Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les membres de l’exécutif local de la plaignante avaient déposé une plainte contre elle auprès de la présidente du Syndicat des employé(e)s de l’impôt (SEI), un élément de son agent négociateur, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) - à la suite d’une enquête concernant la plainte, elle a été démise de son poste de présidente de la section locale, et le SEI a pris des mesures qui ont mené au retrait par l’AFPC de sa qualité de membre de l’agent négociateur pendant une période déterminée - elle a déposé une plainte, alléguant une pratique déloyale de travail - les défendeurs ont contesté la compétence de la Commission à instruire la plainte, en faisant valoir que la plainte ne se conformait pas aux exigences du paragraphe 190(3) de la Loi et qu’elle était donc prématurée - la Commission a conclu que la plaignante s’était prévalue du processus d’appel prévu par le SEI et l’AFPC et que le processus était en cours - l’exception prévue au paragraphe 190(4) de la Loi ne s’appliquait pas - la plainte était donc prématurée. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-10-15
  • Dossier:  561-34-186
  • Référence:  2008 CRTFP 82

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

FRANCINE BOUCHARD

plaignante

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA et al.

défendeurs

Répertorié
Bouchard c. Alliance de la Fonction publique du Canada et al.

Affaire concernant une plainte visée à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, commissaire

Pour la plaignante:
Lise Pronovost

Pour la défenderesse:
Amarkai Laryea, Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire entendue à Montréal (Québec),
le 26 septembre 2008.

Plainte devant la Commission

1 Le 24 septembre 2007, Francine Bouchard (la « plaignante ») a déposé auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») une plainte en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, (la « Loi ») contre l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« AFPC»), John Gordon, président ; le Syndicat des employé-e-s de l’Impôt (le « SEI »), Betty Bannon, présidente ; la section locale 10005 du SEI, Jean-Pierre Fraser, président ; Sylvie Lahaie, Michel Désilets, André Bélanger, Patrick Simoneau, Jean-Yves Martel et Danielle Bédard (les « défendeurs »). La plaignante allègue dans sa plainte que les défendeurs se sont livrés à une pratique déloyale en la relevant de ses fonctions syndicales et en lui enlevant son statut de membre.

2 La plaignante est une fonctionnaire travaillant à l’Agence du revenu du Canada à Shawinigan, Québec. À compter du 21 mars 2006, la plaignante a occupé le poste de présidente de la section locale 10005 du SEI. Le SEI est la composante de l’AFPC qui représente les fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada. En octobre 2006, des membres de l’exécutif de la section locale 10005 ont déposé une plainte à la présidente nationale du SEI contre la plaignante. Dans cette plainte, ils demandaient la démission de la plaignante de ses fonctions syndicales.

3 Le 3 avril 2007, la présidente du SEI a avisé la plaignante, qu’à la suite de l’enquête menée par le SEI, elle était relevée de ses fonctions de présidente de la section locale 10005. La présidente du SEI a aussi avisé la plaignante que le SEI entreprenait des démarches auprès de l’AFPC pour que cette dernière lui retire son statut de membre pour une période de cinq ans. Le 25 juin 2007, puis le 5 juillet 2007, l’AFPC a écrit à la plaignante pour l’aviser de la décision de lui retirer son statut de membre pour une période de cinq ans, soit du 8 juin 2007 au 7 juin 2012.

4 À la suite du dépôt de sa plainte, l’AFPC a écrit à la Commission pour lui demander de rejeter la plainte puisque les conditions du paragraphe 190(3) de la Loi n’avaient pas été remplies. L’AFPC a basé sa demande sur le fait que la plaignante avait fait appel de la décision de la suspendre et que l’appel était toujours en cours. Selon l’AFPC, la plainte était donc prématurée,

5 Suite à une conférence préparatoire tenue le 3 juillet 2008 avec la plaignante et l’AFPC, la Commission a décidé de convoquer les parties à une audience qui ne porterait que sur la question de savoir si la plainte était prématurée. La présente décision fait suite à cette audience.

Résumé de la preuve

6 La preuve déposée par chacune des parties n’est pas contestée même si chaque partie y donne une interprétation différente. La preuve est de nature documentaire et consiste surtout en des échanges de correspondance entre la plaignante et l’AFPC ainsi qu’avec le SEI. Des extraits des statuts et règlements de l’AFPC et du SEI ont aussi été déposés en preuve. Je ne ferai référence dans cette décision qu’aux éléments de preuve qui sont nécessaires pour décider si la plainte est prématurée.

7 Le 23 avril 2007, la plaignante s’est adressée à M. Gordon, président national de l’AFPC pour en appeler de la décision du SEI de la relever de ses fonctions de présidente de la section locale 10005. Le 9 mai 2007, la vice-présidente exécutive de l’AFPC a informé la plaignante que son appel devait plutôt être déposé auprès du SEI. À la suite à cette réponse, la plaignante s’est adressée au SEI le 27 mai 2007 afin de déposer un appel.

8 Le 11 juillet 2007, la plaignante s’est adressé au président national et à la vice-présidente exécutive de l’AFPC pour en appeler de sa décision de lui retirer son statut de membre. Le 19 juillet 2007, l’AFPC a écrit à la plaignante pour accuser réception de son appel et lui faire part des procédures à suivre. L’AFPC demandait aussi à la plaignante de lui fournir le nom de sa représentante au tribunal tripartite qui entendrait l’appel. La plaignante a répondu le 13 août 2007 qu’elle fournirait le nom de sa représentante après que le processus d’appel au SEI se soit tenu.

9 L’AFPC a informé la plaignante, le 27 août 2007, que le tribunal tripartite qui serait chargé d’entendre son appel visant sa qualité de membre traiterait aussi de la décision du SEI de la relever de ses fonctions syndicales. Un échange de correspondance s’en est suivi entre la plaignante et l’AFPC. Puis, le 1er octobre 2007, l’AFPC a écrit à la plaignante lui indiquant qu’elle comprenait, à partir de la correspondance antérieure, que la plaignante ne souhaitait plus poursuivre son appel sur son statut de membre. La plaignante a immédiatement indiqué par courriel que ce n’était pas le cas. Puis, le 25 octobre 2007, l’AFPC a écrit à la plaignante pour l’informer que son droit d’appel sur la question de la perte du statut de membre était rétabli. L’AFPC a aussi demandé à la plaignante de lui fournir le nom de sa représentante au tribunal tripartite.

10 À la date de la présente audience, l’appel de la plaignante n’avait toujours pas été entendu. Selon les défendeurs, elle ne pouvait procéder à la mise en place du tribunal tripartite tant que la plaignante et le SEI ne lui avaient pas fourni le nom de leur représentant respectif au tribunal. La plaignante a déjà fourni le nom de sa représentante et le SEI l’aurait fait récemment selon les défendeurs. Le tribunal tripartite peut donc maintenant être mis sur pied.

11 La plaignante a aussi déposé en preuve plusieurs documents faisant état de ses préoccupations eu égard au processus d’appel mis sur pied et au respect des statuts et règlements de l’AFPC et du SEI. Ces documents pourraient être pertinents si j’entendais la cause sur le fond, mais la présente audience ne vise uniquement qu’à déterminer si la plainte est prématurée.

Résumé de l’argumentation

12 Les défendeurs s’objectent à la plainte car celle-ci est prématurée. Le paragraphe 190(3) de la Loi stipule qu’une plainte ne peut être présentée que si le plaignant a suivi la procédure d’appel établie par l’organisation syndicale et que cette dernière a statué sur l’appel. Certes, la plaignante a soumis un appel mais le processus d’appel n’était pas terminé au moment du dépôt de la plainte et ne l’est pas encore au moment de la présente audience.

13 Les défendeurs soumettent aussi que puisque l’AFPC a donné à la plaignante la possibilité de recourir facilement à la procédure d’appel, la Commission ne devrait pas statuer sur la plainte en vertu du paragraphe 190(4) de la Loi. Ce paragraphe stipule que la Commission peut statuer sur la plainte si elle est convaincue que l’organisation syndicale n’a pas donné la possibilité au plaignant de recourir facilement à une procédure d’appel. Or, ce n’est pas le cas ici, car la plaignante a eu recours à la procédure d’appel.

14 La plaignante fait valoir que le SEI n’a jamais donné suite à son appel visant sa destitution du poste de présidente de la section locale 10005. Elle voulait que cet appel soit entendu avant l’appel visant la suspension de son statut de membre. L’AFPC a ignoré cette demande. Qui plus est, cette façon de faire et la procédure d’appel proposée par l’AFPC ne respectent pas les statuts et règlements du SEI et de l’AFPC.

15 La plaignante soumet aussi que son droit d’appel lui a été enlevé par l’AFPC le 1er octobre 2007. Le droit d’appel n’a été rétabli qu’après que l’AFPC eut reçu une copie de la présente plainte déposée à la Commission.

16 Se basant sur les statuts et règlements du SEI et de l’AFPC, la plaignante prétend que l’AFPC n’a pas le droit de relever un dirigeant syndical local de ses fonctions. Ce pouvoir appartient au SEI. Par extension, l’appel sur le sujet doit donc être entendu par le SEI et non pas par l’AFPC.

17 La preuve et les faits présentés, selon la plaignante, révèlent que l’AFPC n’a pas donné à la plaignante la possibilité de recourir facilement à la procédure d’appel. La Commission peut donc statuer sur la plainte comme le prévoit le paragraphe 190(4) de la Loi.

Motifs

18 Pour décider si la plainte est prématurée ou non, il me faut examiner les dispositions suivantes de la Loi :

190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

[…]

(3) Sous réserve du paragraphe (4), la plainte reprochant à l’organisation syndicale ou à toute personne agissant pour son compte d’avoir contrevenu aux alinéas 188b) ou c) ne peut être présentée que si les conditions suivantes ont été remplies :

a) le plaignant a suivi la procédure en matière de présentation de grief ou d’appel établie par l’organisation syndicale et à laquelle il a pu facilement recourir;

b) l’organisation syndicale a :

(i) soit statué sur le grief ou l’appel, selon le cas, d’une manière que le plaignant estime inacceptable,

(ii) soit omis de statuer sur le grief ou l’appel, selon le cas, dans les six mois qui suivent la date de première présentation de celui-ci;

c) la plainte est adressée à la Commission dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date à partir de laquelle le plaignant était habilité à le faire aux termes des alinéas a) et b).

Exception

(4) La Commission peut, sur demande, statuer sur la plainte visée au paragraphe (3) bien que celle-ci n’ait pas fait l’objet d’un grief ou d’un appel si elle est convaincue :

a) soit que les faits donnant lieu à la plainte sont tels qu’il devrait être statué sans délai sur celle-ci;

b) soit que l’organisation syndicale n’a pas donné au plaignant la possibilité de recourir facilement à une procédure de grief ou d’appel.

[…]

185. Dans la présente section, « pratiques déloyales » s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

[…]

188. Il est interdit à l’organisation syndicale, à ses dirigeants ou représentants ainsi qu’aux autres personnes agissant pour son compte :

[…]

b) d’expulser un fonctionnaire de l’organisation syndicale ou de le suspendre, ou de lui refuser l’adhésion, en appliquant d’une manière discriminatoire les règles de l’organisation syndicale relatives à l’adhésion;

c) de prendre des mesures disciplinaires contre un fonctionnaire ou de lui imposer une sanction quelconque en appliquant d’une manière discriminatoire les normes de discipline de l’organisation syndicale;

[…]

19 Il me semble important de rappeler que le rôle de la Commission dans les litiges qui opposent un fonctionnaire et son organisation syndicale est relativement limité. De manière générale, il n’est pas du ressort de la Commission de questionner ou de réexaminer la relation qu’entretient l’organisation syndicale avec ses membres. Ce n’est que de façon exceptionnelle que la Commission pourra intervenir. Entre autres, la Commission doit s’assurer du respect de l’article 188 de la Loi lorsque des plaintes sont déposées. Il s’agit alors d’établir si l’organisation syndicale a appliqué de façon discriminatoire ses propres règles et non pas de questionner ces mêmes règles ou leur application générale.

20 Qui plus est, la Commission ne pourra accepter de plainte d’un fonctionnaire que lorsque ce dernier aura épuisé la procédure d’appel de l’organisation syndicale sauf si l’exception prévue au paragraphe 190(4) de la Loi s’applique.

21 La preuve qui m’a été présentée est non équivoque : la procédure d’appel mise en place par l’AFPC est encore en cours. Par le fait même, la plainte est prématurée et elle doit être rejetée.

22 Certes, il y a eu une certaine confusion dans la gestion de l’appel par l’AFPC. Tout d’abord, on a dit à la plaignante qu’elle devait s’adresser au SEI pour son premier appel. Puis, on lui a dit que le SEI n’entendrait pas l’appel car ce serait plutôt l’AFPC qui le ferait. Ensuite, on a annulé temporairement une partie du droit d’appel, ayant mal compris l’intention de la plaignante. Sur ce, l’AFPC n’est pas entièrement à blâmer car les intentions exprimées par la plaignante pouvaient porter à plus d’une interprétation.

23 Néanmoins, on a offert à la plaignante un plein droit d’appel, à la fois sur la perte de son statut de membre et aussi sur le fait qu’on l’ait relevée de ses fonctions de présidente de la section locale 10005 du SEI. Les représentants de la plaignante et du SEI au tribunal tripartite ont maintenant été nommés. Le tribunal tripartite qui entendra l’appel semble sur le point de commencer son travail et d’entendre l’appel.

24 Je rejette aussi la prétention de la plaignante que je peux statuer sur la plainte en vertu du paragraphe 190(4) de la Loi puisque l’organisation syndicale n’a pas donné la possibilité de recourir facilement à une procédure d’appel. La preuve présentée n’appuie pas une telle prétention. Il y a bien eu une certaine confusion sur la gestion des plaintes, mais pas au point de conclure que les conditions du paragraphe 190(4) de la Loi ont été remplies.

25 Ceci étant dit, je suggère à la plaignante de coopérer avec l’AFPC dans la procédure d’appel qui lui est offerte et d’y participer pleinement. Lorsque l’AFPC rendra la décision finale à la suite de l’appel, la plaignante pourra alors, dans les délais prescrits, déposer une nouvelle plainte si elle croit que les dispositions de l’article 188 de la Loi n’ont pas été respectées.

26 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

27 La plainte est rejetée.

Le 15 octobre 2008.

Renaud Paquet,
commissaire

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