son comportement était incompatible avec ses fonctions d’agent correctionnel et entachait la réputation du SCC. M. Labadie avait rompu le lien de confiance avec son organisation et ses collègues.

95 En contre-interrogatoire, M. Laplante a déclaré que le poste qu’occupait M. Labadie était un poste de niveau d’entrée pour les agents correctionnels. M. Labadie patrouillait l’établissement mais avait peu de contact avec les détenus. Il n’était en contact avec eux que 25 % du temps.

96 M. Laplante a déclaré qu’il ne travaillait plus à l’établissement depuis le 15 octobre 2007. Il y a eu d’autres départs depuis la parution du livre de M. Labadie. Le directeur de l’établissement de l’époque travaille maintenant dans un autre pénitencier. Deux des agents de la sécurité préventive sont partis. Le premier est à la retraite depuis un an, et le second est absent de son travail depuis deux ans à cause d’un accident de travail et il est peu probable qu’il revienne à son emploi. La psychologue et un autre employé mentionné dans le livre de M. Labadie ne travaillent plus à l’établissement.  

97 M. Laplante a déclaré que les employés mentionnés dans le livre n’ont pas fait de plainte de harcèlement. Certains pensaient en faire, mais ils ont décidé ne pas porter plainte parce qu’ils savaient qu’un processus disciplinaire à l’endroit de M. Labadie était en cours. Personne n’a entrepris de recours civils contre de M. Labadie, mais certains employés songeaient fortement à le faire. 

98 M. Laplante a dit avoir été informé du rapport d’enquête disciplinaire (pièce E-1, avant l’onglet 1) à son retour de vacances, probablement au début d’août. C’est M. Doyon du bureau régional des ressources humaines qui lui avait téléphoné pour lui faire part des conclusions de l’enquête. Il est possible que M. Doyon lui ait télécopié les conclusions du rapport, il ne se souvenait pas exactement. M. Laplante a reçu le rapport d’enquête disciplinaire entre le 26 et le 29 août 2005 par poste prioritaire. M. Laplante a pris la décision finale de licencier M. Labadie le 27 septembre 2005.

99 M. Laplante a dit qu’il avait rencontré M. Labadie le 16 septembre pour lui remettre le rapport d’enquête disciplinaire (pièce E-1, avant l’onglet 1). M. Laplante avait dit à M. Labadie qu’il pouvait revoir le rapport d’enquête disciplinaire avec son représentant syndical et formuler ses commentaires. M. Labadie a écrit à M. Laplante qu’il n’avait pas de commentaires à lui communiquer (pièce E-2).

100 M. Laplante a dit ne pas avoir pris connaissance de la note de service du 7 juillet 2005 qui porte une signature au-dessus de son nom. Cette lettre demande au directeur, Accès à l’information et Protection des renseignements personnels, Administration centrale, d’expurger le rapport disciplinaire qui y est joint (pièce F-5). C’est peut-être Jean-Yves Bergeron, son directeur suppléant, qui l’a signée en son nom. M. Laplante a déclaré qu’il est possible que le rapport joint à cette note de service soit le rapport d’enquête disciplinaire du 21 juin 2005 (pièce F-3).

101 M. Laplante a répété en contre-interrogatoire qu’il n’a pas vu le rapport d’enquête disciplinaire du 21 juin 2005 (pièce F-3). La seule version du rapport d’enquête disciplinaire qu’il a vue est celle du 26 août 2005 (pièce E-1, avant l’onglet 1). De toute façon, même s’il avait vu la version du 21 juin, cela n’aurait pas eu d’effet sur sa décision de licencier M. Labadie.

102 M. Labadie a témoigné. Il travaille à l’établissement depuis le 4 décembre 1998. Il a commencé la rédaction de son livre en février ou mars 2004. Le livre est paru le 4 mai 2005. Le tirage du livre se chiffre à 1750 exemplaires. Entre 1400 et 1450 exemplaires ont été distribués aux librairies. L’éditeur a gardé deux caisses d’exemplaires et M. Labadie a gardé une vingtaine d’exemplaires pour lui et sa famille. Son livre dénonce le trafic de stupéfiants, le trafic d’influence et la corruption qui sévissent à l’établissement.

103 M. Labadie a déclaré avoir appris qu’il y avait trafic de stupéfiants à l’établissement en janvier 2000 dans la foulée de l’affaire Friolet. Le détenu B avait déclaré à M. Labadie et à Mme Mathieu le 20 janvier 2000 que l’affaire Friolet était un coup monté par le directeur, trois agents correctionnels et une psychologue de l’établissement. Ces derniers avaient incité le détenu M à faire un faux témoignage pour faire congédier M. Friolet. M. Labadie a rédigé la déclaration et le détenu B l’a signée. Mme Mathieu a remis la déclaration du détenu B à Francine Cabana, agente de grief de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), qui à son tour l’a remise à un avocat de l’AFPC.

104 M. Labadie avait de la difficulté à accepter le fait que des agents qui travaillaient avec lui puissent avoir accompli des actes criminels. À la fin de janvier ou au début de février 2000, il a donc fait part de ses doléances au caporal Donald Byrne du Service des renseignements de la GRC. M. Labadie lui a décrit la rencontre qu’il avait eue avec le détenu B et les faits se rapportant à l’arbitrage de l’affaire Friolet. Le caporal Byrne avait déclaré que c’était une piste à suivre et qu’il verrait s’il y avait lieu de faire enquête. Le caporal Byrne a ajouté qu’il fallait attendre la fin du renvoi à l’arbitrage du grief de M. Friolet avant de faire quoi que ce soit. M. Labadie est retourné voir le caporal Byrne en septembre 2001. M. Labadie lui avait alors raconté le témoignage du détenu B dans le renvoi à l’arbitrage du grief de M. Friolet. Le caporal Byrne avait dit que l’enquête était « prometteuse » mais qu’il fallait attendre que l’arbitre de grief rende sa décision.

105 L’arbitre de grief a rendu sa décision concernant le grief de M. Friolet le 10 septembre 2002. L’arbitre de grief avait ordonné au SCC de réintégrer M. Friolet. M. Labadie a déclaré avoir obtenu les plaidoiries des représentants dans ce renvoi à l’arbitrage en faisant une demande d’accès à l’information.

106 M. Labadie a rencontré le caporal Byrne de nouveau le 18 ou le 19 septembre 2002. Le caporal Byrne était accompagné de M. Guay, caporal des enquêtes pour les délits commerciaux. C'est à ce moment que M. Labadie a déposé une plainte officielle. Le caporal Guay a téléphoné à M. Labadie en juillet 2003 pour l’informer que ses patrons lui avaient retiré l’enquête même s’il avait découvert « pas mal de choses ». Le caporal Guay n'a pas précisé ce qu’il avait découvert et a dit à M. Labadie que la GRC ne voulait pas continuer l’enquête. En septembre 2003, M. Fortin de la GRC a téléphoné à M. Labadie pour lui annoncer que le dossier était fermé. Le 13 janvier 2004, l’inspecteur Marc Proulx, officier responsable de la Section des délits commerciaux à la GRC, a écrit à M. Labadie qu’il n’y avait pas matière à poursuivre l‘enquête (pièce E-1, onglet 15).

107 M. Labadie a déclaré qu’il ne pouvait accepter la conclusion de la GRC puisqu’elle lui semblait erronée. Il lui semblait que la GRC voulait cacher quelque chose.

108 M. Labadie n’avait pas avisé ses supérieurs de cette affaire parce qu’un des gestionnaires de l’établissement avait été identifié par le détenu B comme faisant partie des gens qui commettaient des actes criminels.

109 M. Labadie a déclaré que l’atmosphère était très tendue au pénitencier après que l’arbitre de grief eût rendu sa décision dans l’affaire Friolet. Les agents de la sécurité préventive, quelques surveillants correctionnels et quelques membres de l’équipe d’urgence ont proféré des menaces à l’endroit de M. Labadie. M. Labadie se sentait épié. Par contre, M. Labadie s’entendait bien avec les agents correctionnels des groupes et niveaux CX-01 et CX-02.

110 M. Labadie a aussi fait part de ses préoccupations à Mme Chalifour-Scherrer, la députée de sa circonscription. M. Labadie lui a parlé pendant près de deux heures et lui a remis ses notes sur cette affaire. Mme Chalifour-Scherrer a dit que cette affaire n’avait pas de bon sens et qu’elle en discuterait avec l’honorable Martin Cauchon, ministre de la Justice du Canada de l’époque, le conseil des ministres et le premier ministre. Elle a dit qu’elle tenterait de mettre sur pied une commission d’enquête. Après cette rencontre, Mme Chalifour-Scherrer n’a jamais communiqué avec M. Labadie. Elle a été défaite lors des élections de 2003.

111 C’est André Clavet du Bloc Québécois qui a été élu dans la circonscription de M. Labadie lors des élections de 2003. M. Labadie l’a rencontré pour lui faire part de ses doléances. Mme Chalifour-Scherrer avait remis à M. Clavet les notes qu’elle avait obtenues de M. Labadie. M. Clavet n’a jamais contacté M. Labadie après cette rencontre.

112 M. Labadie a aussi contacté Lucienne Robillard, présidente du CT. Il lui a expédié un courriel en utilisant l’ordinateur de sa conjointe de l’époque, ce qui explique pourquoi son nom n’apparait pas sur le courriel (pièce E-1, onglet 12). Il a dit à Mme Robillard qu’il était victime de harcèlement parce qu’il possédait des informations privilégiées sur certaines personnes de l’établissement. Cynthia Binnington, secrétaire adjointe, Équité en emploi, Bureau de la gestion des ressources humaines, CT, lui a répondu au nom de Mme Robillard. Mme Binnington a dit à M. Labadie de s’adresser à Jim Wladyka, directeur, Bien-être de la main-d’œuvre, SCC. Ce dernier n’a jamais contacté M. Labadie.

113 Dans ses échanges de correspondance avec Mme Binnington (pièce E-1, onglet 12), M. Labadie n’a pas mentionné le trafic de stupéfiants parce qu’il ne savait pas à qui il faisait affaire. Il voulait rencontrer des représentants du CT en personne pour dévoiler ces informations. Il ne voulait pas semer la panique.

114 M. Labadie a fait part de ses préoccupations à Pierre Mallette, président, région du Québec UCCO-SACC-CSN. Ce dernier a dit qu’il tenterait de faire quelque chose pour calmer le jeu.

115 En mai 2005, M. Labadie a contacté un représentant du gouvernement fédéral pour lui demander s’il serait protégé par la nouvelle loi que le premier ministre du temps entendait faire adopter pour protéger la dénonciation d’actes fautifs si M. Labadie publiait un livre qui dénonçait des actes criminels. Ce représentant lui a répondu dans l’affirmative.

116 M. Labadie a admis que le ton de sa lettre du 14 avril 2005 à M. Laplante était un peu arrogant (pièce E-6). Mais il était stressé. Il était hors de lui parce qu’il avait été menacé par un agent de la sécurité préventive dans un corridor du pénitencier. Ce dernier lui avait dit « ces histoires-là, ça se règle avec du plomb, mon gros ». Un autre agent de la sécurité préventive l’avait menacé devant une trentaine d’agents.

117 M. Labadie a déclaré ne pas connaître du tout la directive sur les médias (pièce E-1, onglet 17). Pour ce qui est de ses rencontres avec les médias, c’est son éditeur qui les organisait. Il a précisé qu’il n’a donné aucune entrevue aux médias après le 11 mai 2005, lorsque M. Bergeron lui a fait part de ses préoccupations au sujet de ces entrevues.

118 M. Labadie a déclaré qu’on ne lui a jamais remis les règles de conduite professionnelle (pièce E-1, onglet 20). À sa connaissance, il n’a jamais signé l’avis de réception et d’engagement de l’employé que l’on retrouve à la page 3 de ce document.

119 M. Labadie a déclaré qu’il réalise qu’il a commis un impair. Il le regrette maintenant. S’il a blessé des gens, il s’en excuse. Ce n’était pas son but. Il voulait faire cesser ces actes criminels. Il a tout perdu dans cette aventure : son emploi et son amie. S’il avait réfléchi davantage, il aurait trouvé une autre solution. À l’époque, il était stressé et subissait des menaces. Il avait reçu à la maison deux engins explosifs dans un intervalle de six mois. Son amie l’avait quitté parce qu’elle ne pouvait supporter ces menaces. Si c’était à refaire, il dénoncerait ces actes à la police et au Commissaire, mais attendrait le moment propice. Il ne ferait pas les choses de la même façon.

120 En contre-interrogatoire, M. Labadie a déclaré que c’est l’éditeur qui a écrit le texte que l’on retrouve au dos de la couverture du livre. M. Labadie était d’accord avec ce que l’éditeur avait écrit. Le rapport officiel dont il est question au quatrième paragraphe de ce texte fait allusion à la décision d’arbitrage dans l’affaire Friolet (pièce E-1, onglet 11). L’avocat du défendeur lui a fait noter que ce paragraphe indique que des agents correctionnels avaient laissé entrer des quantités importantes de stupéfiants au pénitencier. Lorsque l’avocat du défendeur lui a demandé de lui indiquer à quel endroit dans cette décision l’arbitre de grief avait indiqué une telle chose, M. Labadie n’a pu indiquer un passage précis du livre, mais a ajouté que les plaidoiries des représentants dans l’affaire Friolet en faisaient mention. M. Labadie a ajouté qu’il a fait, dans son livre, un résumé de la décision de l’arbitre de grief et des plaidoiries des procureurs.

121 M. Labadie a déclaré en contre-interrogatoire qu’il y avait des rumeurs que des agents correctionnels du pénitencier faisaient du trafic de stupéfiants.

122 M. Labadie a déclaré qu’il a accordé plus de crédibilité au détenu B lorsque, lors de l’audition d’arbitrage du grief de M. Friolet, le détenu B a témoigné sur le trafic de stupéfiants au pénitencier et que l’avocat du défendeur ne l’a pas contre-interrogé sur ce sujet.

123 Lorsque l’avocat du défendeur a demandé à M. Labadie quelle preuve il avait pour soutenir les allégations faites dans son livre selon lesquelles l’établissement faisait preuve de partialité lors des nominations, M. Labadie a répondu qu’il avait entendu un gestionnaire dire à une employée du pénitencier qui cherchait un autre emploi : « tant et aussi longtemps que je vais être là, t’ira pas là ».

124 L’avocat du défendeur a renvoyé M. Labadie au passage suivant du courriel que ce dernier avait adressé à Mme Binnington le 31 juillet 2003 : « […] je possède des renseignements qui sont très embarrassants pour le Service Correctionnel du Canada » (pièce E-1, onglet 12). Lorsque l’avocat du défendeur a demandé à M. Labadie quels étaient ces renseignements, M. Labadie a répondu qu’il avait ces renseignements à la maison mais qu’il refusait de répondre à d'autres questions sur ce sujet.

125 Lorsque l’avocat du défendeur a demandé à M. Labadie d’indiquer les documents qu’il avait remis à la GRC, ce dernier a répondu qu’il ne pouvait répondre à cette question.

126 M. Labadie a déclaré qu’il n’était pas au courant de la politique sur la divulgation d’actes fautifs.

127 M. Labadie a déclaré qu’il a discuté des actes fautifs avec le premier ministre, Stockwell Day, avec John Baird et Rona Ambrose. Il les a tous rencontrés.

128 M. Labadie a déclaré qu’il est revenu travailler après un congé d’accident du travail en mai 2004. Il a reconnu avoir signé la déclaration qui confirmait qu'il avait reçu le code de valeurs et d’éthique (pièce E-11). La déclaration porte la date du 17 février 2004. Il a lu le code après la parution de son livre.

129 Lors du ré-interrogatoire de M. Labadie, l’avocat de ce dernier lui a rappelé qu’il est revenu de son congé d’accident du travail en mai 2004. L’avocat de M. Labadie lui a demandé comment il avait pu signer la déclaration qui confirmait qu’il avait reçu le code de valeurs et d’éthique (pièce E-11) le 17 février 2004, puisqu’il était en congé de maladie à cette époque. M. Labadie a répondu qu’il a signé la déclaration lorsqu’il est revenu de son congé d’accident du travail, mais que l’agente administrative, Mme Leclerc, lui avait demandé d’inscrire la date du 17 février 2004.L’avocat du défendeur a plaidé que la réponse de M. Labadie était inadmissible puisque ce dernier aurait pu fournir cette information lorsqu’il l’a questionné sur ce sujet dans son contre-interrogatoire. J’ai décidé que la réponse de M. Labadie était admissible puisque sa connaissance du code de valeurs et d’éthique avait un lien avec les questions en litige dans ces griefs. De plus, il n’y avait aucune indication que M. Labadie cherchait à cacher cette information durant le contre-interrogatoire.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

130 L’avocat du défendeur a soumis que la question en litige est de savoir si M. Labadie a manqué de loyauté envers le défendeur et le gouvernement du Canada. La question sous-jacente est de savoir si ce manquement justifie le licenciement.

131 M. Labadie a critiqué beaucoup de personnes : le SCC, des collègues de travail, la GRC, le ministère de la Justice, un arbitre de grief de la CRTFP et son syndicat. Il a exprimé des critiques sévères à l’endroit des personnes et organismes visés. M. Labadie a laissé entendre que tout est pourri au SCC. Il s’est exprimé dans un langage sensationnaliste, diffamatoire et vexatoire, utilisant des expressions telles « laxisme éhonté », « mensonge éclatant », « affaire scabreuse », et « agneaux syndicaux ».

132 M. Labadie n’occupe pas un poste ordinaire. Il est un agent de la paix et un fonctionnaire. Le droit d’expression des fonctionnaires est soumis à certaines restrictions, et M. Labadie ne les a pas respectées. S’il voulait critiquer le SCC de façon si intense, il aurait dû démissionner de son poste.

133 Les effets des actes de déloyauté commis par M. Labadie vont perdurer. Son livre demeurera dans les bibliothèques et pourra être lu dans les années à venir. Les auditeurs de ses entrevues radiophoniques se souviendront longtemps de ses propos.

134 L’avocat du défendeur a souligné que M. Labadie n’avait pas tenté de se prévaloir des processus de divulgation internes avant de faire connaître ses vues publiquement. M. Labadie n’a jamais fait de dénonciation de ses allégations à ses superviseurs. Il n’a pas fait de dénonciation à M. Laplante, ni à l’agent supérieur du SCC, ni au BVE, ni à l’agent de l’intégrité de la fonction publique. Même lorsque M. Laplante lui a proposé de lire son livre pour lui faire des suggestions, M. Labadie a refusé son offre.

135 Le défendeur n’a pas ignoré la question du trafic de stupéfiants à l’établissement. Différents organismes se sont penchés sur cette question. M. Laplante a demandé une vérification interne du processus suivi pour la saisie des objets interdits et a demandé aux vérificateurs d’apporter une attention particulière au traitement des stupéfiants dans le pénitencier (pièce E-1, onglet 14). M. Laplante a demandé à deux employés du SCC de faire enquête sur les démarches entreprises par M. Labadie auprès de la SQ et de la GRC. Dans leur rapport, les deux employés ont indiqué que ces corps policiers avaient jugé qu’il n’y avait pas matière à faire une enquête (pièce E-1, onglet 13).

136 Le devoir de loyauté d’un fonctionnaire comporte des exceptions. Dans Fraser c. Canada (Commission des relations de travail dans la fonction publique), [1985] 2 R.C.S. 455, la Cour suprême du Canada a jugé qu’un employé pouvait dénoncer publiquement des actes illégaux commis par le gouvernement. L’avocat du défendeur a précisé cependant que cette exception n’est valable que si l’employé peut démontrer le bien-fondé de ses allégations, comme l’a souligné la Cour fédérale dans Grahn c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] A.C.F. No 36 et dans Read c. Canada (Procureur général), 2005 CF 798 (appel à la Cour d’appel fédérale rejeté : Read c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 283). Dans Read, la Cour fédérale a déclaré qu’il n’était pas suffisant qu’un employé croit que ses allégations sont véridiques, les allégations doivent avoir un fondement rationnel. Or dans ce cas-ci, M. Labadie n’a pas prouvé que ses accusations étaient fondées ou rationnelles.

137 Les allégations de M. Labadie sont fondées sur deux sources. La première est la déclaration que le détenu B a faite à Mme Mathieu et à M. Labadie. Le détenu B leur a dit que le détenu M avait reçu de la drogue des agents correctionnels. Il s’agit là de triple ouï-dire. M. Labadie n’aurait pas dû accorder une crédibilité à un détenu. Sa deuxième source, ce sont les rumeurs de ses collègues. La preuve sur le trafic de stupéfiants est plus que mince, elle est non existante. M. Labadie a induit le public en erreur.

138 Les critiques de M. Labadie au sujet des promotions au SCC ne sont pas fondées non plus. Le témoignage de M. Labadie montre qu’il ne connaît pas le processus de nomination.

139 La déclaration de M. Labadie que les gestionnaires du SCC n’ont pas une formation suffisante n’est pas fondée non plus. Il ne connaît pas leur formation scolaire et théorique.

140 L’avocat du défendeur a soutenu qu’on pourrait inférer que la dénonciation publique d’actes fautifs, par un employé, avait une incidence sur la capacité de cet employé à accomplir ses fonctions par la suite. À ce sujet, il m’a renvoyé à Haydon c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 CF 749 (confirmé en appel : Haydon c. Canada (Conseil du trésor), 2005 CAF 249).

141 L’avocat du défendeur a souligné que M. Labadie aurait dû connaître la politique sur la divulgation d’actes fautifs (pièce E-1, onglet 22) puisque le code de valeurs et d’éthique en fait mention (pièce E-1, onglet 18) et que M. Labadie a lu ce code.

142 M. Labadie a enfreint la politique sur les relations avec les médias en mettant la vie de M. Plamondon en danger en parlant du transfert de ce détenu dans un autre pénitencier. Cette politique prévoit qu’il est interdit d’identifier les détenus.

143 L’avocat du défendeur a souligné que M. Labadie n’était pas un employé parfait, comme le montrent les mesures disciplinaires qui ont été prises contre lui pendant son emploi au SCC. Ce sont des facteurs qui aggravent sa situation. Il n’y a pas de facteur qui pourrait atténuer la sanction prise contre lui. 

144 L’avocat du défendeur a terminé son plaidoyer en affirmant que le lien de confiance du défendeur envers M. Labadie était irrémédiablement rompu.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

145 L’avocat de M. Labadie a d’abord souligné que la raison du licenciement de M. Labadie est un manquement allégué à son devoir de loyauté qui résulte des infractions alléguées aux politiques du défendeur et de l’employeur. En d’autres mots, c’est parce M. Laplante pensait que M. Labadie avait enfreint ces politiques que M. Laplante a conclu que le lien de confiance entre le défendeur et M. Labadie était rompu. Le manquement au devoir de loyauté est le résultat des infractions alléguées aux politiques, et non un motif distinct de licenciement. Or, le défendeur n’a pas fait la preuve de ces infractions.

146 L’avocat de M. Labadie a soutenu que c’est le rapport d’enquête disciplinaire du 21 juin 2005, et non celui du 26 août de la même année, qui doit servir de fondement au licenciement. Le rapport d’enquête disciplinaire du 21 juin 2005 diffère de celui du 26 août 2005. Le premier rapport avait conclu que M. Labadie n’avait pas enfreint la politique sur la divulgation d’actes fautifs, alors que le dernier rapport avait conclu le contraire. On doit donc ignorer le rapport d’enquête disciplinaire du 26 août 2005.

147 L’avocat de M. Labadie a rappelé que ce n’est que lors du contre-interrogatoire de Mme Connelly qu’on a appris que les enquêtrices avaient présenté un premier rapport d’enquête disciplinaire le 21 juin 2005 (pièce F-3). Or, rien n’indique qu’il s’agissait d’un rapport préliminaire. Les enquêtrices avaient écrit dans la lettre qui accompagnait ce rapport : « vous trouverez ci-joint […] notre rapport d’enquête disciplinaire à l’égard de Monsieur Jean-Pierre Labadie. » Cette lettre n’indique pas qu’il s’agit d’un rapport partiel, d’un projet de rapport, ou d’un rapport préliminaire.

148 Selon l’avocat de M. Labadie, d’autres éléments de preuve portent à conclure que le rapport d’enquête disciplinaire du 21 juin 2005 était un rapport final. Mme Connelly a témoigné qu’elle avait communiqué avec M. Méthé pour avoir la permission de modifier le rapport du 21 juin 2005. Pourquoi ferait-elle cela si ce n’était qu’un rapport préliminaire? Elle n'avait pas besoin de permission pour modifier un rapport préliminaire.

149 Selon l’avocat de M. Labadie, un autre élément qui porte à la même conclusion est la note de service de M. Laplante au directeur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce F-5). Dans cette note de service, M. Laplante demande à ce directeur de procéder à la vérification et à l’expurgation du rapport d’enquête disciplinaire. Or, cette note est datée du 7 juillet 2005, bien avant la parution du second rapport d’enquête disciplinaire. Cela établit qu’on considérait le rapport d’enquête disciplinaire du 21 juin 2005 comme un rapport final puisqu’on ne fait pas l’expurgation d’un projet de rapport.

150 L’avocat de M. Labadie ne croit pas M. Laplante lorsque ce dernier prétend ne pas avoir reçu le rapport d’enquête disciplinaire du 21 juin 2005 et la note de service au sujet de l’expurgation de ce rapport à son retour de vacances. Il est impossible que M. Laplante n’ait pas reçu ces deux documents puisque M. Laplante a témoigné qu’il avait pris connaissance des conclusions du rapport d’enquête disciplinaire lors d’une conversation avec M. Doyon le 10 août 2005. À cette date, il ne pouvait s’agir que du rapport d’enquête disciplinaire du 21 juin 2005.

151 Comment expliquer ce changement dans la conclusion des enquêtrices pour ce qui est de la politique sur la divulgation d’actes fautifs? Les représentants du BVE ont dit aux enquêtrices que leur analyse de cette politique était faible et que les faits mentionnés n’étayaient pas les conclusions de l’enquête. C'est pour cette raison que les enquêtrices ont modifié leur conclusion. Elles n’avaient pas le choix, vu l’intervention de cette agence centrale. Il y a eu ingérence du BVE à l’égard de cette question.

152 L’avocat de M. Labadie a passé en revue les infractions alléguées aux politiques du défendeur et de l’employeur, telles qu’elles sont formulées dans le rapport d’enquête disciplinaire du 21 juin 2005. Pour ce qui est de la politique sur la divulgation d'actes fautifs, l’avocat de M. Labadie a rappelé que les enquêtrices avaient conclu que M. Labadie n’avait pas enfreint cette politique. L’avocat de M. Labadie a expliqué que M. Labadie ne pouvait faire ses dénonciations selon la structure hiérarchique habituelle, puisque la dénonciation visait ses supérieurs. M. Labadie s’est donc adressé à des personnes à l’extérieur du SCC, telle Lucienne Robillard et d’autres ministres. Ce témoignage n’a pas été contredit. M. Gauthier a aussi écrit à Mme McClung pour lui faire part de témoignages de détenus dans Friolet. Puisque ces personnes n’ont pas donné suite aux doléances de M. Labadie, ce dernier les a fait connaître publiquement en écrivant son livre et en acceptant les invitations des médias parce qu’il ne pouvait pas accepter ce qui se passait à l’établissement.

153 Pour ce qui est de la politique sur le harcèlement, les enquêtrices concluent que M. Labadie avait enfreint cette politique parce qu’il avait tenu des propos inopportuns et injurieux à l’endroit de collègues en milieu de travail (pièce F-3, page 28). Selon l’avocat de M. Labadie, cette conclusion n’est pas valide puisque cette politique vise le comportement des employés en milieu de travail (pièce E-1, onglet 21). Or, M. Labadie n’a pas écrit son livre et n’a pas donné d’entrevue aux médias lorsqu’il était au travail. De plus, cette politique ne s’applique pas au cas de M. Labadie parce que personne n’a déposé de plainte de harcèlement. Le défendeur ne peut donc appuyer son licenciement sur cette prétendue infraction à cette politique.

154 Il n’y a pas de preuve qui démontre que M. Labadie a enfreint le code des valeurs et d’éthique. Le défendeur se sert de ce code pour couvrir toutes sortes de conduites qui ne sont pas reliées à ce code. Le code de valeurs et d’éthique vise les conflits d’intérêts des employés (pièce E-1, onglet 18, pages 6, 9 et 10). Il n’y a aucune preuve que M. Labadie était en situation de conflit d’intérêts. Ce code vise également la prestation de services à la population et les relations avec les collègues (pièce E-1, onglet 18, page 11). Or, les actes que l’on reproche à M. Labadie n’ont rien à voir avec la prestation de services ou ses relations avec ses collègues de travail. Le défendeur ne peut donc s'appuyer sur cette politique non plus pour justifier le licenciement de M. Labadie.

155 Les enquêtrices ont aussi conclu que M. Labadie, en accordant des entrevues aux médias, avait enfreint la directive sur les relations avec les médias puisqu’il n’était pas un porte-parole désigné à cette fin par le SCC. Le but de cette directive est de désigner les personnes du SCC qui peuvent s’adresser aux médias pour accorder des entrevues au sujet des politiques, des programmes et des activités du SCC. (pièce E-1, onglet 17, page 2, paragraphe 5). Or, M. Labadie n’a pas donné d’entrevue au sujet des politiques, des programmes ou des activités du SCC; il a donné des entrevues au sujet de son livre. Le défendeur ne peut donc faire reposer le licenciement sur une prétendue infraction à cette politique. Il faut aussi tenir compte du fait que ce sont les médias qui ont contacté M. Labadie et non l’inverse. De plus, M. Labadie n’a pas divulgué de renseignements confidentiels au sujet de M. Plamondon, comme le prétend l’avocat du défendeur. C’est l’intervieweur qui a fait allusion à ce détenu, et non M. Labadie.

156 L’avocat de M. Labadie a alors abordé la question des infractions alléguées au code de discipline et aux règles de conduite professionnelle (pièce E-1, onglets 19 et 20 respectivement). L’avocat de M. Labadie considère ces deux documents comme un tout puisque l’un complète l’autre. Il a d’abord signalé que M. Labadie n’a jamais signé la déclaration qui confirme qu’il a reçu les règles de conduite professionnelle que l’on retrouve à la page 3 de ce document.

157 L’avocat de M. Labadie a soutenu que le défendeur n’avait soumis aucune preuve qui démontrait que la réputation du SCC avait été endommagée par le livre qu’a publié M. Labadie et les entrevues qu’il a accordées aux médias. Le défendeur aurait dû démontrer quelle était la perception du public avant et après la parution du livre et la diffusion des entrevues radiophoniques. 

158 Le défendeur n’a pas mis en preuve non plus les cotes d’écoute des stations radiophoniques. Cela aurait permis d’évaluer l’incidence des entrevues radiophoniques de M. Labadie sur le public. Pour ce qui est du livre de M. Labadie, son incidence sur le public est limitée puisque M. Labadie n’a vendu qu’entre 1400 et 1450 exemplaires. Qui lira ce livre dans cinq ans? Il n’y a donc pas de preuve de préjudice réel au défendeur.

159 L’avocat de M. Labadie a signalé qu’aucune preuve ne démontrait que la conduite de M. Labadie avait compromis les relations entre le SCC et la GRC.

160 La conduite de M. Labadie n’était pas irréprochable. Il a témoigné qu’il n’agirait plus de cette manière pour dénoncer des actes fautifs. M. Labadie reconnaît d’entrée de jeu que sa conduite mérite une sanction; mais elle ne mérite pas le licenciement.

161 M. Labadie pourrait être réintégré dans ses fonctions. Cette réintégration est plus facile du fait que plusieurs employés de l’établissement ne travaillent plus à ce pénitencier. M. Laplante, le directeur de l’époque, et deux employés travaillent ailleurs. Un agent de la sécurité préventive est en congé de maladie et on ne s’attend pas à ce qu’il revienne travailler. Un autre agent de la sécurité préventive est à la retraite.

162 L’avocat de M. Labadie a plaidé que le fait que M. Labadie a cessé d’accorder des entrevues aux médias dès que M. Bergeron lui a écrit pour lui faire part de ses préoccupations à ce sujet (pièce E-1, onglet 5) devrait être un facteur atténuant.

163 L’avocat de M. Labadie a ensuite examiné la jurisprudence qu’il juge pertinente. Il m’a renvoyé à Haydon, décision dans laquelle la Cour fédérale énumère les facteurs qui sont pertinents lorsqu’il s’agit de déterminer si un employé a manqué à son devoir de loyauté (paragraphe 49). Un de ces facteurs est le niveau du poste occupé par l’employé dans la hiérarchie gouvernementale. Or, M. Labadie n’occupe pas un poste élevé. Les postes du groupe et niveau CX-01 sont des postes de niveau d’entrée. Dans Fraser,l’employeur avait congédié un employé qui avait manqué à son devoir de loyauté; mais dans ce cas-là,l’employé licencié occupait un poste élevé dans la hiérarchie gouvernementale puisqu’il était chef de groupe.

164 Un autre facteur énuméré dans Haydon est l’exactitude de la déclaration faite par l’employé. Dans ce cas-ci, M. Labadie croyait honnêtement que les déclarations du détenu B étaient véridiques. De plus, le caporal Byrnede la GRC lui avait dit, lors d’une rencontre, que l’enquête sur le trafic de stupéfiants à l’établissement était « prometteuse ». 

165 Deux autres facteurs énumérés dans cette décision sont l’incidence de la conduite de l’employé sur son aptitude à exercer ses fonctions et la perception du public à ce sujet. Selon l’avocat de M. Labadie, ces deux facteurs sont les plus importants. Or, le défendeur n’a pas fait la preuve que M. Labadie ne pouvait plus accomplir ses fonctions ou que sa conduite a modifié la perception du public à cet égard.

166 Pour ce qui est de la question du dommage à la réputation de l’employeur, l’avocat de M. Labadie m’a renvoyé à Tobin c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 26. Dans cette affaire, l’employeur avait licencié un employé qui avait commis un acte criminel en dehors du cadre de son emploi. L’arbitre de grief a décidé que puisque l’employeur alléguait que l’employé avait endommagé la réputation de l’employeur, ce dernier devait fournir une preuve directe de ce dommage. Cette preuve devait comporter une description de la réputation de l’employeur avant et après les incidents qui ont donné lieu au licenciement. Dans la présente affaire, le défendeur n’a pas prouvé que la réputation du SCC a été endommagée par la parution du livre de M. Labadie ou la diffusion de ses entrevues radiophoniques.

167 Pour ce qui est de la sévérité de la sanction disciplinaire imposée à M. Labadie, l’avocat de M. Labadie m’a renvoyé à Haydon. Dans cette affaire, l’employeur avait imposé une sanction disciplinaire beaucoup moins sévère à un employé qui avait manqué à son devoir de loyauté. Malgré le fait que l’employé occupait un poste important, l’employeur lui avait imposé une suspension de dix jours pour avoir donné une entrevue aux médias dans laquelle l’employé critiquait son employeur. L’arbitre de grief a réduit cette sanction à cinq jours. La sanction imposée à M. Labadie est donc trop sévère. L’avocat de M. Labadie me demande de substituer au licenciement une suspension de six mois.

C. Réplique du défendeur

168 L’avocat du défendeur a soutenu que la question de savoir sur quel rapport M. Laplante s’est fondé pour prendre sa décision de licencier M. Labadie importe peu. M. Laplante aurait pu décider de ne pas faire d’enquête disciplinaire, et cela n’aurait rien changé pour ce qui est du bien-fondé de sa décision de licencier M. Labadie. Selon l’avocat du défendeur, la question sur laquelle je dois me prononcer est si la conduite de M. Labadie mérite le licenciement. L’audition d’un grief est un processus de novo. À ce sujet, l’avocat du défendeur m’a renvoyé à Tipple c. Canada (Conseil du trésor), [1985] A.C.F. No. 818 (C.A.) (QL).

169 L’avocat du défendeur a souligné que la raison du licenciement est le manque de loyauté de M. Labadie envers le défendeur. Cela est clair dans la lettre de licenciement (pièce E-5). L’avocat de M. Labadie confond le devoir de loyauté avec la politique sur la divulgation d’actes fautifs. Le devoir de loyauté n’est pas fondé sur cette politique. Même si les enquêteurs avaient conclu que M. Labadie n’avait pas enfreint cette politique, cela ne signifierait pas que M. Labadie n'a pas enfreint son devoir de loyauté. Ce sont deux choses différentes.

170 L’avocat du défendeur a soutenu que le défendeur n’est pas dans l’obligation de démontrer qu’il a subi un préjudice à cause du manque de loyauté de M. Labadie. L’employeur n’a qu’à démontrer une transgression du devoir de loyauté. Par ses gestes, M. Labadie a miné la confiance du public envers le SCC.

171 Selon l’avocat du défendeur, le poste de M. Labadie est un poste important puisque les actions d’un agent correctionnel ont une incidence sur la sécurité du public.

172 Pour ce qui est de Tobin, cette décision n’est pas pertinente puisqu’elle ne traite pas du devoir de loyauté. Dans cette affaire, l’employé avait commis un acte criminel en dehors du cadre de son emploi, mais cet acte ne mettait pas en cause son devoir de loyauté.

D. Commentaires supplémentaires des parties sur Tobin

173 Tel qu’indiqué ci-haut, l’avocat de M. Labadie m’a renvoyé à Tobin, une décision d’un arbitre de grief, pour ce qui est du fardeau de la preuve dans un cas qui met en cause le dommage à la réputation d’un organisme. Quelques jours après la fin de l’audience liée aux présents renvois à l’arbitrage, la Cour fédérale du Canada a accueilli une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre de grief dans Tobin (Procureur général du Canada c. Tobin, 2008 CF 740). J’ai donc décidé de donner aux avocats des parties l’occasion de commenter par écrit ce jugement s’ils le désiraient. Les deux avocats m’ont fait parvenir des commentaires écrits.

174 L’avocat de M. Labadie m’a fait noter que la décision de la Cour fédérale ne constitue pas une décision finale. Elle fait l’objet d’une demande d’appel à la Cour d’appel fédérale.

175 L’avocat du défendeur a soutenu que puisque la décision de l’arbitre de grief dans l’affaire Tobin a été renversée par la Cour fédérale, les arguments qu’avaient soumis l’avocat de M. Labadie fondés sur la décision de l’arbitre de grief ne valent plus.

IV. Motifs

176 M. Labadie a renvoyé à l’arbitrage un grief de suspension sans solde et un grief de licenciement. Les deux renvois ont été faits en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFPqui se lit comme suit :

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

[…]

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

177 Je dois me prononcer sur trois questions soulevées dans ces griefs. Premièrement, M. Labadie a-t-il eu la conduite reprochée? Deuxièmement, dans l'affirmative, cette conduite justifiait-elle la prise d’une mesure disciplinaire de la part du défendeur? Troisièmement, dans l'affirmative, l'inconduite était-elle suffisamment sérieuse pour justifier la suspension et le licenciement de M. Labadie?  

178 M. Labadie a publié un livre intitulé À l’ombre du pénitencier de Donnacona et a accordé six entrevues aux médias, lesquelles ont été diffusées douze fois en tout. Dans son livre et ses entrevues, M. Labadie a porté plusieurs accusations contre plusieurs personnes et plusieurs organismes.

179 Les parties ne s’entendent pas sur la raison invoquée pour justifier le licenciement de M. Labadie. L’avocat du défendeur soutient que M. Labadie a été licencié parce qu’en publiant son livre et en accordant des entrevues aux médias, il a manqué à son devoir de loyauté et a enfreint les politiques suivantes :

  • la politique sur la divulgation d’actes fautifs;
  • la politique sur la prévention du harcèlement;
  • le code de valeurs et d’éthique;
  • le code de discipline;
  • les règles de conduite professionnelle;
  • la directive sur les relations avec les médias.

180 L’avocat de M. Labadie soutient, pour sa part, que le manquement au devoir de loyauté n’est pas un motif distinct du licenciement, mais la conséquence des présumées infractions aux politiques du défendeur et de l’employeur. En d’autres mots, c’est parce M. Laplante a cru que M. Labadie avait enfreint ces politiques que M. Laplante a conclu que le lien de confiance entre le défendeur et M. Labadie était rompu.  

181 À mon avis, l’avocat du défendeur a raison. Le devoir de loyauté est un principe juridique qui nous provient de la common law. Évidemment, on retrouve certains éléments du devoir de loyauté dans les politiques du défendeur et de l’employeur. La politique sur la divulgation d’actes fautifs, par exemple, établit une procédure qui permet à un employé de divulguer des actes fautifs sans enfreindre son devoir de loyauté. Mais le devoir de loyauté est un principe juridique distinct des politiques du défendeur et de l’employeur.

182 À mon avis, M. Laplante a licencié M. Labadie parce qu’il jugeait que M. Labadie avait manqué à son devoir de loyauté et parce qu’il avait enfreint les politiques du défendeur et de l’employeur en publiant son livre et en accordant des entrevues aux médias. Cela ressort de la lettre de licenciement (pièce E-5) qui précise que M. Labadie a manqué à son devoir de loyauté envers le SCC :

[…]

La présente lettre fait suite au rapport d’enquête disciplinaire déposé le 26 août 2005 concernant la parution du livre intitulé « À l’ombre du pénitencier de Donnacona » dont vous êtes l’auteur et les entrevues que vous avez accordées aux médias à la suite de la parution de ce livre. Ce rapport d’enquête vous a été remis le 15 septembre 2005 afin d’obtenir vos commentaires.

Après analyse, je constate que vous avez enfreint la Politique sur la divulgation interne d’informations concernant les actes fautifs au travail, la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail, le Code de valeurs et d’éthique de la Fonction publique, les Règles de conduite professionnelle au Service correctionnel du Canada et le Code de discipline.

J’estime que vous avez commis un acte de déloyauté tout à fait incompatible avec votre statut d’agent de la paix. Vous avez entaché la réputation du Service correctionnel du Canada. Vous avez brisé de façon irréparable le lien de confiance avec votre employeur […]

[…]

[Je souligne]

183 À mon avis, le troisième paragraphe ci-haut n’est pas la conséquence du deuxième. L’accent que M. Laplante met sur la réputation du SCC et le lien de confiance entre le SCC et M. Labadie montre, à mon avis, qu’il a considéré le devoir de loyauté comme un motif distinct de licenciement.Cela ressort également du témoignage de M. Laplante. Il a affirmé que la raison fondamentale du licenciement de M. Labadie était les actes de déloyauté que ce dernier avait commis.

184 Il est vrai que le rapport d’enquête disciplinaire du 26 août (pièce E-1, avant l’onglet 1) ne traitait pas du devoir de loyauté. Mais, M. Laplante n’était pas tenu de se limiter aux motifs invoqués dans ce rapport lorsqu’il a décidé de licencier M. Labadie. Ce rapport n’était qu’un outil qui l’aidait à prendre une décision au sujet de la conduite de M. Labadie.

185 Dans Haydon, la Cour fédérale explique que le devoir de loyauté est un principe de common law selon lequel un employé doit servir son employeur avec fidélité et ne peux délibérément nuire à ses activités et intérêts :

43      Selon un principe de common law bien établi, l'employé est tenu de servir son employeur en toute bonne foi et avec fidélité et il ne doit pas délibérément faire quelque chose qui risque de nuire aux activités de l'employeur […]

[Je souligne]

186 Comme l’indiquent Donald J. M. Brown et David M. Beatty dans Canadian Labour Arbitration (3e éd.), les arbitres ont statué que les fonctionnaires violent leur obligation de loyauté s’ils font en public des critiques qui nuisent aux intérêts de leur employeur : (paragraphe 7:3330)

[Traduction]

[…]

           Indépendamment de ces conflits d'intérêts directs, les arbitres ont statué que les fonctionnaires et, de fait, tous les employés violent leur obligation de loyauté s'ils formulent en public des critiques qui nuisent aux intérêts commerciaux légitimes de leur employeur. […]

[Je souligne]

187 Dans Fraser, la Cour suprême du Canada a jugé qu’un fonctionnaire viole son devoir de loyauté s’il critique de façon soutenue et très visible des politiques importantes du gouvernement :

41 Comme l'arbitre l'a indiqué, il existe une autre caractéristique qui est la loyauté. En règle générale, les fonctionnaires fédéraux doivent être loyaux envers leur employeur, le gouvernement du Canada. […] Toutefois, ayant énoncé ces qualités (et il peut y en avoir d'autres), je suis d'avis qu'un fonctionnaire ne doit pas, comme l'a fait l'appelant en l'espèce, attaquer de manière soutenue et très visible des politiques importantes du gouvernement. Selon moi, en se conduisant de cette manière, l'appelant a manifesté envers le gouvernement un manque de loyauté incompatible avec ses fonctions en tant qu'employé du gouvernement.

[Je souligne]

188 Évidemment, les employés peuvent, à l’occasion, critiquer leur employeur, mais ils doivent faire preuve de retenue, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans Fraser.

43      […] Une personne qui entre dans la fonction publique ou qui y est déjà employée doit savoir, ou du moins est présuméesavoir, que l’emploi dans la fonction publique comporte l’acceptation de certaines restrictions. L’une des plus importantes de ces restrictions est de faire preuve de prudence lorsqu’il s’agit de critiquer le gouvernement.

[Je souligne]

189 Dans Haydon, la Cour fédérale explique ainsi ce devoir de retenue :

43      […] Cela étant, le fonctionnaire est tenu de faire preuve de retenue dans ses actions lorsqu'il critique la politique gouvernementale et doit veiller à ce que la fonction publique soit perçue comme s'acquittant de ses fonctions d'une façon impartiale et efficace.

190 M. Labadie a-t-il, par ses propos, enfreint son devoir de loyauté envers le défendeur? Dans Haydon, la Cour fédérale énumère certains facteurs qui servent à déterminer si un employé a enfreint ce devoir :

49        Compte tenu des remarques qui précèdent, les facteurs suivants sont pertinents lorsqu'il s'agit de déterminer si un fonctionnaire qui fait en public des critiques manque à son obligation de loyauté envers l'employeur : le niveau du poste occupé par l'employé au sein de la hiérarchie gouvernementale; la nature et le contenu de l'expression; la visibilité de l'expression; le caractère délicat de la question; l'exactitude de la déclaration; les démarches que l'employé fait pour connaître les faits avant de prendre la parole; les efforts que l'employé fait pour informer l'employeur de ses préoccupations; la mesure dans laquelle la réputation de l’employeur est ternie et les incidences sur la capacité de l'employeur d'exercer ses activités.

191 L’analyse des accusations, des critiques et des propos désobligeants que M. Labadie a exprimés dans son livre et les entrevues qu’il a accordées aux médias à la lumière des facteurs énumérés ci-dessus me porte à conclure qu’il a manqué à son devoir de loyauté.

192 La nature et la teneur des accusations et des critiques de M. Labadie sont fort sérieuses. L’accusation la plus grave est que certains gestionnaires et certains employés de l’établissement ont fait entrer des stupéfiants au pénitencier et en ont donné à un détenu pour obtenir sa collaboration. Ce sont des accusations d’actes criminels passibles de peines de prison. Je ne répèterai pas ici tous les extraits de son livre et de ses entrevues dans lesquels il porte ces accusations, mais j’aimerais signaler les passages les plus percutants. On retrouve les propos suivants au dos de la pochette de son livre :

[…]

Un rapport officiel de septembre 2002 rapporte que des agents correctionnels ont laissé entrer à l’intérieur des murs des quantités substantielles de drogue et en ont donné à un détenu, dont ils voulaient obtenir qu’il fasse un faux témoignage contre un de leurs collègues. Ce fait divers aurait dû faire scandale, mais il n’a pourtant pas eu d’écho. Tout le monde est resté étrangement muet. Jean-Pierre Labadie brise enfin ce silence.

[…]

[Je souligne]

193 Même si c’est l’éditeur du livre de M. Labadie qui a rédigé ce texte, M. Labadie a donné son aval.

194  M. Labadie répète les mêmes accusations d’actes illégaux lors d’une entrevue qu’il a accordée à la station CBVT Câble 6 Québec, Société Radio Canada, le 13 mai 2005 (pièce E-1, onglet 8) :

Page 1

          […] Il y a certains bureaux … le bureau de la sécurité préventive permet à certains détenus d’entrer de la drogue pour soit des renseignements, soit pour … toutes sortes de choses que je ne peux pas nommer parce que ça ne me regarde pas. Maismoi, ce qui me regarde, c’est que ces gens-là laissent entrer de la dope à l’intérieur des murs.

[Je souligne]

195  M. Labadie a aussi porté des accusations de trafic de stupéfiants dans une entrevue radiophonique qu’il accordée à Stéphane Gasse de la station radiophonique CHRC de Québec le 5 mai 2005 (pièce E-1, onglet 8) :

[…]

          STÉPHANE GASSE : […] L’impression que ça me laisse en lisant ça […] c’est qu’à Donnacona, les bandits et les crosseurs sont pas toujours derrière les barreaux.

          JEAN-PIERRE LABADIE : On peut rien vous cacher.

[…]

Page 4

[…]

          STÉPHANE GASSE : […] au service correctionnel canadien, c’est documenté qu’il y a des agents correctionnels qui font, hauts-placés là, qui entre autres ont fourni de la drogue à des détenus?

          JEAN-PIERRE LABADIE : Oui, oui, tout à fait.

[Les passages soulignés le sont dans la transcription de l’entrevue]

196 Dans son livre, M. Labadie accuse également la direction et certains employés de l’établissement de toutes sortes d’autres actes illégaux, dont le parjure, le trafic d’influence et les menaces de mort :

Page 11

[…]

          De septembre 1999 à septembre 2002 a eu lieu à l’établissement pénitentiaire à sécurité maximale de Donnacona la plus célèbre saga administrative et judiciaire de l’histoire de ce pénitencier fédéral. En effet, elle a alimenté toutes les conversations et provoqué des actions criminelles injustifiables de la part de membres de la direction et de certains agents correctionnels, allant du faux témoignage à la fabrication de preuves en passant par l’incitation au parjure, au parjure lui-même et aux menaces de mort. […]

[…]

Page 161

[…]

           Il est inconcevable qu’un organisme gouvernemental puisse permettre le trafic d’influence, le chantage, les menaces de toutes sortes, le non-respect des lois et des règlements, et le trafic de stupéfiants comme partie intégrante de son mode de fonctionnement.

[…]

Page 163

[…]

          […] il faut commencer à dénoncer les injustices et les actes criminels de ces virtuoses de la manipulation qui n’hésitent pas à employer la menace, le chantage et à exercer des représailles contre ceux qui se mettent sur leur chemin.

[…]

[Je souligne]

197 M. Labadie accuse le directeur de l’établissement de faire un faux témoignage devant un arbitre de grief de la CRTFP :

Page 129

[…]

          […] C’est incroyable, le nombre de mensonges et d’inexactitudes dont il a émaillé son témoignage.[…] Dupré [pseudonyme] s’est donc laissé guider aveuglément par son service de sécurité préventive sans se douter un seul instant qu’il se faisait manipuler comme un gamin par ses experts du renseignement. Quelle disgrâce ! […]  

[Je souligne]

198 Dans son livre, M. Labadie accuse également une psychologue du pénitencier de mentir à des enquêteurs du SCC et faire un faux témoignage devant un arbitre de grief de la CRTFP afin d’obtenir un poste permanent au pénitencier :

Page 43

[…]

          […] Manon Chalifoux [pseudonyme][…] n’aurait pas dû émettre autant de mensonges lorsque les enquêteurs l’ont rencontrée, si la rencontre a bien eu lieu. […]

Page 44

[…]

          […] Nous croyons que, pour ce service rendu, elle a hérité d’un poste permanent à l’établissement, juste avant de faire son témoignage au procès de Friolet.

[…]

Page 130¸

[…]

          […] En effet, la psychologue savait déjà, avant même d’avoir posé la main sur la Bible, qu’elle allait faire un témoignage dirigé et inexact. Effectivement, elle a livré, devant la cour, un témoignage tissé de mensonges et de faussetés. Les faits qu’elle a relatés n’ont jamais existé. […]

[Je souligne]

199 Il est important de noter que même si dans certains cas M. Labadie utilise des pseudonymes dans son livre, les personnes qu’il accuse peuvent être aisément identifiées. Par exemple, il est aisé de déterminer qui est la personne que M. Labadie nomme Yvan Dupré, le directeur de l’établissement de l’époque, puisqu’il n’y avait qu’une personne qui occupait ce poste. Il en est de même de la psychologue qu’il nomme Mme Chalifoux puisqu’il n’y avait que deux psychologues au pénitencier.

200 L’accusation de M. Labadie voulant que des agents correctionnels de la sécurité préventive ait ordonné à un détenu de commettre un vol constitue également une accusation grave. M. Labadie dit ceci lors d’une entrevue qu’il a accordée à Stéphane Gasse de la station radiophonique CHRC de la région de Québec le 5 mai :

Page 5

[…]

          […] Bien, ils ont fait voler le détenu. Ils l’ont fait, ils lui ont mis, ils lui ont dit de mettre des, des choses dans le sac à Friolet pour qu’il se fasse prendre à la sortie.

[…]

201 La nature et la teneur des critiques de M. Labadie contre la gestion de l’établissement, quoique moins graves que ses accusations d’actes illégaux, sont quand même sérieuses. Il écrit dans son livre que le SCC est géré selon un « système décadent et rétrograde » (page 14), et que la direction de l’établissement souffre de « totale incompétence » (page 159). Pour ce qui est de la dotation en personnel, selon M. Labadie, le favoritisme règne :

Page 158-159

[…]

          […] Le système de promotion est marqué par une partialité malveillante. On tient compte non pas des qualifications et du mérite, mais de l’intensité du lien que les bienheureux promus ont tissé avec ceux qui ont le pouvoir d’accorder ces nominations. Il ne suffit donc pas d’être compétent et de posséder les outils intellectuels nécessaires pour obtenir une promotion bien méritée. Il faut être complaisant à l’égard des décideurs.

202 M. Labadie n’est pas tendre non plus envers la GRC qu’il accuse de protéger les « vauriens » et les « bandits » au lieu des citoyens, et d’être un organisme lâche et faible (page 155 de son livre).

203 Pour ce qui est de la forme des accusations, critiques et insultes de M. Labadie, elles ont été répétées à maintes reprises dans son livre et dans les entrevues qu’il a accordées aux médias. M. Labadie a utilisé un langage cinglant, injurieux et quelquefois alarmiste. 

204 Un autre facteur cité dans Haydon pour déterminer si l’employé a enfreint son devoir de loyauté est la visibilité de l’expression. Le fait que M. Labadie a exprimé ses accusations et critiques dans un livre qui a été publié leur donne une grande visibilité. Entre 1400 et 1450 exemplaires ont été distribués aux librairies. Même si ce n’est pas un fort tirage, le nombre de personnes qui ont pu lire ce livre est quand même important. Il en est de même du fait d’accorder six entrevues à des stations de radio. Selon le témoignage de Mme Connelly, les entrevues ont été diffusées douze fois en tout. Même si ces émissions radiophoniques étaient destinées à un auditoire plutôt local, il n’en demeure pas moins que la région de Québec constitue un bassin d’auditeurs assez important. Je dois aussi souligner que les personnes le plus touchées par les propos de M. Labadie, c’est-à-dire les employés de l’établissement et les détenus, ont toutes pu avoir accès au livre de M. Labadie et à ses entrevues radiophoniques.

205 Selon Haydon, la nature du poste de l’employé est aussi un facteur qui peut servir à déterminer si l’employé a enfreint son devoir de loyauté. L’avocat de M. Labadie soutient que le poste de M. Labadie n'est pas un poste élevé dans la hiérarchie du pénitencier puisqu’il est un agent correctionnel de groupe et niveau CX-01. Il est vrai que le niveau du poste de M. Labadie n'est pas très élevé; mais la nature d’un poste englobe plus que son niveau. Les gens qui occupent des postes de niveau peu élevé peuvent avoir des responsabilités importantes. C’est le cas d’un agent correctionnel. La conduite d’un agent correctionnel peut avoir des répercussions importantes sur la sécurité des employés, des détenus du pénitencier et de la population en général.

206 Un autre facteur cité dans Haydon pour déterminer si l’employé a enfreint son devoir de loyauté est « les efforts que l'employé fait pour informer l’employeur de ses préoccupations » (paragraphe 49). Dans un même ordre d’idées, la Cour fédérale a indiqué dans Read qu’avant de faire des dénonciations publiques, l’employé devait épuiser les recours internes :

[123]   En outre, même si le caporal Read avait été par ailleurs justifié de s’adresser au public, ce qui n’était pas le cas, il ne pouvait le faire parce qu’il n’avait pas épuisé tous les recours internes. En principe, un employé loyal donnera à son employeur une possibilité raisonnable de corriger le problème (voir Haydon no 2, au paragraphe 47).

207 Cette obligation d’épuiser les mécanismes internes de divulgation d’actes fautifs avant de porter des accusations en public a été reprise dans la politique sur la divulgation d’actes fautifs. Cette politique précise également qu’un employé doit utiliser le processus interne de divulgation avant de faire une dénonciation publique. Elle prévoit que l’employé doit d’abord faire sa divulgation auprès de l’agent supérieur désigné à cette fin (pièce E-1, onglet 22, page 8). Cette même politique offre une autre avenue à l’employé qui estime que le problème qu’il soulève ne peut être traité en toute confiance au sein de son organisme. Elle prévoit que l’employé peut divulguer les actes fautifs directement à l’agent de l’intégrité de la fonction publique (pièce E-1, onglet 22, page 9). Cette politique met en garde les employés qui feraient une divulgation sans respecter la politique. Elle stipule que « toute divulgation non autorisée à l’extérieur pourrait exposer l’employé à des mesures disciplinaires » (pièce E-1, onglet 22, page 2).

208 Selon moi, M. Labadie n’a pas utilisé les ressources internes dont il disposait pour se faire entendre. Il n’a pas approché M. Laplante, ou tout autre représentant de la direction. Même lorsque M. Laplante lui a offert de lire son livre avant sa publication, M. Labadie a refusé son offre. Il ne s’est pas adressé aux représentants des ressources humaines du SCC. M. Labadie ne s’est pas adressé non plus à l’agent supérieur désigné en vertu de la politique sur la divulgation d’actes fautifs, ni à l’agent de l’intégrité de la fonction publique. Selon moi, M. Labadie ne s’est pas conformé à l’obligation que l’on retrouve dans Haydon et Read d’utiliser les ressources internes avant de critiquer son employeur en public, et il a, par cette même conduite, enfreint la politique sur la divulgation d’actes fautifs.

209 M. Labadie dit avoir contacté des ministres et la députée de sa circonscription pour leur faire part de ses préoccupations. À mon avis, ce ne sont pas les personnes qu’il fallait contacter. D’abord, ce ne sont pas les personnes désignées dans la politique sur la divulgation d’actes fautifs. Ensuite, pour ce qui est des membres du cabinet, il n’est pas réaliste de penser qu’ils vont s’occuper de telles divulgations. Tel qu’il a été mentionné ci-haut, M. Labadie aurait dû suivre la procédure de divulgation d’actes fautifs prévue dans cette politique.

210 Je ne crois pas que le fait que la GRC ait conclu qu’il n’y avait pas matière à faire enquête puisse justifier que M. Labadie porte ses accusations en public. Au contraire, le fait qu’un corps policier respecté en vienne à une telle conclusion constituait une raison de plus pour que M. Labadie ne donne pas suite à ses accusations de façon publique. M. Labadie a voulu en quelque sorte se faire justice soi-même en faisant ses accusations en public malgré le fait que la GRC ait conclu qu’il n’y avait pas assez d’éléments pour justifier une enquête.

211 L’avocat de M. Labadie a porté à mon attention un courriel du 21 juin 2005 (pièce F-2), dans lequel Mme Connelly écrit que Mme Roberts, la directrice de Divulgation interne et enquêtes du SCC, lui avait dit qu’il n’était pas nécessaire qu’un employé s’adresse au bureau de Mme Roberts pour divulguer des actes fautifs. À mon avis, un employé ne peut faire des dénonciations directement en public sauf dans les circonstances énumérées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Fraser. Même si Mme Roberts avait raison, il fallait quand même essayer de passer par son employeur avant de rendre ses accusations publiques. Mais ce qu’il faut surtout retenir de ce courriel, c’est qu’il s’agit d’un courriel de Mme Connelly à Mme Arseneault qui relate une discussion entre Mme Connelly et Mme Roberts. M. Labadie n’y joue aucun rôle. 

212 M. Labadie a témoigné qu’il avait demandé à un représentant du gouvernement fédéral si la nouvelle loi que le premier ministre de l’époque entendait faire adopter pour protéger la dénonciation d’actes fautifs le protégerait s’il publiait un livre qui dénonçait des actes criminels. Ce représentant, que M. Labadie n’a pas identifié, avait répondu que M. Labadie serait protégé par cette nouvelle loi. Je ne peux accorder beaucoup de poids à cet élément de preuve parce qu’on ne m’a pas fourni plus de détails sur le contexte de cette conversation. M. Labadie n’a pas établi si le représentant en question avait le droit de faire de telles promesses, si la loi couvrait une dénonciation faite en publiant un livre et si ce représentant avait lu le livre de M. Labadie. Mais cette réponse du représentant n’est pas vraiment pertinente puisque cette loi n’était pas encore en vigueur lorsque M. Labadie a écrit son livre et accordé ses entrevues aux médias. La Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, 2005, ch. 46, puisque c’est de cette loi qu’il s’agit, a été sanctionnée le 25 novembre 2005 et est entré en vigueur seulement le 15 avril 2007. De plus, il était imprudent de se fier à un avis donné par un préposé du gouvernement lors d’une conversation téléphonique, vu la complexité de cette question. M. Labadie aurait dû consulter un expert en la matière. Son syndicat, par exemple, aurait pu le conseiller à ce sujet.

213 L’avocat de M. Labadie m’a signalé que M. Gauthier avait écrit à Mme McClung le 4 septembre 2001, pour l’informer que des détenus avaient témoigné lors de l’affaire Friolet que le vol de jeans qu’on reprochait à ce dernier était un coup monté (pièce F-1). Mme McClung a répondu à M. Gauthier qu’elle traiterait cette lettre de façon prioritaire. Je ne crois pas que M. Labadie puisse invoquer le fait que Mme McClung ne l’a pas contacté pour justifier sa dénonciation publique. D’abord, j’aimerais souligner que ce n’est pas M. Labadie qui a écrit cette lettre, mais bien M. Gauthier, et rien n’indique que M. Gauthier l’ait écrit à la demande de M. Labadie. On ne sait pas non plus si Mme McClung a donné suite à la lettre. Mais ce qui est plus important, c’est que cette lettre renvoie au témoignage de détenus et, selon moi, ce n’était pas une source fiable. 

214 L’avocat de M. Labadie met en doute la validité de la conclusion que l’on retrouve dans le rapport d’enquête disciplinaire du 26 août 2005 (pièce E-1, avant l’onglet 1) au sujet de la politique sur la divulgation d’actes fautifs. Les enquêtrices avaient conclu que M. Labadie avait enfreint cette politique, mais les mêmes enquêtrices avaient conclu le contraire dans leur rapport d’enquête disciplinaire du 21 juin 2005 (pièce F-3). Comme je l’ai mentionné plus haut, ce rapport est seulement un outil qui a aidé M. Laplante à prendre une décision à l’égard de la conduite de M. Labadie. Puisque M. Laplante n'était pas tenu aux conclusions du rapport, le fait que les enquêtrices ont changé d’idée à ce sujet n’a aucune incidence. M. Laplante a accepté la conclusion que l’on retrouve dans le rapport du 26 août 2005. La preuve soumise dans la présente affaire démontre que M. Labadie a enfreint cette politique.

215 L’avocat de M. Labadie allègue qu’il y a eu ingérence indue de la part du BVE à l’endroit des enquêtrices du rapport d’enquête disciplinaire. Je ne suis pas d'accord avec cette allégation. On ne peut accuser le BVE d’ingérence puisque, selon la politique sur la divulgation d’actes fautifs, c’est le rôle des représentants du BVE de donner conseil aux ministères sur l’application de cette politique (pièce E-1, onglet 22, page 4).

216 Il est aussi important de noter que l’établissement s’est penché sur la question du trafic de stupéfiants au pénitencier. M. Laplante avait demandé une vérification interne du processus suivi pour la saisie des objets interdits et avait demandé aux vérificateurs d’apporter une attention particulière au traitement des stupéfiants dans le pénitencier (pièce E-1, onglet 14). M. Laplante avait aussi demandé à deux employés de l’établissement de faire enquête sur les démarches de M. Labadie auprès de la SQ et de la GRC. Dans leur rapport, ces deux employés ont indiqué que ces corps policiers avaient jugé qu’il n’y avait pas matière à enquête (pièce E-1, onglet 13).

217 L’avocat de M. Labadie soutient qu’il ne suffit pas de démontrer qu’il y a eu manquement au devoir de loyauté; pour avoir gain de cause, l’employeur devait également fournir une preuve directe que la réputation du SCC a été ternie par la conduite de M. Labadie. Pour s’acquitter du fardeau de la preuve à cet égard, l’employeur devait comparer la réputation du SCC avant la parution du livre et la diffusion des entrevues radiophoniques, avec la réputation qu’elle avait après ces événements. Selon l’avocat de M. Labadie, l’employeur n’a pas fait cette preuve.

218 Je dois souligner que dans les présents griefs, il n’y a en effet pas de preuve directe, au sens où l’entend l’avocat de M. Labadie, que la réputation du SCC a été entachée par le livre et les entrevues radiophoniques de M. Labadie. À mon avis, une preuve directe du dommage fait à la réputation du SCC n’est pas nécessaire. Dans Tobin, la Cour fédérale a jugé qu’une preuve de perte de respect de la part du public n’est pas nécessaire pour conclure que l’employé a, par sa conduite, porté atteinte à la réputation de l’employeur :

[48]

[…]

          En conséquence, la première chose que l’arbitre aurait dû examiner est la preuve utilisée pour étayer le congédiement de M. Tobin, et il aurait dû se demander si cette conduite « portait atteinte » à la réputation du SCC, puisque c’est exactement ce que Mme Stableforth a conclu. Plutôt que de faire cela, l’arbitre a conclu que la conduite de M. Tobin en dehors des heures de travail n’était pas pertinente. Il semble que cette conclusion soit fondée sur sa conclusion exprimée au paragraphe 88 selon laquelle il avait besoin d’une preuve d’une source qui lui permettrait d’arriver à une opinion et à l’exprimer. Il s’agit d’une mauvaise compréhension de son devoir. Il n’y a que l’arbitre qui puisse se forger une opinion en recourant à ses propres connaissances et à son habileté analytique. Aucune preuve de perte du respect public n’est nécessaire pour parvenir à une conclusion. En d’autres mots, la question de savoir si la confiance et le respect du public à l’endroit du SCC diminueront si M. Tobin n’est pas congédié n’est pas une question de preuve; c’est une question de jugement, qu’on doit exercer de façon correcte, équitable et raisonnable.

[Je souligne]

219 L’avocat de M. Labadie soutient que je ne peux me fonder sur cet arrêt puisqu’il a été porté en appel. À mon avis, je suis lié par une décision de la Cour fédérale jusqu’à ce qu’elle soit renversée en appel. Même si cette décision ne traitait pas du devoir de loyauté, mais de la perpétration d’un acte criminel en dehors du cadre de travail, je crois qu’elle fait jurisprudence pour ce qui est de l’obligation de prouver les dommages causées à la réputation d’un organisme.

220 Je suis également d’avis que dans le présent cas, on peut inférer que la réputation du SCC, et plus particulièrement celle de l’établissement, ont été affectées de façon négative par la conduite de M. Labadie, en raison de la nature et de la teneur des accusations de M. Labadie (c’est-à-dire, accusations graves d’actes illégaux et de parjure), de leur contexte (c’est-à-dire, accusations portés par un agent correctionnel contre certains gestionnaires et certains employés du pénitencier), de leur forme (accusations répétées maintes fois dans un langage alarmiste et injurieux), ainsi que de leur visibilité (c’est-à-dire, les accusations sont formulées dans un livre et des entrevues radiophoniques). La Cour suprême du Canada a adopté une approche semblable dans Fraser, comme on le verra plus loin, pour inférer un effet négatif de la conduite d’un employé sur sa capacité d’accomplir ses fonctions. 

221 Je conclus donc que M. Labadie a manqué à son devoir de loyauté envers le défendeur en raison de la nature et de la teneur des propos qu’il a tenus, de leur forme et de leur visibilité. Le fait qu’il occupe un poste lié à la sécurité du pénitencier et le fait qu’il n’a pas eu recours aux mécanismes de divulgation internes sont aussi des facteurs qui m’ont mené à cette conclusion. Les accusations les plus graves, pour ce qui est de leur teneur, sont celles dirigées à l’endroit de l’établissement dans son ensemble, insinuant que la direction du pénitencier a permis le trafic de stupéfiants, protégé ceux qui s’y adonnent, et fourni des stupéfiants à un détenu pour assurer sa collaboration. Les accusations de faux témoignages portées contre le directeur du pénitencier et une psychologue de l’établissement sont également graves. Ses critiques à l’endroit des gestionnaires de l’établissement qui, selon lui, font preuve de « totale incompétence » sont également sérieuses. Elles minent la crédibilité de ce pénitencier. Le nombre d’organismes qui ont fait l’objet de ses critiques frappe aussi. Outre l’établissement, M. Labadie critique le SCC et la GRC. Il critique également plusieurs personnes qu’il nomme ou qui sont aisément identifiables.

222 L’avocat de M. Labadie n’a pas allégué dans le contexte du présent renvoi à l’arbitrage que le licenciement de M. Labadie brimait son droit à la liberté d'expression reconnue au paragraphe 2b) de la Charte,maisM. Labadiea fait cette allégation dans son grief. Je veux donc préciser que la Cour fédérale a décidé à maintes reprises que le devoir de loyauté de la common law n’enfreignait pas cette disposition de la Charte. Dans Haydon, par exemple, la Cour fédérale a jugé que l’obligation de loyauté constitue une limite raisonnable à la liberté d’expression (paragraphe 45).

223 Dans les présents griefs, M. Labadie veut se prévaloir, pour ce qui est de ses accusations d’actes illégaux, de l’exception au devoir de loyauté prévue pour ce genre d’actes dans Fraser. Dans ce jugement, la Cour suprême du Canada a reconnu qu’un fonctionnaire peut activement et publiquement critiquer le gouvernement si ce dernier commet des actes illégaux, et ce droit l’emporte sur l’obligation de loyauté :

41      […] En fait, dans certaines circonstances, un fonctionnaire peut activement et publiquement exprimer son opposition à l'égard des politiques d'un gouvernement. Ce serait le cas si, par exemple, le gouvernement accomplissait des actes illégaux ou si ses politiques mettaient en danger la vie, la santé ou la sécurité des fonctionnaires ou d'autres personnes, ou si les critiques du fonctionnaire n'avaient aucun effet sur son aptitude à accomplir d'une manière efficace ses fonctions ni sur la façon dont le public perçoit cette aptitude. […]

[Je souligne]

224 La Cour fédérale a jugé dans Grahn que pour se prévaloir de l’exception au devoir de loyauté que constitue la dénonciation d’actes illégaux, l’employé doit démontrer le bien-fondé de ses accusations, à défaut de quoi il devra subir la conséquence de ses actes :

[…]

          Il n’en reste pas moins qu’avoir pris la décision très grave d’accuser ses supérieurs d’illégalités, le requérant devait en démontrer le bien-fondé s’il tenait à éviter les conséquences par ailleurs naturelles de ses actions. Comme il l’a reconnu lui-même à l’audience, le dossier ne contient pas une telle preuve. Les seules allégations non confirmées du requérant ne sont certainement pas suffisantes.

[…]

225 Dans Read, la Cour fédérale a également jugé que pour se prévaloir de l’exception d’actes illégaux prévue dans Fraser, les accusations doivent avoir un fondement rationnel :

[70]   […] Dans l'arrêt Fraser, le juge en chef Dickson a dit que la dénonciation serait acceptable « si, par exemple, le gouvernement accomplissait des actes illégaux »…

[100]  En ce qui concerne le fardeau relatif à la justification d'une allégation publique faite relativement à un acte illégal qu’aurait commis le gouvernement, il a été établi que le caporal Read croyait honnêtement que ce qu’il avait affirmé était vrai. Mais l'honnêteté ne suffit pas. Les allégations doivent avoir un fondement rationnel. […]

226 Les accusations de trafic de stupéfiants de M. Labadie reposent sur trois sources. La première est une déclaration du détenu B. Ce dernier aurait déclaré à M. Labadie et à Mme Mathieu le 20 janvier 2000 qu’un autre détenu, le détenu M, lui avait dit que certains employés du pénitencier faisaient entrer des stupéfiants à l’établissement et qu’ils ont tenté de soudoyer le détenu M pour qu’il mente au sujet de l’implication de M. Friolet dans un vol commis au pénitencier. Le détenu B aurait, selon M. Labadie, déclaré des choses semblables lors de son témoignage dans l’affaire Friolet. À mon avis, faire reposer des accusations aussi graves sur les dires d’un détenu manque de sérieux. Ce n’est pas une source fiable. Pour ce qui est du détenu M, l’arbitre de grief avait écrit dans sa décision qu’elle ne lui accordait aucune crédibilité (pièce E-1, onglet 11, paragraphe 379).

227 La deuxième source des accusations de trafic de stupéfiants est la décision de l’arbitre de grief dans l’affaire Friolet. M. Labadie écrit, par exemple, au dos de la couverture de son livre qu’un « […]rapport officiel de septembre 2002 rapporte que des agents correctionnels ont laissé entrer à l’intérieur des murs des quantités substantielles de drogue et en ont donné à un détenu, dont ils voulaient obtenir qu’il fasse un faux témoignage contre un de leurs collègues. » […] Le « rapport officiel » en question est la décision de l’arbitre de grief dans l’affaire Friolet. Or, cette décision ne traite nulle part de trafic de stupéfiants. Lorsque l’avocat du défendeur a demandé à M. Labadie d’indiquer les passages de Friolet dans lesquels on faisait allusion au trafic de stupéfiants, M. Labadie n’a pu lui en indiquer. M. Labadie a ajouté que les plaidoiries des représentants dans cette affaire en faisaient mention. Je ne peux commenter les plaidoiries écrites que les représentants ont soumis dans ce renvoi puisque M. Labadie ne les a pas soumises en preuve. Le résumé de leurs plaidoiries fait par l’arbitre de grief dans la décision ne fait aucune allusion à un trafic de stupéfiants.

228 Il est vrai que M. Gauthier a écrit à Mme McClung en septembre 2001 qu’un détenu avait déclaré certaines choses au sujet d’un trafic de stupéfiants (pièce F-1). Je ne donne pas plus de détails à ce sujet puisque; selon la lettre de M. Gauthier, ce témoignage avait été donné à huis clos. Puisque M. Gauthier n’est pas venu témoigner à l’égard des présents griefs, je ne sais même pas comment M. Gauthier a pu obtenir ces informations. Je n’accorde donc aucune force probante à cette lettre. Et de toute façon, la lettre de M. Gauthier renvoie aux dires d’un détenu, et il n’est pas raisonnable ou même rationnel, à mon avis, de fonder des accusations aussi graves sur les déclarations d’un détenu.

229 La troisième source, ce sont les rumeurs qui circulaient au pénitencier que certains agents se livraient au trafic de stupéfiants. M. Labadie n’a jamais donné plus de précisions à ce sujet. Il n’a pas précisé, par exemple, qui propageait ces rumeurs. À mon avis, se fier à de vagues rumeurs n’est pas un fondement sérieux ou rationnel pour porter des accusations aussi graves.

230 M. Labadie n’a également aucune preuve que le directeur et une psychologue de l’établissement ont fait de faux témoignages devant un arbitre de grief de la CRTFP. Pour ce qui est de la psychologue, il semble que les accusations de M. Labadie soient fondées, selon ce qu’il écrit à la page 51 de son livre, sur la déclaration que le détenu B lui a faite, ainsi qu’à Mme Mathieu, le 20 janvier 2000. Comme je l’ai déjà exprimé plus haut, la déclaration d’un détenu n’est pas une source fiable.   

231 Pour ce qui est de l’accusation d’avoir forcé le détenu M à mentir pour faire congédier M. Friolet, M. Labadie s’est encore là fondé sur la déclaration du détenu B et le témoignage du détenu M lors du renvoi du grief de M. Friolet. J’ai déjà conclu que ces personnes ne sont pas dignes de foi.

232 Ce qui frappe dans les présents griefs, c’est que des accusations aussi graves, passibles d’emprisonnement, reposent sur si peu d’éléments et sur des sources qui ne sont pas fiables. Après avoir examiné la preuve soumise, je conclus donc que les accusations d’actes illégaux portées par M. Labadie sont sans fondement, comme dans Grahn, etirrationnelles comme dans Read.

233 Je voudrais ajouter que même si je suis d’avis que les accusations de M. Labadie sont sans fondement, je ne doute pas qu’il croyait sincèrement qu’elles étaient justifiées. Il croyait agir dans l’intérêt public. Il est devenu, à mon avis, complètement absorbé par sa croisade contre l’établissement depuis le grief de M. Friolet. Mais sa sincérité ne change en rien le fait que ses accusations n’étaient pas fondées, et elle ne peut, selon moi, excuser son manquement à son devoir de loyauté.

234 M. Labadie veut également se prévaloir de la dernière exception au devoir de loyauté que l’on trouve dans Fraser qui traite de l’incidence d’une critique publique sur la capacité de l’employé d’accomplir ses fonctions et la perception du publique à ce sujet :

41      […] En fait, dans certaines circonstances, un fonctionnaire peut activement et publiquement exprimer son opposition à l'égard des politiques d'un gouvernement. Ce serait le cas si, par exemple, […] les critiques du fonctionnaire n'avaient aucun effet sur son aptitude à accomplir d'une manière efficace ses fonctions ni sur la façon dont le public perçoit cette aptitude. Toutefois, ayant énoncé ces qualités (et il peut y en avoir d'autres), je suis d'avis qu'un fonctionnaire ne doit pas, comme l'a fait l'appelant en l'espèce, attaquer de manière soutenue et très visible des politiques importantes du gouvernement. Selon moi, en se conduisant de cette manière, l'appelant a manifesté envers le gouvernement un manque de loyauté incompatible avec ses fonctions en tant qu'employé du gouvernement.

[Je souligne]

235 L’avocat de M. Labadie soutient que l’employeur n’a pas établi que M. Labadie ne peut accomplir ses fonctions. À mon avis, cet argument n’est pas fondé. Dans Fraser, la Cour suprême a jugé qu’on peut déduire une incidence néfaste à partir de certains éléments, dont la nature du poste de l’employé, le fond, la forme et le contexte de la critique :

47      […] En ce qui a trait à l'empêchement d'accomplir le travail précis, je crois que selon la règle générale la preuve directe de l'incidence néfaste devrait être exigée. Toutefois cette règle n'est pas absolue. On peut déduire qu'il y a eu incidence néfaste lorsque, comme en l'espèce, la nature du poste du fonctionnaire est à la fois importante et délicate et lorsque comme en l'espèce, le fond, la forme et le contexte de la critique du fonctionnaire est extrême

48      Si on examine l'incidence néfaste dans un sens plus large, je suis d'avis qu'une preuve directe n'est pas nécessairement exigée.[…] Un arbitre peut déduire qu'il y a une incidence néfaste d'après l'ensemble de la preuve si des éléments de preuve indiquent un type de conduite qui peut raisonnablement l'amener à conclure qu'elle est de nature à diminuer l'efficacité du fonctionnaire. Y avait-il en l'espèce de tels éléments de preuve sur la conduite? Pour répondre à cette question il devient pertinent d'examiner le fond, la forme et le contexte des critiques de M. Fraser contre les politiques du gouvernement.

[…]

50      Lorsqu'on examine le fond des critiques (deux politiques gouvernementales importantes et la personnalité et l'intégrité du Premier ministre et du gouvernement), le contexte de ces critiques (prolongées, pratiquement à temps plein, dans des assemblées publiques, à la radio, à la télévision, dans les journaux, aux niveaux local, national et international) et la forme de ces critiques (au départ limitées, mais de plus en plus cinglantes et injurieuses), on peut constater la justesse de la conclusion de l'arbitre selon laquelle tant l'aptitude de M. Fraser à accomplir son travail que sa capacité de demeurer dans la fonction publique étaient diminuées. Bien qu'aucune preuve directe d'incidence néfaste sur la capacité ne soit requise, la preuve en l'espèce établit clairement des circonstances qui nous amènent nécessairement à conclure qu'il y a eu une incidence néfaste.

[…]

[Je souligne]

236 À mon avis, les accusations que M. Labadie a porté ont eu un effet néfaste sur son aptitude à accomplir ses fonctions et sur la façon dont le public perçoit cette aptitude à cause de la nature de ses accusations (surtout les accusations d’actes illégaux), leur contexte (accusations portées par un agent correctionnel à l’endroit de la direction de l’établissement et de plusieurs employés du pénitencier), leur forme (accusations répétées exprimées dans un langage alarmiste et injurieux), et la façon très visible dont il a choisi de rendre ses accusations publiques (exprimées dans un livre et des entrevues radiophoniques). Le fait que ses allégations ne sont pas fondées me porte également à en conclure ainsi.

237 J’ai déjà conclu que M. Labadie avait enfreint la politique sur la divulgation d’actes fautifs. J’estime qu’il n’est pas nécessaire de passer en détail les infractions aux autres politiques du défendeur et de l’employeur puisque, à mon avis, le manquement de M. Labadie à son devoir de loyauté justifie son licenciement. Le fait que ses propos enfreignent aussi certaines dispositions des politiques du défendeur et de l’employeur ajoutent cependant à la gravité de ces actes.

238 Je suis d’avis que M. Labadie a enfreint la politique sur le harcèlement. Le but de cette politique du CT est de favoriser un milieu de travail sain, respectueux et exempt de harcèlement. La politique donne la définition suivante de « harcèlement » (pièce E-1, onglet 21, page 2) :

[…]

Harcèlement(harassment) - se définit comme tout comportement inopportun et injurieux, d'une personne envers une ou d'autres personnes en milieu de travail, et dont l'auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu'un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice. Il comprend tout acte, propos ou exhibition qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, ou tout acte d'intimidation ou de menace. Il comprend également le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[…]

239 À mon avis, les accusations d’actes criminels décrites plus haut et les accusations de parjure contre le directeur et une psychologue du pénitencier, constituent un « comportement inopportun et injurieux, d'une personne envers une ou d'autres personnes en milieu de travail » qui « pouvait offenser » ces personnes. Le comportement de M. Labadie est aussi un comportement qui « diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne ».

240 L’avocat de M. Labadie a signalé que personne n’a déposé de plainte de harcèlement contre M. Labadie. À mon avis, il n’est pas nécessaire qu’une personne dépose une plainte pour qu’un gestionnaire agisse. Cette politique prévoit expressément qu’un gestionnaire doit intervenir lorsqu’il croit qu’un employé a enfreint cette politique (pièce E-1, onglet 21, page 4) :

[…]

Les gestionnaires

[…]

f) Ils doivent traiter toute situation de prétendu harcèlement dont ils ont connaissance, qu’une plainte ait été déposée ou non. Ceci s’applique à toute situation de harcèlement qui met en cause des employés ou d’autres personnes œuvrant dans la fonction publique.

[…]

241 L’avocat de M. Labadie soutient également que cette politique ne s’applique pas puisque les accusations et les critiques de M. Labadie n’ont pas été faites lorsque M. Labadie était au travail. À mon avis, cet argument n’est pas fondé. La politique précise que le harcèlement est un comportement inopportun ou injurieux « en milieu de travail ». Je suis d’avis que les accusations d’actes criminels et de parjures de M. Labadie contre certains collègues sont reliées au contexte de leur travail. Si la thèse de M. Labadie était juste, cela voudrait dire qu’un employé pourrait harceler un collègue de travail, en autant qu’il le fasse ailleurs qu’à son lieu de travail. Évidemment, cet argument ne tient pas. 

242 Je suis d’avis que M. Labadie a enfreint certaines dispositions du code des valeurs et d’éthique. M. Labadie a témoigné qu’il a signé la déclaration indiquant qu’il a reçu le code de valeurs et d’éthique (pièce E-11) lorsqu’il est revenu de son congé de maladie en mai 2004. Ce code précise que les employés doivent faire preuve de respect, d’équité et de courtoisie dans leurs rapports avec leurs collègues (pièce E-1, onglet 18, page 11). Les accusations non fondées d’actes illégaux de M. Labadie contre certains gestionnaires et certains collègues de l’établissement ne respectent pas ces dispositions. Il en est de même des accusations non fondées de parjure à l’endroit du directeur et d’une psychologue du pénitencier.

243  Je suis également d’avis que par ses accusations non fondées d’actes illégaux à l’endroit de la direction et de certains employés de l’établissement, et ses accusations de parjure contre le directeur et une psychologue du pénitencier, M. Labadie a enfreint la règle 1 du code de discipline qui prévoit qu’un employé commet une infraction lorsqu’il « […] critique sévèrement et publiquement les politiques, les pratiques ou les programmes du Service, du gouvernement canadien ou de la Couronne […] » (pièce E-1, onglet 19, page 4). Je suis également d’avis que M. Labadie, par ces mêmes accusations et par sa conduite, a enfreint la règle 2 du code de discipline qui prévoit qu’un employé commet une infraction s’il « […] se conduit d’une manière susceptible de ternir l’image du Service, qu’il soit de service ou non […] » (pièce E-1, onglet 19, page 6).

244 Pour les mêmes raisons, je suis d’avis que M. Labadie a enfreint la règle 1 et la règle 2 des règles de conduite professionnelle (pièce E-1, onglet 20, pages 8 et 9) qui prévoient qu’un employé doit avoir une conduite qui rejaillit positivement sur la fonction publique du Canada et qui fait honneur au Service correctionnel du Canada et à la fonction publique. Je crois également, pour les mêmes raisons, qu’il a enfreint la règle 3 de ce même document qui prévoit que les « relations avec les autres employés doivent être de nature à inciter le respect mutuel au sein de la profession et à améliorer la qualité du service […] » et que les employés « […] sont tenus de contribuer à la création d’un milieu de travail sain, sûr et sécuritaire, exempt de harcèlement et de discrimination […] » (pièce E-1, onglet 20, page 11).

245 Même s’il n’est pas clair si M. Labadie a pris connaissance du code de discipline et des règles de conduite professionnelle, à mon avis, il lui incombait d’en prendre connaissance. À mon avis, un fonctionnaire doit se familiariser avec les grandes lignes des documents importants qui régissent sa conduite dans son emploi. Un agent correctionnel se doit, à mon avis, de prendre connaissance des règles de conduite professionnelle. Mais même si M. Labadie n’avait pas pris connaissance de ce code, cela n’aurait pas fait de différence pour ce qui est de ma décision. Ce qu’on lui reproche, par rapport à ce code, ce n’est pas d’avoir enfreint des dispositions techniques du code, mais des règles de bon sens que tout employé doit suivre, telles qu’avoir une conduite qui rejaillit positivement sur l’employeur et de contribuer à un milieu de travail sain et sécuritaire.

246 Lors de l’audience liés aux présents griefs, l’avocat du défendeur a plaidé que le licenciement de M. Labadie était aussi fondé sur des infractions alléguées à la directive sur les relations avec les médias. Cette directive faisait partie du mandat que M. Laplante avait donné à Mme Connelly et Mme Arseneault pour leur enquête disciplinaire. Mais M. Laplante ne mentionne pas cette directive dans la lettre de congédiement (pièce E-5). Je crois que le défendeur a tout simplement oublié ce motif dans la lettre de congédiement. L’avocat de M. Labadie n’a pas fait de commentaires sur le fait que la lettre de congédiement ne mentionnait pas ce motif. Généralement, les arbitres de griefs exigent que l’employeur invoque lors d’un renvoi à l’arbitrage les mêmes motifs qu’il a invoqués lorsqu’il a sanctionné l’employé (voirDonald J. M. Brown et David M. Beatty dans Canadian Labour Arbitration (3e éd.) paragraphe 7:2200). Puisque les infractions alléguées à la directive sur les relations avec les médias n’ont pas été mentionnées dans la lettre du licenciement de M. Labadie, je vais ignorer ce motif de licenciement. Je suis d’avis cependant, que M. Labadie a enfreint son devoir de loyauté en discutant avec les médias des employés et des détenus du pénitencier. Il a accusé plusieurs employés d’actes criminels et parlé du détenu B et du détenu M. Je suis également d’avis que M. Labadie a enfreint son devoir de loyauté lorsqu’il a discuté, lors d’une entrevue radiophonique, du transfert de M. Plamondon à un autre pénitencier. Un agent correctionnel devrait savoir qu’on ne discute pas de détenus avec les médias.

247 Je dois maintenant déterminer si la conduite de M. Labadie mérite la suspension et le licenciement de ce dernier. L’avocat de M. Labadie soumet que si je concluais que M. Labadie avait enfreint son devoir de loyauté, je devrais substituer une peine moins sévère à la sanction actuelle. L’avocat de M. Labadie suggère une suspension de six mois. Selon lui, le lien de confiance entre le défendeur et M. Labadie n’est pas irrémédiablement rompu. M. Labadie pourrait réintégrer ses fonctions, d’autant plus que plusieurs employés de l’établissement ne travaillent plus là, soit parce qu’ils ont pris leur retraite soit parce qu’ils ont accepté un emploi ailleurs.

248 Dans un cas de manquement à un devoir de loyauté, le facteur le plus important selon moi pour déterminer si la mesure disciplinaire est justifiée est de déterminer si le lien de confiance de l’employeur envers l’employé est irrémédiablement rompu. À mon avis, dans ce cas-ci, ce lien est irrémédiablement rompu. Le défendeur a perdu confiance en M. Labadie. Il est normal que le défendeur perde confiance en une personne qui a accusé plusieurs membres de la direction et plusieurs agents correctionnels d’actes criminels passibles d’emprisonnement, surtout lorsque ces accusations ne sont pas fondées. La conduite de M. Labadie a également eu un effet néfaste sur sa relation avec les autres agents correctionnels. Même si certains ont été remplacés, il serait difficile pour les collègues de M. Labadie d’avoir confiance en lui, sachant qu’il a accusé sans fondement des collègues de travail et la direction de l’établissement. Les accusations de M. Labadie peuvent également avoir rendu difficiles ses relations avec les détenus qui, selon le témoignage de M. Laplante, savent profiter des dissensions entre les employés.   

249 L’autre facteur important pour déterminer si M. Labadie peut être réintégré à ses fonctions est l’effet de sa conduite sur sa capacité d’accomplir ses fonctions. J’ai déjà traité de cette question plus haut dans le contexte de l’exception au devoir de loyauté. J’ai conclu que la conduite de M. Labadie a eu un effet dommageable sur son aptitude à accomplir ses fonctions, et sur la perception de cette aptitude. Sa conduite ne pourrait que miner sa crédibilité aux yeux de la direction, des autres agents correctionnels, des détenus et de la population en général.

250 Je ne crois pas qu’il y a des circonstances atténuantes qui peuvent justifier une peine moins sévère. Quoique M. Labadie compte près de sept années de service, son dossier de travail n’est pas entièrement positif. La preuve soumise démontre qu’il avait été discipliné à quelques reprises dans le passé (pièce E-10). Il est vrai que M. Labadie a déclaré regretter ses gestes. Il reconnaît aujourd’hui que son manque de jugement à l’époque a détruit sa vie professionnelle et sa vie personnelle. Mais je ne crois pas que ces remords puissent réparer le lien de confiance du défendeur envers M. Labadie.

251 Je ne crois pas non plus que le fait que M. Labadie a cessé d’accorder des entrevues aux médias lorsque que M. Bergeron lui a écrit pour lui faire part de ses préoccupations au sujet de ces entrevues (pièce E-1, onglet 5) soit un facteur qui puisse atténuer sa sanction disciplinaire. Ce n’est pas un élément assez significatif. Le mal était déjà fait à ce moment-là. M. Labadie avait reçu d’autres avertissements avant et en avait fait fi. M. Laplante lui avait offert, par exemple, de lire son livre avant sa publication pour déterminer s’il enfreignait les politiques de l’employeur, mais M. Labadie a refusé cette offre.

252 Je suis également d’avis que le défendeur était justifié de suspendre M. Labadie sans solde pendant la durée de l’enquête disciplinaire après la parution du livre de M. Labadie. La gravité des propos de M. Labadie, les accusations d’actes criminels à l’endroit des gestionnaires et des employés du pénitencier, et la façon sensationnaliste qu’il utilisait pour proférer ses accusations dans son livre et devant les médias, justifiaient la prise d’une telle mesure.

253 Pour toutes ces raisons, je conclus que la suspension et le licenciement de M. Labadie sont des mesures appropriées et je rejette les griefs de M. Labadie.

254 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

255 Les griefs sont rejetés.

Le 17 octobre 2008.

John A. Mooney,
arbitre de grief

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