Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’Institut professionnel de la fonction publique du Canada a déposé un grief de principe pour le compte des employés du groupe Systèmes d’ordinateurs qui travaillent au sein des services correctionnels et qui ont droit à l’indemnité de facteur pénologique (IFP) sous le régime de leur convention collective - l’employeur s’est objecté, faisant valoir que le grief ne pouvait être un grief de principe, puisqu’il ne touchait qu’un pourcent des employés régis par la convention collective - l’article220 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique prescrit qu’un grief de principe peut être déposé s’il se rapporte à l’une ou l’autre partie à la convention collective ou à <<l’unité de négociation de façon générale>> - l’arbitre de grief a déterminé qu’il fallait donner à l’expression un sens qualificatif plutôt que quantitatif - l’application de la stipulation qui confère aux employés le droit à l’IFP était une question revêtant un intérêt général pour l’unité de négociation, sans égard aux circonstances individuelles. Objection rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-11-20
  • Dossier:  569-02-42
  • Référence:  2008 CRTFP 95

Devant un arbitre de grief


ENTRE

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

agent négociateur

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor
(Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief de principe renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour l'agent négociateur:
Steven Welchner, avocat

Pour l'employeur:
Dora Benbaruk, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 7 octobre 2008.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief de principe renvoyé à l'arbitrage

1 L’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) a déposé un grief de principe contre le Conseil du Trésor (CT ou l’« employeur ») alléguant qu’il avait enfreint l’article 40 de la convention collective s’appliquant au groupe Gestion des systèmes d’ordinateur (la « convention collective ») entre le CT et l’IPFPC, en vigueur du 22 décembre 2004 au 21 décembre 2007. L’article 40 de la convention collective traite de l’indemnité de facteur pénologique (IFP), une rémunération supplémentaire versée à certains membres de l’unité de négociation employés par le Service correctionnel du Canada (SCC) qui s’acquittent de responsabilités relatives à la garde de détenus autres que celles qu’assument les agents correctionnels. L’article 40 décrit les critères d’admissibilité à l’IFP et les règles régissant son versement.

2 L’unité de négociation du groupe Gestion des systèmes d’ordinateur (le « groupe CS ») compte environ 13 400 employés, dont 430 au SCC. Au cours de la période visée par le grief, entre 123 et 132 fonctionnaires parmi les 430 avaient droit à l’IFP. Ils sont répartis entre 42 établissements carcéraux situés dans toutes les régions du Canada.

3 À la suite de la signature de la convention collective en juillet 2006, l’employeur n’a pu payer l’IFP calculée aux nouveaux taux dans les 90 jours, comme le lui prescrivait le paragraphe 117a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). Au moment où l’avis de négocier collectivement en prévision de la nouvelle convention collective a été signifié, le 27 août 2007, l’IFP n’avait pas encore été payée aux employés.

4 Par conséquent, l’IPFPC a déposé le présent grief de principe en vertu de l’article 220 de la Loi. Dans sa réponse datée du 12 mai 2008, l’employeur a rejeté le grief de principe au motif que le paragraphe 220(1) de la Loi ne l’autorise pas, puisque la question ne touche pas l’unité de négociation de façon générale. Le paragraphe 220(1) se lit comme il suit :

       220. (1) Si l’employeur et l’agent négociateur sont liés par une convention collective ou une décision arbitrale, l’un peut présenter à l’autre un grief de principe portant sur l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention ou de la décision relativement à l’un ou l’autre ou à l’unité de négociation de façon générale.

5 L’employeur a maintenant versé l’IFP aux employés qui y avaient droit aux termes de la convention collective.

6 Au début de l’audience, les parties ont convenu que la présente décision ne servirait qu’à déterminer si l’employeur avait interprété correctement la Loi en s’opposant au grief au motif qu’il ne s’agissait pas d’un grief de principe. Les arguments que les parties ont fait valoir à l’audience n’ont porté que sur cette seule question.

II. Sommaire de l’argumentation

A. Pour l’employeur

7 Les faits qui ont donné lieu au grief sont simples : les employés du groupe CS qui avaient droit à l’IFP ne l’ont pas reçue dans les délais prévus. Sur les 13 400 employés du groupe CS visés par la convention collective, entre 123 et 132 – soit moins d’un pour cent des membres de l’unité de négociation – ont été touchés par l’action ou l’inaction de l’employeur.

8 Le paragraphe 220(1) de la Loi autorise le dépôt d’un grief de principe dans les deux cas suivants : s’il se rapporte à l’une ou l’autre des parties ou s’il concerne l’unité de négociation de façon générale.

9 Un grief de principe remplirait la première condition mentionnée s’il se rapportait au droit de l’agent négociateur d’être consulté ou à l’obligation de l’employeur de lui verser les cotisations syndicales. Les deux motifs types précités pourraient être l’objet de griefs de principe, car ils ont trait à l’agent négociateur.

10 L’employeur est tenu de payer l’IFP non à l’agent négociateur, mais aux employés qui sont membres de l’unité de négociation. Lorsqu’un grief concerne les fonctionnaires, comme dans le cas qui nous occupe, il doit toucher l’unité de négociation de façon générale pour être considéré comme un grief de principe. Or ce n’est pas le cas, puisque moins de 1 % des membres de l’unité de négociation était touché par la situation.

11 L’article 220 de la Loi augmente les droits prévus auparavant par l’article 99 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne Loi »). L’article 99 autorisait l’employeur ou l’agent négociateur à déposer une plainte auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique seulement dans des situations en rapport avec les droits que leur conférait respectivement la convention collective. La procédure de règlement des griefs était d’usage obligatoire s’il s’agissait de revendiquer le respect des droits des employés.

12 Lorsqu’il a adopté le concept du grief de principe énoncé à l’article 200 de la Loi, le Parlement entendait limiter les griefs de cette catégorie aux situations dans lesquelles l’unité de négociation était touchée de façon générale. Accepter l’argument que le paiement tardif de l’IFP touche l’agent négociateur ou l’unité de négociation en général fausserait l’intention du Parlement.

13 L’article 220 doit être interprété dans le contexte des autres recours prévus par la Loi. Si l’arbitre de grief accepte l’argument de l’employeur, l’agent négociateur et ses membres ne sont pas sans autre recours. Les quelque 130 employés concernés auraient pu déposer des griefs individuels et les renvoyer à l’arbitrage en se prévalant de l’article 209 de la Loi. Par ailleurs, l’agent négociateur aurait pu déposer un grief collectif et en demander l’arbitrage en vertu de l’article 216. Plutôt que de recourir à la procédure de règlement des griefs, l’agent négociateur avait également la possibilité de déposer une plainte auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») en invoquant l’infraction de l’article 117 de la Loi.

14 À l’appui de son interprétation du paragraphe 220(1) de la Loi, l’employeur cite Rootham, qui, aux pages 304 et 305 de son ouvrage intitulé Labour and Employment Law in the Federal Public Service (2007), s’est exprimé en ces termes :

[Traduction]

[…]

        Pour les arbitres de grief, la véritable question consistera à déterminer ce qui constitue une affaire « [relative] à l’un ou l’autre ou à l’unité de négociation de façon générale ». Dans le secteur privé, les syndicats disposent d’une assez grande latitude pour ce qui est de présenter des griefs de principe […]

        Néanmoins, l’expression « l’unité de négociation de façon générale » peut être interprétée de manière à limiter la portée des griefs de principe, en sorte que seules les affaires concernant toute unité de négociation puissent faire l’objet d’un grief de principe. Également, l’article 232 de la LRTFP limite expressément les pouvoirs de redressement d’un arbitre de grief dans les cas de griefs de principe. Lorsque l’affaire aurait pu faire l’objet d’un grief individuel ou collectif, l’arbitre de grief ne peut qu’accorder une réparation déclaratoire et ne peut pas octroyer de dommages-intérêts ou d’autres redressements individuels, comme cela se fait dans le secteur privé. Cela pourrait inciter la Commission à adopter une interprétation plus limitative de ce qui constitue un grief de principe légitime.

        Dans Canadian Broadcasting Corp. and National Association of Broadcast Employees and Technicians, le comité d’arbitrage a recensé les quatre grandes catégories de griefs suivantes :

a)les griefs individuels d’employé, lorsque la teneur du grief est particulière à l’employé;
b)les griefs collectifs, lorsqu’un certain nombre d’employés ayant des griefs individuels se regroupent dans le dépôt de leurs griefs. Essentiellement, ces griefs représentent un ensemble de griefs individuels;
c)les griefs syndicaux ou de principe, dans les cas où la question soulevée par le grief est d’intérêt général et où des employés individuels peuvent ou non être concernés au moment du dépôt du grief;
d)il existe un type hybride de grief qui constitue un amalgame du grief de principe et du grief individuel. Dans ce genre de situation, bien qu’une personne en particulier puisse être touchée, elle peut l’être d’une façon qui concerne tous les membres de l’unité de négociation. Ainsi, l’affaire individuelle peut contester la façon dont l’employé particulier a été traité, tandis que le syndicat peut aussi se plaindre de la situation en citant le grief individuel comme exemple de la façon dont certains comportements peuvent avoir une incidence sur les membres de l’unité de négociation de façon générale.

        Dans le quatrième exemple, l’emploi, de façon interchangeable, des expressions « tous les membres de l’unité de négociation » et « membres de l’unité de négociation de façon générale » pourrait corroborer la thèse selon laquelle un grief de principe déposé en vertu de la nouvelle LRTFP doit concerner toute l’unité de négociation et pas seulement une partie de ses membres […]

[…]

15 Compte tenu de ce qui précède, les faits de la présente affaire n’appuient pas l’argument selon lequel le présent grief est un grief de principe. La situation concerne quelque 130 employés du groupe CS qui travaillent au SCC et non l’ensemble de l’unité de négociation. Des exceptions à la règle sont peut-être possibles, mais ce serait prendre le contre-pied de la thèse que d’autoriser un grief de principe pour le compte de quelque 130 employés sur un total d’environ 13 000.

16 L’employeur me renvoie aux définitions des mots « general » and « generally » données dans l’Oxford English Dictionary. Il cite également la définition de l’expression « de façon générale » offerte par le dictionnaire français Le Petit Robert. Les définitions n’accréditent aucunement l’interprétation des expressions « generally » et « de façon générale » comme signifiant 1 % d’un groupe, soit, dans le cas qui nous occupe, l’unité de négociation.

17 L’employeur déclare que les définitions susmentionnées suggèrent l’idée de la totalité, plutôt qu’une partie, d’un groupe. La même idée doit servir à interpréter le paragraphe 220(1) de la Loi.

18 L’employeur soutient, de plus, que la Loi n’autorise pas le fractionnement de l’unité de négociation. Aux fins du paragraphe 220(1), le mot « generally » ne peut pas s’appliquer à une partie de l’unité de négociation. Pour qu’un tel scénario soit acceptable, il faudrait que l’expression « portion of » qualifie l’unité de négociation dans le libellé du paragraphe 220(1) de la même façon que cette tournure est employée à 21 endroits dans la Loi.

B. Pour l’IPFPC

19 L’IPFPC disposait de plusieurs recours pour appliquer l’article 40 de la convention collective. Il aurait pu demander à chacun de ses quelque 130 membres touchés de déposer des griefs individuels. Il aurait pu également déposer un grief collectif qui nécessitait le consentement écrit de la totalité des quelque 130 employés affectés aux 42 pénitenciers d’un océan à l’autre. Il a plutôt choisi de déposer un grief de principe, car il a jugé un grief collectif ou des griefs individuels peu commodes et a estimé que le différend concernait tous les membres de l’unité de négociation qui avaient droit à l’IFP.

20 Pour apprécier la disponibilité et les limites d’un grief de principe déposé aux termes de l’article 220 de la Loi, il est d’abord nécessaire de comprendre comment cette forme de grief s’insère dans le cadre global de règlement des griefs à la fonction publique fédérale.

21 Si le comportement de l’employeur ne touche qu’un seul employé, la situation appelle un grief individuel. L’article 64 du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement ») prescrit que la procédure applicable aux griefs individuels ne peut dépasser trois paliers décisionnels de la direction. Grâce à l’existence de multiples paliers, les circonstances particulières d’un grief peuvent être considérées d’abord et le grief peut éventuellement être réglé aux premiers paliers. Ce recours est adapté aux situations dans lesquelles le grief particulier soulève des questions précises qui ne touchent pas l’unité de négociation de façon générale.

22 Un grief collectif est autorisé lorsque plusieurs employés sont touchés par une interprétation ou une application communes d’une convention collective. Bien que chaque employé touché puisse déposer un grief individuel, le bon sens suggère que des griefs collectifs favorisent l’efficacité des relations de travail. Cependant, les exigences administratives imposées par la Loi et le Règlement peuvent compliquer les griefs collectifs du point de vue administratif dans le cas d’un grand nombre d’employés touchés s’ils sont répartis entre des dizaines d’endroits partout au Canada. Comme les griefs collectifs sont comparables aux griefs individuels sous bien des aspects, il n’est pas étonnant de constater que le Règlement impose également un maximum de trois paliers de réponse par l’employeur dans la procédure applicable aux griefs collectifs.

23 Contrairement aux griefs individuels et collectifs, un grief de principe peut-être déposé par l’agent négociateur sans le consentement des employés particuliers. Il appartient à l’agent négociateur d’en décider même si le résultat influera vraisemblablement sur de nombreux fonctionnaires particuliers. Le Règlement prescrit qu’un grief de principe doit être considéré à un seul palier décisionnel : le palier de direction le plus élevé rend une seule décision finale.

24 L’article 232 de la Loi stipule clairement que la possibilité de déposer un grief individuel ou collectif n’empêche pas l’agent négociateur d’opter plutôt pour un grief de principe. L’article 232 est conforme à la jurisprudence arbitrale, les arbitres ayant conclu que, sauf indication contraire expresse, les griefs individuels et les griefs de principe ne sont pas nécessairement réciproquement exclusifs. Qui plus est, l’article 220 ne renferme pas les conditions restrictives régissant le renvoi d’un grief de principe à l’arbitrage en vertu de l’article 99 de l’ancienne Loi, qui interdisait les griefs de principe pour un différend qui se prêtait à un grief individuel.

25 Délaissant la terminologie de l’article 99 de l’ancienne Loi, le Parlement a retenu l’expression « grief de principe » pour décrire la catégorie de griefs visée par l’article 220. Chemin faisant, les rédacteurs du texte législatif auraient été au courant du sens et de la disponibilité du terme « grief de principe » telle qu’il était utilisé généralement dans la jurisprudence arbitrale.

26 Le paragraphe 220(1) de la Loi comprend la formulation « unité de négociation de façon générale », qui, interprétée isolément, pourrait donner à entendre que le paragraphe ne s’applique, au bas mot, qu’à la majorité des membres de l’unité de négociation. Toutefois, on ne saurait avancer raisonnablement que ce tour exige que chaque membre de l’unité soit touché.

27 Il faut éviter de donner une interprétation stérile au passage précité sans tenir compte de son contexte légal. En conséquence, le tour « unité de négociation en général » doit être interprété au regard de l’article 220 dans son ensemble. Dans ce contexte, il est clair que l’expression renvoie indirectement au différend particulier qui est l’objet du grief de principe, lequel doit porter à son tour sur l’interprétation ou l’application d’une ou de plusieurs dispositions particulières de la convention collective. Lorsque cette approche est appliquée, la question pertinente à poser est celle de savoir si la violation présumée d’une disposition particulière de la convention collective s’applique généralement à tous les membres de l’unité de négociation visés par la disposition. Or, la jurisprudence arbitrale appuie une telle interprétation.

28 L’arbitre de grief doit s’efforcer de résoudre l’ambiguïté de la formulation « unité de négociation de façon générale » d’une manière logique et pratique aux fins des relations de travail. L’auteure de Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (4e édition, 2002) prescrit d’interpréter les dispositions législatives ambiguës d’une manière qui évite les [traduction] « inconvénients inutiles » ou la « rigueur excessive » et qui n’entrave pas  l’« administration efficace » des dispositions en question. Là où plusieurs interprétations sont possibles, il faut envisager le caractère raisonnable de chacune, sa praticabilité administrative et le risque de résultat anormal.

29 Trois réalités pratiques des relations de travail doivent être prises en compte lors de l’interprétation de l’article 220 de la Loi : (i) si un différend soulève une question d’importance générale sans lien avec les circonstances particulières d’un employé donné, un agent négociateur doit pouvoir déposer un grief au dernier palier de la procédure de règlement; (ii) l’obligation de déposer un grief collectif lorsque nombre de fonctionnaires en poste à divers endroits au Canada sont touchés n’est ni commode ni efficace; (iii) la condition obligatoire selon laquelle la majorité des employés d’une unité de négociation doit être touchée avant qu’un grief de principe puisse être déposé pourrait en réalité empêcher l’agent négociateur de représenter les intérêts de nombreux employés en déposant un tel grief.

30 La Loi permet qu’un grief, qu’il soit particulier ou collectif, soit soumis à une procédure de règlement pouvant compter jusqu’à trois paliers. Or ce n’est pas le cas des griefs de principe, qui sont initialement soumis au palier de direction le plus élevé. Compte tenu de cette distinction, un arbitre de grief devrait avoir tendance à conclure qu’un grief de principe peut être déposé s’il soulève des questions d’application ou d’interprétation de la convention collective d’importance générale, sans égard aux particularités de la situation d’un employé donné. Ainsi, les parties ne perdraient pas leur temps aux paliers inférieurs de la procédure.

31 Une unité de négociation de la fonction publique fédérale peut compter des milliers de membres. Il est donc à envisager qu’un différend concernant une convention collective touche  1 000 employés membres d’une unité sans toutefois qu’ils représentent une majorité. Dans les circonstances, si le différend n’est pas considéré comme touchant l’« unité de négociation de façon générale », l’agent négociateur devra obtenir le consentement écrit de chaque employé concerné avant de déposer un grief collectif. Cette façon de faire est impraticable du point de vue administratif, à plus forte raison si l’on songe que les membres d’une même unité de négociation peuvent travailler à divers endroits partout au Canada. Une telle démarche nécessitant le consentement écrit des particuliers serait on ne peut plus inefficace.

32 Si l’article 220 de la Loi était interprété de manière à exiger que la majorité de l’unité de négociation soit touchée avant qu’un grief de principe puisse être déposé, l’agent négociateur ne pourrait représenter des groupes nombreux de ses membres en procédant de la sorte. Il ne pourrait, par exemple, déposer de grief de principe pour contester des dispositions de la convention collective portant sur les avantages sociaux accordés aux employés à temps partiel ou les congés de maternité si la majorité de l’unité était composée d’hommes travaillant à plein temps.

33 De par le caractère ambigu qu’elle revêt dans le contexte de l’article 220 de la Loi, la formulation « unité de négociation de façon générale » ne devrait pas être interprétée en sorte de rendre impraticable, incommode ou inefficace la procédure applicable aux griefs, ou de le placer hors de la portée de groupes nombreux d’employés dont les intérêts communs seraient le mieux servis par le dépôt d’un grief de principe.

34 L’interprétation de l’article 220 doit être conforme à l’esprit de la Loi tel qu’il est énoncé dans le préambule. Les principes présentés dans le préambule traduisent l’intention du Parlement de faire en sorte que les relations de travail dans la fonction publique fédérale, y compris les procédures de règlement des différends, soient à la fois « fructueuses » et « efficaces ». Dans cette optique, les dispositions de la Loi portant sur les griefs de principe ne doivent pas être interprétées de manière à exiger le consentement écrit de chaque membre touché par la même interprétation d’une disposition particulière d’une convention collective si les membres concernés représentent moins de 50 % de l’unité de négociation.

35 Dans l’affaire en instance, la violation présumée de la convention collective touche tous les membres de l’unité de négociation visés par l’article 40. Elle porte, de façon générale, sur l’interprétation et l’application de la convention et ne dépend pas de faits ou de circonstances qui concernent un employé particulier. Compte tenu de la nature du grief, son renvoi direct au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, comme cela se fait obligatoirement dans le cas d’un grief de principe, est légitime.

36 Il serait illogique, dans une optique de relations de travail, d’exiger le dépôt de griefs individuels ou collectifs dans les circonstances, car il faudrait obtenir le consentement écrit de chacun des quelque 130 membres de l’unité de négociation en poste dans 42 pénitenciers partout au Canada. Une telle exigence serait à la fois malcommode et inefficace. Les membres touchés représentent une proportion suffisante de l’unité de négociation pour justifier le droit de l’agent négociateur de déposer un grief en leur nom concernant une question d’interprétation et d’application générales de la convention collective en ce qu’elle s’applique à chaque membre du groupe concerné.

37 En conclusion, aucun membre de l’unité de négociation du groupe CS qui avait droit à l’IFP aux termes de l’article 40 de la convention collective n’a reçu l’avantage qui lui revenait pendant que la convention était en vigueur. Compte tenu du fait précité, la violation présumée a touché l’« unité de négociation de façon générale » au sens de l’article 220 de la Loi, si bien que l’IPFPC était autorisé à déposer un grief de principe. Le fait d’obliger l’IPFPC à présenter un grief collectif, comme le souhaite l’employeur, servirait uniquement à contrecarrer les objectifs importants d’une gestion de conflits fructueuse et efficace dont il est question dans le préambule de la Loi.

38 L’IPFPC soutient un autre point de vue, à savoir que le grief touche directement l’agent négociateur. Le grief indique que l’employeur a manqué à son obligation de mettre en œuvre promptement une exigence négociée de la convention collective en ne payant pas l’IFP aux employés qui y avaient droit. En agissant de la sorte, l’employeur a manqué à son obligation négociée et son inaction a touché directement l’agent négociateur.

39 À l’appui de ses arguments, l’IPFPC me renvoie aux affaires suivantes : Community Health Services v. SEIU, Local 1 (2005), 81 C.L.A.S. 65; Weston Bakeries Ltd. v. Milk & Bread Drivers, Dairy Employees, Caterers and Allied Employees, Local 674 (1970), 21 L.A.C. 308; Treasury Board v. PIPSC (1990), 18 C.L.A.S. 134; Treasury Board v. PIPSC (1989), 14 C.L.A.S. 11; British Columbia v. UPN/BCNU (1994), 38 C.L.A.S. 72; Toronto District School Board v. CUPE, Local 4400 (2006), 85 C.L.A.S. 95; Peterborough Victoria Northumberland and Newcastle Roman Catholic Separate School Board v. CUPE, Local 1453 (1996), 43 C.L.A.S. 66; London Free Press Printing Co. v. Southern Ontario Newspaper Guild, Local 87 (1994), 33 C.L.A.S. 657; Bell Canada v. Communications Workers of Canada (1982), 3 L.A.C. (3d) 413; Zellers Inc. v. UFCW, Local 175 (2005), 140 L.A.C. (4th) 45; Toronto Transit Commission v. ATU, Local 113 (2000), 59 C.L.A.S. 408; R. c. Mac, [2002] 1 R.C.S. 856; Schreiber c. Canada (Procureur général), [2002] 3 R.C.S. 269; R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217; Belvedere Heights Home for the Aged v. Canadian Health Care Workers (2003), 74 C.L.A.S. 257; Toronto Catholic District School Board v. OECTA (2000), 88 L.A.C. (4th) 47; Wilfrid Laurier University v. Wilfrid Laurier University Faculty Association (2006), 84 C.L.A.S. 337; Times-Colonist v. Communications Workers of America, Local 14003 (1997), 67 L.A.C. (4th) 340; Langley (School District No. 35) v. Langley Teachers’ Association (1991), 24 C.L.A.S. 577; Fairhaven Home for Senior Citizens v. ONA (1992), 25L.A.C. (4th) 345; Tree Island Industries Ltd., [1997] B.C.L.R.B.D. No. 407 (QL); CUPE Local 1090 v. Township of Vaughan (1969), 20 L.A.C. 392; University of Western Ontario v. University of Western Ontario Staff Association (2002), 108 L.A.C. (4th) 139; St. Joseph ‘s Hospital v. SEIU, Local 204 (1997), 65L.A.C. (4th) 160; East Isle Shipyard Ltd. v. IAM, Local 1934 (1998), 53 C.L.A.S. 64; Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTPF 36. L’IPFPC a également invoqué Sullivan and Driedger (précité), citant les pages 154, 155, 210, 220, 248, 250, 259, 261, 299 et 300.

C. Réfutation pour le compte de l’employeur

40 En interprétant l’article 220 de la Loi, il importe de se rappeler qu’il représente une extension limitée de l’article 99 de l’ancien régime. L’objet de l’article 220 n’est pas d’autoriser l’agent négociateur à déposer un grief quand il juge que la convention collective a été enfreinte.

41 Un grief de principe doit reposer sur un motif qui touche l’unité de négociation de façon générale. Citons l’exemple d’une infraction présumée de la clause 17.17 (congé de bénévolat). Si l’employeur devait énumérer dans une politique les organismes communautaires visés par la stipulation, l’agent négociateur serait fondé à déposer un grief de principe, étant donné que la stipulation s’appliquerait à l’unité de négociation de façon générale.

42 Quant à la difficulté que présente le dépôt de griefs collectifs, tel que l’a mentionné l’IPFPC, elle peut être évitée. Si un groupe existe, tous ses membres ne sont pas tenus de signer le grief. En outre, les signatures peuvent être communiquées par télécopieur. Par ailleurs, la décision de l’arbitre de grief s’appliquerait à tous les membres du groupe.

43 À la clause 40.01 de la convention collective, les parties ont reconnu que les employés du groupe CS qui ont droit à une IFP forment un sous-groupe d’employés du SCC. De ce sous-groupe de 430 employés, environ 130 reçoivent une IFP. Il ne s’agit pas de l’« unité de négociation de façon générale ».

44 L’IPFPC a présenté une jurisprudence tirée du secteur privé, où la convention collective plutôt que la législation détermine la nature d’un grief de principe. La jurisprudence susmentionnée n’éclaire pas la situation actuelle. L’article 220 de la Loi n’est pas ambigu : un grief de principe concerne l’unité de négociation de façon générale.

45 En réponse à l’argument subsidiaire qu’a fait valoir l’IPFPC, l’employeur soutient que l’application de l’obligation prévue par la loi de mettre en œuvre en temps opportun les dispositions d’une convention collective passe par une plainte déposée auprès de la Commission en vertu de l’article 190 de la Loi, et non par un grief de principe.

III. Motifs

46 L’employeur a rejeté le grief, car, selon lui, le paragraphe 220(1) de la Loi ne l’autorise pas, vu qu’il ne se rapporte pas à une question qui touche l’unité de négociation de façon générale. En rendant ma décision, je dois déterminer s’il s’agit d’un grief de principe, c’est-à-dire s’il est possible d’affirmer qu’il se rapporte à l’unité de négociation de façon générale.

47 Les faits du grief ne sont pas contestés. Une fois conclue la convention collective, l’employeur s’est trouvé dans l’impossibilité de payer les nouveaux taux d’IFP dans les 90 jours. L’unité de négociation du groupe CS compte environ 13 400 employés, dont 430 travaillent au SCC, parmi lesquels quelque 130 avaient droit à une IFP. Les 130 concernés sont répartis entre 42 pénitenciers partout au Canada. Ils représentent un peu moins de 1 % de l’unité de négociation.

48 L’action ou l’inaction de l’employeur à l’égard de moins d’un pour cent de l’unité de négociation peut-elle être interprétée comme concernant l’unité de négociation de façon générale? Voilà comment l’employeur formule la question, en concluant que l’interprétation susmentionnée est impossible. Par contraste, l’IPFPC considère les quelque 130 employés comme formant la totalité de l’unité de négociation touchée par l’article 40 de la convention collective, et, dans cette optique, il conclut que le différend suscité par le paiement de l’IFP se rapporte effectivement à l’unité de négociation de façon générale.

49 L’ancienne Loi ne reconnaissait qu’un type de grief : le grief individuel. Les griefs de principe, à proprement parler, n’existaient pas. Les parties n’étaient autorisées à déposer une plainte aux termes du paragraphe 99(1) de l’ancienne Loi que s’il leur était impossible de déposer un grief individuel. La nouvelle Loi a changé le régime en instaurant trois catégories de griefs qui ne sont pas nécessairement réciproquement exclusifs. Lorsqu’une situation concerne l’unité de négociation de façon générale, l’agent négociateur et ses membres peuvent opter pour des griefs individuels, un ou plusieurs griefs collectifs ou un grief de principe. Le choix du type de grief détermine la procédure à suivre.

50 Pris isolément, le tour « unité de négociation de façon générale » peut sembler clair, mais il devient ambigu pour qui cherche à saisir son sens véritable dans le contexte de l’article 220 et de la Loi dans son intégralité.

51 À mon avis, le législateur entendait par « unité de négociation de façon générale » les membres de l’unité touchés de façon générale par l’application ou l’interprétation de la convention collective. L’expression « de façon générale » est qualitative et non quantitative, et elle est indissociable du concept de l’application ou de l’interprétation de la convention collective.

52 La politique d’un employeur sur l’interprétation ou l’application de la convention collective peut être l’objet d’un grief de principe, car elle présente de l’intérêt pour l’unité de négociation de façon générale. Il n’est pas nécessaire qu’elle touche directement tous les membres de l’unité pour satisfaire aux critères applicables à un grief de principe. Ainsi, dans l’affaire qui nous occupe, si l’employeur avait adopté une politique sur l’interprétation ou l’application de l’article 40 de la convention collective, l’agent négociateur aurait pu déposer un grief de principe même si l’article 40 ne s’appliquait qu’à 130 membres de l’unité, car il présenterait un intérêt général pour l’unité.

53 Comme l’ont fait les parties dans les arguments qu’elles ont présentés, je juge utile d’appliquer l’interprétation que l’employeur a faite de la formulation « unité de négociation de façon générale » à des articles particuliers de la convention collective.

54 L’article 11 de la convention collective traite du travail par poste, l’article 10, de la disponibilité. Étant donné que les fonctionnaires qui travaillent par poste ou sont tenus d’être en disponibilité forment une modeste proportion des membres de l’unité de négociation, l’agent négociateur, du point de vue de l’employeur, serait dans l’impossibilité de déposer des griefs de principe à l’encontre d’une nouvelle politique de l’employeur portant sur l’interprétation ou l’application des articles précités. Il incomberait plutôt aux employés de contester la politique en présentant des griefs individuels ou encore, à l’agent négociateur, de déposer un grief collectif avec le consentement des employés touchés.

55 La clause 7.03 de la convention collective traite du congé de maternité non payé. Comme de nombreux membres de l’unité de négociation sont des hommes, l’agent négociateur, de l’avis de l’employeur, serait dans l’impossibilité de déposer un grief de principe à l’encontre d’une politique de l’employeur sur l’interprétation ou l’application de l’article en question. Les employées seraient plutôt tenues de déposer des griefs individuels, ou encore, l’agent négociateur devrait déposer pour leur compte un grief collectif avec leur consentement.

56 Les exemples donnés ci-dessus accréditent la conclusion selon laquelle l’employeur  interprète incorrectement l’expression « unité de négociation de façon générale ». Peu importe que la politique touche 1 %, 10 % ou 50 % de l’unité de négociation, les mots « unité de négociation de façon générale » doivent être interprétés de manière qualitative plutôt que quantitative. Ce n’est pas le nombre de membres de l’unité de négociation directement touchés qui compte, mais la nature même du grief.

57 Puisque le paragraphe 220(1) de la Loi est ambigu, il est utile de le lire et de l’interpréter au regard du préambule, qui détermine le ton et l’objet de la Loi. Les paragraphes suivants du préambule présentent un intérêt particulier en l’espèce :

[…]

Attendu

[…]

que le gouvernement du Canada s’engage à résoudre de façon juste, crédible et efficace les problèmes liés aux conditions d’emploi;

que le gouvernement du Canada reconnaît que les agents négociateurs de la fonction publique représentent les intérêts des fonctionnaires lors des négociations collectives, et qu’ils ont un rôle à jouer dans la résolution des problèmes en milieu de travail et des conflits de droits;

que l’engagement de l’employeur et des agents négociateurs à l’égard du respect mutuel et de l’établissement de relations harmonieuses est un élément indispensable pour ériger une fonction publique performante et productive […]

[…]

58 Un grief est un problème qui découle des conditions d’emploi. Le préambule encourage les parties à résoudre les problèmes de façon efficace. La façon la plus efficace de résoudre un problème posé par une politique de l’employeur qui est présumée enfreindre la convention collective est de déposer un grief de principe, car la politique peut être contestée, qu’elle soit déjà en vigueur ou non, sans qu’il soit nécessaire de considérer les circonstances particulières des fonctionnaires auxquels elle pourrait s’appliquer à l’avenir.

59 L’interprétation par l’employeur de ce qui constitue un grief de principe est erronée. Dans le cas présent, l’employeur s’est trompé en rejetant le grief au motif qu’il ne s’agissait pas d’un grief de principe parce qu’il ne se rapportait pas à l’unité de négociation de façon générale. Or, le grief touche effectivement l’unité de négociation de façon générale, en ce sens qu’il concerne tous les membres de l’unité qui ont droit aux avantages prévus par l’article 40, sans égard aux circonstances de chacun. Tout membre de l’unité est susceptible d’être touché par l’article 40 s’il accepte un poste au Service correctionnel dont le titulaire a droit à l’IFP. Le fait le plus important à retenir est que le grief doit présenter un intérêt général pour les membres.

60 L’agent négociateur est fondé à soutenir que le recours à un grief de principe est commode dans les circonstances. Comme le précise l’article 232 de la Loi, un grief de principe peut se substituer à un grief individuel ou collectif : il n’y a pas exclusivité.

61 Le grief dont je suis saisi est, par conséquent, un grief de principe légitime. Je signale, néanmoins, que l’avis des parties ne diverge plus sur l’interprétation ou l’application de la convention collective. Les parties ont convenu que certains fonctionnaires d’établissements fédéraux avaient droit à l’IFP. Cependant, l’employeur a tardé à la verser. Il n’est plus nécessaire qu’un arbitre de grief interprète ou applique la convention collective. Je laisse aux parties le soin de déterminer comment elles veulent procéder.

62 Le 19 octobre 2008, l’agent négociateur m’a prié de me pencher sur la décision rendue dans l’affaire Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2008 CRTFP 84 (AFPC), avant de me prononcer sur la présente cause. Le 21 octobre 2008, l’employeur a réagi en affirmant que les faits d’AFPC différaient sensiblement de ceux de la présente affaire. J’ai examiné la décision et, bien que les faits diffèrent effectivement, les deux causes ont un point commun : le motif du grief ne touche pas tous les membres de l’unité de négociation.

63 Dans AFPC, l’agent négociateur a contesté une politique de l’employeur qu’il estimait contraire à une disposition de la convention collective. En réponse, l’employeur a fait valoir, entre autres choses, que le grief n’était pas un grief de principe, car il ne concernait pas l’unité de négociation de façon générale. En l’espèce, les parties estimaient que la question toucherait entre 56 % et 71 % des employés de l’unité de négociation. Aux yeux de l’employeur, cette proportion n’équivalait pas à l’unité de négociation de façon générale.

64 Dans sa décision, l’arbitre de grief a rejeté l’objection de l’employeur et a conclu que la question à trancher concernait l’unité de négociation de façon générale, même si elle ne touchait pas l’unité de négociation dans son entièreté. Elle en a traité en ces termes aux paragraphes 66 à 68 de sa décision :

[66]    Une interprétation libérale de la formulation « […] relativement à […] l’unité de négociation de façon générale » - au sens d’affaires d’intérêt général pour la communauté qui forme l’unité de négociation – cadre aussi avec le langage employé dans la Loi. Si le législateur avait voulu que les griefs de principe se limitent aux politiques ou aux situations concernant tous les employés faisant partie de l’unité de négociation, il l’aurait clairement dit en employant un libellé tel que « relativement à tous les fonctionnaires de l’unité de négociation » ou « à toute l’unité de négociation » ou encore « à l’unité de négociation dans son ensemble ». Le fait que le législateur ait employé un langage plus général vient étayer la thèse d’une portée moins restrictive des griefs de principe que celle suggérée par l’employeur.

[67]    Limiter la possibilité de contester une politique au moyen d’un grief de principe dans le cas de politiques ou de situations s’appliquant à tous les employés d’une unité de négociation reviendrait à limiter sérieusement l’utilité de ce mode de règlement de conflits, en particulier au regard de la grande portée de plusieurs unités de négociation au secteur public fédéral – ce dont le Parlement, présume-t-on, est conscient - et, à mon sens, à miner les objectifs de la Loi.

[68]    Le grief de principe, ainsi que je le comprends, se veut une tribune à laquelle les différends ou questions découlant de l’application et de l’interprétation de dispositions de la convention collective ou d’une décision arbitrale sont résolus sur une base de principes. Comme je l’ai dit plus tôt, l’article 232 de la Loi, qui investit l’arbitre de grief de pouvoirs déclaratoires et l’habilite à rendre une ordonnance enjoignant d’observer (exécutoire) vient corroborer cette interprétation, mais il n’y est fait aucune mention de redressements individuels. Dans un tel contexte, je ne vois pas la pertinence de distinguer entre les politiques touchant l’ensemble des fonctionnaires de l’unité de négociation et celles ne touchant qu’une partie des employés de l’unité de négociation : le nombre d’employés susceptible d’être touchés n’importe pas pour ce qui est de trancher la question de savoir si l’employeur est en situation de contravention de principe de la convention collective. Je ne peux trouver aucun motif de politique pour lequel le Parlement aurait requis que chaque employé inclus dans une unité de négociation ait nécessairement dû être touché par une action de l’employeur avant qu’un grief de principe ne puisse être présenté.

[Le passage souligné l’est dans l’original]

65 En l’espèce, j’en arrive à la même conclusion que l’arbitre de grief saisie de l’affaire AFPC. Tous les membres de l’unité de négociation ne doivent pas nécessairement être touchés pour qu’un grief de principe soit déposé. Dans AFPC, le grief se rapportait à de nombreux membres. Dans la présente affaire, tous les membres de l’unité auxquels l’IFP s’applique sont touchés, même s’ils représentent moins d’un pour cent de l’unité. Toutefois, à la différence d’AFPC, l’affaire en instance ne comporte aucun différend opposant les parties sur une question d’interprétation ou d’application de la convention collective.

66 J’ai examiné la jurisprudence citée par les parties. Les causes présentées éclairent le sens contextuel d’un grief de principe et son application sous d’autres régimes. Cependant, elles dissipent peu l’ambiguïté du paragraphe 220(1) de la Loi, renvoyant à diverses mesures législatives, là où, dans la plupart des cas, le type de grief est défini par une convention collective ou la jurisprudence issue de son interprétation.

67 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

68 L’objection de l’employeur est rejetée.

69 Je donne instruction aux Opérations du greffe de prévoir une audience sur le grief de principe.

Le 20 novembre 2008.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.