Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le demandeur a demandé la prolongation du délai prévu pour la présentation de griefs, notamment d’un grief portant sur un licenciement - le demandeur a également contesté l’indépendance de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, en faisant valoir que ses droits aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés (la <<Charte>>) avaient été violés - le président a refusé d’accorder la prolongation en raison de l’absence de motifs clairs, logiques et convaincants justifiant de retarder le processus - le président a aussi rejeté les demandes fondées sur la Charte, en concluant que l’indépendance des commissaires était suffisante pour se prononcer sur des questions de relations de travail. Demande rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-10-29
  • Dossier:  568-02-164
  • Référence:  2008 CRTFP 90

Devant le président


ENTRE

NICO VAN DUYVENBODE

demandeur

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien)

défendeur

Répertorié
Van Duyvenbode c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien)

Affaire concernant une demande de prorogation de délai visée à l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Ian R. Mackenzie, vice-président

Pour le demandeur:
Lui-même

Pour le défendeur:
Muriel Lamothe, conseillère en matière de relations de travail

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 30 novembre 2007 et les 18 janvier, 9 mars,
17 avril, 12 mai et 5 et 12 juin 2008.
(Traduction de la CRTFP)

I. Demande devant le président

1 Le 30 novembre 2007, Nico van Duyvenbode (le « demandeur ») a présenté une demande de prorogation du délai de présentation de griefs. Dans un courriel envoyé à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la CRTFP ou la « Commission ») le 9 mars 2008, il a demandé à la Commission de statuer sur sa propre indépendance par rapport au Premier ministre et par rapport au Cabinet. Le 12 juin 2008, le demandeur a présenté un avis de question constitutionnelle comme l’exige l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales. La Commission n’a reçu aucune réponse à l’avis. La Commission a décidé que les deux questions (prorogation de délai et question constitutionnelle) seraient tranchées à partir d’arguments écrits.

2 Conformément à l’article 45 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, le président m’a autorisé, en ma qualité de vice-président, à exercer tous ses pouvoirs ou à m’acquitter de toutes ses fonctions en application de l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique ( le « Règlement ») pour entendre et trancher toute question de prorogation de délai.

3 Le demandeur a soumis des arguments écrits et des documents ayant trait à ses différends avec le Conseil du Trésor (le « défendeur »). Le défendeur a également présenté des arguments écrits. L’ensemble des arguments sont déposés au dossier de la Commission. Certains des documents déposés par le fonctionnaire s’estimant lésé ont trait aux mérites d’éventuels griefs et par conséquent ne sont pas pertinents dans le contexte de la décision que je dois rendre à l’égard des questions qui m’ont été soumises. Certains des documents renferment également des renseignements personnels qui n’ont pas de lien avec les questions sur lesquelles je dois me prononcer. À mon avis, une grande partie des renseignements personnels sont confidentiels et j’ai ordonné que ces documents soient scellés. J’ai résumé ci-dessous uniquement les renseignements personnels qui sont pertinents.

II. Contexte

4 Le demandeur a fait l’objet d’un licenciement motivé, conformément à l’alinéa 12(1)e) de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP) le 3 mai 2006. Dans la lettre l’informant de cette décision, on précisait qu’il avait le droit de déposer un grief.

5 Le demandeur a commencé son emploi dans la fonction publique fédérale en 1974 et s'est joint au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) en 1991. En 2000, il a pris un congé d’invalidité de longue durée. Depuis 2003, il est en procès contre des membres de la haute direction du MAINC. Cette année-là, il a entamé une action demandant des dommages-intérêts pour faute durant l’exercice d’une charge publique, intimidation, harcèlement, abus de pouvoir et complot.

6 Avant la cessation de son emploi, le demandeur a présenté une demande d’injonction pour empêcher son licenciement imminent (Duyvenbode v. Canada (Attorney General), 2006 CanLII 12322 (ON S.C.)). La Cour a rejeté la demande d’injonction. Dans ses motifs, la Cour a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[10]    L’autre obstacle juridique avancé par M. Gay [avocat du Procureur général] est la question de savoir si le plaignant a même le droit de poursuivre cette action devant la présente cour. Même si aucune requête en irrecevabilité de l’action ne m’a été présentée pour ce motif, M. Gay signale que les articles 208 et suiv. de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique [LRTFP] renferme un régime détaillé d’arbitrage des griefs, y compris de ceux ayant trait à tout incident ou question qui touche les conditions d’emploi des employés. À l’article 236 de la Loi, on lit que le régime exhaustif de règlement des griefs remplace tout droit de recours dont pourrait bénéficier l’employé relativement à la question. Le plaignant n’a pas déposé sa plainte sous la forme d’un grief en conformité avec cette loi. Il y a un certain nombre de décisions qui restreignent un employé au régime précis de gestion des relations de travail convenu ou imposé en remplacement du droit de recours devant les tribunaux. [Voir Vaughan c. Canada, [2005] 1 R.C.S. 146; Johnson-Paquette c. Canada, [2000] A.C.F. 441 (C.A.F.); Wheatcroft v. Sinha, [2001] O.J. No. 4588 (Ont. Sup. Ct.).] […]

[11]    Outre les questions juridiques soulevées par l’avocat des défendeurs, l’obstacle le plus significatif auquel fait face d’après moi le plaignant à l’égard de cette motion est l’exigence énoncée dans le critère à trois volets appliqué dans RJR-Macdonald selon laquelle il faut montrer qu'il y aura un préjudice qui ne pourra être compensé suffisamment par des dommages-intérêts si la réparation n’est pas accordée. Le plaignant intente une action en vue d’obtenir des dommages-intérêts. Si l’on met fin à son emploi, il peut déposer un grief et, à l’arbitrage, peut se voir accorder la gamme des redressements énoncés dans la LRTFP. S’il parvient à poursuivre cette action, éventualité entourée de doute, il pourrait obtenir des dommages-intérêts. […]

[…]

7 Le Procureur général a déposé une requête en rejet de la déclaration de réclamation du demandeur, et la Cour supérieure de justice de l’Ontario a accédé à la requête le 25 juin 2007 (Van Duyvenbode v. Canada (Attorney General), 2007 CanLII 26614). Dans ses motifs, la Cour a fait les observations et a tiré les conclusions que voici :

[Traduction]

[…]

[6]       La proposition fondamentale avancée par le plaignant dans ses arguments et documents écrits est que ses plaintes concernant le traitement discriminatoire personnel dont il a été victime au travail et son intervention auprès de ses supérieurs au sujet du projet de loi omnibus proposé lui ont accordé le statut de « dénonciateur » et que par conséquent il ne devrait pas être obligé de soumettre ses griefs liés à son lieu de travail de la manière habituelle exigée par la législation sur l’emploi dans la fonction publique fédérale, mais devrait plutôt pouvoir intenter cette action devant la Cour supérieure de justice. Si je me fonde sur la preuve, j’estime que les plaintes du plaignant ont trait à des questions personnelles liées au travail puisqu’elles concernent ses allégations de harcèlement et de discrimination et que par conséquent elles devraient être entendues par les tribunaux fédéraux du travail appropriés. Sa campagne de rédaction de lettres, exposant les mauvais traitements qu’il aurait subis, n’en font pas un dénonciateur, et la question de principe dont il a débattu avec ses superviseurs au travail, où sa position a fini par prévaloir, ne constitue pas non plus une situation de dénonciation. Dans les éléments de preuve soumis à la Cour, rien ne vient corroborer l’affirmation du demandeur selon laquelle il est un dénonciateur, dans le sens que l'on donne généralement à ce terme. Je me penche ci-dessous sur le sens et la signification de la caractérisation d’un individu en tant que dénonciateur.

[7]       Le plaignant adopte la position que l’ensemble des tribunaux ou organismes du travail de la fonction publique fédérale nommés par le gouvernement sont subjectifs et ne pouvaient lui assurer une audience équitable. Ainsi, il a refusé de participer à une enquête menée par un enquêteur tiers nommé par le sous-ministre du MAINC, ni était-il disposé à participer, après avoir déposé une plainte de harcèlement auprès de la Commission de la fonction publique du Canada, à une enquête que celle-ci voulait ouvrir.

Le droit et l’analyse

[8]       Les mécanismes de règlement des différends qui sont utilisés pour régler des différends en matière de relations de travail dans la fonction publique fédérale sont contenus dans l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), P-35 (l’ancienne LRTFP) et dans la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la nouvelle LRTFP). L’ancienne LRTFP s’applique aux événements qui sont antérieurs à l’édiction de la loi qui lui a succédé, soit la nouvelle LRTFP, qui est entrée en vigueur le 1er avril 2005. La nouvelle LRTFP s’applique dans le cas des événements qui sont survenus après le 1er avril 2005 et, par conséquent, ne s’applique pas à la plupart des plaintes déposées par le plaignant.

[9]       L’ancienne LRTFP et la nouvelle LRTFP renferment un régime de réglementation complet pour le règlement des différends liés à l’emploi. L’article 91 de l’ancienne LRTFP et l’article 208 de la nouvelle LRTFP permettent à un employé de déposer un grief pour virtuellement toutes les questions ayant trait à l’emploi jusqu’au dernier palier inclusivement de la procédure de règlement des griefs. Le droit d’un employé de renvoyer un grief à l'arbitrage par une tierce partie est limité par l’article 92 de l’ancienne LRTFP et par l’article 209 de la nouvelle LRTFP à des questions liées à une convention collective, à une mesure disciplinaire ou à un licenciement. Tous les autres griefs sont réglés au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

[10]     Les décisions qui sont rendues au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et qui ne peuvent être renvoyées à l’arbitrage sont définitives et exécutoires. Les décisions prises par les arbitres de grief en vertu de l’ancienne LRTFP ou de la nouvelle LRTFP ne sont pas protégées par une clause privative et peuvent faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire.

[11]     L’article 236 de la nouvelle LRTFP est une nouvelle disposition qui n’existait pas dans l’ancienne LRTFP. L’article 236 dispose que le droit de recours d’un fonctionnaire par voie d’un grief relativement à tout différend lié à ses conditions d’emploi remplace ses droits d’action en justice relativement aux faits – actions ou omissions – à l’origine du différend.

[12]     La preuve montre que le plaignant fait partie d’un groupe professionnel de gestion de programmes et qu’il est assujetti à une convention collective qui est intervenue entre son agent négociateur, soit l’Alliance de la Fonction publique du Canada, et le représentant de l’employeur, soit le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada.

[13]     La convention collective renferme une procédure de règlement des griefs, qui est appliquée conjointement avec les dispositions de l’ancienne LRTFP et de la nouvelle LRTFP. L’étendue des questions qui peuvent faire l’objet d’un grief est décrite à l’article 91 de l’ancienne LRTFP et à l’article 208 de la nouvelle LRTFP. L’employé a le droit de déposer un grief par suite de « tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi », libellé suffisamment large pour couvrir tous les différends liés à l’emploi.

[14]     La stipulation 18.23 de la convention collective est le reflet de l’article 92 de l’ancienne LRTFP et de l’article 209 de la nouvelle LRTFP, qui précise que les employés peuvent seulement renvoyer à l’arbitrage les griefs qui portent notamment sur le licenciement. Les conditions de l’entente et l’ancienne LRTFP ou la nouvelle LRTFP forment un régime de réglementation complet et exhaustif qui permet de régler tous les différends liés à l’emploi qui surviennent au sein de la fonction publique fédérale.

[15]     Le dossier révèle qu’en septembre 1999, le plaignant a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne pour le motif qu’il avait subi de la discrimination fondée sur sa déficience physique. La Commission a refusé de mener une enquête et a statué que le plaignant avait reçu de l’équipement commandé par la voix et que le MAINC avait pris des mesures d’adaptation adéquates en réponse à sa déficience physique. Le plaignant a décidé de ne pas demander un contrôle judiciaire de la décision de la Commission parce qu’il estimait que la Commission canadienne des droits de la personne était partielle.

[16]     Récemment, dans Vaughan c. Canada, [2005] A.C.S. no 12, la Cour suprême du Canada a réitéré que les tribunaux conservent une compétence résiduelle dans les cas de différends liés à l’emploi lorsque la plainte de l’employé concerne des actes fautifs commis au sein d’une organisation (« cas de dénonciateurs ») et lorsque l’arbitrage du grief de l’employé est laissé entre les mains de la personne qui au bout du compte est responsable de l’administration de l’organisation critiquée. La décision antérieure rendue par la Cour suprême dans Weber c. Ontario, [1995] A.C.S. no 59, allait dans le même sens.

[17]     Comme ces cas le soulignent, la compétence résiduelle du tribunal en vertu de l’ancienne LRTFP est très limitée et devrait être exercée uniquement dans de rares cas. Les plaintes déposées par le plaignant avant le 1er mai 2005, à mon avis, ne sont pas visées par la compétence résiduelle de la présente cour et devraient faire l’objet d’un grief. Les questions soulevées par le plaignant qui sont survenues après cette date ne peuvent être tranchées par cette cour à cause des dispositions expresses que l’on trouve dans la nouvelle LRTFP, à l’article 236.

[18]     Tel que noté, je n’accepte pas l’affirmation du plaignant qu’il est un dénonciateur. La Cour suprême, dans Fraser c. Canada (Commission des relations de travail dans la fonction publique), 1985 CanLII 14 (C.S.C.), [1985] 2 R.C.S. 455, a fourni une définition de base de ce que constitue un « dénonciateur ». Le juge Dickson (au paragr. 41), parlant au nom de la Cour, a déclaré que le concept du dénonciateur s’appliquait dans des situations où une personne divulgue publiquement a) un acte illégal commis par un fonctionnaire ou b) une politique qui met en danger la vie, la santé ou la sécurité du public. Voir également Stenhouse c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 469.

[…]

[20]     Pour établir si le différend est visé par la soi-disante « exception du dénonciateur », la présente cour doit a) qualifier correctement les plaintes du plaignant et déterminer si elles sont d’un type visé par l’exception du dénonciateur, telle qu’énoncée dans Vaughan, et  b) établir si l’arbitrage serait laissé entre les mains de la personne qui au bout du compte est responsable de l’administration de l’organisation critiquée. Je suis d’accord avec l’observation des défendeurs qu’essentiellement les plaintes déposées par le plaignant concernent des torts qui ont été commis contre lui personnellement et non pas des actes fautifs institutionnels présentant un aspect relevant de l’intérêt public.

[21]     J’accepte également l’observation des défendeurs que le fait pour un plaignant d'avoir formulé une allégation en vertu de la Charte n’exclut pas l’application du régime fédéral de règlement des différends. Un agent des griefs au troisième palier ou un arbitre de grief peut ordonner un redressement en réponse à une atteinte à la Charte. Dans Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, [2003] A.C.S. no 54, la Cour suprême a récemment statué que les tribunaux établis par une loi et les organismes administratifs ont le droit d’accorder des redressements à la suite d’atteintes à la Charte. Dans le contexte de l’arbitrage, les arbitres de grief sont clairement autorisés à décider de questions liées à la Charte et à prévoir des redressements en conséquence. En l’espèce, le licenciement du plaignant peut être renvoyé à l’arbitrage. Les autres questions seront décidées par un agent des griefs au troisième palier. Un redressement peut être accordé en vertu de la Charte à l’une ou l’autre de ces instances.

[…]

Conclusion

[27]    Pour conclure, pour les motifs qui précèdent, je statue que la Cour supérieure de justice n’a pas compétence pour entendre les plaintes formulées par le plaignant contre son ancien employeur. De telles plaintes doivent être soumises à la Commission des relations de travail dans la fonction publique, en vertu de la législation applicable. […]

[…]

8 Au moment où il a présenté sa demande de prorogation de délai, le demandeur n’avait pas déposé des griefs selon la formule prescrite. Il a écrit au directeur des Ressources humaines au MAINC le 21 octobre 1999, lui faisant part de son intention de déposer des griefs contre des personnes nommées et au sujet d'un examen du rendement et de sa description de travail. Le 14 mars 2000, il a écrit au directeur général au MAINC pour l’informer qu’il avait l’intention de déposer un grief contestant le refus du défendeur de lui accorder un congé payé. Dans ce document, il déclarait que la représentante de son agent négociateur signerait la formule de grief lorsqu’elle reviendrait au travail. D’après les documents soumis, il est clair qu’aucun grief officiel n’a jamais été déposé. Lors d’un interrogatoire préalable dans le cadre de la poursuite au civil (9 février 2006), le demandeur a déclaré qu’il n’avait déposé aucun grief ayant trait à la question soulevée dans sa demande de réclamation (allégations qui ne portaient pas sur son licenciement). Durant cet interrogatoire préalable (qui a eu lieu avant son licenciement), on lui a également demandé s’il savait qu’un licenciement pour incapacité pouvait être renvoyé à un arbitre de grief indépendant de la CRTFP. Il a répondu que la CRTFP était dans une situation de conflit d’intérêt. Dans ses arguments, le demandeur a déclaré que son intention était de ne pas soumettre des griefs directement au défendeur, mais de les déposer directement auprès de la CRTFP. Je me suis penché sur cette position dans les motifs de décision.

III. Résumé de l’argumentation

9 Les deux parties ont présenté des arguments écrits. J’ai inclus des extraits épurés de ces arguments ci-après. Les arguments complets sont déposés au dossier de la CRTFP. Comme je l’ai mentionné, les passages des arguments qui contiennent de l’information médicale personnelle ont été scellés. Le demandeur a également présenté un avis de question constitutionnelle (l'« avis ») qui a été envoyé à tous les procureurs généraux en conformité avec la Loi sur les Cours fédérales. J’ai reproduit les extraits pertinents de cet avis ci-dessous. L’avis au complet se trouve dans le dossier de la CRTFP.

A. Pour le demandeur, en ce qui concerne la prorogation de délai

10 Dans sa demande initiale de prorogation de délai, que la CRTFP a reçue le 30 novembre 2007, le demandeur a fait les affirmations suivantes :

[Traduction]

Je vous demande d’approuver, en vertu de l’article 61 du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, par souci d’équité, ma demande de prorogation du délai de présentation des griefs que je dépose aux fins d’arbitrage par la Commission et qui concernent le licenciement illégal dont j'ai fait l'objet de la part de l’employeur pour une incapacité causée par lui et à l'égard de laquelle il a refusé de prendre des mesures d’adaptation et a omis d’obtenir l’évaluation d’aptitude au travail requise d’un médecin, recommandant qu’un retour au travail était possible si des mesures d’adaptation étaient prises et si l’on mettait fin à l’environnement de travail où j’étais victime de discrimination, de harcèlement et de représailles. Mes griefs donneront également un aperçu, étayé de preuves, des continuelles tactiques illégales utilisées par l’employeur dans le but de déloger illégalement un employé de son poste. Ces tactiques illégales incluaient une discrimination personnelle et systémique constante perpétrée contre un employé ayant une déficience, du harcèlement, la prise de représailles contre un employé qui osait se plaindre et qui a exposé les activités illégales de l’employeur, qui trompait un ministre et refusait de respecter des lois du Parlement. […]

Je suis un fonctionnaire qui a été congédié illégalement en raison d’une déficience psychiatrique que mon employeur, Affaires indiennes et du Nord Canada, m'a causée après avoir menacé pendant des années de mettre fin à mon emploi, après m'avoir assujetti à de la discrimination et à du harcèlement personnels et systémiques, après avoir pris des représailles contre moi parce que j'avais osé me plaindre à propos d’un comportement illégal de la part de la direction et avais exposé ces actes illicites et après des refus personnels et systémiques de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation en réponse à ma déficience. J’ai fait connaître mes doléances vis-à-vis de mon employeur avec diligence en déposant des plaintes, y compris plusieurs griefs, uniquement pour découvrir que ce même employeur n’y a pas donné suite ou n’a pas prévu de mécanisme de règlement efficace et impartial et un accès à la justice naturelle comme me le garantit l’article 7 de la Charte. Par conséquent, dès 2003, j’ai poursuivi l’employeur en justice pour obtenir réparation pour ses actions illégales continues, puisque à l’époque, la loi permettait qu'on traduise en justice un employeur, particulièrement pour des atteintes à la Charte. Même après la décision rendue en 2005 par la Cour suprême du Canada dans Vaughan et l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, j’ai continué à demander réparation devant la cour parce que je crois honnêtement que je suis un dénonciateur […] Mais le 25 juin 2007, un juge a statué que ce n’était pas la bonne instance et que la nouvelle LRTFP m’empêchait de mener une action en justice et que je devais soumettre mes plaintes à votre Commission, où je devrais pouvoir obtenir un arbitrage indépendant concernant l’ensemble de mes plaintes qui datent de la période allant de 1997 à 2007.

Durant l’audience à la cour, le juge a interrogé les avocats du ministère de la Justice et a fait l’observation que je pouvais toujours saisir la Commission des relations de travail dans la fonction publique de mes plaintes en dépit du temps qui s’était écoulé, du fait que ce délai avait été nécessaire pour trancher des questions en matière de compétence. Les avocats du ministère de la Justice représentant l’employeur ont reconnu que je pouvais toujours soumettre mes plaintes à la Commission en demandant à celle-ci d’autoriser une prorogation de délai et que, selon toute probabilité, cette autorisation serait accordée parce que j’avais déposé mes plaintes à la mauvaise instance. La raison en était les régimes antérieurs de gestion des relations de travail du gouvernement qui ne permettaient pas un arbitrage indépendant de l’ensemble de mes plaintes et qui comportaient de multiples tribunes de règlement des plaintes, dont la plupart, comme la procédure de règlement des griefs ou les processus de la CFP, n'assuraient pas un arbitrage indépendant […] L’adoption subséquente de la nouvelle LRTFP et les décisions rendues par la Cour suprême dans Vaughan ont fait que la présentation de mes doléances par le biais d’une action en justice à l’instar de Perrera c. Le VG et Guenette c. VG était plus difficile mais non pas impossible étant donné la compétence résiduelle des tribunaux, particulièrement en ce qui concerne des plaintes déposées par des dénonciateurs, dont je pense honnêtement faire partie, et étant donné les articles 7 et 24 de la Charte, qui garantissent le droit à un arbitrage indépendant.

Je prépare le renvoi à l’arbitrage par la CRTFP de mes griefs qui, parce qu’ils portent notamment sur les actes illégaux commis par le sous-ministre et des sous-ministres adjoints, peuvent uniquement être tranchés par la Commission et ne peuvent l'être par aucun agent des griefs qui est nommé par le sous-ministre ou qui relève de lui. En raison de la difficulté émotionnelle que cause l’obligation de décrire des actes illicites commis par l’employeur, je dois prendre de fréquentes pauses et suivre les conseils de mon psychiatre quant aux techniques à utiliser pour me calmer et pour retrouver un certain équilibre. J’ai joint à la présente un rapport du psychiatre qui explique mon incapacité mentale et les restrictions qui limitent ma capacité de fonctionner de façon continue lorsque je suis stressé. J’ai également eu plusieurs revers en ce qui concerne ma santé physique, y compris une infection à l’œil en août et un grave déchirement musculaire à ma jambe gauche qui m’a rendu immobile durant tout le mois de septembre et durant la majeure partie d’octobre et qui jusqu’à ce jour m’empêche de rester assis plus d’une heure d’affilée à un bureau ou à un ordinateur, car sinon ma jambe, qui est toujours enflammée, s’engorge de fluides. En outre, cet automne, ma mère a été diagnostiquée comme souffrant d’un cancer terminal, ce qui m’a causé du stress additionnel et m’a forcée de m'assurer qu’elle reçoit des soins adéquats et de m’occuper de ses affaires.

Par conséquent, je vous demande d’être indulgent à mon égard et de m’accorder une prorogation de délai afin que je puisse formuler et soumettre mes griefs à la Commission […] Je demande une prorogation jusqu’après le décès de ma mère afin que je puisse soumettre les griefs à la Commission.

[…]

B. Pour le défendeur concernant la prorogation de délai

11 Le défendeur a répondu le 18 janvier 2008 et a fait les affirmations suivantes :

[Traduction]

[…]

M. van Duyvenbode a présenté une demande de prorogation de délai le 30 novembre 2007, en rapport avec son licenciement remontant au 3 mai 2006. Plus de 18 mois se sont écoulés entre le licenciement et la présentation à la Commission par M. van Duyvenbode de sa demande de prorogation, ce qui constitue un délai considérable.

[…] L’employeur a comme position que le grief n’en est pas un qui peut être renvoyé à l’arbitrage, étant donné que l’employé ne s’était pas conformé au paragraphe 209(1) de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP). Étant donné qu’aucun grief n’a été déposé jusqu’à présent auprès du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC), la position de l’employeur est qu’avant que n'importe quel renvoi à l’arbitrage puisse se faire, il faut suivre la procédure de règlement des griefs et un grief doit être déposé afin de permettre à l’employeur d’analyser la situation et d’y répondre.

Dans sa demande de prorogation de délai, M. van Duyvenbode admet qu’il n’avait pas l’intention et qu’il n’a pas l’intention à l’avenir de déposer un grief auprès de l’employeur en ce qui concerne cette question avant son renvoi à l’arbitrage. Le paragraphe 209(1) de la nouvelle LRTFP prévoit qu'après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure de règlement des griefs sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut, sous réserve de certaines conditions, renvoyer le grief à l’arbitrage. M. van Duyvenbode aurait dû déposer un grief en suivant les procédures énoncées dans sa convention collective. Il s’agit d’un préjudice causé à l’employeur étant donné que le MAINC devrait avoir la possibilité de répondre aux préoccupations du fonctionnaire s’estimant lésé. Cette façon d’agir est également contraire à la procédure de règlement des griefs qui est négociée entre les parties à la convention collective. Elle compromet les mécanismes de règlement des différends qui guident la résolution des conflits liés au travail au sein de la fonction publique fédérale.

Par conséquent, l’employeur fait valoir respectueusement qu’un arbitre de grief nommé pour entendre un renvoi à l’arbitrage en vertu de l’article 209 de la nouvelle LRTFP n’a pas compétence en la matière.

De plus, M. van Duyvenbode adopte la position que l’ensemble des tribunaux ou organismes du travail dans la fonction publique fédérale nommés par le gouvernement sont partiaux et ne lui assureraient pas une audience équitable. M. van Duyvenbode aurait dû suivre les mécanismes appropriés mis à la disposition des fonctionnaires fédéraux pour le règlement de différends liés à l’emploi, puisqu’il les connaissait bien. Au lieu de cela, il a décidé d’intenter une poursuite au civil en faisant appel à un régime judiciaire différent.

En 2003, M. van Duyvenbode a entrepris une action au civil auprès de la Cour supérieure de justice de l’Ontario contre le gouvernement fédéral et un certain nombre de ses directeurs et hauts représentants, à propos d’une variété de plaintes personnelles ayant trait au travail dans lesquelles il alléguait de la discrimination et du harcèlement. Comme vous le verrez dans la transcription ci-jointe du déroulement de l'action en justice […] durant le contre-interrogatoire […] M. van Duyvenbode a admis qu’il savait qu’il pouvait déposer un grief, mais qu’il ne faisait pas confiance au processus.

[…]

En outre, au cas où la Commission déciderait d’examiner cette demande de prorogation de délai à titre de demande de présentation d’un grief, l’employeur fait valoir que le grief serait tardif.

M. van Duyvenbode a demandé une injonction interlocutoire pour empêcher l’employeur de mettre fin à son emploi. La Cour supérieure de justice de l’Ontario a émis une décision le 13 avril 2006 […] Le juge Rutherford a rejeté la demande […] Au paragraphe 11 de sa décision, le juge Rutherford a fait l’affirmation suivante :

[Traduction]

« Si son emploi prend fin, il peut déposer un grief et, à l’arbitrage, il peut obtenir l’éventail des redressements énoncés dans la nouvelle LRTFP […] Il me semble que son licenciement soit inévitable sur la base de la preuve médicale non à jour, si le plaignant maintient son refus de subir une évaluation médicale effectuée par Santé Canada. »

M. van Duyvenbode a présenté une demande de prorogation du délai de renvoi à l’arbitrage uniquement après que le juge Charles T. Hackland, de la Cour supérieure de l’Ontario, […] avait rendu sa décision le 25 juin 2007, rejetant sa demande pour manque de compétence. L’employé a présenté sa demande le 30 novembre 2007, presque six mois après que la décision avait été rendue, mais quand même plus de 18 mois après la fin de son emploi […]

M. van Duyvenbode a été informé du processus de règlement des griefs. Il en a été informé par l’avocat qui représentait l’employeur durant le contre-interrogatoire dans le cadre de sa poursuite au civil devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario le 9 février 2006, par le juge Rutherford, dans sa décision du 13 avril 2006, par le juge Charles T. Hackland, dans sa décision du 25 juin 2007, et dans la lettre datée du 28 avril 2006 […], qui lui annonçait la fin de son emploi. Par conséquent, il n’y avait aucun préjudice à l’égard de l’employé, puisqu’il était au courant de la procédure de règlement des griefs. M. van Duyvenbode a décidé en toute connaissance de cause de ne pas déposer de grief et d’attendre jusqu’au 30 novembre 2007 pour présenter une demande de prorogation du délai de renvoi à l’arbitrage. Le temps excessif qui s’est écoulé depuis son licenciement causerait un préjudice à l’employeur en réduisant sa capacité de bien préparer sa défense.

[…]

12 Le défendeur m’a renvoyé aux critères d’évaluation des demandes de prorogation de délai exposés dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, et a déclaré que le demandeur n’avait pas rempli son fardeau consistant à établir des motifs valables pour une prorogation. Le défendeur a énoncé les critères comme suit :

  • le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
  • la durée du retard;
  • la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;
  • l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;
  • les chances de succès du grief.

C. Réponse du demandeur et arguments concernant l’indépendance de la CRTFP

13 Dans sa requête de prorogation du délai de présentation d’une réponse à la CRTFP (courriel daté du 9 mars 2008), le demandeur demandait que la Commission statue sur sa propre indépendance institutionnelle :

[Traduction]

[…]

Je demande à la Commission de statuer sur sa capacité et sur la perception de sa capacité indéniable de rendre une décision qui est impartiale et libre d’influence directe […] occasionnée par le mécontentement du Premier ministre et du gouvernement à l’égard de cette décision.

[…]

14 Le demandeur a fait l'affirmation suivante à l’appui de sa demande :

[Traduction]

[…]

[…] à la lumière du licenciement très public, par le Premier ministre Harper, de Mme Keen de son poste quasi judiciaire de présidente de la Commission de sûreté nucléaire, auquel elle avait été nommée « à titre amovible par décret », du fait que le Premier ministre et le gouvernement n’étaient pas d’accord avec la décision qu’elle avait prise dans l'exercice de son mandat législatif. En agissant ainsi, le Premier ministre, le Cabinet et le gouvernement ont compromis la capacité de l’ensemble des « personnes nommées par décret », y compris de la présente Commission, de rendre des décisions indépendantes et impartiales libres d’influence ou de pression venant du Premier ministre et du Cabinet, particulièrement lorsque le Premier ministre et le Cabinet (en tant qu’employeur) sont impliqués dans l’affaire […].

[…]

15 Dans ce courriel, le demandeur suggérait que la constitution d’un tribunal du travail indépendant composé de juges respecterait l’article 24 de la Charte des droits et libertés (la « Charte ») et atténuerait les effets d’actions récentes du gouvernement qui avaient compromis l’indépendance de « commissions nommées par décret ».

16 Le demandeur a répondu aux arguments du défendeur le 14 avril 2008. Le 17 avril 2008, il a envoyé une version révisée de sa réponse. J’ai reproduit ci-après des passages de la réponse révisée. Cette réponse incluait également la contestation constitutionnelle du demandeur remettant en question l’indépendance de la CRTFP. Voici les extraits pertinents de ses arguments (les arguments complets sont déposés au dossier de la CRTFP) :

[Traduction]

I. CONTESTATION EN VERTU DE LA CHARTE CONCERNANT LA CONSTITUTIONNALITÉ DES ARTICLES 22, 209, 214 et 236 DE LA NOUVELLE LRTFP

Avant que la Commission puisse envisager de rendre des décisions sur les mérites de l’octroi d’une prorogation de délai, je demande à la Commission de statuer sur la constitutionnalité des articles 22, 209, 214 et 236 de la nouvelle LRTFP qui d’après moi enfreignent les articles 7, 15 et 24 de la Charte canadienne des droits et libertés […] Je demande également que la Commission, si elle décide qu’il y a des atteintes à la Charte, rende que la Commission ne peut se prononcer sur des plaintes renvoyées à l’arbitrage déposées par des fonctionnaires avant que le gouvernement modifie la nouvelle LRTFP. Je demande que la Commission soumette son jugement sur la constitutionnalité de la nouvelle LRTFP au Premier ministre, en même temps qu’une recommandation à ce dernier que le gouvernement modifie, de façon expéditive – mesure pour laquelle il sera facile d'obtenir le soutien de l'ensemble des partis – la nouvelle LRTFP comme suit :

Dans le cadre de différends opposant des fonctionnaires et le gouvernement du Canada en tant qu’employeur, les normes prévoyant l’application régulière de la loi, l’égalité de traitement en vertu de la loi et le droit à la justice naturelle que la Charte garantit à chaque Canadien exigent que le gouvernement du Canada modifie la nouvelle LRTFP en y apportant les changements suivants :

1. Il doit assurer la nomination de commissaires […] qui sont indépendants des juges du gouvernement, d’une manière similaire à la nomination de l’ensemble des juges aux cours, y compris à la Cour de l’impôt (je recommande que les membres actuels de la Commission soient nommés ainsi après l’entrée en vigueur de ces modifications à la nouvelle LRTFP);

2. Il doit permettre, à l’article 209, l’arbitrage par la Commission de tous les griefs figurant à l’article 208 de la nouvelle LRTFP et y inclure les griefs alléguant de la discrimination, du harcèlement et des représailles.

3. Il doit éliminer les articles 214 et 236 comme étant inconstitutionnels.

4. Il doit clarifier le paragraphe 208 (2) de sorte que les griefs reposant sur la Charte puissent être renvoyés à l’arbitrage en vertu de la nouvelle LRTFP ou doivent respecter la procédure énoncée à l’article 24 de la Charte.

[…]

L’article 12 de la nouvelle LRTFP prévoit la nomination de l’ensemble des commissaires et le paragraphe 22 (1), la révocation motivée par le gouverneur en conseil, ce qui signifie à la recommandation et avec l’approbation du Premier ministre du Canada. Dans le cadre d’arbitrage prévu dans la nouvelle LRTFP, où le gouvernement en tant qu’employeur est pratiquement toujours une partie à l’arbitrage, ce genre de nomination et cette capacité de révoquer les commissaires à volonté suscitent une réelle et véritable crainte de subjectivité et donc de non-respect du droit à la justice naturelle prévus à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[…]

[…] tous les commissaires ont-ils une fortune personnelle si importante qu’ils sont en mesure de déclarer en toute confiance qu’ils peuvent prendre des décisions indépendantes même si ces décisions risquent d’être contraires à l’opinion du gouvernement en place ou lui déplaire et ainsi déplaire au Premier ministre qui les a nommés? Est-ce que tous les membres peuvent s'exposer ainsi au risque de subir des pertes financières et de vivre des bouleversements ainsi que de l’humiliation publique s’ils sont démis de leurs fonctions par le Premier ministre à cause de décisions qui ont déplu à ce dernier?

Cette question est très pertinente dans mon cas puisque le Premier ministre, Stephen Harper, est un défendeur dans le contexte de la demande que j’ai présentée à la cour et également dans le cadre de mes griefs qui seront soumis à la Commission, du fait qu’à 18 reprises […] le Premier ministre et ses sous-ministres nommés ont refusé de se conformer à l’article 15 de la Charte et de respecter les alinéas 22.1 b) et 22.2 c), l’article 126, le paragraphe 264 (1) et l’alinéa 264 (2) d) et les paragraphes 264 (1), 268 (1) et 269.1 (1) et (2) du Code criminel. Le Premier ministre et ses sous-ministres nommés se sont exposés non seulement à des demandes de réparation en raison de leurs actions illégales mais également à des actions civiles et à des poursuites au criminel.

[…] En tant que partie à mes griefs, manifestement, c’est un refus de justice naturelle que de demander à une personne nommée par le Premier ministre par voie de décret de trancher des questions où le Premier ministre est l'une des parties, dans une situation où ladite personne a été nommée à titre amovible par le Premier ministre.

[…]

On peut régler cette préoccupation concernant l’absence d’une claire indépendance de la CRTFP en transformant celle-ci (peut-être de concert avec le Conseil canadien des relations industrielles) en une Cour fédérale du travail qui serait composée de juges nommés qui pourraient seulement être destitués par un conseil judiciaire et non par le gouvernement en place. Il s’agit de la structure que l’on trouve à la Cour fédérale de l’impôt en vue du règlement de différends entre des contribuables et le gouvernement à propos de l’application et de l’interprétation de la Loi de l’impôt sur le revenu. La CRTFP devrait également avoir une telle structure afin d’assurer l'accès à la justice naturelle et l’application régulière de la loi garantis par l’article 7 de la Charteet le traitement égal en vertu de la loi garanti par l’article 15 de cette même Charte.

Les articles 209 et 214 et le paragraphe 236 (1) de la nouvelle LRTFP sont également inconstitutionnels en ce sens qu’ils visent à refuser le droit à un employé mais non pas à la direction de recourir à un tribunal compétent, comme le garantit l’article 24 de la Charte. Les articles 209 et 214 et le paragraphe 236 (1) ôtent aux employés tout droit d’intenter une action, et notamment le droit prévu à l’article 24 de la Charte de s'adresser à un tribunal compétent. Or, aucune loi du Parlement ne peut créer une telle privation et apporter ainsi une modification déguisée à une disposition de la Constitution du Canada. Uniquement le Parlement peut modifier la Constitution du Canada en ce qui concerne des questions qui touchent strictement la compétence fédérale. Cependant, on peut remédier à cette inconstitutionnalité et aux lacunes des articles 209 et 214 et du paragraphe 236(1) en suivant ma recommandation de modifier la nouvelle LRTFP de sorte à transformer la Commission en une Cour fédérale du travail et en faisant en sorte que les juges qui en sont membres soient nommés d’une façon similaire à la nomination des autres juges et en faisant en sorte que toutes les questions qui peuvent faire l’objet d’un grief aux termes de l’article 208 puissent être arbitrées par la Commission. Il y aurait lieu aussi de clarifier le paragraphe 208 (2) de la nouvelle LRTFP puisque l’article 24 de la Charte prévoit une procédure de réparation qui empêcherait dans les faits à un employé de présenter des griefs portant sur des atteintes à la Charte. La meilleure solution serait peut-être de permettre des griefs reliés explicitement à la Charteen vertu de l’article 208 et d’en permettre l’arbitrage aux termes de l’article 209.

La position de l’employeur concernant les plaintes reposant sur la Charteetayant trait à des situations de discrimination causée par l’employeur, telle qu’énoncée dans le mémoire de l’employeur déposé devant le juge Hackland le 15 mai 2007 […] est clairement inconstitutionnelle et contraire à l’article 208 de la nouvelle LRTFP. En se fondant sur l’article 209 et le paragraphe 236 (1), l’employeur tente d’enlever à la Commission sa compétence concernant les questions liées à la Charte, les questions de harcèlement et l’interprétation et l’application de n’importe quelle loi et de ses textes législatifs d’application ayant trait aux conditions d’emploi. L’employeur avait émasculé antérieurement la CRTFP, en lui enlevant le droit de statuer sur des plaintes de discrimination reposant sur la Charteet d'autres plaintes ne reposant pas sur celle-ci telles des plaintes de harcèlement et de représailles et maintenant il tente d’émasculer de façon similaire la LRTFP. La position de l’employeur en ce qui a trait à la compétence de la Commission est clairement inconstitutionnelle, parce qu’il cherche à priver les employés […] de leurs droits, en vertu des articles 7, 15 et 24 de la Charte,à l’application régulière de la loi, à la justice naturelle et au traitement égal garanti par la loi et de leur droit de s’adresser à un tribunal compétent.

La position de l’employeur qui vise à restreindre les griefs de discrimination et de harcèlement reposant sur la Charteà la compétence de l’agent des griefs au dernier palier (un fonctionnaire) est clairement inconstitutionnelle et une violation de l’article 24 et de l’article 7 de la Charte. Aucun fonctionnaire nommé, qui la majorité du temps n’est même pas un avocat et est entièrement sous le contrôle du sous-ministre qui est peut-être partie à la plainte et qui nomme le fonctionnaire, ne peut être considéré comme satisfaisant à l’exigence de l’article 24 prévoyant le recours à un tribunal compétent. Et un employé qui est sous le contrôle d’une partie au grief ne peut assurer la justice naturelle et l’application régulière de la loi garanties à l’article 7 de la Charte. Le fait que les gestionnaires ne sont pas privés d'un tel droit fondamental en vertu de la Charte mais que les employés le sont constitue de la discrimination systémique aux termes de l’article 15 de la Charte et un refus du droit à l’égalité de traitement garantie par la loi.

En fait, ce serait créer un dangereux précédent pour la Commission de statuer que les articles 209 et 214 et le paragraphe 236 (1) sont conformes à la Charte. Cela permettrait à n’importe quel Premier ministre de se servir de sa majorité parlementaire pour adopter de la législation qui accorderait une compétence exclusive, à des fonctionnaires nommés, de trancher, à un niveau exécutoire, des plaintes reposant sur la Charteet enlèverait la compétence aux tribunaux, compétence que le Parlement avait clairement la volonté de leur octroyer en 1981 et en 1982 avec l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 […]

Je demande que la Commission examine d’abord ma contestation constitutionnelle ayant trait à la nouvelle LRTFP et la position de l’employeur en ce qui concerne la Loi avant de prendre une décision concernant ma demande de prorogation de délai, concernant toute requête ayant trait à la compétence de la Commission ou concernant la teneur de mes griefs. Les questions constitutionnelles que suscite la pratique du Premier ministre ou de l’employeur de nommer des membres de la Commission soulèvent de véritables craintes de partialité et de manque d’autonomie. Une Commission nommée ainsi ne peut assurer la garantie du droit à la justice naturelle prévue à l’article 7 et peut uniquement le faire si le gouvernement modifie de façon expéditive la CRTFP afin de nommer les membres actuels et tous les membres futurs à titre de juges dont le mandat n’est pas sous le contrôle de l’employeur.

[…]

II. MOTIFS JUSTIFIANT L’ACCEPTATION DE LA DEMANDE DE PROROGATION DE DÉLAI EN VERTU DE LA RÈGLE 61

[…]

Quand l’employé a appris que sa mère mourait du cancer en novembre 2007 […] durant la semaine avant le décès de sa mère […] le juge a accordé une prorogation de délai jusqu’au 25 juin 2008.

[…]

4. En août et septembre 2007, lorsque l’employé préparait ses arguments à la Commission et ses demandes de prorogation de délai, l’employeur a pris des arrangements pour que soit exercée plus de pression sur l’employé, dans le but d’interrompre les efforts qu’il faisait pour soumettre ses griefs à la Commission, en demandant à des employés d’Affaires indiennes et du Nord Canada et de Ressources humaines Canada de comploter pour essayer de forcer l’employé à prendre sa retraite, contrairement à ses instructions écrites […]

L’employeur a continué sa discrimination, son harcèlement et ses représailles incessantes à l’encontre de l’employé et a refusé en 2008 de prendre des mesures d’adaptation en vertu de l’article 15 de la Charte en réponse aux déficiences de l’employé que l’employeur avait causées [dans le] […] but de perturber l'employé, d’entraver ses efforts et de l’empêcher de préparer ses arguments et de les soumettre à la présente Commission. L’employeur a eu à plusieurs reprises recours aux tactiques discréditées que l’adoption de la nouvelle LRTFP était censée corriger ou prévenir et qui consistait pour lui à user de multiples tribunes, processus et procédures pour épuiser à l’usure les ressources mentales, physiques et financières d’un employé qui ose demander une réparation en réponse à ses plaintes. L’employeur est donc directement responsable des retards causés dans la présentation des arguments par l’employé. Ce serait une grave erreur de justice et une violation du droit à la justice naturelle prévue à l’article 7 de la Charte que de priver un employé individuel disposant de ressources limitées et souffrant d’une incapacité mentale causée par les actions de l’employeur d'une prorogation de délai quand la Commission et son prédécesseur ont accordé de telles prorogations de délai par exemple dans Palmer (2006 CRTFP 9) et Richard (2005 CRFP 180) et que l’employeur, qui dispose de ressources pratiquement illimitées sous la forme de milliers d’employés, d’avocats et de fonds, a demandé et s’est vu accorder une prorogation de délai par la Cour dans le cadre du litige ayant trait aux prisonniers afghans.

[…] C’est l’incapacité mentale de l’employé et la discrimination, le harcèlement et les représailles continus de l’employeur qui ont causé les retards dans la présentation des arguments de l’employé à la Commission. Un employé ayant une incapacité mentale aurait, dans le meilleur des cas, de la difficulté à se concentrer sur des documents complexes et à les préparer. Cependant, lorsque l’employeur agit de manière à causer de façon répétée des bouleversements émotionnels et de la douleur et de la souffrance à l’employé, il est extrêmement difficile pour un employé ayant une incapacité mentale qui sait que l’employeur a causé son trouble psychiatrique de se concentrer et de préparer et de finaliser ses arguments à la Commission. La Commission, dans l’intérêt de la justice, devrait prendre en considération l’incapacité mentale de l’employé et les multiples pressions que l’employeur lui fait subir et lui accorder une prorogation du délai de présentation de ses griefs […] Ces actions personnelles et systémiques illégales menées par l’employeur sont trop importantes pour qu’elles soient rejetées sans la tenue d’une audience complète par un arbitre de grief qui est indépendant de l’employeur, le gouvernement du Canada.

En fait, les mauvais traitements constants que l’employé a subis de la part de l’employeur jusqu’en 2008 m’amènent à penser qu’il n’est peut-être pas nécessaire de demander une prorogation de délai. Lorsqu’il y a une tendance continue d’actions illégales et de mauvais traitements étroitement reliés entre eux s’étalant sur une longue période et que l'employeur continue de manifester ce comportement jusqu’à l’heure actuelle à l'égard de l’employé, il n’y a aucune interruption dans la plainte portant sur la conduite de l’employeur. Une tentative de la part de l’employeur de séparer chaque action comme un geste distinct et séparé non relié aux autres actions nécessitant le dépôt d’un grief distinct constituerait un abus de procédure en vertu de l’article 7 de la Charte.

[…]

J’ai fait connaître mes doléances vis-à-vis de mon employeur avec diligence en déposant des plaintes, y compris plusieurs griefs, uniquement pour découvrir que ce même employeur n’y a pas donné suite ou n’a pas prévu de mécanisme de règlement efficace et impartial et un accès à la justice naturelle comme me le garantit l’article 7 de la Charte. […]

[…]

Par conséquent, je vous demande d’être indulgent à mon égard et de m’accorder une prorogation de délai afin que je puisse formuler et soumettre mes griefs à la Commission […] ou de statuer qu’aucune prorogation de délai n’est requise à cause de la conduite répréhensible que l’employeur continue d’afficher. Je demande une prorogation du délai jusqu’à la fin de septembre pour la présentation de mes griefs afin que je dispose de suffisamment de temps pour me remettre du décès de ma mère et pour faire face aux multiples pressions que l’employeur m’a fait subir dans l’exercice de mes droits d’en appeler de décisions judiciaires […]

[…]

1. Raisons convaincantes justifiant le retard :

1.1 Aucun des mécanismes de redressement établis par l’employeur et essayés par l’employé, Nico van Duyvenbode, ne lui a fourni un accès à la justice naturelle ou à un tribunal compétent comme le prévoient les articles 7 et 24 de la Charte. Par conséquent, il a présenté une réclamation à la cour et a choisi cette option parce qu’en tant que dénonciateur d’actes illégaux commis par l’employeur, il pouvait présenter une réclamation à cette instance. Ce serait causé un préjudice à M. van Duyvenbode et un grave déni de justice naturelle que de lui refuser une prorogation du délai de présentation des réclamations qu’il a déposées avec diligence mais dont une cour a maintenant déclaré qu’elles avaient été présentées à la mauvaise instance.

1.2 Le juge Hackland a rendu le 25 juin 2007 (décision que l’employé n’a pas reçue avant la mi-juillet) qu’il avait eu recours à la mauvaise instance et qu’il devrait soumettre ses griefs à la CRTFP. On causerait un préjudice et un déni de justice naturelle en vertu de l’article 7 de la Chartesi l’on refusait à l’employé une prorogation du délai de présentation de réclamations qu’il a présentées avec diligence en faisant appel à la mauvaise instance, mais qui constituait la bonne instance lorsqu’il a entrepris la présentation de ses réclamations à la cour, en se conformant à Perrera et al c. le VG et Guenette et al c. le VG et à l’article 24 de la Charteet qui constitue la bonne instance pour présenter une contestation constitutionnelle et une contestation en vertu de la Charteconcernant la LRTFP et pour forcer l’employeur à modifier la LRTFP.

1.3 Le traumatisme causé par le rejet de sa réclamation présentée à la cour a nui encore davantage à sa capacité de réagir rapidement et avec cohérence à l’obligation de se soumettre à un nouveau processus et à des nouvelles procédures sous le régime de la LRTFP et de ses règlements d’application.

1.4 L’incapacité mentale, causée par les actions illégales de l’employeur tel que décrit dans le rapport du psychiatre joint à la présente, aggravée par des maladies physiques, des infections à l’œil et un déchirement musculaire causant une inflammation musculaire continue, a fait qu'il était difficile pour le demandeur de se concentrer et de rédiger ses griefs. Ce serait manifestement injuste et préjudiciable de refuser à M. van Duyvenbode une prorogation de délai et de permettre à l’employeur de profiter des actions illégales commises par lui contre l’employé, qui ont entraîné son trouble psychiatrique, c’est-à-dire sa grave dépression. […]

1.5 La maladie de sa mère, qui ensuite est entrée dans une phase terminale, lui a empêché de se concentrer et de conclure la formulation de ses griefs. Ce serait une injustice de refuser une prorogation de délai à un employé qui vit de tels événements difficiles.

2. Durée du retard

2.1 Le début du retard remonte à la décision rendue par la cour le 25 juin 2007 rejetant sa demande [et] il ne s'agit pas d'un long délai, qui est compréhensible compte tenu du souhait de l’employé d’obtenir un arbitrage réellement indépendant de la cour, compte tenu de son incapacité mentale aggravée par ses maux physiques et les circonstances difficiles occasionnées par la maladie de sa mère et compte tenu aussi du stress continu et des pressions qui exigent beaucoup de son temps et que l’employeur lui fait subir dans l’exercice de ses droits et compte tenu de la tentative de l’employeur de perturber l’employé handicapé et d’épuiser ses ressources mentales, physiques et financières limitées afin de causer des retards dans la présentation de ses arguments à la Commission. Le délai n’a pas commencé le 3 mai 2006 comme le prétend l’employeur puisque à ce moment-là et depuis, l’employé a présenté avec diligence sa demande au tribunal en vertu de l’article 24 de la Charte, qui vraisemblablement, vu la teneur du paragraphe 208 (2) de la LRTFP, l’empêche de déposer un grief à la Commission.

3. Diligence raisonnable dans le contexte de la demande

3.1 L’employé a présenté ses plaintes d’activités illégales commises par son employeur en bonne et due forme en recourant à la procédure judiciaire et tente de réunir l’ensemble des griefs pertinents et les preuves à l’appui de ces griefs, qui sont plus nombreux que la cour le soutient, afin de les présenter avec diligence et de façon complète à la Commission.

3.2 La longueur du délai est également aggravée par la discrimination, le harcèlement et les représailles constantes qui se poursuivent jusqu’à ce jour sous l’autorité du sous-ministre, ce qui a pour effet de perturber le demandeur et de rendre difficile l’exécution des tâches requises pour terminer la formulation des griefs qu’il entend soumettre à la Commission […] Toutes ces actions illégales commises par l’employeur ont causé des retards dans la préparation et la présentation par le demandeur de ses griefs à la Commission, à cause de l’épuisement des ressources mentales, physiques et financières limitées de l’employé handicapé.

4. Équilibre entre l'injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur

4.1 Le refus d’une prorogation de délai causerait un préjudice à l’employé et serait manifestement injuste et permettrait à l’employeur de profiter du trouble psychiatrique qu’il a causé illégalement à l’employé.

4.2 L’employeur n’a subi aucun préjudice durant les quelques mois qu’il a été obligé d'attendre pour se défendre contre les griefs. La capacité [de l’employeur] d'assurer sa [propre] défense n’est pas compromise par le délai et même s’il y avait un certain préjudice, le refus de l’accès à l’arbitrage l’emporte sur tout préjudice subi par l’employeur. Il ne peut y avoir aucun préjudice à l’employeur qui a insisté à la cour et a convaincu celle-ci que la tribune appropriée pour régler les plaintes/griefs de l’employé était la CRTFP, ce qui a prolongé le délai.

4.3 L’avocat de l’employeur avait déclaré à la cour que le gouvernement ne s’opposerait pas à une demande de prorogation de délai si la cour décidait de rejeter la demande de M. van Duyvenbode parce qu’il s’était trompé d’instance. Il serait clairement injuste pour le gouvernement de profiter des arguments invoqués pour obtenir un rejet de la réclamation présentée à la cour et puis d’inverser ses arguments pour obtenir un refus de la prorogation de délai à une tribune, soit la CRTFP, à laquelle l’employeur a forcé l’employé de faire appel.

4.4 L’employeur n’a pas montré qu’il subit un préjudice à cause du retard dans la présentation des griefs. […]

4.5 L’employeur n’a pas montré qu’il subit un préjudice ou que sa capacité de préparer et de présenter sa défense est compromise de quelque façon que ce soit. L’employé continue à être sidéré par le volume et le poids des documents de défense préparés par l’employeur à chaque étape et par le nombre considérable d’accusations excessives additionnelles auxquelles il a dû faire face en conséquence.

5. Chances de succès du grief

5. Les chances de succès des griefs sont excellentes, puisqu’ils sont étayés de preuves documentaires […] La Commission a la compétence voulue pour entendre les griefs de l’employé en vertu des alinéas 209(1)a), b) et c) de la LRTFP et, pour ce qui est de la contestation élevée en vertu de la Charte, d’entendre des griefs qui concernent des questions liées à la Charte. Plus particulièrement, la Commission a compétence en vertu des alinéas 209(1) b) et c) d’entendre des griefs concernant les tactiques illégales utilisées par l’employeur, consistant à faire preuve de discrimination et de harcèlement à l’égard d’un employé ayant une déficience, à prendre des représailles contre lui et à refuser de prendre des mesures d’adaptation à son égard, dans le but d’obtenir un licenciement illégal, et à faire subir à l’employé des sanctions financières par la prise de mesures disciplinaires déguisées.

6. Compétence

6.1 L’employeur a affirmé qu’en vertu du paragraphe 209(1) l’employé doit déposer les griefs auprès du ministère. Cependant, étant donné que les défendeurs principaux dans le cadre des griefs de l’employé sont l’ancien et l’actuel sous-ministre et ses sous-ministres adjoints, ce serait un déni flagrant de l’application régulière de la loi et du droit à la justice naturelle prévus à l’article 7 de la Charte, de la part de ces mêmes défendeurs, de désigner le fonctionnaire qui entendra les griefs au dernier palier, lequel fonctionnaire ils ont nommé et contrôlent.

6.2 Le ministère n’a pas agi dans un délai raisonnable en ce qui concerne les quatre griefs que l’employé a déposés auprès du ministère en 1999 et l’employé craignait réellement qu’il y aurait de la partialité durant toute audience tenue par un fonctionnaire nommé, embauché et contrôlé par plusieurs des défendeurs nommés dans ses griefs.

6.3 La seule solution qui s’offrait à l’employé aux termes de la LRTFP était de soumettre ses griefs directement à la CRTFP. Le ministère a eu dix années pour régler la plainte et les griefs de l’employé et a refusé de le faire, ce qui a nui et a causé un préjudice à la santé et à la situation financière de ce dernier.

[…]

7.1 […] Dix-huit mois s’étaient écoulés depuis le licenciement, mais seulement cinq mois depuis la décision qu'a rendue le juge Hackland le 25 juin 2007 et dont l’employé a pris connaissance à la mi-juillet. À la lumière des pressions et du stress que l’employeur avait causés à l’employé et vu la incapacité mentale de ce dernier, cinq mois n’est pas une période extraordinaire pour se remettre du choc [de la] décision du juge Hackland et pour se concentrer ensuite sur la procédure nouvelle et non familière de la nouvelle LRTFP.

7.2 […] Le ministère connaît la nature et le contenu des griefs qui seront déposés auprès de la Commission en raison des demandes de réclamation, des affidavits et des nombreuses lettres envoyées par l’employé au ministère, au Conseil du Trésor, au greffier du Conseil privé et aux trois premiers ministres ainsi qu’en raison des observations communiquées à la CFP et à la CCDP.

7.3 […] la préoccupation concernant la partialité et le manque d’indépendance des tribunaux quasi judiciaires a été soulevée en cour et devant un comité parlementaire par Mme Keen et devant un comité parlementaire par la vérificatrice générale. Les expériences qu’a eues l’employé avec les mécanismes de redressement contrôlés par l’employeur ne lui ont laissé aucune option autre que de faire valoir ses droits à une réparation prévus à la Charte en s’adressant à un tribunal compétent. Elles l’ont également persuadé d’élever la contestation en vertu de la Charte remettant en question la nomination par l’employeur des commissaires et le fait qu’il est une des parties visées par la plainte soumise à la Commission.

7.4 […] La requête en injonction visant à empêcher l’employeur de procéder, avant le fait, à un licenciement illégal était la procédure qui convenait étant donné qu’aucune mesure préventive ou injonction n’est prévue dans la nouvelle LRTFP.[…]

7.5 L’employé ne voulait pas compromettre non plus sa demande à la cour en évitant qu’elle soit rejetée pour des motifs de préclusion s’il soumettait un grief et il avait le sentiment que l’employeur tentait de le piéger de sorte qu’il dépose un grief afin de disposer de motifs juridiques plus solides pour obtenir une ordonnance de rejet de la demande de l’employé. L’employé estime également que l’employeur a mis fin délibérément à son emploi pour incapacité sans obtenir l’évaluation d’un médecin confirmant que l’employé ne pouvait retourner au travail dans un avenir prévisible afin de le forcer à déposer un grief ou, même en l’absence d’un grief, afin d'obtenir un avantage tactique améliorant les chances que la cour serait d’accord avec sa position que l’employé s’était trompé d’instance et devrait déposer un grief auprès de la CRTFP.

7.6 L’avocat de l’employeur a offert en juillet 2007 à l’employé la possibilité d’en arriver à un accord s’il ne déposait pas un grief auprès de la Commission, offre que l’employeur n’aurait pas faite s’il avait été peu probable dans les circonstances que l’employé ne puisse obtenir une prorogation de délai de la Commission. En réponse au refus de l’employé d’accepter l’offre de règlement, l’employeur a augmenté, à partir du mois d'août jusqu’à aujourd’hui, la pression et le stress exercés sur l’employé pour qu’il soit plus difficile pour lui de présenter sa demande de prorogation de délai et de mener à bien la formulation de ses griefs en vue de leur présentation à la Commission.

[…]

[Le passage souligné l’est dans l’original]

D. Réponse du défendeur

17 Initialement, le défendeur a répondu uniquement à la demande de prorogation de délai et a déclaré qu’il s’en remettait à la Commission pour ce qui était de la question de son indépendance (correspondance datée du 12 mai 2008). La Commission a demandé que le défendeur lui communique ses arguments à propos de la question de l’indépendance soulevée par le demandeur, et le défendeur a accédé à cette requête le 5 juin 2008. J’ai reproduit les extraits pertinents des deux séries d’arguments ci-dessous. Le défendeur a également soulevé une objection quant à la compétence de la Commission de se pencher sur les questions constitutionnelles avant que les procureurs généraux en soient avisés en bonne et due forme comme l’exige la Loi sur les Cours fédérales. À la lumière du fait que le demandeur a ensuite communiqué un avis aux procureurs généraux, je n’ai pas inclus l’argument du défendeur sur ce point.

[Traduction]

[…]

[…] l'employeur maintient ses objections telles qu’énoncées dans sa correspondance du 18 janvier 2008 adressée à la Commission. En outre, l’employeur fera des commentaires additionnels qui montreront que la requête de M. van Duyvenbode ne repose pas sur des motifs raisonnables, qu’il n’a pas déposé un grief dans les délais prescrits et que le temps additionnel qu’il lui a fallu pour présenter une demande relativement au délai résultait de ses propres actions. L’employeur fait les commentaires additionnels suivants :

1) La demande de M. van Duyvenbode ne repose sur aucun motif raisonnable.

L’employé a commencé sa lettre datée du 14 avril 2008 en soulevant des questions liées à la constitutionnalité de certains articles de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP). L’employeur laissera à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) le soin de répondre à ces questions. Toutefois, l’employeur souhaite faire des observations sur la requête de M. van Duyvenbode que la Commission reporte sa décision au sujet de sa requête de prorogation de délai jusqu’à ce qu’elle ait décidé de la constitutionnalité de la nouvelle LRTFP et jusqu’à ce que le gouvernement ait modifié la nouvelle LRTFP. La nouvelle LRTFP prévoit déjà un examen cyclique de la législation. Par conséquent, la demande de M. van Duyvenbode n’est pas nécessaire. Si la Commission y accédait, la procédure pourrait exiger de nombreuses années et créer un préjudice pour l’employeur. Le texte législatif renferme des paramètres pour le règlement des questions en matière de relations de travail et les détails d’un processus de règlement des griefs sont négociés par les parties dans le cadre d’une convention collective. M. van Duyvenbode ne semble pas avoir l’intention de suivre la procédure en place à ce moment-ci. Il continue de soutenir qu’il n’a pas l’intention de déposer un grief auprès du ministère avant de procéder à un renvoi à l’arbitrage et ainsi déroge au paragraphe 209(1) de la nouvelle LRTFP, qui précise ce qui suit :

Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

[…]

2) M. van Duyvenbode n’a pas de raison claire, logique et convaincante justifiant le délai.

[…] Les délais en l’espèce sont attribuables aux propres actions de l’employé étant donné qu'il a décidé d’user de recours juridiques autres que le processus de règlement des griefs puisque, comme il l'a dit, il ne fait confiance à aucun tribunal ou organisme de relations de travail dans la fonction publique dont les membres sont nommés par le gouvernement. Il a fait cette déclaration à la cour, en février 2006, durant le contre-interrogatoire mené par le représentant de l’employeur sur sa demande d’injonction visant à empêcher la prise d’une mesure immédiate ayant pour but de mettre fin à son emploi avant le règlement de sa poursuite au civil intentée, à la Cour supérieure de justice, contre le Procureur général du Canada et des hauts fonctionnaires et alléguant du harcèlement et de la discrimination […] Il a réitéré cette déclaration dans la lettre du 14 avril 2008 qu’il a adressée à la Commission. Par conséquent, le trouble médical que M. van Duyvenbode fournit comme justification pour expliquer les retards n’a aucun rapport avec cette question. Comme c’était le cas dans la décision Stubbe (149-2-114), le fonctionnaire s’estimant lésé tente de détourner l’attention de la négligence dont il a fait preuve lui-même en ne présentant pas de grief. Le juge, dans sa décision de juin 2006, a fourni à M. van Duyvenbode de l’information au sujet de son injonction. M. van Duyvenbode a été informé du fait que s’il perdait son emploi, le recours dont il devrait se prévaloir était la présentation d’un grief en vertu de la nouvelle LRTFP. Or, il a attendu plus de 18 mois après la fin de son emploi pour présenter une demande de prorogation du délai de renvoi d’un grief à l’arbitrage.

3) Durée du retard

Les limites de temps fixées dans les conventions collectives sont spécifiques et leur non respect ne devrait pas se faire à la légère, comme l’a affirmé l’arbitre de grief dans Mbaegbu (166-2-32261).

L’article 61 du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique est clair. À un certain moment durant la période de 25 jours suivant l’avis de cessation d’emploi, M. van Duyvenbode devait manifester l’intention de déposer un grief pour contester la mesure prise par l’employeur. Il ne semble pas avoir eu cette intention avant que sa poursuite au civil fût rejetée le 25 juin 2007, plus de 18 mois après la fin de son emploi. Même à ce moment-là, il a attendu près de six mois pour présenter une demande de prorogation de délai. Le temps qu’a attendu M. van Duyvenbode pour présenter sa demande est significatif.

En outre, M. van Duyvenbode se réfère à des griefs, multiples, qu’il renverra à l’arbitrage. […] Cela nous amène à penser qu’il a l’intention de déposer des griefs qui ne sont pas uniquement reliés à son licenciement du 3 mai 2006. Il déposera des griefs qui ont trait à des événements qui sont survenus entre 1997 et 2007, tel que mentionné dans sa lettre adressée à la Commission le 30 novembre 2007. L’employeur estime que tout nouveau grief serait déposé en dehors des délais prescrits et s’y opposerait en conséquence.

M. van Duyvenbode demande même que la Commission lui accorde du temps additionnel jusqu’en septembre 2008 pour lui permettre de renvoyer ses griefs à l’arbitrage, ce qui représente un préjudice encore plus important pour l’employeur.

4) Diligence raisonnable

M. van Duyvenbode n’a pas fait preuve de diligence lorsqu’il a cherché à faire respecter ses droits en vertu de la convention collective et de la nouvelle LRTFP dans le but de régler ses problèmes au chapitre des relations de travail. M. van Duyvenbode était en mesure de préparer et de présenter de longs documents pour l’autre procédure judiciaire, mais il prétend que son état de santé l’empêchait de déposer un grief auprès de son ministère. Il aurait pu préparer des documents similaires en rapport avec un grief pendant qu’il s’occupait de l’autre procédure judiciaire, si ses intentions étaient de déposer un grief, ce qui clairement n’était pas le cas. Il l’a seulement fait plus de 18 mois après la fin de son emploi. Par conséquent, M. van Duyvenbode n’a pas fait preuve de diligence dans le cadre de la gestion de son grief. Le fait que le demandeur n’a rien fait avant le 30 novembre 2007 constitue un argument convaincant permettant de conclure qu’il avait décidé de ne pas déposer un grief.

Par conséquent, l’employeur adopte la position, en se fondant sur le cas Wyborn (147-33-226), que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait jamais l’intention de déposer un grief dans les limites de temps prescrites. Au contraire, à l’époque, le fonctionnaire s’estimant lésé avait pris une décision en toute connaissance de cause de ne pas déposer un grief. Il a changé d’avis plus tard lorsqu’il a réalisé que son dossier, tel qu’il se présentait à ce moment-là, lui empêchait d’entreprendre toute autre procédure judiciaire.

5) Équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur

De nouveau, l’employeur estime que les motifs fournis par l’employé pour affirmer que la décision d’accorder une prorogation de délai ne cause aucun préjudice à l’employeur sont sans fondement. Contrairement à ce que croit l’employé, le temps excessif qui s’est écoulé depuis la cessation de son emploi causerait un préjudice à l’employeur en nuisant à sa capacité de bien préparer sa défense. Cependant, comme il a été affirmé dans Boulay (dossier de la Commission 149-2-160) et avancé de nouveau par l’arbitre de grief Giguère dans la décision Wyborn, la Commission n’est pas tenue de soupeser les préjudices susceptibles d’être causés à la suite de l’acceptation ou du rejet d’une demande de prorogation de délai lorsque la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas l’intention de déposer un grief avant l’expiration du délai.

Il faut qu’il y ait une certaine finalité dans la procédure, autrement, des cas comme celui-ci deviendraient impossibles à gérer, parce que n’importe qui pourrait faire renvoyer un grief à l’arbitrage n’importe quand après l'expiration du délai.

Comme on l'indique dans Mark (568-32-122 et 166-32-37357), […].

[…] il y a de bonnes raisons, du point de vue des relations de travail, pour imposer des délais. Premièrement, les procédures de règlement et d’arbitrage des griefs se veulent un mode définitif et exécutoire de résolution des conflits qui se posent pendant la durée de la convention collective. Deuxièmement, les délais contribuent à la stabilité des relations de travail en assurant une conclusion aux décisions opérationnelles des employés [sic], ce qui a pour conséquence de permettre d’éviter, pour l’agent négociateur ou l’employeur, une exposition constante ou à long terme à des incidents en milieu de travail.

L’employeur estime qu’en répondant à toutes les questions soulevées par l’employé dans sa tentative de répondre aux objections de l’employeur, il débattrait du mérite du cas, ce qui ne convient pas de faire dans le cadre d’une demande de prorogation de délai.

En raison de tous ces facteurs, l’employeur avance que l’arbitre de grief n’a pas compétence en la matière et que la demande devrait être rejetée.

[…]

Dans sa lettre du 14 avril 2008, le demandeur allègue que certains articles de la nouvelle LRTFP sont inconstitutionnels. Plus particulièrement, le demandeur soutient que les articles 22, 209, 214 et 236 de la nouvelle LRTFP enfreignent les articles 7, 15 et 24 de la Charte. L’argument du demandeur repose sur le fait que les membres de la CRTFP ne sont pas indépendants, parce qu’ils peuvent faire l'objet d'une révocation par décret pour un motif valable; le demandeur affirme que cela signifie que les commissaires peuvent être destitués à la recommandation et avec l’approbation du Premier ministre, et il a intenté une action en justice contre ce dernier. Il affirme qu'en raison de ce manque d’indépendance allégué, on le prive de l’application régulière de la loi, d’un traitement égal et du droit à la justice naturelle en vertu de la Charte. Il a demandé que diverses dispositions de la nouvelle LRTFP soient éliminées et que la CRTFP recommande au Premier ministre que le gouvernement modifie la nouvelle LRTFP de différentes manières.

[…] L’employeur soutient respectueusement que la CRTFP jouit d’une indépendance institutionnelle et que les dispositions citées ne sont pas inconstitutionnelles.

La Cour suprême du Canada, dans sa décision Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique, [2001] 2 R.C.S. 781, 2001 CSC 52, au paragraphe 20, a établi ce qui suit : […]« en l’absence de contraintes constitutionnelles, le degré d’indépendance requis d’un décideur ou d’un tribunal administratif est déterminé par sa loi habilitante. C’est la législature ou le Parlement qui détermine le degré d’indépendance requis des membres d’un tribunal administratif. Il faut interpréter la loi dans son ensemble pour déterminer le degré d’indépendance qu’a voulu assurer le législateur. »

À la lumière du principe énoncé dans Ocean Port, il y a lieu d’examiner brièvement le cadre des nominations exposé dans la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Les articles 12 à 23 portent sur la composition et le mandat de la Commission et sur les nominations du président, des vice-présidents et des membres. Les nominations sont faites par le gouverneur en conseil.

À l’article 2 de la Loi, on définit un « arbitre de grief » comme un commissaire chargé d’entendre et de régler un grief renvoyé à l’arbitrage ou la personne soit ainsi désignée dans une convention collective, soit choisie d’une autre façon en cette qualité par les parties. En l’espèce, l’arbitre de grief devrait être un commissaire. En vertu de l’article 18 [sic], les commissaires « sont nommés à titre inamovible, sous réserve de révocation motivée par le gouverneur en conseil » [je souligne]. Contrairement à la prétention du demandeur, les arbitres de grief ne sont pas nommés « à titre amovible ». La révocation motivée des personnes nommées à titre inamovible nécessite l’application d’une norme élevée; et dans la pratique, une telle révocation est extrêmement rare.

Par conséquent, la loi prévoit un degré d’indépendance très élevé des arbitres de grief, tel qu’envisagé par le Parlement, et par conséquent il n'y a pas de motifs raisonnables pour attaquer l’indépendance institutionnelle des arbitres de grief.

Ainsi, l’employeur demande respectueusement que la Commission rejette la demande de prorogation des délais présentée.

[…]

E. Réponse du demandeur et avis de question constitutionnelle

18 Le demandeur a répliqué à la réponse du défendeur le 5 juin 2008 et a également déposé un avis de question constitutionnelle le 12 juin 2008. Les extraits pertinents de la réponse sont fournis ci-dessous. Les arguments à l’appui de l’avis répétaient essentiellement le contenu des arguments antérieurs concernant l’indépendance de la Commission. Ainsi, j’ai seulement inclus ici une petite partie des arguments.

[Traduction]

[…] [La décision] Ocean’s Port Hotel ne s’applique pas ici car dans cette affaire la constitutionnalité de la loi n’était pas contestée, tandis que je le fais clairement ici. Dans la décision Ocean’s Port, il est également précisé clairement que les tribunaux administratifs et par déduction les agents des griefs au dernier palier, à qui la plupart de mes griefs en vertu de l’art. 208 seraient renvoyés à moins que la CRTFP statue qu’elle peut arbitrer l’ensemble des griefs déposés aux termes de l’art. 208, ne sont pas des tribunaux judiciaires. En ce qui concerne l’agent des griefs, la nouvelle LRTFP ne lui accorde aucun pouvoir exprimé de trancher des questions de loi et, par conséquent, l’agent des griefs au dernier palier ne peut se représenter comme un tribunal compétent au sens de l’art. 24 de la Charte.

Les dispositions de la nouvelle LRTFP établissant l’indépendance des membres de la CRTFP ne le font que de façon théorique et ne peuvent changer le fait que l’employeur, le gouvernement du Canada, qui nomme les membres de la Commission afin qu'ils arbitrent des griefs auxquels l’employeur, le gouvernement du Canada, est une partie, peut les retirer à volonté, à condition toutefois d’avoir un motif inventé de toutes pièces, comme le démontre clairement le congédiement de Mme Keen par le Premier ministre, M. Harper, le 15 janvier 2008. Le licenciement motivé peut survenir pour aussi peu qu’un compte de dépenses ou des dépenses de voyage excessives. Tout aussi important est l’influence qu’exerce l’employeur sur les commissaires qui souhaitent des promotions ou le renouvellement de leur mandat. La nouvelle LRTFP remplace la compétence inhérente des tribunaux par celle de la CRTFP ou d’agents des griefs sans leur accorder le même degré d’indépendance personnelle et institutionnelle, lorsque la question de l’indépendance peut avoir une incidence directe ou sous-jacente sur le type [de] décision que rendent les commissaires et suscite une réelle crainte de partialité. Les gestes posés par le Premier ministre Harper ont compromis l’apparence d’indépendance de l’ensemble des personnes nommées par décret.

J’ai déclaré que les articles 12, 22, 209, 214 et 236 de la nouvelle LRTFP vont à l’encontre des articles 7, 12, 15, 24 et 52 [de la Charte], et ces contradictions ne sont pas raisonnables dans une société libre et démocratique et par conséquent la Commission devrait statuer qu’ils sont inconstitutionnels et ne peuvent s’appliquer et sont inopérants dans mon cas. J’ai également demandé à la Commission de demander au Premier ministre de modifier la nouvelle LRTFP de la manière dont je l’ai suggéré afin que la CRTFPsoit, aux fins d’arbitrage de griefs, un tribunal fédéral du travail juste, réellement complet, indépendant et efficace.

[…]

[…] Je demande, à la lumière des arguments inclus dans mon avis de question constitutionnelle, que la Commission tienne compte de ma déficience en prorogeant le délai, tel qu’exigé par l’art. 15 de la Charte, puisque ma déficience psychiatrique, qui a été causée par l’employeur, et ma déficience physique limitent ma capacité de répondre aux exigences de l’employeur aux différentes instances où sont entendues mes plaintes.

Je demande également à la Commission de noter la violation par l’employeur jusqu'à ce jour du paragr. 68 (3) du Règlement de la CRTFP et de rendre une décision à cet égard. En dépit du fait qu’il a reçu mes nombreuses objections et plaintes écrites et particulièrement celles en 2006 et 2007, à aucun moment l’employeur ne m’a fourni des exemplaires des formules de grief approuvées par la Commission. À aucun moment l’employeur ne m’a envoyé ces formules de grief et ne m’a dit de les signer et d’y joindre les lettres qu’il avait reçues, y compris les quelque 18 lettres adressées au Premier ministre Harper et qu’il les traiterait comme des griefs. En raison de ce fait, je demande à la Commission de statuer que l’employeur a contribué au dépôt tardif, par le fonctionnaire s’estimant lésé, de ses griefs et que le délai de présentation des griefs peut seulement commencer à la date à laquelle l’employeur fournit au fonctionnaire s’estimant lésé les formules de grief autorisées.

J’ai été victime de préjudice, comme je l’ai indiqué dans mes réponses à l’employeur [arguments] […] parce que l’employeur n’a pas joint des copies des décisions sur lesquelles il s’appuie et parce que les cas Stubbe, Wyborn et Boulay ne sont pas disponibles sur le site Web du gouvernement, incluant le site Web de la Commission.

Dans sa réponse du 12 mai 2008, l’employeur prétendait que je n’avais pas l’intention de déposer un grief, ce qui est faux. J’ai inclus mon grief à ma demande à la cour parce que je croyais qu’il s’agissait de l’instance juridique appropriée pour régler ma réclamation. Il aurait été extrêmement préjudiciable pour ma réclamation devant la cour si j’avais déposé un grief à ce moment-là. C’est probablement la raison pour laquelle le Procureur général et l’employeur se sont arrangés pour procéder à mon licenciement motivé (pour incapacité) illégal, alors que l’employeur est accusé d’avoir causé cette incapacité, afin que ce dernier puisse prétendre que je ne pouvais, pour des motifs de préclusion, poursuivre ma réclamation devant la cour, ou que la CRTFP ne pouvait entendre mon grief.

Dans sa lettre du 12 mai, l’employeur commet une erreur dans son calcul de la longueur du délai. J’ai approché initialement la Commission en août 2007 et non pas six mois plus tard. La prorogation de délai devrait porter sur l’ensemble des plaintes que j’ai formulées dans le cadre de ma réclamation depuis 2003. L’employeur avait amplement le temps de préparer ses défenses en réponse à ces plaintes et ne subit aucun préjudice démontrable à cause du délai. Et les gestionnaires et leurs supérieurs non plus ne subissent aucun préjudice démontrable de quelque façon que ce soit. Au contraire, un grand nombre d’entre eux ont obtenu des promotions. […]

L’employeur fait une affirmation incorrecte dans sa lettre datée du 12 mai 2008 lorsqu’il dit que je pouvais préparer simultanément des documents pour la cour et des documents pour la Commission. Il s’agit là d’un clair exemple où l’employeur souhaite profiter du fait qu’il a causé un trouble psychiatrique à un employé et souhaite réduire sa capacité de remplir les exigences de la procédure à la fois de la cour et de la nouvelle LRTFP. L’abus systémique par l’employeur des employés fait qu’il est moins probable que ces derniers peuvent contester dans un délai raisonnable et avec efficacité les actions illégales commises par lui et se prévaloir d’un recours efficace en réponse à leurs plaintes. C’est une stratégie systémique qu'utilise l’employeur pour faire en sorte que l’employé qui se plaint soit moins efficace en le soumettant à un abus constant et illégal et puis, par l’intermédiaire de décisions procédurales comme celles d’avoir omis de déposer des griefs dans un délai extrêmement serré, pour éviter d'avoir à défendre les mérites du cas, pour laquelle souvent il n’a pas de défense.

[…]

19 L’avis du demandeur renfermait neuf questions. J’ai examiné ces questions et je les ai résumées ci-dessous, en éliminant les répétitions et en les révisant afin de les écourter (l’avis complet est déposé au dossier de la Commission) :

[Traduction]

[…]

1.       Si les membres de la CRTFP exercent une compétence qui remplace la compétence inhérente des tribunaux (aux termes des articles 209 et 236 de la nouvelle LRTFP) pour ce qui est de l’arbitrage de différends en matière de relations de travail, les commissaires ne devraient-ils alors pas jouir de la même indépendance individuelle et institutionnelle par rapport au défendeur, le gouvernement du Canada, que les tribunaux qu’ils remplacent? Dans l’affirmative, l’omission de leur accorder la même indépendance que les tribunaux constitue-t-elle une violation des articles 7 et 15 de la Charte? Si la réponse est affirmative, les dispositions pertinentes de la nouvelle LRTFP sont-elles inopérantes?

2.       Est-ce une violation de la Charte (articles 7, 12 et 15) pour le gouvernement du Canada, le défendeur et une partie aux différends en matière de relations de travail, de nommer les arbitres de grief qui entendent ces différends? Est-ce une violation de la Charte pour le gouvernement de nommer ses propres employés pour qu’ils entendent des griefs qui sont régis par l’art. 208 de la nouvelle LRTFP, griefs qui par conséquent ne peuvent être renvoyés à l’arbitrage?

3.       La pratique de ne pas permettre aux fonctionnaires de soumettre leurs griefs à des arbitres de grief ou de différends tiers indépendants (comme le précisent les articles 208, 209, 214 et 236 de la nouvelle LRTFP) est-elle conforme aux droits garantis par la Charte aux articles 7, 12, 15 et 24?

4.       Est-ce que la limite de compétence de la CRTFP en vertu de laquelle elle peut arbitrer des griefs présentés en vertu de l’art. 209 mais pas tous les griefs déposés en vertu de l’art. 208 est-elle constitutionnelle ou est-ce que la Commission peut assumer la compétence d’entendre des griefs déposés en vertu de l’art. 208 au sujet de violations des droits d’un employé prévus à la Charte ou au sujet de la violation de droits et conditions d’emploi prévus par n’importe quelle autre loi du Parlement ou par ses textes législatifs d’application?

5.       Les délais de présentation des griefs fixés par le défendeur par l’entremise de la CRTFP dans le Règlement de la CRTFP à seulement 30 jours sont-ils constitutionnels lorsqu’on considère les articles 7, 12 et 15 de la Charte, étant donné que, pour les personnes autres que les fonctionnaires, le gouvernement du Canada a imposé, par voie de législation, une limite de 90 jours dans laquelle des plaintes peuvent être déposées en vertu du Code canadien du travail? La CRTFP et le défendeur sont-ils tenus de prendre des mesures d’adaptation en fournissant du temps supplémentaire à un fonctionnaire s’estimant lésé qui souffre d’une déficience et en particulier, dans le cas d’un fonctionnaire s’estimant lésé qui souffre d’une déficience causée illégalement par le défendeur?

6.       En l’absence d’une référence législative spécifique, l’agent des griefs au troisième palier où la décision est exécutoire (art. 214 de la nouvelle LRTFP) a-t-il le pouvoir, l’autorité ou même la capacité de trancher des questions de droit qui font partie de griefs déposés en vertu de l’art. 208 de la nouvelle LRTFP? L’interdiction imposée aux employés de la fonction publique de recourir aux tribunaux (art. 236) est-elle inconstitutionnelle en vertu des articles 7, 12, 15 et 24?

7.       L’article 236 de la nouvelle LRTFP, qui interdit à des fonctionnaires syndiqués de recourir aux tribunaux, est-il constitutionnel?

20 À l’appui de son avis, le demandeur a soumis les arguments inclus ci-après. J’ai reproduit les extraits de l’avis qui sont pertinents et qui ont un lien avec les questions constitutionnelles et, dans la mesure du possible, j’ai éliminé certaines des répétitions dans les arguments.

[Traduction]

[…]

2. Le gouvernement du Canada, dans le cadre de son règlement des plaintes déposées par des citoyens au sujet du comportement fautif du gouvernement, a créé le […] système judiciaire indépendant qui englobe les cours provinciales, la Cour fédérale, la Cour suprême et, pour les plaintes concernant l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu, la Cour canadienne de l’impôt, où siègent des juges qui y sont nommés à vie. Le gouvernement du Canada a également promulgué le Code canadien du travail qui met à la disposition des employés qui ne sont pas des fonctionnaires des arbitres de grief ou de différends tiers aux fins de règlement des plaintes déposées par eux contre leurs employeurs. Ni l’employé ni l’employeur ne joue aucun rôle ou n’a aucun pouvoir pour ce qui est de la nomination de l’arbitre de grief, autre que de le choisir par consentement mutuel, ni exerce-t-il aucune influence sur l’arbitre de grief, particulièrement en ce qui concerne des aspects comme le renvoi ou le renouvellement de la nomination de l’arbitre. On leur garantit leurs droits à l’application régulière de la loi et à la justice fondamentale prévus à l’art. 7 de la Charte et ces droits sont défendus par des arbitres de grief ou de différends jouissant d’une indépendance personnelle et institutionnelle.

3. Dans les faits, la situation est différente dans le cas des employés syndiqués qui travaillent au gouvernement du Canada. Tandis que les employés qui font partie de la direction continuent d’avoir le droit de recourir aux tribunaux en cas d’abus ou d’actions illégales de la part de leurs supérieurs, le gouvernement du Canada, en tant qu’employeur, refuse, à ses employés syndiqués, le droit à la même protection et au même bénéfice de la loi prévu à l’article 15 et le droit à la justice fondamentale prévu à l’article 7, dont bénéficient tous les autres Canadiens qui sont employés. Le gouvernement du Canada a créé, par l’intermédiaire des articles 12, 22, 209, 214 et 236 de la nouvelle LRTFP, un mécanisme de réparation qui prévoit l’arbitrage ou la prise de décisions exécutoires par des personnes nommées qui ont une relation employé-employeur avec l’employeur, le gouvernement du Canada, qui est le défendeur. Tandis que tous les autres Canadiens ont accès à l’arbitrage pour virtuellement toutes leurs plaintes liées à l’emploi et ainsi peuvent recourir soit aux tribunaux, soit à des arbitres de grief et commissions et tribunaux du travail tiers ou indépendants créés par le gouvernement et dont les membres sont nommés par celui-ci et non pas par l’employeur ou par une partie aux plaintes. Dans les faits, il n’en est pas ainsi pour les employés syndiqués du gouvernement du Canada qui sont restreints à un mécanisme de règlement des griefs créé par l’employeur, le gouvernement du Canada, où siègent des personnes nommées par l’employeur, le gouvernement du Canada, et qui ont donc une relation du genre employé-employeur avec l’employeur.

[…]

4 a) les arbitres de grief nommés en vertu de l’art. 209 le sont par l’employeur, le gouvernement du Canada, à la suite d’une recommandation du ministre, qui en réalité doit avoir l’approbation du Premier ministre du Canada, communiquée au gouverneur en conseil, et ces arbitres de grief ont donc une relation employé-employeur avec l’employeur, le gouvernement du Canada.

b) l’art. 209 limite sérieusement le type de griefs qui peuvent être soumis à la CRTFP pour arbitrage.

c) l’art. 209 ne permet pas que la nouvelle LRTFP soit appliquée pour arbitrer des plaintes de discrimination ou de manquement qui auparavant pouvaient être arbitrées en théorie par un Tribunal canadien des droits de la personne ou par un recours à un tribunal compétent aux termes de l’art. 24 de la Charte.

d) en réalité, la nouvelle LRTFP, en raison des articles 208, 209, 214 et 236, ôte les droits de recours à la CCDP et au TCDP et, par voie législative, élimine le droit constitutionnel prévu à l’art. 24 de la Charte de s’adresser à un tribunal compétent et le remplace par un processus décisionnel final et exécutoire assuré par un employé, un fonctionnaire nommé par le sous-ministre, et l’exercice de ce pouvoir par cet employé est remis en question par le fonctionnaire s’estimant lésé.

5. Aux termes de l’art. 12 de la nouvelle LRTFP, les membres de la CRTFP sont des personnes nommées par décret dont les nominations et renouvellements de mandat nécessitent l’approbation du ministre et en réalité du Premier ministre qui communique la recommandation de nomination, de renouvellement de la nomination et de révocation au gouverneur en conseil par l’entremise du ministre du Patrimoine (qui n’a aucune expertise ni aucun autre mandat concernant les questions au chapitre des relations de travail). […] Le pouvoir de nommer des personnes à des postes élevés au gouvernement et de révoquer ces nominations même pour un motif valable est ce qui donne au Premier ministre son vaste pouvoir unique et global au sein du gouvernement. Dans sa législation, le gouvernement précise, et cela relève de la fiction juridique, que c’est le ministre du Patrimoine, qui n’a aucune expertise ni aucun autre mandat relié aux questions de règlement des conflits de travail, qui exerce effectivement le pouvoir législatif sous la direction du Premier ministre du Canada et avec son approbation. Le Premier ministre et tout ministre qui participent ainsi aux nominations par décret sont informés de celles-ci par le greffier du Conseil privé, qui reçoit de l’information d’autres hauts représentants du gouvernement du Canada qui siègent au Comité des hauts fonctionnaires (CHF), comme le secrétaire du Conseil du Trésor, qui sont intéressés individuellement et collectivement par l'identité de ceux qui deviendront membres de la CRTFP. Les commissaires peuvent être révoqués en vertu de l’art. 22 de la nouvelle LRTFP par le ministre, avec l'approbation du Premier ministre, qui transmet une recommandation à cet effet au gouverneur en conseil, et une telle révocation motivée peut se faire pour des transgressions administratives mineures comme des dépenses de voyage excessives (comme cela a été le cas pour un ancien Commissaire à la protection de la vie privée), pour usage abusif de propriété ou de fonds du gouvernement, pour népotisme ou à cause de la prise de décisions qui ne font pas l’affaire du gouvernement en place (Mme Keen à la Commission canadienne de sûreté nucléaire). Le renvoi de Mme Keen par le Premier ministre le 15 janvier 2008 s’est fait au nom du ministre des Ressources [naturelles], mais le ministre a reconnu publiquement que c’était le Cabinet du Premier ministre (CPM) c’est-à-dire le Cabinet de M. Harper, et des membres du personnel du BCP, qui suivaient ses instructions, qui avaient pris des arrangements à l'insu du ministre pour que soit obtenu le décret du 15 janvier 2008 (décret 2008-0007) mettant fin à la nomination de Mme Keen comme présidente de la Commission canadienne de sûreté nucléaire. Les gestes posés par le Premier ministre montrent le pouvoir supérieur que peut exercer le Premier ministre contre des personnes nommées par décret et remettent réellement et non pas juste théoriquement en question l’indépendance des tribunaux quasi judiciaires comme la Commission canadienne de sûreté nucléaire ou de commissions comme la CRTFP. Le 29 janvier 2008, Mme Keen et la Vérificatrice générale du Canada ont fait part à un comité parlementaire de ces craintes à l’égard de l’indépendance de personnes nommées par décret à des tribunaux quasi judiciaires. Elles ont exprimé publiquement les mêmes appréhensions face à l’influence ou au risque d'une influence directe et subtile et indirecte sur les décisions rendues par des personnes nommées par décret au gouvernement du Canada.

6. Aucun membre de la CRTFP ne dispose d’une fortune personnelle suffisamment importante pour ne pas se soucier de son renvoi subi, par le Premier ministre, du poste auquel il a été nommé par décret comme ce fut le cas pour Mme Keen en janvier 2008. Chaque membre de la CRTFP subirait des perturbations financières qui nuiraient à sa capacité de faire vivre sa famille, de maintenir son style de vie et de maintenir ses investissements dans des régimes financiers et de pension ou ses projets de retraite, en plus de subir un grave embarras personnel, en raison de sa révocation soudaine et publique, puisque toutes les nominations et révocations par décret sont publiées dans la Gazette du Canada, comme l’exige la loi.

7. L’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit le droit à la justice fondamentale, et l’article 15, qui garantit le droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, imposent une contrainte constitutionnelle au gouvernement du Canada, en sa qualité d’employeur qui possède également la capacité unique d’élaborer et d’adopter par voie législative le mécanisme de règlement des plaintes des employés contenues dans la nouvelle LRTFP, soit d'assurer le plus haut niveau d’indépendance de l’arbitre de grief ou de différends, c’est-à-dire une indépendance liée à la nature du poste qui s'apparente à l’indépendance personnelle et institutionnelle dont jouissent les membres de la magistrature, contrairement aux personnes nommées par décret, qui ont une relation employé-employeur avec le gouvernement du Canada, comme celle créée par l’art. 12 et l’art. 22 de la nouvelle LRTFP et dont les décisions pourraient être influencées par la menace d’une révocation motivée ou plus probablement d'un refus de renouvellement du mandat ou de promotion d'un commissaire de la part d’un Premier ministre insatisfait de leurs décisions antérieures.

8. Les employés syndiqués du gouvernement du Canada se distinguent du fait que les questions qu'ils peuvent soumettre dans des griefs qui sont renvoyés à l’arbitrage par des membres de la CRTFP, sont limitées, comme l'énonce le paragr. 209(1) de la nouvelle LRTFP. Il est interdit aux employés syndiqués au gouvernement du Canada de renvoyer à l’arbitrage les griefs les plus graves portant notamment sur des violations de la Charte, du harcèlement, de la discrimination et des représailles à l’encontre d’un dénonciateur et à l’encontre d’un employé qui a osé déposer des plaintes. Le gouvernement du Canada maintient la position que de tels griefs ne peuvent être renvoyés à l’arbitrage aux termes du paragr. 209(1) mais peuvent uniquement être tranchés par un fonctionnaire au dernier palier de règlement des griefs qui est nommé par le sous-ministre sous la direction duquel la question n’a pas été résolue de façon adéquate. Le refus de hauts représentants ministériels, qui souvent incluent le sous-ministre, de régler des différends donne lieu au grief, ce qui signifie que fréquemment le sous-ministre est un défendeur dans le cadre de ce même grief. La décision rendue par un fonctionnaire qui a été nommé en tant qu’agent des griefs au dernier palier par le sous-ministre est définitive et exécutoire et l’employé doit s’y conformer, en vertu de l’art. 214 de la nouvelle LRTFP.

9. Par contraste, les employés qui ne travaillent pas pour le gouvernement du Canada, mais dont les industries sont réglementées par celui-ci ont le droit de soumettre, en vertu du Code canadien du travail, virtuellement tous les griefs liés à l’emploi à des arbitres de grief, à des conseils d’arbitrage ou au Conseil canadien des relations industrielles, personnes et organismes dont les membres sont nommés de façon indépendante par le gouvernement, c’est-à-dire qui ne sont nommés par aucune des parties et ne subissent pas leur influence.

[…]

14. L’article 24 de la Charte garantit à chaque Canadien le droit de s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir une réparation à la suite des violations de droits prévus par la Charte. Durant les débats au Parlement de 1980, 1981 et 1982, le Parlement a exprimé la volonté que par recours, on entende la possibilité de s’adresser à un tribunal judiciaire, c’est-à-dire à la magistrature indépendante et non pas la possibilité d’obtenir une décision définitive et exécutoire rendue par un représentant nommé par le gouvernement. Cette position a été solidement appuyée par la plupart des Canadiens et des organisations, y compris par l’Association du barreau canadien.

15. La Charte est un instrument constitutionnel inclus dans la Loi constitutionnelle de 1982 et est visée par le principe de la suprématie de la Constitution à l’art. 52 de cette même loi. Aucune des dispositions de la Charte, y compris l’art. 24, ne peut être écartée par une loi du Parlement, et la Charte, en tant que partie de la Constitution du Canada, aux termes de l’art. 52, a préséance sur toute autre loi adoptée par le Parlement du Canada. L’article 236 de la nouvelle LRTFP vise à éliminer, par voie législative, le droit prévu à l’art. 24 de la Charte de s’adresser à un tribunal compétent et les articles 209 et 214 de cette même loi visent à remplacer le règlement judiciaire des différends soit par un processus administré par l’employeur, soit par la CRTFP dont les membres sont nommés par le gouvernement du Canada ou, pour la plupart des griefs déposés en vertu de l’art. 208, par un fonctionnaire nommé par le sous-ministre du ministère. Cet employé, qui souvent n’a aucune formation juridique ou dont l’avancement professionnel dépend souvent de la bonne volonté du sous-ministre, rend une décision définitive et exécutoire au troisième palier définitif et sans appel de la procédure de règlement des griefs. Fréquemment, les employés qui sont nommés à des postes d’agents des griefs n’ont aucune expérience juridique ni compétence en droit du travail et on ne peut s’attendre à ce qu’ils rendent des décisions sur des questions juridiques complexes, voire sur la constitutionnalité des dispositions juridiques du gouvernement qui ont une incidence sur les milieux de travail, et par conséquent, ils se laissent fréquemment guider par des conseillers juridiques et des conseillers en ressources humaines de l’employeur, ce qui crée le cas classique où l’employeur qui est le défendeur décide lui-même des mérites des griefs présentés par des employés.

16. Le Premier ministre Harper a noté à raison en juin 2007 ce conflit d’intérêt inhérent lors de son discours portant sur la nécessité pour le gouvernement de créer une commission indépendante des revendications issues des traités qui rendrait des décisions exécutoires indépendamment du gouvernement en vue de régler les revendications dans le cadre de traités conclus avec les Autochtones. Le Premier ministre Harper a reconnu publiquement que le gouvernement ne peut être à la fois partie ou défendeur et arbitre dans le cadre d’un différend. Un arbitrage indépendant assuré par un tiers est requis particulièrement dans les situations où les tribunaux sont privés de la possibilité d'entendre les mérites d’un grief. Le contrôle judiciaire, qui se limite à des questions concernant le caractère raisonnable ou le respect de procédures adéquates au moment où la décision de règlement d'un grief a été rendue, n’assure pas un arbitrage indépendant et clairement impartial par un tiers des mérites du grief. Les tribunaux offrent un tel règlement indépendant par un tiers et les employés qui ne sont pas des fonctionnaires peuvent avoir recours aux tribunaux ou à des arbitres qui ne sont nommés par aucune des parties, mais par un ministre du gouvernement qui agit indépendamment et comme un tiers et dont le seul rôle se limite à cette nomination.

[…]

20. Le gouvernement du Canada, lorsqu’il adopte des textes législatifs qui concernent ses propres employés syndiqués, doit adopter les normes les plus élevées d’indépendance des arbitres de grief en transformant la CRTFP en une cour fédérale du travail et en y nommant les membres actuels à titre de juges. En vertu des dispositions de la nouvelle LRTFP, la compétence des membres de la CRTFP remplace la compétence inhérente des tribunaux et ainsi, les membres de la Commission doivent jouir du même degré élevé d’indépendance par rapport à l’employeur, le gouvernement du Canada, que les juges. Ils doivent également avoir la même compétence que les tribunaux et ne pas être limités par la nouvelle LRTFP à seulement quelques questions pouvant faire l’objet d’arbitrage en vertu de l’art. 209. Ce n’est pas conforme à la justice fondamentale garantie à l’art. 7 de la Charte ni au principe du traitement égal en vertu de la loi garanti à l’art. 15 de la Charte de restreindre sérieusement les employés syndiqués aux questions énoncées à l’art. 209 tout en leur refusant le droit à un arbitrage assuré soit par la Commission (art. 214), soit par les tribunaux (art. 236) pour la plupart des questions énoncées à l’art. 208, y compris les questions de violation des droits garantis par la Charte ou par d’autres lois. Aucun autre employé au Canada, syndiqué ou ne faisant pas partie de la direction ou n’ayant pas été nommé par décret, n’a perdu, par voie législative, ses droits garantis aux articles 7, 15 et 24 de la Charte, alors que les employés syndiqués ont souffert à cause du libellé actuel des articles 12, 22, 209, 214 et 236 de la nouvelle LRTFP. […] Il est clair également que l’employeur, le gouvernement du Canada, en adoptant la nouvelle LRTFP, a imposé un régime de relations de travail inégal et discriminatoire qui cible les employés syndiqués et les assujettit à un traitement inhabituel simplement parce qu’ils sont des employés syndiqués en leur refusant leurs droits en vertu de la Charte de bénéficier d’un arbitrage indépendant effectué par un tiers auquel la plupart des Canadiens ont en fait accès. Une telle privation refusant l’accès à un tiers indépendant est contraire au droit à la justice fondamentale prévu à l’art. 7, au droit d’être protégé contre tous traitements inusités garanti à l’art. 12 et au droit à la même protection et au même bénéfice de la loi prévu à l’art. 15 et n’est pas justifié dans une société libre et démocratique, tel que précisé à l’art. 1.

21. Ce que je demande à titre de redressement est une décision selon laquelle les articles 12, 22, 209, 214 et 236 sont effectivement inconstitutionnels ainsi qu’une recommandation au Premier ministre que la nouvelle LRTFP soit modifiée afin de créer un tribunal fédéral du travail, de permettre l’arbitrage, en vertu de l’art. 209, de toutes les questions énumérées à l’art. 208 et d’enlever les dispositions archaïques, dictatoriales et fondamentalement injustes à l’art. 214, puisque le tribunal fédéral du travail indépendant aura la compétence d’arbitrer non seulement en théorie mais également dans les faits virtuellement toutes les questions qui ont trait aux milieux de travail dans la fonction publique.

[…]

Les délais de présentation de griefs que la CRTFP a établis, sous le régime de la nouvelle LRTFP, aux termes du paragr. 68(1) de son règlement d’application, sont nettement inférieurs à ce que l’employeur, le gouvernement du Canada, a prévu par voie législative dans le Code canadien du travail, qui s’applique aux employés non gouvernementaux. Cela désavantage les fonctionnaires syndiqués qui ne bénéficient pas d’un traitement égal vis-à-vis de la loi, ce qui contrevient aux articles 7, 12 et 15 de la Charte, et qui font face à des restrictions injustes et à de la discrimination causées par l’employeur, le gouvernement du Canada, pour ce qui est du temps qui leur est accordé pour réagir aux actions troublantes ou illégales de l’employeur et pour s’organiser à un moment où ils ressentent du stress pour présenter des griefs. Les délais restreints servent l’intérêt de l’employeur, le gouvernement du Canada, en imposant des limites et un traitement différents aux fonctionnaires dans le but de réduire la probabilité que les griefs seront déposés à temps.

Ce règlement de la CRTFP dénote une partialité inhérente à l’avantage de l’employeur, le gouvernement du Canada, et de la partialité contre et au détriment des employés du Canada de la part des membres de la CRTFP qui sont nommés par l’employeur, le gouvernement du Canada.

Par conséquent, le paragr. 68(1) du Règlement de la CRTFP est inconstitutionnel pour ce qui est de son application au fonctionnaire s’estimant lésé, puisqu’il enfreint un certain nombre de principes de la Charte, à savoir le droit à la justice fondamentale prévu à l’art. 7, le droit de ne pas subir un traitement inusité prévu à l’art. 12 et le droit à un traitement égal et à la même protection et au même bénéfice de la loi et de ne pas être victime de discrimination prévu à l’art. 15. Le délai restrictif est déraisonnable et injuste et n’est pas conforme aux articles 7, 12, 15 et 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[…] La Charte, à l’art. 15, s’applique à l’employeur et à la CRTFP et ils sont tous deux obligés de prendre des mesures d’adaptation en réponse aux déficiences du fonctionnaire s’estimant lésé en prorogeant les délais de présentation de ses griefs, surtout lorsqu'on considère que c’est l’employeur qui a causé à l’employé le trouble psychiatrique qui est à l’origine de son incapacité. L’employeur ne devrait pas être autorisé à profiter de la déficience psychiatrique qu’il a causée au fonctionnaire s’estimant lésé et qui est solidement documenté […] car cela violerait les principes de la Charte énoncés aux articles 7, 12 et 15.

IV. Motifs

21 La demande soulève deux questions reliées entre elles. La première est la constitutionnalité de diverses dispositions de la nouvelle LRTFP, y compris l’indépendance d’un arbitre de grief. La deuxième est de savoir si une demande de prorogation de délai devrait être accordée. Les questions sont reliées entre elles parce que l’une des raisons données pour expliquer le retard dans la présentation du grief est que le demandeur ne pensait pas que la CRTFP était indépendante du gouvernement. Pour les motifs énoncés ci-dessous, j’ai conclu que les dispositions citées de la nouvelle LRTFP sont constitutionnelles et qu’un arbitre de grief est suffisamment indépendant pour rendre une décision juste et impartiale. J’ai également conclu qu’il n’est pas indiqué pour moi d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de proroger les délais en l’espèce.

22 Le demandeur allègue que ses droits en vertu des articles 7, 15 et 24 de la Charte des droits et libertés (Charte) ont été violés par l’application de la nouvelle LRTFP :

      7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[…]

      15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

[…]

      24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

[…]

23 L’article 7 de la Charte ne s’applique aucunement aux circonstances du fonctionnaire s’estimant lésé. On ne lui a pas refusé son droit « à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ». L’article 15 de la Charte non plus ne s’applique en l'espèce. L’obligation de prendre des mesures d’adaptation découle de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et non pas de la Charte. Le demandeur n’a pas montré non plus qu’il a été victime de discrimination de quelque façon que ce soit en raison de l’application de la nouvelle LRTFP. En ce qui touche l’article 24 de la Charte, la Cour supérieure de justice de l’Ontario, dans sa décision rejetant la déclaration de réclamation du demandeur, a conclu ce qui suit :

[Traduction]

Un agent des griefs au troisième palier ou un arbitre de grief peut accorder un redressement en réponse à une violation de la Charte. La Cour suprême, dans Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, [2003] C.S.C 54, a statué récemment que les organismes et tribunaux administratifs sont autorisés à accorder des redressements à la suite de violations de la Charte. Dans le contexte de l’arbitrage, les arbitres de grief disposent d’un clair pouvoir de décider les questions liées à la Charte et d'accorder des redressements en vertu de celle-ci. Dans Weber, la Cour suprême a confirmé que les arbitres du travail qui appliquent la LRTFP et une convention collective ont le pouvoir juridique d’examiner l’application de la Charte et d’accorder un redressement. En l’espèce, le licenciement du plaignant peut être renvoyé à l’arbitrage. Le restant des questions sera décidé par un agent des griefs de troisième palier. Un redressement peut être accordé en vertu de la Charte à l’une ou l’autre de ces instances.

24 Dans ses arguments, le demandeur allègue qu’il a communiqué pour la première fois avec la CRTFP en août 2007. Or, il a attendu jusqu’en novembre 2007 pour présenter une demande officielle de prorogation de délai. Le demandeur allègue également qu’il s’agit de griefs continus et qu’on peut soutenir que les délais ne s’appliquent pas. Même s’il se peut fort bien que le demandeur ait eu un différend continu avec le défendeur, il est clair qu’il y a eu des événements distincts – comme la fin de son emploi – qui sont déjà survenus. Je rends que les griefs du demandeur ne sont pas des griefs continus.

25 Le demandeur a déposé deux griefs, sans se prévaloir de la procédure de règlement des griefs. Le demandeur a admis que les tentatives à cet égard n’étaient pas reliées directement à son action en justice. De plus, le demandeur n’a jamais déposé de grief concernant un refus de congé rémunéré qu'on lui aurait refusé et il ne bénéficiait pas de l’appui de son agent de négociation pour la présentation d’un tel grief.

26 Le défendeur a soulevé une objection préliminaire en matière de compétence parce que selon lui les questions en litige ne peuvent être renvoyées à l’arbitrage du fait que le demandeur n’a pas déposé un grief au niveau ministériel. Je ne me penche pas sur le renvoi à l’arbitrage dans le cadre de la demande dont je suis saisi. Il s’agit d’une demande de prorogation du délai de présentation d’un grief. Un grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage avant que la personne qui le dépose n'ait d’abord suivi la procédure de présentation des griefs.

27 Le demandeur a fait valoir qu’il ne devrait pas être tenu de soumettre un grief au niveau ministériel parce que le défendeur se prononcera sur sa propre conduite. Le demandeur a mal représenté le but de la procédure de règlement des griefs. La procédure de règlement des griefs est utilisée pour toutes sortes de différends qu'on peut avoir avec le défendeur. La procédure de règlement des griefs n’a pas été conçue de sorte à assurer un examen indépendant des actions du défendeur. Il s’agit d’une occasion d’échanger de l’information et de discuter du règlement à prévoir. Il s’agit aussi d’une occasion pour les niveaux plus élevés de la direction d’examiner la décision qui a été rendue. Dans les situations de licenciement, la coutume veut que le grief soit entendu uniquement au dernier palier de la procédure de règlement des griefs avant d’être renvoyée à l’arbitrage. Il n’y a aucun droit d’accès direct à l’arbitrage (Tuquabo c. Canada (Procureur général), 2008 CF 563). Si j’avais accepté d’accorder une prorogation du délai de présentation d’un grief, j’aurais également instruit le demandeur de déposer ce grief au niveau ministériel, conformément aux dispositions relativement aux griefs que l'on trouve dans la convention collective pertinente.

28 Le demandeur a également noté les mesures récentes prises par le gouvernement fédéral à l’égard de l’ancienne présidente de la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) et a évoqué cette situation à l'appui de son argument selon lequel les commissaires ne sont pas indépendants. Les tribunaux ont été saisis des questions en litige à la CCSN. Je note également que le régime législatif dans ce contexte est différent de celui énoncé dans la nouvelle LRTFP.

29 Le demandeur a également soulevé, en tant que question, l’indépendance des commissaires. Il me semble que ce qu'affirme le demandeur est que, parce que la CRTFP a maintenant la compétence exclusive à l’égard de certains différends, elle a remplacé le rôle joué par les tribunaux et, par conséquent, ses membres devraient avoir la même indépendance individuelle et institutionnelle que les juges. Le demandeur a également soulevé la question de l’indépendance de la CRTFP parmi ses motifs justifiant le retard qui est survenu dans la présentation de ses griefs.

30 Dans ses arguments qu’il a présentés au juge dans le cadre de sa procédure, le demandeur a fait valoir que les mécanismes de redressement qui lui étaient offerts en vertu de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) et de la nouvelle LRTFP n’étaient pas suffisamment indépendants (paragraphe 7 de cette décision). La cour ne s’est pas penchée directement sur cet argument dans les motifs de sa décision. Toutefois, elle y a répondu de façon implicite dans sa conclusion finale, où elle a déclaré que les questions en litige ne relevaient pas de sa compétence. Je vais me pencher toutefois sur les arguments du demandeur selon lesquels les procédures de règlement des griefs énoncées dans la nouvelle LRTFP et l’ancienne LRTFP ne sont pas suffisamment indépendantes.

31 Le demandeur a remis en question la constitutionnalité de l’article 236 de la nouvelle LRTFP, qui interdit aux employés de saisir les tribunaux de toute question qui peut être réglée en vertu de cette loi. Dans Vaughan, la Cour suprême du Canada a examiné cette question directement et a statué que le Parlement était libre d’établir un renvoi législatif complet. Sauf dans les cas de dénonciation, le fait qu’on n’a pas accès aux tribunaux ne constitue pas un problème. La Cour supérieure de justice de l’Ontario a déjà conclu que le demandeur n’est pas un « dénonciateur ».

32 Le demandeur a également remis en question la constitutionnalité du refus de soumettre à l’arbitrage certains types de griefs (articles 209 et 214 de la nouvelle LRTFP). L’absence d’arbitrage par un tiers a été soulevée dans Vaughan :

[…]

38 […] j’ai déjà indiqué pourquoi je n’accepte pas l’hypothèse au cœur de l’argument de l’appelant, soit que les régimes législatifs complets qui ne prévoient pas l’arbitrage par un tiers ne méritent pas, pour cette raison, que l’on s’en remette à eux. Il s’agit d’un facteur à prendre en compte, mais dans le cas de la LRTFP, d’autres indices plus convaincants de l’intention du législateur l’emportent sur ce facteur.

[…]

33 La Cour suprême du Canada a accepté la possibilité qu’il peut y avoir certains types de différends où il n'y a pas d'accès à l'arbitrage par un tiers, ce qui inclut les tribunaux. La Cour a noté qu’il n’y avait aucune contestation constitutionnelle de l’ancienne LRTFP. Cependant, comme on l’a vu à la fois dans Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC. 52 et dans Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, 2003 CSC 36, les tribunaux font preuve d'une grande retenue à l'égard du régime législatif conçu par le Parlement.

34 La nomination des commissaires ne se fait pas « à titre amovible », comme l’a prétendu le demandeur, mais plutôt selon la norme beaucoup plus élevée de la « nomination à titre inamovible », et les commissaires peuvent seulement être renvoyés à la suite d’une révocation motivée. Voici les dispositions de la nouvelle LRTFP qui s’appliquent aux nominations :

[…]

Nomination des commissaires

      18. (1) Pour être admissible à la charge de commissaire, il faut :

a) être citoyen canadien au sens de la Loi sur la citoyenneté ou résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés;

b) ne pas occuper une autre charge ou un autre emploi relevant de l’employeur;

c) ne pas adhérer à une organisation syndicale accréditée à titre d’agent négociateur, ni occuper une charge ou un emploi relevant d’une telle organisation;

d) ne pas accepter de charge ou d’emploi — ni exercer d’activité — incompatibles avec leurs fonctions;

e) avoir de l’expérience ou des connaissances en matière de relations de travail.

[…]

Impartialité

      19. (4) Malgré son éventuelle nomination sur recommandation de l’employeur ou des agents négociateurs, le commissaire ne représente ni l’employeur ni les fonctionnaires et est tenu d’agir avec impartialité dans l’exercice de ses attributions.

[…]

Inamovibilité

      22. (1) Les commissaires sont nommés à titre inamovible, sous réserve de révocation motivée par le gouverneur en conseil.

[…]

35 La Cour suprême du Canada a examiné l’inamovibilité des membres du Tribunal canadien des droits de la personne et a conclu que les membres de ce tribunal sont suffisamment indépendants (Bell Canada). Il n’y a pas de différence significative entre le Tribunal canadien des droits de la personne et la CRTFP en ce qui concerne le processus de nomination ou l’inamovibilité, et la conclusion à laquelle est arrivée la Cour suprême s’applique tout autant à la CRTFP.

36 La Cour suprême du Canada a examiné l’argument selon lequel un tribunal doit avoir le même degré d'indépendance que les cours supérieures dans l’affaire Bell Canada :

[…]

29      Bell prétend également que le Tribunal est lié par un principe constitutionnel — le « principe non écrit de l'indépendance de la magistrature » — qui lui attribue le même degré d'indépendance qu'à un tribunal visé à l'art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 : Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l'Île-du-Prince-Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3. Bell ne cite aucune source à l'appui de cet argument. En sa qualité de tribunal administratif assujetti au pouvoir de surveillance des tribunaux visés par l'art. 96, le Tribunal ne doit pas obligatoirement présenter toutes les caractéristiques d'une cour de justice. Comme nous l'avons déjà mentionné, le législateur a conféré un niveau élevé d'indépendance au Tribunal, sans aller jusqu'à en faire une cour de justice, mais en lui assurant néanmoins l'appui de protections adaptées à sa fonction.

[…]

37 Le demandeur a affirmé que les délais de présentation d’un grief fixés dans le Règlement sont inconstitutionnels en vertu de l’article 7 de la Charte pour le motif que les délais prévus au Code canadien du travail sont de 90 jours. Je suppose en me basant sur ses arguments qu’il parle des délais de renvoi à l’arbitrage, puisque le délai de dépôt d’un grief a été établi par la convention collective applicable, et non pas par voie de règlement. La question que je dois examiner ici est la prorogation des délais de présentation de griefs et non pas la prorogation du délai de renvoi à l’arbitrage. Par conséquent, il n’est pas nécessaire pour moi de me prononcer sur cette question. Cependant, un délai de 30 jours constitue un délai raisonnable pour le renvoi à l’arbitrage et est un délai qui s’applique à tous les employés dans la fonction publique. La CRTFP a le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai de renvoi en se fondant sur des critères établis.

38 Je tourne maintenant mon attention vers la demande de prorogation de délai et les critères établis pour déterminer s’il y a lieu d’accorder une prorogation. Dans la jurisprudence de la Commission, on a établi cinq critères à examiner (voir Schenkman) :

  • le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
  • la durée du retard;
  • la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;
  • l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;
  • les chances de succès du grief.

39 Le demandeur était conscient de son droit de présenter un grief en vertu de la convention collective, étant donné qu’il avait tenté de présenter des griefs concernant certaines questions liées à l’emploi déjà en 1999 et 2000. Il a également été informé de son droit de présenter des griefs par la Cour supérieure de justice de l’Ontario au début de 2006. De plus, il a admis durant l’interrogatoire préalable lors de sa poursuite au civil qu’il avait connaissance de la procédure de règlement des griefs. Dans la lettre qu’il a reçue et qui mettait fin à son emploi aux termes de la LGFP, il a également été informé de son droit de présenter un grief.

40 Le demandeur a présenté un certain nombre de raisons pour son omission de déposer ses griefs dans les délais fixés dans la convention collective. La principale raison fournie est qu’il menait une action en justice et qu’il ne croyait pas et ne faisait pas confiance à la procédure de règlement des griefs. Il a également parlé de sa santé, y compris de sa déficience de santé mentale et de la santé et du décès subséquent de sa mère.

41 J’ai déjà examiné la question de l’indépendance de la CRTFP et je statue qu’il n’y avait aucun fondement pour son point de vue qu’un arbitre de grief n’était pas suffisamment indépendant pour entendre son grief. La contestation de la compétence d’un tribunal ne constitue pas une excuse pour des retards dans la présentation d’un grief.

42 Même s’il avait saisi les tribunaux de questions ayant trait à sa relation d’emploi (avant son licenciement), ce fait ne peut être considéré comme une raison convaincante justifiant l’omission de déposer un grief. Il est devenu clair en 2005, lorsque la décision Vaughan a été émise par la Cour suprême du Canada, que la procédure de règlement des griefs était le mécanisme approprié pour régler des différends en milieu de travail. Au début de 2007, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a statué que son différend avec le défendeur ne correspondait pas à l’exception faite pour les « dénonciateurs ». Cependant, le demandeur a attendu jusqu’en novembre 2007 pour demander une prorogation du délai de présentation d’un grief. Il allègue que le traumatisme causé par la décision de la cour était une autre raison du retard qu’il a accusé dans la présentation de ses griefs. Une décision rendue par une cour ou un tribunal qui est contraire au résultat espéré ne constitue pas une raison logique et convaincante justifiant un délai dans l’exercice de droits en vertu d’une convention collective.

43 Certaines des préoccupations de santé soulevées par le demandeur sont survenues seulement en 2007 et n’expliquent pas le long délai entre la fin de son emploi et sa demande de prorogation de délai. De même, la mauvaise santé et le décès subséquent de sa mère ne sont devenus une préoccupation qu’en automne 2007.

44 Le demandeur a également allégué qu’il avait besoin de plus de temps (ce qu’il a décrit comme des « fréquentes pauses ») pour gérer ses litiges avec le défendeur à cause de sa déficience de santé mentale. Le demandeur prétend que la CRTFP a l’obligation de prendre des mesures d’adaptation lorsqu’elle examine les délais à accorder aux personnes qui ont des déficiences de santé mentale. Certainement, une déficience de santé mentale peut constituer un facteur examiné par la Commission lorsqu’elle cherche à établir s’il y a lieu d’accorder une prorogation de délai. L'obligation de prendre des mesures d’adaptation fait partie de l'examen auquel la Commission soumet toute demande de prorogation du délai de dépôt d’un grief. En l’espèce, le demandeur n’a pas prouvé que sa déficience de santé mentale l’empêchait de déposer des griefs. Il fonctionnait bien dans le cadre de sa demande de réclamation soumise aux tribunaux et lorsqu’il a écrit de nombreuses lettres au Premier ministre et à d’autres personnes.

45 Le demandeur a également fait valoir qu’il faut du temps pour formuler un grief. S’il est peut-être vrai qu’il faut du temps pour se préparer à une audience de grief, il n’en faut pas beaucoup pour remplir une formule de grief. Tout ce qu’il faut fournir est une courte description de la question faisant l’objet du grief et une description de la mesure correctrice demandée. Étant donné que le demandeur semble s’être longuement préparé pour sa poursuite en justice, rien ne vient appuyer son allégation qu’il a besoin de temps pour formuler un ou plusieurs griefs.

46 Le demandeur n’a pas fourni de raisons logiques ou convaincantes pour expliquer son délai dans la présentation des griefs. Étant donné qu’il n’a pas satisfait à ce fardeau, il n’est pas nécessaire pour moi de me pencher sur les critères restants. Toutefois, je note que la longueur du délai est importante, que le demandeur n’a pas fait preuve de diligence raisonnable et que le préjudice à l’employeur l’emporte sur toute injustice causée au demandeur.

47 Dans ses arguments finaux, le demandeur demande que je statue que le défendeur a enfreint le Règlement pour n’avoir pas fourni les formules de grief. Il n’y a aucune preuve que le demandeur n’ait jamais demandé à obtenir des formules de grief. Le demandeur a été informé de son droit de présenter un grief contestant son licenciement et il ne s’est pas prévalu de ce recours. Il n’y a aucune obligation de la part du défendeur de fournir des formules de grief si on ne lui demande pas de le faire.

48 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

49 La demande de prorogation de délai est rejetée.

Le 29 octobre 2008.

Traduction de la CRTFP

Ian R. Mackenzie,
vice-président

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