Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a porté deux griefs à l’arbitrage - le premier contestait une suspension de 30jours - le second visait à obtenir une indemnisation en vertu de la Charte - à l’audience, le fonctionnaire s’estimant lésé a retiré sa demande d’indemnisation en vertu de la Charte - le fonctionnaire s’estimant lésé a été suspendu pour une période de trentejours sans rémunération pour avoir écrit une lettre au Secrétaire d’État américain de la sécurité intérieure - il avait rédigé la lettre à titre de vice-président national du Customs Excise Union Douanes Accise, un élément de l’agent négociateur représentant les agents de douane - il soulevait dans sa lettre divers points qui étaient susceptibles, à son avis, d’intéresser les dirigeants américains, concernant l’embauche et la formation des agents de douane canadiens - l’employeur a conclu que le contenu de la lettre était choquant, au vu, notamment, des craintes accrues liées à la sécurité frontalière depuis les événements du 11septembre2001 - en se basant sur le critère établi dans la décision Shaw, l’arbitre de grief a conclu que l’employeur n’avait pas démontré que le fonctionnaire s’estimant lésé avait outrepassé ses pouvoirs à titre de dirigeant syndical en écrivant la lettre, ni que le contenu en était malveillant ou encore sciemment ou inconsidérément erroné. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-08-08
  • Dossier:  166-02-36572 et 36573
  • Référence:  2008 CRTFP 64

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JOHN KING

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Agence des services frontaliers du Canada)

employeur

Répertorié
King c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant des griefs renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P 35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Andrew Raven, avocat

Pour l'employeur:
Debra Prupas, Shelley Quinn et Joseph Cheng, avocats

Affaire entendue à Toronto (Ontario) du 4 au 6 mars
et à Ottawa (Ontario) les 18 et 19 mars 2008.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs renvoyés à l’arbitrage

1 Le 26 juillet 2004, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC ou l’« employeur ») a imposé une suspension disciplinaire de 30 jours sans traitement à John King (le « fonctionnaire s’estimant lésé »). À l’époque, le poste d’attache du fonctionnaire s’estimant lésé était un poste d’inspecteur des douanes (PM-02) à l’Aéroport international Pearson (« Pearson ») de Toronto, en Ontario, mais il exerçait à temps plein les fonctions de premier vice-président national de l’Union Douanes Accise (CEUDA).

2 Barbara Hébert, la vice-présidente aux Opérations de l’ASFC, a précisé les raisons de sa décision d’imposer cette sanction disciplinaire au fonctionnaire s’estimant lésé dans une lettre datée du 26 juillet 2004 (pièce E-1, onglet 35) :

[Traduction]

[…]

La présente lettre concerne la vôtre du 25 mai 2004 adressée à Tom Ridge, le Secrétaire duDepartment of Homeland Security des États-Unis.

M. King, le contenu de votre lettre me perturbe énormément. Je suis profondément choquée tant par le message que vous avez envoyé au Department of Homeland Security au sujet des non-citoyens canadiens que par vos déclarations sur nos opérations, déclarations qui ont pour but de souligner des lacunes des pratiques de gestion frontalière du Canada, ou qui pourraient être interprétées en ce sens.

Vos déclarations quant aux non-citoyens canadiens laissent entendre que simplement parce qu’on n’est pas citoyen canadien, mais plutôt résidant permanent ou titulaire d’un permis de travail, on constitue un risque pour la sécurité. Je considère cela comme insultant et contraire aux valeurs de l’ASFC et du gouvernement canadien dans son ensemble. Qui plus est, ces déclarations sont sans fondement, puisque tous les candidats à un poste dans la fonction publique font l’objet d’une enquête de sécurité en règle, qu’ils soient citoyens canadiens ou pas. Si vous aviez soulevé cette question en passant par les mécanismes internes appropriés avant d’écrire à M. Ridge, vous l’auriez su.

Vous avez envoyé la lettre susmentionnée à l’insu de la direction de l’ASFC ou sans son consentement. C’est un fait établi que les fonctionnaires ont une obligation de loyauté envers le gouvernement fédéral, leur employeur. Les employés de l’ASFC doivent de plus se conformer aux obligations relatives aux critiques publiques figurant dans le Code de déontologiede l’Agence.

En écrivant au Department of Homeland Security une lettre sur nos activités visant à souligner les lacunes des pratiques de gestion frontalière du Canada ou pouvant être interprétées en ce sens, vous avez manqué à votre obligation de loyauté et aux autres obligations susmentionnées. Un tel comportement ne peut être toléré.

À deux reprises, la direction vous a offert l’occasion de lui soumettre tous les facteurs atténuants dont vous vouliez qu’elle tienne compte, mais vous avez choisi de ne pas vous en prévaloir. J’ai aussi tenu compte de la lettre que je vous avais envoyée le 22 février 2002, dans laquelle je vous rappelais vos obligations quant aux critiques publiques ainsi qu’à l’importance du maintien de la confiance du public pour que l’employeur puisse s’acquitter de son mandat.

En raison de la gravité de vos actions, vous êtes suspendu sans traitement pour une période de 30 jours ouvrables (225 heures). Étant donné que votre horaire de travail comprend cinq quarts de 8,57 heures suivis de trois jours de repos, cette suspension commencera à la fin de notre rencontre du 26 juillet 2004 et se terminera à la fin de la journée du dimanche 5 septembre 2004. Je vous prie de prendre note que, durant votre période de suspension, il vous est interdit d’entrer dans les locaux de l’ASFC sans le consentement écrit préalable de la direction de l’ASFC.

Toute autre inconduite de votre part relativement à la lettre susmentionnée, incluant notamment mais pas exclusivement sa distribution, sera considérée comme une inconduite distincte passible d’autres sanctions disciplinaires plus dures, jusqu’à votre licenciement.

Conformément à la convention collective applicable, vous avez vingt-cinq jours pour présenter un grief contestant cette décision.

[…]

3 Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté la décision de l’employeur dans deux griefs. Dans le premier (dossier de la CRTFP 166-02-36572), présenté au palier initial de la procédure de règlement des griefs le 18 août 2004, il réclamait les redressements suivants :

[Traduction]

[…]

i) que Barbara Herbert, Norm Sheridan et Bruce Herd soient tenus de me rencontrer à mon lieu de travail afin de me faire des excuses pour leur harcèlement incessant, leur ingérence continuelle et la sanction disciplinaire injustifiée qui m’a été imposée;
ii) qu’une lettre de Barbara Herbert me blanchissant de toute inconduite dans ce contexte et reflétant ses excuses personnelles (telles que je les ai réclamées) soit affichée à mon lieu de travail;
iii) que l’employeur distribue à l’échelle nationale des directives plus claires sur la procédure administrative qui doit être rigoureusement respectée par tous les représentants de la direction qui imposent des sanctions disciplinaires et font enquête sur de prétendues inconduites;
iv) que des lignes directrices soient établies pour préciser les sanctions disciplinaires à imposer aux représentants de la direction quand ils contreviennent aux directives susmentionnées;
v) que l’employeur établisse un mécanisme/protocole identifiant les représentants de la haute direction qui seront responsables de l’intervention immédiate dans les cas de plaintes connexes soulevées par des dirigeants syndicaux;
vi) que Barbara Herbert, Norm Sheridan et Bruce Herd se fassent imposer des sanctions disciplinaires appropriées par l’employeur pour leurs violations constantes de la Politique sur le harcèlement;
vii) qu’on me rembourse tout le traitement et les revenus potentiels perdus par suite de cette suspension, y compris la rémunération pour les jours fériés désignés payés, la prime de quart, etc.;
viii) qu’on me rembourse tous les crédits de congé que j’aurais normalement gagnés durant cette suspension de 225 heures;
ix) que ladite sanction disciplinaire et toutes les notes connexes versées à mon dossier par l’employeur soient retirées de tous mes dossiers actifs;
x) qu’on me verse une indemnité pour me dédommager du harcèlement personnel constant dont j’ai été victime;
xi) que je sois indemnisé intégralement.

[…]

4 Dans son second grief (dossier de la CRTFP 166-02-36573), lui aussi présenté au palier initial de la procédure de règlement des griefs le 18 août 2004, le fonctionnaire s’estimant lésé a ajouté l’allégation que l’action de l’employeur constituait une violation de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) :

[Traduction]

[…]

Je présente un grief pour protester parce que mon employeur a violé mes droits et libertés précisés aux articles 1, 2 et 7 de la Partie 1 de la Charte canadienne des droits et libertés.

J’ai écopé d’une suspension de 30 jours sans traitement (225 heures) pour avoir écrit une lettre à M. Tom Ridge, le secrétaire du Department of Homeland Security des États-Unis.

[…]

5 Le fonctionnaire s’estimant lésé a réclamé les redressements suivants dans ce second grief :

[Traduction]

[…]

i) que l’employeur établisse et publie une politique/des lignes directrices reconnaissant, définissant et assurant clairement la protection des droits des habitants du Canada pendant qu’ils sont employés dans le secteur fédéral;
ii) que l’employeur établisse et publie des politiques/lignes directrices précisant les sanctions disciplinaires imposables aux représentants de l’employeur qui portent atteinte aux droits des employés aux termes de la Charte des droits et libertés;
iii) que l’employeur établisse et publie une politique/des lignes directrices précisant les sanctions disciplinaires imposables aux représentants de l’employeur qui tolèrent et/ou autorisent sciemment de telles violations des droits des employés aux recours administratifs dûment prévus  quand on leur impose des sanctions;
iv) que je reçoive une indemnité pour les dommages résultant de cette violation de mes droits et de mes libertés fondamentales; cette indemnité ne doit pas être inférieure à dix fois la valeur de la sanction disciplinaire initiale qui m’a été imposée;
v) qu’un tribunal compétent ordonne aussi tout redressement qu’il juge approprié et équitable dans les circonstances;
vi) que les représentants de l’employeur impliqués dans ces violations à mon détriment et/ou responsables d’elles subissent des sanctions disciplinaires d’une sévérité égale ou supérieure à celle des sanctions qu’ils ont autorisées à mon endroit ou qu’ils m’ont imposées;
vii) qu’on me rembourse toutes les dépenses engagées relativement à cette plainte;
viii) que je sois indemnisé intégralement.

6 Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas réussi à faire lever la sanction disciplinaire dans le cadre de la procédure interne de règlement des griefs; il a donc renvoyé ses griefs à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) le 8 septembre 2005.

7 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ces renvois à l’arbitrage de grief doivent être décidés conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C., 1985, ch. P-35 (l’« ancienne Loi »).

8 Le président de la Commission m’a chargé d’instruire et trancher ces affaires à titre d’arbitre de grief.

9 Au début de l’audience, les parties ont stipulé que je devrais considérer comme vierge le dossier disciplinaire du fonctionnaire s’estimant lésé pour les fins de cette décision.

10 Au cours de la phase de production de la preuve de l’audience, le fonctionnaire s’estimant lésé a retiré les points i), iii), iv), v), vi) et x) des redressements réclamés dans son premier grief ainsi que les points i), ii), iii), v) et vi) de ceux qu’il réclamait dans le second.

II. Résumé de la preuve

11 À la demande du fonctionnaire s’estimant lésé, et avec le consentement de l’employeur, j’ai rendu une ordonnance d’exclusion des témoins.

12 L’employeur a fait témoigner cinq personnes; le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné seul pour lui-même. J’ai accepté un total de 54 pièces.

13 Au cours de l’audience, les témoins et les parties ont fréquemment parlé de la lettre du 25 mai 2004 que le fonctionnaire s’estimant lésé avait adressée à Tom Ridge, le secrétaire du Department of Homeland Security des États-Unis (pièce E-1, onglet 19). En raison de l’importance incontournable de cette lettre dans l’affaire, pour faciliter la compréhension des témoignages, je la cite ici intégralement :

[Traduction]

[En-tête de la CEUDA]

Objet : Sécurité et protection du public — Frontières internationales

Monsieur,

La présente lettre a pour but de vous fournir des renseignements susceptibles de vous être utiles afin de déterminer les risques pour la sécurité et la protection du public qui, je l’espère, contribueront à renforcer la protection frontalière. Je vais me concentrer sur les questions liées au recrutement et à la dotation des agents ayant des contacts avec le public qui sont chargés de protéger les frontières du Canada.

Vous avez peut-être déjà obtenu ces renseignements dans les médias ou grâce aux consultations que vous avez avec des représentants du gouvernement du Canada ou d’autres sources, mais, sachant que nos nations ont la responsabilité commune d’assurer le service essentiel qu’est la sécurité nationale, j’ai jugé plus prudent de m’assurer que vous en étiez conscient.

Depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001, les choses n’ont guère changé en ce qui concerne les pratiques de recrutement et de dotation pour la première ligne de défense du Canada.

La citation qui suit est tirée d’un récent avis de concours pour le poste d’inspecteur des douanes qui se terminait le 14 mai 2004.

Qui peut poser sa candidature?

« La préférence sera accordée aux citoyens canadiens. Veuillez préciser dans votre demande la raison pour laquelle vous avez le droit de travailler au Canada : citoyen canadien, résidant permanent ou titulaire d’un permis de travail. »

Je crois qu’il faut être citoyen américain pour poser sa candidature à un poste d’agent des Douanes ou de l’Immigration aux États-Unis. Au Canada, par contre, ces postes peuvent être occupés par des non-citoyens canadiens ayant obtenu le statut de résidant permanent ou s’étant fait délivrer un permis de travail. En théorie, cela signifie que des ressortissants étrangers faisant des études au Canada et qui ont obtenu des permis de travail pour subvenir à leurs besoins seraient admissibles à des postes de protection des frontières canadiennes. En outre, cela autorise des revendicateurs du statut de réfugié qui attendent peut-être que leur demande soit traitée et qui peuvent s’être fait délivrer un permis de travail pour des raisons analogues à présenter leur candidature à de tels postes. Cela peut être inquiétant, puisque tous les agents des douanes, quel que soit leur statut, ont accès à nos systèmes de codage aux points d’entrée, à notre base de données électronique, à nos bulletins de renseignement internes ainsi qu’à d’autres renseignements protégés ou de nature délicate, et qu’ils ont aussi le pouvoir de laisser passer les personnes et les biens.

En ma qualité de représentant national élu de Customs Excise Union Douanes Accise, j’en suis perplexe, d’autant plus qu’il y a une autre contradiction quant aux normes et/ou pratiques de dotation, et que je continue à me demander pourquoi nous n’avons pas une norme minimale pour les agents chargés d’assurer la sécurité publique dans les postes où ils ont des contacts avec le public.

Par exemple, pour la période de 2001-2002, l’Agence des douanes et du revenu du Canada a licencié quelque 60 à 65 agents à temps plein qu’on avait évalués sur le terrain en concluant qu’ils s’acquittaient de leurs fonctions de façon entièrement satisfaisante. Beaucoup d’entre eux avaient travaillé plusieurs années en contact avec le public et avaient acquis une expérience utile, voire dans certains cas occupé des postes de supervision dans l’environnement douanier. Malheureusement, on les a licenciés après leur échec à un cours de formation obligatoire de neuf (9) semaines. Il faut réussir ce cours avant de pouvoir être nommé à un poste pour une période indéterminée.

Certains agents étudiants travaillent toute l’année, mais la majorité sont embauchés temporairement sur une base saisonnière pour la période estivale de grand achalandage et se font alors confier des tâches sur la ligne primaire d’inspection. Ces tâches consistent notamment à déterminer l’authenticité des documents de voyage ainsi que l’admissibilité des voyageurs. Pour préparer les agents étudiants à leurs tâches en contact avec le public, on leur donne trois semaines de formation. Comme il n’y a pas d’examen éliminatoire à la fin de cette formation, rien ne permet de déterminer quelle information dispensée ces étudiants retiennent. Par conséquent, il n’existe aucune méthode servant à déterminer si les agents étudiants sont prêts ou compétents pour s’acquitter de fonctions délicates essentielles en matière d’immigration et de douanes avant qu’on les affecte à des postes où ils sont en contact avec le public.

Les agents des douanes estiment que tous les agents devraient satisfaire à une norme minimale, et cette norme comprend l’obligation de réussir un cours de formation obligatoire. Néanmoins, il est difficile de comprendre et d’accepter que des agents à temps plein aient été licenciés faute de se qualifier pour le poste qu’ils occupaient et qu’on les ait remplacés par des agents étudiants qui ne sont pas tenus d’atteindre la même norme minimale et qui n’ont ni leurs connaissances, ni leur expérience.

L’extrait suivant est tiré d’une communication donnée à une Conférence à l’intention des gestionnaires supérieurs des Douanes en 2003 :

« Personne ne sait mieux que vous que le rythme du changement s’est nettement accéléré depuis plusieurs années. Le volume des marchandises et le nombre des personnes entrées au Canada et qui en partent a augmenté, tout comme le nombre de menaces pour la sécurité publique et économique. L’obligation de faciliter et d’encourager le commerce et les voyages tout en gérant la protection n’est jamais facile à respecter; pourtant, vous continuez à relever rapidement les nouveaux défis avec brio. Vous êtes la principale raison pour laquelle les Douanes canadiennes sont reconnues comme un leader mondial et un modèle d’excellence pour la gestion douanière. »

Quand on compare ce passage avec le suivant, en analysant aussi les pratiques et les normes de dotation en vigueur au Canada et aux États-Unis, on peut raisonnablement conclure que les priorités du gouvernement canadien sont très différentes.

Service des douanes des États-Unis — La première ligne de l’Amérique

Mission

« Nous allons diriger l’effort national unifié pour assurer la sécurité de l’Amérique. Nous préviendrons et dissuaderons les attentats terroristes et nous protégerons la nation en réagissant aux menaces et aux dangers. Nous assurerons la sécurité de nos frontières, nous accueillerons les immigrants et les visiteurs légaux et nous encouragerons le libre-échange commercial. »

On dit communément que les Douanes sont la première ligne de défense du Canada. Il est ironique que cette terminologie continue d’être employée alors qu’en fait les agents en première ligne, qui sont en contact avec le public, se voient refuser la capacité nécessaire pour réagir les premiers. Bien que les agents des douanes soient identifiés comme « les premiers à réagir », nous n’avons pas les outils nécessaires pour nous charger intégralement de ce qu’on appelle le « continuum de l’usage de la force », où les agents des douanes en contact avec le public doivent se fier à des corps policiers quand ils sont confrontés à des individus dont ils doivent protéger la société. Nos options en tant qu’agents de la « première ligne de défense » de nos nations consistent à nous repositionner tactiquement et nous replier en espérant que ces individus menaçants seront appréhendés après être entrés dans notre pays. Cela pourrait se révéler fatal s’il fallait que des agents des douanes en première ligne constatent qu’on introduit au Canada ou qu’on en sort en contrebande des armes de destruction massive.

Tout délai susceptible d’en résulter avant l’appréhension des criminels et/ou des terroristes en possession de ces armes n’est dans l’intérêt de la sécurité du public de ni l’un, ni l’autre de nos pays.

Si vous voulez en discuter davantage, vous pouvez me joindre au numéro ci-dessous.

En toute déférence,

[Signature]

John King
Premier vice-président national
Customs Excise Union Douanes Accise

[Les passages en gras le sont dans l’original]

14 Le premier témoin pour l’employeur était Roger Lavergne, directeur de la Division du renseignement et de la gestion des risques à l’administration centrale de l’ASFC quand le fonctionnaire s’estimant lésé se serait rendu coupable de l’inconduite alléguée par l’employeur.

15 M. Lavergne a témoigné qu’il avait des interactions avec des représentants du gouvernement des États-Unis en vue de gérer les échanges de renseignements sur la sécurité frontalière entre l’ASFC et ses vis-à-vis américains. Il avait des contacts hebdomadaires voire plus fréquents avec notamment Jeffrey Powell, attaché adjoint aux services d’exécution de l’immigration et des douanes du Department of Homeland Security, qui était en poste à l’Ambassade des États-Unis à Ottawa. M. Powell lui a téléphoné le 28 mai 2004 en lui demandant s’il connaissait un dénommé « John King » qui travaillait à l’ASFC. M. Lavergne a répondu par l’affirmative, ce sur quoi M. Powell l’a informé qu’il avait reçu copie d’une lettre adressée à M. Ridge par le fonctionnaire s’estimant lésé, qui soulevait des questions relatives aux pratiques de l’ASFC. M. Powell a envoyé une copie de cette lettre à M. Lavergne.

16 Quand on lui a demandé ce qu’il pensait du contenu de la lettre, M. Lavergne a répondu qu’il estimait inacceptable que le fonctionnaire s’estimant lésé soulève de sérieux problèmes internes dans une lettre adressée à un représentant d’un autre gouvernement, particulièrement dans le contexte politique délicat de la coopération frontalière entre les États-Unis et le Canada. Il a dit avoir plusieurs points à reprocher aux déclarations figurant dans la lettre :

1) la lettre donnait l’impression que les non-citoyens affectés à des postes des services frontaliers étaient moins dignes de confiance que les autres;

2) la lettre tentait de faire peur, parce que son auteur exprimait l’opinion que les pratiques de dotation de l’ASFC n’étaient pas suffisamment rigoureuses;

3) les commentaires relatifs au recrutement d’étudiants par l’ASFC soulevaient d’autres doutes quant à la qualité des mesures de sécurité frontalière qu’on n’aurait pas dû signaler à d’autres gouvernements dans le contexte politique d’alors;

4) les commentaires sur le licenciement des agents à temps plein qui avaient échoué au cours de formation obligatoire de neuf semaines étaient liés à une question controversée entre l’employeur et le syndicat, et c’était inacceptable;

5) déclarer que les agents ayant des contacts avec le public n’avaient pas les outils nécessaires pour faire le travail soulevait la question délicate de l’armement des agents avec un représentant d’un autre pays, ce qui était également susceptible de saper la confiance.

17 M. Lavergne a parlé de la lettre avec Denis Lefebvre, vice-président exécutif de l’ASFC, qui lui a demandé de communiquer avec M. Powell pour savoir si le cabinet du Secrétaire Ridge prévoyait répondre à la lettre. M. Lefebvre lui a aussi demandé de dire à M. Powell que la haute direction ferait un suivi et prendrait les mesures appropriées. Par la suite, M. Powell a informé M. Lavergne qu’on ne lui avait pas confirmé que le bureau de M. Ridge comptait répondre à la lettre.

18 En contre-interrogatoire, M. Lavergne a confirmé qu’il ne savait pas comment M. Powell s’était retrouvé avec une copie de la lettre. Il savait seulement que M. Powell lui avait dit que le gouvernement des États-Unis l’avait reçue.

19 Quand le fonctionnaire s’estimant lésé lui a demandé s’il y avait quelque chose de faux dans le contenu de la première page de la lettre, M. Lavergne a cité la phrase : [traduction] « […] les choses n’ont guère changé en ce qui concerne les pratiques de recrutement et de dotation pour la première ligne de défense du Canada. » Selon lui, il y avait au contraire eu bien des changements portant sur la qualité et la présentation de la formation offerte aux agents des services frontaliers. Il a aussi déclaré que l’affirmation que des revendicateurs du statut de réfugié posaient leur candidature à des postes à l’ASFC le dérangeait, en admettant toutefois qu’il ignorait si c’était vrai ou faux. M. Lavergne a témoigné qu’il ne croyait pas qu’il y ait eu quoi que ce soit d’autre de factuellement incorrect dans la première page de la lettre.

20 Quant au contenu des deuxième et troisième pages de la lettre, M. Lavergne a déclaré, paragraphe par paragraphe, soit qu’il n’était pas sûr que c’était vrai ou faux, soit que c’était vrai.

21 À la fin de son examen détaillé de la lettre, M. Lavergne a déclaré que, dans l’ensemble, il n’avait [traduction] « pas d’objection quant à son contenu factuel » et que tout ce qui s’y trouvait était du domaine public. Il a témoigné qu’il s’inquiétait plutôt des retombées potentielles de l’envoi d’un tel message à un autre gouvernement, dans le climat de l’époque.

22 Le deuxième témoin de l’employeur était Norman Sheridan, directeur de district aux Opérations passagers à Pearson, qui occupait ce poste depuis avril 1999. M. Sheridan gérait les activités relatives à l’immigration, à l’inspection des produits alimentaires et aux douanes à cet aéroport.

23 M. Sheridan a témoigné que le fonctionnaire s’estimant lésé avait commencé à travailler à l’aéroport en septembre 1989 à titre d’inspecteur des douanes. Il est devenu président de la section locale de son syndicat à l’automne 1995, puis a été élu membre de l’exécutif national de CEUDA en 1999. Quand il a envoyé sa lettre à M. Ridge, il était premier vice-président national du syndicat. M. Sheridan a confirmé que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait à toutes fins utiles plus travaillé comme inspecteur des douanes depuis qu’il avait assumé des fonctions syndicales à temps plein, [traduction] « à la fin des années 1990 ».

24 M. Sheridan a souligné que le fonctionnaire s’estimant lésé avait contesté la direction sur bien des questions dans son rôle syndical, notamment sur la formation et sur l’emploi d’étudiants comme inspecteurs des douanes. Il a déclaré que fonctionnaire s’estimant lésé avait soulevé ces questions en passant par les mécanismes syndicaux normaux, dans des réunions des comités locaux et régionaux de consultation syndicale-patronale ainsi que dans des courriels, mais qu’il s’était aussi adressé aux médias, voire qu’il avait écrit des lettres à des personnes de l’extérieur de l’ASFC. Selon lui, quelqu’un qui occupe la position syndicale du fonctionnaire s’estimant lésé aurait dû faire valoir le point de vue du syndicat en s’adressant directement à la direction, autrement dit en communiquant avec le directeur régional, le directeur général régional ou les vice-présidents aux ressources humaines et aux opérations de l’ASFC.

25 M. Sheridan a rappelé un incident survenu le 13 septembre 2001 – deux jours après les attentats du 11 septembre – dans une conversation téléphonique avec le fonctionnaire s’estimant lésé et Emerson Waugh, qui était alors président de la section locale de Toronto du syndicat; le fonctionnaire s’estimant lésé avait déclaré qu’il songeait à écrire au Président des États-Unis George Bush au sujet de ce qu’il considérait comme les risques pour la sécurité résultant de la politique de l’ASFC d’affecter des étudiants embauchés pour l’été à la ligne d’inspection primaire (LIP) (pièce E-1, onglet 7). M. Sheridan a déclaré avoir rappelé au fonctionnaire s’estimant lésé que le module de formation offert aux étudiants et aux employés nommés pour une période déterminée pour être affectés à la LIP était identique à celui qu’on offrait à l’époque aux agents à temps plein. Il avait dit au fonctionnaire s’estimant lésé qu’il ne devrait pas écrire au Président Bush. À son avis, le fonctionnaire s’estimant lésé tentait d’exploiter la situation, dans la foulée des attentats du 11 septembre.

26 M. Sheridan a décrit de façon détaillée le fonctionnement de la LIP, en expliquant pourquoi de nombreux inspecteurs des douanes à temps plein préféraient être affectés à d’autres fonctions. Il a déclaré que l’ASFC n’affectait pas d’étudiants à l’inspection secondaire (p. ex. l’examen des bagages ou le contrôle plus serré pour l’immigration), qui exigeait plus de formation. Quant à la prétention du fonctionnaire s’estimant lésé qu’affecter des étudiants d’été à la LIP constituait un danger pour la sécurité, M. Sheridan a déclaré que ces étudiants étaient en fait plus susceptibles que les agents à temps plein de consulter en direct les systèmes de données des douanes et de l’immigration lorsqu’ils travaillant à la LIP, ce qui revient à dire que le contrôle qu’ils exercent est plus rigoureux.

27 M. Sheridan avait pris au sérieux la possibilité que le fonctionnaire s’estimant lésé écrive au Président Bush, et il en avait informé ses supérieurs. Le 14 septembre 2001, il avait téléphoné au fonctionnaire s’estimant lésé à son domicile pour lui dire de ne pas écrire au Président Bush au sujet de l’emploi d’étudiants, car il s’exposerait alors à des sanctions disciplinaires [traduction] « […] pouvant aller jusqu’au licenciement » (pièce E-1, onglet 12). Il avait aussi informé le fonctionnaire s’estimant lésé que le directeur régional par intérim lui enverrait une lettre à ce sujet par porteur (pièce E-1, onglet 13).

28 M. Sheridan a déclaré avoir été informé vers la fin de juin ou au début de juillet 2004 par Bruce Herd, directeur des Ressources humaines de la Région du Grand Toronto (RGT) de l’ASFC, que le fonctionnaire s’estimant lésé avait envoyé une lettre au Secrétaire Ridge en mai. Cette lettre l’a perturbé parce que la direction avait déjà averti le fonctionnaire s’estimant lésé qu’il ne devait pas donner à des gens de l’extérieur de l’ASFC de l’information pouvant l’induire en erreur parce qu’inexacte, en agissant avec insouciance. M. Sheridan était particulièrement inquiet de constater que le fonctionnaire s’estimant lésé avait adressé sa lettre à M. Ridge, qui avait participé à l’époque avec le Vice-Premier ministre John Manley à une initiative canado-américaine d’envergure, l’élaboration de l’Accord sur la frontière commune et Plan en 30 points Ridge-Manley (le « Plan Ridge-Manley ») (pièce E-3).

29 M. Sheridan a expliqué de façon détaillée ce qu’il reprochait à la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé. Cela peut se résumer comme suit :

1) en ne s’assurant pas de donner tous les faits pertinents, le fonctionnaire s’estimant lésé laissait le lecteur tirer des conclusions sans avoir tous les faits;

2) les commentaires sur l’embauche de non-citoyens par l’ASFC étaient trompeurs, parce qu’il y a tant de candidats à ses postes que l’ASFC n’a pas besoin d’embaucher des non-citoyens;

3) même si l’ASFC n’a pas besoin d’embaucher des non-citoyens, tous ceux et celles qu’elle embauche, même s’ils ne sont pas des citoyens canadiens, font l’objet des mêmes procédures de vérification de sécurité;

4) la lettre créait des doutes quant à l’engagement du Canada à se conformer au Plan Ridge-Manley, en laissant entendre que l’ASFC embauchait des revendicateurs du statut de réfugié qui seraient en mesure de prendre des décisions sur l’entrée au Canada d’autres personnes, dont d’autres revendicateurs de ce statut;

5) les commentaires du fonctionnaire s’estimant lésé sur les employés licenciés après avoir échoué au programme de formation de neuf semaines offert à Rigaud laissaient faussement entendre que l’ASFC donnait sa préférence aux étudiants et ne voulait pas affecter des agents à temps plein à l’inspection primaire;

6) le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas fait état dans sa lettre des évaluations initiales des habiletés cognitives ni des suivis de toutes les classes d’employés inscrits aux programmes de formation;

7) la comparaison de deux paragraphes censés faire contraster les énoncés de mission américain et canadien était invalide et laissait entendre que le Canada ne prenait pas la sécurité frontalière au sérieux;

8) le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas donné toute l’information sur les outils dont les agents des services frontaliers disposent, et le Modèle d’intervention pour la gestion d’incidents (MIGI) utilisé par l’ASFC et par les corps policiers de tout le Canada stipulait que le « repositionnement tactique » était toujours une réaction appropriée dans une situation menaçante;

9) prétendre les agents sans défense n’était pas fondé, puisque les politiques de l’Agence offrent d’autres options et qu’armer les agents ne ferait aucune différence dans le contexte des fonctions d’inspection primaire et secondaire.

30 M. Sheridan a résumé son point de vue en déclarant qu’il était inacceptable d’écrire une lettre au Secrétaire Ridge, le partenaire américain du Plan Ridge-Manley. À son avis, cette lettre laissait son lecteur tirer de fausses conclusions et sapait sa conviction que l’ASFC était déterminée à assurer la sécurité de la frontière commune, dans un contexte où ne pas douter de cette détermination était essentiel.

31 Quand il a reçu la lettre, M. Sheridan a déclaré l’avoir analysée avec M. Herd, après quoi il a organisé une réunion en vue d’établir les faits, le 8 juillet 2004. Le fonctionnaire s’estimant lésé, M. Waugh et M. Herd étaient présents à cette réunion où M. Sheridan a expliqué ce qu’il reprochait à la lettre. Il a déclaré que le fonctionnaire s’estimant lésé lui a confirmé l’avoir écrite et signée, en disant être convaincu que son libellé était judicieux et en demandant comment M. Herd et lui en avaient reçu une copie; il était mécontent qu’on ait porté atteinte à sa vie privée. Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré être disposé à écrire une seconde lettre au Secrétaire Ridge pour lui donner des explications sur les points que M. Sheridan soulevait quant à l’embauche et à l’emploi d’étudiants. M. Sheridan lui a dit de n’en rien faire. Il a qualifié le comportement du fonctionnaire s’estimant lésé d’inquiet et agressif à la fois; à un certain moment, l’intéressé a dit qu’il pensait envoyer la lettre à la Chambre des communes, au Congrès des États-Unis et la faire aussi distribuer dans les États du nord des États-Unis ainsi qu’au grand public. M. Sheridan avait rétorqué que le fonctionnaire s’estimant lésé aurait dû savoir dès le départ qu’il ne devait pas envoyer cette lettre, parce qu’on l’avait déjà averti de ne pas communiquer des renseignements trompeurs ou des faussetés. Il lui a enjoint de ne pas faire parvenir la lettre à qui que ce soit d’autre et il a témoigné que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a jamais expliqué pourquoi il avait écrit cette lettre et n’a pas fait d’excuses pour l’avoir écrite au cours de la réunion.

32 Le 9 juillet 2004, M. Sheridan a reçu un courriel du fonctionnaire s’estimant lésé dans lequel celui-ci se plaignait de ne pas avoir été avisé 24 heures à l’avance de [traduction] « l’enquête disciplinaire en vue d’établir les faits » de la veille, en lui annonçant qu’il était en train [traduction] « […] de rédiger une plainte officielle à la ministre au sujet de vos menaces » (pièce E-1, onglet 23). M. Sheridan a confirmé que le fonctionnaire s’estimant lésé avait effectivement écrit une plainte à Anne McLellan, la ministre de Sécurité publique et Protection civile Canada, qui était aussi vice-première ministre en juillet 2004 (pièce E-1, onglet 24).

33 M. Sheridan a témoigné avoir téléphoné au fonctionnaire s’estimant lésé chez lui le 12 juillet 2004 (pièce E-1, onglets 25 et 26), puis à son travail le 15 juillet 2004 (pièce E-1, onglet 28). À cette dernière occasion, il lui a dit par l’intermédiaire de M. Waugh, qui avait pris l’appel, qu’il voulait le rencontrer le lendemain dans une seconde réunion visant à établir les faits. M. Waugh lui a répondu qu’il harcelait le fonctionnaire s’estimant lésé et que celui-ci se présenterait à une seconde réunion seulement s’il en avait l’ordre. M. Sheridan a expliqué qu’il avait décidé de ne pas ordonner au fonctionnaire s’estimant lésé de se présenter, parce qu’il craignait que sa réponse ne constitue de l’insubordination et qu’il ne voulait pas aggraver une situation déjà difficile.

34 M. Sheridan a déclaré que le fonctionnaire s’estimant lésé avait déposé une plainte de harcèlement contre lui et contre M. Herd le 16 juillet 2004 (pièce E-1, onglet 30).

35 M. Sheridan a aussi déclaré que le fonctionnaire s’estimant lésé avait écrit le 15 juillet 2004 une seconde lettre à la Vice-première ministre McLellan dans laquelle il lui proposait d’écrire au Secrétaire Ridge pour lui donner des éclaircissements sur le programme de formation de l’ASFC ainsi que sur les normes applicables aux étudiants et aux autres classes d’agents des services frontaliers (pièce E-1, onglet 27).

36 En contre-interrogatoire, M. Sheridan a reconnu qu’il était vrai, comme le fonctionnaire s’estimant lésé l’avait écrit dans sa lettre, que la citoyenneté canadienne n’était pas exigée pour être agent des douanes et de l’immigration à l’ASFC. Il a aussi admis qu’il était vrai, comme le fonctionnaire s’estimant lésé l’avait écrit, que [traduction] « […] [l]a préférence [serait] accordée aux citoyens canadiens. » Il a avoué qu’il contestait la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé parce que celui-ci n’avait pas expliqué le processus d’attribution des cotes de sécurité aux recrues.

37 En ce qui concernait les étudiants, M. Sheridan a confirmé que c’était une question importante pour le syndicat depuis longtemps. Il a reconnu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait dit la vérité dans sa lettre en déclarant que l’ASFC n’a pas de norme de formation « minimale » pour tous les agents ayant des rapports avec le public et reconnu aussi qu’il était vrai que tous les agents à temps plein devaient réussir au programme de formation de neuf semaines offert à Rigaud, contrairement aux étudiants. Il a admis que le fonctionnaire s’estimant lésé avait offert d’écrire au Secrétaire Ridge une lettre d’explications des exigences en matière de formation et qu’il lui avait enjoint de ne pas le faire. Quand on lui a demandé pourquoi, M. Sheridan a répété que la question de la formation n’était qu’un exemple des problèmes qu’il avait constatés dans la lettre, que c’était [traduction] « un tissu d’inconséquences » et qu’écrire au Secrétaire Ridge n’allait pas améliorer la situation.

38 M. Sheridan a déclaré qu’il était faux, contrairement à ce que le fonctionnaire s’estimant lésé avait affirmé dans sa lettre, que les agents étaient incapables de bien défendre la frontière. Sur ce point, il a accepté l’argument du fonctionnaire s’estimant lésé voulant que les agents ne soient pas formés pour user d’une force meurtrière et qu’ils n’aient pas les outils nécessaires pour compléter le continuum du MIGI, autrement dit pour faire usage d’une telle force (pièce E-1, onglet 1). Néanmoins, il a maintenu que les déclarations du fonctionnaire s’estimant lésé étaient incomplètes et trompeuses, en soulignant de nombreux cas où des agents avaient appréhendé des individus sans avoir accès à des armes. Il n’est pas vrai, contrairement à ce que le fonctionnaire s’estimant lésé affirmait, que les agents ne pouvaient que se retirer de la scène.

39 Quand on l’a interrogé sur la réunion convoquée le 8 juillet 2004 en vue d’établir les faits, M. Sheridan a confirmé que le fonctionnaire s’estimant lésé avait déclaré cette fois-là, quand on le lui avait demandé, que la raison pour laquelle il avait envoyé la lettre y était précisée. Il s’est rappelé avoir demandé au fonctionnaire s’estimant lésé pourquoi celui-ci n’avait pas parlé de la lettre avec la direction avant de l’envoyer. Globalement, M. Sheridan a déclaré qu’il n’avait pas été satisfait de l’information que le fonctionnaire s’estimant lésé lui avait donnée à la réunion. À son avis, [traduction] « toute la question de savoir pourquoi [le fonctionnaire s’estimant lésé] n’avait pas eu recours aux mécanismes internes » restait entière, tout comme celle de savoir pourquoi il n’avait pas donné des renseignements exhaustifs dans sa lettre. M. Sheridan a confirmé que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait jamais refusé catégoriquement de répondre aux questions au cours de la réunion.

40 À la fin de son contre-interrogatoire, le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé à M. Sheridan ce qu’il avait fait pour informer le Secrétaire Ridge ou qui que ce soit d’autre sur les lacunes de sa lettre. M. Sheridan a répondu qu’il [traduction] « n’avait rien écrit ».

41 M. Herd, le troisième témoin de l’employeur, a déclaré avoir été informé de la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé quand Patricia Ballantyne, directrice générale des Relations de travail et de la rémunération de l’ASFC, a communiqué avec lui à la fin de juin 2004 pour lui faire parvenir une copie de la lettre et lui dire qu’elle avait grandement perturbé les cadres supérieurs de l’ASFC. Elle a demandé que la direction de Toronto fasse enquête pour établir les faits.

42 M. Herd a témoigné avoir été étonné qu’on ait envoyé une telle lettre à un dirigeant important du gouvernement américain; il la jugeait très dure envers les politiques de l’ASFC, dont elle n’était pas [traduction] « le reflet fidèle ». Il a déclaré que le fonctionnaire s’estimant lésé, en tant qu’employé de l’ASFC, n’aurait pas dû critiquer son employeur, particulièrement en s’adressant à un important dirigeant du gouvernement d’un pays étranger. Il a aussi déclaré que la lettre était trompeuse [traduction] « de certaines façons ».

43 M. Herd a décrit comment M. Sheridan et lui-même avaient organisé la réunion du 8 juillet en vue d’établir les faits, puis il a résumé la discussion à cette occasion, à peu près exactement comme M. Sheridan. Il a ajouté que le fonctionnaire s’estimant lésé avait dit qu’il ne voulait pas pousser la démarche de la lettre plus loin après l’avoir envoyée à la fin de mai 2004. M. Herd a témoigné que le fonctionnaire s’estimant lésé était devenu agité quand ils l’ont interrogé sur sa lettre. Il a déclaré qu’il avait envisagé, advenant des difficultés dans ce contexte, de lui donner une plus grande diffusion en la distribuant sur la Colline du Parlement de même qu’au Congrès des États-Unis. M. Sheridan et M. Herd ont déclaré que cela le mettrait dans une position précaire. Quand on lui a demandé si le fonctionnaire s’estimant lésé avait présenté des excuses pour sa lettre à la réunion, M. Herd a répondu par la négative, en témoignant qu’il avait déclaré que la lettre était une affaire privée entre lui, le Secrétaire Ridge et la Vice-première ministre McLellan.

44 M. Herd a souligné que la plainte de harcèlement que le fonctionnaire s’estimant lésé avait portée contre lui et contre M. Sheridan avait été rejetée.

45 En contre-interrogatoire, M. Herd a admis que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait jamais refusé de répondre aux questions lors de la réunion du 8 juillet 2004. Quand on lui a demandé s’il y avait eu un sujet que M. Sheridan et lui-même avaient été incapables de couvrir ce jour-là, M. Herd a déclaré que le seul point sur lequel M. Sheridan était entré dans les détails était celui de la formation des étudiants. D’après M. Herd, la réunion [traduction] « n’était pas entrée dans une discussion détaillée de la lettre, ligne par ligne », parce que M. Sheridan et lui-même ne voulaient pas forcer le fonctionnaire s’estimant lésé à se plier à une telle analyse. On lui donnait la possibilité d’expliquer les circonstances, et c’était à lui de décider de se prévaloir ou pas de cette chance de donner des explications pouvant mitiger sa conduite.

46 M. Herd a confirmé qu’il n’avait aucune preuve que le Secrétaire Ridge ait reçu la lettre.

47 Le quatrième témoin de l’employeur, Hélène Mombourquette, s’est jointe à l’ASFC en juin 2005, à titre de gestionnaire des relations de travail à l’administration centrale. Son témoignage s’est limité à un point relatif à l’identification de certains numéros de télécopieur figurant au haut de la copie de la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé que M. Powell avait remise à la direction de l’ASFC. Puisque cela ne me semble pas significatif pour la décision que je dois rendre, j’estime pouvoir m’abstenir de résumer ici ce très court témoignage.

48 Le cinquième et dernier témoin de l’employeur, Mme Hébert, était vice-présidente des opérations de l’ASFC depuis mai 2004. Avant d’être nommée à ce poste, elle a longtemps été directrice générale régionale des Douanes pour la Région du Grand Toronto, à ce qui était alors l’Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC).

49 Mme Hébert a expliqué la politique de l’ASFC au sujet des avis de surveillance des personnes armées et dangereuses ayant fait l’objet d’un tel avis distribué à la frontière (pièce E-2). Elle a déclaré que cette politique exige depuis le 26 mars 2001 que les agents qui rencontrent de ces personnes à la frontière les laissent entrer, puis les signalent immédiatement au corps policier responsable pour qu’il puisse les intercepter.

50 Selon Mme Hébert, la création de l’ASFC, en décembre 2003, témoignait des efforts du gouvernement dans le contexte du Plan Ridge-Manley (pièce E-3) en vue d’améliorer l’intégration des activités de gestion et de sécurité frontalières. Cette détermination s’est aussi manifestée à l’époque par la création du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile. À l’instar du Department of Homeland Security des États-Unis créé l’année précédente, ce nouveau ministère devait intégrer et améliorer la coordination des programmes exécutés par des organismes distincts de son portefeuille (par exemple l’ASFC, la Gendarmerie royale du Canada et le Service canadien du renseignement de sécurité).

51 Mme Hébert a expliqué que puisqu’une si grande partie de la viabilité économique du Canada était liée aux États-Unis, le gouvernement canadien voulait travailler en étroite collaboration avec les États-Unis à la suite des attentats du 11 septembre [traduction] « pour assurer un régime frontalier propice à des échanges commerciaux transfrontaliers efficients ». La « Déclaration de la frontière intelligente » du 12 décembre 2001 (pièce E-1, onglet 11) s’inspirait d’ententes antérieures sur la frontière commune pour renforcer les démarches générales déjà prises par les deux pays. À l’époque, d’après Mme Hébert, la « Déclaration de la frontière intelligente » avait obtenu une grande couverture médiatique, et son contenu avait fait l’objet de nombreuses communications aux employés de ce qui était alors l’ADRC. Un document ultérieur intitulé « Politique nationale de sécurité du Canada » a aussi été produit en réaction aux événements du 11 septembre; il portait sur les mesures prises en collaboration par les deux pays et avait lui aussi attiré beaucoup d’attention des médias, en plus d’avoir été largement distribué aux employés (pièce E-1, onglets 17 et 18).

52 Mme Hébert a identifié le Code de déontologie et de conduite de l’ADRC (pièce E-1, onglet 5) en déclarant qu’il continue à s’appliquer aux employés depuis la création de l’ASFC. Elle a témoigné que les employés pouvaient le trouver sur le site Web de l’ASFC et que l’employeur organisait des séances d’information à leur intention dans tout le pays, pour qu’ils en comprennent bien les exigences.

53 Mme Hébert a témoigné avoir eu connaissance de la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé le 2 juin 2004 lorsqu’elle lui a été montrée par Paul Burkholder, le vice-président aux Ressources humaines de l’ASFC. Elle a déclaré avoir été [traduction] « indignée » par la lettre, qu’elle jugeait tout à fait inacceptable; elle était convaincue que le fonctionnaire s’estimant lésé avait [traduction] « trahi » le gouvernement du Canada en envoyant une lettre susceptible de saper énormément la confiance que les Américains accordaient au régime canadien de protection frontalière. Elle a déclaré que ses responsabilités lui permettaient de savoir de première main à quel point le gouvernement des États-Unis prenait les questions de sécurité frontalière au sérieux et jusqu’où les dirigeants du gouvernement du Canada, de concert avec ceux du monde des affaires et du tourisme, s’étaient efforcés de garder la frontière aussi « mince » que possible, en gardant la confiance de leurs homologues américains.

54 Mme Hébert a témoigné que le bureau de la ministre McLellan avait reçu une copie de la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé et confirmé avoir été consultée par les représentants des Ressources humaines, qui avaient envoyé une note d’information datée du 28 juin 2004 au président de l’ASFC au sujet de la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé en déclarant qu’on prendrait des mesures administratives en conséquence (pièce E-1, onglet 22).

55 Mme Hébert a raconté avoir parlé avec MM. Sheridan et Herd peu après leur rencontre avec le fonctionnaire s’estimant lésé en vue d’établir les faits, le 8 juillet 2004; elle avait pris des notes sur ce qu’ils lui avaient dit s’être passé alors (pièce E-5). Par la suite, elle a appris que M. Sheridan avait proposé une seconde rencontre au fonctionnaire s’estimant lésé, mais que celui-ci avait refusé de s’y présenter. Avant de convoquer une réunion disciplinaire, le 22 juillet 2004, Mme Hébert a témoigné qu’elle avait vu la lettre du 9 juillet 2004 que le fonctionnaire s’estimant lésé avait écrite à Mme McLellan (pièce E-1, onglet 24), sa seconde lettre adressée à la Ministre, en date du 15 juillet 2004 (pièce E-1, onglet 27) et la réponse de la Ministre, datée du 22 juillet 2004 (pièce E-1, onglet 33).

56 Mme Hébert a déclaré que le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’était pas présenté à la réunion disciplinaire qu’elle avait convoquée le 26 juillet 2004. Elle a donc remis sa lettre disciplinaire (pièce E-1, onglet 35) à M. Waugh et à Victoria Rhéaume, l’avocate venue à la réunion pour représenter le fonctionnaire s’estimant lésé, et l’a également envoyée à la résidence du fonctionnaire s’estimant lésé.

57 Dans cette lettre, Mme Hébert faisait état d’une autre lettre qu’elle lui avait envoyée, datée celle-là du 22 février 2002 (pièce E-1, onglet 13), à la suite de la médiation visant à régler un différend qui découlait d’un échange de courriels avec le fonctionnaire s’estimant lésé en septembre et octobre 2001. Cet échange de courriels portait sur la menace qu’il aurait faite d’écrire au Président Bush au sujet de ses craintes que les autorités canadiennes ne [traduction] « compromettent » la sécurité frontalière (pièce E-1, onglets 8 et 9). Mme Hébert a témoigné qu’il y avait des mécanismes appropriés pour les communications avec les autres gouvernements et que le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas un porte-parole autorisé. Dans sa lettre de février 2002, elle évoquait les principes énoncés dans une note de service datée du 17 juin 1999 émanant de Gerry Troy, qui était alors sous-ministre adjoint par intérim à l’ADRC. À l’époque, le fonctionnaire s’estimant lésé avait demandé à l’employeur des précisions sur ce que les employés pouvaient déclarer publiquement. La note de service de M. Troy avait été rédigée en réponse à cette demande et communiquée à tous les principaux représentants syndicaux de ce qui était alors la région du sud de Revenu Canada. Il y précisait les principes que le ministère s’attendait à voir respecter par les employés dans leurs déclarations publiques à son sujet. Mme Hébert a affirmé que tant dans la note de service de M. Troy que dans son échange de courriels avec le fonctionnaire s’estimant lésé en septembre et octobre 2001 et dans sa lettre du 2 février 2002, de même que dans une lettre que le commissaire adjoint de l’ADRC Dan Tucker avait envoyée au fonctionnaire s’estimant lésé en mars 2002 (pièce E-6), l’employeur lui avait fait clairement savoir ce qu’il attendait des employés et de ceux qui remplissaient des fonctions syndicales.

58 Mme Hébert est revenue sur sa première réaction, quand elle s’était dite [traduction] « indignée » par la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé. Elle a témoigné qu’elle jugeait répréhensible qu’un employé de l’ASFC, un fonctionnaire, écrive au [traduction] « deuxième plus haut représentant du gouvernement des États-Unis » une lettre [traduction] « susceptible de saper grandement la confiance que les États-Unis accordaient à la gestion frontalière canadienne ». Elle a reconnu que le fonctionnaire s’estimant lésé était aussi représentant syndical et qu’il avait signé la lettre en sa qualité de premier vice-président national de la CEUDA. Elle a répété que la lettre du 22 février 2002 qu’elle lui avait envoyée, la note de service Troy et la lettre de M. Tucker stipulaient toutes que les représentants syndicaux ont une plus grande latitude pour faire des déclarations, mais qu’il y a des limites. Elle a affirmé que [traduction] « même un représentant syndical a une obligation à respecter quand il fait des déclarations critiquant les politiques et les programmes du gouvernement ». Le Code de déontologie et de conduite (pièce E-1, onglet 5) stipule également qu’il faut veiller à ne pas faire de déclarations insouciantes ni malveillantes. Aucune déclaration d’un fonctionnaire ne devrait saper la confiance quant aux programmes gouvernementaux.

59 Mme Hébert a précisé de façon détaillée ce qu’elle reprochait au contenu de la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé, à savoir :

1) le fonctionnaire s’estimant lésé avait donné l’impression qu’il y avait des aspects vulnérables et des faiblesses en écrivant au Secrétaire Ridge qu’il devait être conscient des risques venant du Canada;

2) le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas qualité pour écrire au Secrétaire Ridge sur des questions de gestion frontalière;

3) la déclaration du fonctionnaire s’estimant lésé sur les non-citoyens était insultante, parce qu’elle laissait entendre que ceux-ci constituaient un risque pour la sécurité et qu’il avait omis de mentionner que toutes les personnes embauchées par l’ASFC doivent avoir une « fiabilité approfondie » attestée par une enquête de sécurité;

4) la question de la citoyenneté n’avait jamais été évoquée à un niveau quelconque de consultation syndicale-patronale, à sa connaissance;

5) le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas expliqué le [traduction] « contexte global » des mesures prises par l’ASFC pour interviewer et former toutes ses classes d’employés, pas seulement les agents à temps plein inscrits au programme offert à Rigaud qu’ils doivent obligatoirement réussir, ni pour vérifier leurs compétences;

6) le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas déclaré dans sa lettre que les étudiants recevaient autant de formation sur l’inspection primaire que les employés nommés pour une période indéterminée en recevaient au cours du programme de neuf semaines à Rigaud;

7) la comparaison des énoncés de mission était trompeuse, puisque ces énoncés ne sont pas « égaux »;

8) la politique sur les mesures à prendre à l’endroit des individus « armés et dangereux » était fréquemment invoquée à ce moment-là pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il arme les agents, alors qu’il avait pour politique de ne pas le faire.

60 Mme Hébert a témoigné avoir jugé qu’une suspension de 30 jours serait la sanction disciplinaire appropriée pour la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé après avoir tenu compte de l’importance du destinataire, c’est-à-dire [traduction] « à qui » il écrivait, du contenu de la lettre, qui tentait selon elle de faire peur en soulignant des lacunes de la gestion frontalière et du fait que la direction l’avait informé [traduction] « bien des fois » de ses attentes sur ce qu’il pouvait déclarer à l’extérieur de l’Agence. À son avis, l’inconduite du fonctionnaire s’estimant lésé était très grave, et il aurait pu être licencié. Elle a décidé de ne pas le licencier parce qu’elle espérait que sa lettre lui enverrait un [traduction] « message clair » sur sa conduite. Elle a souligné que, même si elle savait à l’époque qu’on lui avait imposé récemment des suspensions d’une journée et de 10 jours, elle n’avait pas tenu compte de ces suspensions dans son calcul. Pour conclure, elle a souligné que la conduite du fonctionnaire s’estimant lésé violait la section sur les critiques publiques de l’ADRC du Code de déontologie et de conduite (pièce E-1, onglet 5).

61 Quand elle s’est fait demander pourquoi elle n’avait pas précisé dans sa lettre disciplinaire ce qu’elle reprochait au contenu de la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé, hormis la question de la citoyenneté, Mme Hébert a déclaré qu’elle pensait que deux mentions générales dans sa lettre au fonctionnaire s’estimant lésé soulignant les faiblesses de la gestion frontalière équivalaient à inclure ses autres réserves plus spécifiques dans l’énoncé des raisons de sa sanction.

62 En ce qui concerne l’offre du fonctionnaire s’estimant lésé d’écrire une seconde lettre – d’explications celle-là – au Secrétaire Ridge, Mme Hébert a répété qu’elle était convaincue qu’il n’aurait tout simplement pas dû écrire la première lettre au Secrétaire Ridge, de sorte qu’une seconde lettre aurait été inacceptable elle aussi.

63 L’interrogatoire principal de Mme Hébert s’est terminé sur sa déclaration que, pour autant qu’elle le savait, le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait jamais exprimé de remords pour son inconduite.

64 En contre-interrogatoire, le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé à Mme Hébert si elle souscrivait à la proposition qu’aucun employé ne devrait se faire imposer une sanction disciplinaire pour avoir déclaré publiquement la vérité. Mme Hébert a répondu que le contexte était important. Elle pouvait penser à des cas où des sanctions seraient justifiées même ce qu’on avait dit était vrai, par exemple quand les déclarations révélaient des renseignements confidentiels ou secrets. Le fonctionnaire s’estimant lésé a insisté, en demandant à Mme Hébert si elle pensait que des sanctions étaient justifiées quand on avait dit la vérité sur des questions déjà du domaine public. Elle a répondu qu’elle persistait à croire que le Code de déontologie et de conduite (pièce E-1, onglet 5) stipule que les employés ont l’obligation de ne pas critiquer les politiques ni les programmes du gouvernement. Par conséquent, elle a déclaré qu’il était [traduction] « théoriquement possible » d’imposer des sanctions quand on avait dit la vérité sur des questions du domaine public, mais que cela critiquait les politiques ou les programmes du gouvernement. Après s’être fait demander ses commentaires sur les éléments de la section du Code de déontologie et de conduite relative aux critiques publiques de l’ADRC, Mme Hébert a de nouveau répété qu’il était « possible », à son avis, qu’un dirigeant syndical écope d’une sanction disciplinaire pour avoir dit la vérité sur des questions du domaine public, si ses déclarations critiquaient des programmes gouvernementaux.

65 Le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé à Mme Hébert quels renseignements MM. Sheridan et Herd lui avaient donnés au sujet de la réunion du 8 juillet 2004 convoquée pour établir les faits. Elle n’a pas pu confirmer s’ils lui avaient dit que le fonctionnaire s’estimant lésé avait refusé de répondre aux questions. Elle était toutefois convaincue, après leur conversation, qu’ils lui avaient donné la possibilité de s’expliquer pour ce qu’il avait fait, mais qu’il ne s’en était pas prévalue.

66 Mme Hébert a déclaré avoir compris que MM. Sheridan et Herd avaient exprimé à la réunion en question leurs critiques quant au contenu de la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé ainsi qu’à l’identité de son destinataire. Elle a toutefois avoué que ses notes sur sa conversation avec eux (pièce E-5) ne faisaient pas état de critiques quant au contenu de la lettre. Elle a déclaré qu’elle ne savait pas si la question de la citoyenneté – le seul aspect du contenu expressément mentionné dans sa lettre disciplinaire – avait été soulevée à la réunion.

67 Mme Hébert a admis que le fonctionnaire s’estimant lésé avait dit la vérité en déclarant dans sa lettre qu’on n’exige pas la citoyenneté canadienne des candidats aux postes d’agents de l’ASFC. Elle a toutefois dit qu’il était faux que le gouvernement des États-Unis exigeait la citoyenneté américaine, mais quand on l’a interrogée de façon plus serrée sur ce point, elle a déclaré qu’elle n’en était pas sûre. Quand on lui a demandé si elle avait vérifié à l’époque la validité des renseignements qu’elle avait sur le seul aspect du contenu de la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé mentionné dans sa lettre disciplinaire, elle a répondu qu’elle croyait s’être fait dire qu’on avait vérifié et conclu que c’était faux. Elle a confirmé qu’elle n’avait pas vérifié personnellement. Néanmoins, elle a affirmé que la véracité de ce qui avait été écrit dans la lettre sur les exigences de citoyenneté n’avait pas été un facteur significatif pour sa décision d’imposer une sanction disciplinaire. Ce qui l’avait offensée était plutôt qu’on ait laissé entendre que les non-citoyens constituaient un risque pour la sécurité frontalière canadienne.

68 Mme Hébert a admis que les déclarations que le fonctionnaire s’estimant lésé avait faites dans sa lettre au sujet des étudiants et de l’importance d’armer les inspecteurs des douanes, de même que les extraits qu’il avait cités des énoncés de mission canadien et américain, étaient tous conformes à la réalité. Sur la question d’armer les agents, elle a déclaré qu’elle n’aimait pas les déclarations du fonctionnaire s’estimant lésé, parce qu’il critiquait la politique gouvernementale. Elle a aussi jugé que la dernière phrase de la lettre, concernant l’armement des agents, était [traduction] « ridicule ». En réponse à une autre série de questions, elle a reconnu que tous les points suivants mentionnés dans la lettre étaient du domaine public : les qualités requises pour devenir inspecteur des douanes au Canada et aux États-Unis, les politiques de l’ASFC sur l’emploi des étudiants, la formation offerte à ceux-ci ainsi qu’aux employés nommés pour une période déterminée et enfin le fait que les agents des douanes canadiennes n’étaient pas armés à ce moment-là, contrairement à leurs homologues américains.

69 Quand le fonctionnaire s’estimant lésé a dit à Mme Hébert que le destinataire de sa lettre avait été un facteur plus important pour sa décision de lui imposer une sanction disciplinaire que le contenu de la lettre elle-même, elle a dit qu’elle n’était pas d’accord, en déclarant qu’elle avait tenu compte et du destinataire, et du contenu de la lettre dans sa décision.

70 Mme Hébert a dit que sa décision de suspendre le fonctionnaire s’estimant lésé était basée [traduction] « en partie » sur la démarche d’établissement des faits de MM. Sheridan et Herd. Elle a avoué qu’il n’y avait pas eu d’autres rencontres que cette réunion du 8 juillet 2004 avec le fonctionnaire s’estimant lésé au sujet de sa lettre. Elle a admis qu’elle n’avait pas obtenu les notes que MM. Sheridan et Herd avaient prises sur cette réunion et que tout ce qu’elle avait écrit sur ce qui s’était passé, c’était ses notes sur sa conversation avec eux (pièce E-5).

71 Exception faite du message initial de M. Lavergne à M. Powell pour l’informer que l’ASFC comptait voir à la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé, Mme Hébert a témoigné qu’il n’y avait pas eu de communications à son sujet entre le gouvernement du Canada et celui des États-Unis. Elle a témoigné que l’ASFC n’avait rien fait pour informer les autorités américaines que les déclarations faites dans la lettre étaient mensongères. Elle a dit qu’elle ne savait pas si le Secrétaire Ridge avait effectivement reçu la lettre ni si l’ASFC s’était renseignée pour savoir s’il l’avait reçue. Elle a déclaré que la haute direction avait pris la décision dûment réfléchie de ne pas poursuivre l’affaire à de plus hauts niveaux de l’administration américaine, pour éviter de rendre la situation plus délicate encore.

72 Mme Hébert a confirmé que le fonctionnaire s’estimant lésé était en congé pour les affaires du syndicat à l’époque pertinente. Elle a déclaré que le fait qu’il était en congé pour les affaires du syndicat n’était pas un facteur pertinent pour elle.

73 En réinterrogatoire, Mme Hébert a témoigné que, même si le fonctionnaire s’estimant lésé était en congé pour les affaires du syndicat, il restait tenu d’informer l’employeur de ses jours de repos et de soumettre des demandes pour ses autres types de congés. Quand on lui a demandé pourquoi le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé était en congé n’était pas pertinent pour sa décision de lui imposer une sanction, elle a répondu qu’elle [traduction] « avait traité la situation en partant du principe que le fonctionnaire s’estimant lésé était un employé ».

74 Sur ce, l’employeur a terminé sa preuve.

75 Le fonctionnaire s’estimant lésé a été seul à témoigner pour lui-même. Il a déclaré que Revenu Canada l’avait embauché comme douanier en septembre 1989 et qu’il avait travaillé à ce titre à Pearson jusqu’à son élection à la présidence de la section locale du District de Toronto de la CEUDA, en mars 1996. À partir de 1996, il ne s’est acquitté d’aucune fonction d’inspecteur des douanes, puisqu’il travaille à temps plein comme dirigeant syndical. Depuis 1999, ses fonctions comprennent la responsabilité du portefeuille national de santé et sécurité au travail (SST). Il est devenu président du Comité permanent de SST de la CEUDA et il a aussi siégé au Comité national mixte sur la Politique de SST. Quand il a écrit sa lettre au Secrétaire Ridge, il était premier vice-président national de la CEUDA, un poste auquel on l’avait élu.

76 Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné que la question de l’armement des agents et celle de l’uniformité de l’exigence en matière de formation pour tous les employés étaient « chaudes » dans son travail de représentation depuis 1999 ou 2000. Il a expliqué qu’il existe un rapport direct entre la santé et la sécurité, d’une part, et la formation, d’autre part. Le syndicat s’inquiétait des risques susceptibles de résulter de l’affectation à des postes d’agents d’étudiants qui n’avaient pas reçu la même formation que les agents à temps plein diplômés du programme de Rigaud. Ces étudiants n’étaient pas non plus astreints comme eux de réussir à la formation. Il a cité un article paru en 1996 dans le Globe and Mail comme preuve que les questions liées à l’emploi d’étudiants étaient au programme depuis de nombreuses années (pièce G-5). Il a témoigné que le syndicat avait tenté de résoudre ces problèmes en ayant recours aux processus de consultation syndicale-patronale internes, en faisant du lobbying auprès des députés et en soumettant des mémoires au Bureau du vérificateur général. Il a déclaré avoir personnellement témoigné en 2002 devant le Comité sénatorial de la défense nationale et de la sécurité au sujet des problèmes relatifs aux étudiants ainsi que de la sécurité des banques de données sur la sécurité frontalière. Il a produit un « certificat de participation » comme preuve de sa comparution devant ce comité (pièce G-6).

77 Le fonctionnaire s’estimant lésé a parlé de sa prétendue menace d’écrire au Président Bush en 2001, en rappelant les discussions qu’il avait eues avec M. Sheridan en septembre de cette année-là au sujet de l’admission « d’indésirables » à Pearson, discussions au cours desquelles le nom de M. Bush a été mentionné. Il a toutefois nié avoir menacé de lui écrire, en déclarant que ce qu’il avait dit à M. Sheridan revenait plutôt à dire que [traduction] « George Bush aimerait être informé de ces problèmes-là ». Il a confirmé qu’il n’avait pas écrit aux autorités américaines à l’époque.

78 Après la création de l’ASFC, en 2003, l’employeur a commencé à partager ses analyses sur les dangers des emplois et son information sur les risques pour la sécurité avec le syndicat dans des réunions de consultation. En sa qualité de premier vice-président national et de chef de file de la CEUDA sur les questions de SST, ainsi que de président du Comité sur la sécurité frontalière de son syndicat à partir de 2003, le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné que son rôle consistait à communiquer les craintes que les membres du syndicat lui confiaient sur les dangers et les risques en milieu de travail. Il a raconté que la citoyenneté et l’uniformité des exigences de formation pour tous les employés comptaient parmi les questions qui préoccupaient ses membres. Il a témoigné que les consultations avec l’employeur n’avaient pas permis de régler les problèmes signalés par le syndicat au sujet de l’armement des agents, de l’emploi d’étudiants et de l’uniformisation des exigences de formation. À tous ces trois égards, l’employeur et le syndicat étaient [traduction] « diamétralement opposés ».

79 Avant d’envoyer sa lettre au Secrétaire Ridge, le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné qu’il avait visité un site Web du gouvernement américain pour s’assurer qu’on exigeait la citoyenneté américaine des candidats aux postes d’agents des douanes et de l’immigration des États-Unis. Il avait aussi parlé à des collègues américains de la section de contrôle préalable de Pearson, où ils travaillent, pour se le faire confirmer.

80 Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que l’objet de sa lettre était exactement tel qu’il l’avait précisé dans son premier paragraphe, et qu’il n’avait eu aucune intention d’embarrasser le Canada.

81 Sur la question de la citoyenneté, le fonctionnaire s’estimant lésé a maintenu qu’il n’avait nullement eu l’intention de laisser entendre que tous les non-Canadiens constituaient un risque pour la sécurité, mais qu’il voulait « simplement » montrer qu’il y avait une différence entre les deux pays en ce qui concerne l’exigence de la citoyenneté.

82 Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné qu’il avait soulevé la question des étudiants parce que c’était depuis longtemps un irritant pour ses membres. Il a rappelé avoir été témoin de collègues qui avaient obtenu des évaluations de rendement avec la cote entièrement satisfaisant pendant jusqu’à cinq ans qui s’étaient fait licencier pour avoir échoué au programme de Rigaud et qui avaient été remplacés par des étudiants.

83 Au sujet des deux énoncés de mission cités dans sa lettre, le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que c’était ceux qu’il avait pu trouver à ce moment-là. À son avis, ils étaient toujours en vigueur. La crainte qu’il exprimait dans sa lettre était que les autorités canadiennes accordaient plus d’importance à la facilitation des échanges commerciaux transfrontaliers qu’à la sécurité.

84 Au sujet de la mention dans sa lettre des « avis de surveillance des personnes armées et dangereuses », le fonctionnaire s’estimant lésé a maintenu qu’il ne faisait que dire de quels outils les agents disposaient, conformément au MIGI (pièce E-1, onglet 1), en faisant un lien avec la santé et la sécurité des employés. Le syndicat était convaincu que les agents seraient vulnérables si des personnes armées et dangereuses se tournaient contre eux à la frontière, parce qu’ils n’avaient ni la capacité, ni la formation nécessaires pour gérer de telles situations.

85 Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné avoir envoyé copie de sa lettre à la Vice-première ministre McLellan parce qu’elle concernait des questions dont les deux pays discutaient. Il a déclaré qu’il n’avait rien à cacher et qu’il voulait qu’elle fasse un suivi sur ce qu’il avait soulevé. Exception faite d’une des citations faites dans sa lettre, le fonctionnaire s’estimant lésé a maintenu que tout ce qu’elle contenait était du domaine public depuis des années.

86 Cela dit, il a confirmé n’avoir pas reçu de réponse à sa lettre au Secrétaire Ridge ni de confirmation qu’elle avait été reçue.

87 Le fonctionnaire s’estimant lésé a dit ce qu’il se rappelait de la réunion convoquée le 8 juillet 2004 pour établir les faits. Il a déclaré en avoir contesté le motif, en demandant si elle était disciplinaire et en invitant MM. Sheridan et Herd à lui dire ce qu’ils lui reprochaient. Il a témoigné que ses interlocuteurs lui ont parlé de la lettre, mais quand il leur a demandé des précisions, M. Sheridan n’a parlé que d’un aspect, celui des étudiants qui ne recevaient pas la formation dispensée à Rigaud. M. Herd aurait déclaré que le problème n’était pas tant ce que le fonctionnaire s’estimant lésé avait écrit qu’à qui il l’avait écrit. Il avait offert d’écrire une seconde lettre au Secrétaire Ridge pour préciser [traduction] « tout ce que l’employeur jugeait nécessaire », mais MM. Sheridan et Herd ont décliné cette offre. Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a donc pas écrit une seconde lettre à M. Ridge.

88 Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré n’avoir refusé de répondre à aucune des questions qui lui ont été posées à la réunion, où il a confirmé avoir rédigé la lettre et déclaré clairement qu’il n’avait aucune intention de lui donner une plus grande diffusion. Il l’a décrite comme [traduction] « une affaire classée ».

89 Quand il a reçu un appel de M. Sheridan, qui voulait le convoquer à une seconde réunion, le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que ce dernier ne lui avait offert aucune raison précise pour cette autre réunion. Comme il estimait avoir déjà répondu à toutes leurs questions, il ne voyait pas pourquoi il rencontrerait encore MM. Sheridan et Herd, à moins qu’ils n’aient voulu l’accuser de quelque chose ou obtenir sa réaction à quelque chose de précis.

90 À la réunion organisée pour établir les faits, le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré qu’il n’avait pas du tout l’impression d’avoir mal agi en sa qualité de représentant syndical. Il estimait que sa lettre contenait des faits auxquels le public avait déjà accès. La CEUDA elle-même avait diffusé sur Internet de l’information sur les points mentionnés dans sa lettre. Le fonctionnaire s’estimant lésé a donné l’exemple de la version révisée en juin 2004 d’un document produit par le bureau national de la CEUDA (pièce G-8).

91 Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné qu’il n’avait pas assisté à la réunion que Mme Hébert avait convoquée le 26 juillet 2004, mais que son représentant syndical et l’avocate qu’il avait retenue y avaient assisté en son nom. Il leur avait dit de demander à Mme Hébert s’il pouvait faire quoi que ce soit pour réduire une éventuelle sanction disciplinaire, comme présenter des excuses. Il s’est déclaré convaincu qu’ils s’étaient conformés à ses instructions.

92 En contre-interrogatoire, l’employeur a demandé au fonctionnaire s’estimant lésé de confirmer s’il était représentant syndical à temps plein depuis 1996, et celui-ci a répondu qu’il avait été élu à un poste au syndicat en mars 1996, mais qu’il avait encore travaillé comme inspecteur des douanes les quelques jours fériés désignés suivant immédiatement son élection.

93 Comme le fonctionnaire s’estimant lésé avait témoigné que tout le contenu de sa lettre était du domaine public, l’employeur lui a demandé de préciser où il était question de citoyenneté dans le document produit par le bureau national de la CEUDA (pièce G-8). Il a répondu qu’on n’avait pas mentionné la citoyenneté dans ce document-là. Il a déclaré quant aux étudiants qu’on en parlait régulièrement dans les publications du syndicat. On lui a demandé où dans la position en 18 points de la CEUDA sur l’emploi d’étudiants (pièce G-8) il était précisé que le syndicat écrirait à d’autres gouvernements ou userait de tactiques de ce genre pour faire valoir ses opinions; le fonctionnaire s’estimant lésé a répondu qu’il n’était pas nécessaire de décrire dans ce document-là toutes les tactiques du syndicat. Quand on l’a pressé sur ce point, il a déclaré qu’il était impossible pour la CEUDA de préciser dans ses publications toutes les initiatives de ses représentants, ni de rapporter toutes les activités de chacun de ses représentants en matière de SST. Le document en question de la CEUDA (pièce G-8) n’était pas un résumé détaillé de tout ce que l’élément faisait.

94 Le fonctionnaire s’estimant lésé a confirmé que sa lettre du 25 mai 2004 était une première, parce qu’il n’avait jamais écrit auparavant à un dirigeant d’un gouvernement étranger. Il a rejeté l’allégation de l’employeur qu’il prenait des positions dans la lettre, en affirmant qu’il n’avançait que des faits, pas une opinion personnelle.

95 L’employeur a demandé au fonctionnaire s’estimant lésé, en évoquant le Comité mixte de gestion de l’accord sur la frontière canado-américaine (pièce G-4), s’il avait écrit au Secrétaire Ridge en qualité de président de ce comité. Le fonctionnaire s’estimant lésé a répondu que non, en déclarant qu’il n’était pas limité à ce rôle de président et qu’il avait écrit sa lettre à titre de premier vice-président national de la CEUDA.

96 L’employeur a déclaré au fonctionnaire s’estimant lésé qu’il n’y avait rien qui ne soit clair dans la position de l’employeur quant à la rédaction d’une lettre comme la sienne, depuis la lettre de Mme Hébert datée du 22 février 2002 (pièce E-1, onglet 13). Le fonctionnaire s’estimant lésé a répliqué qu’il était [traduction] « limité » par la politique sur les déclarations publiques, mais qu’il pouvait envoyer une lettre à condition de ne pas contrevenir à ses dispositions. Il a souligné qu’il estimait avoir le droit de communiquer avec des personnes de l’extérieur ou de leur écrire pourvu qu’il se conforme à la politique. Quand il s’est fait demander s’il savait ce que l’employeur pensait de sa menace d’écrire à un dirigeant comme le Président Bush, le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré estimer qu’il n’y avait pas de problème, à condition que la lettre ne contienne rien qui soit faux ou malveillant. Il s’est dit d’accord avec l’employeur sur ce point, parce qu’il y a effectivement des limites à ce qu’un premier vice-président national d’un syndicat peut dire, mais il a aussi déclaré qu’il ne pouvait pas accepter qu’exposer des faits du domaine public pouvait saper la crédibilité des programmes de l’ASFC.

97 Le fonctionnaire s’estimant lésé estimait également, tout comme l’employeur, que les attentats du 11 septembre avaient transformé le monde et accru les craintes de la population canadienne. Il savait aussi ce qu’on disait dans les médias américains sur la frontière canadienne. Il a déclaré que les inspecteurs des douanes s’efforçaient d’assurer la confiance nécessaire à cet égard. S’ils ne satisfaisaient pas aux attentes, les résultats pourraient être bien plus tragiques encore. Après le 11 septembre, le syndicat tentait de régler des problèmes persistants qui auraient pu contribuer à une autre tragédie. Les représentants syndicaux compilaient leurs propres statistiques, pour veiller à ce que l’information sur les questions de sécurité frontalière présentée aux décideurs soit conforme à la réalité.

98 Le fonctionnaire s’estimant lésé a admis être au courant des opinions exprimées au nom du ministre du Revenu Martin Cauchon dans une lettre datée du 2 janvier 2002 quant aux limites de la liberté d’expression des dirigeants syndicaux (pièce E-9). Il a déclaré que le syndicat [traduction] « avait sa propre opinion ». Il a reconnu avoir toujours été convaincu que les dirigeants syndicaux avaient une plus grande latitude pour faire des déclarations compatibles avec leur rôle légal de défenseurs des droits syndicaux. Il a déclaré ne pas croire qu’un dirigeant syndical soit tenu d’obtenir l’approbation de la direction pour faire une déclaration quelconque.

99 Quand on lui a posé des questions plus précises sur l’intention qu’il avait dans sa lettre, le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné qu’il [traduction] « récapitulait » des points déjà soulevés et donnait des renseignements. Au moment où il avait rédigé sa lettre, il pensait qu’elle serait acheminée dans la filière appropriée et qu’elle mènerait à des discussions entre les deux pays. Quand l’employeur lui a demandé de confirmer qu’il ne l’avait pas désigné comme employé pour informer un dirigeant étranger, il l’a reconnu, en maintenant toutefois qu’un dirigeant syndical devait répondre aux attentes et qu’il était tenu de signaler les problèmes et les préoccupations soulevés par ses membres aux [traduction] « instances appropriées », le cas échéant. Il a donné un exemple en déclarant qu’ [traduction] « on obtient parfois plus rapidement des résultats grâce à une campagne médiatique » qu’en [traduction] « discutant à vide » dans des discussions internes. Le résultat qu’il voulait obtenir en écrivant au Secrétaire Ridge était une discussion des enjeux pour obtenir des changements, par exemple armer les agents. Il estimait que sa lettre ferait le pont avec les discussions qui se poursuivaient entre les deux pays en vue de l’uniformisation de leurs politiques et de leurs programmes frontaliers. Il considérait sa lettre comme privée, puisqu’il ne l’avait envoyée qu’au Secrétaire Ridge et à la Vice-première ministre McLellan.

100 Le fonctionnaire s’estimant lésé a confirmé qu’il n’était pas un expert en relations internationales.

101 Il n’y a pas eu de réinterrogatoire du fonctionnaire s’estimant lésé.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

102 L’employeur a déclaré que je dois répondre à deux questions primordiales. Le fonctionnaire s’estimant lésé a-t-il fait preuve d’inconduite quand il a écrit sa lettre du 25 mai 2004 à M. Ridge, le Secrétaire du Department of Homeland Security des États-Unis? Si oui, la sanction disciplinaire imposée par l’employeur était-elle justifiée pour cette inconduite?

103 Pour que je puisse répondre à ces questions, l’employeur a reconnu que l’affaire reposait sur la jurisprudence résumée dans Shaw c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences) et al., 2006 CRTFP 125. Les décisions invoquées dans Shaw établissent le principe qu’un employé agissant à titre de dirigeant syndical dans le cadre légitime de ses fonctions, doit se faire accorder [traduction] « une latitude raisonnable » pour représenter ses membres. Quand le contexte le justifie, il peut critiquer l’employeur sans être passible de sanctions disciplinaires pour avoir manqué à son obligation de loyauté. Néanmoins, les employés qui exercent des rôles syndicaux n’ont pas carte blanche. Il y a clairement des limites à ce qu’ils peuvent dire ou faire. Selon l’employeur, si je ne devais pas conclure que les critiques du fonctionnaire s’estimant lésé à l’égard de l’employeur dépassaient en l’espèce les limites reconnues dans la jurisprudence arbitrale, tous les représentants syndicaux auraient [traduction] « les coudées franches ».

104 L’employeur a déclaré que je dois d’abord décider si le fonctionnaire s’estimant lésé agissait dans le cadre légitime de ses fonctions syndicales quand il a écrit au Secrétaire Ridge. Si je concluais que non, je devrais rejeter le grief parce que la protection contre des sanctions disciplinaires dont bénéficient les dirigeants syndicaux ne s’étend pas aux actions débordant du cadre légitime de leurs fonctions syndicales officielles. Si je décidais par contre que le fonctionnaire s’estimant lésé s’était exprimé dans le cadre approprié de son rôle syndical, le critère résumé dans Shaw s’appliquerait, étant donné que je devrais déterminer s’il a fait dans sa lettre des déclarations malveillantes ou mensongères, que ce soit sciemment ou par insouciance. Si oui, l’employeur avait bel et bien raison d’imposer une sanction au fonctionnaire s’estimant lésé, même si celui-ci avait agi dans son rôle syndical.

105 L’employeur est fermement convaincu qu’écrire la lettre du 25 mai 2004 à l’un des plus importants dirigeants du gouvernement des États-Unis n’était pas une activité entrant dans le cadre légitime du rôle syndical de l’intéressé, en raison de l’extrême sensibilité des questions de gestion frontalière dont le Canada et les États-Unis discutaient dans la foulée des attentats terroristes du 11 septembre 2001. Le fait que la lettre a été écrite sous l’en-tête de la CEUDA ne suffisait pas à la rendre acceptable dans ce contexte. Qui plus est, écrire au Secrétaire Ridge ne pouvait pas aider le syndicat à atteindre ses buts, puisque les autorités américaines n’avaient ni le pouvoir, ni l’autorité nécessaires quant aux questions soulevées par le fonctionnaire s’estimant lésé. C’est seulement en communiquant au Canada avec les autorités canadiennes qu’il aurait pu contribuer à la réalisation des objectifs légitimes de son syndicat.

106 Selon l’employeur, la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé était inacceptable tant parce qu’elle était adressée au Secrétaire Ridge qu’en raison de son contenu. Elle était en effet intitulée [traduction] « Sécurité et protection du public – Frontières internationales ». Or, le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas un expert en relations internationales, en frontières internationales ni en sécurité publique. Par sa lettre, il courait le risque de s’ingérer dans une relation extrêmement délicate entre les administrations frontalières canadienne et américaine. Il exprimait de façon inacceptable des opinions sur les priorités du gouvernement canadien et sur les intérêts américains en matière de sécurité publique, dans des domaines qui ne relevaient clairement pas de sa responsabilité, où il n’avait manifestement pas compétence. Il n’avait tout simplement pas qualité pour écrire sur des questions de sécurité frontalière à un haut dirigeant d’un gouvernement étranger, et surtout pas au Secrétaire Ridge.

107 Dans sa lettre, le fonctionnaire s’estimant lésé disait qu’elle avait pour objet de [traduction] « […] donner [au Secrétaire Ridge] des renseignements susceptibles d’être utiles afin de déterminer les risques pour la sécurité et la protection du public […] ». L’employeur a maintenu que le fonctionnaire s’estimant lésé voulait tout au contraire enflammer la relation canado-américaine et [traduction] « faire peur » dans une période extrêmement sensible.

108 Le fonctionnaire s’estimant lésé alléguait dans sa lettre que [traduction] « […] les choses n’[avaient] guère changé en ce qui concern[ait] les pratiques de recrutement et de dotation pour la première ligne de défense du Canada […] » depuis les attentats du 11 septembre. L’employeur estime qu’il avait omis de préciser que le Canada et les États-Unis, tant individuellement que conjointement, avaient apporté d’importants changements aux mesures de sécurité frontalière après ces attentats (voir par exemple la pièce E-1, onglets 11 et 14).

109 L’employeur a maintenu que les déclarations sur la question de la citoyenneté que contenait la lettre soulevaient un point qui ne l’avait pas encore été avec la direction. La conclusion du fonctionnaire s’estimant lésé qu’on ne pourrait pas faire confiance à des non-citoyens pour accomplir des tâches d’inspection douanière était sans fondement et injuste. Il avait négligé d’informer le Secrétaire Ridge que tous les candidats à un poste à l’ASFC sont assujettis à la même procédure d’enquête de sécurité, qu’ils soient citoyens canadiens ou pas. Les déclarations du fonctionnaire s’estimant lésé étaient donc trompeuses et donnaient l’impression que les non-citoyens [traduction] « […] [avaient] accès à nos systèmes de codage aux points d’entrée, à notre base de données électronique, à nos bulletins de renseignement internes et à d’autres renseignements protégés ou de nature délicate », ce qui créait un risque pour la sécurité.

110 Sur la question de l’embauche d’étudiants, le fonctionnaire s’estimant lésé avait également négligé de préciser que les étudiants reçoivent exactement la même formation que les employés à temps plein pour les fonctions à la LIP auxquelles la direction les affecte. Le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas décrit toute la situation, et la description qu’il en avait faite au sujet des étudiants était [traduction] « contraire à la vérité ».

111 Pour ce qui est des deux citations figurant dans la lettre, supposément pour faire contraster les énoncés de mission canadien et américain, l’employeur a soutenu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait [traduction] « soigneusement choisi » dans le contenu des documents ce qu’il a cité pour faire mal paraître l’ASFC. L’employeur a déclaré que le fonctionnaire s’estimant lésé aurait pu choisir un autre paragraphe du document canadien (pièce E-1, onglet 15) qui est beaucoup plus comparable à celui qu’il a cité du document américain. En ne le faisant pas, il a précisément donné une mauvaise impression du gouvernement canadien. Selon l’employeur, le choix de ces paragraphes par le fonctionnaire s’estimant lésé revenait à comparer [traduction] « des pommes et des oranges », pour présenter l’ASFC sous un mauvais jour.

112 L’employeur est d’avis que [traduction] « nous ne serions pas où nous en sommes aujourd’hui » si le fonctionnaire s’estimant lésé avait adressé sa lettre au gouvernement canadien. Pour expliquer ce qu’il entend par là, l’employeur affirme que le contexte et le contenu de la lettre n’auraient nettement pas été les mêmes si le fonctionnaire s’estimant lésé l’avait adressée aux autorités canadiennes et ces différences auraient été importantes. La lettre au Secrétaire Ridge dépassait la limite de l’acceptable, parce que le fonctionnaire s’estimant lésé l’a envoyée en sachant à quel point les dirigeants et la population des États-Unis étaient préoccupés par les problèmes frontaliers dans la foulée des attentats du 11 septembre et en sachant aussi dans quelle mesure la viabilité de l’économie canadienne était étroitement liée au maintien d’une [traduction] « frontière mince » ne faisant pas obstacle au commerce et au tourisme. La lettre du fonctionnaire s’estimant lésé était donc insouciante; il savait pertinemment ce que l’employeur lui aurait répondu s’il avait soumis la lettre à la direction avant de l’envoyer. À cet égard, l’employeur s’est reporté au témoignage de Mme Hébert, qui avait déclaré : [traduction] « […] tout le monde sait à quel point les États-Unis prennent la gestion de leurs frontières au sérieux. » Il était donc répréhensible qu’un employé envoie au deuxième en importance des dirigeants américains une lettre dont le contenu risquait sérieusement de saper sa confiance pour la sécurité de nos frontières.

113 Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné qu’il était convaincu de ne pas aller au-delà du cadre de ses fonctions syndicales quand il a envoyé sa lettre. Pourtant, la direction lui avait déjà précisé clairement et de façon répétée quelles étaient ses attentes quant aux limites applicables à l’expression et aux activités syndicales, dans des documents comme la note de service de Gerry Troy du 17 juin 1999 (pièce E-1, onglet 3), la lettre du 22 février 2002 de Mme Hébert (pièce E-1, onglet 13) et le Code de déontologie et de conduite (pièce E-1, onglet 5). En faisant fi de ces attentes, le fonctionnaire s’estimant lésé a manqué à l’obligation de loyauté qu’il doit à son employeur.

114 Pour m’aider à trouver l’équilibre optimal entre l’obligation de loyauté d’un fonctionnaire et son droit de s’exprimer librement, l’employeur m’a renvoyé à l’arrêt faisant autorité, Fraser c. Canada (Commission des relations de travail dans la fonction publique), [1985] 2 R.C.S. 455. Dans Fraser, on a jugé qu’il y avait des cas où un fonctionnaire pouvait « […] activement et publiquement exprimer son opposition à l’égard des politiques d’un gouvernement », mais pas les « attaquer de manière soutenue et très visible » :

[…]

41 […] En règle générale, les fonctionnaires fédéraux doivent être loyaux envers leur employeur, le gouvernement du Canada. Ils doivent être loyaux envers le gouvernement du Canada et non envers le parti politique au pouvoir. Un fonctionnaire n’est pas tenu de voter pour le parti au pouvoir. Il n’est pas non plus tenu d’endosser publiquement ses politiques. En fait, dans certaines circonstances, un fonctionnaire peut activement et publiquement exprimer son opposition à l’égard des politiques d’un gouvernement. Ce serait le cas si, par exemple, le gouvernement accomplissait des actes illégaux ou si ses politiques mettaient en danger la vie, la santé ou la sécurité des fonctionnaires ou d’autres personnes, ou si les critiques du fonctionnaire n’avaient aucun effet sur son aptitude à accomplir d’une manière efficace ses fonctions ni sur la façon dont le public perçoit cette aptitude. Toutefois, ayant énoncé ces qualités (et il peut y en avoir d’autres), je suis d’avis qu’un fonctionnaire ne doit pas, comme l’a fait l’appelant en l’espèce, attaquer de manière soutenue et très visible des politiques importantes du gouvernement. Selon moi, en se conduisant de cette manière, l’appelant a manifesté envers le gouvernement un manque de loyauté incompatible avec ses fonctions en tant qu’employé du gouvernement.

[…]

115 D’après l’employeur, Fraser étaye son argument que des critiques extrêmes du gouvernement par un fonctionnaire – dont la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé en constituait un exemple [traduction] « des plus patents » – constituent un manquement à l’obligation de loyauté qui le rend passible de sanctions disciplinaires. Les critiques du fonctionnaire s’estimant lésé étaient [traduction] « des plus patentes » parce qu’elles portaient sur des questions de sécurité frontalière extrêmement délicates et qu’elles avaient été exprimées à un partenaire dont les décisions sur la frontière auraient pu avoir de très graves répercussions pour l’économie canadienne.

116 La jurisprudence résumée dans Shaw porte sur la liberté d’expression et sur l’obligation de loyauté dans les circonstances particulières où un fonctionnaire accomplit des fonctions syndicales. Elle reconnaît que les représentants syndicaux devraient disposer d’une marge de manœuvre lorsqu’ils font des commentaires contraires aux intérêts de leurs employeurs, mais conclut qu’ils ne sont pas à l’abri des sanctions s’ils dépassent la [traduction] « limite évidente » des activités syndicales acceptables :

[…]

[29] Dans la décision School District No. 22 (Vernon) and C.U.P.E., Local 5523 (Hegler) (2002), 104 L.A.C. (4th) 435 (Taylor), la majorité des membres du conseil d’arbitrage ont également indiqué (aux pages 443-444) qu’il y a des limites à la latitude du dirigeant syndical :

[Traduction]

[…]

Les textes faisant autorité n’étayent pas la proposition selon laquelle un représentant syndical est à l’abri des sanctions disciplinaires pour insubordination. Ces textes établissent que les délégués syndicaux doivent être libres de représenter adéquatement et pleinement leurs membres dans des affaires de grief, d’arbitrage et de négociation collective, sans être l’objet de sanctions disciplinaires pour des actes entrant dans le cadre de l’exercice de ces fonctions et d’autres fonctions syndicales légitimes. La protection n’englobe pas une conduite débordant l’étendue appropriée de la responsabilité syndicale.

[…]

117 L’employeur a répété sa conviction que le fonctionnaire s’estimant lésé excédait largement « […] l’étendue appropriée de la responsabilité syndicale » en écrivant au Secrétaire Ridge pour affirmer ce qu’il lui a écrit dans le contexte volatil de la relation frontalière canado-américaine. Selon l’employeur, le fonctionnaire s’estimant lésé a stratégiquement introduit des questions syndicales dans un [traduction] « véhicule toxique » qu’il a envoyé à un gouvernement étranger.

118 La distinction entre une « déclaration interne » et une « déclaration externe » est importante, comme l’arbitre l’a conclu dans National Steel Car Ltd. v. U.S.W.A., Local 7135, (2001), 101 L.A.C. (4e) 316, citée dans Shaw au paragr. 34. Les actions du fonctionnaire s’estimant lésé révélaient sa mauvaise foi, parce qu’il savait, les termes qu’il a employés et le destinataire de l’extérieur qu’il a choisi en témoignent, qu’il pourrait faire peur. Il aurait plutôt dû faire preuve de bonne foi en soulevant ces questions syndicales devant le gouvernement canadien grâce aux mécanismes internes appropriés.

119 Si je ne devais pas conclure que la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé équivaut à des déclarations débordant du cadre légitime de l’activité syndicale, l’employeur a fait valoir que je devrais subsidiairement décider qu’il ne pouvait plus être à l’abri des sanctions disciplinaires en faisant à une tierce partie des déclarations [traduction] « malveillantes ou sciemment ou négligemment fausses » (Shaw, paragr. 41).

120 L’employeur m’a renvoyé aux définitions des termes « malicious » (malveillant) et « reckless » (insouciant) de The Canadian Oxford Dictionary, Oxford University Press : Don Mills (Ontario), 1998, et du Black’s Law Dictionary, 6th ed., West Publishing Co. : St. Paul (Minnesota), 1990. L’employeur a maintenu que les actions du fonctionnaire s’estimant lésé étaient malveillantes parce qu’il savait qu’écrire sur des lacunes à la frontière était susceptible de causer du tort, et qu’il avait l’intention d’en causer. Cette intention peut être raisonnablement déduite du contenu de la lettre elle-même. Son sujet – « Sécurité et protection du public – Frontières internationales » – en dit long. Le message était que [traduction] « nous ne faisons pas du très bon travail ici ».

121 Qui plus est, les déclarations du fonctionnaire s’estimant lésé étaient soit sciemment mensongères, soit mensongères par insouciance. Il traitait les faits à la légère, sans situer les questions relatives à la citoyenneté et aux étudiants dans leur contexte global, induisait en erreur avec les extraits qu’il avait choisi de citer pour faire contraster les priorités canadiennes et américaines et comparait [traduction] « des pommes et des oranges ». Ses omissions quant aux enquêtes de sécurité sur les non-citoyens ainsi qu’à la nature de la formation dispensée aux étudiants étaient des exemples de son insouciance et de son peu de respect pour la vérité.

122 Sur cette base, l’employeur a déclaré que je devrais conclure, conformément au critère établi dans Shaw, que la latitude qu’on accorde normalement aux représentants syndicaux pour s’exprimer librement avait cessé dans le cas du fonctionnaire s’estimant lésé quand il avait fait dans sa lettre du 25 mai 2004 des déclarations malveillantes et sciemment mensongères, ou mensongères par insouciance. Ces déclarations lui avaient fait perdre son immunité contre les sanctions disciplinaires. La réaction disciplinaire de Mme Hébert, l’imposition d’une suspension de 30 jours, était justifiée parce que la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé excédait largement la portée de ses fonctions syndicales et que la sanction était tout à fait proportionnelle à la gravité de sa faute.

123 Au sujet des aspects relatifs à la Charte soulevés par le fonctionnaire s’estimant lésé dans son second grief, l’employeur a fait valoir qu’aucune jurisprudence ne justifie la proposition que l’article 7 de la Charte (« vie, liberté et sécurité de sa personne ») peut être invoqué dans un contexte d’emploi (voir Forgie c. Conseil du Trésor (Commission d’appel de l’immigration), dossier de la CRTFP 166-02-15843 (19861119)). (Le fonctionnaire s’estimant lésé a stipulé à ce stade de l’audience qu’il ne poursuivrait plus d’argument fondé sur l’article 7 de la Charte.)

124 Par ailleurs, en ce qui concerne l’alinéa 2b) de la Charte (« liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication »), l’employeur a cité Read c. Canada (Procureur général), 2005 C.F. 798 et 2006 CAF 283, à savoir que l’obligation de loyauté envers l’employeur a été reconnue comme une limite raisonnable de la liberté d’expression prescrite par la loi « dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique » au sens de l’article 1 de la Charte (voir aussi Haydon c. Canada, [2001] 2 C.F. 82; Haydon c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 C.A.F. 249; Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 CF 958; et Grahn c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] A.C.F. no 36 (C.A.) (QL). L’employeur a déclaré que l’alinéa 2b) de la Charte n’a jamais été invoqué dans des circonstances telles qu’en l’espèce.

125 L’employeur a pourtant soutenu que point n’est besoin de se reporter à la Charte ici. Si je devais conclure que la sanction imposée par l’employeur était justifiée, il n’y aurait pas eu d’infraction à la Charte, et je n’aurais donc pas à ordonner un redressement en conséquence.

126 L’employeur a également affirmé qu’on n’a jamais ordonné le versement de dommages-intérêts du genre de ceux que le fonctionnaire s’estimant lésé réclame.

127 L’employeur a invoqué de nombreux autres cas : Almeida c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 1 C.F. 266 (C.A.); Canada Post Corp. v. C.U.P.W. (Van Donk) (1990) 12 L.A.C. (4e) 336; Cassellholme Home for the Aged (District of East Nipissing) v. C.U.P.E. Local 146 (2004), 128 L.A.C. (4e) 425; Chopra c. Conseil du Trésor (Santé Canada), 2003 CRTFP 115, 2005 C.F. 958 et 2006 CAF 295; Fugère v. Québecair (1987), 88 C.L.L.C. 16; King c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douanes, Accise et Impôt), 2003 CRTFP 48; Lewicki c. Conseil du Trésor (Commission canadienne des grains), 2002 CRTFP 37; Nowoselsky c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2001 CRTFP 18 et 2004 CAF 418; Bell Canada v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada (1996), 57 L.A.C. (4e) 289; Burns Meats Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers, Local P139 (1980), 26 L.A.C. (2e) 379; Chedore v. Treasury Board (Post Office Department) (1980), 29 L.A.C. (2e) 42; Newfoundland and Labrador School Boards Association (District 5) v. Newfoundland and Labrador Association of Public and Private Employees (2004), 137 L.A.C. (4e) 180; Simon Fraser University v. Association of University and College Employees, Local 2 (1985), 18 L.A.C. (3e) 361; Snow Lake School District No. 2309 v. United Steelworkers of America, Local Union No. 8262, [2001] M.G.A.D. No. 66 (QL); Scott c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2001 CRTFP 82; Scruby c. Staub (Emploi et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 161-02-420 (19870616); Stewart c. Canada (Conseil du Trésor), dossier de la CRTFP 168-02-108 (19760826) et [1978] 1 C.F. 133 (C.A.).

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

128 Selon le fonctionnaire s’estimant lésé, le fond de cette affaire est son droit de représenter ses membres et son droit constitutionnel à la liberté d’expression. Par conséquent, les décisions résumées dans Fraser, sur la « dénonciation » de l’employeur, ne sont donc pas pertinentes. Comme la question que je dois trancher est celle de la liberté d’expression syndicale, je devrais me fonder sur la jurisprudence résumée dans Shaw.

129 Or, selon Shaw, et l’employeur l’a reconnu dans ses arguments, le fonctionnaire s’estimant lésé ne pouvait pas se faire imposer de sanction disciplinaire pour avoir agi en sa qualité de représentant syndical, à moins que sa conduite ait été malveillante ou que ses déclarations aient été sciemment mensongères, ou mensongères par insouciance. En l’espèce, la preuve a révélé que les déclarations du fonctionnaire s’estimant lésé dans sa lettre du 25 mai 2004 n’étaient ni malveillantes, ni mensongères. Les témoins de l’employeur ont avoué qu’aucun des faits exposés dans la lettre n’était faux et que les renseignements communiqués par le fonctionnaire s’estimant lésé étaient déjà du domaine public. L’employeur ne peut donc pas satisfaire au critère de Shaw en prouvant qu’il était justifié d’imposer une sanction disciplinaire aussi lourde, voire une sanction disciplinaire, point.

130 Il est clair que ce que l’employeur reprochait à la lettre n’était pas son contenu, mais plutôt son destinataire. Le fonctionnaire s’estimant lésé a notamment souligné que l’employeur a déclaré dans ses arguments que [traduction] « nous ne serions pas où nous en sommes » si la lettre avait été envoyée à un ministre canadien, et il a déclaré que l’identité du destinataire est sans importance, puisque la jurisprudence reconnaît que [traduction] « le public est le public ». Un représentant d’un autre gouvernement fait autant partie du public que quiconque ne participant pas à la relation entre l’employeur et l’employé. Bref, si le contenu de la lettre ne contrevient pas au critère de Shaw, son destinataire ne fait aucune différence.

131 Pour appliquer le critère de Shaw, il faut évaluer la situation de façon objective, dans une optique bien informée, celle de Threader c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 1 C.F. 41 (C.A.). La question qu’il faut se poser est la suivante : [traduction] « Une personne bien informée et connaissant les faits pertinents jugerait-elle que les déclarations faites par le fonctionnaire s’estimant lésé étaient soit malveillantes, soit sciemment mensongères ou mensongères par inadvertance? »

132 Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que la preuve relative aux événements qui avaient entouré la lettre, analysée objectivement, n’est pas compatible avec les allégations de l’employeur. Il a souligné les points suivants :

1) exception faite de la question des étudiants, ni M. Sheridan, ni M. Herd n’ont exprimé au fonctionnaire s’estimant lésé aucune critique particulière quant au contenu de la lettre à la seule réunion ayant eu lieu pour établir les faits (le 8 juillet 2004);

2) le fonctionnaire s’estimant lésé avait offert d’envoyer une seconde lettre au Secrétaire Ridge pour dissiper tous les malentendus relatifs à la question des étudiants que sa lettre aurait pu causer, mais l’employeur lui a enjoint de ne pas le faire;

3) le fonctionnaire s’estimant lésé n’a refusé de répondre à aucune des questions qui lui ont été posées à cette réunion;

4) le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné qu’il n’avait rien à cacher avec sa lettre; il en avait volontairement envoyé une copie à la Ministre McLellan et ne l’avait envoyée à personne d’autre, pas plus qu’il ne l’avait rendu publique autrement;

5) rien n’indiquait que les autorités américaines aient été mécontentes du contenu de la lettre ou qu’elles aient pris quelque mesure que ce soit en conséquence, sauf en faire porter une copie à l’attention de M. Lavergne;

6) rien dans la preuve n’a démontré que la lettre ait eu une incidence quelconque sur la relation canado-américaine, en dépit de la prétention de l’employeur que le fonctionnaire s’estimant lésé voulait causer du tort;

7) on n’a déposé en preuve aucune note de service ni aucune communication entre les autorités canadiennes et américaines au sujet de la lettre, et il n’y a pas non plus d’indication que le Secrétaire Ridge l’ait même reçue;

8) malgré toutes les inquiétudes qu’ils manifestaient quant aux répercussions potentielles de la lettre, les dirigeants de l’ASFC n’ont pris aucune mesure de suivi à cet égard auprès de leurs homologues américains.

133 Et le fonctionnaire s’estimant lésé a souligné ce qui suit au sujet de la lettre elle-même :

1) aucun des témoins de l’employeur n’a témoigné qu’une déclaration quelconque figurant dans la lettre était mensongère, que ce soit sciemment ou par insouciance;

2) Mme Hébert a prétendu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait dénigré les non-citoyens dans sa lettre, qui ne renfermait que des énoncés factuels sur les exigences de citoyenneté applicables aux travailleurs des services frontaliers des deux pays;

3) les points soulevés dans la lettre quant à l’emploi d’étudiants et à l’armement des agents étaient « chauds » depuis très longtemps et s’inscrivaient clairement dans le contexte des questions de santé et de sécurité à l’égard desquelles le fonctionnaire s’estimant lésé avait des responsabilités particulières légitimes pour le compte de la CEUDA;

4) les renseignements figurant dans la lettre sur la formation reçue par les étudiants étaient conformes à la réalité;

5) contrairement à la prétention de M. Sheridan que les commentaires du fonctionnaire s’estimant lésé sur la question de « l’armement » laissaient entendre qu’on n’exerçait aucun contrôle à la frontière, sa lettre stipulait seulement – et c’était vrai – que les agents des douanes canadiens n’avaient ni les outils, ni la formation nécessaires pour appliquer intégralement le MIGI (pièce E-1, onglet 1);

6) la lettre était écrite sur du papier à en-tête du syndicat, et le fonctionnaire s’estimant lésé s’était clairement identifié comme premier vice-président national de la CEUDA.

134 Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que les normes sur lesquelles Mme Hébert s’était basée pour lui imposer une sanction et qui se reflétaient dans sa lettre disciplinaire (pièce E-1, onglet 35) étaient incompatibles avec le critère de Shaw. Mme Hébert a fondamentalement dit que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas qualité pour communiquer avec M. Ridge. En outre, hormis les réserves qu’elle avait exprimées sur la question de la citoyenneté, sa lettre disciplinaire ne faisait état d’aucune erreur factuelle dans ce que le fonctionnaire s’estimant lésé avait écrit. Son témoignage a révélé qu’elle était [traduction] « indignée » par la lettre et qu’elle avait imposé une sanction parce qu’elle l’estimait susceptible de nuire à la relation frontalière bilatérale. Toutefois, le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que, même si le risque que sa lettre cause du tort était énorme, ce qu’il avait écrit était protégé parce que c’était vrai, que les renseignements étaient déjà du domaine public et qu’il jouait son rôle syndical.

135 Le fonctionnaire s’estimant lésé a cité le Code de déontologie et de conduite (pièce E-1, onglet 5) de l’employeur, et plus particulièrement le paragraphe suivant, tiré de la section intitulée « critique publique de [ce qui était alors] l’ADSFC » :

  • Vous devez vous abstenir de faire dans un moyen de communication quelconque, que ce soit directement ou par l’intermédiaire d’une tierce partie, toute déclaration publique critiquant les politiques, les programmes et les dirigeants de l’ADSFC ou portant sur des questions d’actualité politiquement controversées, quand vos déclarations ou vos actions pourraient vous mettre en conflit avec les fonctions de votre poste ou avec les programmes de l’ADSFC.

Le fonctionnaire s’estimant lésé a souligné que Mme Hébert avait invoqué le Code de déontologie et de conduite dans sa lettre disciplinaire. Dans son témoignage, elle a déclaré être d’avis que l’ordre de s’abstenir de critiquer publiquement l’employeur s’appliquait à tous les employés sans égard à leurs fonctions syndicales.

136 Selon le fonctionnaire s’estimant lésé, c’est exactement cette norme que Mme Hébert a appliquée pour condamner sa conduite, plutôt que le critère de Shaw. Elle lui a imposé une sanction disciplinaire parce qu’elle était convaincue qu’il n’avait pas le droit de faire des déclarations publiques critiquant son employeur. Si c’était le cas, toutefois, tout employé agissant dans un rôle syndical légitime aurait été considéré comme ayant violé le Code de déontologie et de conduite et serait donc passible d’une sanction disciplinaire chaque fois qu’il critiquerait l’employeur d’une façon quelconque.

137 Le fonctionnaire s’estimant lésé a résumé ce qu’il considère comme les principes juridiques applicables ainsi que ce que devrait être leur application dans cette affaire en se reportant à des arguments écrits déposés à l’audience. J’ai tiré les extraits suivants de ces arguments :

[Traduction]

[…]

5. Outre son obligation de loyauté envers l’employeur, le rôle de représentant syndical de M. King lui impose une obligation de représenter les membres de la CEUDA qui fait partie intégrante du régime de relations de travail établi par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. La loi est claire : pour s’acquitter de ce rôle, les dirigeants syndicaux doivent pouvoir contester franchement et ouvertement l’employeur dans les domaines touchant les employés qu’ils représentent. Afin qu’ils puissent le faire efficacement, on leur accorde une protection contre les représailles de l’employeur pour avoir soulevé des problèmes ou fait des déclarations publiques contre lui. La raison d’être de cette protection est clairement exprimée dans Re Firestone Steel Products of Canada and U.A.W., Local 27,(1975), 8 L.A.C. (2d) 164 (Brandt), aux pages 167-168 :

Lorsqu’il s’agit de déterminer si une conduite équivaut ou non à de l’insubordination, la norme de conduite à laquelle l’entreprise a le droit de s’attendre devrait être différente lorsqu’il s’agit des actes de représentants syndicaux accomplissant leurs fonctions légitimes. Quand il tente de régler les griefs entre les employés et le personnel de l’entreprise, le représentant syndical est toujours à la limite de l’insubordination. Son rôle consiste à contester les décisions de l’entreprise et à discuter de ses décisions, de sorte que s’il est exposé à la menace de sanctions disciplinaires pour insubordination en jouant ce rôle, sa capacité de le jouer serait nettement réduite.

Firestone Steel Products of Canada […]

Re Metropolitan Toronto (Municipality) and C.U.P.E., Local 79 (Dalton) (1998), 70 L.A.C. (4e) 110[« Metropolitan Toronto »], p. 7.

[…]

7. Dans leurs efforts pour influer sur le déroulement des relations de travail et de la négociation collective, il est reconnu que les deux parties peuvent avoir recours à d’autres stratégies quand elles ne sont pas à la table de négociation. Dans Van Donk, l’arbitre a cité plusieurs décisions de commissions et conseils des relations de travail reconnaissant que la communication avec le public et avec les médias est désormais une tactique clairement reconnue comme normale dans les conflits de travail, et qu’il faut offrir une protection aux dirigeants syndicaux qui s’expriment dans ce contexte aussi bien que s’ils étaient à la table de négociation. Dans Burns Meats, l’arbitre Picher a conclu que :

Si les représentants syndicaux doivent être libres de s’acquitter de leurs responsabilités dans un régime de négociation collective antagoniste, il ne faut pas les museler pour les réduire à une soumission tranquille, par la menace de sanctions disciplinaires de leur employeur.

Burns Meats […]

Canada Post Corp. (Van Donk) […]

Fugère […]

Shaw […]

8. À cet égard, l’arbitre Burkett cite Samson, où le CCRT a conclu que « “la représentation des employés par un syndicat” comprend non seulement la représentation auprès de l’employeur, mais également auprès du public, et ce, devant tout forum où le syndicat juge qu’il est dans l’intérêt de ses membres de le faire. » Cette interprétation libérale de la portée des activités de représentation syndicale est compatible avec l’arrêt jurisprudentiel Pepsi-Cola de la Cour suprême du Canada quant à l’importance de l’expression publique des syndicats. À cet égard, la conclusion de la Commission dans la première décision Chopra vaut aussi la peine d’être mentionnée :

[…] le public est le public où qu’il soit, et […] si un(e) fonctionnaire ne manque pas à son devoir de loyauté envers son employeur quand il (ou elle) se plaint de racisme et de discrimination devant la CCDP, il n’y a aucune raison logique de prétendre qu’il (ou elle) y manque quand il (ou elle) se plaint de discrimination en public au cours d’une conférence.

Chopra […]

Van Donk […]

Samson v. Canada Post Corp. (1987), 87 C.L.L.C. 16,060…

Société canadienne des postes (1987), 71 di 215, p. 228, citée dans Fugère, supra […]

S.D.G.M.R., section locale 558 c. Pepsi-Cola Canada Beverages (West) Ltd., [2002] 1 R.C.S. 156.

Payne v. Ontario (Minister of Energy, Science and Technology), [2002] O.J. No. 1450 (Ont. Sup. Ct.) (QL) paragr. 15.

Shaw […]

[…]

10. Dans Pepsi-Cola, la Cour suprême a jugé que la « liberté d’expression est particulièrement cruciale dans le domaine du travail », en citant la remarque du juge Cory dans K-Mart : « [p]our les employés, la liberté d’expression devient une composante non seulement importante, mais essentielle des relations du travail ». Ces principes et la norme qui en découle sont clairement exposés par la Cour dans Pepsi-Cola :

[34] […] C’est grâce à la liberté d’expression que les salariés sont capables de définir et de formuler leurs intérêts communs et, en cas de conflit de travail, d’amener le grand public à appuyer leur cause : KMart, précité. Comme le juge Cory l’a souligné dans l’arrêt KMart, précité, par. 46, « c’est souvent le poids de l’opinion publique qui détermine l’issue de ce conflit ».

[35] La liberté d’expression dans le domaine du travail bénéficie non seulement aux travailleurs et aux syndicats, mais aussi à la société dans son ensemble. Dans l’arrêt Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211, les juges La Forest et Wilson ont reconnu l’importance du rôle des syndicats dans les débats de société (voir également R. v. Advance Cutting & Coring Ltd., [2001] 3 R.C.S. 209, 2001 CSC 70, et Dunmore c. Ontario (Procureur général), [2001] 3 R.C.S. 1016), 2001 CSC 94. Élément de cette libre circulation des idées qui fait partie intégrante de toute démocratie, la liberté d’expression des syndicats et de leurs membres lors d’un conflit de travail transporte sur la place publique le débat sur les conditions de travail.

[36] Cela dit, la liberté d’expression n’est pas absolue. On peut légitimement restreindre l’expression lorsque le préjudice qu’elle cause l’emporte sur ses avantages. L’alinéa 2b) de la Charte peut donc faire l’objet de limites justifiables au regard de l’article premier.

[37] Le même principe s’applique à l’interprétation de la common law en fonction de la Charte. Il faut partir de la liberté d’expression. Cette dernière peut être restreinte, mais seulement dans des limites raisonnables dont la nécessité peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Pepsi-Cola […]

T.U.A.C., section locale 1518 c. KMart Canada Ltd., [1999] 2 R.C.S. 1083, cité dans Pepsi-Cola […]

British Columbia Public School Employers’ Assn. v. British Columbia Teachers’ Federation, [2005] B.C.J. No. 179 (C.A.).

[…]

14. Dans Van Donk, le fonctionnaire s’estimant lésé, agissant en qualité de président de sa section locale, avait informé la presse des problèmes de sécurité aux installations d’un entrepreneur fournissant des services à Postes Canada. L’arbitre Burkett avait jugé que ses actions avaient pour but de faire publiquement pression sur l’employeur en ce qui concernait la sous-traitance, un problème persistant pour le syndicat. Dans ces circonstances, son licenciement avait été considéré comme inacceptable puisque ses activités syndicales étaient protégées en vertu du Code canadien du travail. L’arbitre Burkett avait conclu qu’il était « inconcevable qu’un dirigeant syndical puisse subir une sanction disciplinaire prétendument justifiée pour avoir exercé son droit de représenter les employés, tel qu’on l’a défini ».

Van Donk, supra […]

15. Dans Metropolitan Toronto, l’arbitre Burkett avait conclu que « le critère de la limite évidente […] est que les déclarations malveillantes ou délibérément mensongères ne sont pas protégées, et que si elles sont faites par un délégué ou un autre dirigeant syndical, elles sont passibles de sanction disciplinaire ». Par conséquent, l’arbitre Burkett a jugé dans Van Donk que l’analyse suppose qu’on détermine :

1) si le fonctionnaire s’estimant lésé agissait en sa qualité de dirigeant syndical quand il avait fait les déclarations publiques en question; et, si oui

2) si ses actions étaient dans les limites des activités syndicales protégées.

Metropolitan Toronto […]

Van Donk […]

[…]

21. Dans Van Donk, l’arbitre Burkett a décidé que les actions du fonctionnaire s’estimant lésé étaient considérées à juste titre comme une activité syndicale, puisqu’elles étaient « conçues pour attirer l’attention sur les lacunes en matière de sécurité […] et, partant, de remettre en question la décision de la Société d’avoir recours à la sous-traitance », et que ses propos étaient conformes aux faits et à la vérité. Par conséquent, le fonctionnaire s’estimant lésé avait été réputé ayant agi sous la protection du Code canadien du travail.

Van Donk, supra […]

22. À l’inverse, dans Burns Meats, l’arbitre Picher a donné plusieurs exemples de l’expression de dirigeants syndicaux qui ne serait pas protégée :

Un représentant syndical qui incite ouvertement les employés à participer à une grève illégale ne peut manifestement pas s’attendre à ce que ses fonctions syndicales le protègent contre des sanctions disciplinaires pour avoir contribué à défier à la fois une convention collective et la Loi sur les relations de travail, L.R.O. 1970, ch. 232. De même, un représentant syndical ne peut pas se servir de ses fonctions syndicales et d’un bulletin syndical pour recruter des employés et pour les diriger dans une campagne préméditée de harcèlement d’un membre de la direction : Re City of London, précitée. Une conduite si manifestement illégale ou malveillante dépasse la limite des responsabilités syndicales légales et ne peut bénéficier d’aucune indemnité ni d’aucune protection.

Si les déclarations […] étaient malveillantes, la Commission doit conclure que les sanctions disciplinaires étaient justifiées. En d’autres termes, si la relation des faits […] était rédigée en sachant qu’ils étaient mensongers, ou en faisant preuve d’une insouciance irresponsable quant à leur véracité ou leur fausseté, la compagnie aurait eu raison d’imposer une sanction disciplinaire […] Les responsabilités et les privilèges des fonctions syndicales [de l’employé s’estimant lésé] ne justifieraient ni n’excuseraient une telle fabrication destructrice préméditée. Par contre, si les déclarations, faites comme elles l’ont été dans le contexte de ses fonctions de principal représentant syndical, étaient motivées par la conviction de bonne foi qu’elles reflétaient fidèlement les faits, la sanction disciplinaire imposée ne peut pas être justifiée.

Burns Meats

Voir aussi Cassellholme […] et CUPE, Local 5523 (2002), 104 L.A.C. (4e) 435.

[…]

25. En l’espèce, il est clair que les déclarations de M. King n’étaient pas malveillantes, en ce qu’elles n’étaient pas sciemment mensongères, ni mensongères par insouciance. Elles étaient plutôt conçues pour communiquer des faits qu’il estimait de bonne foi pertinents sur des questions légitimes à la fois pour assurer la sécurité des agents des douanes et pour satisfaire à des exigences de sécurité plus générales des deux côtés de la frontière. Qui plus est, les témoignages rendus montrent clairement qu’on n’a pas sérieusement contesté la véracité des déclarations faites dans la lettre à M. Ridge. On n’a surtout pas contesté le fait que a) la citoyenneté canadienne n’est pas exigée pour être nommé à un poste d’agent des services frontaliers; b) on a largement recours à des étudiants pour accomplir des tâches d’agents des services frontaliers dans des circonstances où une formation en règle au Centre de formation de l’ASFC de Rigaud, au Québec, n’est pas exigée; et c) les agents des services frontaliers ne sont pas armés et n’ont donc pas de capacité d’usage d’une force meurtrière au sens du MIGI.

26. En outre, on ne peut contester le fait que tous les points soulevés par M. King dans sa lettre à M. Ridge étaient des questions d’intérêt légitime pour assurer la santé et la sécurité des membres de l’unité de négociation.

[…]

28. […] le critère applicable pour déterminer si la lettre que M. King a écrite à M. Ridge en sa qualité de premier vice-président national de la CEUDA justifiait l’imposition de sanctions disciplinaires consiste à décider si ses déclarations étaient malveillantes ou sciemment mensongères, ou encore mensongères pour insouciance. Compte tenu du fait que la lettre de M. King ne contient que des faits qui reflètent fidèlement la situation à l’ASFC, le fonctionnaire s’estimant lésé est d’avis que ses actions correspondaient parfaitement à la définition de l’expression protégée des dirigeants syndicaux. Sur cette base, il n’était pas justifié de lui imposer une sanction disciplinaire quelconque.

[…]

[Je souligne]

[Notes de bas de page omises]

138 Quand le fonctionnaire s’estimant lésé a conclu ses arguments, je lui ai demandé s’il maintenait sa réclamation de dommages-intérêts, parce qu’il ne semblait pas exister de preuve directe quelconque permettant de préciser les redressements demandés, en qualité comme en quantité. Il a répondu en retirant sa demande de dommages-intérêts fondés sur la Charte ou de dommages-intérêts généraux. Comme redressement, il a déclaré qu’il voulait être remis exactement dans la même situation, quant à toutes ses conditions d’emploi, que celle où il se serait trouvé s’il n’y avait pas eu de suspension.

139 En plus d’invoquer une partie de la jurisprudence soumise par l’employeur, le fonctionnaire s’estimant lésé m’a renvoyé aux autres décisions suivantes : Gendron c. Conseil du Trésor (ministère du Patrimoine canadien), 2006 CRTFP 27; King et Waugh c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2005 CRTFP 3; King c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douanes et Accise), dossier de la CRTFP 166-02-28585 (19990819); Canada Post Corp. v. Canadian Union of Postal Employees, [1988] B.C.J. No. 3139 (QL); Fording Coal v. United Steelworkers of America, Local 788A, [1998] B.C.C.A.A.A. No. 159 (QL); CN/CP Telecommunications v. Canadian Association of Communications and Allied Workers (1981), 1 L.A.C. (3e) 204; et Douglas Aircraft Co. of Canada v. United Automobile Workers, Local 1967 (1975), 8 L.A.C. (2d) 118.

C. Réplique pour l’employeur

140 Tout en reconnaissant que le critère le plus récent figure dans Shaw, l’employeur a fait valoir que cette décision ne répond pas à toutes les questions soulevées par les faits en l’espèce. Plus particulièrement, on ne trouve pas dans la jurisprudence une situation où l’expression syndicale s’adresse à un gouvernement étranger. À cet égard, l’employeur a contesté l’argument du fonctionnaire s’estimant lésé que « le public est le public ». À son avis, le Secrétaire Ridge ne saurait être assimilé au « public » selon le sens qu’en donne la jurisprudence. Il est vrai que celle-ci ne limite pas l’activité syndicale acceptable à ce qui se passe à la table de négociation et qu’elle englobe plutôt toute une gamme d’autres démarches et d’instances, mais écrire au Secrétaire du Department of Homeland Security des États-Unis est bien différent.

141 Dans la foulée de Canada Post Corp., il faut reconnaître que la direction est inévitablement blessée à l’occasion par ce que font ou déclarent les dirigeants syndicaux. Les gestionnaires doivent se faire une carapace. Dans son témoignage, Mme Hébert a clairement reconnu que les représentants syndicaux disposent d’une plus grande latitude pour s’exprimer dans leurs rôles syndicaux. C’est sur la nature et l’ampleur de cette latitude que les parties ne s’entendent pas. La question à laquelle je dois répondre consiste à savoir si le fonctionnaire s’estimant lésé a agi dans le cadre acceptable des activités syndicales en envoyant sa lettre au Secrétaire Ridge. Dans le contexte de la relation frontalière canado-américaine, l’employeur maintient énergiquement que le fonctionnaire s’estimant lésé est allé bien au-delà de la latitude à laquelle il avait droit et que la jurisprudence reconnaît.

142 Il faut distinguer la situation en l’espèce de celle dans Threader, invoquée par le fonctionnaire s’estimant lésé, parce qu’il s’agissait dans cette affaire-là d’un conflit d’intérêts. Le critère de la personne objective raisonnable préconisé dans Threader n’en est pas moins utile, mais il devrait aussi être appliqué lorsqu’il s’agit de déterminer s’il était raisonnable pour Mme Hébert de conclure que le fonctionnaire s’estimant lésé s’était rendu coupable d’inconduite. L’employeur a également souligné que l’information en jeu dans Threader était toute du domaine public, alors que l’information communiquée dans la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé ne l’était pas entièrement, contrairement à ce qu’il a prétendu. En contre-interrogatoire, l’employeur lui a en effet demandé de citer un document syndical portant sur la question de la citoyenneté et datant d’avant sa lettre. Or, il a été incapable d’en citer un seul. Il lui a notamment été impossible de souligner un point quelconque portant sur la citoyenneté dans l’extrait du site Web de la CEUDA dont il avait parlé dans son interrogatoire principal (pièce G-8). Mme Hébert a témoigné que le syndicat n’avait encore jamais soulevé la question de la citoyenneté dans des consultations syndicales-patronales à un niveau quelconque, et le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas pu produire de copies du compte rendu d’une réunion au cours de laquelle le syndicat se serait attaqué à ce thème, quand on le lui a demandé.

143 L’employeur a souligné que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas non plus avancé la moindre preuve qu’il y ait déjà eu des discussions entre les parties sur la dotation et sur le recrutement. Il faudrait tenir compte de l’absence de ces preuves pour déterminer s’il était raisonnable que le fonctionnaire s’estimant lésé écrive au Secrétaire Ridge. Quoi qu’il en soit, même si les questions traitées dans sa lettre étaient « chaudes », elles ne s’en situaient pas pour autant dans le cadre normal des activités syndicales.

144 Le fonctionnaire s’estimant lésé a prétendu qu’il ne faisait rien d’autre dans sa lettre que de signaler certains points au Secrétaire Ridge; il en est peut-être convaincu, mais une personne raisonnable arriverait à une autre conclusion en lisant toute la lettre dans son contexte. Comme on en a jugé dans W.C.P. v. C.P., 2005 BCCA 60, le Secrétaire Ridge ne faisait pas partie de l’auditoire légitime du syndicat.

145 Le fonctionnaire s’estimant lésé a dit qu’il était significatif que l’ASFC n’ait fait aucune démarche à la suite de la lettre auprès du Secrétaire Ridge ou d’autres dirigeants du gouvernement des États-Unis. La réponse de Mme Hébert sur ce point était entièrement raisonnable : elle a témoigné que les cadres supérieurs de l’ASFC ne voulaient rien faire qui puisse attirer davantage l’attention de leurs homologues américains sur la lettre.

146 Le fonctionnaire s’estimant lésé a aussi tenté de faire valoir que la lettre de Mme Hébert n’aurait soulevé aucune autre question que celle de la citoyenneté. Pourtant, Mme Hébert a témoigné avoir mentionné deux fois dans sa lettre des aspects sur lesquels le fonctionnaire s’estimant lésé avait voulu dénoncer des lacunes de la sécurité frontalière assurée par l’ASFC. Selon l’employeur, ces deux mentions couvraient les autres questions soulevées par le fonctionnaire s’estimant lésé dans sa lettre.

IV. Motifs

147 La principale tâche d’un arbitre de grief dans un grief concernant une mesure disciplinaire consiste à déterminer si l’employeur s’est acquitté de la charge de prouver qu’il avait une bonne raison d’imposer une sanction au fonctionnaire s’estimant lésé. Si l’employeur le prouve conformément à la norme applicable, l’arbitre de grief doit décider si la sanction disciplinaire imposée par l’employeur était justifiée et proportionnelle à la gravité de l’inconduite prouvée.

148 Les critères fondamentaux dans un grief contestant une mesure disciplinaire s’appliquent en l’espèce, mais les circonstances donnent à l’analyse nécessaire un caractère particulier. Le conflit dont je suis saisi porte essentiellement sur les limites des déclarations publiques critiquant l’employeur que peut faire un employé occupant à temps plein un poste de représentant syndical. À cela s’ajoute un autre élément inhabituel, puisque l’affaire concerne une communication adressée à un dirigeant d’un gouvernement étranger. L’employeur a imposé une lourde sanction disciplinaire au fonctionnaire s’estimant lésé parce qu’il estimait que ses critiques à l’endroit de l’ASFC dans sa lettre du 25 mai 2004 au Secrétaire Ridge constituaient un grave manquement à son obligation de loyauté. Pour sa part, le fonctionnaire s’estimant lésé a maintenu qu’envoyer la lettre revenait à exercer son droit à la liberté d’expression, et que c’était entièrement compatible avec ses fonctions de représentant élu du syndicat.

149 L’abondante jurisprudence invoquée par les parties en atteste à suffisance, les sanctions disciplinaires dans le contexte de l’exercice des fonctions syndicales d’un employé, compte tenu tant de ses droits à la liberté d’expression que de son obligation de loyauté, peuvent soulever des questions d’importance parfois difficiles. En l’espèce, les parties m’ont toutefois largement facilité la tâche en acceptant que mes motifs soient fondés sur la tendance des décisions arbitrales résumées dans Shaw. Le fonctionnaire s’estimant lésé souscrit sans réserve à l’approche de Shaw. L’employeur y souscrit peut-être plus prudemment, puisqu’il souligne qu’aucune décision figurant dans la jurisprudence analysée dans Shaw ne porte sur une activité syndicale comprenant un contact avec un gouvernement étranger. Cela laisse entendre que la jurisprudence résumée dans Fraser sur la liberté d’expression des employés et sur leur obligation de loyauté demeure également pertinente, surtout si l’on tient compte de la nature prétendument « extrême » des critiques de l’ASFC reprochées au fonctionnaire s’estimant lésé, qui estime pour sa part que ladite jurisprudence de Fraser ne s’applique pas dans son cas.

150 Dans Shaw, l’arbitre de grief devait se prononcer sur une suspension de dix jours imposée à un fonctionnaire pour avoir fait des remarques critiquant la façon de son ministère d’offrir des services dans une allocution prononcée lors d’une réunion publique où assistaient des représentants des organisations communautaires qui bénéficiaient de ces services. À l’époque, le fonctionnaire était le président de la section locale du syndicat qui représentait le personnel de son ministère. Ce qu’il avait déclaré dans son allocution était lié à une campagne du syndicat visant à attirer l’attention du public sur les répercussions de la décision de l’employeur de confier à des sous-traitants du travail accompli jusque-là par les membres de l’unité de négociation. Le directeur du fonctionnaire avait conclu qu’il devait lui imposer une sanction disciplinaire notamment pour avoir exprimé dans son allocution un point de vue politique sur des questions à l’égard desquelles il était tenu de rester politiquement neutre, en manquant par conséquent de respect pour la direction à son lieu de travail.

151 L’arbitre de grief chargée d’instruire l’affaire Shaw a tranché après avoir analysé la jurisprudence sur l’obligation de loyauté de l’employé envers son employeur, sur les limites de la liberté d’expression des employés et sur les activités et les expressions syndicales protégées. Elle a conclu que les représentants d’un agent négociateur ne devraient pas être passibles de sanctions pour avoir fait des déclarations publiques critiquant l’employeur dans le contexte de leur rôle syndical, pourvu que ces déclarations ne soient pas malveillantes ni sciemment mensongères ou mensongères, que ce soit sciemment ou par insouciance. Elle a résumé le critère applicable de la façon suivante :

[…]

[40] Les avocats des parties ont produit un certain nombre de décisions dans lesquelles des critères ont été examinés pour l’évaluation de la conduite d’employés qui critiquent ouvertement ce que leur employeur décide ou ce qu’il adopte comme politique. L’avocat de l’employeur a argué que les plus impérieuses des décisions produites sont celles qui soulignent le devoir de loyauté d’un employé envers un employeur et qui limitent d’une manière stricte les circonstances dans lesquelles un employé sera autorisé à critiquer ouvertement ce que décide l’employeur. L’avocate du fonctionnaire s’estimant lésé, d’autre part, affirmait que je devrais être davantage influencé [sic] par les décisions produites qui font état d’une protection plus généreuse à l’égard des déclarations d’un représentant de l’agent négociateur. J’ai conclu que la norme qu’il convient d’appliquer correspond à la série de décisions produites par l’avocate du fonctionnaire s’estimant lésé et indiquant que les représentants ne devraient pas être l’objet de sanctions disciplinaires, à moins d’avoir été malveillants dans leurs affirmations ou d’avoir fait de fausses déclarations sciemment ou de façon insouciante.

[41] La valeur de cette norme est qu’elle rend possible la prise en compte des réalités des relations de négociation collective. Il est fondamental pour une telle relation que les personnes qui parlent pour l’agent négociateur choisi par les employés pour les représenter puissent soulever des questions sur des décisions de l’employeur touchant les conditions de travail de ces employés et qu’elles puissent contester la sagesse ou la légitimité de ces décisions. La responsabilité d’un délégué syndical de représenter les employés avec détermination et franchise peut être difficilement conciliable avec le devoir d’obéissance et de fidélité du délégué ainsi que des autres employés envers l’employeur. Il faut donc énoncer une norme de conduite qui n’expose pas injustement le délégué à des mesures disciplinaires pour avoir parfois fait passer ses devoirs envers les employés qu’il représente avant la déférence due à l’employeur. Par ailleurs, cette norme indique nettement qu’aucun représentant n’est à l’abri des conséquences disciplinaires de déclarations fausses ou malveillantes.

[…]

152 J’estime que le cadre analytique exposé dans Shaw est le point de départ approprié pour mon examen de la décision de l’employeur d’imposer une sanction disciplinaire au fonctionnaire s’estimant lésé. Telle qu’elle est résumée dans Shaw, la tendance de la jurisprudence consiste à conclure qu’un employé qui exerce des fonctions syndicales n’écope normalement pas de sanctions disciplinaires dans son rôle de représentant syndical, à moins que sa conduite ne soit malveillante ou que ses déclarations soient fausses, sciemment ou par insouciance. Compte tenu de ce critère, l’employeur me demande de me prononcer sur les questions suivantes : 1) le fonctionnaire s’estimant lésé a-t-il agi sans excéder la portée de ses fonctions syndicales lorsqu’il a écrit sa lettre au Secrétaire Ridge et 2) a-t-il agi de façon malveillante ou a-t-il fait de fausses déclarations, sciemment ou par insouciance? Je vais répondre à ces questions l’une après l’autre.

A. Le fonctionnaire s’estimant lésé a-t-il agi sans excéder la portée de ses fonctions syndicales?

153 L’employeur déclare que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas respecté les limites légitimes de ses fonctions syndicales quand il a envoyé sa lettre au Secrétaire Ridge. Si je devais accepter cet argument, il me faudrait conclure que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas la latitude accrue pour s’exprimer que la jurisprudence a généralement reconnue aux employés exerçant des fonctions syndicales.

154 En tant que partie alléguant que le fonctionnaire s’estimant lésé n’agissait pas sans excéder la portée de ses fonctions syndicales, l’employeur a la charge de la preuve.

155 On n’a pas contesté le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé occupait un poste syndical où il avait été élu à l’époque à laquelle il a envoyé sa lettre. M. Sheridan et Mme Hébert ont reconnu dans leur témoignage qu’il travaillait à temps plein comme premier vice-président national de la CEUDA durant la période pertinente à son grief et qu’il n’assumait pas alors les fonctions de son poste d’attache d’inspecteur des douanes au service de l’employeur à Pearson. Le fonctionnaire s’estimant lésé a confirmé qu’il travaillait sans interruption comme représentant élu de son syndicat depuis 1996. Même s’il avait de toute évidence conservé un lien durant toute cette période avec son poste chez l’employeur, pour des fins administratives qui ne me semblent toujours pas très claires, la preuve a confirmé qu’il n’avait jamais travaillé pour l’employeur depuis qu’il a commencé à œuvrer à temps plein à la CEUDA, exception faite de quelques rares quarts travaillés à Pearson des jours fériés désignés il y a plusieurs années. Bien qu’il soit encore théoriquement un fonctionnaire de l’ASFC, j’ai jugé que la preuve était concluante : à l’époque pertinente pour son grief, il était bien plus l’équivalent d’un employé à temps plein du syndicat. Ce cas diffère donc de bien d’autres dans la jurisprudence où les employés s’estimant lésés qui avaient écopé de sanctions disciplinaires étaient des représentants syndicaux dans leur milieu de travail qui continuaient à travailler pour l’employeur. Je prends toutefois note que l’arbitre dans Shaw a conclu qu’il n’y a aucune distinction entre ces deux situations, et que le critère applicable pour déterminer quand l’employeur peut imposer une sanction disciplinaire à un représentant syndical est le même.

156 La lettre du fonctionnaire s’estimant lésé qui est au cœur même de ce conflit porte l’en-tête et le logo de la CEUDA. Sous sa signature, le fonctionnaire s’estimant lésé s’identifie comme « premier vice-président national de la Customs Excise Union Douanes Accise ». L’employeur fait valoir à juste titre que l’en-tête et la signature ne suffisent pas pour prouver que le fonctionnaire s’estimant lésé agissait dans le cadre légitime de son rôle syndical, mais celui-ci n’a pas à prouver qu’écrire la lettre était une fonction syndicale justifiable dans son rôle. Comme je l’ai déjà précisé, c’est à l’employeur qu’il incombe de prouver le contraire.

157 Dans son argumentation, l’employeur part effectivement du principe que les actions du fonctionnaire s’estimant lésé doivent être évaluées en tenant compte de l’« extrême sensibilité » des questions frontalières dans la foulée du 11 septembre. C’est dans ce contexte, selon lui, que le fait d’écrire la lettre du 25 mai 2004 à l’un des plus importants dirigeants du gouvernement des États-Unis n’était pas une activité justifiable et légitime du rôle syndical du fonctionnaire s’estimant lésé. L’employeur va plus loin, en affirmant que le fonctionnaire s’estimant lésé n’aurait pas pu atteindre les buts de son syndicat en écrivant à des dirigeants américains parce que ceux-ci n’avaient [traduction] « ni le pouvoir, ni l’autorité nécessaires quant aux questions [qu’il] avait soulevées ». Il aurait dû plutôt communiquer [traduction] « avec les autorités canadiennes » au Canada s’il voulait atteindre ces objectifs. Qui plus est, le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas expert en relations internationales et n’avait pas non plus – c’est un facteur critique – de responsabilités en tant qu’employé qui l’auraient amené à une discussion sur la sécurité frontalière avec d’importants dirigeants d’un gouvernement étranger.

158 Il me semble que cet argument contextuel de l’employeur comprend deux volets cruciaux. Le premier revient à dire que le climat de la politique et de la sécurité d’alors devrait être pris en compte pour déterminer si le fonctionnaire s’estimant lésé agissait dans le cadre légitime de son rôle syndical. Le second est la question du destinataire. Selon l’employeur, ce n’est pas seulement le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé a envoyé sa lettre dans le contexte extrêmement délicat des questions de sécurité frontalière, mais aussi qu’il l’a envoyée à un gouvernement étranger, plus précisément au Secrétaire du Department of Homeland Security des États-Unis.

159 Pour le premier volet, la preuve déposée à l’audience confirme clairement que les questions de sécurité frontalière étaient très délicates au moment où le fonctionnaire s’estimant lésé a écrit sa lettre. Mme Hébert a rendu un témoignage particulièrement révélateur sur le climat des relations frontalières canado-américaines de l’après-11 septembre, sur la participation du Secrétaire Ridge, sur le Plan Ridge-Manley et sur certaines des autres initiatives entreprises des deux côtés de la frontière pour améliorer l’intégration des programmes de sécurité frontalière et pour accroître la coopération bilatérale en matière de sécurité. La preuve a également révélé que la CEUDA et ses membres étaient étroitement focalisés sur les questions de sécurité frontalière après les attentats du 11 septembre. Le fonctionnaire s’estimant lésé était effectivement président pour la partie syndicale du Comité mixte de gestion de l’accord sur la frontière canado-américaine (pièce G-4). À l’audience, il a reconnu que le 11 septembre avait changé le monde et déclaré que les inspecteurs des douanes qu’il représentait avaient aussi d’excellentes raisons de chercher à apaiser les craintes accrues du public en matière de sécurité ainsi que de s’efforcer à [traduction] « assurer la confiance en la frontière ».

160 Où la preuve sur le caractère délicat et sur la gravité des questions de sécurité frontalière nous amène-t-elle? En évoquant ce contexte, l’employeur fait fondamentalement valoir que le fonctionnaire s’estimant lésé se serait rendu compte qu’il était inacceptable que le représentant syndical qu’il est écrive sa lettre, s’il avait tenu compte de ce contexte délicat dans sa décision sur la manière de représenter ses membres en mai 2004.

161 Cet argument m’a troublé. Dans les circonstances, il signifie que la portée légitime de ce que le fonctionnaire s’estimant lésé aurait pu faire en sa qualité de dirigeant syndical en mai 2004 pour promouvoir ce qu’il peut fort bien avoir cru être les intérêts de ses membres aurait dû être sensiblement limitée par la réalité de la politique ou de la sécurité résultant des attentats du 11 septembre. J’en déduis qu’envoyer une lettre comme celle que le fonctionnaire s’estimant lésé a écrite au Secrétaire Ridge aurait pu être une activité syndicale acceptable dans le monde d’avant le 11 septembre, mais que cela débordait du cadre de l’expression ou des activités syndicales légitimes dans celui de l’après-11 septembre. L’argument de l’employeur signifie plus généralement qu’un dirigeant syndical a l’obligation positive d’éviter d’agir d’une façon qui compliquerait ou « compromettrait » ce que quelqu’un d’autre – l’employeur, le gouvernement ou un arbitre de grief – considère comme une situation délicate pour l’employeur sur le plan de la politique ou de la sécurité. Selon la logique de l’employeur, un dirigeant syndical peut être réputé excéder la portée légitime de ses fonctions syndicales lorsque sa représentation est considérée comme susceptible d’être politiquement préjudiciable à l’employeur dans cette situation délicate.

162 À mon avis, il serait imprudent de ne tenir aucun compte de la sensibilité du contexte de la politique/sécurité pour déterminer si l’employeur avait une raison valable d’imposer une sanction au fonctionnaire s’estimant lésé. Je crois toutefois que les craintes dans ce contexte seraient probablement plus pertinentes – à supposer qu’elles soient justifiées – pour l’évaluation du contenu de la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé (le second volet de cette analyse) que pour déterminer si l’envoi d’une lettre débordait en soi du cadre de ses fonctions syndicales légitimes. Je tiens à éviter de reconnaître ce qu’on pourrait interpréter comme une norme de [traduction] « sensibilité au contexte politique ou à celui de la sécurité », sans indication claire de la jurisprudence en ce sens, pour déterminer si une action fait légitimement partie du rôle d’un représentant syndical. Si je tenais compte d’une telle norme, la définition de ce qui est le cadre légitime des fonctions syndicales risquerait de varier selon la conjoncture politique/sécurité de l’heure. Le risque de lier ce qui est acceptable dans l’exercice d’un rôle de représentation syndicale à une évaluation politique du contexte dans lequel ce dirigeant syndical agit n’est pas sans conséquences, particulièrement dans une instance où l’exercice des pouvoirs de l’employeur n’est pas entièrement isolé de la sphère politique du gouvernement.

163 En l’occurrence, le dilemme est peut-être en partie attribuable au caractère émotionnel du contexte de l’après-11 septembre évoqué par l’employeur. Rares sont les observateurs qui n’admettraient pas que bien des choses ont changé dans la foulée des attentats terroristes du 11 septembre 2001 ou que les questions de sécurité frontalière sont devenues bien plus visibles et plus délicates, et que c’est justifié. Certains ont des opinions très arrêtées sur la nature de la menace pour la sécurité qui existe depuis, ils en sont convaincus. La preuve a certainement révélé que Mme Hébert, pour ne citer qu’un des témoins, était fermement convaincue depuis le début qu’envoyer une lettre comme celle que le fonctionnaire s’estimant lésé avait écrite était absolument inacceptable dans le contexte. Son témoignage à l’audience, presque trois ans après l’envoi de la lettre, était caractérisé par des opinions d’une intensité encore digne de mention. Elle a déclaré avoir été [traduction] « indignée » par la lettre quand elle en a été informée. À son avis, cette lettre était une [traduction] « trahison ». Elle continue encore aujourd’hui de la qualifier de [traduction] « complètement inacceptable » dans les circonstances et comme un acte [traduction] « répréhensible ».

164 Je suis convaincu que Mme Hébert, l’administratrice qui a imposé la sanction au fonctionnaire s’estimant lésé, était de cet avis en toute confiance et en toute sincérité en 2004 et qu’elle l’est encore aujourd’hui. Je suis également convaincu qu’elle était personnellement certaine depuis le début que la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé dépassait les bornes, dans le contexte de ce qu’elle considérait comme l’« extrême sensibilité » des relations frontalières canado-américaines. Ses convictions quant à la gravité de l’envoi d’une lettre dans ce contexte n’en sont pas moins son opinion, à l’instar des autres convictions analogues exprimées par les autres témoins de l’employeur. Quelqu’un d’autre pourrait ne pas être du même avis, et ce serait légitime. En général, les arbitres de griefs doivent traiter la preuve d’opinion avec prudence.

165 L’employeur n’a pas présenté d’autres preuves convaincantes sur lesquelles je pourrais me fonder pour conclure soit qu’une lettre critiquant l’employeur comme celle que le fonctionnaire s’estimant lésé a écrite en sa qualité de dirigeant syndical a causé du tort à l’employeur dans le passé dans un contexte d’une volatilité comparable, soit que, en l’espèce, la lettre a effectivement porté préjudice à l’employeur. Quoi qu’il en soit, il demeure à mon avis difficile de conclure qu’une preuve comme celle-là pourrait suffire à démontrer que la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé dépassait fatalement les limites de ce qu’il pouvait légitimement faire en sa qualité de représentant syndical élu. Selon moi, la jurisprudence n’interdit pas aux dirigeants syndicaux à temps plein d’avoir des activités ou d’exprimer des critiques susceptibles de nuire à l’employeur dans un contexte délicat en matière de politique ou de sécurité, pourvu que leurs actions ne soient pas malveillantes ou qu’ils ne fassent pas de fausses déclarations sciemment ou par insouciance (le second volet du critère de Shaw). Au contraire, il se peut que les actions ou les paroles d’un dirigeant syndical aient parfois pour but d’exploiter une situation délicate sur le plan de la politique/sécurité pour faire pression sur l’employeur afin d’obtenir un résultat qu’il souhaite. Si l’employeur est tenu de prouver que le fonctionnaire s’estimant lésé a débordé le cadre légitime de son rôle dans ce contexte, j’estime qu’il doit aller au-delà d’une simple conviction que le contexte était délicat, si fondée que puisse être cette conviction.

166 Cela m’amène au deuxième volet de l’argument de l’employeur sur le contexte, la question du destinataire.

167 À mon avis, la question du destinataire est l’élément crucial pour l’employeur. Dans son témoignage, M. Lavergne a dit qu’il n’avait [traduction] « pas d’objection » quant au contenu factuel avancé dans la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé, en disant qu’il lui reprochait plutôt d’avoir envoyé une lettre comme celle-là à un autre gouvernement. M. Sheridan a déclaré qu’il était inacceptable d’envoyer une lettre au Secrétaire Ridge, le partenaire américain du Plan Ridge-Manley. M. Herd a déclaré que le fonctionnaire s’estimant lésé n’aurait pas dû critiquer son employeur [traduction] « particulièrement en s’adressant à un important dirigeant du gouvernement d’un pays étranger ». Mme Hébert a maintenu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas qualité pour écrire au Secrétaire Ridge. Dans son exposé final, l’employeur a déclaré que [traduction] « nous ne serions pas où nous en sommes » si la lettre avait été envoyée à un ministre canadien (quoiqu’il ait ensuite légèrement reculé sur ce point).

168 Qu’il l’ait exprimé directement ou pas, je juge que la thèse de l’employeur est largement basée sur le principe qu’écrire à un dirigeant d’un gouvernement étranger dépasse nécessairement les limites de l’activité syndicale légitime. Cet argument de l’employeur signifie que le fonctionnaire s’estimant lésé ne bénéficiait pas de la protection accrue contre des sanctions disciplinaires normalement reconnue pour un dirigeant syndical parce qu’écrire une lettre à un gouvernement étranger va à sa face même au-delà de son rôle syndical légitime. C’est la question du destinataire qui sous-tend selon moi l’argument de l’employeur que le fonctionnaire s’estimant lésé n’aurait pas pu accomplir les buts de son syndicat en écrivant à des dirigeants américains. Son argument que le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas un expert en relations internationales et qu’il n’avait pas qualité pour discuter de questions frontalières avec le « deuxième en importance » des dirigeants du gouvernement des États-Unis est aussi lié à la question du destinataire.

169 Le fonctionnaire s’estimant lésé réplique que « le public est le public » et que la jurisprudence reconnaît le droit des représentants syndicaux de faire connaître leurs opinions au public pour promouvoir les intérêts de leurs membres. D’après le fonctionnaire s’estimant lésé, le Secrétaire Ridge faisait partie du public auquel il pouvait légitimement s’adresser dans sa représentation syndicale. Selon lui, le destinataire de la lettre est sans importance.

170 L’employeur a la charge de prouver en quoi écrire à un dirigeant d’un gouvernement étranger fait sortir les actions d’un représentant syndical du cadre légitime de son rôle de représentation.

171 Pour être plus à même de trancher la question du destinataire, j’ai commencé par analyser les décisions invoquées par l’employeur qui portent sur des expressions ou des activités dans le contexte de la représentation syndicale. Ce sont les décisions suivantes : Almeida, Canada Post Corp., Cassellholme Home for the Aged, Fugère, King, National Steel Car Ltd., Bell Canada, Burns Meats Ltd., Chedore, Scruby et Stewart.

172 Il se trouve que presque toutes ces décisions portent sur une situation bien différente ou ne m’aident guère à déterminer « à qui » les représentants syndicaux peuvent légitimement adresser leurs représentations. (Aucune d’entre elles –l’employeur l’a bien précisé – ne porte directement sur une situation mettant en cause un gouvernement étranger.) Almeida, Bell Canada et Scruby portent toutes sur la conduite de représentants syndicaux vis-à-vis de personnes dans le milieu de travail plutôt que sur des expressions ou des activités à l’extérieur de ce milieu. Dans Stewart, une décision qui remonte à 1976, un groupe de l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») n’a pas cru nécessaire « de [se] prononcer sur le principe à appliquer dans le cas de l’employé en congé qui exerce à plein temps un emploi auprès d’une organisation d’employés ». Dans Fugère et dans Casselholme Home for the Aged, les conclusions étaient focalisées sur la question de savoir si des déclarations à des journalistes critiquant l’employeur – et dans la seconde décision un conseil municipal – avaient été faites avec insouciance ou « sans une prudence raisonnable » plutôt que si elles faisaient légitimement partie du rôle des représentants syndicaux.

173 Burns Meats, rendue voilà près de trois décennies, est citée comme une décision importante dans Shaw et ailleurs, mais sa principale importance est également due au fait qu’elle porte essentiellement sur le contenu des déclarations d’un représentant syndical, autrement dit si ces déclarations étaient « mensongères ou faites avec un mépris insouciant pour leur véracité » – plutôt que sur « à qui » elles avaient été faites ou sur la question de savoir si le locuteur agissait dans le cadre de ses fonctions syndicales. Cette affaire-là concernait essentiellement des déclarations qualifiées de [traduction] « mensongères et diffamatoires » sur des dirigeants de la compagnie par le principal délégué d’un syndicat dans un bulletin syndical, forme de communication ciblant largement un auditoire interne au lieu de travail. Dans la mesure où la décision quant aux limites de la portée de l’activité syndicale autres que la norme de [traduction] « l’insouciance » est logique, elle revient à dire que les actions protégées d’un représentant syndical doivent [traduction] « […] raisonnablement être considérées comme un exercice légitime de cette fonction » (soit les fonctions généralement reconnues d’un représentant syndical).

174 Dans King, une décision antérieure concernant le fonctionnaire s’estimant lésé, l’ancienne Commission s’était penchée sur des lettres qu’il avait envoyées à l’extérieur au Premier Ministre ainsi qu’à deux députés fédéraux. Néanmoins, sa décision portait essentiellement sur un avis affiché au lieu de travail qui, selon l’employeur, avait pour effet de conseiller aux membres du syndicat représentés par le fonctionnaire s’estimant lésé de participer à une grève ou à un ralentissement de travail illégaux. Je souligne que la jurisprudence est essentiellement unanime à conclure que les représentants syndicaux ne bénéficient pas d’une plus grande protection contre des sanctions disciplinaires quand on peut prouver que leurs actions étaient illégales. En l’espèce, on n’a pas allégué d’illégalité.

175 Canada Post Corp. est une des rares décisions invoquées par l’employeur qui porte un peu plus directement sur la question de l’identité du destinataire, quoique de façon limitée. L’arbitre qui a instruit cette affaire-là a cité plusieurs affaires connexes et conclu que les représentants syndicaux peuvent légitimement adopter des tactiques ciblant une ou des personnes qui ne sont pas parties à la relation de négociation collective pour atteindre un objectif lié à cette négociation, en précisant toutefois qu’il avait des réserves à l’égard de telles tactiques :

[Traduction]

[…]

Le plus souvent, la meilleure façon de régler les problèmes de relations de travail consiste à s’en remettre directement aux parties. Débattre de telles questions en public nuit souvent à leur règlement, en enflammant la situation et en encourageant la prise de positions inflexibles. Néanmoins, quand les parties font preuve d’une intransigeance susceptible de nuire à l’intérêt public, elles peuvent tenter de promouvoir leurs positions respectives en suscitant des pressions publiques. Cet aspect des relations de travail, particulièrement dans le contexte du secteur des services, est reconnu par la jurisprudence citée dans la présente décision. Il est reconnu que les dirigeants syndicaux peuvent décider « d’en appeler au public » pour régler de telles questions. Cela dit, lorsque les dirigeants syndicaux ont pris une décision comme celle-là, il est stipulé que leurs déclarations publiques ne doivent pas être malveillantes ni mensongères, que ce soit sciemment ou par insouciance.

[…]

L’arbitre dans Canada Post Corp. n’a pas établi de distinction entre les destinataires auxquels les représentants syndicaux qui décidaient d’en appeler au public pouvaient s’adresser.

176 National Steel Car Ltd. renferme le commentaire suivant sur la distinction entre les déclarations et les conduites internes et externes, ce qui lui donne aussi une certaine pertinence pour trancher la question du destinataire :

[Traduction]

[…]

Après avoir examiné les affaires tranchées, et compte tenu du rôle difficile des dirigeants syndicaux, qui sont aussi des employés, pour représenter les intérêts des membres du syndicat, je suis d’avis qu’on devrait accorder une grande latitude aux employés/dirigeants syndicaux dans l’exercice de leurs responsabilités syndicales légitimes. Ces employés/dirigeants syndicaux ont le droit d’être à l’abri des sanctions disciplinaires et du congédiement pour leurs actions et pour leur conduite, et leur protection peut aller de l’immunité dans certains cas à l’obligation pour l’employeur de prouver dans les autres cas que l’employé/dirigeant syndical s’est rendu coupable d’une conduite malveillante ou irresponsable.

En outre, il faudrait établir une distinction entre les déclarations et les conduites internes et externes. Par conséquent, lorsqu’un employé/dirigeant syndical agissant dans le cadre de ses prérogatives de dirigeant syndical tient des propos abusifs dans une réunion à huis clos, il peut être à l’abri de toute sanction disciplinaire. Par contre, ses propos ou ses déclarations adressés à des tiers comme à la presse peuvent justifier qu’on lui impose une sanction disciplinaire, mais seulement si ses propos ou sa conduite sont malveillants ou irresponsables.

[…]

177 Chedore, une décision qui remonte à longtemps, contient des observations laissant entendre qu’un représentant syndical a l’obligation d’épuiser tous les recours internes dans la relation de négociation collective avant de décider de critiquer publiquement l’employeur :

[Traduction]

[…]

58 M. Chedore a-t-il droit à toute immunité contre les sanctions parce qu’il est président d’une section locale du Syndicat des postiers à Campbellton? Il ne fait aucun doute que M. Chedore agissait à titre de président de la section locale quand il a fait les déclarations. La preuve a montré qu’il faisait partie de l’équipe de négociation à Ottawa quand il les a faites, mais il n’a pas du tout tenté de signaler les préoccupations particulières de la section locale de Campbellton au ministre des Postes, ni aux négociateurs patronaux à la table de négociation. M. Chedore voudrait me faire croire qu’écrire une lettre au ministre des Postes au moment même où il envoie des communiqués à la presse signifie qu’il a tenté d’avoir recours aux mécanismes internes. Je ne suis pas du tout de cet avis. Un dirigeant syndical digne de confiance n’aurait ménagé aucun effort et ne se serait pas contenté de tentatives de pure forme pour tenter de résoudre les problèmes relatifs à M. Savoie grâce aux recours internes, sans décider de faire appel aux médias. Je laisse à ceux qui instruiront un renvoi ultérieur à l’arbitrage des griefs la tâche de déterminer si le président d’une section locale et son syndicat ont le droit de s’adresser à la presse quand ils ont tenté sans succès d’avoir recours à tous les mécanismes internes disponibles. En l’espèce, je ne pense pas que le fonctionnaire s’estimant lésé et sa section locale aient épuisé ces mécanismes internes. M. Chedore n’a même pas tenté de faire des problèmes au Bureau de poste de Campbellton une revendication à la table de négociation. Je n’ai aucune indication qu’il les ait soulevés à la table de négociation, et il avait eu amplement l’occasion de le faire pendant qu’il était à Ottawa. Au contraire, il a décidé d’en faire une affaire politique en s’adressant au public.

[…]

178 En somme, la jurisprudence invoquée par l’employeur m’est d’une utilité limitée, et je n’y ai rien trouvé de définitif sur la question du destinataire.

179 Je me suis ensuite tourné vers les décisions citées par le fonctionnaire s’estimant lésé, en relevant particulièrement l’arrêt de la Cour suprême dans S.D.G.M.R., section locale 558 c. Pepsi-Cola Canada Beverages (West) Ltd., [2002] 1 R.C.S. 156, la décision du Conseil canadien des relations du travail (CCRT) dans l’affaire Samson v. Canada Post Corporation, Arichat, N.S., 87 CLLC 16,060 (Samson, CCRT no 654, 71 di 215), et la décision Shaw elle-même.

180 Dans Pepsi-Cola, la Cour devait se prononcer sur la question du piquetage secondaire. Elle a déclaré sans équivoque que l’expression syndicale ciblant un public qui n’est pas partie à la relation directe de négociation collective doit être protégée à moins d’une conduite préjudiciable ou criminelle. Il n’y a eu aucune allégation de conduite préjudiciable ou criminelle dans l’affaire dont je suis saisi, mais j’estime que cet arrêt de la Cour n’est pas moins pertinent, puisqu’elle a conclu plus généralement que la présomption devrait être favorable à la liberté d’expression du syndicat à moins que sa limitation soit clairement justifiée. Bien que la Cour n’ait pas défini où s’arrête la liberté d’expression syndicale, son raisonnement est selon moi propice à une interprétation plus libérale que restrictive des auditoires potentiels de l’expression syndicale, à condition que cette expression soit liée au mandat de représentation du syndicat et ne constitue pas à d’autres égards une conduite pouvant être contestée pour d’autres raisons légales.

181 Dans Samson, le CCRT a défini plus explicitement et plus longuement la sphère dans laquelle les activités de représentation syndicale peuvent avoir lieu :

[…]

À notre avis, le mot [représentation] ne devrait pas être interprété de façon restrictive : la « représentation des employés par un syndicat » comprend non seulement la représentation auprès de l’employeur, mais également auprès du public, et ce, devant tout forum où le syndicat juge qu’il est dans l’intérêt de ses membres de le faire.

[…]

Il nous semble raisonnable […] qu’un syndicat ait le droit de s’adresser aux médias, au gouvernement et à d’autres organismes influents, comme le public, afin de tenter de faire pression sur l’employeur pour des questions qui touchent directement ses membres, tout particulièrement, comme ici, en période de négociations collectives.

[…]

182 Dans Shaw, l’arbitre de grief a rejeté la prétention que les déclarations faites au public peuvent être distinguées du rôle normal d’un syndicat lors de la négociation collective et du traitement de griefs :

[…]

[43] L’autre distinction de l’avocat de l’employeur est celle entre l’activité de l’agent négociateur en un sens étroit, soit principalement la négociation de conventions collectives et le traitement de griefs, et le genre de conduite qui est en cause ici, c’est-à-dire des critiques à l’égard de l’employeur faites à un auditoire public par un représentant de l’agent négociateur. Là encore, cette distinction me semble discutable. La négociation collective est un processus dans lequel chacune des parties cherche à faire pression sur l’autre pour la convaincre de changer ou non les conditions d’emploi des membres de l’unité de négociation. Quoique la table des négociations et les réunions syndicales-patronales de divers types soient les principaux moyens de la négociation collective, il est reconnu que les deux parties peuvent recourir à d’autres stratégies en vue d’influencer le cours de la négociation […]

[…]

Shaw ne fait pas de distinction entre divers types d’auditoires publics.

183 Cela dit, l’arrêt Pepsi-Cola et les décisions Samson et Shaw sont utiles, mais, tout comme les décisions citées par l’employeur, on ne peut à mon avis en dégager un critère limpide pour trancher la question du destinataire, qui est en jeu dans l’affaire dont je suis saisi. Il n’est d’ailleurs pas étonnant qu’un bien plus grand nombre de décisions jurisprudentielles semble porter sur l’évaluation du contenu de l’expression syndicale – auquel on applique bel et bien un « critère de la limite évidente » – plutôt que sur la question de savoir où l’expression a lieu, ou encore « à qui » elle s’adresse. Dans la mesure où la question du destinataire y est traitée, je conclus de la jurisprudence que plusieurs balises générales devraient normalement être respectées :

1) la définition des publics légitimes pour l’expression syndicale devrait pencher pour la liberté d’expression, à moins que sa limitation ne soit clairement justifiée;

2) la charge de prouver qu’une telle limitation s’impose incombe à la partie qui veut l’imposer;

3) les types d’expressions et d’activités syndicales qui justifient une protection sont celles qui sont liées à des questions de relations de travail correspondant au mandat de représentation du syndicat, sans nécessairement limiter étroitement ce mandat aux activités traditionnelles de négociation collective et de traitement de griefs;

4) il se peut qu’il existe une obligation de tenter de régler les problèmes de relations de travail en ayant recours aux mécanismes internes avant de se tourner vers d’autres stratégies ciblant des auditoires et des intervenants publics.

184 Les questions correspondant aux points 3) et 4) ci-dessus peuvent être largement tranchées en fonction de la preuve. Je ne crois pas que beaucoup d’éléments de preuve soient susceptibles de donner lieu dans la présente affaire à la contestation que les points soulevés par le fonctionnaire s’estimant lésé étaient des questions de relations de travail correspondant au mandat de représentation du syndicat au nom duquel il s’exprimait. Le témoignage du fonctionnaire s’estimant lésé à cet égard a consisté à dire qu’il y avait eu depuis longtemps des discussions syndicales-patronales sur les principaux points qu’il avait soulevés dans la lettre, à l’exception peut-être de la question de la citoyenneté, si l’on accepte le témoignage de Mme Hébert sur ce point-là. Le fonctionnaire s’estimant lésé avait exposé les positions personnelles qu’il avait en sa qualité de dirigeant principal à temps plein, y compris celles qui étaient liées à la santé et à la sécurité au travail. Il a situé sa lettre dans le contexte de la représentation qu’il effectuait pour s’acquitter des responsabilités de son poste syndical et de ses tâches en comité, en insistant sur les aspects de santé et de sécurité au travail des questions qu’il faisait valoir. Sur au moins trois points – l’armement des agents, l’emploi d’étudiants et l’uniformisation des exigences de formation –, il a témoigné que les consultations avec l’employeur n’avaient pas abouti à un règlement, et que l’employeur et le syndicat étaient [traduction] « diamétralement opposés ». Dans ces circonstances, il a déclaré que le syndicat optait à l’occasion pour des stratégies faisant appel à de plus vastes auditoires publics. Son témoignage à ces égards a été largement incontesté. Plusieurs des témoins de l’employeur l’ont même corroboré. Exception faite peut-être d’où la question de la citoyenneté en était auparavant, j’estime donc que les points 3) et 4) ci-dessus ne sont pas vraiment pertinents ici.

185 L’employeur affirme que le fonctionnaire s’estimant lésé ne pouvait pas accomplir les buts de son syndicat en écrivant à des dirigeants américains parce que ceux-ci n’avaient [traduction] « ni le pouvoir ni l’autorité nécessaires quant aux questions soulevées par le fonctionnaire s’estimant lésé ». C’est manifestement un lieu commun de stipuler que le Secrétaire Ridge n’était pas l’employeur, pas plus d’ailleurs que d’autres dirigeants américains. Aucun représentant du gouvernement des États-Unis, quelle que soit l’importance du poste qu’il occupait, n’exerçait directement une autorité quelconque sur l’évolution des relations syndicales-patronales à l’ASFC. La preuve de l’employeur a toutefois soulevé dans mon esprit de grands doutes sur quelque chose de bien différent, en prétendant qu’un dirigeant américain comme le Secrétaire Ridge [traduction] « n’avait pas de pouvoir […] quant aux questions soulevées par le fonctionnaire s’estimant lésé ». Dans son témoignage, Mme Hébert a particulièrement souligné dans quelle mesure l’ASFC s’efforçait dans l’après-11 septembre d’adapter ses initiatives à une nouvelle réalité, où la coopération et la collaboration avec les autorités américaines étaient fondamentales. Son témoignage a révélé que les administrations frontalières canadienne et américaine travaillaient en tandem sur plusieurs fronts et que les autorités canadiennes s’efforçaient énormément de s’adapter à la sensibilité de leurs homologues américains pour maximiser les possibilités de maintenir une frontière relativement « mince ». Dans ce contexte, il est logique de penser que les dirigeants américains auraient été susceptibles d’influer sur les décisions du gouvernement du Canada en ce qui concernait les opérations et les programmes des services frontaliers. De plus, les représentants syndicaux auraient pu raisonnablement juger qu’ils devaient adopter des tactiques de représentation reconnaissant la possibilité que les opinions des dirigeants américains du monde de l’après-11 septembre pouvaient influer largement sur les décisions des autorités canadiennes quant à des questions d’importance pour le syndicat.

186 Nous avons entendu le fonctionnaire s’estimant lésé témoigner qu’en écrivant au Secrétaire Ridge, il voulait susciter une discussion des points qu’il soulevait en vue d’obtenir des changements tels qu’armer les agents, par exemple. Il a déclaré souhaiter que sa lettre soit reliée aux discussions qui se poursuivaient entre les deux pays sur l’uniformisation des politiques et des programmes frontaliers. En l’occurrence, je n’ai pas besoin d’accepter ni de rejeter le témoignage du fonctionnaire s’estimant lésé sur la raison pour laquelle il a envoyé sa lettre, ni non plus d’admettre que la tactique qu’il a choisie – écrire une lettre au Secrétaire Ridge – était bonne, judicieuse ou raisonnablement susceptible de réussir. À mon avis, l’important est que la preuve a révélé une théorie au moins plausible expliquant pourquoi il pourrait être logique pour un représentant syndical conscient des intérêts de ses membres à l’ASFC de choisir de s’adresser à un influent dirigeant américain capable d’intervenir stratégiquement dans des questions de gestion frontalière.

187 L’employeur déclare que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas de connaissances en relations internationales ni de responsabilités exigeant des échanges sur la sécurité frontalière avec d’importants dirigeants d’un gouvernement étranger. J’estime que son premier point n’est guère pertinent, car certains observateurs pourraient faire remarquer que la connaissance des relations internationales n’a malheureusement pas toujours été une compétence requise de tous ceux et celles qui ont tenté de représenter les intérêts canadiens dans leurs rapports avec d’autres gouvernements. Son point le plus sérieux est celui à savoir que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas qualité pour discuter sur quoi que ce soit avec un des principaux dirigeants d’un gouvernement étranger.

188 J’accepte ce point que l’employeur fait valoir, mais seulement en ce sens que la preuve a démontré que l’employeur n’avait confié au fonctionnaire s’estimant lésé aucune responsabilité professionnelle susceptible d’exiger qu’il communique avec un important dirigeant du gouvernement des États-Unis. Autrement dit, le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’est pas adressé au Secrétaire Ridge en s’étant fait donner qualité pour le faire par l’employeur. Ce fait n’influerait toutefois sur ma décision que dans la mesure où l’employeur pourrait prouver qu’il a le droit exclusif d’autoriser les contacts de ses employés avec des dirigeants de gouvernements étrangers même lorsque ces employés agissent à titre de représentants syndicaux. Or, l’employeur n’a avancé aucune preuve en ce sens à l’audience. Il n’a pas soutenu, par exemple, que l’ancienne Loi ou une autre loi fédérale interdisait à un dirigeant syndical de s’adresser à un gouvernement étranger. En outre, rien dans le Code de déontologie et de conduite de l’employeur (pièce E-1, onglet 5) n’interdit aux employés d’avoir des contacts avec des dirigeants de gouvernements étrangers. La lettre de M. Lefebvre adressée au fonctionnaire s’estimant lésé le 2 janvier 2002 (pièce E-9) et celle de Mme Hébert qui lui a été adressée le 22 février 2002 (pièce E-1, onglet 13) sont muettes sur ce point, tout comme la note de service de « Gerry Troy » (pièce E-1, onglet 3), invoquée par Mme Hébert dans sa propre lettre.

189 Cela dit, je comprends que l’employeur ait de la difficulté à trouver acceptable qu’un employé quelconque écrive à un dirigeant d’un gouvernement étranger sur des questions à la fois importantes et délicates qui le concernent directement. Je soupçonne que l’intuition de la plupart des lecteurs de cette décision les inciterait à croire qu’il y a quelque chose d’inquiétant sinon de répréhensible dans un tel scénario. Toutefois, je dois trancher ici la question de savoir si l’employeur a prouvé ce qu’il avançait en déclarant que le fonctionnaire s’estimant lésé était allé au-delà du cadre légitime de ses fonctions syndicales quand il a envoyé sa lettre au Secrétaire Ridge. Selon la prépondérance des probabilités, sur la foi des arguments qu’on m’a présentés et de la jurisprudence invoquée par les parties, j’estime que l’employeur ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve. Il n’a pas prouvé qu’il est interdit aux représentants syndicaux de contacter des dirigeants de gouvernements étrangers. Il ne m’a pas convaincu que j’aurais une raison valable de limiter l’expression ou les activités syndicales du fonctionnaire s’estimant lésé en restreignant nécessairement son rôle syndical légitime à des activités à l’intérieur de nos frontières nationales adressées seulement à un auditoire public canadien. Faute de cette preuve, de justification ou d’autres raisons impérieuses, je ne peux pas conclure que le fonctionnaire s’estimant lésé était allé au-delà du cadre légitime de son rôle syndical quand il a envoyé sa lettre au Secrétaire Ridge.

190 Par conséquent, je dois poursuivre mon analyse en passant au second volet du critère établi dans la jurisprudence résumée par Shaw pour décider si le fonctionnaire s’estimant lésé a agi de façon malveillante ou s’il a fait de fausses déclarations, que ce soit sciemment ou par insouciance.

191 Avant de passer à ce second volet, je tiens à souligner que le témoignage de Mme Hébert m’amène à une réserve connexe. À mon sens, son témoignage permet raisonnablement de douter qu’elle se soit jamais vraiment demandé si envoyer une lettre à un dirigeant d’un gouvernement étranger pouvait peut-être s’inscrire dans le cadre légitime du rôle d’un représentant syndical à temps plein. Le point critique est le suivant : elle a déclaré en contre-interrogatoire que le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé était en congé pour les affaires du syndicat [traduction] « n’était pas un facteur pertinent pour elle » dans sa décision de lui imposer une sanction. Quand elle s’est fait offrir l’occasion de préciser ce qu’elle entendait en réinterrogatoire, Mme Hébert a simplement déclaré directement qu’elle [traduction] « avait traité la situation en partant du principe que le fonctionnaire s’estimant lésé était un employé ».

192 Je conclus de ces propos de Mme Hébert qu’elle n’a probablement jamais été disposée à admettre la possibilité qu’écrire une lettre au Secrétaire Ridge aurait pu être une activité légitime pour un représentant syndical. Selon elle, le fonctionnaire s’estimant lésé était d’abord et avant tout un employé. Même si elle a mentionné dans son témoignage divers documents de l’employeur qui, et je la cite, [traduction] « stipulaient que les représentants syndicaux disposent effectivement de plus de latitude dans les déclarations qu’ils peuvent faire », elle ne semble pas avoir tenu compte de cette distinction dans son processus décisionnel. Dans cette mesure, je souscris à l’argument du fonctionnaire s’estimant lésé que les normes sur lesquelles Mme Hébert s’est fondée pour lui imposer une sanction disciplinaire étaient incompatibles avec le critère de Shaw. Elle lui a imposé une sanction comme s’il avait été n’importe quel autre employé. Il vaut d’ailleurs la peine de souligner qu’elle n’a fait aucune mention directe dans sa lettre disciplinaire du statut de dirigeant syndical élu du fonctionnaire s’estimant lésé, ni des normes établies dans la jurisprudence que résume la décision Shaw (pièce E-1, onglet 35). Il est significatif que savoir si le fonctionnaire s’estimant lésé avait agi ou non dans le cadre de son rôle syndical légitime ne semble pas avoir été pertinent pour elle quand elle est arrivée à la conclusion qu’une lourde sanction disciplinaire – voire le licenciement – étaient justifiés dans les circonstances.

193 J’ai basé ma conclusion dans ce contexte sur d’autres facteurs, mais le fait que la principale décideuse de l’employeur ne semble pas avoir tenu compte du rôle syndical du fonctionnaire s’estimant lésé dans son analyse disciplinaire m’inquiète. Il faudrait à tout le moins accorder peu de poids à l’argument de l’employeur, qui dit avoir informé dans le passé le fonctionnaire s’estimant lésé de ce qu’il attendait de lui en tant que représentant syndical (pièce E-1, onglets 3, 5 et 13), alors que Mme Hébert n’a pas expressément tenu compte de cette distinction en décidant de lui imposer une suspension et en expliquant pourquoi.

B. Le fonctionnaire s’estimant lésé a-t-il agi de façon malveillante? Ses déclarations étaient-elles mensongères, sciemment ou par insouciance? 

194 Le second volet du critère découlant des décisions résumées dans Shaw exige que je décide si le fonctionnaire s’estimant lésé avait agi de façon malveillante ou s’il avait fait de fausses déclarations soit sciemment, soit par insouciance. Si je devais conclure que oui, l’employeur aurait eu une raison valable de lui imposer une sanction disciplinaire même s’il avait agi dans son rôle à temps plein de représentant élu du syndicat. En sa qualité d’employé de l’ASFC en congé pour les affaires du syndicat, le fonctionnaire s’estimant lésé, selon Shaw, avait encore l’obligation de ne pas agir de façon malveillante envers l’employeur ou de s’abstenir de faire des déclarations insouciantes ou sciemment mensongères à son endroit. S’il l’avait fait, sa conduite aurait été passible de sanctions disciplinaires.

195 Si je conclus que non, l’employeur n’avait pas de raison valable de lui imposer une sanction disciplinaire.

1. Malveillance

196 L’employeur affirme que le fonctionnaire s’estimant lésé a fait preuve de malveillance en envoyant sa lettre parce qu’il savait qu’écrire sur les lacunes à la frontière était susceptible de causer du tort et qu’il avait l’intention d’en causer. Il maintient que le fonctionnaire s’estimant lésé avait agi dans le but d’enflammer la relation canado-américaine et [traduction] « de faire peur ». Il savait l’effet que ses déclarations allaient avoir et connaissait également les conséquences de son choix d’un tel destinataire. Tout cela, selon l’employeur, peut être raisonnablement déduit du contenu de la lettre.

197 Le fonctionnaire s’estimant lésé soutient pour son part que l’intention sous-jacente à sa lettre est exactement celle qu’il a précisée dans son paragraphe d’introduction :

[Traduction]

[…]

La présente lettre a pour but de vous fournir des renseignements susceptibles de vous être utiles afin de déterminer les risques pour la sécurité et la protection du public qui, je l’espère, contribueront à renforcer la protection frontalière.

[…]

Dans son témoignage, le fonctionnaire s’estimant lésé a aussi déclaré que sa lettre avait pour objectif de faire le pont avec les discussions qui se poursuivaient entre les deux pays en vue de l’uniformisation des politiques et des programmes frontaliers, dans l’espoir d’obtenir des changements sur des enjeux d’importance pour le syndicat.

198 L’employeur m’a renvoyé au Black’s Law Dictionary, qui donne la définition suivante du mot [traduction] « malveillant » :

[Traduction]

Caractérisé par ou comprenant une intention de nuire, ayant été ou étant fait dans une intention ou avec des motifs répréhensibles, condamnables ou nuisibles et fait délibérément sans raison ni excuse valable ou dans l’intention de nuire.

199 L’employeur m’a aussi renvoyé à The Canadian Oxford Dictionary, qui donne du mot [traduction] « malveillant » la définition suivante : [traduction] « caractérisé par la malveillance; ayant l’intention de nuire ou censé nuire ». La définition de [traduction] « malveillance », elle, est [traduction] « l’intention de faire du mal ou de blesser une autre personne ».

200 Dans le critère de Shaw, la « malveillance » s’entend essentiellement du motif et de l’état d’esprit de la personne intéressée. L’employeur a-t-il prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que l’intention ou l’état d’esprit du fonctionnaire s’estimant lésé quand il a écrit la lettre révélait de la malveillance au sens ordinaire qu’on donne normalement à ce mot?

201 La difficulté de juger du motif et de l’état d’esprit de quelqu’un est bien connue. La preuve sur laquelle de tels jugements sont fondés est rarement directe et rarement aussi sans équivoque. Dans la présente affaire, l’employeur me presse de conclure à la malveillance essentiellement en fonction du contenu de la lettre elle-même.

202 En lisant cette lettre, je juge que la description négative de son intention qu’a donnée l’employeur est plausible, quoique pas au sens extrême qui signifierait qu’elle était très susceptible d’enflammer la relation canado-américaine ou de faire peur. Cela me semble exagéré compte tenu du ton et du contenu du texte. La preuve a effectivement établi que le climat des relations canado-américaines sur les questions de gestion frontalière était délicat. Toutefois, une personne raisonnable admettrait-elle que la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé aurait pu avoir un effet tel que la relation canado-américaine s’en se serait trouvée « enflammée »? La lettre en elle-même pouvait-elle faire peur? Si oui, à qui? Au Secrétaire Ridge?

203 Selon la prépondérance des probabilités, la preuve révèle que la totalité ou la plus grande partie des renseignements communiqués dans la lettre étaient déjà du domaine public. Il ne s’agit donc pas d’une affaire où l’on aurait trahi des secrets ou divulgué des renseignements confidentiels ou des renseignements commerciaux exclusifs. Comment des renseignements qui font déjà partie du domaine public peuvent-ils enflammer des relations bilatérales ou faire peur? Les renseignements en question avaient-ils eu cet effet quand ils sont devenus du domaine public?

204 Dans les circonstances, et compte tenu de la preuve dont on m’a saisi, je doute qu’une personne raisonnable admettrait que les effets plus graves que l’employeur prétend susceptibles d’avoir résulté de la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé auraient été probables. Je ne crois pas non plus qu’il s’agit d’une situation où la teneur de la lettre elle-même est si préméditée ou vitriolique qu’on puisse se tromper en accusant son auteur d’avoir eu une intention malveillante.

205 S’il existe un argument plausible que l’intention du fonctionnaire s’estimant lésé était malveillante, d’après le contenu de sa lettre, il correspond plutôt selon moi à la possibilité qu’il voulait soit embarrasser l’ASFC, soit rendre la tâche de ses cadres supérieurs plus difficile, en soumettant leurs positions sur les questions qu’il avait évoquées à un examen critique beaucoup plus serré de leurs homologues américains que ce n’aurait été le cas autrement. Cela me semble nettement plus probable que ce que l’employeur prétend. Si le fonctionnaire s’estimant lésé avait eu l’intention d’embarrasser publiquement l’ASFC, il n’est pas déraisonnable de penser qu’il aurait diffusé plus largement sa lettre, en l’envoyant à de nombreux destinataires ou en la communiquant aux médias, mais la preuve démontre le contraire. La seule personne à qui il ait envoyé une copie de la lettre était la Vice-Première ministre. Je ne souscris pas à la prétention que le fonctionnaire s’estimant lésé a avancée pour la première fois à la réunion convoquée le 8 juillet 2004 pour établir les faits, en disant que sa lettre était privée, mais il l’a traitée de façon relativement privée après l’avoir envoyée, nonobstant toute menace d’agir autrement.

206 Je reconnais qu’il est plausible de déduire ce qu’on pourrait considérer comme une certaine intention de nuire dans les motifs du fonctionnaire s’estimant lésé, mais je suis incapable d’aller un pas plus loin en concluant que l’employeur a prouvé qu’il ait agi avec malveillance, selon la prépondérance des probabilités. J’estime qu’on peut aussi interpréter la lettre en se disant qu’elle était motivée par une intention de tenter de faire pression sur l’employeur dans une situation où les parties étaient [traduction] « diamétralement opposées » sur des enjeux difficiles et conflictuels de la relation syndicale-patronale. La jurisprudence a reconnu que les syndicats peuvent s’adresser à des auditoires de l’extérieur pour faire légitimement pression dans le contexte d’un différend relatif aux intérêts des parties. Si j’en juge d’après le contenu de la lettre, comme l’employeur me presse de le faire, je pense qu’il est possible d’interpréter l’action du fonctionnaire s’estimant lésé comme une tactique pour faire pression tout autant que de lui imputer une intention malveillante. Comme je l’ai déjà dit, je pourrais admettre que ce n’était pas un moyen de pression particulièrement judicieux ni particulièrement efficace, mais là n’est pas la question. Pour admettre la position de l’employeur, je devrais être convaincu qu’il est plus probable que le fonctionnaire s’estimant lésé ait agi délibérément pour lui faire du tort, ou qu’il ait été essentiellement motivé par l’intention de nuire. Selon la prépondérance des probabilités, je ne suis pas convaincu que l’employeur l’ait prouvé.

2. Déclarations mensongères sciemment ou par insouciance

207 Le principal élément de preuve pour déterminer si le fonctionnaire s’estimant lésé avait fait des déclarations mensongères, que ce soit sciemment ou par insouciance, est encore le contenu de sa lettre. Dans les extraits suivants de sa lettre disciplinaire, Mme Hébert précisait ce qu’elle reprochait aux déclarations du fonctionnaire s’estimant lésé au Secrétaire Ridge :

[Traduction]

[…]

[…] le contenu de votre lettre me perturbe énormément. Je suis profondément choquée tant par le message que vous avez envoyé au Department of Homeland Security au sujet des non-citoyens canadiens que par vos déclarations sur nos opérations qui ont pour but de souligner des lacunes des pratiques de gestion frontalière du Canada, ou qui pourraient être interprétées en ce sens.

Vos déclarations quant aux non-citoyens canadiens laissent entendre que simplement parce qu’on n’est pas un citoyen canadien, mais plutôt résidant permanent ou titulaire d’un permis de travail, on constitue un risque pour la sécurité. Je considère cela comme insultant et contraire aux valeurs de l’ASFC et du gouvernement canadien dans son ensemble. Qui plus est, ces déclarations sont sans fondement, puisque tous les candidats à un poste dans la fonction publique font l’objet d’une enquête de sécurité en règle, qu’ils soient citoyens canadiens ou non. Si vous aviez soulevé cette question en vous servant des mécanismes internes appropriés avant d’écrire à M. Ridge, vous l’auriez su.

[…]

En écrivant au Department of Homeland Security une lettre sur nos activités visant à souligner les lacunes des pratiques de gestion frontalière du Canada ou pouvant être interprétées en ce sens, vous avez manqué à votre obligation de loyauté et aux autres obligations susmentionnées. Un tel comportement ne peut être toléré.

[…]

208 Mme Hébert a clairement précisé une des questions soulevées dans sa lettre disciplinaire, celle de la citoyenneté. À cet égard, elle conteste la véracité de ce que le fonctionnaire s’estimant lésé avait écrit, en déclarant non seulement qu’elle jugeait ses remarques insultantes, mais aussi qu’elles étaient [traduction] « sans fondement », ce qui implique qu’elles étaient mensongères. L’employeur peut-il se baser sur quelque chose de précis pour affirmer que le fonctionnaire s’estimant lésé avait fait des déclarations mensongères sur la question de la citoyenneté, que ce soit sciemment ou par insouciance?

209 J’estime que le témoignage même de Mme Hébert infirme cet argument. Dans son interrogatoire principal, elle a déclaré que ce que le fonctionnaire s’estimant lésé avait écrit sur la citoyenneté était insultant, en disant pourquoi. À son avis, ce qu’il avait écrit signifiait que les non-citoyens constituaient un risque pour la sécurité. Elle a également témoigné que le fonctionnaire s’estimant lésé avait omis de mentionner que l’ASFC exigeait que tous ses employés aient une attestation de sécurité avec la cote « fiabilité approfondie », et elle ajoutait que, à sa connaissance, le syndicat n’avait jamais encore soulevé la question de la citoyenneté dans des consultations syndicales-patronales. Je tiens toutefois à souligner, car c’est important, qu’elle n’a pas dit dans son interrogatoire principal que le fonctionnaire s’estimant lésé avait fait une déclaration mensongère.

210 En contre-interrogatoire, Mme Hébert a reconnu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait dit vrai en déclarant que les agents de l’ASFC ne sont pas tenus d’être citoyens canadiens. Au début, elle avait contesté la véracité d’une autre déclaration figurant dans la lettre, à savoir qu’on exigeait la citoyenneté américaine pour travailler dans l’administration douanière des États-Unis, mais elle a ensuite admis qu’elle n’en était pas sûre. Elle a aussi dit qu’elle n’avait pas vérifié elle-même si c’était vrai quand elle avait préparé sa lettre disciplinaire. (Rien dans la preuve dont je suis saisi ne montre que la déclaration du fonctionnaire s’estimant lésé quant aux exigences de citoyenneté aux États-Unis était effectivement un mensonge.)

211 En concluant sa plaidoirie, l’employeur a allégué que le fonctionnaire s’estimant lésé traitait les faits [traduction] « à la légère ». Sur la question de la citoyenneté, toutefois, je ne puis que conclure, si j’en crois le témoignage de Mme Hébert, que le fonctionnaire s’estimant lésé avait omis de mentionner un fait plutôt que de déclarer quelque chose qu’il savait faux. En omettant un fait ou en ne donnant pas de contexte pour situer les déclarations qu’il avait faites sur la citoyenneté, comme l’employeur le lui reproche, peut-on encore prétendre que le fonctionnaire s’estimant lésé envisageait la vérité avec insouciance?

212 L’insouciance est un comportement irresponsable, imprudent ou téméraire. À mon avis, le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas fourni l’information contextuelle que tous les fonctionnaires devaient obtenir une cote de fiabilité approfondie peut fort bien avoir été une regrettable omission qui réduit sans doute la crédibilité de son message, sans pourtant aller jusqu’à constituer de l’insouciance. L’omission qu’on lui reproche n’est pas manifestement irresponsable ni téméraire. Si le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas été assez minutieux, la gravité de son omission doit être évaluée en fonction de la probabilité que l’information omise ait déjà été du domaine public. Il semble de toute évidence très peu probable que les dirigeants américains n’auraient pas su quelles étaient les exigences de sécurité applicables aux fonctionnaires de l’administration frontalière canadienne. La gravité de l’omission devrait aussi être évaluée compte tenu de la preuve, à savoir que personne à la direction de l’ASFC n’a pris de mesures pour y remédier par la suite en communiquant avec ses homologues américains.

213 Ce qui reste, c’est que Mme Hébert a été offensée par ce que le fonctionnaire s’estimant lésé avait écrit au sujet des non-citoyens. Selon elle, la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé était implicitement insultante pour les non-citoyens en laissant entendre qu’ils pourraient constituer un risque pour la sécurité. J’admets que cela peut être insultant, mais ce n’est pas une preuve suffisante, au sens du critère de Shaw, que le fonctionnaire s’estimant lésé ait fait des déclarations mensongères sciemment ou par insouciance.

214 Si j’erre en concluant ainsi, je dois souligner que Mme Hébert elle-même a déclaré en contre-interrogatoire que la question de la véracité de la mention des exigences de citoyenneté n’avait pas été un facteur significatif pour sa décision d’imposer une sanction disciplinaire. Bref, son témoignage tend à nier l’importance de ce qu’elle a écrit dans sa lettre disciplinaire en dénonçant l’absence de « fondement » des commentaires du fonctionnaire s’estimant lésé sur la question de la citoyenneté. Si j’ajoute foi à ce qu’elle a elle-même déclaré à l’audience, il m’est difficile de conclure que le fonctionnaire s’estimant lésé ait fait preuve d’insouciance quant aux faits dans ce qu’il a écrit sur cette question-là.

215 Je dois donc passer aux autres reproches que l’employeur faisait au fonctionnaire s’estimant lésé relativement au contenu de sa lettre, et je m’achoppe à un problème. En effet, l’employeur devrait normalement s’en être tenu aux raisons déclarées dans sa lettre disciplinaire pour que l’arbitre de grief décide si sa décision d’imposer une sanction était justifiée. Le principe fondamental est que le fonctionnaire s’estimant lésé devrait savoir avec suffisamment de précision pour quelles raisons l’employeur l’a puni, afin d’être en mesure de préparer et de présenter une défense en connaissance de cause. Je ne vois aucune raison de déroger à l’approche normale en l’espèce.

216 Cela dit, un fait m’agace : dans sa lettre disciplinaire, Mme Hébert n’a contesté qu’un aspect du contenu de celle du fonctionnaire s’estimant lésé, ce qu’il a écrit sur la citoyenneté. Pour remédier au manque de précision de cette lettre disciplinaire, l’employeur allègue qu’elle contenait deux autres mentions de [traduction] « lacunes des pratiques de gestion frontalière » suffisantes pour inclure dans les motifs disciplinaires les autres réserves que Mme Hébert avait sur la lettre de l’intéressé. C’est peut-être vrai, mais mon problème est que je ne peux pas décider en me fondant sur le caractère général de ces deux mentions dans la lettre quel aspect des commentaires du fonctionnaire s’estimant lésé signalant des [traduction] « lacunes des pratiques de gestion frontalière » a incité Mme Hébert à décider qu’une sanction s’imposait. A-t-elle puni le fonctionnaire s’estimant lésé parce qu’elle avait conclu qu’il avait fait des déclarations mensongères sciemment ou par insouciance sur des [traduction] « lacunes des pratiques de gestion frontalière »? L’a-t-elle plutôt puni pour d’autres raisons, par exemple parce que ses commentaires critiquaient l’ASFC?

217 Cette distinction est très importante. J’estime que la jurisprudence résumée dans Shaw conclut qu’un dirigeant syndical peut critiquer l’employeur en public au moins sur des questions de relations de travail en restant néanmoins à l’abri de toute sanction disciplinaire pourvu que ses critiques ne soient pas mensongères sciemment ou par insouciance. Les commentaires qui critiquent, mais qui ne sont pas mensongers – sciemment ou par insouciance – ne violent pas normalement le « critère de la limite évidente » résumé dans Shaw. Si Mme Hébert a imposé une sanction disciplinaire au fonctionnaire s’estimant lésé pour ses commentaires sur des [traduction] « lacunes des pratiques de gestion frontalière » parce qu’elle estimait que ces commentaires critiquaient l’employeur, elle n’avait pas de raison valable de le faire.

218 Le témoignage que Mme Hébert a rendu dans son interrogatoire principal portait essentiellement sur ce qu’elle reprochait à la lettre de ne pas avoir précisé, sur le contexte qui n’y aurait pas été donné ou sur des commentaires qu’elle estimait trompeurs (voir particulièrement au paragraphe 59 de la présente décision). En contre-interrogatoire, elle a admis que les déclarations du fonctionnaire s’estimant lésé au sujet des étudiants et de l’armement des inspecteurs des douanes de même que les extraits qu’il avait cités des énoncés de mission canadien et américain étaient conformes à la vérité. Par ailleurs, elle a aussi déclaré en contre-interrogatoire que le Code de déontologie et de conduite (pièce E-1, onglet 5) stipule une obligation de ne pas critiquer les politiques ou les programmes du gouvernement. Quand le fonctionnaire s’estimant lésé l’a pressée sur ce point, elle a maintenu qu’il était « possible » qu’un dirigeant syndical écope d’une sanction disciplinaire pour avoir dit la vérité sur des questions du domaine public, si ses déclarations critiquaient des programmes gouvernementaux. Ce n’est pas ainsi que j’interprète le critère de Shaw.

219 Selon moi, le témoignage de Mme Hébert laisse entendre qu’il est très probable que ce qu’elle reprochait aux déclarations figurant dans la lettre quant à des [traduction] « lacunes des pratiques de gestion frontalière » ne concernait pas essentiellement leur véracité ou leur fausseté. Son témoignage ne tend pas à révéler de gros mensonges. Je suis plutôt convaincu qu’il est plus probable que son mécontentement était attribuable à un autre facteur : il reflétait vraisemblablement sa conviction que la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé critiquait l’ASFC d’une manière qu’elle jugeait inacceptable. À mon avis, l’employeur est venu tout près de l’admettre quand il a déclaré en terminant sa plaidoirie que le message de la lettre était que [traduction] « nous ne faisons pas du très bon travail ici ».

220 J’estime qu’il faut souligner que l’employeur a tenté en concluant sa plaidoirie de présenter la question de la véracité des déclarations du fonctionnaire s’estimant lésé comme s’il s’agissait plutôt de ce que ce dernier n’avait pas dit que de ce qu’il avait effectivement déclaré. L’employeur a maintenu par exemple que le fonctionnaire s’estimant lésé avait omis de mentionner que les étudiants reçoivent exactement la même formation que les employés à temps plein en vue d’assumer les fonctions d’inspection primaire auxquelles la direction les affecte. En ne donnant pas toute l’information à cet égard, l’employeur soutient que la description de la situation que le fonctionnaire s’estimant lésé avait faite était [traduction] « contraire à la vérité ». De même, l’employeur a plus tard déclaré que les omissions du fonctionnaire s’estimant lésé quant aux cotes de sécurité exigées pour les non-citoyens ainsi qu’à la nature de la formation dispensée aux étudiants étaient des exemples de son attitude [traduction] « insouciante quant à la vérité ».

221 J’admets qu’on puisse traiter la vérité avec insouciance en omettant de l’information, mais l’omission doit être telle que la véracité de ce qui est effectivement déclaré est impossible à reconnaître ou à déterminer sans que l’information omise ne l’accompagne. En outre, il faut qu’on démontre que l’information a été omise plus que par inadvertance. Il devrait y avoir un élément de témérité, d’imprudence, de négligence ou d’irresponsabilité dans l’omission pour qu’on puisse conclure à de l’insouciance.

222 Ma conclusion est que l’employeur n’a pas prouvé que le fonctionnaire s’estimant lésé ait été insouciant en omettant de l’information dans sa lettre. L’information que l’employeur prétend qu’il aurait dû ajouter était déjà toute ou presque toute du domaine public, d’après la preuve. C’était certainement de l’information qui aurait pu donner une meilleure impression des pratiques ou des politiques de l’employeur, mais son absence de la lettre n’est pas grave au point qu’on puisse raisonnablement conclure que le lecteur était incapable de déterminer par lui-même la véracité de ce qui était écrit. Qui plus est, en sa qualité de représentant syndical, le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas tenu d’inclure dans sa lettre de l’information favorable à la position de l’employeur. Il était libre de donner l’information qu’il jugeait utile pour faire passer le message qu’il souhaitait à condition de ne pas sciemment fausser la vérité ou de manifester autrement une insouciance cavalière à son égard. Je conclus qu’il n’a commis ni l’une, ni l’autre de ces fautes.

223 Avant de conclure cette analyse du contenu de la lettre, je tiens à faire un commentaire sur un point qu’on peut déduire de l’argumentation de l’employeur et auquel Mme Hébert a fait écho dans sa lettre disciplinaire, à savoir que le fonctionnaire s’estimant lésé aurait eu une obligation quelconque de donner à la direction l’occasion de prendre connaissance du contenu de sa lettre avant de l’envoyer au Secrétaire Ridge ou qu’il aurait dû le faire dans les circonstances. Je ne trouve rien dans la jurisprudence découlant de Shaw qui justifie l’une ou l’autre de ces prétentions. Tout comme l’employeur a le droit d’exprimer ses opinions sur les relations de travail en public sans faire d’abord approuver ses déclarations par le syndicat, un représentant syndical, et surtout un dirigeant syndical à temps plein, a le droit de s’exprimer publiquement sans obtenir au préalable l’aval de l’employeur. Le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas consulté la direction n’est pas un facteur pertinent pour déterminer si l’employeur avait une raison valable de lui imposer une sanction.

C. La jurisprudence résumée dans Fraser et la question des droits constitutionnels

224 Les présents motifs sont basés sur la jurisprudence résumée dans Shaw. J’estime que c’est la plus pertinente, en raison des questions soulevées en l’espèce et parce qu’elle me donne une base suffisamment exhaustive pour trancher les questions dont je suis saisi.

225 L’employeur soutient que je devrais aussi tenir compte de la jurisprudence résumée dans Fraser à cause de la nature qu’il qualifie d’extrême des critiques du fonctionnaire s’estimant lésé à l’endroit de son employeur et, par conséquent, de son manquement à son obligation de loyauté envers l’ASFC.

226 Je ne suis pas d’accord. Le statut du fonctionnaire s’estimant lésé en tant que dirigeant syndical élu à plein temps est fondamental en l’espèce. La jurisprudence résumée dans Fraser est muette sur la question de savoir si ce statut influe sur les principes juridiques en jeu ou, si oui, jusqu’à quel point. Dans cette mesure, Fraser et les décisions analogues portaient sur d’autres circonstances et ne sont pas applicables.

227 Au sujet de l’arrêt Fraser lui-même, je tiens aussi à souligner que la Cour avait basé sa conclusion que les déclarations publiques de l’appelant dans cette affaire sapaient sa capacité de s’acquitter de sa tâche dans la fonction publique en concluant à l’existence d’un « type de conduite ». La Cour a jugé qu’un fonctionnaire « […] ne doit pas […] attaquer de manière soutenue et très visible des politiques importantes du gouvernement ». S’il le fait, il manque à son obligation de loyauté.

228 Rien dans la preuve dont je suis saisi ne révèle que le fonctionnaire s’estimant lésé avait l’habitude d’écrire à des dirigeants de gouvernements étrangers ou qu’il avait attaqué de façon « soutenue » ou « très visible » la politique du gouvernement. Cette affaire porte sur une seule action. Les parties ont stipulé que le dossier disciplinaire du fonctionnaire s’estimant lésé est vierge pour les fins de ma décision. Sa lettre n’était visible que pour un très petit groupe de personnes et ne l’était pas pour le public. Il n’est même pas prouvé que son destinataire l’ait reçue.

229 Sur la question de la possibilité de violation des droits constitutionnels, je souligne que le fonctionnaire s’estimant lésé a retiré dans son argumentation sa demande de dommages-intérêts en vertu de la Charte. À mon avis, rien n’exige donc que je me prononce sur une question constitutionnelle dans cette décision.

D. Résumé des constatations

230 J’ai conclu que l’employeur n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que le fonctionnaire soit allé au-delà du cadre légitime de son rôle syndical quand il a rédigé et envoyé sa lettre au Secrétaire Ridge.

231 J’ai également conclu selon la prépondérance des probabilités que l’employeur n’a pas prouvé que le fonctionnaire s’estimant lésé se soit conduit de façon malveillante en écrivant et en envoyant sa lettre au Secrétaire Ridge ou que les déclarations figurant dans sa lettre aient été mensongères, que ce soit sciemment ou par insouciance.

232 Conformément à la jurisprudence résumée dans Shaw, je conclus par conséquent que l’employeur n’avait pas de raison valable d’imposer une sanction disciplinaire au fonctionnaire s’estimant lésé.

233 Faute de raison justifiant une telle sanction, je n’ai pas besoin de décider si le choix d’une suspension de 30 jours comme sanction disciplinaire était justifié et proportionnel à la gravité de ce que l’employeur reprochait au fonctionnaire s’estimant lésé.

E. Redressement demandé

234 À la fin de la phase de présentation des témoignages de l’audience, les éléments suivants restaient dans la demande originale de redressement du fonctionnaire s’estimant lésé :

(Dossier de la CRTFP 166-02-36572)

[Traduction]

ii) qu’une lettre de Barbara Herbert me blanchissant de toute inconduite dans ce contexte et reflétant ses excuses personnelles (telles que je les ai réclamées) soit affichée à mon lieu de travail;

vii) qu’on me rembourse tout le traitement et les revenus potentiels perdus par suite de cette suspension, y compris la rémunération pour les jours fériés désignés payés, la prime de quart, etc.;

viii) qu’on me rembourse tous les crédits de congé que j’aurais normalement gagnés durant cette suspension de 225 heures;

ix) que ladite sanction disciplinaire et toutes les notes connexes versées à mon dossier par l’employeur soient retirées de tous mes dossiers actifs;

xi) que je sois indemnisé intégralement.

(Dossier de la CRTFP 166-02-36573)

[Traduction]

iv) que je reçoive une indemnité pour les dommages résultant de cette violation de mes droits et de mes libertés fondamentales; cette indemnité ne doit pas être inférieure à dix fois la valeur de la sanction disciplinaire initiale qui m’a été imposée;

vii) qu’on me rembourse toutes les dépenses engagées relativement à cette plainte;

viii) que je sois indemnisé intégralement.

235 En terminant sa plaidoirie, le fonctionnaire s’estimant lésé a précisé sa position sur le redressement qu’il réclame. Il a retiré sa demande de dommages en vertu de la Charte et de dommages-intérêts généraux. Il a déclaré que je devrais le remettre exactement dans la situation où il se serait trouvé quant à toutes ses conditions d’emploi s’il n’y avait pas eu de suspension. Il n’a toutefois pas retiré sa demande que Mme Hébert lui présente des excuses ou qu’on lui rembourse les [traduction] « dépenses engagées relativement à [sa] plainte ».

236 Je refuse d’accueillir la demande que Mme Hébert fasse des excuses. La publication de la présente décision suffira largement d’avis public des présentes conclusions. De plus, bien que j’aie jugé que Mme Hébert a erré dans son analyse disciplinaire en ne tenant pas suffisamment compte du rôle du fonctionnaire s’estimant lésé en tant que représentant syndical à plein temps, j’ai précisé que j’étais sûr qu’elle a agi parce qu’elle était sincèrement et profondément convaincue que le fonctionnaire s’estimant lésé avait manqué à son obligation de loyauté envers l’employeur. Dans le contexte de la sensibilité exacerbée des questions de sécurité frontalière qui prévalait à l’époque, je crois que d’autres personnes raisonnables auraient pu vraisemblablement réagir de la même manière à l’action du fonctionnaire s’estimant lésé. Cela ne justifie pas légalement la décision de lui imposer une suspension disciplinaire, mais rend cette décision au moins relativement compréhensible. Dans ces circonstances, des excuses ne sont pas de mise.

237 Quant aux [traduction] « dépenses engagées relativement à [sa] plainte », le fonctionnaire s’estimant lésé n’a présenté aucune preuve précisant le genre ni le montant des dépenses qu’il a engagées. Même s’il l’avait fait, je ne crois pas qu’il ait prouvé qu’une telle demande de remboursement soit justifiée. Les arbitres de griefs de compétence fédérale n’ordonnent normalement pas un remboursement en accueillant un grief. Un tel redressement a toujours été exceptionnel, et pour l’obtenir, le fonctionnaire s’estimant lésé doit au moins prouver l’existence dans sa situation de conditions particulières qui justifieraient la décision de lui accorder un tel remboursement. Ce n’est pas le cas.

238 Dans ces circonstances, le redressement approprié consiste à dédommager le fonctionnaire s’estimant lésé de toute perte subie au titre du traitement et des autres avantages qu’il aurait normalement reçus durant la période de suspension de 30 jours. Il est aussi approprié de retirer de son dossier personnel les mentions de la sanction que j’annule par la présente décision.

239 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

240 Le grief est accueilli.

241 L’employeur doit rembourser au fonctionnaire s’estimant lésé le traitement et tous les autres avantages auxquels il aurait normalement eu droit durant la suspension de 30 jours.

242 L’employeur doit retirer les mentions de la suspension de 30 jours et tous les documents qui y sont directement liés du dossier personnel du fonctionnaire s’estimant lésé.

243 Je reste saisi de l’affaire pour une période de 60 jours civils afin de trancher toutes les questions qui pourraient être soulevées dans l’exécution de la présente ordonnance.

Le 8 août 2008.

Traduction de la CRTFP

Dan Butler,
arbitre de grief

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