Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

À la suite d’un conflit de travail, le fonctionnaire s’estimant lésé a pris un congé de maladie pendant plusieurs années - le fonctionnaire s’estimant lésé a renvoyé à l’arbitrage un grief pour harcèlement - l’employeur et le fonctionnaire s’estimant lésé ont entrepris un long processus de médiation lié au grief pour harcèlement - l’employeur a finalement licencié le fonctionnaire s’estimant lésé pour des raisons médicales - le fonctionnaire s’estimant lésé a renvoyé son grief pour licenciement à l’arbitrage - l’arbitre de grief a déterminé qu’elle n’avait pas la compétence relativement au grief pour harcèlement - l’arbitre de grief a accueilli le grief pour licenciement, pour deuxmotifs - le licenciement n’était pas valide, puisqu’il reposait sur des renseignements confidentiels obtenus au cours de la médiation - en outre, l’employeur ne s’était pas acquitté de son obligation de prendre des mesures d’accommodement à l’égard du fonctionnaire s’estimant lésé - l’employeur n’avait pas obtenu d’évaluation médicale concernant le fonctionnaire s’estimant lésé aux fins de mesures d’accommodement, ni n’avait-il envisagé avec sérieux, en consultation avec le fonctionnaire s’estimant lésé, les possibilités de son retour au travail - l’arbitre de grief a ordonné le rétablissement du fonctionnaire s’estimant lésé dans ses fonctions et s’est réservée le pouvoir de rendre une décision réparatrice sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Grief à l’encontre du harcèlement rejeté. Grief à l’encontre du licenciement accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35
et Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-01-28
  • Dossiers:  166-02-31912, 566-02-767, 568-02-154
  • Référence:  2008 CRTFP 8

Devant un arbitre de grief


ENTRE

MICHAEL PEPPER

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Défense nationale)

employeur

Répertorié
Pepper c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant un grief renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 et un grief individuel renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
David A. Mombourquette et Leigh Davis, avocats

Pour l'employeur:
Neil McGraw, avocat

Affaire entendue à Halifax (Nouvelle Écosse),
du 12 au 15 juin et le 2 août 2007.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

A. Contexte

1 Le fonctionnaire s’estimant lésé, Michael Pepper, est technicien en systèmes électroniques à l’Installation de maintenance de la flotte de Cape Scott, en Nouvelle-Écosse, dans l’atelier de maintenance des armes sous-marines. Il est électricien naval. Il a débuté au ministère de la Défense nationale (l’employeur) comme apprenti le 20 juin 1977; sa nomination pour une période indéterminée remonte au 27 avril 1981. Il a terminé sa formation de technicien électronique en 1988, après quoi il a été nommé technicien en systèmes électroniques (SR-EEW-10) en novembre 1989, puis au niveau suivant (SR-EEW-11) en mars 1999. Il est membre du Conseil de l’est des métiers et du travail des chantiers maritimes du gouvernement fédéral (l’agent négociateur ou le syndicat).

2 Le 30 juin 2006, on l’a licencié en vertu de l’alinéa 11(2)g) (le nouvel alinéa 12(1)e)) de la Loi sur la gestion des finances publiques, parce qu’il était incapable de se présenter au travail pour raisons médicales. Ce licenciement a pris effet le 14 juillet 2006. Le fonctionnaire s’estimant lésé était absent de son travail depuis 1999.

3 Il s’agit en l’espèce de l’arbitrage de deux griefs. Dans le premier (ci-après appelé « le grief sur le harcèlement »), daté du 16 janvier 2002, il est allégué que la direction a si mal traité le fonctionnaire s’estimant lésé qu’il est tombé malade et n’a plus été capable de s’acquitter de ses fonctions (dossier de la CRTFP 166-02-31912). Dans le second, daté du 16 juillet 2006, on allègue que le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé était illégal (dossier de la CRTFP 566-02-767).

4 La médiation tentée à l’égard du premier grief entre le 11 septembre 2003 et le 17 mars 2006 a échoué. La décision de l’employeur de renvoyer le fonctionnaire a été prise à la suite des discussions qui avaient eu lieu durant la médiation.

5 Le 4 avril 2007, l’employeur a contesté la compétence de la Commission quant au renvoi à l’arbitrage du premier grief, en le disant irrecevable parce que déposé cinq ans après le début du mauvais traitement allégué (dossier de la CRTFP 568-02-154).

6 Au début de l’audience, l’employeur a admis avoir renoncé à contester la recevabilité du premier grief au cours de la procédure de règlement des griefs; il a retiré son objection, mais continué de contester la compétence de la Commission pour trancher le renvoi à l’arbitrage du grief, en vertu du paragraphe 92(1) de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), qui était en vigueur à son dépôt.

7 Après avoir entendu les arguments des avocats et examiné les observations écrites que les parties ont déposées avant l’audience, de même que les documents qu’ils ont produits lorsqu’elle a commencé, j’ai décidé qu’il ne serait pas prudent de trancher la question de compétence sans entendre les témoignages pertinents. J’ai donc pris en délibéré l’objection de l’employeur sur l’arbitrabilité du premier grief et décidé d’entendre toute la preuve.

II. Résumé de la preuve pertinente

8 Comme les témoignages du fonctionnaire s’estimant lésé et du capitaine Richard Payne portent sur les mêmes points et qu’ils ne se sont pas contredits, je les ai résumés ensemble. À l’été de 1993, Donna Urquhart a commencé à travailler à l’atelier de maintenance. Elle avait été embauchée dans le cadre d’une initiative d’égalité d’emploi pour les femmes dans des rôles non traditionnels. Elle a fait son apprentissage à l’atelier de contrôle du tir – entretien des armes.

9 À la fin de son apprentissage, Mme Urquhart a été classifiée SR-EEW-10S, soit un niveau au-dessus du fonctionnaire s’estimant lésé, qui était alors SR-EEW-10 (avec 18 ans d’ancienneté). Néanmoins, en raison de ses connaissances et de son expérience, M. Pepper devait fréquemment contrôler la qualité du travail de Mme Urquhart, voire le refaire à l’occasion. Son superviseur, Terry Martin, était conscient des lacunes de Mme Urquhart puisqu’elles lui avaient été plusieurs fois signalées, non seulement par le fonctionnaire s’estimant lésé, mais aussi par un autre employé. Néanmoins, il l’a cotée « entièrement satisfaisante » dans son évaluation de rendement en 1995.

10 Pour cette année-là, le rendement du fonctionnaire s’estimant lésé a aussi été jugé entièrement satisfaisant; son évaluation était en outre assortie d’une cote attestant que la qualité de son travail dépassait constamment les exigences et les attentes. À l’issue de cette rencontre, au cours de laquelle il a signé son évaluation de rendement, le fonctionnaire s’estimant lésé a été informé par M. Martin que Mme Urquhart avait porté officieusement plainte contre lui. En somme, il lui aurait fermé une porte au nez. Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré qu’il n’avait pas souvenance de l’incident. M. Martin lui a répliqué que, si deux de ses subordonnés ne pouvaient pas s’entendre, l’un des deux pourrait être déplacé. Le fonctionnaire s’estimant lésé l’a pris personnellement. Il est retourné voir M. Martin pour lui dire qu’il avait le sentiment que son emploi était menacé. M. Martin lui a dit d’oublier tout ça.

11   Pour situer l’affaire dans son contexte, il vaut de mentionner que Mme Urquhart était considérée par le fonctionnaire s’estimant lésé et par ses collègues comme une « personne protégée », autrement dit comme une femme dans un domaine non traditionnel. Elle avait été relocalisée à Dartmouth de préférence à d’autres employés — tous de sexe masculin —, qui avaient plus d’ancienneté dans l’atelier de contrôle du tir et qui ont été mutés malgré eux à Halifax. Qui plus est, Mme Urquhart travaillait dans un atelier où il fallait de l’ancienneté pour avoir de l’avancement; or elle n’en avait pas. En outre, son poste était classifié à un niveau plus élevé que celui du fonctionnaire s’estimant lésé. Il semble que Mme Urquhart n’ait pas caché sa conviction qu’elle [traduction] « serait à l’atelier bien après que d’autres en soient partis ». Le fonctionnaire s’estimant lésé a donc craint de plus en plus que son emploi puisse être menacé.

12 Ses craintes pour son emploi, l’inaction de son gestionnaire quant à la qualité du travail de l’atelier en général et le fait qu’il devait remédier aux lacunes de Mme Urquhart ont fini par le faire tomber malade en décembre 1996; il a dû prendre cinq mois de congé de maladie.

13 Pendant qu’il était en congé de maladie, le fonctionnaire s’estimant lésé a rencontré Ray Cormier, le gestionnaire de la Production, pour lui parler de ses préoccupations au sujet de l’atelier de maintenance des armes sous-marines; il lui a remis une lettre détaillée sur cela. Il est aussi allé voir M. Martin pour lui exprimer les mêmes préoccupations, dans ce cas-là aussi avec une lettre détaillée en main. M. Martin a refusé d’accepter cette lettre.

14 Entre-temps, M. Cormier avait organisé une rencontre entre le fonctionnaire s’estimant lésé et M. Martin, M. Perrier (le contremaître du groupe) et Kevin Ernst. Lors de cette rencontre, tenue le 21 février 1997, on a parlé des préoccupations du fonctionnaire s’estimant lésé et convenu d’un plan d’action. D’après le fonctionnaire s’estimant lésé, aucune autre mesure n’a été prise pour apaiser ses inquiétudes, en dépit des recommandations figurant dans le plan d’action.

15 Le fonctionnaire s’estimant lésé est retourné au travail en mai 1997.

16 Le 2 décembre 1997, Mme Urquhart est arrivée à l’atelier portant un collier cervical, à la suite d’un accident de voiture sans rapport avec son travail. Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné qu’un de ses collègues (Gerry Cross) et lui-même parlaient de possibilités de formation quand elle est entrée dans la pièce. Mme Urquhart est entrée dans la conversation en déclarant qu’elle ne recevait pas de formation, qu’elle allait être incapable de travailler sur l’équipement si elle n’en recevait pas et que, s’il n’y avait pas d'ouvrier pour travailler avec elle, elle ne pourrait pas faire le travail. Elle a dit qu’elle n’aimait pas que le fonctionnaire s’estimant lésé prenne des notes sur elle, avec l’intention de rapporter les résultats au capitaine de vaisseau. Le fonctionnaire s’estimant lésé a répliqué en lui demandant ce qui se passerait si elle devait aller faire des essais en mer. Elle a répondu que son mari ne la laisserait pas aller en mer parce qu’elle serait seule avec un groupe d’hommes. Le fonctionnaire s’estimant lésé a répliqué qu’elle [traduction] « recevait un paquet d’argent pour faire du travail électronique et qu’elle avait intérêt à le faire, bon sang ». À l’audience, il a admis que cette réplique lui avait été inspirée par sa frustration de devoir contrôler et corriger le travail de l’intéressée, même s’il était classifié à un niveau moins élevé, de même que par le fait que Mme Urquhart ne semblait pas aimer son travail.

17 Mme Urquhart a quitté son travail ce jour-là pour une période indéterminée. Le 6 décembre 1997, à la demande d’Ed Merlin, le directeur général adjoint, elle a envoyé une déclaration intitulée [traduction] « Mike Pepper prend des notes sur le travail de ses collègues », dans laquelle elle donne sa version de l’altercation du 2 décembre 1997. Elle demande que l’on règle le problème en organisant une réunion du personnel de l’atelier et en exigeant que le fonctionnaire s’estimant lésé lui présente des excuses. M. Merlin a interprété cette déclaration comme une plainte officielle. Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a reçu copie de la prétendue plainte de Mme Urquhart que le 31 juillet 2002.

18 Le 8 décembre 1997, M. Merlin a rencontré le fonctionnaire s’estimant lésé, en compagnie du représentant syndical Jerry Ryan, au sujet de la déclaration de Mme Urquhart. Le 22 décembre 1997, il a de nouveau rencontré le fonctionnaire s’estimant lésé et M. Ryan pour examiner le journal de l’intéressé, dans lequel celui-ci notait les réparations qu’il avait faites pour s’y reporter quand il devait faire des réparations analogues par la suite. Il n’était pas question dans ce journal du travail de qui que ce soit, mais plutôt des meilleures façons de réparer l’équipement. On a alors dit au fonctionnaire s’estimant lésé qu’aucune autre mesure ne serait prise au sujet de l’incident.

19 Le 23 janvier 1998, le fonctionnaire s’estimant lésé est allé voir M. Merlin en lui demandant de régler une fois pour toute la plainte de Mme Urquhart. Il s’est fait répondre qu’il n’y aurait pas de décision avant que celle-ci ne revienne au travail.

20 Pendant l’absence de Mme Urquhart, le fonctionnaire s’estimant lésé a assumé des responsabilités additionnelles, et sa classification a été révisée à la hausse.

21 En mai 1999, Mme Urquhart est revenue au travail avec des tâches modifiées, dans un atelier adjacent à celui où travaillait le fonctionnaire s’estimant lésé. Peu de temps après, ce dernier l’a rencontrée fortuitement dans le couloir menant aux toilettes; il a paniqué. Il a signalé l’incident à M. Cross. Par la suite, il a eu plusieurs autres crises de panique du même genre.

22 Le 8 juin 1999, le fonctionnaire s’estimant lésé est parti en congé de maladie; il n’est pas retourné au travail depuis.

23 Le 8 septembre 1999, le fonctionnaire s’estimant lésé a téléphoné à Wilma Verge, la gestionnaire des Ressources humaines, pour lui demander son aide afin que la plainte de Mme Urquhart puisse enfin être réglée. Le 24 septembre 1998, Mme Verge lui a écrit pour lui déclarer qu’on n’avait jamais déposé de plainte officielle de harcèlement contre lui et qu’aucune enquête en règle n’était menée à ce sujet. Par conséquent, on n’envisageait pas de lui imposer une sanction disciplinaire, et son emploi n’était pas menacé.

24 Le 29 octobre 1999, la direction de l’assurance-invalidité collective de Sun Life (Sun Life) a écrit à Mme Verge au sujet de la demande de prestations d’invalidité du fonctionnaire s’estimant lésé. M. Cormier a répondu le 3 décembre à une demande d’information de Mme Verge en lui disant qu’il y avait eu un [traduction] « problème de relations interpersonnelles » entre le fonctionnaire s’estimant lésé et une autre employée. Mme Verge a écrit à la Sun Life qu’on n’avait pas déposé de plainte officielle contre le fonctionnaire s’estimant lésé, mais qu’il avait eu un problème de relations interpersonnelles qui semblait l’avoir perturbé.

25 Le 21 décembre 1999, le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé des plaintes de harcèlement contre M. Martin, M. Merlin, M. Cormier et David Conrod, de même que contre Mme Verge, en les accusant d’abus de pouvoir pour avoir fait fi des plaintes de harcèlement que Mme Urquhart avait faites au sujet du prétendu incident où il lui aurait claqué la porte au nez (non daté) et n’avoir pas davantage fait cas de l’incident de l’altercation verbale (en décembre 1997). Le 22 février 2000, le commandant de l’Installation, le capitaine Richard Payne, a écrit au fonctionnaire s’estimant lésé pour l’informer qu’il avait examiné ses plaintes et conclu que les enquêtes informelles n’avaient rien donné, de sorte qu’elles avaient été officiellement fermées. Cette lettre a été suivie d’une autre, datée du 13 mars 2000, plus détaillée celle-là, dans laquelle le capitaine de vaisseau Payne répétait qu’on n’avait trouvé aucun élément qui puisse justifier les cinq plaintes de harcèlement, en déclarant que les points soulevés auraient plutôt dû faire l’objet d’un grief.

26 Le 5 mai 2000, le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté à la Commission de la fonction publique (CFP) une demande réclamant une enquête et alléguant que ses plaintes de harcèlement n’avaient pas été traitées conformément aux politiques sur le harcèlement du ministère de la Défense nationale (MDN) et du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada. Comme redressement, il demandait qu’on prenne des sanctions contre les intimés, qu’on lui offre un endroit sûr où travailler à son retour au travail et qu’on le dédommage pour les congés de maladie qu’il avait dû prendre ainsi que pour les pertes qu’il avait subies au titre du traitement et des avantages sociaux à cause de son absence du travail. Le 2 août 2000, la CFP a rejeté cette demande d’enquête au motif que les plaintes étaient irrecevables et, subsidiairement, que le fonctionnaire s’estimant lésé ne lui avait pas signalé de cas précis d’omission ou de comportement répréhensible qui auraient pu justifier son intervention.

27 Le 11 octobre 2000, la médiation qui avait commencé entre-temps (en juin 2000) a abouti à la signature d’un protocole d’entente dans lequel le capitaine Payne acceptait de réexaminer les plaintes de harcèlement du fonctionnaire s’estimant lésé. Le 9 novembre 2000, le capitaine Payne a informé l’intéressé que ce nouvel examen de ses plaintes avait révélé qu’il y avait peut-être eu des éléments de harcèlement, qu’il allait demander aux intimés de donner leur point de vue et qu’il allait aussi établir le mandat d’une équipe d’enquête. Le 23 janvier 2001, il a récrit au fonctionnaire s’estimant lésé pour lui signifier qu’il avait analysé les réponses des intimés et décidé d’ordonner la tenue d’une enquête.

28 L’enquête, confiée à deux enquêteurs de l’extérieur, était centrée sur les plaintes suivantes : a) que MM. Martin et Merlin n’avaient pas respecté la procédure établie pour tirer les choses au clair après avoir été saisis d’une plainte à l’endroit du fonctionnaire s’estimant lésé, ce qui avait miné sa santé et sapé son bien-être; et b) que Mme Verge n’avait pas fait preuve de la diligence voulue lorsqu’elle avait été informée de la plainte du fonctionnaire s’estimant lésé.

29 Dans un rapport détaillé daté du 29 mai 2001, les enquêteurs ont conclu que les plaintes de harcèlement du fonctionnaire s’estimant lésé étaient justifiées. Ils ont souligné que, même s’il n’y avait pas eu d’intention précise de lui nuire, les motifs ne comptent pas lorsqu’on enquête sur une plainte de harcèlement. Puisque les responsables n’avaient pas réagi promptement pour faire la lumière sur les plaintes et n’avaient pas non plus suivi les lignes directrices ministérielles sur le harcèlement, le fonctionnaire s’estimant lésé avait été mal servi par le système conçu pour analyser et régler de telles plaintes. Les enquêteurs ont fait toute une série de recommandations, notamment qu’on donne au fonctionnaire s’estimant lésé la possibilité, avec l’aide de son médecin, de retourner à son poste à l’atelier de maintenance des armes sous-marines ou de reprendre le travail dans un poste analogue, à un endroit acceptable. Les autres recommandations étaient de nature préventive et concernaient essentiellement la sensibilisation du personnel de l’organisation.

30 Le 5 juillet 2001, le capitaine Payne a écrit à M. Martin, M. Merlin et Mme Verge, avec copie au fonctionnaire s’estimant lésé, pour les informer qu’il avait reçu le rapport des enquêteurs et leur déclarer qu’il allait prendre sa décision. M. Merlin, M. Martin et Mme Verge ont présenté des répliques au rapport.

31 Le 12 septembre 2001, le capitaine Payne a écrit trois lettres au fonctionnaire s’estimant lésé pour l’informer de ses conclusions et de sa décision quant au rapport. À son avis, certaines des allégations de l’intéressé étaient fondées, parce que M. Merlin et M. Martin ne l’avaient pas traité conformément aux règles. Comme redressement, le capitaine de vaisseau Payne ordonnait qu’on élabore un [traduction] « programme de formation conçu en fonction des aspects procéduraux des Lignes directrices sur la prévention et le règlement des cas de harcèlement récemment promulguées » et que MM. Merlin et Martin suivent cette formation. Par contre, il estimait que les allégations à l’endroit de Mme Verge n’étaient pas fondées. Il déclarait dans ces lettres que sa décision revenait à clore administrativement le dossier des plaintes de harcèlement du fonctionnaire s’estimant lésé et que, si celui-ci n’était pas satisfait, il pouvait se prévaloir de la procédure de règlement des griefs.

32 Dans son témoignage, le capitaine Payne a déclaré qu’il avait décidé de maintenir les conclusions auxquelles il était arrivé antérieurement, à savoir que les gestionnaires n’avaient pas abusé de leur autorité, même si leur façon de traiter Mme Urquhart n’avait pas été aussi judicieuse qu’elle aurait dû l’être. Bien qu’il y ait eu des problèmes de communication, il n’y avait aucune preuve d’inconduite ni de harcèlement de la part des gestionnaires. Le capitaine Payne estimait donc qu’un programme de formation visant à les sensibiliser à la situation était la solution la plus indiquée, puisqu’il n’y avait pas eu de formation complémentaire sur le harcèlement en milieu de travail depuis 1995. Le capitaine Payne a aussi déclaré qu’il n’avait pas envisagé de muter M. Martin, le superviseur immédiat du fonctionnaire s’estimant lésé, pour que celui-ci puisse retourner dans son poste d’attache, parce qu’il n’avait pas conclu à une inconduite dudit superviseur.

33 Le 16 janvier 2002, le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté un grief au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, en alléguant que la façon de la direction de le traiter l’avait fait tomber malade et rendu incapable de s’acquitter de ses fonctions. Le grief a été rejeté à ce palier le 31 juillet 2002, puis au dernier palier de la procédure le 5 décembre 2002 (le fonctionnaire s’estimant lésé en a été informé le 13 janvier 2003). Il a été renvoyé à l’arbitrage le 4 février 2003.

34 Le 19 janvier 2003, le fonctionnaire s’estimant lésé a écrit au capitaine Payne au sujet de la réponse que celui-ci avait donnée à son grief au troisième palier. Dans cette lettre, il l’informait que son absence du travail n’était pas prise au sérieux, alors qu’elle était due à de gros problèmes de santé et qu’on n’avait pas respecté la procédure en vigueur sur le règlement des conflits en milieu de travail. Il alléguait que ses craintes quant à la qualité du travail de l’atelier de maintenance des armes sous-marines n’étaient pas non plus prises au sérieux et qu’il ne se sentirait pas à l’aise s’il revenait au travail dans un nouveau poste. Il déclarait en outre que sa plainte n’avait pas été vraiment réglée à sa satisfaction et que ni l’enquête, ni la procédure de règlement des griefs n’avaient clos l’affaire selon lui, en dépit de l’assurance du contraire que lui avait donnée le capitaine Payne.

35 On a eu recours à la médiation à compter du 11 septembre 2003 pour tenter de régler le grief. Le 27 juillet 2004, le fonctionnaire s’estimant lésé s’est fait proposer 10 options pour qu’il puisse retourner au travail. Le 17 mars 2006, l’employeur lui a représenté les mêmes options, en lui disant que c’était sa proposition finale et qu’on recommanderait sa cessation d’emploi si la médiation devait échouer. En fin de compte, toutes les tentatives de médiation ont achoppé. Le 28 avril 2006, Lorne Brown, président du Conseil de l’est des métiers et du travail des chantiers maritimes du gouvernement fédéral, avisait l’employeur que le fonctionnaire s’estimant lésé avait rejeté sa proposition finale.

36 Le 1er mai 2006, le fonctionnaire s’estimant lésé a été informé dans une lettre du capitaine Gilles Hainse (le nouveau commandant de l’Installation) que, puisque la question de son retour au travail n’avait pas été réglée lors de la séance de médiation du 17 mars 2006, on recommanderait au contre-amiral de le licencier pour cause d’incapacité médicale.

37 Le 24 mai 2006, le capitaine Hainse a demandé au fonctionnaire s’estimant lésé de l’autoriser à communiquer avec son médecin, le Dr Edwin Rosenberg, pour mettre à jour une évaluation médicale datée du 2 novembre 2004 qui avait été remise au syndicat. M. Pepper a consenti par écrit à ce que les renseignements réclamés soient communiqués.

38 Il a témoigné qu’il avait effectivement consenti à ce que le Dr Rosenberg présente un rapport médical à l’employeur, en déclarant toutefois qu’il avait été intimidé : la lettre datée du 24 mai 2006 du capitaine Hainse lui demandant de consentir à ce qu’on communique à l’employeur des renseignements médicaux lui avait été livrée par deux militaires, sans préavis. Ces militaires lui auraient déclaré qu’ils reviendraient le jour même prendre la lettre de consentement signée. Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que l’employeur avait aussi tenté de communiquer directement avec le Dr Rosenberg pour obtenir les renseignements en question avant de lui demander de consentir à leur divulgation. Cela lui semblait bien cavalier, étant donné qu’il avait toujours coopéré dans ce contexte. Le 30 juin 2006, il a reçu une lettre signée du contre-amiral l’informant de son licenciement à compter du 14 juillet 2006, en application de l’alinéa 11(2)g) de la Loi sur la gestion des finances publiques (dans la réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, cette précision a été corrigée, puisque c’est l’alinéa 12(1)e) de cette loi qui est invoqué).

39 Le 18 juillet 2006, le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé un grief contestant son licenciement au troisième et dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Le 13 décembre 2006, son grief a été rejeté.

40 La Commission provinciale des accidents du travail verse actuellement au fonctionnaire s’estimant lésé des prestations de remplacement temporaire de ses gains.

A. Témoignage du Dr Rosenberg

41 Le fonctionnaire s’estimant lésé est traité par le Dr Edwin M. Rosenberg, un psychiatre, depuis le 6 juillet 1999. Quand il a commencé à le consulter, il n’était pas retourné au travail depuis début juin 1999. Son médecin de famille avait diagnostiqué une grave dépression avec crises de panique; on l’a traité en faisant régulièrement des suivis et en lui prescrivant des médicaments. Le Dr Rosenberg a fourni moult renseignements contextuels sur l’état de santé du fonctionnaire s’estimant lésé; je ne les répèterai pas ici, hormis ceux qui ont influé sur ma décision. Le Dr Rosenberg a aussi déposé de nombreux documents médicaux avec le consentement des parties; je reviendrai à certains d’entre eux dans mes motifs.

42 Le Dr Rosenberg a confirmé que la maladie du fonctionnaire s’estimant lésé et son incapacité de retourner au travail étaient initialement imputables à des incidents mettant en cause Mme Urquart et qu’elles s’étaient prolongées parce que la plainte de harcèlement de cette dernière n’avait pas abouti durant sa longue absence. Par la suite, le stress résultant de la longueur de la procédure d’examen des plaintes de harcèlement du fonctionnaire s’estimant lésé et de leur règlement insatisfaisant a aggravé ses symptômes et contribué à l’empêcher encore de retourner au travail.

43 Selon le Dr Rosenberg, même si le fonctionnaire s’estimant lésé était biologiquement susceptible de souffrir de dépression, cela n’était pas en soi la cause de son état, et son pronostic d’amélioration ne pourrait être confirmé que si l’intéressé se faisait offrir la possibilité de retourner au travail. À son avis, il pourrait le faire dans un délai d’à peu près trois mois si les problèmes qui sévissaient là étaient résolus, mais ses symptômes allaient perdurer tant et aussi longtemps qu’ils ne seraient pas réglés.

44 Le Dr Rosenberg a témoigné qu’il a donné le 2 novembre 2004 une opinion sur la capacité de travailler du fonctionnaire s’estimant lésé à la demande du syndicat, en vue des discussions que celui-ci avait avec l’employeur au sujet d’un éventuel retour au travail à cette époque-là. Le 2 juin 2006, avant de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé, l’employeur lui a demandé une autre déclaration, pour savoir s’il maintenait l’opinion donnée en 2004. Le Dr Rosenberg a confirmé ce qu’il avait déclaré le 2 novembre 2004, à savoir que le fonctionnaire s’estimant lésé serait capable de retourner au travail si l’employeur réglait les problèmes qui l’avaient rendu malade et prenait les moyens nécessaires pour qu’il puisse retourner travailler. Toutefois, obliger le fonctionnaire s’estimant lésé à relever encore du superviseur avec qui il avait eu des difficultés pendant longtemps, le rétrograder à un niveau de classification inférieur ou le contraindre à prendre sa retraite pour raisons de santé allait contribuer à aggraver sa dépression. Le fonctionnaire s’estimant lésé était traité pour apprendre à composer avec ses problèmes, afin de pouvoir mener une vie normale. Au besoin, il aurait été capable de recevoir une formation de recyclage technique poussée pour assumer un nouveau poste sans conséquences néfastes. Le Dr Rosenberg a déclaré que la formation offerte à la direction sur les moyens de traiter les plaintes de harcèlement en milieu de travail depuis que le fonctionnaire s’estimant lésé avait dû s’absenter était de bon augure pour son retour au travail.

B. Témoignage du capitaine de vaisseau Hainse

45 Le capitaine Hainse a été le seul témoin à comparaître pour parler des circonstances qui ont entouré le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé. Les motifs de ma décision font que j’ai accordé une attention particulière à son témoignage.

46 Le capitaine Hainse est devenu le commandant de l’Installation de maintenance de la flotte de Cape Scott en décembre 2005; à ce titre, c’est lui qui a recommandé le licenciement. Il a témoigné que ses premiers contacts avec l’intéressé avaient eu lieu quelques mois seulement avant que celui-ci soit licencié. Le grief que le fonctionnaire s’estimant lésé avait présenté pour dénoncer le harcèlement dont il se disait victime et les détails de la médiation qui se poursuivait sont venus à l’attention du témoin au moment où il a assumé le commandement de l’Installation, dans le contexte de ce dont il héritait de son prédécesseur, le capitaine Smith. Il s’était fait dire que les plaintes du fonctionnaire s’estimant lésé avaient été présentées longtemps avant et qu’on avait fait bien des tentatives pour résoudre les problèmes par des mesures administratives, notamment la médiation en cours. Le capitaine Hainse a participé à la séance de médiation du 17 mars 2006. À cette occasion, il a déclaré au fonctionnaire s’estimant lésé qu’il recommanderait son licenciement pour raisons de santé s’ils n’arrivaient pas à s’entendre sur son retour au travail.

47 Le 28 avril 2006, M. Brown a écrit, au nom du fonctionnaire s’estimant lésé, au capitaine Hainse pour l’informer que la proposition de l’employeur en vue de son retour au travail était inacceptable. Le capitaine Hainse a répondu qu’il allait donc recommander le licenciement de l’intéressé :

[Traduction]

[…]

J’ai reçu une lettre datée du 28 avril 2006 de M. Lorne Brown, président du CEMTCM, m’informant que vous avez rejeté la proposition qui vous a été faite lors de la séance de médiation du 17 mars 2006.

Je regrette que nous ayons été incapables de résoudre ce problème; comme je vous l’ai dit à la séance de médiation, je n’ai d’autre choix que de recommander à l’officier investi par délégation du pouvoir de licencier des employés des FMAR(A), le cam DG McNeil, de vous licencier parce que vous êtes incapable de revenir au travail pour raisons de santé.

Vous serez informé par le cam McNeil de sa décision sur cette question.

[…]

48 Le capitaine Hainse a témoigné qu’il tenait à ce qu’on prenne les mesures appropriées pour assurer l’équité du processus de licenciement, après avoir constaté que le fonctionnaire s’estimant lésé avait rejeté les propositions de l’employeur; cela incluait l’obtention des renseignements médicaux nécessaires et des conseils des Ressources humaines, ainsi que tout ce qu’il fallait pour que le fonctionnaire s’estimant lésé soit traité conformément aux règles.

49 Un agent des Ressources humaines a informé le capitaine Hainse que les renseignements médicaux les plus récents qu’on avait sur le fonctionnaire s’estimant lésé avaient été obtenus en 2004; il fallait donc faire une mise à jour à ce sujet, avec le consentement de l’intéressé. Le 24 mai 2006, le capitaine Hainse a donc écrit au fonctionnaire s’estimant lésé pour obtenir ce consentement :

[Traduction]

[…]

Dans une lettre datée du 1er mai 2006, je vous ai informé que j’allais recommander votre licenciement au motif de votre incapacité de revenir au travail pour raisons de santé.

Quand j’ai préparé ma recommandation, j’ai constaté que votre dernière évaluation par le Dr Rosenburg était datée du 2 novembre 2004. Elle a été communiquée à M. Tom Denault, vice-président du Conseil de l’est des métiers et du travail des chantiers maritimes du gouvernement fédéral, en réponse à une demande d’examen du [traduction] « plan de recyclage/perfectionnement pour faciliter votre réintégration dans le milieu de travail ». Ce plan avait été élaboré en consultation avec des représentants du syndicat. À l’époque, le Dr Rosenburg avait déclaré [traduction] : « M. Pepper n’est actuellement capable d’occuper aucun des postes où il pourrait être employé, tels que mentionnés par le MDN. S’il était contraint de retourner au travail dans le poste qu’il occupait auparavant (ou dans un autre poste) avant que les problèmes qui l’ont amené à s’absenter de son travail pour raisons de santé ne soient résolus, je suis d’avis que ses symptômes de dépression persisteraient et que cela l’empêcherait de participer efficacement aux activités de son milieu de travail. » Votre avocat nous a informés par la suite que vous vouliez seulement retourner à votre poste d’attache, mais en relevant d’un autre superviseur. Dans la réponse que vous avez reçue au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, datée du 5 décembre 2002, il est écrit : [traduction] « […] la preuve ne justifie pas que le superviseur soit retiré de cet atelier. » La position du Ministère n’a pas changé.

Je tiens à communiquer avec le Dr Rosenburg pour faire le point sur votre état de santé depuis son évaluation datée du 2 novembre 2004. Je vous demanderais de m’indiquer si vous consentez ou non à ce que je communique avec le Dr Rosenburg. Veuillez cocher la case correspondante dans la deuxième copie de la lettre, ci-jointe, la signer et la mettre dans l’enveloppe qui m’est adressée. Je prendrai des dispositions pour qu’on aille la reprendre chez vous à 10 h le vendredi 26 mai 2006. Si cela ne vous convient pas, veuillez communiquer avec mon adjointe, […] pour que je puisse prendre d’autres arrangements.

[…]

50 La lettre en question a été livrée le 25 mai 2006 en mains propres plutôt que par la poste, parce que le capitaine Hainse craignait que le fonctionnaire s’estimant lésé ne soit pas disponible pendant l’été et qu’on l’avait informé que le Dr Rosenberg se préparait à prendre de longues vacances, de sorte qu’il risquait de ne pas être disponible lui non plus pour lui donner son opinion.

51 Le 2 juin 2006, le capitaine Hainse a écrit au Dr Rosenberg pour lui demander une mise à jour sur l’intéressé :

[Traduction]

[…]

Je vous écris pour vous demander confirmation de votre opinion sur l’état de santé de M. Michael Pepper, un employé de l’Installation de maintenance de la flotte de Cape Scott. Vous vous rappellerez peut-être avoir écrit, en novembre 2004, une lettre détaillée sur ce sujet à M. Thomas Denault, du Conseil des métiers et du travail des chantiers maritimes du gouvernement fédéral. À l’époque, le ministère de la Défense nationale s’était fait remettre une copie de cette lettre, pour l’aider à comprendre et résoudre les problèmes relatifs à l’emploi de l’intéressé. Depuis, nous avons continué de nous efforcer de surmonter les difficultés que M. Pepper éprouvait dans son milieu de travail, malheureusement sans succès. Le Ministère a informé M. Pepper, dans une lettre datée du 1er mai 2006, qu’on avait recommandé son licenciement pour des raisons non disciplinaires.

Je vous demande maintenant de confirmer si l’opinion détaillée qui figurait dans votre lettre de novembre 2004 est encore valide. N’hésitez pas à me donner tous les commentaires ou les avis que vous jugez pertinents. M. Pepper a consenti par écrit à ce que vous communiquiez ces renseignements au Ministère, conformément aux conditions précisées dans sa lettre ci-jointe en réponse à la nôtre du 24 mai 2006, elle aussi annexée. Je vous remercie à l’avance pour votre coopération à cet égard.

[…]

52 Le 8 juin 2006, le Dr Rosenberg a fait parvenir au capitaine Hainse son opinion sur l’état de santé du fonctionnaire s’estimant lésé :

[Traduction]

[…]

Je vous remercie pour votre lettre du 2 juin 2006. J’accuse réception du consentement par écrit de M. Pepper à ce que je corresponde avec vous; à la demande expresse de M. Pepper, j’enverrai aussi des copies de cette lettre à lui ainsi qu’à M. David Mombourquette.

Comme vous l’avez précisé, j’ai adressé, le 2 novembre 2004, une lettre au sujet de M. Pepper à M. Thomas Denault, en sa qualité de vice-président du Conseil de l’est des métiers et du travail des chantiers maritimes du gouvernement fédéral; j’en joins une copie pour vous.

Dans la lettre que vous m’avez adressée le 2 juin 2006, vous m’avez expressément demandé que je « confirme si l’opinion médicale détaillée que [j’ai] donn[ée] dans ma lettre de novembre 2004 reste valide. » Veuillez considérer la présente lettre comme la confirmation que ce que j’ai écrit dans ma lettre adressée à M. Denault le 2 novembre 2004 tient toujours. Qui plus est, cliniquement, je suis encore d’avis que l’absence de règlement des problèmes sévissant à son lieu de travail qui avaient mené aux symptômes de dépression de M. Pepper continue de lui imposer un lourd fardeau et d’aggraver ses symptômes, en les faisant persister.

[…]

53 Après avoir reçu cette lettre du Dr Rosenberg, le capitaine Hainse a rédigé un document dans lequel il recommandait au contre-amiral de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé. Dans son témoignage, il a expliqué que c’était le contre-amiral qui était investi par délégation du pouvoir de licencier des fonctionnaires. Il est allé le rencontrer en compagnie de l’agent principal des Ressources humaines, Jim Stewart, pour lui présenter une note d’information en trois volets.

54 Le premier volet, sous forme de note de service, était sa recommandation de licenciement motivé du fonctionnaire s’estimant lésé, fondée sur l’alinéa 11(2)g) et le paragraphe 11(4) (les nouveaux alinéa 12(1)e) et paragraphe 12(3)) de la Loi sur la gestion des finances publiques.

55 Le deuxième volet était un historique détaillé des états de service du fonctionnaire s’estimant lésé précisant son âge et sa situation familiale, les circonstances entourant la plainte de Mme Urquhart, ses plaintes de harcèlement, les détails sur les discussions et les échanges dans le contexte de la médiation (y compris le fait qu’elle avait échoué), un extrait de l’opinion du Dr Rosenberg et une recommandation de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé [traduction] « pour son incapacité à se présenter au travail à cause de sa maladie ». Ce volet avait été rédigé par Mme Donna Stringer, une agente de relations de travail; le capitaine Hainse l’avait approuvé avec quelques changements mineurs.

56 Le troisième volet était une lettre pour la signature du contre-amiral McNeil informant le fonctionnaire s’estimant lésé de son licenciement. Je n’ai pas reproduit le deuxième volet de la note d’information — un document de quatre pages — parce qu’on y trouve beaucoup de renseignements personnels et de détails sur ce qui s’était passé au cours de la médiation. Toutefois, je reproduis ici le premier volet, la recommandation du capitaine de vaisseau Hainse, où celui-ci expose au contre-amiral les raisons pour lesquelles il lui recommande de licencier l’intéressé :

[Traduction]

[…]

1. Le pouvoir de licencier un employé pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite en vertu de l’alinéa 11-2g) de la Loi sur la gestion des finances publiques a été délégué par le sous-ministre au commandant des Forces maritimes de l’Atlantique. Le licenciement doit être motivé (paragraphe 11(4) de la LGFP).

2. Le 1er mai 2006, j’ai informé M. Michael Pepper, un spécialiste des systèmes électroniques (SR-EEW-11) affecté à l’Installation de maintenance de la flotte de Cape Scott, que j’allais recommander son licenciement parce qu’il était médicalement incapable de retourner au travail. Le Conseil du Trésor a exigé que le médecin traitant de M. Pepper confirme que son opinion sur l’état de santé de l’intéressé en date du 2 novembre 2004 restait valide; cette confirmation a été reçue dans une lettre datée du 8 juin 2006.

3. M. Pepper est absent de son travail depuis 1999. Après la clôture administrative, en septembre 2001, des cinq dossiers de plaintes de harcèlement qu’il avait déposées et dont les résultats n’ont pas été acceptables selon lui, M. Pepper a présenté un grief déclarant que la direction l’avait mal traité depuis 1997 et que c’est ce qui l’avait fait tomber malade. Son grief a été rejeté au dernier palier de la procédure de règlement de griefs du Ministère, dans une décision datée du 5 décembre 2002. Par la suite, M. Pepper a renvoyé son grief à l’arbitrage et l’Employeur a accepté une offre de médiation. Il y a eu des séances et des rencontres de médiation depuis septembre 2003. Au cours de la médiation, on a déployé des efforts considérables pour tenter d’établir un programme de retour au travail adapté aux besoins de M. Pepper. En dépit de ces efforts, ce plan a été jugé inacceptable par M. Pepper. J’annexe une note d’information précisant la chronologie du dossier. La plus récente séance de médiation a eu lieu le 17 mars 2006; on a alors présenté une proposition « finale » à M. Pepper, en l’informant qu’on recommanderait son licenciement si la médiation devait échouer. Le 28 avril 2006, nous avons été informés, par une lettre du président du Conseil de l’est des métiers et du travail des chantiers maritimes du gouvernement fédéral, que M. Pepper avait rejeté la proposition du Ministère. Par conséquent, le grief sera porté à l’arbitrage; nous avons été informés que M. Pepper présentera un grief pour contester son licenciement à l’arbitrage. Les deux griefs devraient être entendus en même temps à l’arbitrage.

4. Vous trouverez ci-jointe, pour votre signature, une lettre informant M. Pepper de son licenciement.

[…]

57 Le capitaine Hainse a témoigné que le contre-amiral McNeil a lu la note d’information et demandé quelques explications avant de signer la lettre de licenciement — le troisième volet de la note d’information —, qui se lit comme il suit :

[Traduction]

[…]

Le 3 juin 2006

[…]

J’ai pris connaissance de la recommandation du commandant de l’Installation de maintenance de la flotte de Cape Scott, le capitaine J.G.C. Hainse, en vue de votre licenciement motivé par votre incapacité de vous présenter au travail pour raisons de santé.

Vous êtes absent de votre travail depuis 1999, et il est regrettable que les efforts considérables qui ont été déployés pour établir un programme de retour au travail à votre intention aient échoué.

En vertu des pouvoirs qui m’ont été délégués par le sous-ministre conformément au paragraphe 11 (2) g) de la Loi sur la gestion des finances publiques et qui m’autorisent à vous licencier pour des raisons autres qu’une inconduite, je vous licencie à compter du 14 juillet 2006. L’Article 19 de votre convention collective vous donne le droit de présenter un grief pour contester ma décision.

[…]

58 Le 11 décembre 2006, le fonctionnaire s’estimant lésé a écrit au capitaine Hainse pour lui demander des explications sur le processus d’arbitrage des griefs et sur la responsabilité que la direction devait assumer étant donné qu’elle n’avait pas réglé ses plaintes de harcèlement. Le capitaine Hainse lui a répondu le 18 janvier 2007 en le renvoyant à son représentant en matière d’arbitrage de griefs ainsi qu’en faisant le point sur les efforts les plus récents que l’Installation avait déployés au sujet de ses plaintes de harcèlement. Il déclarait aussi que l’enquête informelle sur la plainte de Mme Urquhart n’avait pas été concluante et qu’on n’avait jamais produit de rapport à cet égard.

59 En contre-interrogatoire, le capitaine Hainse a déclaré avoir présenté au contre-amiral les renseignements et recommandations figurant dans la note d’information à l’occasion de sa rencontre avec lui. Les questions qu’il considérait comme pertinentes étaient les nombreuses tentatives de médiation pour faire revenir le fonctionnaire s’estimant lésé au travail. Il a admis que les seules tentatives qu’il connaissait à ce sujet étaient les 10 options et recommandations qui avaient été présentées à l’intéressé dans le contexte de la médiation. Il a admis ne pas avoir participé à l’élaboration de ces options et déclaré qu’il ne savait pas qu’elles avaient été avancées dans le contexte des discussions de la médiation en 2004. Il ne savait pas non plus que ces échanges s’étaient déroulés « sous toutes réserves », dans le cadre d’un échange de renseignements confidentiels pendant la médiation.

60 Lorsqu’on l’a interrogé sur les plaintes de harcèlement du fonctionnaire s’estimant lésé, le capitaine Hainse a déclaré qu’il n’était pas revenu sur la question et n’avait pas non plus remis en cause les conclusions du capitaine Payne à l’égard de ces plaintes, puisqu’il n’avait pas pour rôle de valider les décisions de son prédécesseur. Quand il avait parlé avec le capitaine Payne, il avait notamment obtenu des renseignements contextuels sur le fonctionnaire s’estimant lésé, sur les conclusions de son prédécesseur et sur l’enquête. Le capitaine Payne avait simplement informé le contre-amiral que le grief du fonctionnaire s’estimant lésé allait faire l’objet d’une médiation. Le capitaine Hainse a reconnu que, même si la note d’information présentée au contre-amiral faisait état de l’enquête sur les plaintes de harcèlement du fonctionnaire s’estimant lésé, elle ne mentionnait ni les conclusions, ni les recommandations des enquêteurs, ni non plus ce que le capitaine Payne avait dit au sujet de leur rapport.

61 Le capitaine Hainse a admis s’être fié à Mme Stringer quant au contenu de la note d’information (et plus particulièrement du paragraphe 14, sur le processus de médiation et sur les options qui avaient été présentées au fonctionnaire s’estimant lésé). Il a déclaré qu’il était présent à la séance de médiation du 27 mars 2006. Sa décision de recommander le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé si la médiation devait échouer était basée sur le fait que la médiation s’éternisait et que les propositions de l’employeur n’avaient donné aucun résultat. Il a admis n’avoir pas étudié d’autres options pour que l’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé continue après l’échec de la médiation. Les seuls renseignements qu’il ait obtenus avant de faire sa recommandation au contre-amiral étaient une mise à jour sur l’état de santé de l’intéressé. Il n’avait pas envisagé d’obtenir d’autres renseignements médicaux.

62 Quand il s’est fait demander pourquoi il était si urgent de recommander le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé, le capitaine Hainse a répondu que cette décision aurait dû être prise depuis longtemps. M. Cormier lui avait dit que le fonctionnaire s’estimant lésé était malade et qu’il ne pourrait pas retourner au travail. Au cours de la dernière phase de la médiation, il ne semblait pas possible qu’il puisse le faire. Toutes les options avaient été présentées au cours de la médiation. Le fait que les « problèmes » du fonctionnaire s’estimant lésé étaient restés sans solution était mauvais pour le moral de l’unité. Le capitaine Hainse s’interrogeait sur l’importance que le fonctionnaire s’estimant lésé accordait à son emploi, puisqu’il ne semblait pas vouloir résoudre les problèmes relatifs à son lieu de travail. Il craignait aussi que d’autres employés aient l’impression que l’unité manquait de leadership si l’on ne réglait pas les problèmes de ce genre, et que l’efficience du service en souffrirait. Il a admis, toutefois, que les autres employés ne s’étaient pas plaints de cela, ni de l’absence du fonctionnaire s’estimant lésé.

63 Le capitaine Hainse a expliqué qu’il y avait eu une période de transition — avec le capitaine Smith — quand il avait assumé son commandement. Une employée des Ressources humaines l’avait préparé à la séance de médiation du 17 mars 2006. Il a témoigné qu’il ne savait pas pour quelles raisons la médiation avait été retardée pendant un certain temps entre 2003 et 2006, sauf que l’avocat qui représentait l’employeur était parti en congé prolongé et qu’on avait fini par le remplacer. Il ne savait pas non plus que la médiation avait été retardée à cause des changements de commandement à Cape Scott. Enfin, il ignorait aussi que le fonctionnaire s’estimant lésé touchait des prestations pour un accident de travail plutôt que des prestations d’invalidité à long terme, comme il le croyait.

64 Le capitaine Hainse a affirmé que le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé s’était fait dans les règles, compte tenu des plaintes de l’intéressé dénonçant la façon dont la direction avait géré l’enquête sur le harcèlement dont celui-ci se disait victime. À son avis, il avait des motifs raisonnables pour licencier le fonctionnaire s’estimant lésé et avait agi conformément à la politique de licenciement de l’employeur figurant dans les Lignes directrices sur la rétrogradation ou le licenciement pour des raisons autres qu’une inconduite ou un rendement insatisfaisant.

65 Enfin, le capitaine Hainse a reconnu avoir parlé de la médiation en cours avec M. Cormier entre décembre 2005 et mars 2006, en disant toutefois qu’il ne pouvait pas se rappeler les détails. Il s’inquiétait du fait qu’il y avait eu de nombreuses tentatives de médiation afin que le fonctionnaire s’estimant lésé puisse retourner au travail, mais que tout cela était resté sans résultats. Il a déclaré que la note d’information avait été rédigée sur ses instructions par un agent des relations de travail, laquelle avait pris l’initiative d’inclure dans cette note les renseignements concernant les échanges dans le cadre de la médiation.

III. Résumé de l’argumentation

66 Comme le fonctionnaire s’estimant lésé a entamé le premier la procédure, ses arguments sont présentés d’abord.

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

1. Compétence de la Commission pour entendre le grief sur le harcèlement du fonctionnaire s’estimant lésé

67 Le fonctionnaire s’estimant lésé déclare que son grief de harcèlement est fondé sur l’article 5 de la convention collective — Responsabilités de la direction — et conforme à la jurisprudence tendant à reconnaître le principe qu’un employé peut présenter un grief pour dénoncer le harcèlement que son employeur lui fait subir, comme dans Toronto Transit Commission and A.T.U. (Stina) (2004), 132 L.A.C. (4th) 225. Même si la convention collective ne contient aucune disposition sur les violations des droits de la personne, l’employeur a l’obligation implicite de veiller à la sécurité psychologique de ses employés, et cela lui interdit d’exercer ses droits abusivement.

68 Les tribunaux ont aussi reconnu que les arbitres de griefs ont compétence si le conflit découle fondamentalement de l’interprétation, de l’application, de l’administration ou d’une violation de la convention collective (Ferreira v. Richmond, 2007 BCCA 131). Ils ont également donné la préférence au processus de règlement des conflits établi par la convention collective ou par la loi lorsqu’il prévoit des recours efficaces compatibles avec la nature fondamentale du conflit (Pleau (Litigation Guardian of) v. Canada (Attorney General), 1999 NSCA 159. Les allégations d’inconduite d’un superviseur à l’endroit d’un employé devraient être instruites à l’arbitrage de griefs, conformément aux principes établis dans Oliver v. Severance, 2007 PESCAD 2.

69 Le fonctionnaire s’estimant lésé soutient en outre que la décision de l’employeur au sujet de ses plaintes de harcèlement était contestable et qu’elle devrait être cassée pour des raisons analogues à celles que la Cour fédérale a retenues dans Tucci c. Canada (Revenu, Douanes, Accise et Impôt), 1997 CanLII 4875 (CF). Dans cette affaire, la Cour fédérale a renversé la décision d’un enquêteur désigné en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique parce que ses motifs n’avaient pas prouvé qu’il avait tenu compte des allégations d’abus de pouvoir qu’on lui avait signalées pour arriver à sa décision. Il ne suffisait pas que l’employeur ait jugé qu’il n’y avait pas eu d’intention de nuire, puisqu’il devait aussi ne pas oublier que les décisions prises par le superviseur du fonctionnaire s’estimant lésé, par ses autres gestionnaires et par l’agent des Ressources humaines n’avaient pas été conformes aux politiques ministérielles. En l’espèce, le fonctionnaire s’estimant lésé allègue que l’employeur n’a pas tenu compte des recommandations de l’équipe d’enquêteurs officiels et n’a accordé aucune importance au manque de coopération de certains gestionnaires clés, alors que ces actions constituaient aussi du harcèlement à son endroit. La solution que l’employeur a retenue en offrant un programme de formation aux gestionnaires n’a pas facilité le règlement du conflit dénoncé par le fonctionnaire s’estimant lésé.

70 Dans ces circonstances, les arbitres de griefs doivent avoir la compétence d’arbitrer un grief dénonçant le non-respect des politiques de l’employeur conçues pour protéger les droits des employés, comme la déclaration de politique des FMAR(A) sur les bonnes relations de travail qui était en vigueur lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté sa plainte.

71 Le fonctionnaire s’estimant lésé fait valoir que le non-respect par l’employeur de sa procédure établie en vue du règlement de sa plainte de harcèlement devrait justifier le versement de dommages-intérêts, comme dans Toronto Transit Commission. Il réclame un dédommagement au-delà du remboursement des pertes subies au titre de son traitement, parce que les actes de l’employeur ont eu des répercussions à long terme sur sa carrière et sur ses avantages sociaux et qu’ils ont aussi aggravé son état. Il me demande de me prévaloir de ma compétence en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne pour ordonner qu’on lui verse des dommages-intérêts généraux afin de compenser le tort qu’on lui a fait.

2. Licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé

72 Selon le fonctionnaire s’estimant lésé lorsque l'employeur a décidé de le licencier, il n’a pas respecté son obligation de tenir compte de son incapacité mentale tant qu’il n’en résultait pas une contrainte excessive pour lui, comme l'exige la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il maintient en outre que la décision de le licencier était basée sur des facteurs à la fois non pertinents et inadmissibles, dont des discussions dans le contexte de la médiation.

73 Les mesures d’adaptation que l’employeur a offert de prendre se limitaient aux options figurant dans le document produit au cours de la médiation. Pour revenir au travail, le fonctionnaire s’estimant lésé avait besoin de reprendre son poste sans relever de son ancien superviseur, M. Martin, à qui il imputait son piètre état psychologique. C’était la conclusion du psychiatre du fonctionnaire s’estimant lésé, et c’est une condition que celui-ci avait expressément posée. Pourtant, l’employeur n’a pas demandé à M. Martin s’il était disposé à changer de poste, même si ce dernier lui avait fait savoir qu’il ne se sentirait plus à son aise s’il devait superviser l’intéressé. L’employeur a préféré endosser le comportement de son superviseur durant le conflit, sans jamais envisager cette option. D’après le fonctionnaire s’estimant lésé, cette attitude est fatale à la position de l’employeur qu’il aurait tenté de prendre des mesures d’adaptation pour le satisfaire.

74 Le fonctionnaire s’estimant lésé part du principe que les discussions dans le cadre de la médiation sont confidentielles et ne peuvent donc pas faire l’objet d’une procédure d’arbitrage de griefs par la suite. Or, les discussions ne sont pas restées confidentielles; on en a divulgué le contenu à plusieurs personnes qui ne faisaient pas partie de l’équipe de médiation en s’en servant pour justifier le licenciement, lequel n’est donc pas fondé, parce que basé sur des facteurs inacceptables.

75 En outre, le fonctionnaire s’estimant lésé déclare que le capitaine Payne lui avait promis qu’on fermerait le dossier de la plainte de Mme Urquhart, alors que la question de l’enquête sur ses plaintes de harcèlement, ses griefs et le processus de médiation sont revenus sur le tapis, puisqu’on les a invoqués pour le licencier. Il n’est pas précisé dans la note d’information que le rapport des enquêteurs sur ses plaintes lui avait donné raison, ni que le capitaine Payne avait décidé par la suite de ne pas souscrire aux conclusions de ce rapport.

76 La note d’information contient bien des détails sur les propositions dont il a été question au cours de la médiation et impute le blâme de l’échec du processus au fonctionnaire s’estimant lésé, parce qu’il a rejeté les propositions de l’employeur. Ces faits lui sont préjudiciables, étant donné que le contre-amiral n’avait d’autre contexte que celui de la note d’information pour évaluer ses raisons de ne pas retourner au travail. Il n’est pas non plus précisé dans la note d’information qu’une grande partie du temps consacré à la médiation était attribuable à la non-disponiblité de l’avocat de l’employeur, au changement de commandement ou à l’insuffisance des propositions qu’on avait avancées pour l’inciter à retourner au travail. Les faits présentés sont sélectifs et certains d’entre eux sont même carrément faux, par exemple lorsqu’on prétend qu’il aurait été incapable de se présenter à une séance de médiation en janvier 2004 parce qu’il était malade et qu’il se serait engagé à soumettre une contre-proposition ce mois-là. Le fonctionnaire s’estimant lésé affirme qu’aucun de ces faits n’aurait dû être mentionné dans la note d’information, pas plus d’ailleurs que les options qui lui avaient été proposées. Puisque le contre-amiral s’est fondé sur les faits incomplets et trompeurs figurant dans la note d’information, sa décision devrait être considérée comme nulle ab initio.

77 Le fonctionnaire s’estimant lésé soutient de plus que son licenciement était illégal parce que l’employeur ne s’était pas conformé aux procédures de licenciement prévues par sa politique, les Lignes directrices sur la rétrogradation ou le licenciement pour des raisons autres qu’une inconduite ou un rendement insatisfaisant. Il n’y avait pas eu d’évaluation médicale en bonne et due forme ni non plus de discussion avec l’intéressé sur les autres options envisageables, comme cette politique l’exige, avant qu’on ne décide de le licencier. L’employeur ne s’est pas conformé à sa procédure établie pour le licencier, tout comme il a fait fi de la procédure établie pour traiter ses plaintes de harcèlement.

78 L’employeur n’a pas non plus tenté de prendre des mesures d’adaptation au point qu’il risque d’en résulter une contrainte excessive afin de donner satisfaction au fonctionnaire s’estimant lésé. Il n’a avancé aucune preuve que des mesures prises pour que l’intéressé puisse retourner au travail auraient causé des difficultés financières ou que son absence perturbait les activités de son service ou encore sapait le moral et le rendement des autres travailleurs.

79 Le fonctionnaire s’estimant lésé est d’avis que son licenciement était « chose faite » avant même la séance de médiation du 17 mars 2006. L’employeur a manqué de tact en envoyant des militaires lui remettre une lettre à sa résidence ainsi qu’en tentant d’obtenir une opinion médicale de son psychiatre sans son consentement.

80 Le fonctionnaire s’estimant lésé demande que son renvoi soit annulé et qu’on le réintègre sans perte d’ancienneté ni de rémunération. Il me demande en outre de me prévaloir du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré aux termes de l’alinéa 226g) de la nouvelle LRTFP afin d’ordonner qu’on lui verse des dommages-intérêts de 20 000 $ pour les souffrances que lui a causées cette épreuve et pour avoir violé les alinéas 52(1)b) et 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il déclare que son licenciement était discriminatoire et que l’employeur savait que sa décision lui causerait du tort. En outre, l’employeur a agi avec insouciance en n’envisageant pas de mesures d’adaptation.

81 Pour étayer son argument sur la confidentialité du processus de médiation, le fonctionnaire s’estimant lésé a cité les décisions suivantes : Rogacki v. Belz, 2003 CanLII 12584 (Cour d’appel de l’Ontario); Rudd v. Trossacs Investments Inc., 79 O.R. (3d) 687 (Cour supérieure de justice de l’Ontario – Cour divisionnaire) et enfin Skandharajah c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), 2000 CRTFP 114, sur les effets définitifs de la médiation.

B. Pour l’employeur

1. Compétence de la Commission pour entendre le grief de harcèlement du fonctionnaire s’estimant lésé

82 Selon l’employeur, contrairement à ce qui se passe dans le secteur privé, dans l’administration fédérale, la compétence des arbitres de griefs découle de la LRTFP (l’ancienne, qui s’appliquait alors) plutôt que de la convention collective elle-même. Les articles 91 et 92 de l’ancienne LRTFP et les articles 208 et 209 de la nouvelle établissent un droit général de présenter un grief. Par contre, le droit à l’arbitrage de ces griefs est limité à trois possibilités. Comme le harcèlement n’en est pas une, le grief en question ne saurait donc être renvoyé à l’arbitrage.

83 L’argument du fonctionnaire s’estimant lésé voulant que son droit de porter son grief à l’arbitrage découle de la clause sur les responsabilités de la direction de la convention collective n’est pas valide parce qu’incompatible avec les dispositions législatives précises qui régissent le secteur public fédéral. Toronto Transit Commission procède d’un contexte législatif entièrement différent. En outre, le paragraphe 96(2) de l’ancienne LRTFP interdit aux arbitres de griefs de modifier les conventions collectives. On en trouve un bon exemple dans Bratrud c. Bureau du surintendant des institutions financières du Canada, 2004 CRTFP 10. Dans cette affaire-là, la fonctionnaire s’estimant lésée avait allégué que l’évaluation de son rendement constituait du harcèlement personnel. La convention collective applicable contenait une clause protégeant spécifiquement les employés contre le harcèlement personnel, ce qui donnait à l’arbitre de grief la compétence nécessaire pour entendre sa plainte. En outre, dans Canada (Procureur général) c. Lachapelle, [1979] 1 C.F. 377, et dans Baril c. Canada (Procureur général), [1980] 1 C.F. 55, la Cour fédérale a rejeté l’idée qu’une lettre disciplinaire puisse être contestée devant un arbitre de grief en se fondant sur le même principe : pour que le grief soit arbitrable, il doit invoquer un droit précis prévu dans la Loi.

84 Qui plus est, le fonctionnaire s’estimant lésé a aussi déposé la même plainte à la CFP, l’instance habilitée à connaître de ce genre de plainte, qui l’a rejetée. Si le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas satisfait de cette décision, il aurait pu la contester devant une autre instance. Ce n’est pas parce qu’il s’est fait dire que présenter un grief aurait peut-être été préférable que le grief est renvoyable à l’arbitrage. Les arbitres de griefs n’ont pas compétence pour se prononcer sur des griefs où l’on allègue que l’employeur ne s’est pas conformé à ses politiques. L’objet des prétentions du fonctionnaire s’estimant lésé est du ressort exclusif de la CFP, comme on l’a établi dans Adams v. Cusak, 2006 NSCA 9.

85 Subsidiairement, l’employeur affirme que le grief n’est pas fondé. Le fait que le capitaine Payne n’ait pas souscrit aux conclusions des enquêteurs n’est pas répréhensible, puisqu’il avait l’obligation de prendre la décision dans ce cas-là, en sa qualité d’agent de réexamen. Rien ne prouve qu’il ait agi de mauvaise foi ni qu’il ait pris sa décision en se fondant sur un motif contestable. Il a admis que les gestionnaires avaient fait des erreurs, mais conclu qu’elles n’équivalaient pas à du harcèlement à l’endroit du fonctionnaire s’estimant lésé. Le fait que certains gestionnaires n’avaient pas participé à l’enquête n’a pas empoisonné l’ensemble du processus.

86 L’employeur ne souscrit pas non plus à l’idée que ne pas avoir respecté la politique sur le harcèlement constitue du harcèlement en soi. C’est à l’officier responsable qu’il revenait de déterminer s’il y avait eu harcèlement. La question a été jugée par la CFP et tranchée derechef dans la procédure de règlement des griefs. Dans les deux cas, on a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas été victime de harcèlement.

2. Licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé

87 L’employeur déclare que Scheuneman c. Canada (Conseil du Trésor), [2000] 2 C.F. 365, fait autorité sur le principe qu’un fonctionnaire s’estimant lésé doit être capable de revenir au travail dans un délai raisonnable et que tout congé est temporaire. L’employeur a le droit d’agir en fonction des renseignements médicaux qu’il a. Que la maladie ou l’invalidité ait été causée par le lieu de travail n’est pas pertinent. Le psychiatre du fonctionnaire s’estimant lésé avait conclu que celui-ci ne pourrait pas retourner au travail tant que ses problèmes ne seraient pas résolus. Cette conclusion médicale ne justifie pas qu’on prenne des mesures d’adaptation pour faciliter le retour au travail de l’intéressé. L’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation ne signifie pas qu’il était tenu de régler les problèmes du fonctionnaire s’estimant lésé à sa satisfaction, si l’intéressé n’était pas en mesure de revenir au travail dans un avenir prévisible.

88 Accepter la position du fonctionnaire s’estimant lésé qu’il ne pourra pas retourner au travail tant que ses problèmes n’auront pas été résolus revient à contraindre l’employeur à y souscrire. Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné que les procédures administratives n’ont pas fermé le dossier en ce qui le concerne et que même la procédure d’arbitrage des griefs ne le fera peut-être pas. Clore le sujet ne fait pas partie de l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation. On ne saurait interpréter cette obligation comme si elle devait le contraindre à satisfaire à tout ce que le fonctionnaire désire.

89 L’employeur soutient que le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé était la seule conclusion raisonnable à tirer dans les circonstances, puisqu’il s’était absenté de son travail depuis longtemps et que son retour au travail n’était pas probable dans un avenir prévisible (Brown et Beatty, paragr. 7:60000). Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas produit de preuve justifiant le versement de dommages-intérêts exemplaires. S’il s’est blessé à son lieu de travail, il est protégé par un régime d’assurance-invalidité.

90 L’employeur fait valoir qu’il serait inacceptable qu’on retire le superviseur immédiat du fonctionnaire s’estimant lésé de son poste puisqu’il n’a pas conclu que ce superviseur avait harcelé l’intéressé. Si l’employeur devait retirer le superviseur de son poste sans son consentement, il prêterait le flanc à une plainte d’un superviseur innocent ayant agi sur la foi des renseignements dont il disposait à l’époque. Qui plus est, la procédure d’arbitrage des griefs peut remédier à toutes les lacunes de la décision de l’employeur.

91 L’employeur fait aussi valoir qu’il y a toujours un problème quand la médiation n’arrive pas à résoudre un conflit et que le litige est porté à l’arbitrage. La position de l’employeur est délicate, puisqu’il ne peut pas faire état de ce qui a été proposé au fonctionnaire s’estimant lésé dans le cadre de la médiation. Cette position consiste à soutenir qu’il était justifié qu’un représentant de la direction informe le contre-amiral de ce qui s’était passé dans le contexte de la médiation. En l’espèce, il est précisé dans la note d’information qu’on n’avait pas réussi à conclure une entente et que la décision de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé découlait de cet échec. Cela dit, il vaut de préciser aussi que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas été au travail pendant sept ans et qu’on ne pouvait envisager son retour au travail dans un avenir prévisible.

92 L’employeur termine en déclarant que le simple fait qu’on ait étudié des options dans le cadre de la médiation ne justifie pas que l’employeur ne puisse pas en tenir compte dans la décision qu’il prend ultérieurement. En l’occurrence, il ne faudrait pas qu’on laisse ces facteurs infirmer sa décision de licencier l’intéressé.

C. Réplique du fonctionnaire s’estimant lésé

93 Le fonctionnaire s’estimant lésé réplique que les discussions dans le contexte de la médiation se font sous toutes réserves, c’est-à-dire sans préjudice, et que c’est pour cette raison que leur contenu n’est pas divulgué. Il ne souscrit pas à l’idée que le contre-amiral avait le droit d’en être informé simplement parce qu’il fait partie de la direction et qu’il pouvait agir en se fondant sur les renseignements ainsi obtenus.

94 Le fonctionnaire s’estimant lésé réfute l’argument de l’employeur quant au retrait du superviseur de son poste, parce que cette possibilité n’a jamais été envisagée.

95 Il souligne enfin que l’employeur interprète la loi de façon trop restrictive et qu’il n’a pas tenu compte des répercussions de Toronto Transit Commission sur cet aspect de la loi en évolution ni sur la portée de la compétence des arbitres de griefs. Il me presse de tenir judicieusement compte des grands principes en jeu dans cette affaire et de la façon de les appliquer à son grief de harcèlement. L’employeur devrait être tenu de respecter ses politiques déclarées, parce qu’elles portent sur l’application de la convention collective. N’eut été des actions de l’employeur, le fonctionnaire s’estimant lésé ne se serait pas absenté de son travail; c’est pour cette raison qu’il estime qu’on lui doit des dommages-intérêts.

IV. Motifs

A. Compétence de l’arbitre de grief pour trancher un grief de harcèlement en vertu de l’ancienne LRTFP

96 Puisque ce grief a été déposé le 16 janvier 2002, c’est l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique qui s’y applique; cette loi définit non seulement la procédure d’arbitrage des griefs que la Commission doit gérer, mais aussi l’objet des différends arbitrables. L’article 92 de la LRTFP précise très clairement le type de grief qu’on peut renvoyer à l’arbitrage :

92. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief portant sur :

a) l’interprétation ou l’application, à son endroit, d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) dans le cas d’un fonctionnaire d’un ministère ou secteur de l’administration publique fédérale spécifié à la partie I de l’annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visés aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

[…]

97 La compétence des arbitres nommés en vertu de l’ancienne LRTFP dans le secteur public fédéral diffère nettement de la grande compétence dont disposent notamment les arbitres nommés en vertu du Code canadien du travail, qui prévoit que :

      57. (1) Est obligatoire dans la convention collective la présence d’une clause prévoyant le mode — par arbitrage ou toute autre voie — de règlement définitif, sans arrêt de travail, des désaccords qui pourraient survenir entre les parties ou les employés qu’elle régit, quant à son interprétation, son application ou sa prétendue violation.

          […]

      60. (1) L’arbitre ou le conseil d’arbitrage a les pouvoirs suivants :

          […]

a.1) celui d’interpréter et d’appliquer les lois relatives à l’emploi et de rendre les ordonnances qu’elles prévoient, même dans les cas où elles entrent en conflit avec la convention collective;

          […]

[Je souligne]

98 Ma compétence étant définie précisément par la Loi, je ne puis me fonder sur aucune autre source, même si la convention collective applicable peut sembler créer des droits collatéraux. Dans Lachapelle, la Cour fédérale du Canada a été décisive à cet égard :

[…]

Il est évident qu’il faut se demander au départ d’où vient ce droit d’un employé de soumettre un grief à arbitrage devant la Commission-intimée ou plus précisément devant un arbitre ou un conseil arbitral agissant dans le cadre de règles établies par elle. La réponse ne fait pas de doute. C’est la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique qui a organisé ce régime d’arbitrage et a chargé la Commission qu’elle créait d’en surveiller la mise en oeuvre. C’est donc dans cette loi seule qu’on peut trouver la source du droit d’un employé de recourir à la procédure d’arbitrage et en conséquence celle du pouvoir de la Commission ou de l’arbitre désigné par elle de se saisir d’un grief qui lui est soumis. Or, un article de cette loi, l’article 91, s’emploie à préciser le cas où un grief peut être renvoyé à arbitrage, et il le fait de façon exhaustive, sans déléguer à qui que ce soit le pouvoir de décider autrement à cet égard: c’est lui seul qui doit en conséquence être considéré. Le raisonnement peut paraître simpliste; il méritait néanmoins d’être exprimé pour contrer à l’avance toute tentative de chercher ailleurs que dans la Loi, soit dans la convention collective applicable et spécialement dans la clause 9.23 de cette convention portant sur la procédure de grief et d’arbitrage, la source du droit de l’employé et partant de la compétence de la Commission ou de l’arbitre. En fait, l’arbitre-intimé ici a rapidement rejeté l’argument qu’on avait tenté de faire valoir devant lui à cet effet et le procureur du mis-en-cause n’a pas insisté devant moi. Je ne m’y attarde pas: les parties dans leur convention ne pouvaient prétendre stipuler à l’encontre de ce que le Parlement a prescrit, dans cet article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, quant au droit d’un employé de recourir à la procédure d’arbitrage.

[…]

99 L’allégation du fonctionnaire s’estimant lésé qu’on l’aurait mal traité n’est pas un grief contestant une « mesure disciplinaire entraînant le congédiement, la suspension ou une sanction pécuniaire ». De même, réclamer un dédommagement pour les pertes subies au titre du traitement et des avantages ainsi que des dommages-intérêts ne saurait rendre arbitrable un grief qui ne l’est pas.

100 Je ne souscris pas à l’argument du fonctionnaire s’estimant lésé voulant que je doive interpréter ma compétence au sens large, comme Toronto Transit Commission le laisse entendre. Selon M. Pepper, son grief porte sur l’interprétation de la convention collective parce qu’il allègue que l’employeur n’a pas bien appliqué ses politiques de gestion. Toutefois, et bien que l’employeur assume dans la convention collective l’obligation de traiter ses employés équitablement en appliquant ses politiques, l’existence de cette clause ne crée aucune obligation dont on puisse imposer le respect. Lorsque l’employeur ne s’est pas conformé à ses propres politiques, les seuls recours du fonctionnaire insatisfait sont la procédure de règlement des griefs (ou un autre recours législatif, le cas échéant). Dans les cas de harcèlement, c’est la CFP qui est l’instance appropriée pour obtenir réparation en portant plainte. Si la CFP rejette la plainte, le recours pour faire contrôler sa décision est à la Cour fédérale et non à la CRTFP. Je dois souligner que l’article 7.5 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-33, a donné à la CFP les grands pouvoirs de redressement nécessaires pour ordonner à l’administrateur général de prendre les mesures correctives appropriées, si elle avait rendu une décision en ce sens.

101 Je n’ai donc pas compétence pour trancher ce grief.

B. Le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé a-t-il été fondé sur des facteurs inacceptables?

102 Le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé soulève deux questions : a) l’utilisation de renseignements confidentiels obtenus dans le cadre de la médiation et b) l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’un employé ayant une déficience.

1. Utilisation de renseignements confidentiels obtenus dans le cadre de la médiation

103 Le fonctionnaire s’estimant lésé allègue que son licenciement était fondé sur des renseignements échangés dans le cadre de la médiation, notamment sur le fait qu’on a jugé que la médiation aurait échoué puisqu’il avait refusé d’accepter des propositions avancées par l’employeur pour qu’il retourne au travail. L’intéressé fait valoir que les renseignements figurant dans la note d’information sur laquelle le contre-amiral s’est basé pour prendre la décision de le licencier lui étaient préjudiciables. L’employeur a répliqué que le contre-amiral avait le droit, en sa qualité de membre de la direction, d’être informé des discussions qui avaient eu lieu au cours de la médiation et que, quelles qu’aient été ces discussions, la décision de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé était fondée sur le fait qu’on ne pouvait pas raisonnablement s’attendre qu’il revienne au travail dans un avenir prévisible.

104 Avant de me pencher sur la validité de ces arguments, je dois expliquer les principes du processus de médiation tels qu’ils s’appliquent au règlement des conflits en milieu de travail.

105 Il est reconnu que la médiation de ces conflits est plus propice que l’arbitrage des griefs à la recherche d’une solution mutuellement acceptable pour les parties. Les décisions rendues dans la procédure d’arbitrage des griefs les accueillent ou les rejettent, tandis que la médiation autorise, et même encourage une meilleure coopération pour la résolution des problèmes. Il est généralement reconnu aussi que la qualité des résultats obtenus pour régler les griefs est plus grande lorsque la solution est acceptée d’un commun accord par les parties plutôt qu’imposée par un tiers. Qui plus est, ce type de mécanisme de règlement des conflits favorise une coopération accrue à long terme, c’est bien connu.

106 La médiation ne ferait pas long feu si les parties n’étaient pas disposées à collaborer en échangeant l’information dont elles disposent pour étudier des possibilités de règlement. Il s’ensuit que le choix et l’application de la médiation nécessitent un engagement mutuel des parties à coopérer davantage pour surmonter leurs conflits, étant donné que leur approche habituelle est basée sur la confrontation et sur les attentes correspondantes de leurs clientèles respectives. Cette approche de coopération est une des principales raisons du succès de la médiation; non seulement reflète-t-elle la motivation et l’attitude des parties, mais aussi est-elle fondée sur le sentiment de confiance mutuelle qui doit se créer dans le cadre du processus.

107 La confidentialité du processus est un des éléments qui contribuent à ce sentiment de confiance mutuelle entre les parties à la médiation. En fait, la plupart des participants partent du principe que la confidentialité du processus est un fait acquis. Mais il y a plus : la confidentialité est aussi une condition expresse de l’accord conclu entre les parties à la médiation, ce qui signifie que seuls les participants et les personnes qui ont le pouvoir de régler le conflit en bout de ligne sont au courant des détails de la médiation. La confidentialité est importante parce que, du point de vue des parties en cause, les discussions peuvent soulever des éléments très personnels et entraîner des décisions concernant la carrière des intéressés. Du point de vue des avocats, les répercussions éventuelles de la médiation sur les procédures qui pourraient être intentées ultérieurement sont importantes au moment où ils décident de la quantité d’informations à divulguer lors des discussions.

108 Ces facteurs expliquent pourquoi la confiance mutuelle entre les participants eux-mêmes et le médiateur est cruciale dans ce processus. L’existence même du conflit peut inciter les participants à se méfier, de sorte qu’ils ne sont disposés à divulguer des renseignements personnels importants que si le médiateur réussit à créer un climat de confiance dans lequel ils se sentent en sécurité. Les renseignements personnels importants qui sont communiqués au médiateur et qui l’aident à résoudre le conflit en fonction des intérêts, des besoins, des désirs et de la volonté des parties sont aussi un élément crucial du processus. Sans garantie que les renseignements divulgués resteront confidentiels, la médiation ne peut pas être productive.

109 De même, les parties hésitent à négocier un règlement du conflit si elles craignent que ce qu’elles disent dans le cadre de la médiation puisse être utilisé contre elles dans une autre procédure. Avec l’assurance que leurs discussions sont confidentielles, elles sont plus susceptibles de parler de tout sans se faire prier et de proposer des solutions pour résoudre leur conflit. Il vaut la peine de souligner ici que les tribunaux ont traditionnellement jugé inadmissibles les offres visant à nuire à des revendications ou des propositions de règlement contestées, lorsqu’il s’agit de déterminer la responsabilité des parties en se fondant sur une politique consistant à privilégier les règlements conclus en accordant peu de poids aux propositions qui n’aboutissent pas à un règlement. On pourrait soutenir que le même raisonnement devrait s’appliquer à la médiation. Les avocats aussi bien que les médiateurs l’appliquent pour assurer la confidentialité de leur démarche.

110 La citation suivante résume de façon lumineuse les raisons pour lesquelles la confidentialité est indispensable au processus de médiation :

[Traduction]

[…]

Le médiateur encourage les parties à être franches avec lui et avec leurs vis-à-vis, non seulement sur la mesure dans laquelle ils sont disposés à faire des concessions, mais aussi et surtout quant aux besoins et aux intérêts sous-jacents à leurs positions. À mesure que ces besoins et ces intérêts font surface, la possibilité de trouver une solution satisfaisante s’accroît. Les parties sont méfiantes et réservées dans leurs communications lorsqu’elles craignent que les renseignements qu’elles révèlent puissent éventuellement être utilisés à leur détriment hors du processus de médiation. Quand elles ont recours à la médiation pour tenter de régler un conflit en instance (ou la menace d’un conflit), elles sont particulièrement sensibles au risque que les renseignements qu’elles révèlent à d’autres dans la médiation puissent finir par être utilisés contre elles par leurs interlocuteurs, dans le cadre du même conflit ou d’un autre différend. Les parties peuvent aussi craindre que leurs communications puissent être utilisées par d’autres adversaires réels ou potentiels, y compris par les autorités publiques, dans d’autres conflits actuels ou futurs. En outre, le risque de porter préjudice à des droits ou de devoir assumer une responsabilité légale, voire de s’exposer à des poursuites, n’est pas nécessairement la seule crainte des parties, car elles peuvent aussi penser que divulguer les renseignements qu’elles révèlent au cours de la médiation ne leur nuise dans leurs rapports commerciaux ou les embarrasse dans leur vie privée. Il s’ensuit que la médiation est particulièrement fructueuse si les parties sont sûres que leurs discussions avec leurs vis-à-vis ainsi qu’avec le médiateur resteront confidentielles.

[…]

(Owen Gray, « Protecting the Confidentiality of Communications in Mediation » (1998), 36, Osgoode Hall Law Journal 667, p. 671)

111 La neutralité du médiateur est un autre facteur qui milite pour la confidentialité du processus de médiation. En tant que tierce partie impartiale, le médiateur facilite la communication et les discussions dans le cadre de la négociation et, en définitive, dans celui de l’exécution de l’entente conclue entre les parties. S’il devait être tenu de divulguer ce qui s’est passé dans la médiation — hormis le fait que les parties y prenaient part —, son rôle serait sérieusement compromis. Or, la divulgation unilatérale par une des parties du contenu des discussions dans le cadre de la médiation sape sa neutralité.

112 La confidentialité du processus de médiation a aussi été considérée comme faisant partie intégrante de la notion juridique de relation privilégiée qui protège les parties contre la divulgation de la preuve lors d’une audience ou d’un procès. Généralement, ce principe interdit aux parties à une relation de divulguer l’information qui leur a été communiquée par l’autre partie. La législation a créé des relations privilégiées comme celle-là pour protéger l’intégrité de certaines relations fondées sur la confiance et sur la nécessité de protéger la divulgation de l’information. Ce sont par exemple les relations entre l’avocat et son client, le médecin et son patient et, dans un contexte de relations de travail, le représentant syndical et l’employé s’estimant lésé.

113 Le fait que les communications se font dans le contexte d’une relation privilégiée n’est pas le seul critère d’application de cette notion juridique. Pour déterminer si les communications dans une telle relation devraient être protégées contre toute divulgation, Wigmore a proposé l’application des quatre critères suivants :

[Traduction]

(1) Les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l’assurance qu’elles ne seraient pas divulguées.

(2) Le caractère confidentiel doit être un élément essentiel au maintien complet et satisfaisant des relations entre les parties.

(3) Les relations doivent être de la nature de celles qui, selon l’opinion de la collectivité, doivent être encouragées assidûment.

(4) Le préjudice permanent que subiraient les relations par la divulgation des communications doit être plus considérable que l’avantage à retirer d’une juste décision.

(Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada, Butterworths, 1992, p. 629)

114 Les quatre critères de Wigmore peuvent être appliqués utilement aux différents aspects de la relation de médiation. Dans leur déclaration d’ouverture, les médiateurs décrivent la médiation aux parties comme un processus confidentiel et exigent habituellement qu’elles signent une entente de médiation avant que celle-ci ne commence. Cela satisfait au premier des quatre critères. Le caractère fermé et privé du processus de médiation et l’acceptation générale du principe que les renseignements divulgués au médiateur devraient être confidentiels satisfont clairement au deuxième et au troisième critères. Le quatrième est habituellement celui qui pose le plus de difficulté, puisqu’il exige qu’on concilie l’intérêt public d’une part de la divulgation et d’autre part de la préservation de la confidentialité de la relation en cause. Dans Rudd v. Trossacs Investments Inc., la Cour a jugé que la confidentialité du processus de médiation est si importante pour l’intérêt public qu’elle devrait prévaloir sur l’intérêt de contraindre un médiateur à témoigner. Elle a conclu qu’il y avait d’autres éléments de preuve disponibles que les renseignements confidentiels que les parties cherchaient à obtenir, et que leur intention était le facteur important dont il fallait tenir compte pour décider si elles avaient conclu une entente.

115 Ceci dit, les tribunaux ont reconnu l’importance de la confidentialité de la médiation lorsque la loi ou un organisme prévoit une règle qui encourage ou exige des discussions en vue d’un règlement des conflits, comme c’était le cas dans Rogacki v. Belz.

116 Dans le contexte de la médiation, toutefois, la notion de confidentialité est différente de celle qu’on reconnaît dans les autres relations privilégiées existant habituellement entre deux parties, où c’est le client ou le patient qui est protégé, puisque lui seul peut renoncer à la confidentialité de la relation. Dans les conflits de travail, il y a généralement plus de deux participants à la médiation. La relation de confidentialité protège-t-elle le médiateur, ou les parties peuvent-elles y renoncer? S’il est possible de renoncer à la confidentialité dans ce contexte, toutes les parties doivent-elles s’entendre à cette fin? En outre, dans la plupart des cas, sauf dans celui de la relation entre un représentant syndical et un employé s’estimant lésé, la relation lie un spécialiste ayant l’autorisation de pratiquer sa profession ou assujetti à une réglementation avec un client. Comme la médiation n’est pas une profession réglementée, il s’agit alors de savoir si n’importe quelle partie peut se prévaloir d’une relation privilégiée pour protéger la nature confidentielle des renseignements divulgués au cours de la médiation.

117 Dans R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263, le juge en chef Lamer a déclaré qu’une protection prima facie des communications entre un avocat et son client était basée sur le fait que ces communications sont inextricablement liées à l’efficacité du système juridique. De même, en se fondant sur une politique publique analogue, on peut soutenir que les communications échangées dans le cadre de la médiation bénéficient d’une protection prima facie lorsqu’elles sont liées à l’efficacité d’un processus d’arbitrage des griefs reconnu par une loi.

118 La notion de confidentialité contractuelle soulève d’autres questions. Pour décider si la divulgation des renseignements confidentiels a été faite volontairement ou si elle a été réclamée par une partie, l’organisme d’arbitrage doit peser les facteurs que je viens de décrire en fonction du préjudice résultant de la divulgation. Si l’entente de confidentialité a été violée et qu’il y a préjudice, cet organisme se doit de créer un recours efficace.

119 Ces considérations stratégiques quant au processus de médiation sont particulièrement pertinentes dans le milieu de travail de la fonction publique fédérale, en raison des modifications récentes de la législation. En effet, le 1er avril 2005, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. L’article 13 de cette nouvelle LRTFP dispose que le mandat de la Commission consiste désormais notamment à offrir des services de médiation :

      13. La Commission est chargée de la prestation de services en matière d’arbitrage, de médiation et d’analyse et de recherche en matière de rémunération en conformité avec la présente loi.

120 Conformément au Préambule de ladite LRTFP, la médiation est devenue un élément clé du mandat législatif de la Commission, et un élément reconnu comme moyen de favoriser de bonnes relations syndicales-patronales. L’objectif d’encourager le règlement des conflits est basé sur le principe d’offrir aux parties en cause des procédures et des résultats à la fois plus satisfaisants et mieux adaptés à leurs besoins, tout en préservant les relations et les responsabilités établies :

[…]

Attendu :

que le régime de relations patronales-syndicales de la fonction publique doit s’appliquer dans un environnement où la protection de l’intérêt public revêt une importance primordiale;

que des relations patronales-syndicales fructueuses sont à la base d’une saine gestion des ressources humaines, et que la collaboration, grâce à des communications et à un dialogue soutenu, accroît les capacités de la fonction publique de bien servir et de bien protéger l’intérêt public;

que la négociation collective assure l’expression de divers points de vue dans l’établissement des conditions d’emploi;

que le gouvernement du Canada s’engage à résoudre de façon juste, crédible et efficace les problèmes liés aux conditions d’emploi;

que le gouvernement du Canada reconnaît que les agents négociateurs de la fonction publique représentent les intérêts des fonctionnaires lors des négociations collectives, et qu’ils ont un rôle à jouer dans la résolution des problèmes en milieu de travail et des conflits de droits;

que l’engagement de l’employeur et des agents négociateurs à l’égard du respect mutuel et de l’établissement de relations harmonieuses est un élément indispensable pour ériger une fonction publique performante et productive,

[…]

121 Sous le régime de la LRTFP, la médiation est un processus facultatif, ce qui ne devrait toutefois pas faire obstacle au fait que les participants doivent pouvoir avoir confiance en son intégrité. Contrairement à ses fonctions d’arbitrage de différends et de griefs, la fonction de médiation de la Commission n’est assujettie à aucun cadre réglementaire ou législatif précis. Par conséquent, l’intégrité du processus de médiation doit être perçue comme étant basée sur les principes reconnus de politique publique qui ont incité les législateurs à inclure la médiation dans la législation en tant que méthode de prédilection pour le règlement des conflits. Si ces importants principes de politique publique ne sont pas réputés faire partie intégrante du processus de règlement des conflits, les parties vont se dire que la médiation n’est qu’un mécanisme de pure forme, et les objectifs d’amélioration de l’efficience et de la qualité du processus d’arbitrage des griefs seront virtuellement inatteignables.

122 L’administration du processus de médiation influe aussi sur la crédibilité des procédures de la Commission. Si elle ne préserve pas la confidentialité de la médiation, il est difficile d’imaginer comment les participants pourront faire preuve d’ouverture et de franchise dans leurs discussions en vue d’arriver à un règlement de leurs conflits. Une allégation ou une demande soumise à la Commission pour lui demander la divulgation du contenu des discussions en vue d’un tel règlement doit être tranchée par elle, en se demandant si la conduite ou la demande en question fait obstacle à son objectif stratégique de règlement efficace et équitable des différends.

123 Les questions soulevées dans Rogacki et dans Rudd sont différentes de celles soulevées par le fonctionnaire s’estimant lésé. Dans Rogacki, il s’agissait de savoir si l’on pouvait obtenir une ordonnance d’outrage au tribunal contre une partie qui avait publié le contenu de discussions confidentielles dans le cadre de la médiation. La Cour d’appel de l’Ontario a jugé que ce n’était pas possible. Dans Rudd, il fallait déterminer si le médiateur pouvait être contraint de témoigner pour qu’on puisse déterminer les modalités d’une entente conclue en vue du règlement d’un conflit. La même Cour a décidé que l’intérêt public d’assurer la confidentialité du processus de médiation l’emportait sur l’intérêt des parties à faire témoigner le médiateur. Dans Rogacki, la Cour s’est étendue sur l’importance de la protection de la confidentialité dans le cadre d’un processus de médiation obligatoire, tandis que dans Rudd, elle a opté pour l’application des critères de Wigmore afin de déterminer si les communications échangées au cours de la médiation étaient confidentielles.

124 Ces deux décisions renferment de solides examens des facteurs de politique publique inhérents au maintien de la confidentialité du processus de médiation, mais ne portent pas sur les points précis qui ont été soulevés en l’espèce, à savoir la portée de la confidentialité dans le cadre de la médiation et l’effet de la violation de cette confidentialité — s’il fallait conclure à l’existence d’une telle violation — en ce qui concerne le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé.

125 Le fonctionnaire s’estimant lésé, ses représentants, les représentants de l’employeur et le médiateur ont signé le 11 septembre 2003 une entente dans laquelle ils s’engageaient à avoir recours à la médiation. Cette entente stipule notamment ce qui suit :

[Traduction]

[…]

En apposant leur signature sur ce document, les parties s’engagent à participer à la procédure de médiation de bonne foi et en toute honnêteté et à faire des efforts louables pour régler les questions en litige. Les parties souhaitent renvoyer les questions en litige à la médiation selon les modalités suivantes :

[…]

  1. tous les renseignements échangés durant la procédure de médiation sont divulgués sous toute réserve aux fins des négociations en vue d’un règlement et sont considérés comme confidentiels par les parties et leurs représentants, sous réserve de toute disposition législative et de la nécessité de protéger les particuliers contre tout dommage physique. Par ailleurs, les éléments de preuve qui sont admissibles ou susceptibles de divulgation à titre particulier ne doivent pas devenir inadmissibles ou non susceptibles de divulgation du fait de leur utilisation durant la procédure de médiation;

  2. les parties conviennent que, pour que la médiation fournisse de bons résultats, il est essentiel de communiquer ouvertement et honnêtement;

    […]

  1. les parties conviennent que leur participation à la procédure de médiation se fait de plein gré et qu’elles peuvent y mettre fin quand bon leur semble, à l’instar du médiateur;

  2. le médiateur peut rencontrer chaque partie séparément, quand bon lui semble, afin d’accroître les chances d’en arriver à un règlement. Les renseignements confidentiels divulgués au médiateur durant ces réunions ne peuvent être communiqués à l’autre partie qu’avec la permission expresse de la partie concernée. Il est entendu que l’une ou l’autre des parties peut demander en tout temps de tenir une réunion, seule ou en présence du médiateur;

  3. pour assurer la confidentialité du processus, les parties conviennent que toutes les notes préparées ou rédigées par le médiateur seront détruites; le médiateur indiquera seulement à la Commission si un règlement de toutes les questions est intervenu ou non entre les parties; le protocole de règlement conclu par les parties, le cas échéant, ne doit pas être versé au dossier de la Commission ni ses modalités divulguées, à moins que les parties n’en conviennent autrement.

[…]

[Je souligne]

126 Ces paragraphes de l’entente ne laissent planer aucun doute sur la volonté qu’avaient les parties de s’assurer mutuellement — et d’assurer le médiateur — que les renseignements communiqués dans le cadre du processus de médiation, au cours des discussions en vue d’un règlement du conflit, seraient traités confidentiellement. En fait, la majeure partie de l’entente porte sur la confidentialité et les communications durant la médiation. Je suis donc convaincue qu’il existait en l’occurrence une relation de médiation privilégiée satisfaisant à tous les critères de Wigmore.

127 L’entente de médiation datée du 11 septembre 2003 a été produite en preuve par le fonctionnaire s’estimant lésé, pendant le contre-interrogatoire du capitaine Hainse. L’employeur ne s’y est pas opposé. Les signatures suivantes y figurent au nom du fonctionnaire s’estimant lésé : celle de M. Mombourquette, l’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé qui a participé à la procédure en l’espèce, celle du fonctionnaire s’estimant lésé et celle d’une autre personne non identifiée. Les signatures d’Al Cormier, de G. Beaudet, de Tracey Lyall et du capitaine Smith y figurent pour l’employeur. On n’a pas posé de questions sur ce document. Le fonctionnaire s’estimant lésé m’a simplement demandé de le considérer comme faisant partie de son argument sur la confidentialité de la médiation et sur le fait que son licenciement avait été justifié par des facteurs inacceptables.

128 Aux termes de cette entente de médiation, les renseignements obtenus dans le cadre de la médiation devaient être communiqués à un groupe trié sur le volet de personnes ayant convenu d’en respecter la confidentialité. De toute évidence, les représentants de l’employeur n’ont pas pris cet engagement aussi sérieusement qu’ils l’auraient dû et n’en ont pas non plus informé le capitaine Hainse quand il a participé à la dernière séance de médiation. M. Cormier lui a en effet parlé de l’état de santé du fonctionnaire s’estimant lésé en lui donnant son opinion à ce sujet. Le capitaine Smith, lui, a donné son opinion sur l’absence de résultats d’un processus de médiation qui s’éternisait. Mme Lyall, la gestionnaire des Ressources humaines, semble avoir communiqué assez de renseignements à Mme Stringer, une autre agent des Ressources humaines (qui ne semble pas avoir pris part à la médiation), pour que celle-ci puisse rédiger une note d’information détaillée à l’intention du contre-amiral. Qui plus est, M. Stewart, le superviseur de Mme Stringer, avait aussi été informé des renseignements obtenus grâce à la médiation, puisqu’il a participé aux discussions avec le capitaine de vaisseau Hainse et le contre-amiral McNeil au sujet du licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé.

129 Par suite de ce non-respect de la confidentialité de l’information communiquée durant la médiation, l’employeur s’est manifestement  fondé sur des renseignements d’importance cruciale qui n’auraient pas dû influer sur sa recommandation de licencier M. Pepper :

  • L’opinion médicale du Dr Rosenberg communiquée au syndicat en date du 25 octobre 2004 au sujet de l’état de santé du fonctionnaire s’estimant lésé, avec son pronostic sur le retour au travail : sans ces renseignements, l’employeur n’aurait pu demander une « mise à jour », et il aurait dû se baser sur des renseignements médicaux indépendants reflétant l’état de santé de l’intéressé à ce moment-là avant de le licencier.

  • Les possibilités de retour au travail envisagées durant la médiation (les 10 options) : sans ces renseignements, l’employeur aurait dû étudier et présenter des options précises au fonctionnaire s’estimant lésé en vue de prendre les mesures d’acceptation nécessaires à son retour au travail (voir la prochaine rubrique des présents motifs).

  • L’avis du Dr Rosenberg sur l’aptitude du fonctionnaire s’estimant lésé à se prévaloir des possibilités de retour au travail qu’on lui proposait : cette évaluation produite en 2004 n’a été ni demandée, ni mise à jour dans l’opinion que le Dr Rosenberg a donnée le 6 juin 2006.

  • Le désir du fonctionnaire s’estimant lésé de relever d’un autre superviseur : ce facteur n’aurait pas autrement été porté à la connaissance de l’employeur et n’aurait pas dû influer sur sa décision de ne pas offrir au fonctionnaire s’estimant lésé des mesures d’adaptation avant de le licencier.

  • La décision du fonctionnaire s’estimant lésé de ne pas accepter les possibilités de retour au travail qu’on lui avait proposées : l’employeur a anticipé et précipité la décision du fonctionnaire s’estimant lésé en lui donnant un ultimatum le dernier jour de la médiation. Il s’est ensuite servi de cet ultimatum pour justifier sa décision de le licencier.

  • La participation de la conjointe du fonctionnaire s’estimant lésé à la médiation : il est précisé dans la note d’information que l’ultimatum avait été présenté à la conjointe de l’intéressé tout comme à lui ainsi qu’à ses représentants. Ce facteur n’est non seulement pas pertinent, c’est une atteinte absolument flagrante au droit du fonctionnaire s’estimant lésé de préserver la confidentialité du rôle de sa conjointe durant la médiation.

  • La longueur et le manque évident de progrès du processus de médiation : ces facteurs n’étaient pas pertinents pour la démarche de licenciement de l’employeur.

130 Afin de déterminer si l’employeur avait d’autres éléments de preuve indépendants qui auraient pu justifier autrement une recommandation de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé, j’ai lu la note d’information en caviardant la partie portant sur les détails de la médiation, et cela m’a révélé ce qui suit :

  • les antécédents professionnels du fonctionnaire s’estimant lésé (paragraphe 3);

  • les plaintes de harcèlement du fonctionnaire s’estimant lésé, leur résultat et le fait qu’il avait déposé un grief le 17 janvier 2002 (paragraphes 4 à 13);

  • le fait que le Conseil du Trésor exige une opinion médicale à jour provenant du médecin  traitant du fonctionnaire s’estimant lésé (paragraphe 15);

  • l’opinion médicale du médecin, résumée comme il suit : [traduction] « que l’absence de règlement des problèmes à son lieu de travail qui avaient mené aux symptômes de dépression de M. Pepper continue de lui imposer un lourd fardeau et d’aggraver ses symptômes, en les faisant persister » (paragraphe 15);

  • le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé touchait des prestations de la Commission des accidents du travail depuis 1999 (paragraphe 16).

131 Sans les renseignements cruciaux que je viens de décrire, et que l’employeur a obtenus durant la médiation, ce qui précède est insuffisant pour justifier le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé. Les renseignements médicaux en sont un bon exemple. Dans l’avis qu’il avait donné au syndicat le 2 novembre 2004, le Dr Rosenberg déclarait notamment que le fonctionnaire s’estimant lésé serait en mesure de retourner au travail dans les trois mois pourvu que les problèmes à son lieu de travail soient résolus; il précisait aussi que l’intéressé pourrait suivre beaucoup de formation de recyclage sans guère de répercussions sur sa santé. Ces deux points essentiels sur la possibilité d’un retour au travail du fonctionnaire s’estimant lésé n’ont pas été mentionnés dans la note d’information destinée au contre-amiral.

132 J’estime également que les déclarations suivantes qui figurent dans cette note d’information quant aux résultats du processus de médiation étaient préjudiciables à un examen indépendant des raisons avancées pour recommander le licenciement :

  • [Traduction] « Les efforts déployés pendant longtemps dans le cadre de la médiation ont échoué le 28 avril 2006 sans qu’on puisse envisager une solution pour le retour au travail ou une rupture de plein gré de la relation d’emploi. » (Paragraphe 1)

  • [Traduction] « M. Pepper et ses représentants (le conseiller juridique, le syndicat et sa conjointe) ont été informés que, si la médiation échouait, on recommanderait son licenciement. » (Paragraphe 1)

Ces deux déclarations impliquent que le fonctionnaire s’estimant lésé était responsable de la longueur et de l’échec du processus de médiation, qu’il connaissait et avait accepté les conséquences de la cessation de ce processus, et donc qu’il était conscient de sa perte d’emploi.

133 Compte tenu de ce qui précède, il est clair que l’employeur n’a pas traité le processus de médiation comme un moyen de régler le conflit précis à l’égard duquel il avait été entamé (dossier de la CRTFP 166-02-31912), à savoir le grief dénonçant le harcèlement dont le fonctionnaire s’estimant lésé se disait victime. L’employeur a plutôt considéré la médiation simplement comme une étape d’un processus entièrement différent, qui a mené à sa décision de licencier l’intéressé.

134 Le fonctionnaire s’estimant lésé s’est fié à la confidentialité du processus de médiation pour divulguer des renseignements sur sa santé, sa vie personnelle ainsi que ses intérêts et ses limites dans l’éventualité de son retour au travail. Il avait toutes les raisons de s’attendre à ce que ces renseignements restent confidentiels pour les participants à la médiation et qu’ils ne soient pas utilisés à d’autres fins.

135 Si j’en crois la preuve, et plus particulièrement le témoignage du capitaine Hainse, il me semble évident qu’on a divulgué le contenu des discussions menées pendant la médiation à des personnes qui ne participaient pas au processus, et que le contenu de ces discussions a été utilisé à d’autres fins que le règlement du grief de harcèlement que le fonctionnaire s’estimant lésé avait présenté. Compte tenu des principes de politique publique voulant qu’on favorise de bonnes relations syndicales-patronales et qu’on offre aux fonctionnaires des procédures propices à l’obtention des résultats voulus en cas de conflit, le non-respect de la confidentialité du processus de médiation équivalait à une violation du droit du fonctionnaire s’estimant lésé de participer à un processus distinct de règlement des conflits en vue de régler son grief de harcèlement, un processus indépendant de tout autre processus distinct visant à le licencier. Il est inacceptable que l’employeur se soit servi d’un processus auquel les intéressés participaient de plein gré pour résoudre un problème dans une démarche qui n’était manifestement pas celle du fonctionnaire s’estimant lésé, et ce, pour en arriver à un résultat qui n’avait jamais été censé être visé par la médiation.

136 Par conséquent, je ne peux pas accepter le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé s’il est basé sur des raisons médicales et sur d’autres renseignements obtenus dans le cadre du processus de médiation.

2. Obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation pour un employé ayant une déficience

137 Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que l’employeur ne s’était pas conformé à la procédure de licenciement du Ministère, soit les Lignes directrices sur la rétrogradation ou le licenciement pour des raisons autres qu’une inconduite ou un rendement insatisfaisant, lesquelles stipulent qu’après avoir obtenu une évaluation médicale, le gestionnaire de l’employé doit convoquer une réunion pour l’informer des résultats de l’évaluation et de leurs conséquences sur son emploi. À cette réunion, l’employé peut être accompagné d’un représentant syndical. Plus précisément, l’employeur n’a pas présenté à l’intéressé (indépendamment du processus de médiation) d’autres options comme une démission, une rétrogradation de son plein gré ou un départ à la retraite pour raisons de santé, s’il y était admissible, avant de décider de le licencier en vertu de cette politique.

138 Bien que les Lignes directrices prévoient une procédure objective indépendante de licenciement des employés pour raisons médicales, elles ne font pas partie de la convention collective, et leurs modalités n’ont pas non plus été négociées avec l’agent négociateur. Par conséquent, ce que je disais quant à l’impossibilité d’imposer la politique sur le harcèlement vaut également ici, à savoir que le non-respect des Lignes directrices ne crée pas un droit arbitrable.

139 Toutefois, l’employeur doit respecter les droits de la personne qu’a un employé ayant une déficience avant de pouvoir le licencier. En effet, le paragraphe 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne interdit toute distinction fondée sur la déficience. Aux termes de l’alinéa 7a), un acte discriminatoire constitue le fait, par des moyens directs ou indirects, de refuser d’employer ou de continuer d’employer quelqu’un pour un motif de distinction illicite, et le paragraphe 208(2) de la LRTFP investit les arbitres de griefs du pouvoir de trancher des griefs individuels concernant des droits de la personne.

140 Dans Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, p. 174, la Cour suprême du Canada a défini la discrimination de la façon suivante :

[…]

[…] une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres membres de la société.

[…]

141 Lorsqu’un fonctionnaire allègue être victime de discrimination, la charge de la preuve lui incombe : il doit produire une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire (aussi appelée une preuve prima facie) en invoquant des faits qui, lorsqu’on leur ajoute foi, constituent une preuve complète suffisante pour justifier une décision en sa faveur en l’absence de réplique de l’employeur (voir Commission des droits de la personne de l’Ontario c. Simpsons-Sears,[1985], 2 R.C.S. 536 (l’arrêt O’Malley), paragr. 28). En l’espèce, le critère établi dans O’Malley exige que le fonctionnaire s’estimant lésé prouve qu’il a une déficience considérée comme un motif de distinction illicite par la Loi canadienne sur les droits de la personne, qu’il a été défavorisé dans son milieu de travail et que cette déficience a contribué au traitement discriminatoire qu’il a subi. La déficience du fonctionnaire s’estimant lésé ne doit pas nécessairement être le seul, voire le principal facteur de ce traitement discriminatoire pour qu’on puisse conclure qu’il a été victime de discrimination. La charge de la preuve retombe alors sur l’employeur, qui doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa décision ou sa politique n’était pas discriminatoire du fait qu’il ne lui était pas possible de prendre des mesures d’adaptation à cette déficience dans le milieu de travail sans qu’il en résulte une contrainte excessive pour lui.

142 L’employeur a déclaré que l’état de santé du fonctionnaire s’estimant lésé ne justifiait pas son retour au travail avec des mesures d’adaptation parce que les problèmes existant à son lieu de travail et ayant causé sa maladie ne seraient jamais résolus à sa satisfaction. Il a aussi fait valoir que tous les congés sont temporaires et qu’il a le droit de licencier un employé incapable de retourner au travail. Ces deux arguments admettent que la déficience mentale du fonctionnaire s’estimant lésé était un des facteurs dont l’employeur a tenu compte dans sa décision de licencier l’intéressé. Par conséquent, je conclus qu’on m’a présenté une preuve suffisante pour décider qu’il y a eu discrimination. Le reste de ma décision porte sur la question de savoir si l’employeur s’est acquitté ou non de son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’endroit du fonctionnaire s’estimant lésé, sans aller jusqu’à s’imposer une contrainte excessive.

143 Pour satisfaire à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation aux besoins d’un employé, en vertu du paragraphe 15(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l’employeur qui ne les a pas prises doit prouver que les mesures nécessaires pour répondre à ces besoins auraient constitué « pour la personne qui doit les prendre […] une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité. » Dans Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Commission des droits de la personne), [1990] 2 R.C.S. 489, p. 521, la Cour suprême a jugé que les facteurs favorables à la conclusion que la contrainte est excessive doivent être conciliés avec le droit de l’employé de ne pas subir de discrimination. Il faut donc peser au cas par cas l’importance de la contrainte pour l’employeur et les avantages qui en résultent pour l’employé.

144 Dans Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. British Columbia Government and Service Employees’ Union (BCGSEU), [1999] 3 R.C.S. 3 (Meiorin), la Cour suprême du Canada a établi trois critères qui doivent être réunis pour qu’un employeur puisse présenter une défense en invoquant ce qu’elle a appelé une exigence professionnelle justifiée (paragraphe 54) :

  1. L’employeur a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause.

  2. Il l’a adoptée en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail.

  3. La norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail.

145 Dans la présente affaire, l’argument de l’employeur consiste à dire que le fonctionnaire était absent depuis longtemps et que son retour au travail n’était pas probable dans un avenir prévisible. Cette norme est aussi stipulée dans ses Lignes directrices sur la rétrogradation ou le licenciement pour des raisons autres qu’une inconduite ou un rendement insatisfaisant. Nul ne conteste que l’employeur ne saurait être tenu de garder indéfiniment à son service un employé incapable d’accomplir ses fonctions, puisque celui-ci ne s’acquitte pas alors de sa partie du contrat d’emploi. En ce sens, les normes d’assiduité de l’employeur sont raisonnablement liées à l’exécution des tâches du fonctionnaire s’estimant lésé. Ce dernier ne l’a pas contesté et n’a pas non plus prétendu que cette norme n’avait pas été adoptée de bonne foi pour réaliser un but légitime lié au travail. Fondamentalement, le fonctionnaire s’estimant lésé fait valoir que l’employeur n’a pas démontré que la norme d’assiduité, telle qu’appliquée dans son cas, était raisonnablement nécessaire, parce qu’il n’a pas démontré non plus que les mesures d’adaptation qu’il aurait dû prendre pour répondre à ses besoins auraient constitué une contrainte excessive.

146 Le troisième critère établi dans Meiorin stipule que l’employeur doit démontrer qu’il lui serait impossible de prendre les mesures nécessaires pour répondre aux besoins du fonctionnaire s’estimant lésé sans que cela ne constitue une contrainte excessive pour lui. Pourtant, et le fonctionnaire s’estimant lésé et l’employeur doivent participer à la recherche des mesures d’adaptation nécessaires, quoique la première responsabilité à cet égard incombe à l’employeur. L’analyse doit se faire en fonction des faits dans chaque cas (paragr. 63). La norme établie par l’employeur « doit tenir compte de facteurs concernant les capacités uniques ainsi que la valeur et la dignité inhérentes de chaque personne » (paragr. 62). Qui plus est, les « cours de justice et les tribunaux administratifs devraient tenir compte des diverses manières dont il est possible de composer avec les capacités d’un individu », et « les employeurs, les cours de justice et les tribunaux administratifs devraient être innovateurs tout en étant pratiques lorsqu’ils étudient la meilleure façon de le faire dans les circonstances en cause » (paragr. 64).

147 Meiorin établit plusieurs principes importants qui s’avèrent utiles pour déterminer le genre de mesures d’adaptation dont un employé a besoin, notamment en se demandant si l’employeur a envisagé des solutions de rechange qui n’auraient pas d’effet discriminatoire pour l’employé, s’il était nécessaire que tous les employés satisfassent à la même norme pour que l’employeur puisse atteindre son objectif légitime de faire le travail, ou si l’employé aurait pu travailler d’une manière moins discriminatoire (paragr. 65). Cet arrêt exige donc que l’employeur examine avec diligence toutes les possibilités d’adapter le milieu pour que l’employé puisse y travailler. Il ne suffit pas qu’il estime globalement ou qu’il affirme sans preuves qu’il ne serait pas possible de trouver des tâches adaptées aux besoins de l’intéressé pour qu’on puisse conclure qu’il a pris toutes les mesures possibles jusqu’au point où cela lui imposerait une contrainte excessive.

148 L’employeur a invoqué des décisions de la CRTFP ainsi que l’arrêt que la Cour d’appel fédérale a rendu dans Scheuneman pour justifier sa position. Les faits sont toutefois nettement différents ici, puisqu’il y avait alors un rapport médical stipulant que le fonctionnaire s’estimant lésé ne pourrait pas retourner au travail dans un avenir prévisible et que celui-ci refusait obstinément d’y retourner.

149 Avant de prendre la décision radicale de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé parce qu’il n’est plus capable de se présenter au travail, l’employeur est manifestement tenu de déterminer quel est exactement son état de santé et d’obtenir un pronostic selon lequel il sera incapable de retourner au travail dans un avenir prévisible. En l’espèce, l’employeur n’avait pas de preuves concluantes à ces égards. Il est irréfutable qu’il a décidé de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé avant d’obtenir la moindre preuve qu’il était absolument invalide. Il s’est fondé sur une opinion médicale donnée en 2004 et obtenue dans le cadre de la médiation en ce qui concernait un autre grief, ainsi que sur l’opinion d’un autre gestionnaire. La demande de « mise à jour » sur l’état de santé du fonctionnaire s’estimant lésé après qu’on lui eut servi un ultimatum laisse entendre que ce n’était qu’une démarche administrative visant à justifier la décision déjà prise de le licencier. Rien ne prouve que cette mise à jour sur l’état de santé de l’intéressé ait été obtenue en vue de tenter de prendre les mesures d’adaptation nécessaires pour qu’il puisse revenir au travail.

150 En outre, et c’est plus significatif encore, après avoir obtenu cette mise à jour, l’employeur s’est empressé de prendre la décision de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé sans tenir le moindrement compte des possibilités qui étaient suggérées. Le Dr Rosenberg n’a pas témoigné, ni déclaré dans l’avis qu’il avait donné le 2 novembre 2004 que le fonctionnaire s’estimant lésé ne pourrait pas retourner au travail; au contraire, il avait précisé que M. Pepper pourrait retourner au travail dans les trois mois si l’on finissait par régler les problèmes qui sévissaient à son lieu de travail. Il avait aussi fait des recommandations sur les mesures à prendre pour répondre aux besoins de son patient, notamment lui offrir du recyclage. Rien de tout cela ne créait d’obstacles insurmontables pour l’employeur quant aux mesures à prendre pour faciliter le retour au travail de l’intéressé.

151 Étant donné que le fonctionnaire s’estimant lésé était déjà absent de son travail depuis sept ans, l’employeur n’a pas donné de raison suffisante pour justifier sa décision de ne pas prendre quelques semaines de plus afin de réévaluer sa position. Le capitaine Hainse semblait craindre que le Dr Rosenberg ne puisse pas lui donner l’opinion réclamée, parce qu’il était censé partir pour de longues vacances. On ne m’a pas expliqué la pertinence de ce facteur pour justifier la décision précipitée de licencier l’intéressé : le Dr Rosenberg n’était pas le seul médecin qui le traitait et qui aurait pu faire un pronostic sur son retour au travail.

152 Quand on lui a demandé pourquoi il était urgent de recommander le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé, le capitaine Hainse a répondu que la décision aurait dû avoir été prise depuis longtemps. Toutes les options avaient été présentées à l’intéressé au cours de la médiation. Le fait que ses « problèmes » n’avaient pas été résolus n’était pas bon pour le moral de l’unité. Le capitaine Hainse doutait que l’intéressé tienne vraiment à son emploi et craignait que les autres employés de l’unité aient l’impression qu’elle manquait de leadership, ce qui aurait nui à son efficience. Pourtant, il a admis que les autres employés ne s’étaient pas plaints à cet égard.

153 Si l’employeur refuse d’envisager des mesures d’adaptation pour répondre aux besoins d’un employé, il doit avancer des preuves fiables, objectives et convaincantes pour le justifier. Il ne suffit pas de dire qu’on prévoit des problèmes en se fondant sur de la spéculation et la crainte d’éventuelles conséquences néfastes. Meiorin est sans équivoque : la législation sur les droits de la personne a pour objet d’obliger les employeurs à trouver des moyens positifs d’arriver à des mesures d’adaptation satisfaisantes. À cette fin, les employeurs doivent évaluer la démarche qui les a menés à leurs décisions de ne pas prendre de telles mesures. Rejeter d’emblée l’idée même de prendre des mesures d’adaptation sans y réfléchir suffisamment et sans y accorder assez d’attention ni explorer les possibilités envisageables ne peut absolument pas être considéré comme le fait d’avoir pris des mesures suffisantes pour répondre aux besoins des employés intéressés.

154 En l’occurrence, hormis les 10 options qui auraient été avancées dans le contexte de la médiation en 2004, on ne m’a présenté aucune preuve que l’employeur s’est attaché avec diligence à examiner toutes les possibilités d’adaptation du milieu de travail pour que le fonctionnaire s’estimant lésé puisse y revenir, après qu’il eut reçu l’opinion médicale du Dr Rosenberg datée du 8 juin 2006. Les raisons que le capitaine Hainse a invoquées pour licencier le fonctionnaire s’estimant lésé ne sont étayées d’aucune preuve concrète d’une contrainte quelconque et ne sont pas convaincantes. Si l’employeur avait vraiment tenu à prendre des mesures d’adaptation aux besoins du fonctionnaire s’estimant lésé pour qu’il puisse retourner au travail, il se serait renseigné sur son incapacité telle qu’elle se manifestait en juin 2006 et aurait examiné les possibilités de prendre les mesures d’adaptation envisageables à ce moment-là. Il ne se serait pas imposé une contrainte excessive en donnant au psychiatre du fonctionnaire s’estimant lésé des renseignements précis sur les emplois qu’il allait proposer à son patient et sur les qualités exigées pour ces emplois compte tenu de l’état de santé de l’intéressé, en demandant à ce praticien de lui donner son opinion sur cette base.

155 L’employeur n’a pas non plus eu de discussions valables avec le fonctionnaire s’estimant lésé sur les conséquences des renseignements médicaux les plus récents qu’il ait obtenus et sur les recommandations visant à déterminer s’il était possible de lui offrir des tâches qu’il pouvait accomplir compte tenu des restrictions applicables dans son état. Avant de le licencier, l’employeur était tenu de s’assurer que le fonctionnaire s’estimant lésé comprenait parfaitement l’opinion médicale, de préciser sa position quant à ces renseignements fraîchement obtenus et de lui expliquer clairement les conséquences d’un refus de sa part de retourner au travail. Ces discussions n’auraient pas imposé une contrainte à l’employeur. Rien ne prouve non plus qu’offrir au fonctionnaire s’estimant lésé la formation que le Dr Rosenberg avait proposée aurait donné lieu à une contrainte excessive. Même s’il savait que le superviseur du fonctionnaire s’estimant lésé ne voulait pas qu’il relève encore de lui, l’employeur a persisté à refuser d’envisager à tout le moins la possibilité que l’intéressé relève d’un autre superviseur.

156 Qui plus est, la recommandation de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé aurait été attribuable à son état de santé. La note d’information ne dit mot sur le pronostic du Dr Rosenberg que le fonctionnaire s’estimant lésé aurait pu retourner au travail dans les trois mois ou qu’on aurait pu lui faire suivre des cours de recyclage. Ces omissions trompeuses étaient préjudiciables à l’intéressé, étant donné que la recommandation de le licencier n’était accompagnée d’aucun rapport exhaustif sur son état de santé. Il est particulièrement significatif que les renseignements médicaux soient enterrés dans une phrase du paragraphe 15, lui-même masqué par les 14 paragraphes précédents, qui traitent abondamment des antécédents de l’intéressé, de ses plaintes, du fait qu’il n’avait pas accepté les propositions de l’employeur en vue de son retour au travail ainsi que de la responsabilité qu’on lui imputait pour la longueur du processus de médiation et pour son échec. Certains des faits énoncés dans la note d’information sont faux, et on y remarque aussi des omissions, par exemple celle des conclusions de l’équipe d’enquête sur la plainte de harcèlement. Cette insistance sur des faits non pertinents et faussement présentés plutôt que sur les renseignements cruciaux quant à l’état de santé du fonctionnaire s’estimant lésé ainsi qu’aux conséquences de ces renseignements m’incite à croire que prendre des mesures d’adaptation à l’état de santé du fonctionnaire s’estimant lésé n’avait qu’une importance secondaire, puisque la détermination de le licencier prévalait.

157 J’en arrive donc inévitablement à la conclusion que l’employeur a décidé de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé sans prendre les mesures nécessaires pour que sa décision soit éclairée. En d’autres termes, il n’a pas cherché à obtenir du Dr Rosenberg des renseignements qui lui auraient été utiles pour prendre sa décision et n’a pas tenté non plus de déterminer s’il pouvait offrir à l’intéressé un emploi qui lui aurait convenu et qui lui aurait permis de retourner au travail.

158 L’employeur prétend que la longueur de l’absence du fonctionnaire s’estimant lésé de son travail constituait en soi une mesure d’adaptation à ses besoins, puisque M. Pepper a longtemps été incapable de se présenter au travail. Bien sûr, les avantages sociaux des employés comprennent des congés de maladie, des congés non payés et même des congés d’invalidité, mais cela ne signifie pas que l’employeur se soit acquitté, dans cette affaire, de son obligation de prendre des mesures d’adaptation aux besoins du fonctionnaire s’estimant lésé tant qu’il n’en résultait pas une contrainte excessive pour lui. Rien n’indique que l’employeur ait régulièrement communiqué avec l’intéressé durant son absence, ni qu’il ait consacré des ressources financières ou autres à répondre à ses besoins, indépendamment de ces avantages sociaux. En fait, le fonctionnaire s’estimant lésé touchait des prestations d’invalidité à cause d’un accident de travail. L’employeur a attendu deux ans avant de chercher à obtenir des renseignements médicaux à jour sur lui, et ce, au moment où il a décidé de le licencier. Compte tenu de l’ampleur de son organisation, de l’importance de ses ressources et de toutes les compétences auxquelles il a accès, j’ai du mal à comprendre pourquoi l’employeur n’a pas pris plus d’initiatives pour répondre comme il se devait aux besoins du fonctionnaire s’estimant lésé avant de prendre sa décision finale de le licencier. Adresser à quelqu’un un ultimatum en le justifiant par la longueur d’un processus de médiation sans rapport avec son éventuel licenciement n’est pas un argument qu’on avance en prétendant prendre des mesures d’adaptation à ses besoins. Le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas le droit de s’attendre à une solution parfaite, mais il avait quand même le droit qu’on tienne pleinement compte des restrictions applicables en raison de son état de santé et qu’on envisage des mesures d’adaptation, compte tenu des politiques de l’employeur et des emplois disponibles.

159 Je conclus par conséquent que l’employeur n’a pas pris de mesures d’adaptation aux besoins du fonctionnaire s’estimant lésé jusqu’au point où il aurait pu en résulter une contrainte excessive pour lui.

160 Le fonctionnaire s’estimant lésé m’a demandé d’ordonner qu’on lui verse des dommages-intérêts en raison des conséquences à long terme des actions de l’employeur sur sa carrière et sur les avantages sociaux auxquels il a droit, ainsi que de l’aggravation de son état de santé dans le contexte de sa plainte de harcèlement et de son grief.

161 Comme j’ai rejeté le grief, il n’a pas droit à ces dommages-intérêts.

162 Cela dit, le fonctionnaire s’estimant lésé m’a aussi demandé de me prévaloir du pouvoir discrétionnaire que me confère le paragraphe 226(1)g) de la LRTFP afin d’ordonner qu’on lui verse des dommages-intérêts de 20 000 $ pour les souffrances qu’il a subies et pour le non-respect des alinéas 52(1)b) et 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, au motif que son licenciement était discriminatoire et que l’employeur a agi avec insouciance en n’envisageant pas de prendre les mesures d’adaptation nécessaires.

163 Je conclus que le fonctionnaire s’estimant lésé devrait aussi avoir droit à un dédommagement en raison des conséquences du non-respect par l’employeur de la confidentialité du processus de médiation.

164 Je réserve ma décision à l’égard des dommages-intérêts compensatoires. J’accorde aux parties 60 jours pour conclure une entente sur l’indemnité qui pourrait être due au fonctionnaire s’estimant lésé. Si elles étaient incapables d’arriver à cette entente, elles devront me soumettre leurs arguments sur l’indemnité compensatoire en échangeant des observations écrites, au plus tard 90 jours après la publication des présents motifs.

165 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

166 Le dossier de la demande de prorogation du délai dans le dossier de la CRTFP 568-02-154 est fermé.

167 Le grief dans le dossier de la CRTFP 166-02-31912 est rejeté.

168 Le grief dans le dossier de la CRTFP 566-02-767 est accueilli.

169 Le fonctionnaire s’estimant lésé est réintégré dans le poste qu’il occupait au moment de son licenciement, avec droit aux avantages sociaux et au traitement qu’il aurait eus le cas échéant.

170 Je demeure saisie de la question des dommages-intérêts compensatoires à verser dans le dossier de la CRTFP 566-02-767 pour une période de 90 jours.

Le 28 janvier 2008.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Michele A. Pineau,
arbitre de grief

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