Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant s'est plaint du fait que la défenderesse n'a pas respecté son obligation de négocier de bonne foi en vertu de l'article 106 de la Loi, pour les raisons suivantes: elle n'a pas fourni promptement les données ayant trait à la paye; elle a annulé ou a fait en sorte que soient annulées plusieurs séances de négociation; elle a menacé d'agir unilatéralement pour mettre en œuvre sa proposition concernant le report des congés; elle a aboli quatre postes faisant partie de l'unité de négociation, y compris deux postes occupés par des représentants actifs de l’agent négociateur; elle a présenté tardivement une proposition selon laquelle la convention collective serait disponible uniquement sous forme électronique - le plaignant a par la suite demandé l'arbitrage pour surmonter l'incapacité des parties de conclure une convention collective - la défenderesse a soulevé une objection selon laquelle le plaignant ne pouvait à la fois déposer une plainte de négociation de mauvaise foi et demander l'arbitrage - la Commission a conclu que l'arbitrage demandé ultérieurement n'empêchait pas le plaignant de poursuivre le traitement de sa plainte : Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2008 CRTFP 50, distinguée quant aux faits - la Commission a statué que la défenderesse était partiellement responsable d’avoir retardé la négociation collective - la Commission a également décidé que la défenderesse n'avait pas fourni promptement les données ayant trait à la paye demandées par le plaignant - la Commission a déclaré que la défenderesse n'avait pas fait tout effort raisonnable pour conclure une convention collective. Plainte accueillie en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-10-03
  • Dossier:  561-32-188
  • Référence:  2008 CRTFP 78

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

plaignant

et

AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

défenderesse

Répertorié
Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence canadienne d’inspection des aliments

Affaire concernant une plainte visée à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, commissaire

Pour le plaignant:
Christopher Rootham, avocat

Pour la défenderesse:
Karen Clifford, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 26 au 29 août 2008.
(Traduction de la CRTFP)

1. Plainte devant la Commission

1 Le 18 octobre 2007, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (le « plaignant ») a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») en vertu de l’alinéa 190(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, contre l’Agence canadienne d’inspection des aliments (la « défenderesse »). Le plaignant avance que la défenderesse a enfreint l’article 106 de la Loi et a contrevenu à son devoir de négocier collectivement de bonne foi.

2 La plainte a trait à la négociation collective entreprise pour renouveler la convention collective de ce que les parties appellent l’unité de négociation du groupe scientifique et analytique (l’« unité de négociation »). Le plaignant est accrédité sous le régime de la Loi comme représentant de l’unité de négociation. La convention collective a expiré le 13 juin 2007. Le plaignant a signifié un avis de négocier collectivement à la défenderesse le 23 février 2007, entamant ainsi le processus de négociation collective.

3 Dans la plainte, il est allégué que la défenderesse a manqué à son obligation de négocier de bonne foi pour les raisons suivantes : elle n’a pas fourni, dans un délai raisonnable, les données ayant trait à la paye demandées par le plaignant; elle a annulé ou a fait en sorte que soient annulées plusieurs séances de négociation; elle a menacé d’agir unilatéralement en mettant en œuvre sa proposition concernant le report des congés annuels et elle a aboli quatre postes à l’unité de négociation dont deux étaient occupés par des représentants actifs de l’agent négociateur.

4 En juillet 2008, les parties ont convenu que la plainte serait modifiée afin qu'elle inclue une allégation additionnelle relativement à une proposition de négociation déposée par la défenderesse le 23 janvier 2008. Celle-ci proposait que la convention collective soit disponible uniquement sous forme électronique.

II. Objection préliminaire

A. Positions des parties

5 La défenderesse soutient qu’après la présentation de la plainte, la négociation collective s’est poursuivie et qu’il y a eu médiation entre les parties. Puis, le 3 avril 2008, le plaignant a demandé la constitution d’un conseil d’arbitrage. Selon la défenderesse, le plaignant ne peut recourir simultanément au processus d’arbitrage et au processus de règlement des plaintes pour alléguer qu’il y a eu négociation de mauvaise foi. >

6 De plus, la défenderesse fait valoir que la question de la négociation de mauvaise foi est théorique, puisque le plaignant a demandé le renvoi à l’arbitrage. La plainte n’a plus sa raison d’être, puisque l’objectif, qui est de conclure une convention collective, sera atteint par voie d’arbitrage.

7 À l’appui de son argument, la défenderesse se réfère principalement à Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2008 CRTFP 50. Dans cette décision, la Commission a statué qu’un plaignant ne pouvait demander la constitution d’un conseil d’arbitrage et déposer une plainte alléguant la négociation de mauvaise foi en même temps. Dans cette affaire, le plaignant avait déposé une plainte quatre mois après avoir demandé la constitution d’un conseil d’arbitrage.

8 En l’espèce, le plaignant a d’abord déposé plainte et puis a demandé le renvoi à l’arbitrage. Même si la chronologie des événements est différente de celle dans 2008 CRTFP 50, selon la défenderesse, le plaignant ne peut maintenir sa plainte, puisque par la suite, il a présenté une demande d’arbitrage. En présentant cette demande, il admettait que les parties avaient négocié collectivement de bonne foi.

9 Le plaignant affirme que la situation dans 2008 CRTFP 50 est différente de celle en l’espèce. En effet, quand la plainte examinée ici a été déposée, le plaignant n’avait pas encore demandé la constitution d’un conseil d’arbitrage. De plus, au moment de l’audience, un conseil d’arbitrage n’avait pas encore été établi. Dans 2008 CRTFP 50, le plaignant avait déjà présenté une demande d’arbitrage lorsqu’il a déposé la plainte, et le conseil d’arbitrage avait rendu sa décision arbitrale quand la plainte a été entendue.

10 Selon le plaignant, en l’espèce, la Commission n’est pas liée par la décision rendue dans 2008 CRTFP 50, puisque la doctrine stare decisis ne s’applique pas aux décisions de la Commission. La jurisprudence a établi qu’un tribunal administratif peut rendre des décisions opposées à l'égard d'une seule et même question.

11 Le plaignant soutient également que la Loi doit être interprétée dans son ensemble et qu’une partie de la Loi ne peut être interprétée de façon isolée. Dans 2008 CRTFP 50, la Commission a interprété l’article 135 de la Loi isolément. Au lieu de cela, cet article devrait être interprété à la lumière du préambule de la Loi, qui réaffirme que la négociation collective est au cœur du régime des relations de travail. Il y a lieu d’interpréter toute disposition de la Loi qui est ambiguë en prenant en considération l’objectif et le préambule de la Loi.

12 Le plaignant fait valoir que l’obligation de négocier de bonne foi commence dès qu’un avis de négocier collectivement a été donné, et continue après que l’une des parties demande l’arbitrage. Si l’obligation se poursuit, à ce moment-là, le recours visant à mener à bien ce processus, soit le droit de déposer une plainte de négociation de mauvaise foi, continue d’exister.

13 Le plaignant soutient également que la Commission ne devrait pas empêcher une partie innocente d’exercer ses droits aux termes de la Loi. Dans 2008 CRTFP 50, on lit que si une partie négocie collectivement de mauvaise foi, l’autre ne peut pas demander l’arbitrage. La Loi doit être interprétée d’une manière qui autorise une partie à demander l’arbitrage et à déposer parallèlement une plainte de négociation de mauvaise foi.

14 À l’appui de ses arguments, le plaignant m’a référé aux décisions suivantes : Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42; Breau et al. c. Conseil du Trésor (Justice Canada), 2003 CRTFP 65; Calgary Fire Fighters Association, Local 255 I.A.F.F. v. Calgary (City), [2005] Alta. L.R.B.R. LD-026; Universal Workers Union, Labourers’ International Union of North America, Local 183 v. Dagmar Construction Inc., [2003] OLRB Rep. November/December 1029; Domtar Inc. c. Québec (Commission d’appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756; Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27; Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aéroastronautique, section locale 2413 c. General Aviation Services Ltd. (1982), 51 di 71 (C.C.R.T.); United Nurses of Alberta v. Provincial Health Authorities of Alberta, [2003] Alta. L.R.B.R. 376.

B. Décision

15 La plainte a été déposée en vertu de l’alinéa 190(1)b) de la Loi, qui renvoie à l’article 106 de cette même loi. Voici les deux dispositions :

      190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle

[…]

b) l’employeur ou l’agent négociateur a contrevenu à l’article 106 (obligation de négocier de bonne foi);

[…]

      106. Une fois l’avis de négociation collective donné, l’agent négociateur et l’employeur doivent sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties,

a) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;

b) faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

16 Pour statuer sur l’objection soulevée par la défenderesse, je dois également examiner l’article 135 de la Loi. La section 9 de la Partie 1 de la Loi commence par l’article 135, formulé comme suit :

      135. La présente section s’applique à l’employeur et à l’agent négociateur représentant une unité de négociation dans le cas où :

a) d’une part, le mode de règlement des différends applicable à l’unité de négociation est le renvoi à l’arbitrage;

b) d’autre part, les parties ont négocié de bonne foi en vue de conclure une convention collective, mais n’ont pu s’entendre sur une condition d’emploi qui peut figurer dans une décision arbitrale.

17 La défenderesse s’oppose à la plainte déposée le 18 octobre 2007, en faisant valoir que le plaignant a demandé l’arbitrage le 3 avril 2008. D’après la défenderesse, les deux procédures ne peuvent être utilisées simultanément. En demandant l’arbitrage, toujours d’après la défenderesse, le plaignant a admis que les conditions énoncées à l’article 135 de la Loi avaient été respectées. À l’appui de son argument, la défenderesse se réfère essentiellement à l’extrait suivant de 2008 CRTFP 50 :

[…]

 [40]   La Loi est conçue de sorte qu’il doit y avoir négociation de bonne foi avant qu’un conseil d’arbitrage soit formé. En demandant l’arbitrage le 12 septembre2006, le plaignant admettait implicitement qu’il y avait eu négociation de bonne foi, sans quoi l’article 135 de la Loi l’empêchait de soumettre sa demande. Plus tard, le président intérimaire de la Commission définissait, dans une décision rendue le 5 décembre 2006, le mandat du conseil d’arbitrage. En agissant ainsi, il acceptait implicitement qu’il y avait eu négociation de bonne foi entre les parties. Enfin, le même raisonnement s’applique au conseil d’arbitrage lorsqu’il a siégé les 31 janvier et 1er février 2007 et qu’il a rendu sa décision le 14 février 2007.

[41]   Les deux recours sont effectivement contradictoires. Si le plaignant avait procédé en sens inverse, c’est-à-dire en déposant d’abord une plainte de négociation de mauvaise foi, la demande d’arbitrage aurait été automatiquement irrecevable – le président n’aurait pu en bonne conscience établir le conseil d’arbitrage.

[…]

Je suis conscient du fait que 2008 CRTFP 50 fait actuellement l’objet d’un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale du Canada, no de dossier T-1188-08.

18 Dans 2008 CRTFP 50, on a demandé l’arbitrage quatre mois avant la présentation d’une plainte de négociation de mauvaise foi. De plus, un conseil d’arbitrage avait déjà été établi par le président de la Commission au moment du dépôt de la plainte. Finalement, quand la plainte a été entendue, le conseil d’arbitrage avait rendu sa décision arbitrale.

19 Comme l’a fait valoir le plaignant, la chronologie des événements distingue le cas examiné ici de l’affaire 2008 CRTFP 50. Dans cette affaire, quand la plainte a été déposée, le plaignant avait déjà demandé l’arbitrage. En l’espèce, la demande d’arbitrage a été présentée quelques mois après la plainte et les incidents qui y étaient à l’origine.

20 Pour statuer sur l’objection, la Commission est tenue d’examiner la situation telle qu’elle se présentait en octobre 2007, quand la plainte a été déposée, et telle qu’elle était le 23 janvier 2008, la date de l’incident ayant entraîné la modification. À ce moment-là, le plaignant n’avait pas encore demandé l’arbitrage. Si la plainte avait été entendue avant avril 2008, cette objection n’aurait pas été soulevée.

21 À la lumière de ce qui précède, je rejette l’objection soulevée par la défenderesse. Il se peut qu’il y ait eu mauvaise foi le 18 octobre 2007 et le 23 janvier 2008 et il se peut que les parties aient négocié de bonne foi par la suite et jusqu’à ce que le plaignant dépose sa demande d’arbitrage. Il est nécessaire d’entendre les mérites de la plainte pour pouvoir décider si la défenderesse avait fait « […] tout effort raisonnable pour conclure une convention collective […] en octobre 2007 et en janvier 2008. En outre, je ne pense pas qu’il soit nécessaire à ce stade-ci de faire des observations au sujet des autres arguments soulevés par le plaignant concernant l’objection.

III. Résumé de la preuve

A. Pour le plaignant

22 Le plaignant a déposé 21 pièces à l’audience et a appelé plusieurs témoins : Jamie Dunn, négociateur du plaignant, André Thibodeau, président de l’unité de négociation et membre de l’équipe de négociation du plaignant, et Terry Peters, autre membre de l’unité de négociation du plaignant. Jacques Audette et Georges Laplante, tous deux agronomes régionaux employés par la défenderesse et agents du plaignant, ont été appelés à témoigner au sujet de l’allégation particulière concernant l’abolition de postes.

23 D’après les témoins, la négociation collective ayant pour but de renouveler la convention collective antérieure était très ardue. Elle a duré une vingtaine de mois. La majorité du temps, la défenderesse n’était pas préparée, et le plaignant a éprouvé beaucoup de frustration quant au déroulement du processus. Pour améliorer le processus suivi dans la ronde de négociations en cours, la question a été soulevée lors d’une réunion entre le plaignant et la défenderesse le 10 avril 2006.

24 Pour faciliter le processus de négociation collective, M. Dunn a élaboré un protocole qu’il a soumis à son homologue de l’époque, Tom McShane. Pour le plaignant, il était important que le protocole soit signé avant le commencement de la négociation. Après plusieurs échanges, le protocole a été signé le 12 juin 2007.

25 La première séance de négociation collective devait se tenir du 25 au 27 avril 2007. À ce moment-là, le plaignant n’avait pas encore reçu les données ayant trait à la paye qu’il avait demandées à la défenderesse le 23 février 2007. Par ailleurs, la défenderesse n’avait pas encore signé le protocole de négociation collective. Par conséquent, le plaignant a décidé d’annuler cette séance de négociation.

26 La séance de négociation collective subséquente était fixée à la troisième semaine de juin 2007. M. McShane a informé M. Dunn qu’il était sur le point de prendre sa retraite et qu’un autre négociateur serait engagé pour le remplacer. M. McShane était d’avis qu’il serait plus utile d’attendre l'engagement de son remplaçant et de reporter la séance de négociation au début de juillet 2007. M. Dunn a accepté de reporter ainsi la séance de négociation, qui a été fixée aux 4 et 5 juillet 2007.

27 Lors de la séance de négociation collective de juillet 2007, le négociateur de la défenderesse était toujours M. McShane, et un nouveau négociateur n’avait pas encore été engagé. Durant cette séance, les parties ont échangé leurs propositions de négociation et en ont discuté. Le ton des discussions était très positif, et la négociation a bien démarré.

28 La séance de négociation collective suivante s’est tenue les 14, 15 et 16 août 2007. La défenderesse était représentée par son nouveau négociateur, Denis Trottier. Le premier jour, M. Trottier a déposé la proposition de la défenderesse concernant le report des congés annuels. Il a indiqué qu’il s’agissait d’une importante préoccupation pour la défenderesse, qui voulait fixer un plafond pour le nombre de jours de congés annuels pouvant être reportés d’une année à l’autre. Après une discussion sur le sujet, il a annoncé que si les parties ne pouvaient s’entendre sur la question, la défenderesse adopterait la proposition toute seule. M. Trottier a ensuite demandé à avoir une discussion en l’absence de l’autre partie avec l’équipe de négociation de la défenderesse, et les représentants du plaignant ont quitté la pièce. L’équipe de négociation du plaignant était extrêmement mécontente de l’observation faite par M. Trottier, ainsi que du ton et du langage corporel de ce dernier.

29 Après cette discussion à part, les parties ont repris la négociation, et M. Trottier a essayé de corriger son affirmation antérieure en ajoutant que la défenderesse trouverait une solution au problème, si on ne réussissait pas à arriver à un accord à la table de négociation. Les représentants du plaignant n’étaient pas satisfaits de l’explication donnée par M. Trottier.

30 La séance de négociation suivante devait se tenir du 4 au 6 septembre 2007. La défenderesse a annulé la réunion pour avoir le temps de s’y préparer. Les parties se sont de nouveau rencontrées du 23 au 25 octobre 2007. À ce moment-là, la défenderesse n’était plus prête à faire preuve de souplesse à l’égard de certaines questions dont elle avait indiqué antérieurement qu’elles seraient soumises à la discussion.

31 La séance de négociation collective subséquente a eu lieu du 20 au 22 novembre 2007. Le plaignant a décidé de regrouper les questions, de retirer certaines propositions et d’en modifier d’autres. Les parties se sont rencontrées à nouveau du 22 au 24 janvier 2008, avec l’aide d’un médiateur de la Commission. Après avoir travaillé fort, elles ont réussi à régler quelques points secondaires. Cependant, plus tard durant cette séance, la défenderesse a déposé une nouvelle proposition selon laquelle la convention collective ne serait pas distribuée sur support papier mais serait accessible uniquement en format électronique. Du point de vue du plaignant, cela signifiait que la défenderesse ne souhaitait plus négocier collectivement et, à ce moment-là, le plaignant a interprété cette décision comme voulant dire que la négociation était terminée.

32 Le plaignant a également déposé des éléments de preuve concernant la restructuration à laquelle se livrait la défenderesse dans la région du Québec. En octobre 2006, MM. Audette et Laplante ont été informés que la défenderesse restructurait ses opérations dans la région du Québec. Trois postes de gestion dans le secteur des inspections seraient créés à la Division de la production et de la protection des végétaux, mais quatre disparaîtraient, y compris ceux occupés par MM. Audette et Laplante. Un document donnant un aperçu de la restructuration a été présenté lors de cette réunion.

33 Au début de 2007, MM. Audette et Laplante ont rencontré le directeur exécutif de la défenderesse responsable de la région du Québec pour lui faire part de leurs préoccupations concernant la restructuration. Plus tard, au printemps de 2007, MM. Audette et Laplante ont participé à une réunion informelle dans un restaurant, lors de laquelle ils ont réitéré leurs préoccupations. Une autre réunion s’est tenue en septembre 2007, et MM. Audette et Laplante ont été informés de l’abolition de leurs postes. Finalement, le 20 juin 2008, ils ont reçu des lettres les déclarant employés excédentaires.

B. Pour la défenderesse

34 La défenderesse a déposé 16 pièces à l’audience et a appelé comme témoins M. Trottier et Marc Lapierre, qui était analyste de la négociation collective chez la défenderesse en 2007. Ange-Aimée Deschênes, directrice exécutive associée, région du Québec, et Claudia Pasters, gestionnaire des ressources humaines, région du Québec, ont également été appelées à témoigner à propos de l’allégation précise concernant l’abolition de postes.

35 Du point de vue de la défenderesse, les données ayant trait à la paye demandées par le plaignant le 23 février 2007 étaient nettement supérieures à ce que l’on demande d’ordinaire. La défenderesse n’avait aucune objection à fournir les données, mais elle avait besoin d’un certain temps pour les compiler. M. Lapierre était le seul analyste de la négociation collective, et il avait d’autres tâches à accomplir. De plus, il était en congé parental pendant un mois au printemps de 2007. Une partie des données ayant trait à la paye a été fournie au plaignant le 11 mai 2007, et le reste, le 31 juillet 2007. À aucun moment le plaignant ne s’est plaint à la défenderesse que l’information était incomplète. Par ailleurs, durant la négociation collective, le plaignant n'a exprimé aucune préoccupation concernant les données relatives à la paye.

36 M. Trottier admet que la déclaration qu'il avait faite au sujet du report des congés annuels était peu claire. Il s’agissait de sa première réunion de négociation collective en tant que nouveau négociateur, et il était nerveux. Il a dit que la défenderesse pourrait à un certain moment fixer un plafond pour le report des congés, même en se fondant sur la convention collective telle qu'elle était formulée à ce moment-là. Immédiatement après avoir fait cette déclaration, il a demandé la tenue d’une discussion en l'absence de l’autre partie. Lorsqu’il est revenu à la table de négociation, il s’est excusé pour l’affirmation qu’il avait faite, et la négociation a repris à propos d’une autre question.

37 La défenderesse admet qu’elle a demandé l’annulation de la séance de négociation collective de septembre 2007. L’équipe de négociation de la défenderesse avait besoin de temps pour se préparer et pour analyser davantage les propositions du plaignant. Le 20 août 2007, M. Trottier a envoyé un courriel à M. Dunn pour l’informer de l’annulation. M. Dunn n’a pas répondu.

38 M. Trottier admet qu’en janvier 2008, il a déposé tardivement une proposition selon laquelle la convention collective serait disponible uniquement en version électronique. À son avis, cette proposition donnerait au plaignant la possibilité de placer son logo dans la convention collective et d’y inclure un lien vers son site Web. Cette proposition renfermait également une requête que le plaignant retire cinq de ses propositions. Cette approche visait à amener le plaignant à réduire le nombre de ses propositions. Au début du processus, la défenderesse avait 5 propositions et le plaignant, 40.

39 La restructuration de la région du Québec n’a jamais été discutée à la table de négociation. L’objectif de la restructuration était d’harmoniser la structure de la Division de la production et de la protection des végétaux avec celle des autres divisions, et la structure de la région du Québec, avec celle des autres régions. La nouvelle structure a été créée en 2006 et a été communiquée aux employés en octobre 2006. La restructuration a été mise en œuvre en conformité avec la convention collective en vigueur.

IV. Résumé de l’argumentation

40 Dans son premier argument, le plaignant allègue que la défenderesse a enfreint l’article 106 de la Loi en annulant ou en reportant des séances de négociation collective. Après qu’un avis de négocier collectivement avait été signifié le 23 février 2007, le plaignant avait été obligé d’annuler une séance de négociation fixée à avril. Durant la séance de négociation qui a eu lieu du 14 au 16 août 2007, M. Trottier a passé le plus clair de la première journée à rencontrer l’équipe de négociation de la défenderesse. Puis, la défenderesse a annulé la séance de négociation qui devait se tenir du 4 au 6 septembre 2007. La raison de l’annulation était que l’équipe de négociation de la défenderesse avait besoin de temps pour examiner les propositions du plaignant déposées au début de juillet 2007. En reportant la négociation collective, la défenderesse ne faisait pas « […] tout effort raisonnable pour conclure une convention collective ».

41 Dans son deuxième argument, le plaignant allègue que la défenderesse a enfreint l’article 106 de la Loi en ne divulguant pas de l’information dans un délai raisonnable. Le 23 février 2007, le plaignant a demandé à la défenderesse de lui fournir des données ayant trait à la paye, ainsi que d’autres renseignements qui, d’après lui, étaient nécessaires pour permettre la négociation. La défenderesse a fourni une partie de l’information le 11 mai 2007, et le restant, le 31 juillet 2007.

42 Dans son troisième argument, le plaignant allègue que la défenderesse n’a pas négocié collectivement de bonne foi lorsqu’elle a menacé d’agir unilatéralement pour ce qui était de la question du report des congés annuels.

43 Dans son quatrième argument, le plaignant allègue que la défenderesse n’a pas négocié collectivement de bonne foi en entamant un exercice de restructuration durant la négociation. La défenderesse n’a pas soulevé la question à la table de négociation et a agi unilatéralement. Ce geste a entraîné l’abolition de certains postes, dont deux étaient occupés par des agents du plaignant. De plus, le plaignant avait déposé une proposition concernant la dotation demandant que [traduction] « [l]’employeur n’agisse pas de façon arbitraire ou déraisonnable en ce qui concerne les questions ayant trait à la dotation ». Par la suite, la défenderesse a apporté un changement aux conditions d’emploi pendant qu’une question connexe était en voie d’être discutée à la table de négociation.

44 Dans son cinquième argument, le plaignant allègue que la défenderesse n’a pas négocié collectivement de bonne foi en déposant une proposition à la dernière minute durant la médiation le 23 janvier 2008. Dans cette proposition tardive, la défenderesse indiquait son intention de ne plus publier la convention collective et de la remplacer par une version électronique uniquement. Dans cette proposition, la défenderesse demandait également au plaignant de faire plus de concessions. Cela montre que la défenderesse ne faisait pas d’effort pour conclure une convention.

45 À l’appui de ses arguments, le plaignant m’a référé aux affaires suivantes : Eastern Provincial Airways Ltd. c. CCRT, [1984] 1 C.F. 732 (C.A.); Syndicat canadien de la Fonction publique, division du transport aérien, section locale 4027 c. Iberia, Lignes aériennes d’Espagne, S.A. (1990), 80 di 165 (C.C.R.T.); Association canadienne des employés du transport aérien c. North Canada Air Ltd. (1981), 43 di 312 (C.C.R.T.); Syndicat des travailleuses/eurs de la Banque Nationale (CNTU) c. Banque Nationale du Canada, [2000] CCRI no 101; Graphic Arts International Union Local 12-L v. Graphic Centre (Ontario) Inc., [1976] 2 C.L.R.B.R. 118 (Ont. L.R.B.); Noreau c. La Société Radio-Canada (1979), 31 di 144 (C.C.R.T.); Canadian Union of Public Employees, Local 94 v. The Corporation of the City of North York, [1995] OLRD Rep. Septembre 1170; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Commission de la capitale nationale et al., dossiers de la CRTFP 148-29-218 et 161-29-761 (19951016); Le Syndicat national des travailleurs et travailleuses de l'automobile c. Air Atlantic Limited (1986), 68 di 30 (C.C.R.T.); Guay c. Cablevision du Nord de Québec Inc., Val d’Or (Québec) (1988), 73 di 173 (C.C.R.T.); Carr c. Halifax Grain Elevator Limited (1991), 86 di 97 (C.C.R.T.); Dionne c. Conseil de la Nation huronne-wendat (1998), 107 di 29 (C.C.R.T.).

46 La défenderesse soutient qu’elle a négocié collectivement de bonne foi à tout instant et qu’elle a respecté ses obligations en vertu de l’article 106 de la Loi.

47 La défenderesse s’oppose au fait que certains des événements ou incidents soulevés par le plaignant dans sa preuve et dans ses arguments n’ont pas été mentionnés dans la plainte déposée le 18 octobre 2007. La section 4 du formulaire 16, qui est utilisé pour déposer des plaintes, exige un énoncé concis décrivant chaque acte ou omission. Le plaignant n’a pas entièrement respecté cette règle. De cette manière, le plaignant a modifié ou étoffé unilatéralement sa plainte durant l’audience. De telles modifications ne devraient pas être autorisées, comme on l’a affirmé dans Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.).

48 En réponse au premier argument du plaignant, la défenderesse fait valoir que la preuve n’appuie pas l’allégation selon laquelle elle aurait annulé plusieurs séances de négociation collective. La preuve montre que deux séances de négociation ont été annulées, l’une par le plaignant et l’autre par la défenderesse. En juin 2007, la défenderesse a également reporté de deux semaines une séance de négociation.

49 Répondant au deuxième argument du plaignant, la défenderesse soutient que les données liées à la paye demandées par le plaignant étaient nettement plus détaillées que les données demandées ordinairement. La défenderesse a accepté de fournir l’information. Une partie en a été fournie en mai 2007 et le restant en juillet 2007. Compte tenu de sa charge de travail, M. Lapierre n’aurait pas pu fournir les données plus rapidement. Par ailleurs, le plaignant n’a présenté aucun élément de preuve montrant comment le manque de données aurait nui à la négociation collective.

50 En réponse au troisième argument du plaignant, la défenderesse admet que M. Trottier ne s’était pas exprimé clairement au sujet de la question du report des congés. S’étant rendu compte immédiatement qu’il avait peut-être été mal compris, il s’est excusé envers l’équipe de négociation du plaignant. Après cet incident, la négociation collective s’est poursuivie durant le restant de la journée.

51 En ce qui concerne le quatrième argument du plaignant, la défenderesse fait valoir que sa restructuration, qui n’avait rien à voir avec la négociation collective, a été amorcée en 2006, bien avant que l’avis de négocier collectivement eût été donné. Aucun poste n’a été aboli au moment de la plainte et des avis d’employé excédentaire ont été envoyés en juin 2008. Contrairement à ce qu’affirme le plaignant, ces questions ne faisaient pas l’objet de la négociation collective. En outre, la défenderesse n’a pas changé sa politique. Elle a simplement appliqué la politique en vigueur ou la partie pertinente de la convention collective.

52 Répondant au cinquième argument du plaignant, la défenderesse soutient qu’elle n’a pas enfreint la Loi en introduisant tardivement une proposition selon laquelle la convention collective serait disponible uniquement sous forme électronique. La proposition a été déposée « sous toutes réserves » durant la médiation. Par ailleurs, si l’on regarde la négociation collective dans son ensemble, la défenderesse avait 5 propositions, et le plaignant, 40. Dans le but d’égaliser les choses, la défenderesse souhaitait que le plaignant réduise le nombre de ses propositions.

53 À l’appui de ses arguments, la défenderesse m’a renvoyé aux décisions Association des pilotes fédéraux du Canada c. Conseil du Trésor, 2006 CRTFP 86; et Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 148-02-189 (19910507).

V. Motifs

54 La défenderesse s’est opposée au fait que le plaignant a présenté des éléments de preuve au sujet d’événements qui n’avaient pas été soulevés dans la plainte. D’après elle, en agissant ainsi, le plaignant a modifié sa plainte et la Commission ne devrait pas accepter de telles modifications, en se fondant sur la règle établie dans Burchill.

55 La règle établie dans Burchill n’est pas pertinente en l’espèce. Dans Burchill, la Cour a déclaré qu’un grief présenté à l’arbitrage ne peut différer de celui dont il a été question dans le cadre du processus interne de règlement des griefs. La question à soumettre à un arbitre de grief doit être précisée dans le grief ou doit avoir été discutée par les parties. En l’espèce, il s’agit d’une plainte déposée auprès de la Commission et non pas d’un grief. Il n’y avait pas de processus interne dans le cadre duquel la plainte avait été discutée. À vrai dire, la Commission constitue le premier et le seul niveau auquel la question est examinée. De plus, l’essence de la plainte n’a pas été modifiée, et la défenderesse a eu l’occasion de répondre à la preuve présentée par le plaignant.

56 Il y a également une jurisprudence abondante appuyant l’argument que la preuve admissible dans le contexte d'une plainte de négociation de mauvaise foi peut aller nettement au-delà des faits soulevés au moment de la plainte, l’objectif étant d’examiner le comportement des parties durant la négociation collective. Cette jurisprudence est bien résumée dans l’extrait suivant de Iberia, Lignes aériennes d’Espagne, S.A., à la page 170 :

[…]

Le caractère continu et permanent de l'obligation de négocier de bonne foi autorise donc le Conseil, saisi d'une plainte, à examiner l'ensemble du processus de négociation collective et à recevoir la preuve de tous les faits pertinents à cette négociation quel que soit le moment où les faits se sont produits. Le Conseil a reconnu et a appliqué ces règles de façon constante depuis l'affaire susmentionnée. […]

[…]

57 La plupart des éléments de preuve présentés n’ont pas été contredits. En bref, la défenderesse a mis plusieurs semaines à fournir les données ayant trait à la paye, a annulé une séance de négociation collective, a consacré pratiquement une journée entière de la séance de négociation collective dont la date avait été fixée à l’avance à une discussion en l’absence de l’autre partie, a présenté tardivement une proposition selon laquelle la convention collective serait disponible uniquement sous forme électronique et en octobre 2006 a annoncé une restructuration qui, au bout du compte, s’est traduite par l’abolition de postes. En outre, le 14 août 2007, M. Trottier a annoncé à l’équipe de négociation du plaignant que la défenderesse pourrait agir unilatéralement en ce qui concernait le report des congés. Il n’est pas clair si M. Trottier a formulé des excuses, mais les témoins du plaignant ont admis qu’il a fait un effort pour clarifier sa déclaration.

58 Il n’y a rien dans la preuve présentée qui m'amène à croire que la restructuration dans la région du Québec avait quelque chose à voir avec la négociation collective. En fait, la restructuration avait été annoncée en octobre 2006, longtemps avant le début de la négociation collective. Il n’y a rien dans la Loi ni dans la convention collective qui empêche la défenderesse de procéder à une restructuration quand et de la manière dont elle souhaite le faire, pour autant que les dispositions pertinentes de la convention collective soient respectées. Le plaignant a déposé la proposition suivante durant les négociations : [traduction] « L’employeur n’agira pas de façon arbitraire ou déraisonnable en ce qui concerne les questions liées à la dotation ». Cela n’empêchait pas la défenderesse de procéder à une restructuration, et elle n’a pas négocié collectivement de mauvaise foi en agissant ainsi, même si ladite proposition avait été présentée.

59 Les observations faites par M. Trottier en ce qui concernait le report des congés annuels n’étaient pas appropriées, fait reconnu par la défenderesse elle-même. Mais M. Trottier est revenu à l’équipe de négociation du plaignant et a essayé de rectifier la situation, ce que le plaignant a admis. Il ne s’agit pas d'un cas de négociation collective de mauvaise foi; il y a lieu de qualifier cela plutôt d’erreur commise par une personne dans l’exécution de ses fonctions.

60 C’est également la manière dont j’aimerais qualifier la proposition concernant la version électronique de la convention collective. La proposition a été présentée tardivement; elle aurait dû être introduite plus tôt dans le processus et elle a été mal présentée. La défenderesse a demandé au plaignant de renoncer à son droit à une version imprimée de la convention collective et, en même temps, de laisser tomber cinq de ses propositions. La défenderesse formulait des exigences, sans compromis. Le fait de recourir à une telle tactique de façon isolée ne constitue pas de la négociation collective de mauvaise foi au sens de la Loi. Il s’agit simplement d’une piètre tactique de négociation.

61 Cependant, l’annulation d’une séance de négociation collective, l’utilisation de temps de négociation à des fins de préparation et les délais dans la communication des données ayant trait à la paye constituent des incidents plus graves.

62 Si je me fonde sur la preuve présentée à l’audience, il n’y a aucun doute dans mon esprit que les actions de la défenderesse ou son manque d’action aient contribué à retarder la négociation collective. Le plaignant a annulé la séance du 25 au 27 avril 2007, en partie parce qu’il n’avait pas reçu, de la défenderesse, les données ayant trait à la paye. La séance de juin 2007 a été reportée de deux semaines à la demande de la défenderesse, avec l’accord toutefois du plaignant. Il n’y a pas eu de négociation collective face à face pendant une partie de la séance d’août 2007 parce que M. Trottier, qui venait d’être nommé négociateur représentant la défenderesse, avait besoin de temps pour rencontrer l’équipe de négociation de celle-ci en l’absence de l’autre partie. Finalement, la défenderesse a annulé la séance de septembre.

63 La défenderesse a expliqué que la séance de négociation collective de septembre avait été annulée parce que le nouveau négociateur qu’elle venait de nommer, M. Trottier, avait besoin de temps pour rencontrer son équipe de négociation afin de se préparer et afin d'examiner les 40 propositions déposées par le plaignant au début de juillet 2007. Même s'il est plus difficile de fixer des dates de réunion durant les mois d’été, la défenderesse avait beaucoup de temps entre l’arrivée de M. Trottier et le début de septembre 2007 pour tenir les réunions voulues, pour se préparer et pour étudier les propositions du plaignant. En n’utilisant pas ce temps, elle a retardé la négociation et n’a pas « […] fait tout effort raisonnable pour conclure une convention collective ».

64 Par conséquent, lorsque les parties se sont rencontrées pour leur séance de négociation le 23 octobre 2007, le nombre total de leurs rencontres en personne s'élevait à quatre jours sur une période de huit mois, à partir du moment où l’avis de négociation collective avait été donné le 23 février 2007. Il faut avoir beaucoup d’imagination pour dire qu’on faisait « […] tout effort raisonnable pour conclure une convention collective ». Le plaignant est à blâmer pour une petite partie de ces événements, mais la défenderesse pour le restant.

65 J’estime que la défenderesse n’a pas respecté son obligation légale en vertu de l’article 106 de la Loi en mettant beaucoup de temps à fournir au plaignant les données ayant trait à la paye. Les données avaient été demandées le 23 février 2007, qui était aussi le jour où l’avis de négociation collective avait été donné. Le 11 mai 2007, la défenderesse a fourni une partie des données, principalement de l’information ayant trait aux différents types de congé. Le 31 juillet 2007, la défenderesse a fourni le restant des données, qui montraient essentiellement la répartition des employés par classification, niveau salarial, sexe, âge, nombre de congés annuels autorisés et heures supplémentaires travaillées.

66 Je ne suis pas parvenu à trouver de la jurisprudence à la Commission concernant l’obligation de fournir des données ayant trait à la paye. Cependant, le Conseil canadien des relations industrielles, dans Société des ingénieurs professionnels et associés c. Énergie atomique du Canada Limitée, [2001] CCRI no 110, établit clairement qu’un employeur doit fournir de telles données pour remplir son obligation de négocier de bonne foi sous le régime du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. C-6. Le libellé du Code canadien du travail et celui de la Loi sont très similaires en ce qui concerne l’obligation de négocier de bonne foi.

67 Dans le cadre de la négociation collective, il est essentiel pour un agent négociateur de disposer de données détaillées sur la paye. Un agent négociateur ne peut déterminer le coût de ses propositions monétaires sans ces données. Il ne peut estimer l’impact financier de chacune de ces propositions. En bref, il ne peut négocier intelligemment.

68 La Loi précise qu’une fois l’avis de négociation collective donné, les parties ont 20 jours pour commencer à « […] faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective » à moins qu’elles en conviennent autrement. Étant donné qu’il est très difficile d’entreprendre sérieusement la négociation collective sans les données ayant trait à la paye,  à mon avis, la Loi laisse sous-entendre que la défenderesse devait fournir les données ayant trait à la paye dans un délai raisonnable une fois que le plaignant en avait fait la demande.

69 La tâche consistant à réunir des données relatives à la paye peut constituer une lourde tâche lorsqu’on considère que l’unité de négociation compte quelque 1 000 employés. La défenderesse a expliqué que les données ne pouvaient être obtenues directement et qu’il fallait les compiler. Un analyste aurait pu avoir besoin de plusieurs jours pour accomplir la tâche.

70 La négociation collective est un processus qu’il faut effectuer à des intervalles réguliers, généralement tous les deux ou trois ans, à des dates qui sont connues bien à l’avance des parties. L’alinéa 105(2)b) de la Loi précise que l’avis de négocier collectivement doit être donné dans les quatre derniers mois d’application de la convention. Les employeurs savent que, dans la plupart des cas, voire dans chaque cas, les agents négociateurs demanderont à obtenir des données ayant trait à la paye. Les employeurs eux-mêmes ont besoin de données ayant trait à la paye pour négocier sérieusement. La défenderesse, en tant qu’employeur, sait que chaque fois qu’elle négocie, elle doit respecter son obligation légale. Par conséquent, il n’y a aucune raison qui empêcherait la défenderesse de créer les systèmes requis et d’attribuer les ressources nécessaires à l’avance, afin qu’elle puisse fournir les données ayant trait à la paye rapidement après avoir reçu une demande à cet effet du plaignant.

71 La défenderesse a mis 77 jours pour fournir une partie des données, et 81 jours de plus pour fournir le reste. Manifestement, ce délai est trop long. La défenderesse a expliqué que M. Lapierre est le seul analyste des conventions collectives, qu’il était aussi occupé à accomplir d’autres tâches et qu’il était en congé pendant un mois au printemps de 2007. De toute évidence, cela ne dispense pas la défenderesse de satisfaire à l’obligation de négocier de bonne foi en vertu de la Loi. S’il y avait un manque de ressources humaines, la solution était assez simple, à savoir attribuer suffisamment des ressources.

72 Si je me base sur ce que j’ai entendu durant l’audience, je pense qu'il y a eu une certaine négociation collective de bonne foi après la reprise de la négociation en septembre 2007. Les progrès étaient très lents, mais au moins, les parties ont réussi à régler les questions secondaires.

73 Au moment de l’audience, les données ayant trait à la paye avaient été fournies. De plus, le plaignant avait demandé l’arbitrage. Dans l’actuelle ronde de négociation collective, une ordonnance d'exécution directe ne serait pas très utile.

74 La ronde antérieure de négociation collective entre les parties a duré 20 mois. La ronde en cours a commencé le 23 février 2007. Elle a déjà duré plus de 20 mois. Cet état de choses n’est pas propice à de saines relations de travail. Manifestement, on ne peut entièrement blâmer la défenderesse pour cette situation.

75 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

76 L’objection préliminaire de la défenderesse est rejetée.

77 La plainte est accueillie en partie. Je déclare que la défenderesse a omis de respecter l’article 106 de la Loi en ne faisant pas tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

Le 3 octobre 2008.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
commissaire

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