Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La demanderesse a renvoyé à l’arbitrage un grief dans lequel elle contestait la demande de l’employeur qu’elle se soumette à une évaluation d’aptitude au travail - l’employeur a remis en question la compétence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la <<Commission>>), en affirmant que le grief était tardif et qu’il n’y avait aucune preuve qui montrait que la demanderesse avait demandé une prorogation du délai de présentation de son grief - le président a déduit, des observations faites au nom de la demanderesse, qu’une telle demande de prorogation du délai avait été présentée et a autorisé le vice-président à statuer sur la demande - la demanderesse a fait valoir qu’elle n’était pas au courant des délais, qu’elle s’était occupée de son dossier complexe auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) et qu’elle avait souffert de problèmes de santé et que le déroulement de l’affaire n’occasionnerait aucun préjudice à l’employeur - la demanderesse a également indiqué qu’elle avait été induite en erreur verbalement par la CCDP qui lui avait laissé croire que l’enquête de l’employeur équivalait à une enquête de la Commission - elle a également fait valoir qu’elle n’avait pas manqué le délai prévu dans sa convention collective parce qu’elle avait déposé une plainte de discrimination auprès de la CCDP - le grief était clairement tardif d’au moins 15mois et il a été statué qu’en recourant à un processus différent devant un autre tribunal, la demanderesse n’avait pas rempli l’exigence énoncée dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique concernant le dépôt d’un grief - dans une lettre datée de décembre2006, la CCDP l’avait clairement informée de la nécessité de recourir au processus de règlement des griefs - on a établi qu'on ne pouvait exercer un pouvoir discrétionnaire pour proroger les délais en l’espèce - même si la maladie peut justifier certains retards, la nature de la maladie décrite par la demanderesse ne justifiait pas un long retard dans la présentation du grief - la demanderesse n’avait pas fourni des raisons suffisamment claires, logiques et convaincantes ayant trait à sa santé pour expliquer et justifier le retard dans la présentation de son grief - tandis qu’on pouvait faire valoir que la demanderesse avait été diligente dans la présentation de sa plainte auprès de la CCDP, elle avait été moins diligente quand il s’agissait de faire reconnaître ses droits par la Commission - le long délai ferait subir un préjudice considérable à l’employeur. Demande de prorogation du délai rejetée. Fermeture du dossier de grief.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-10-27
  • Dossier:  568-02-185 and 566-02-2097
  • Référence:  2008 CRTFP 86

Devant le président
et arbitre de grief


ENTRE

PUIYEE CHAN

demanderesse et fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Bureau du Directeur général des élections)

défendeur et employeur

Répertorié
Chan c. Conseil du Trésor (Bureau du Directeur général des élections)

Affaire concernant une demande de prorogation d’un délai visée à l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique et concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Ian R. Mackenzie, vice-président et arbitre de grief

Pour la demanderesse et fonctionnaire s’estimant lésée:
Jon Peirce, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour le défendeur et employeur:
Lourena Prud’homme et Karine Renoux, conseillères en représentation de l’employeur

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 9, 23 et 30 juillet 2008.
(Traduction de la CRTFP)

I. Demande devant le président

1 Puiyee Chan (la « demanderesse » ou la « fonctionnaire s’estimant lésée ») a renvoyé à l’arbitrage un différend portant sur une demande par le Bureau du Directeur général des élections (le « défendeur » ou l’« employeur »), datée du 16 novembre 2005, visant à ce qu’elle se soumette à une évaluation d’aptitude au travail par Santé Canada. Le 9 juillet 2008, l’employeur s’est opposé à la compétence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») au motif que le grief n’avait pas été déposé dans le délai prescrit dans la convention collective applicable à l’égard de la demanderesse (Institut professionnel de la fonction publique du Canada et le Conseil du Trésor, groupe Recherche, date d’expiration : 30 septembre 2006). Le défendeur a affirmé également qu’aucune preuve ne vient établir que la demanderesse a demandé une prorogation du délai prescrit pour déposer son grief.

2 Le 11 janvier 2008, la demanderesse a fait parvenir à la Commission des documents dans lesquels elle a affirmé vouloir se plaindre d’un [traduction] « comportement répréhensible, d’intimidation, d’un emploi abusif de l’autorité, de harcèlement et de discrimination […] ». Aucun grief n’ayant été déposé auprès du défendeur, les documents ont été retournés à la demanderesse, conformément à la pratique de la Commission. La demanderesse a été informée du fait que les délais prescrits pour déposer un grief avaient pu expirer, de même que de son droit de demander une prorogation de ces délais. Elle a été informée également que [traduction] « toute demande doit être déposée sans délai ».

3 La demanderesse est maintenant représentée par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC). Elle a déposé un grief le 18 avril 2008.

4 Le 23 juillet 2008, le représentant de la demanderesse a répondu et demandé le rejet de l’objection du défendeur. Bien qu’il n’ait pas demandé directement la prorogation des délais, le président a déduit des arguments qu’une prorogation des délais était demandée.

5 Conformément à l’article 45 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, le président m’a autorisé, en ma qualité de vice-président, à exercer tous ses pouvoirs ou à m’acquitter de toutes ses fonctions en application de l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique pour entendre et trancher toute question se rapportant à la prorogation d’un délai.

6 La demanderesse a déposé également une plainte fondée sur les droits de la personne, et elle allègue dans son grief avoir été victime de discrimination. La Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) a reçu un avis (formule 24) et été informée de la demande de prorogation de délai. Le 12 août 2008, la CCDP a déclaré qu’elle n’avait pas l’intention de présenter des arguments.

II. Résumé de la preuve

7 La demanderesse a été informée qu’elle devait se soumettre à une évaluation d’aptitude au travail le 16 novembre 2005. Elle s’est informée de ses droits à la CCDP le 6 novembre 2006. En décembre 2006, la CCDP lui a fait parvenir la lettre suivante :

[Traduction]

Je vous écris pour faire suite à votre demande reçue le 6 novembre 2006, à l’encontre d’Élections Canada. Nous croyons comprendre qu’il existe une procédure de règlement des griefs dont vous pouvez vous prévaloir, et que cette procédure permettra de traiter des allégations faites dans votre plainte.

L’alinéa 41(1)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi) prescrit que la Commission canadienne des droits de la personne peut refuser d’examiner une plainte lorsque la victime présumée de l’acte discriminatoire doit épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts. Dans votre cas, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique vous donne le droit de déposer un grief sur les questions que vous soulevez; le grief peut inclure des allégations de discrimination. Cela étant, la Commission ne peut accepter votre plainte à ce moment-ci, et vous suggère de déposer votre grief par l’intermédiaire de votre syndicat de manière à pouvoir régler ces questions. Pour votre information, vous trouverez le site Internet de la Commission des relations de travail dans la fonction publique à l’adresse suivante : www.pslrb-crtfp.gc.ca/main_f.asp.

Si, à l’issue de la procédure de règlement des griefs, vous n’êtes pas satisfaite des résultats, vous pourrez alors demander à la Commission d’examiner votre plainte. Dans ce cas, vous devriez communiquer avec la Commission dans un délai de 30 jours suivant le dénouement de la procédure de règlement des griefs, et lui fournir une documentation démontrant que la procédure de règlement des griefs est achevée (normalement, cela devrait se traduire par une décision écrite). Le personnel de la Commission déterminera alors si une plainte est appropriée et opportune, et si elle satisfait aux conditions énoncées dans la Loi aux fins de la compétence de la Commission. Le personnel de la Commission examinera également le résultat de cette autre procédure pour déterminer si les allégations de discrimination ont été traitées dans le cadre de celle-ci. Un agent formulera ensuite une recommandation sur la question de savoir si la Commission devrait statuer sur la plainte ou non.

Vous devriez savoir que le personnel de la Commission n’a pas évalué les faits qui ont donné naissance à votre décision de communiquer avec la Commission. Plus particulièrement, nous n’avons pas déterminé si une plainte fondée sur les droits de la personne serait appropriée ou opportune dans les circonstances, ou si la Commission est compétente pour statuer sur la situation que vous décrivez. Veuillez noter qu’aucune plainte fondée sur les droits de la personne n’a été déposée.

[Le passage souligné l’est dans l’original]

8 La demanderesse a déposé une plainte à la CCDP le 30 novembre 2007. La CCDP a écrit à la demanderesse le 18 décembre 2007 :

[Traduction]

La présente fait suite à la documentation que vous avez remise à la Commission canadienne des droits de la personne le 30 novembre 2007, et à nos conversations téléphoniques du 18 décembre 2007.

Ainsi qu’il est écrit dans la lettre que vous a fait parvenir Fiona Keith, gestionnaire intérimaire, le 4 décembre 2006, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique vous confère le droit de déposer un grief sur les questions que vous soulevez. Si vous ne parvenez pas à faire régler les questions soulevées dans le cadre de votre procédure de règlement des griefs, vous devriez savoir que, dans certains cas, il est possible de déposer un grief individuel directement auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP). Nous vous suggérons de tenter de le faire […]

[…]

N’oubliez pas que, conformément à l’alinéa 41(1)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission canadienne des droits de la personne peut refuser de statuer sur une plainte lorsque la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts. Par conséquent, avant que la Commission ne puisse aller de l’avant avec votre plainte, nous exigeons une confirmation écrite de la décision prise par votre syndicat ou la CRTFP ou une lettre de la CRTFP indiquant que […] elle ne peut statuer sur votre grief.

III. Résumé de l’argumentation

9 Les arguments des parties ont été condensés. Ils ont été déposés dans leur intégralité au dossier de la CRTFP.

A. Pour la demanderesse et fonctionnaire s’estimant lésée

10 Dans une lettre datée du 23 juillet 2008, le représentant de la demanderesse a dit ceci :

[Traduction]

Nous demandons que l’objection de l’employeur soit rejetée sur le fondement des explications fournies par Mme Chan. Cette dernière a déposé deux plaintes auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), et toutes deux se rapportent à l’objet du grief.

Elle a tenté de faire régler ses questions dans le cadre du processus de plainte à la CCDP, et a été informée le 18 décembre 2007 qu’elle devait épuiser les procédures de règlement des griefs avant que la Commission ne puisse se pencher sur sa plainte. Mme Chan ignorait l’existence du délai pour déposer un grief. Son dossier était d’autant plus compliqué qu’elle a éprouvé également des problèmes de santé, qui ont entraîné le retard dans le dépôt de son grief. L’employeur ne subirait aucun préjudice si le grief était entendu à ce moment-ci.

Pour tous les motifs qui précèdent et les explications fournies par notre membre dans les documents joints, nous demandons avec égards que l’objection de l’employeur soit rejetée et qu’une date d’audience soit fixée immédiatement.

11 Dans le document joint, la demanderesse a fait valoir ce qui suit :

[Traduction]

Je demande que l’objection de l’employeur soit rejetée compte tenu du fait que je n’ai pas manqué de délai. Voici la séquence chronologique des événements :

2006/11 —
J’ai déposé deux plaintes de harcèlement et de discrimination. L’une a été soumise à Élections Canada (employeur) et l’autre, à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP).

Elles se rapportent toutes deux à l’objet du grief.

Je me suis adressée à la CCDP parce que je ne faisais pas confiance au processus d’enquête interne de l’employeur et parce que j’ignorais l’existence de la Commission.

2006/12 —
L’employeur a promis la tenue d’une enquête.

2006/12/04 —
La CCDP m’a informée qu’elle attendrait l’issue de l’enquête de l’employeur. Elle m’a proposé de communiquer avec elle au terme de l’enquête de l’employeur si je n’étais pas satisfaite des résultats. Elle m’a accordé un délai de 30 jours à cet égard […]

Dans la lettre, elle [CCDP] a mentionné la CRTFP, mais au téléphone on m’a dit que l’enquête de l’employeur était identique à celle de la CRTFP.

Pour confirmer la conversation téléphonique, veuillez appeler Courtney Powless, à la CCDP.

2007/11/5—
J’ai déposé une autre plainte à la CCDP. Vingt-quatre (24) jours après l’enquête […]

2007/12/18 —
La CCDP m’a informée que je devais épuiser tous les recours qui me sont ouverts et m’adresser à la CRTFP.

[…]

2008/01/11 —
J’ai déposé une plainte à […] la CRTFP.

2008/01/14 —
Susan Mailer, de la CRTFP, a répondu […]

2008/04/16 —
Mon syndicat, l’IPFPC, m’a aidé à lancer la procédure de règlement des griefs.

PREMIÈREMENT, je n’ai pas laissé expirer le délai de 25 jours après l’enquête. J’ai suivi les directives que la CCDP m’a données en 2006 et j’ai déposé une plainte dans un délai de 24 jours.

Lorsque j’ai déposé une plainte pour la première fois en 2006, j’ai appris qu’il ne pouvait y avoir qu’une seule enquête à la fois. Comme je me suis d’abord adressée à la CCDP en 2006, j’ai poursuivi avec la CCDP en 2007, sans m’adresser à votre organisme. À mon sens, comme j’avais déposé une plainte auprès d’un organisme (CCDP) après l’enquête, j’avais fait mon travail pour respecter le délai de 25 jours.

DEUXIÈMEMENT, je n’ai laissé expirer aucun délai après la réception de la lettre de Mme Mailer (de la CRTFP) non plus. Dans sa lettre, elle ne faisait mention d’aucun délai.

Je ne suis pas une experte dans ce domaine ni ne connaît aucun délai ni aucune procédure; je me contente de suivre les instructions que l’on me donne. Si j’avais connu l’existence d’un délai, je l’aurais respecté peu importe.

La preuve révèle que j’ai respecté le délai de la CCDP en 24 jours, même si j’éprouvais alors des douleurs à la poitrine et au ventre (voir le diagnostic de mon médecin de famille, la Dre L. Tang, et le renvoi au Dr J.G. Boulais, psychologue.).

Après avoir reçu les instructions de Mme Mailer, je me suis détendue un peu pour ma propre santé, qui n’était pas encore bonne à l’époque. J’ai quand même consulté le Dr Boulais. Ma dernière visite s’est déroulée le 15 avril 2008 (voir le reçu; selon la règle, il faut payer pour chaque visite).

Comme vous pouvez le voir, je me suis détendue parce que 1) l’on ne m’a informée d’aucun délai, et parce que 2) j’éprouvais des problèmes de santé.

Si vous le souhaitez, je peux obtenir le témoignage du Dr Boulais (remarquez que la Dre Tang vous a déjà renseigné sur ma santé dans sa recommandation).

TROISIÈMEMENT, j’ignore comment l’employeur arrive à un compte de deux ans. Il savait que j’avais déposé une plainte depuis le mois de novembre 2006. La CCDP l’a informé également d’un suivi si je n’étais pas satisfaite du résultat de son enquête (voir la lettre de 2006 de la CCDP).

[…]

Il a terminé sa propre enquête en novembre 2007 et devait s’attendre à ce que la CCDP aille de l’avant par la suite. Comment l’employeur en arrive-t-il à un compte de deux ans?

La seule chose que l’employeur puisse faire valoir, c’est que j’aurais dû déposer mon grief dans un délai de six mois après l’incident. Je n’ai pas respecté [le délai de] six mois parce que j’étais atterrée par l’incident par suite duquel j’ai été forcée de quitter mon travail pour une raison que j’ignorais, et j’ai éprouvé une série de problèmes de santé après cela (la preuve médicale est disponible sur demande et sera présentée à l’audience). Il m’a fallu des mois pour m’en remettre. Après avoir perdu soudainement mon travail, j’ai dû lutter pour ma survie économique et non pour la plainte. Par conséquent, j’ai sans le savoir laissé expirer le délai de six mois. En revanche, je n’ai pas laissé écouler le délai d’un an.

Peut-être conviendrait-il davantage que vous communiquiez avec Mme Powless, de la CCDP. Elle sait pourquoi en 2007 elle m’a demandé de m’adresser à vous, et pourquoi en 2006 la CCDP m’a suggéré de communiquer avec elle après l’enquête de l’employeur.

La CCDP a réservé une période de temps pour moi, même si vous permettez à l’employeur d’invoquer « la prescription » comme excuse. Il doit y avoir une raison pour laquelle la CCDP aimerait que vous m’entendiez avant qu’elle n’aille de l’avant.

Pour toutes ces raisons, je demande que l’objection de l’employeur soit rejetée.

B. Pour le défendeur et employeur

12 Le défendeur a répondu le 30 juillet 2008 dans les termes suivants :

[Traduction]

[…]

L’employeur comprend bien la situation de la fonctionnaire s’estimant lésée, mais il soutient qu’elle n’a offert aucune raison claire, logique et convaincante pour justifier le retard dans le dépôt de son grief.

Le grief de Mme Chan se rapportait à la demande de l’employeur visant à ce qu’elle se soumette à une évaluation d’aptitude au travail, [un] événement qui s’est produit le 16 novembre 2005, de même qu’à l’allégation suivant laquelle l’employeur a contrevenu à l’article 44 de la convention collective applicable. Le fait qu’elle a déposé une plainte de harcèlement, qui a mené à une longue enquête, est sans pertinence en ce qui concerne le grief déposé par Mme Chan le 17 avril 2008. C’est en novembre 2005 que la fonctionnaire s’estimant lésée a pris connaissance des faits qui ont donné naissance à son grief et, pour cette raison, le grief a été déposé environ deux ans et demi trop tard.

Dans sa lettre datée du 22 juillet 2008, la fonctionnaire s’estimant lésée soutient qu’elle n’était pas au courant de l’existence de la procédure de règlement des griefs. Elle fait valoir également qu’elle a été en quelque sorte « induite en erreur » dans son interprétation de la directive offerte par la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP). Dans sa lettre à la fonctionnaire s’estimant lésée datée du 4 décembre 2006, la CCDP l’a informée en des termes clairs de son droit de déposer un grief sous le régime de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) en plus de lui [indiquer] une manière de demander des renseignements supplémentaires :

Dans votre cas, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique vous donne le droit de déposer un grief sur les questions que vous soulevez; le grief peut inclure des allégations de discrimination. Cela étant, la Commission ne peut accepter votre plainte à ce moment-ci, et vous suggère de déposer votre grief par l’intermédiaire de votre syndicat de manière à pouvoir régler ces questions. Pour votre information, vous trouverez le site Internet de la Commission des relations de travail dans la fonction publique à l’adresse suivante : www.pslrb-crtfp.gc.ca /main_f.asp (je souligne).

Dans sa lettre à la fonctionnaire s’estimant lésée datée du 18 décembre 2007, la CCDP a réitéré le contenu de la lettre du 4 décembre 2006. L’employeur soutient que la fonctionnaire s’estimant lésée connaissait dès le mois de décembre 2006 qu’il existait une procédure de règlement des griefs et qu’elle avait le droit de déposer un grief. La fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas déposé de grief au mois de décembre 2006 ou vers cette date, ni n’a-t-elle communiqué avec son syndicat, en dépit de la recommandation de la CCDP.

En outre, à la suite de la lettre de Mme Mailer datée du 11 janvier 2008, la fonctionnaire s’estimant lésée a attendu trois autres mois avant de déposer son grief. Cela indique chez elle un manque de diligence.

De plus, étant donné le fait que la fonctionnaire s’estimant lésée s’est prévalue de la procédure de plainte pour harcèlement ainsi que du recours prévu dans la Loi canadienne sur les droits de la personne dans les limites qu’elles prévoient chacune, l’employeur affirme qu’elle connaissait ou aurait dû connaître l’existence de la procédure de règlement des griefs et des délais dont elle est assortie à tout le moins depuis le 4 décembre 2006. Pour cette raison, la fonctionnaire s’estimant lésée aurait dû communiquer avec la CRTFP ou un représentant syndical pour obtenir des renseignements supplémentaires ou autres directives.

L’employeur fait valoir qu’à toutes les périodes pertinentes, la fonctionnaire s’estimant lésée a omis de faire preuve de diligence raisonnable, qu’elle connaissait ou aurait dû connaître l’existence du recours qui lui était ouvert sous le régime de la LRTFP et de sa convention collective, et qu’elle n’a fourni aucune raison claire, logique et convaincante pour justifier le long retard.

En ce qui concerne l’argument du syndicat selon lequel l’employeur ne subit aucun préjudice, nous sommes d’avis que le passage du temps cause à lui seul un préjudice. De plus, étant donné la nature du grief, l’exactitude des faits relatés par les témoins constituerait une partie essentielle de la preuve de l’employeur. Pour cette raison, si la CRTFP devait décider d’entendre l’affaire, la preuve de l’employeur serait grandement compromise par la perte de mémoire des témoins potentiels.

Pour toutes les raisons qui précèdent, l’employeur demande avec égards que l’affaire soit rejetée sans audience pour absence de compétence.

[…]

IV. Motifs

13 La présente demande de prorogation du délai se rapporte à une affaire qui aurait dû faire l’objet d’un grief au plus tard à la fin de 2005 (l’événement qui a donné naissance au grief s’est produit le 16 novembre 2005 ou vers cette date). Même si l’on admet qu’il faut tenir compte du fait que la demanderesse ignorait l’existence de la procédure de règlement des griefs et de la Commission pour déterminer à quel moment le délai pour déposer un grief a commencé à courir, la demanderesse a été informée par la CCDP de la nécessité de se prévaloir de la procédure de règlement des griefs en décembre 2006. Il n’y avait rien d’ambigu dans la lettre qu’elle lui a adressée. En conséquence, toute conversation téléphonique non prouvée que la demanderesse a pu avoir avec la CCDP n’est pas pertinente en ce qui a trait à la décision que je dois prendre. En conséquence, dans le meilleur des scénarios, la demanderesse a déposé son grief avec au moins quinze mois de retard.

14 La demanderesse soutient qu’à son avis, elle n’a pas laissé expirer le délai de 25 jours pour déposer un grief. Elle fait valoir que, parce qu’elle a déposé une plainte auprès de la CCDP 24 jours après la clôture de l’enquête de l’employeur sur sa plainte de harcèlement, les délais ne sont pas prescrits à son égard. La demanderesse soutient que le délai pour déposer un grief dans le cadre de la procédure de règlement des griefs prévue dans sa convention collective n’est pas prescrit parce qu’elle a déposé une plainte de discrimination auprès de la CCDP. Une plainte déposée auprès de la CCDP sous le régime de la LCDP n’est pas un grief déposé auprès de l’employeur en application de la LRTFP. Cette loi prévoit clairement qu’un fonctionnaire s’estimant lésé doit déposer un grief auprès de l’employeur dans un délai prescrit et que, si le fonctionnaire s’adresse à un autre tribunal, il ne satisfait pas à la condition énoncée dans la LRTFP de déposer un grief. Je remarque que le représentant de la demanderesse n’a pas fait valoir que son grief a été déposé dans les délais prescrits. De toute évidence, le grief a été déposé hors délai, et la question en litige dans la présente décision est celle de savoir si je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire pour accorder une prorogation du délai.

15 Pour les motifs qui suivent, j’en suis arrivé à la conclusion qu’il ne convient pas d’exercer mon pouvoir discrétionnaire pour proroger le délai dans la présente affaire.

16 La jurisprudence de la CRTFP a permis d’établir clairement les critères de base dont il faut tenir compte pour déterminer s’il y a lieu d’exercer le pouvoir discrétionnaire et d’accorder une prorogation du délai :

  • le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
  • la durée du retard;
  • la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;
  • l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;
  • les chances de succès du grief.

(Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1).

17 Les arguments de la demanderesse, énoncés par elle-même et par son représentant, reposent sur trois des facteurs énumérés précédemment : la justification du retard par des raisons claires, logiques et convaincantes, la diligence raisonnable de la demanderesse et, enfin, l’équilibre entre l’injustice causée à l’employée et le préjudice que subit l’employeur.

18 La demanderesse soutient que sa maladie justifie le temps qu’elle a mis à déposer son grief. Bien que la maladie puisse justifier un certain retard dans le dépôt d’un grief, la gravité de la maladie telle qu’elle est décrite par la demanderesse ne justifie pas le long délai qui s’est écoulé avant qu’elle ne dépose un grief. Dans la présente affaire, la fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas présenté à la Commission des raisons suffisamment claires, logiques et convaincantes liées à sa santé pour expliquer et justifier le délai écoulé avant qu’elle ne dépose son grief.

19 La demanderesse et son représentant font valoir qu’elle a fait preuve de diligence pour faire avancer cette affaire et énoncent en détail les mesures qu’elle a prises pour faire régler la question. J’en arrive à la conclusion que la demanderesse aurait dû plus faire preuve de diligence pour faire valoir ses droits devant la Commission. Ainsi qu’il est indiqué précédemment, elle avait été informée de son droit de déposer un grief au plus tard en décembre 2006, alors qu’elle n’a agi qu’en avril 2008.

20 En l’absence de raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le retard, il n’est pas nécessaire de trancher la question du préjudice que subirait l’employeur. Cependant, j’en arrive à la conclusion que le long délai d’environ quinze mois dans la présente affaire causerait un préjudice important au défendeur.

21 Même si les explications formulées par la demanderesse sont considérées ensemble, je suis d’avis qu’il n’y a pas suffisamment de raisons de proroger le délai.

22 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

23 La demande de prorogation d’un délai (dossier de la CRTFP 568-02-185) est rejetée.

24 Le renvoi à l’arbitrage (dossier de la CRTFP 566-02-2097) est fermé.

Le 27 octobre 2008.

Traduction de la CRTFP

Ian R. Mackenzie,
vice-président
et arbitre de grief

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