Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a allégué que l'employeur avait violé diverses dispositions relatives à la santé et à la sécurité - l'employeur s'est opposé à la plainte en faisant valoir que le plaignant n'avait pas présenté de preuve prima facie d'une violation du Code et qu'en conséquence, la Commission n'avait pas la compétence pour entendre l'affaire - la Commission a conclu que la plainte n'était pas visée par l'article147 du Code et a donc accueilli l'objection soulevée par l'employeur. Objection accueillie. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Code canadien du travail

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-11-21
  • Dossier:  560-34-43
  • Référence:  2008 CRTFP 96

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

DWIGHT W. GASKIN

plaignant

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

Répertorié
Gaskin c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 133 du Code canadien du travail.

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, commissaire

Pour le demandeur:
lui-même

Pour la défenderesse:
Peter Cenne, Agence du revenu du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 31 juillet, 18 et 28 août, 2, 9 et 26 septembre et 2 octobre 2008.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1 La présente décision porte sur les questions préliminaires que les parties ont soulevées au sujet d’une plainte que Dwight W. Gaskin (le « plaignant ») a déposée devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »), le 10 juillet 2008, en application de l’article 133 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le « Code »). Dans sa plainte, M. Gaskin allègue que son employeur, l’Agence du revenu du Canada (la « défenderesse »), a violé l’article 147 du Code ainsi que [traduction] « d’autres articles applicables ».

2 Le plaignant a décrit comme suit les [traduction] « actes, omissions ou autres questions faisant l’objet de la plainte » aux termes de l’article 133 du Code :

[Traduction]

LE PROJET DE LOI C-45 TRAITE DES VIOLATIONS TOUCHANT LA SANTÉ ET LA SÉCURITÉ AU TRAVAIL (SST). LES VIOLATIONS RELATIVES À LA SST SONT DES MODIFICATIONS DU CODE CRIMINEL DU CANADA. LES VIOLATIONS EN MATIÈRE DE TRAVAIL ET LES PRATIQUES DÉLOYALES DE TRAVAIL DE L’EMPLOYEUR REFLÈTENT LA VIOLENCE AU LIEU DE TRAVAIL, LE DANGER ET LES VIOLATIONS DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL. L’EMPLOYEUR N’A PAS MENÉ L’ENQUÊTE DE SST REQUISE OU SUIVI LA PROCÉDURE PRÉVUE À LA PARTIE II DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL. L’EMPLOYEUR FAIT PREUVE DE DISCRIMINATION EN ASSUMANT LES RESPONSABILITÉS ET OBLIGATIONS D’UN EMPLOYEUR PRÉVUES PAR LE CHAPITRE 26 DE LA POLITIQUE DE SÉCURITÉ DE L’AGENCE, QUI S’INTITULE MAUVAIS TRAITEMENTS, MENACES, POURSUITES ET VOIES DE FAIT. TOUTES LES OMISSIONS REPRÉSENTENT UNE ENTRAVE AUX OBLIGATIONS EN VERTU DU PROJET DE LOI C-45, DE LA SST ET DES DISPOSITIONS DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL. LES AFFAIRES MENTIONNÉES PORTENT NOTAMMENT SUR LA FRAUDE, L’ENLÈVEMENT, LE PARJURE ET L’ENTRAVE. LES RENSEIGNEMENTS QUE POSSÉDAIT L’AGENCE QUANT AUX PROBLÈMES SIGNALÉS QUI SONT VISÉS À L’ARTICLE 133, EU ÉGARD À DES VIOLATIONS DE L’ARTICLE 147, N’ONT PAS ÉTÉ MIS À MA DISPOSITION AU LIEU DE TRAVAIL. J’AI ÉTÉ RENSEIGNÉ À CE SUJET PAR LES REPRÉSENTANTS DU CIRD ET DU PROGRAMME DU TRAVAIL DE RHDSC ENTRE LE 7 ET LE 9 JUILLET 2008. L’EMPLOYEUR N’A PAS RÉPONDU AUX PLAINTES PRÉSENTÉES VERBALEMENT ET PAR ÉCRIT NI N’A CONSIGNÉ LES GRIEFS, LES PLAINTES POUR HARCÈLEMENT ET LES GRIEFS DE HARCÈLEMENT. IL N’Y A EU AUCUNE AUDIENCE, DEPUIS 2005, POUR TOUTES LES AFFAIRES PRÉSENTÉES À TOUS LES SUPERVISEURS ET LES CONSEILLERS EN RELATIONS DE TRAVAIL. L’EMPLOYEUR N’A PAS FAIT DE RAPPORT ET A FAIT ENTRAVE AUX OBLIGATIONS PRÉVUES PAR LA LÉGISLATION FÉDÉRALE RELATIVEMENT À TOUTES LES VIOLATIONS DE LOIS GÉNÉRALES, ACTIONS DE HARCÈLEMENT CRIMINEL ET VIOLATIONS DU PROJET DE LOI C-45. J’AI PRÉSENTÉ CETTE INFORMATION EN DÉTAIL AU SUPERVISEUR DE 2005 À 2008. PAR L’ENTREMISE D’UN AVOCAT, J’AI PRÉSENTÉ CETTE INFORMATION DEVANT LA COUR SUPÉRIEURE DU MANITOBA EN JANVIER 2007, PUISQUE L’EMPLOYEUR FAISAIT ENTRAVE AUX AFFAIRES, Y COMPRIS À DES AFFAIRES METTANT EN DANGER DES ENFANTS ET À UNE POURSUITE CONTRE L’AGENCE. IL S’AGIT D’UNE AUTRE VIOLATION VISANT À IMPOSER DES MESURES DE REPRÉSAILLES ET DE DISCIPLINE POUR AVOIR SIGNALÉ À L’INTERNE DES AFFAIRES, POUR LES PROCÉDURES QUI EN ONT RÉSULTÉ DEVANT LES TRIBUNAUX RELATIVEMENT À UNE PRATIQUE DÉLOYALE DE TRAVAIL, AUX TERMES DES ARTICLES 185 ET 186, ET À DES ACTES DE DISCRIMINATION/OMISSIONS, EN APPLICATION DE L’ARTICLE 98.

3 Ailleurs, dans le formulaire utilisé pour déposer sa plainte, le plaignant allègue [traduction] « un congédiement structuré, l’application d’une mesure disciplinaire », [traduction] « du danger, de l’ingérence et de l’entrave […] dans une poursuite privée », [traduction] « un congédiement déguisé, le refus de communiquer de l’information », [traduction] « la violation de dispositions des parties I, II et II », [traduction] « le signalement de la mise en danger d’un enfant pendant un déplacement », un manquement à l’[traduction] « obligation de prendre des mesures d’adaptation pour les membres de minorités visibles » et [traduction] « se faire illégalement passer pour une autorité nationale en matière de droits de la personne », entre autres accusations.

4 Dans une lettre déposée séparément auprès de la Commission en date du 11 juillet 2008, le plaignant a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Étant donné que les affaires sont de nature criminelle et constituent une violation des dispositions de protection contre la violence au travail et qu’elles présentent un danger au lieu de travail, j’ai avisé l’employeur du danger [sic] et de mon refus de travailler à compter du 22 octobre 2007, et je me suis absenté du bureau à partir du 5 octobre 2007 […].

[…]

Entre autres accusations portées dans la lettre, le plaignant a fait l’allégation suivante :

[Traduction]

[…]

[…] Il y a de flagrantes infractions aux lois provinciales, fédérales et internationales dont est actuellement saisie la Cour supérieure du Manitoba, y compris des manquements aux garanties relatives au travail en vertu de l’ALENA (politiques de l’ANACT en matière de violence, de SST et de normes de travail), toutes ces affaires étant de la responsabilité de l’employeur.

[…]

[Le passage souligné l’est dans l’original]

Dans la lettre, le plaignant déclare avoir été l’objet de tentatives de congédiement déguisé depuis que [traduction] « l’affaire » a été portée devant la Cour supérieure du Manitoba. Il qualifie ses tentatives de [traduction] « […] violation des articles 98, 185-8 et 187 du Code canadien du travail, entre autres dispositions et lois ». Le plaignant fait également allusion à de la correspondance qu’il a reçue de l’employeur, en date des 13 mai et 27 juin 2008, qui, allègue-t-il, contrevient à l’article 147 du Code.

5 Par courriel daté du 11 juillet 2008, le plaignant a transmis des [traduction] « renseignements additionnels » à la Commission. Ce courriel renferme des allégations semblables à celles faites dans les autres pièces qu’il a déposées, mais aussi d’autres déclarations, comme les suivantes :

[Traduction]

[…]

Cette tentative croissante de congédiement déguisé (licenciement).

[…]

[…] des violations concernant des activités fédérales, la constitution, le harcèlement et la discrimination ainsi que la protection d’un enfant contre l’enlèvement pour faire obstacle à une promotion.

Du harcèlement au lieu de travail d’Edmonton […]

[…]

Des tentatives de coercition et d’intimidation (harcèlement) pour que j’accepte un poste et des fonctions d’un niveau inférieur à celui du groupe EC1 et exigeant que je m’installe en Ontario pour accepter la promotion […]. Il s’agit d’une violation de la constitution […].

Des manquements à l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’un membre de groupe sous-représenté.

Une tentative de dotation forcée et l’absence d’accommodement.

[…]

[…] un manquement à la Politique en matière de discipline […] l’abus d’autorité et le harcèlement […]

[…] le non-respect des délais par l’employeur.

[…] menaces, intimidation et coercition à l’endroit de mes collègues […]

[…]

6 Un autre passage de ce courriel du plaignant daté du 11 juillet 2008 donne quelques éléments d’information relatifs à la date de dépôt de sa plainte et semble résumer ses thèmes comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] En mai et juin 2007, l’employeur m’a adressé de la correspondance dans laquelle il déclare que mes crédits de congé de maladie étaient sur le point d’être épuisés et me menace d’un licenciement à compter du 7 août 2008, compte tenu d’une avance d’un mois de crédits de congé de maladie. L’employeur a fait fi des rapports de SST, des signalements de harcèlement criminel et de violence au travail ainsi que de mon refus de travailler en raison du danger couru et m’a refusé les garanties constitutionnelles prévues par les lois et règlements touchant les employeurs.

Depuis mon refus annoncé de me présenter au travail à compter d’octobre 2005, aucune correspondance n’a été envoyée. Ces mesures de représailles et tentatives de mesures disciplinaires et de licenciement sont dues au fait que je témoignerai dans les affaires portées devant tous les tribunaux quasi judiciaires et judiciaires, alors que toute l’affaire est bien définie aux termes des dispositions de l’ANACT, des lois nationales et internationales en matière de droits de la personne et du droit du travail qui stipulent des responsabilités et obligations pour les employeurs [sic]. Les manquements à la SST sont révélés dans chaque procédure. L’employeur a refusé de tenir des audiences internes relativement à ces affaires dans le cadre de griefs et de plaintes pour harcèlement.

[…]

7 La défenderesse a déposé sa réponse à la plainte le 31 juillet 2008. Elle a déclaré qu’il n’y avait eu aucune infraction à l’article 147 ni à tout autre article du Code. Elle a soutenu que la Commission n’avait pas compétence pour se prononcer sur cette affaire. De l’avis de la défenderesse, l’employeur n’a pas congédié, suspendu ou mis à pied le plaignant, pas plus qu’il ne lui a imposé de sanction pécuniaire ni pris ou menacé de prendre à son endroit des mesures disciplinaires. La défenderesse a également affirmé que le plaignant n’avait pas fourni de renseignements précis et pertinents établissant l’existence des actes, omissions ou autres questions dont il s’est plaint dans les pièces qu’il a présentées.

8 Eu égard au refus allégué de travailler, la défenderesse a soutenu que le plaignant ne lui avait pas signifié l’existence d’un danger au lieu de travail, comme l’exige le Code, et qu’il n’avait pas exercé son droit de refus de travailler prévu par le Code au moment de l’existence de la violence ou du danger allégué. La défenderesse a en outre affirmé que le plaignant n’avait pas respecté les délais prescrits de présentation ni satisfait aux exigences procédurales établies par le Code : voir Alexander c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2007 CRTFP 110.

9 La défenderesse a de plus défendu la thèse selon laquelle les allégations de violations des droits du plaignant prévus par la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »), le Code criminel, L.R.C., ch. C-46 (le « Code criminel »), l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail (ANACT), de même que les [traduction] « affaires relevant d’instances distinctes », ne relèvent pas de la compétence de la Commission. La défenderesse a demandé que la Commission rejette la plainte sans tenir audience.

10 Le plaignant a répondu aux objections soulevées quant à la compétence de la Commission et au respect des délais de présentation de sa plainte dans un envoi par télécopieur et un courriel adressés à la Commission, tous deux en date du 17 août 2008.

11 Le 18 août 2008, le plaignant a envoyé un courriel à la Commission pour l’informer que la défenderesse avait cessé de lui verser son traitement à cette date. Dans ce courriel, le plaignant répète un certain nombre des déclarations qu’il avait précédemment faites. Entre autres arguments avancés par le plaignant, mentionnons les suivants :

[Traduction]

[…]

[…] Je crois que la plainte que j’ai adressée à vos services renfermait les lettres de l’employeur datées des 13 mai et 27 juin 2008. Je crois que chacune de ces lettres fait état du caractère intentionnel du harcèlement en milieu de travail et du caractère déguisé de la menace de congédiement. Il s’agit là de questions qui relèvent de la Commission et ma plainte relative à ces affaires a été présentée dans les délais. Il incombe à la Commission de veiller à l’intérêt public. Il s’agit là d’une question d’intérêt public qui comporte la violation, par des fonctionnaires et des représentants du gouvernement, de dispositions législatives touchant la santé et la sécurité au travail et (ou) de dispositions législatives provinciales et fédérales touchant la santé et la sécurité. L’allégation et les constatations sont pertinentes à la façon dont se sont comportés les fonctionnaires de l’Agence ainsi qu’aux violations applicables sur lesquelles la Commission des relations de travail dans la fonction publique est habilitée à se prononcer.

[…]

[…] L’employeur a fait fi de tous les signalements de violence au travail et d’un environnement de travail non sécuritaire, puis il a envoyé des lettres, en mai et juin 2008, dénotant un congédiement déguisé. C’est ce qui a déclenché le dépôt d’une plainte pour non-respect des délais, en application de l’article 133, auprès de la Commission […].

[…]

[…] Je considère que les allégations de la défenderesse concernant la compétence et le respect des délais sont une tentative de sa part de me priver de l’accès à la CRTFP […].

[…]

Une affaire de congédiement déguisé et de harcèlement en milieu de travail relève de la compétence de la Commission […].

[…]

[…] Selon la loi, le fardeau de la preuve incombe à l’employeur et l’inversion de la charge de la preuve se fait sur l’organisation.

[…]

Les dispositions législatives en matière de santé et de sécurité au travail sont très claires et sont prévues dans le Code canadien du travail. J’ai signalé à l’employeur de nombreuses affaires dont il n’a fait aucun cas ou qu’il a tolérées. Ces affaires sont maintenant déférées à d’autres instances […]. Peut-être que l’assertion de l’employeur concernant le respect des délais ne se rapporte qu’à la date d’irrecevabilité après deux ans prévue par la loi quant à la responsabilité et l’obligation de traiter toute violation des dispositions en matière de santé et de sécurité au travail ou tout cas de harcèlement et de harcèlement criminel, entre autres questions. Le problème signalé de harcèlement, qui comprend un environnement de travail non sécuritaire et hostile, est un problème permanent et toléré, si bien que l’on peut considérer que la plainte a été présentée dans les délais.

[…]

[…] Les affaires relatives à la présente plainte peuvent être tranchées en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, et les autres affaires peuvent être déférées à d’autres instances appropriées. De telles situations peuvent se produire lorsque la Commission détermine qu’il y a eu infraction au Code criminel, à la Loi canadienne sur les droits de la personne, etc. Quoiqu’il en soit, la Commission a compétence pour se prononcer sur les -moyens déguisés de licenciement, en particulier lorsque l’employeur n’a clairement pas respecté les politiques en matière de protection et de sécurité des travailleurs ni observé les dispositions législatives applicables […].

[…]

12 Le 28 août 2008, la défenderesse a déclaré en réfutation que sa position demeurait la même que celle qu’elle avait énoncée dans ses arguments initiaux. Elle a ajouté que le plaignant n’avait pas encore présenté au dernier palier de la procédure applicable le grief auquel il a fait allusion le 18 août 2008. Ce grief, au dire de la défenderesse, n’est pas déféré à bon droit à la Commission.

13 Le plaignant a choisi de déposer d’autres arguments concernant la réfutation de la défenderesse le 2 septembre 2008. Entre autres déclarations, le plaignant a affirmé qu’[traduction]« [i]l est illégal de mettre fin au versement de mon traitement ordinaire lors de violations des dispositions en matière de SST et pendant que les autorités compétentes se penchent sur ces affaires ».

14 Le 9 septembre 2008, le plaignant a présenté [traduction] « […] une demande de redressement immédiat et rétroactif, par ordonnance de la Commission, pour ajouter à mon signalement de conduite discriminatoire et de cessation du versement de mon traitement régulier une autre violation des dispositions de l’article 147 visant la protection en matière de travail ». Le plaignant a également transmis d’autres renseignements contextuels au sujet de sa plainte.

15 Le greffe de la Commission a demandé à la défenderesse de transmettre sa réponse à la demande du plaignant concernant le rétablissement du versement de sa rémunération. Le 26 septembre 2008, la défenderesse a déclaré qu’elle [traduction] « […] ne rétablira pas le versement de la rémunération normale du plaignant relativement à cette plainte, dont la présentation n’a pas respecté les délais et qui n’est pas fondée ».

16 Le greffe de la Commission a donné au plaignant la possibilité de répondre, en réfutation, à la position de la défenderesse au sujet de la question du rétablissement de son salaire. Le 2 octobre 2008, le plaignant a présenté des arguments supplémentaires, accompagnés de 13 documents. Ces arguments ne constituaient pas une réfutation à la position de la défenderesse sur le rétablissement du salaire, mais plutôt de nouveaux arguments militant en faveur du respect du délai de présentation et du fondement de sa plainte.

17 Le président de la Commission m’a nommé pour entendre et trancher ces questions.

18 Étant donné le volume et la nature des arguments du plaignant, je me suis écarté du format habituel d’une décision de la Commission et ne présenterai pas une section distincte résumant les arguments du plaignant. Je décrirai et traiterai plutôt des principaux arguments à l’appui de sa plainte dans mes motifs. J’adopterai la même approche pour les arguments de la défenderesse, lesquels sont brefs et, de fait, ont été exposés dans la section précédente.

19 Les arguments complets des parties sont versés au dossier déposé à la Commission.

II. Décision sur les questions préliminaires

20 Trois questions préliminaires sont soumises à la Commission : 1) l’objection de la défenderesse à la compétence d’un commissaire d’instruire la plainte fondée sur l’article 133 du Code; 2) l’objection de la défenderesse à la plainte pour cause de non-respect des délais de présentation; 3) la demande du plaignant pour obtenir une ordonnance prévoyant un redressement immédiat.

21 J’ai pris connaissance de tous les documents et arguments versés au dossier et ai conclu qu’il est possible de trancher les questions préliminaires à la lumière de la preuve au dossier sans tenir d’audience. La Commission est habilitée à le faire en vertu de l’article 41 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la « Loi »), qui stipule ce qui suit :

      41. La Commission peut trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience.

22 La tâche de la Commission, dans la présente décision, est compliquée par le nombre d’allégations différentes que le plaignant fait et par la façon dont il en exprime certaines. Il a fait état de préoccupations au sujet de ce qui s’est passé à son lieu de travail et qui peut concerner divers éléments du droit et plusieurs instances ou ressorts. Il est apparemment partie à plusieurs poursuites intentées contre son employeur et (ou) des fonctionnaires sur de multiples fronts. Je note, en particulier, que le plaignant a indiqué saisir actuellement la Cour supérieure du Manitoba d’une action ou d’actions dont les détails ne sont pas clairs. Il ressort également du dossier que le plaignant s’occupe activement d’au moins deux plaintes ou griefs contre son employeur pour harcèlement, qu’il a eu des contacts continus avec les responsables du Programme du travail à Ressources humaines et Développement social Canada (RHDSC) eu égard à des questions de santé et de sécurité et qu’il a porté des accusations de discrimination et de manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation qui pourraient impliquer des procédures en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), LRC 1985, ch. H-6.

23 Nombre des allégations faites par le plaignant semblent se chevaucher et se recouper. On peut parfois se demander s’il mesure bien quels mécanismes de redressement différents s’appliquent de façon pertinente à certains sujets, et habituellement à ces seuls sujets. Dans cette plainte, il brosse un tableau complet de ses préoccupations au sujet de ce qu’il a vécu et soutient que la Commission a la responsabilité de se pencher sur nombre de ces préoccupations. Il déclare qu’il est dans [traduction] « l’intérêt public » que la Commission le fasse.

24 Il est de ma responsabilité de veiller à ce que la présente décision porte directement et uniquement sur les allégations et arguments se rapportant à la plainte déposée en application de l’article 133 du Code et dont je suis saisi. L’article en question se lit ainsi :

Plainte au Conseil

133. (1) L’employé — ou la personne qu’il désigne à cette fin — peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

Délai relatif à la plainte

            (2) La plainte est adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où le plaignant a eu connaissance — ou, selon le Conseil, aurait dû avoir connaissance — de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu.

Restriction>

            (3) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa présentation est subordonnée, selon le cas, à l’observation du paragraphe 128(6) par l’employé ou à la notification à l’agent de santé et de sécurité conformément au paragraphe 128(13).

Exclusion de l’arbitrage

            (4) Malgré toute règle de droit ou toute convention à l’effet contraire, l’employé ne peut déférer sa plainte à l’arbitrage.

Fonctions et pouvoirs du Conseil

            (5) Sur réception de la plainte, le Conseil peut aider les parties à régler le point en litige; s’il décide de ne pas le faire ou si les parties ne sont pas parvenues à régler l’affaire dans le délai qu’il juge raisonnable dans les circonstances, il l’instruit lui-même.

Charge de la preuve

            (6) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa seule présentation constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

25 La compétence de la Commission à se prononcer sur une plainte présentée en vertu de l’article 133 du Code est établie comme suit par l’article 240 de la Loi :

      240. La partie II du Code canadien du travail s’applique à la fonction publique et aux personnes qui y sont employées comme si la fonction publique était une entreprise fédérale visée par cette partie, sous réserve de ce qui suit :

a) en ce qui concerne la terminologie :

[…]

(ii) « Conseil » s’entend de la Commission des relations de travail dans la fonction publique,

[…]

26 Le plaignant allègue que la défenderesse a enfreint l’article 147 du Code, qui porte sur ce qui suit :

      147. Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre — ou menacer de prendre — des mesures disciplinaires contre lui parce que :

a) soit il a témoigné — ou est sur le point de le faire — dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

27 À divers endroits dans ses arguments, le plaignant déclare avoir refusé de travailler pour des raisons de sécurité au sens du Code. Les principales dispositions applicables du Code se trouvent à l’article 128, qui stipule ce qui suit :

      128.(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;

c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

      (2) L’employé ne peut invoquer le présent article pour refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche lorsque, selon le cas :

a) son refus met directement en danger la vie, la santé ou la sécurité d’une autre personne;

b) le danger visé au paragraphe (1) constitue une condition normale de son emploi.

[…]

      (6) L’employé qui se prévaut des dispositions du paragraphe (1) ou qui en est empêché en vertu du paragraphe (4) fait sans délai rapport sur la question à son employeur.

      (7) L’employé informe alors l’employeur, selon les modalités — de temps et autres — éventuellement prévues par règlement, de son intention de se prévaloir du présent article ou des dispositions d’une convention collective traitant du refus de travailler en cas de danger. Le choix de l’employé est, sauf accord à l’effet contraire avec l’employeur, irrévocable.

      (8) S’il reconnaît l’existence du danger, l’employeur prend sans délai les mesures qui s’imposent pour protéger les employés; il informe le comité local ou le représentant de la situation et des mesures prises.

      (9) En l’absence de règlement de la situation au titre du paragraphe (8), l’employé, s’il y est fondé aux termes du présent article, peut maintenir son refus; il présente sans délai à l’employeur et au comité local ou au représentant un rapport circonstancié à cet effet.

      (10) Saisi du rapport, l’employeur fait enquête sans délai à ce sujet en présence de l’employé et, selon le cas :

a) d’au moins un membre du comité local, ce membre ne devant pas faire partie de la direction;

b) du représentant

c) lorsque ni l’une ni l’autre des personnes visées aux alinéas a) et b) n’est disponible, d’au moins une personne choisie, dans le même lieu de travail, par l’employé.

[…]

      (13) L’employé peut maintenir son refus s’il a des motifs raisonnables de croire que le danger continue d’exister malgré les mesures prises par l’employeur pour protéger les employés ou si ce dernier conteste son rapport. Dès qu’il est informé du maintien du refus, l’employeur en avise l’agent de santé et de sécurité.

[…]

A. Séquence des événements

28 Pour trancher les questions préliminaires, il est utile, dans un premier temps, de tenter de reconstituer le fil pertinent des événements ayant précédé le dépôt de la plainte. Dans ses arguments, qui comptent plusieurs documents, le plaignant prétend faire état de ce qui lui est arrivé, quoique l’on relève des écarts et quelques incohérences dans ce qu’il rapporte. Je fais remarquer au passage que les arguments de l’employeur ne sont pas d’un très grand secours à cet égard. L’employeur a choisi de focaliser son attention sur ses propres arguments, lesquels sont directement centrés, pour l’essentiel, sur les raisons fondamentales de ses objections. L’employeur n’a pas commenter la plupart des faits allégués par le plaignant ni n’a présenté sa propre chronologie des événements. À ce stade, je ne peux poursuivre qu’en présumant que les faits exposés par les plaignants sont vrais à moins d’une indication évidente à l’effet du contraire. Certains des documents justificatifs produits par le plaignant sont utiles à cet égard. Si je devais déterminer qu’il y a lieu de tenir une audience pour instruire la plainte sur le fond, les faits pertinents de même que les documents produits pourraient éventuellement devoir être officiellement prouvés. Il me faut souligner que, si je les retiens ici, c’est dans l’unique but de me prononcer sur les questions préliminaires et que ces faits et documents ne sauraient constituer une constatation concluante des faits ou de la recevabilité à des fins de procédures ultérieures, au cas où il y en aurait.

29 À la lumière de l’ensemble des renseignements au dossier, il me semble que la chronologie suivante des événements relate grosso modo ce qui s’est produit.

30 En octobre 2005, l’employeur a affecté le plaignant à un travail sur une poursuite du gouvernement du Canada qui demeure en instance. Le plaignant, qui considère que cette affectation a eu un effet « discriminatoire », fait valoir les répercussions qu’a eues la charge de travail accrue qui en a résulté. Il dit avoir dû travailler [traduction] « des heures excessives », consacrant des [traduction] « doubles quarts » aux procédures juridiques et à la gestion du [traduction] « programme d’activités régionales essentielles de l’Agence ».

31 Dans une note médicale datée du 22 octobre 2007 que le médecin du plaignant a produite à l’employeur, il est indiqué que le plaignant a commencé à se faire suivre par le médecin en juillet 2006 et qu’il a subi beaucoup de stress en raison d’[traduction] « […] une bataille juridique en cours mettant en cause ses enfants ». À ce sujet, la note fait mention d’[traduction] « […] une enquête en cours […] menée par un ombudsman provincial, le procureur général et le ministre de la Justice, sur un possible comportement criminel impliquant M. Gaskin et ses enfants ». Ailleurs, le plaignant semble indiquer que sa charge de travail continue de [traduction] « double-quart » a contribué aux problèmes de santé qu’il a éprouvés.

32 En avril 2007, l’employeur a offert au plaignant une mutation latérale à un poste de direction exclu aux « services aux clients T1 », à la Division des services à la clientèle et des prestations. Dans son courriel du 11 juillet 2008, le plaignant, faisant peut-être allusion à cette offre, accuse l’employeur de [traduction] « tentatives de coercition et d’intimidation (harcèlement) pour que j’accepte un poste et des fonctions de niveau inférieur à celui du groupe EC1 et exigeant que je m’installe en Ontario pour accepter la promotion […]. Il s’agit d’une violation de la constitution […]. »

33 Le 19 juin 2007, répondant à une lettre précédente du plaignant datée du 1er mai 2007, le directeur adjoint du plaignant lui a écrit au sujet — citant la correspondance du plaignant — d’[traduction] « […] affaires criminelles dans lesquelles vous estimez que votre employeur, l’ARC, a une certaine obligation d’intervenir ». Le directeur adjoint demandait au plaignant qu’il lui fournisse des détails par écrit pour aider la direction à intervenir dans la situation qu’exposait le plaignant.

34 Le plaignant déclare avoir fourni l’information demandée par la direction le 31 août et le 4 septembre 2007. Il précise que, entre autres renseignements fournis, il y avait des informations [traduction] « […] concernant les violations en matière de santé et de sécurité au travail discutées avec Justice Canada et plusieurs avocats ». Au dire du plaignant, cette information révèle [traduction] « […] des actes et omissions du gouvernement ainsi que des violations de [ses] droits garantis par la Charte […] ».

35 Le plaignant a également souligné que, cet été-là, il avait rencontré un conseiller en relations de travail de l’employeur à qui il avait [traduction] « […] révélé toutes les affaires de violation des droits des travailleurs et des contrats de protection du travail ». Il mentionne que la direction savait alors que ces affaires comprenaient une plainte devant la Cour du Banc de la Reine.

36 Le plaignant déclare avoir été convoqué [traduction] « sans préavis » par la direction à une rencontre disciplinaire le 14 septembre 2007. Lorsque le plaignant a demandé à ce qu’un tiers soit présent à titre d’observateur, son superviseur a annulé la [traduction] « rencontre disciplinaire surprise ».

37 Le 18 septembre 2007, le plaignant a reçu, de son superviseur, un courriel traitant de l’application de la politique de l’employeur en matière de discipline. Le plaignant dit croire que ce courriel [traduction] « […] confirme la menace de mesures disciplinaires et de représailles ainsi que la menace de représailles relativement à des affaires que j’ai signalées en vertu des alinéas 147a), b) et c) de la partie II du CCT ».

38 Le 20 septembre 2007, le plaignant a déposé une plainte de harcèlement à l’endroit de son superviseur immédiat.

39 Le 1er octobre 2007, le plaignant [traduction] « […] a fait avancer [sa] plainte pour violence au lieu de travail (harcèlement, discrimination, intimidation, tentative de mesures disciplinaires, etc.) aux échelons supérieurs de la chaîne de commandement […] ».

40 Le 5 octobre 2007, le plaignant a commencé à prendre deux semaines de congé de maladie, avec attestation de son médecin. Le plaignant déclare que la lettre du médecin susmentionnée est la seule note médicale [traduction] « parlant de congés de maladie » qu’il a fournie à l’employeur. Dans cette note du médecin, il est mentionné que le plaignant [traduction] « […] estime être victime de violence au travail et considère que son lieu de travail est hostile et dangereux ». En raison d’une série de troubles médicaux dont il fait la description, le médecin conclut qu’il [traduction] « […] ne juge pas indiqué pour ce patient de retourner au travail pour le moment ». Il recommande que le plaignant [traduction] « […] prenne congé jusqu’à ce que ces questions soient réglées ».

41 Le plaignant affirme que cette note [traduction] « […] ne porte aucunement à croire qu’[il] prenai[t] un congé de maladie jusqu’à ce que les problèmes liés à la santé et à la sécurité soient réglés ». Il déclare aussi avoir envoyé à l’employeur, le 23 octobre 2007, un avis de [traduction] « violence au travail » et de [traduction] « travail dangereux » qui se lit ainsi :

[Traduction]

[…] un rapport de mon médecin avisant l’employeur de [mes] préoccupations liées à la SST, à la violence au travail, aux blessures et à la sécurité vient du fait que [je] ne retournerai pas au lieu de travail tant que la situation n’aura pas été entièrement corrigée. Il s’agissait d’un refus de retourner au lieu de travail pour ne pas être harcelé, menacé et soumis à d’autres menaces de représailles et de mesures disciplinaires (ne se limitant pas à ce que prévoient les alinéas 128(1)b) et c) pendant les enquêtes que l’Agence menait parallèlement au sujet des plaintes formelles de harcèlement et de discrimination […].

[…]

42 Le directeur du plaignant a téléphoné à ce dernier en « octobre 2007 » pour le prier de retourner au travail. Le plaignant déclare que cette demande démontre que le directeur savait qu’il n’était pas en congé de maladie.

43 Le plaignant a continué de s’absenter du travail.

44 En février 2008, l’employeur a répondu aux [traduction] « plaintes de harcèlement » et [traduction] « griefs de harcèlement » du plaignant. Cette réponse, au dire du plaignant, n’a pas été fournie dans les délais et ne tenait pas compte de nombre de ses allégations, ce qui enfreignait les [traduction] « […] principes de justice naturelle et d’équité judiciaire ».

45 Fin février ou début mars 2008, le plaignant a signalé à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) qu’une enquêteure nommée par l’employeur s’était illégalement présentée comme une enquêteure de la CCDP.

46 Le 27 mars 2008, la Cour supérieure du Manitoba a rendu une ordonnance pour qu’[traduction] « […] un avocat remplaçant s’occupe de la poursuite devant les tribunaux ». Le plaignant déclare que l’action en justice avait été intentée par un tiers, mais que [traduction] « […] [ma] réponse et [ma] plainte devant la cour du banc de la Reine avaient donné lieu à une ingérence aux termes de l’article 147 du CCT […] ». Il décrit l’instance judiciaire comme traitant de [traduction] « […] l’inconduite de fonctionnaires, de représentants du gouvernement et de membres de l’appareil judiciaire à l’égard des circonstances ayant mené à la plainte en matière de SST ».

47 Le 2 avril 2008, le plaignant a déposé une plainte contre le commissaire adjoint de la région des Prairies, affirmant que celui-ci avait censuré les allégations qu’il avait faites dans sa première plainte de harcèlement.

48 Le 12 mai 2008, le commissaire adjoint aux ressources humaines de l’Agence a accusé réception de la plainte déposée le 2 avril 2008 et l’a acceptée en tant que [traduction] « grief officiel ».

49 Le 13 mai 2008, le directeur adjoint du plaignant a adressé une lettre à ce dernier dans laquelle il déclare que, d’après les dossiers de l’Agence, [traduction] « […] [le plaignant] est en congé de maladie avec attestation depuis le 5 octobre 2007 […] ». Cette lettre informait le plaignant que ses crédits de congés de maladie seraient épuisés le 3 juillet 2008. La lettre disait en outre :

[Traduction]

[…]

Si votre situation devait perdurer et que vous n’étiez pas en mesure de retourner au travail avant le 3 juillet 2008, vous pourriez prolonger votre absence dans le cadre d’un congé de maladie sans solde. Peut-être voudriez-vous présenter une demande de prestations d’assurance-invalidité pour obtenir un soutien supplémentaire au revenu.

[…]

Le plaignant qualifie cette lettre de [traduction] « […] harcèlement continu et de menace de me pénaliser financièrement en représailles de ma plainte de harcèlement et de mes plaintes pour violence au lieu de travail déposées en vertu de la partie II du CCT ».

50 Le plaignant déclare avoir ensuite adressé une lettre au commissaire adjoint, Région des Prairies, pour l’informer qu’il n’était pas en congé de maladie et qu’il s’agissait [traduction] « […] d’un refus [de sa part] de se présenter au lieu de travail en attendant le règlement des plaintes de SST et l’issue des enquêtes ».

51 Le 11 juin 2008, le plaignant a reçu, selon ses dires, un appel téléphonique d’une [traduction] « agente du CSCR » qui lui demandait de confirmer son statut d’employé en congé de maladie. Le plaignant déclare que son interlocutrice avait reçu instruction de [traduction] « […] modifier son statut d’employé en congé de maladie […] et [qu’elle] […] ne disposait pas de renseignements indiquant que [le plaignant était] en congé de maladie ». Le plaignant lui a dit qu’il n’était pas en congé de maladie.

52 Le 27 juin 2008, la directrice adjointe, Région des Prairies, a écrit au plaignant pour lui faire part de ses vues au sujet de ce qui s’était produit jusqu’à présent. Voici quelques extraits de cette correspondance :

[Traduction]

[…]

Je crois comprendre que vous avez maintes fois fait part de vos opinions au sujet des responsabilités de l’ARC dans vos diverses démarches juridiques. À plusieurs reprises, on vous a demandé de fournir des détails […]. À l’examen de toutes les informations produites, l’employeur estime que ces problèmes résultent d’activités menées hors du lieu de travail. En conséquence, l’employeur n’a aucune responsabilité à l’égard de ces affaires privées.

[…]

[…] Je comprends que vous ayez le sentiment que vous et vos enfants êtes victimes d’enlèvement économique, de harcèlement et de violence. Toutefois, comme on vous l’a déjà fait savoir, l’employeur n’a aucune responsabilité dans ces affaires personnelles. Pour ce qui est du lieu de travail, on vous a proposé des options d’affectation début octobre, afin de vous séparer du [superviseur du plaignant] et de vous permettre de régulariser votre situation de travail après la réception de votre plainte de harcèlement. Je crois comprendre que, jusqu’à maintenant, vous n’avez retenu aucune de ces options. Je comprends aussi que vous êtes en congé de maladie depuis le 5 octobre 2007 et que vous continuez d’être absent du travail, comme en atteste la note médicale de votre médecin traitant que vous avez produite le 23 octobre 2007.

Comme vous savez, vous aurez bientôt épuisé vos crédits accumulés de congé de maladie. En vertu des pouvoirs qui me sont conférés, j’ai pris la décision de vous avancer des crédits de congé de maladie, aux termes de la convention collective. Ainsi, vous continuerez d’être en congé de maladie rémunéré jusqu’au 7 août 2008 inclusivement. À compter du 8 août 2008, vous serez temporairement rayé de l’effectif. J’ai joint à la présente un dossier préparé par le Centre de service à la clientèle pour la rémunération qui fait état de vos options relativement à des prestations d’assurance-invalidité :

[…]

53 Le plaignant a déposé sa plainte, en vertu de l’article 133 du Code, le 10 juillet 2008.

B. Objections à la compétence et pour non-respect des délais

54 Dans son objection à la compétence de la Commission, la défenderesse cite les trois motifs suivants :

1) l’employeur n’a pas congédié, suspendu ou licencié le plaignant, pas plus qu’il ne lui a imposé de sanction pécuniaire ni n’a pris ou menacé de prendre à son endroit des mesures disciplinaires. À cet égard, le plaignant n’a pas fourni de renseignements précis et pertinents établissant l’existence des actes, omissions ou autres questions dont il s’est plaint;

2) le refus allégué du plaignant de se présenter au travail ne répondait pas aux exigences procédurales établies par le Code;

3) les allégations de violation des dispositions de la Charte, du Code criminel, de l’ALENA et de l’ANACT, de même que les [traduction] « affaires relevant d’instances distinctes » ne relèvent pas de la compétence de la Commission.

55 La défenderesse fait porter son objection pour non-respect des délais sur la déclaration du plaignant selon laquelle il a refusé de travailler en octobre 2007. En présumant que l’objet de la plainte réside dans des représailles alléguées de la part de l’employeur en réaction à l’exercice, par le plaignant, de son droit de refuser de travailler prévu par le Code, la plainte déposée en juillet 2008, selon l’employeur, n’a pas respecté le délai de présentation de 90 jours prescrit par le paragraphe 133(2) du Code.

56 J’aborde la question de la compétence et du respect de délai en posant les questions suivantes, car il me semble qu’elles sont au cœur du différend en matière de compétence :

1. Les arguments produits révèlent-ils que la défenderesse a pris, à l’endroit du plaignant, des mesures du type de celles qui sont énumérées à l’article 147 du Code? Autrement dit, la défenderesse a-t-elle congédié, suspendu, mis à pied ou rétrogradé le plaignant, lui a-t-elle imposé une sanction pécuniaire ou autre, a-t-elle refusé de le rémunérer ou a-t-elle pris ou menacé de prendre des mesures disciplinaires contre lui?

2. Si la défenderesse a pris des mesures du type de celles qui sont énumérées à l’article 147, ces mesures ont-elles été prises pour l’une ou l’autre des raisons énoncées à l’article 147? Autrement dit, la défenderesse a-t-elle pris pareilles mesures au motif que le plaignant

a) a témoigné — ou était sur le point de le faire — dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la partie II du Code,

b) a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la partie II du Code un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail, ou

c) a observé les dispositions de la partie II du Code ou cherché à les faire appliquer?

3. Si la défenderesse a pris des mesures du type de celles qui sont énumérées à l’article 147 pour l’une ou l’autre des raisons énoncées dans les dispositions de cet article, le plaignant a-t-il présenté sa plainte dans les 90 jours suivant la date où il a eu connaissance — ou, selon le Conseil, aurait dû avoir connaissance — de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu, ainsi que le stipule le paragraphe 133(2)?

1. Question 1 – Actions de la défenderesse du type de celles qui sont énumérées à l’article 147 du Code

57 On peut fort bien perdre de vue l’essentiel de la teneur de la plainte lorsqu’on examine les nombreuses allégations que le plaignant a faites à l’endroit de l’employeur et de fonctionnaires. Étant une partie qui se représente elle-même à la présente instance, le plaignant n’est pas tenu d’exprimer les motifs de sa plainte en termes précis et sans équivoque. Il lui incombe cependant d’exposer les motifs de sa plainte à la Commission avec suffisamment de clarté pour qu’elle puisse comprendre la nature de son cas et que la défenderesse puisse savoir contre quelles allégations elle doit se défendre.

58 La plainte originale du 10 juillet 2008 et les informations supplémentaires transmises par le plaignant le 11 juillet 2008 regorgent d’accusations selon lesquelles nombre de mesures différentes prises par la défenderesse constituaient, dans l’esprit du plaignant, une violation des dispositions du Code et justifiaient sa plainte. Toutefois, nombre de ces actions datent de bien avant le dépôt de sa plainte, certaines remontant même jusqu’à trois ans auparavant. La Commission doit d’abord déterminer s’il s’est produit, immédiatement avant le 10 juillet 2008, date du dépôt de la plainte, un événement qui a amené le plaignant à faire part de ses préoccupations à la Commission, aux termes du paragraphe 133(2) du Code, en temps opportun.

59 À l’examen de l’ensemble des arguments et documents versés au dossier, il m’est d’avis qu’il y a lieu de s’en remettre — et d’engager la responsabilité du plaignant à cet égard — à la description sommaire de la plainte que le plaignant a faite dans son principal argument produit au sujet de la compétence et du respect des délais. Il s’exprime ainsi dans cet argument :

[Traduction]

[…]

Je crois que la plainte que j’ai adressée à vos services renfermait les lettres de l’employeur datées des 13 mai et 27 juin 2008. Je crois que chacune de ces lettres fait état du caractère intentionnel du harcèlement en milieu de travail et du caractère déguisé de la menace de congédiement. Ce sont des questions qui relèvent de la Commission, et ma plainte relative à ces affaires a été présentée dans les délais.

[…]

[…] L’employeur […] aurait dû savoir — comme il m’est clairement apparu — que les lettres constituaient une menace de congédiement déguisé. J’ai déposé immédiatement ma plainte. La plainte a été présentée dans les délais […].

[…]

60 Ces passages démontrent que l’événement qui a déclenché la présentation de la plainte, selon le plaignant, a été les lettres de la défenderesse en date des 13 mai et 27 juin 2008. D’après les arguments du plaignant, les commentaires trouvés dans ces lettres au sujet de l’épuisement prochain des crédits de congé de maladie du plaignant constituent une menace de mise à pied ou de congédiement déguisé.

61 Le courriel du plaignant daté du 2 septembre 2008 nous conforte dans cette analyse. Il y fait valoir ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Ma plainte est assurément et dûment présentée à la CRTFP dans les délais. Il est illégal de cesser le versement de mon traitement ordinaire lors de violations des dispositions en matière du SST et pendant que les autorités compétentes se penchent sur ces affaires. Cette violation de la partie II du Code canadien du travail concernant mon traitement régulier doit être rapidement traitée, car elle est tout simplement illégale et est perçue comme une mesure de représailles et de la discrimination et cause l’effet discriminatoire du préjudice émotionnel, psychologique et financier […].

[…]

Il ressort clairement du dossier que le plaignant a continué de toucher son traitement normal, sous la forme de prestations de congé de maladie rémunéré, jusqu’à la date de dépôt de sa plainte et pendant une certaine période par la suite. L’interruption [traduction] « illégale » du versement du salaire régulier du plaignant — que celui-ci apparie à des mesures de représailles et au motif de déclenchement de la présentation de sa plainte — ne peut être que l’épuisement prochain de ses crédits de congé de maladie et les conséquences de cet épuisement, dimensions que la défenderesse aborde dans ses lettres des 13 mai et 27 juin 2008. Le plaignant déclare que le problème doit être réglé [traduction] « rapidement ». Dans ce contexte, si sa plainte portait sur un autre événement antérieur — par exemple, une mesure de représailles prise peu après le refus allégué du plaignant de se présenter au travail, en octobre 2007 — une plainte déposée en juillet 2008 pourrait difficilement être qualifiée de sollicitation d’un règlement « rapide ».

62 Dans son argument du 2 octobre 2008, le plaignant déclare qu’il [traduction] « […] a adressé à la Commission sa plainte fondée sur l’article 133 à temps, puisque la plainte a été déposée moins de 90 jours après la menace d’interrompre la rémunération à titre de représailles […] ». Cette déclaration corrobore une fois de plus la conclusion selon laquelle les actions qui ont déclenché la plainte, au dire du plaignant, ont été les commentaires que la défenderesse a formulés au sujet du congé de maladie rémunéré dans ses lettres des 13 mai et 27 juin 2008.

63 Nonobstant toutes les autres allégations que le plaignant a faites dans sa plainte originale du 10 juillet 2008 et les arguments additionnels déposés un jour après, je me vois dans l’obligation de déterminer que la teneur essentielle de sa plainte réside dans la menace alléguée de la défenderesse d’interrompre le versement de son traitement régulier, comme cela a été communiqué au plaignant dans les lettres des 13 mai et 27 juin 2008. En conséquence, j’exclus de la preuve à prendre en considération aux fins de la détermination des questions préliminaires toute autre action ou mesure que le plaignant conteste ou semble contester dans sa plainte initiale.

64 Pour m’en convaincre, je n’ai qu’à constater qu’il m’est impossible de relever d’emblée toute autre action de la défenderesse – dans les quatre-vingt-dix jours ayant précédé le dépôt de la plainte – que l’on pourrait raisonnablement considérer comme une action visant à congédier, suspendre ou mettre à pied le plaignant, à lui imposer une sanction pécuniaire, à refuser de lui verser une rémunération ou à prendre ou menacer de prendre contre lui des mesures disciplinaires. Si le plaignant avait eu l’intention de faire valoir une autre action de la défenderesse comme élément déclencheur de sa plainte, il est probable que cette action aurait été antérieure à la période de 90 jours prescrite pour la présentation d’une plainte et que la question du respect des délais se serait posée.

65 M’étant ainsi prononcé sur cette dimension, l’objection de la défenderesse au motif d’un non-respect des délais n’entre plus en ligne de compte. Il ne m’est pas nécessaire d’examiner plus avant la troisième question que j’ai posée au paragraphe 56.

66 Le fait que la défenderesse ait indiqué au plaignant — l’en informant par ses lettres des 13 mai et 27 juin 2008 — qu’elle cesserait de lui verser sa rémunération ordinaire s’apparente-t-il à un congédiement, une suspension, une mise à pied, une sanction pécuniaire ou autre, un refus de payer, une mesure disciplinaire ou la menace d’une mesure disciplinaire au sens de l’article 147 du Code?

67 Au moment où il a déposé sa plainte, le plaignant a continué de toucher son traitement régulier et était employé par la défenderesse. Par définition, il n’était pas en situation de congédiement le 10 juillet 2008 ou avant cette date.

68 Le plaignant soit qualifie l’action de la défenderesse de [traduction] « menace de congédiement » soit, employant différents termes, allègue avoir été victime d’un congédiement déguisé en raison de la teneur des propos de la défenderesse dans ses lettres des 13 mai et 27 juin 2008. Pour ce qui est de la qualification de l’action, j’estime que l’allusion à l’action de « congédier », dont il est question à l’article 147 du Code, ne saurait être interprétée comme incluant une « menace de congédiement ». Le législateur a explicitement mentionné, dans la même partie de l’article 147, à la fois l’action de « prendre des mesures disciplinaires » et celle de « menacer de prendre des mesures disciplinaires ». S’il avait eu l’intention d’évoquer de la même façon la notion de menace de congédiement à l’article 147, il l’aurait fait explicitement.

69 Quant à l’allégation de « congédiement déguisé », on est enttement en droit de se demander si la notion de congédiement déguisé en common law peut s’appliquer au présent ressort ou à la présente instance, lorsque le pouvoir de l’employeur de mettre fin à la relation d’emploi est précisément défini et circonscrit dans la loi. Il n’est toutefois pas nécessaire d’ouvrir pareil débat ici. À mon sens, les lettres des 13 mai et 27 juin 2008 envisagent manifestement, l’une comme l’autre, la poursuite de la relation d’emploi plutôt que sa cessation. Dans la lettre du 13 mai 2008, deux solutions sont proposées au plaignant en cas d’épuisement de ses crédits de congé de maladie. En premier lieu, il pourrait continuer de s’absenter du travail en prenant un congé sans solde. En second lieu, il pourrait envisager la possibilité de demander des prestations d’assurance-invalidité. Que l’une ou l’autre option soit retenue, la relation d’emploi se poursuivrait, du moins dans l’immédiat. Informer le plaignant de la disponibilité de ces options ne peut raisonnablement être considéré, même de prime abord, comme une action s’apparentant à un congédiement déguisé.

70 L’extrait pertinent de la lettre du 27 juin 2008 se lit ainsi :

[Traduction]

[…]

Comme vous savez, vous aurez bientôt épuisé vos crédits accumulés de congé de maladie. En vertu des pouvoirs qui me sont conférés, j’ai pris la décision de vous avancer des crédits de congé de maladie, aux termes de la convention collective. Ainsi, vous continuerez d’être en congé de maladie rémunéré jusqu’au 7 août 2008 inclusivement. À compter du 8 août 2008, vous serez temporairement rayé de l’effectif. J’ai joint à la présente un dossier préparé par le Centre de service à la clientèle pour la rémunération qui fait état de vos options relativement à des prestations d’assurance-invalidité :

[…]

La mention du plaignant qui serait [traduction] « temporairement rayé de l’effectif », quoiqu’un peu curieuse, ne peut toutefois pas être décemment interprétée comme équivalant à un congédiement déguisé. « Temporairement » implique la possibilité d’un futur retour à l’effectif et la préservation de la relation d’emploi. De façon notable, la défenderesse continue, dans la lettre, d’exposer les autres options dont le plaignant pourrait se prévaloir, par exemple l’assurance-invalidité. Comme dans le cas de la première lettre, le fait d’informer le plaignant que d’autres options sont disponibles ne saurait être assimilé à une mesure de congédiement réel ou déguisé. (Je note, dans les arguments du plaignant, l’allusion au fait que l’[traduction] « […] agent principal de la sécurité pour le Programme du travail à RHDSC », à Ottawa, l’a invité à communiquer avec la Commission [traduction] « […] relativement à un cas de congédiement déguisé ». Si pareille instruction a été donnée par un agent de RHDSC, ainsi qu’on le dit, il est clair que la Commission n’est nullement liée par toute constatation ou tout conseil que l’agent aurait fourni sur ce point ni n’a besoin d’accorder quelque poids que ce soit à ces constatations ou conseils du fait qu’il s’agit d’une preuve par ouï-dire.)

71 Le plaignant n’allègue pas que les lettres des 13 mai et 27 juin 2008 révèlent l’existence d’une action visant soit à le « suspendre » soit à le « mettre à pied ».

72 À plusieurs reprises, dans ses plaintes, dans les documents supplémentaires qu’il a produits et dans ses arguments, le plaignant fait allusion à une mesure disciplinaire ou à la menace d’une mesure disciplinaire sans que l’on sache clairement si ses allégations de mesures disciplinaires comprennent les lettres de la défenderesse datées des 13 mai et 27 juin 2008. Ce qui est clair c’est que rien, dans ces lettres, ne porte raisonnablement à croire à l’existence d’une mesure disciplinaire réelle ou envisagée de la part de la défenderesse. Il n’y a pas d’allégation d’inconduite ou de comportement coupable de la part du plaignant. Rien n’indique la présence d’une intention réparatrice. Les lettres ne mettent pas le plaignant en garde quant à la possibilité d’une sanction disciplinaire. Rien, dans le ton de l’une ou l’autre des deux lettres, ne m’apparaît comme révélateur d’une intention de punir ou de sanctionner ou d’une menace de prendre quelque autre mesure que ce soit en réaction à une faute ou un méfait perçu. Au contraire, on nourrit l’espoir, dans la seconde lettre en particulier, que le plaignant prendra part à l’enquête en cours qui est menée au sujet de ses plaintes ou griefs. Cette lettre se conclut en donnant l’assurance au plaignant que la défenderesse est [traduction] « […] prête à s’asseoir avec [lui] pour discuter de ses préoccupations [à lui] n’importe quand ».

73 Je considère donc que les lettres datées des 13 mai et 27 juin 2008 ne révèlent pas l’existence d’une mesure disciplinaire ou de la menace d’une mesure disciplinaire.

74 La possibilité suivante est que l’on puisse considérer que les lettres de la défenderesse imposaient une sanction pécuniaire ou autre au plaignant, aux termes de l’article 133 du Code. Je conviens qu’il va de soi que l’épuisement des crédits de congé de maladie du plaignant dont discute la défenderesse dans les lettres implique la réelle possibilité, pour ne pas dire la probabilité, de sérieuses conséquences financières pour le plaignant. Mais peut-on pour autant qualifier ce scénario d’imposition d’une « sanction » pécuniaire ou autre?

75 Dans le domaine des relations de travail, on emploie souvent le terme « sanction » en faisant allusion à des mesures disciplinaires. Or, dans la liste des actions énumérées à l’article 147 du Code, le vocable « sanction » est expressément employé en sus de la prise et de la menace de mesures disciplinaires; il faut y voir là l’intention du législateur d’attribuer à ce terme une acception différente qui ne revêt pas de caractère disciplinaire. Le sens courant et ordinaire du mot « sanction », selon le The New Shorter Oxford English Dictionary, Oxford University Press (1993), est le suivant :

[Traduction]

[…]

Une punition imposée pour violation d’une loi, d’une règle ou d’un contrat; une perte ou un désavantage de quelque nature, qu’ils soient prescrits par la loi relativement à une infraction ou convenus en cas de rupture ou d’inexécution d’un contrat […]; un désavantage ou une perte résultant d’une action, d’une qualité, etc., en particulier de sa […].

[…]

76 Étant donné qu’on peut au moins affirmer que la suspension du traitement ordinaire à l’épuisement des crédits de congé de maladie peut être considérée comme l’imposition d’un « désavantage » ou d’une « perte » découlant d’actions du plaignant (vraisemblablement le fait qu’il ne soit pas retourné au travail), j’accepte que l’on puisse, à première vue, décrire les lettres de la défenderesse datées des 13 mai et 27 juin 2008 comme imposant une « sanction pécuniaire ou autre », à tout le moins de façon prospective.

77 La dernière possibilité envisagée par l’article 147 du Code est que les actions de la défenderesse peuvent être considérées comme un refus de verser au plaignant la rémunération afférente à une période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la partie II du Code. Je réserve l’examen de cette possibilité à la discussion ci-dessous de son [traduction] « refus de travailler » allégué.

78 En résumé, j’estime que la plainte fait peut-être ressortir une thèse défendable selon laquelle les lettres de la défenderesse en date des 13 mai et 27 juin 2008 représentent une action contre le plaignant qui pourrait être d’un type de celles énumérées à l’article 147 du Code — à savoir l’imposition au plaignant d’une « sanction pécuniaire ou autre ». Quant à savoir si les lettres de la défenderesse équivalent à un refus de verser une rémunération au sens de l’article 147, il s’agit aussi d’une question ouverte.

2. Question 2 – Raisons stipulées à l’article 147 du Code

79 S’il est possible que la défenderesse ait imposé une « sanction pécuniaire ou autre » par le biais de ses lettres du 13 mai et du 27 juin 2008, l’a-t-elle fait pour l’une des raisons énoncées à l’article 147 du Code? Autrement dit, la défenderesse a-t-elle agi au motif que le plaignant a témoigné — ou était sur le point de le faire — dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la partie II du Code, a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la partie II du Code un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail, ou a observé les dispositions de la partie II du Code ou cherché à les faire appliquer?

80 Je ne trouve, dans les arguments du plaignant, aucune indication de l’existence d’un lien entre les lettres susmentionnées de la défenderesse et la participation du plaignant — spécialement pour témoigner — dans une quelconque poursuite intentée sous le régime de la partie II du Code. Les arguments ne font état d’aucune poursuite intentée ou enquête tenue sous le régime du Code pouvant impliquer un « témoignage » autre que celui qui m’est livré dans l’affaire en instance, lequel n’existait pas au moment où la défenderesse a envoyé ses lettres et ne saurait être la raison de l’envoi desdites lettres. (« Témoignage », dans ce sens, s’entend normalement d’une preuve livrée, habituellement sous serment, à une audience ou une autre procédure formelle.) Les procédures judiciaires dont parle le plaignant — et dans lesquelles il est susceptible de témoigner — ne sont pas des « […] poursuite[s] intentée[s] ou une enquête tenue sous le régime de la […] » partie II du Code.

81 Je ne relève pas non plus, dans les arguments du plaignant, de lien convaincant entre les lettres susmentionnées de la défenderesse et la communication par le plaignant, à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la partie II du Code, d’un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail. Il se pourrait bien que le plaignant ait, à divers moments, fourni des renseignements à une ou plusieurs personnes agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la partie II du Code — ses contacts avec le personnel de RHDSC ou ses discussions avec une conseillère en relations de travail à l’été 2007 en seraient probablement des exemples —, mais il faut davantage que cela. Il faut qu’il existe une raison de déterminer que la défenderesse a rédigé les lettres des 13 mai et 27 juin 2008 au motif que le plaignant a fourni, à un moment donné, un renseignement à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la partie II du Code. Je ne crois pas que les faits énoncés par le plaignant, si on les tient pour vrais, ne mettent raisonnablement en relief pareil lien ou corroborent cette hypothèse.

82 Quant à l’application de l’alinéa 147c) du Code, il s’agit de savoir si la défenderesse a pris des mesures au motif que le plaignant avait agi en vertu de la partie II du Code ou avait cherché à faire appliquer l’une ou l’autre des dispositions de la partie II du Code. Cette question, à mon sens, nous amène directement à la question du refus de travailler allégué du plaignant. Le plaignant semble affirmer qu’il n’a jamais été en congé de maladie, si ce n’est pendant deux semaines, en octobre 2007. J’en conclus, d’après ses déclarations, que, selon lui, il se prévalait de son droit de refuser de travailler prévu à l’article 128 après ces deux semaines initiales de congé de maladie. Si j’interprète correctement les arguments du plaignant à cet égard, je dirais qu’il affirme que l’employeur aurait dû maintenir le versement de son traitement ordinaire pendant la période de refus qui en a résulté plutôt que de le rémunérer pour le congé de maladie. Par conséquent, ses crédits de congé de maladie n’auraient pas dû être épuisés à l’été 2008. S’étant fait dire, dans les lettres des 13 mai et 27 juin 2008, que sa rémunération cesserait lorsqu’il n’aurait plus de crédits de congé de maladie en banque, le plaignant a avancé l’argument que la défenderesse soit lui imposait une sanction, soit refusait de le payer au motif qu’il continuait d’exercer le droit de refuser de travailler affirmé en octobre 2007.

83 Dans le premier cas, la position du plaignant repose sur la conclusion, par la Commission, qu’il a en fait exercé à juste titre un droit de refus de travailler en vertu du Code à compter d’octobre 2007. S’il ne l’a pas fait, la sanction alléguée ou le refus allégué de le rémunérer — mesures qui lui ont été communiquées dans les lettres des 13 mai et 27 juin 2008 — ne peuvent alors découler de l’exercice d’un droit prévu à l’alinéa 147c). (Le plaignant ne mentionne clairement aucun autre droit stipulé à la partie II du Code qu’il aurait exercé en raison des actions de la défenderesse en mai et juin 2008.). Puisque j’ai déjà conclu que les alinéas 147a) et b) ne s’appliquent pas, il ne reste aucun motif pour lequel la plainte serait visée par les paramètres de l’article 147. En d’autres termes, même si l’on pouvait considérer les lettres des 13 mai et 27 juin 2008 comme soit l’imposition d’une sanction soit un refus de verser une rémunération, les actions de la défenderesse ne sauraient être imputées à l’une ou l’autre des raisons énumérées à l’article 147.

3. Le plaignant a-t-il refusé de travailler aux termes de l’article 128 du Code?

84 La décision que la Commission a rendue dans l’affaire Alexander — citée par la défenderesse — expose les éléments requis à l’appui d’une décision selon laquelle un plaignant a exercé le droit de refuser de travailler au sens de l’article 128 du Code. Je trouve que les passages suivants de cette décision s’appliquent de façon directement pertinente à l’affaire qui nous occupe :

[…]

[38] Le Code ne décrit pas un processus officiel et ne précise pas non plus les termes exacts à utiliser pour la communication de l'existence d'un danger au travail afin de justifier le refus d'accomplir un travail dangereux. Néanmoins, un employé doit invoquer la préoccupation d'ordre sécuritaire avec assez de clarté pour alerter l'employeur et déclencher le mécanisme prévu dans le Code aux fins de l'enquête sur les préoccupations de l'employé et, au besoin, pour donner lieu aux mesures à prendre en vue de régler ces préoccupations.

[39] Dans David Pratt (1988), 73 di 218, 1 CLRBR (2d) 310 (CCRT no. 686), le Conseil canadien des relations du travail (tel était son nom) a déclaré que la partie II du Code est conçue pour veiller à ce que la santé et la sécurité des employés ne soient jamais compromises. Certes, l'appréhension d'un danger par un employé peut parfois ne pas être fondée, mais, dans la mesure où cette crainte amène l'employé à exercer son droit de refus de bonne foi, alors ce droit est pleinement protégé par le Code. Cette perception doit toutefois être à tout le moins clairement communiquée lorsque ce droit est exercé.

[40] Les décisions Green et Paquin soulignent que, bien qu'aucun processus officiel n'existe et qu'il n'y ait pas de « paroles sacramentelles » pour exprimer un refus de travailler, l'employé doit signaler assez clairement qu'il refuse de travailler sur le fondement d'un danger perçu (voir aussi Simon).

[41] Dans l'ouvrage de Palmer et Palmer, au paragr. 7.19, les auteurs affirment que le refus de travailler doit être communiqué [traduction] « d'une manière raisonnable et adéquate » :

[Traduction]

[…]

L'exigence finale en la matière est que le fonctionnaire s'estimant lésé doit, au moment du refus, communiquer les raisons de ce refus à son employeur « d'une manière raisonnable et adéquate » [référence omise]. La justification en est évidemment que, à moins que les employeurs connaissent les raisons du refus, ils ne peuvent pas examiner la question du danger pour déterminer l'existence de celui-ci ou pour chercher à rassurer le fonctionnaire s'estimant lésé, s'il n'existe pas de danger en fait. […]

[…]

[42] À l'exigence d'une claire communication de l'existence d'un danger au travail j'ajouterais qu'il doit y avoir un certain lien entre la décision de l'employé de refuser de travailler et le moment auquel le danger est communiqué à l'employeur. Le paragraphe 128(6) du Code dit que le danger doit être communiqué « sans délai ». Il est bien établi en droit que, lorsqu'un employé exerce son droit de refuser de travailler, il doit être conscient qu'il exerce des droits selon le Code.

[43] Donc, pour accueillir cette plainte, je dois être convaincue que le plaignant a clairement avisé le défendeur d'un danger au travail quand il a décidé de s'absenter du travail, qu'il l'a fait sans délai et qu'il était au courant qu'il exerçait le droit de refuser de travailler qui est prévu par le Code.

[…]

[Le passage souligné l’est dans l’original]

85 Je note au passage que le plaignant soutient que c’est à l’employeur qu’il incombe, dans cette affaire, de prouver que sa plainte [celle du plaignant] n’est pas fondée. Pour en être sûr, l’inversion du fardeau de la preuve invoquée par le plaignant s’opère effectivement aux termes du paragraphe 133(6) du Code s’il a exercé un droit visé à l’article 128. Dans cette situation, le paragraphe 133(6) porte, au sujet de la plainte, que « […] sa seule présentation constitue une preuve de la contravention […] ». Il n’en demeure pas moins qu’il faut d’abord pouvoir soutenir que le plaignant a bel et bien refusé de travailler — c’est-à-dire qu’il a effectivement exercé un droit prévu à l’article 128 — avant que l’on puisse faire appliquer la disposition d’inversion du fardeau de la preuve prévue au paragraphe 133(6) : (voir Quadrini c. Agence du revenu du Canada et Hillier, 2008 CRTFP 37, aux paragraphes 24 à 33, pour une discussion sur les exigences à remplir pour établir un cas flagrant de déclenchement de l’application d’une disposition d’inversion du fardeau de la preuve.) Si, au contraire, je conclus que le plaignant n’a pas exercé un droit de refus de travailler en vertu de l’article 128, la disposition d’inversion du fardeau de la preuve ne s’applique pas et c’est au plaignant qu’il incombe de prouver le bien-fondé de sa plainte.

86 Dans ses arguments, le plaignant déclare que la lettre du médecin datée du 22 octobre 2007 représentait l’avis de refus de travailler au titre de l’article 128 du Code. Cette lettre est reproduite ci-après dans son intégralité :

[Traduction]

[…]

Dwight Gaskin est mon patient depuis juillet 2006. L’an dernier, une bataille juridique en cours mettant en cause ses enfants a causé beaucoup de stress à Dwight. Je suis au courant des détails de cette affaire et crois comprendre que M. Gaskin s’en est ouvert à vous également. À des fins de concision, je n’entrerai pas dans le détail de l’affaire.

On m’a dit qu’il y avait une enquête en cours menée par l’ombudsman provincial, le procureur général et le ministre de la Justice sur un possible comportement criminel touchant M. Gaskin et ses enfants. En outre, M. Gaskin estime être victime de violence au lieu de travail et considère que son lieu de travail est hostile et dangereux. Je crois comprendre que des enquêtes sont actuellement menées sur ces questions.

Ces problèmes ont eu de fâcheuses répercussions sur la santé de M. Gaskin, dont les symptômes d’anxiété, d’insomnie et de maux de tête chroniques ont empiré. Qui plus est, son hypertension est de plus en plus difficile à contrôler, et il déclare avoir de fréquentes douleurs au thorax depuis quelques mois. M. Gaskin précise que, avant ces facteurs de stress situationnels, il était en excellente santé.

Subséquemment, je ne juge pas indiqué pour ce patient de retourner au travail pour le moment. Je recommanderais qu’il prenne congé jusqu’à ce que ces questions soient réglées. Veuillez communiquer avec moi pour toute question.

[…]

87 Je n’arrive pas à trouver, dans le texte qui précède, de raison évidente de décrire cette lettre comme un avis à l’employeur que le plaignant refusait de travailler en application de l’article 128 du Code. À mon avis, cette lettre est ce qu’elle semble être à première vue, à savoir une note de médecin attestant que le plaignant ne peut se présenter au travail pour des raisons médicales. Les problèmes de santé éprouvés par le plaignant sont clairement exposés par le médecin. Même s’il est fait mention, dans la note, que le plaignant considère que son lieu de travail est dangereux, la nature du « danger » n’est pas expliquée et l’on ne fournit pas de détails au sujet de la « violence » dont le plaignant se dit victime à son lieu de travail ou du moment auquel elle s’est produite. Les détails qui sont fournis se rapportent principalement à des événements survenus à l’extérieur du lieu de travail, notamment en ce qui concerne la [traduction] « bataille juridique » externe et l’enquête criminelle en cours sur le plaignant et ses enfants. La description que le médecin a faite de ces événements indique clairement que les facteurs de stress qui affectent le plaignant ont existé pendant un certain temps avant la date de la note. Bien que, de l’avis du médecin, les effets délétères de ces éléments de stress s’accentuent apparemment, rien ne porte à croire, dans sa lettre, qu’un ou des événements récents auraient pu servir de pont entre un refus de travailler légitime fondé sur l’article 128 et une situation dangereuse à signaler [traduction] « sans délai » en octobre 2007.

88 J’estime, en somme, que la lettre du médecin ne communique pas une appréhension particulière de danger qui aurait raisonnablement pu constituer le motif d’un avis, envoyé en temps opportun, pour signifier un refus de travailler le 22 octobre 2007 ou vers cette date : voir Alexander. À mon sens, une partie qui recevrait une telle lettre aurait de bonnes raisons de l’interpréter comme la justification d’un congé de maladie. Il n’y a pas d’autres éléments de preuve fiables démontrant que le plaignant ait avisé son employeur, à cette date, qu’il refusait de travailler en vertu du Code. Rien non plus ne semble corroborer l’affirmation du plaignant selon laquelle il a demandé un congé de maladie pour deux semaines seulement. Le libellé de la lettre du médecin donne assurément lieu à une interprétation ouverte à ce sujet. Il est dit que le plaignant devrait continuer de s’absenter du travail [traduction] « jusqu’à ce que ces questions soient réglées ». À mon avis, « ces questions » renvoient à des [traduction] « facteurs de stress situationnels » qui ont été à l’origine des problèmes de santé diagnostiqués par le médecin. Soulignons que le médecin a également mentionné que, à ce qu’il croyait comprendre, les [traduction] « […] enquêtes sur ces problèmes [au lieu de travail] sont en cours ». Si des enquêtes étaient déjà ouvertes lorsque le médecin a rédigé sa note, quel a été le nouvel élément déclencheur de refus de travailler le 22 octobre 2007 ou vers cette date?

89 Pour les motifs qui précèdent, je conclus que le plaignant n’a pas exercé un droit de refus de travailler en octobre 2007 au sens et conformément aux exigences de l’article 128 du Code. Il se peut que, à une date ultérieure, la façon dont la défenderesse a traité l’absence continue du plaignant au titre d’un congé de maladie ait posé problème. Cependant, il ne s’agit pas là d’une question que je dois trancher. Quel que soit le problème auquel le plaignant s’est ultérieurement heurté relativement à son congé de maladie, je considère que ce problème ne peut être lié à un refus valable de travailler en octobre 2007.

90 Ma décision écarte la possibilité que la défenderesse ait supposément imposé une sanction ou refusé de verser une rémunération au plaignant par le biais de ses lettres datées des 13 mai et 27 juin 2008, car le plaignant a exercé un droit de refus de travailler au titre de l’article 128 du Code — la raison première pouvant déclencher la présentation d’une plainte en vertu de l’alinéa 147c). Comme j’ai déjà déterminé que les alinéas 147a) et b) ne s’appliquaient pas en l’espèce, il ne reste aucune raison qui puisse servir de base à une plainte visée à l’article 133 qui allègue une violation de l’article 147 — même si je retenais la thèse qu’il émanait des lettres de la défenderesse des 13 mai et 27 juin 2008 l’imposition d’une « sanction » ou un « refus de rémunérer ».

91 L’objection de la défenderesse à la compétence de la Commission à instruire la plainte est fondée.

4. Autres instances

92 Bien que ce ne soit pas véritablement nécessaire aux fins des présents motifs, j’aimerais commenter brièvement le troisième argument avancé par la défenderesse eu égard à son objection à la compétence, à savoir que les allégations de violation des dispositions de la Charte, du Code criminel, de l’ALENA et de l’ANACT, de même que les [traduction] « affaires relevant d’instances distinctes » ne relèvent pas de la compétence de la Commission.

93 La Commission n’a pas pour mandat inclusif d’instruire toutes les affaires de santé et de sécurité au travail ni de faire appliquer le Code de façon générale, comme semble le croire le plaignant, pas plus qu’il n’existe d’impératif d’[traduction]« intérêt public » qui autoriserait la Commission à sortir du champ de compétence que lui a conféré le Parlement. Comme je l’ai mentionné plus haut, le pouvoir de la Commission de trancher des plaintes en vertu de l’article 133 est bien précis et limité.

94 La plainte fait mention de [traduction] « violations en matière de SST » en contravention des dispositions du Code criminel. La Commission n’a pas compétence pour interpréter ou appliquer toutes les dispositions du Code criminel.

95 Le plaignant signale [traduction] « […] une pratique déloyale de travail en vertu des articles 185 et 186 et des actes de discrimination/omissions, en application de l’article 98 ». Il semblerait que les articles 185 et 186 mentionnés par le plaignant soient les articles 185 et 186 de la Loi. Ces articles traitent des pratiques déloyales pouvant faire l’objet d’une plainte fondée sur l’alinéa 190(1)g) de la Loi. Je ne vois aucune raison, en l’espèce, d’accepter qu’une plainte présentée en vertu de l’article 133 du Code ait aussi l’effet parallèle du dépôt d’une plainte en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi. La Commission n’a pas compétence, en l’espèce, pour se pencher sur l’allégation de pratique déloyale du plaignant.

96 La mention de l’article 98 par le plaignant pourrait renvoyer à l’article 98 de la Loi. Cette disposition se trouve dans la partie de la Loi qui traite de la révocation de l’accréditation, ce qui n’est certes pas une dimension qui met en jeu l’application de l’article 133 du Code. Si cette allusion renvoyait plutôt à l’article 98 du Code, alors il s’agirait d’une disposition de la partie I du Code, là encore un sujet sur lequel la Commission ne peut se pencher dans le contexte d’une plainte fondée sur l’article 133 du Code.

97 Quant aux allégations du plaignant selon lesquelles il a été victime de discrimination ou la défenderesse n’a pas pris à son égard de mesures d’adaptation, la compétence de la Commission prévue à l’article 133 du Code n’englobe pas les affaires pouvant ressortir à la LCDP. Pour ce qui est de la Charte, si la Commission envisageait la possibilité que la plainte puisse donner lieu à des questions faisant intervenir l’application de la Charte, il faudrait que ces questions soient très clairement exprimées par le plaignant, à qui incomberait aussi la charge d’établir, au moins à première vue, le fondement de l’allégation selon laquelle un droit de la Charte a été violé. Manifestement, le plaignant ne s’est pas acquitté de cette obligation.

98 En dernier lieu, la Commission n’a connaissance d’aucune décision qui l’autoriserait à interpréter ou faire respecter un droit que le plaignant serait censé avoir en vertu de l’ALENA ou de l’ANACT.

C. Application – Redressement immédiat

99 Puisque j’ai déterminé que l’objection de la défenderesse à la compétence de la Commission d’instruire la plainte visée à l’article 133 du Code est fondée, la demande de redressement immédiat ne revêt plus qu’un caractère théorique.

100 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

III. Ordonnance

101 L’objection de la défenderesse à la compétence de la Commission de trancher la plainte déposée en vertu de l’article 133 du Code est accueillie.

102 La plainte est rejetée.

Le 21 novembre 2008.

Traduction de la CRTFP

Dan Butler,
commissaire

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