Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Pratique déloyale de travail - Plainte fondée sur l’alinéa 190(1)g) de la Loi, alléguant une violation des sous-alinéas 186(2)a)(i) et (iii) - Abolition de postes - Représentants syndicaux - Exercice du droit de déposer des griefs - Fardeau de la preuve La plaignant a allégué que la défenderesse avait aboli les postes de quatre fonctionnaires parce que ces derniers avaient présenté des griefs demandant la reclassification de leurs postes - deux de ces fonctionnaires étaient des représentants syndicaux - la Commission a décidé que, en vertu du paragraphe 191(3) de la Loi, la défenderesse avait le fardeau de démontrer que l’abolition des postes en question était la conséquence d’une raison d’affaires - la Commission a conclu que la prépondérance de la preuve n’établissait pas que l’abolition des postes était une mesure de représailles prise à l’encontre des fonctionnaires concernés parce qu’ils avaient présenté des griefs ou parce que deux d’entre eux étaient des représentants syndicaux. Plainte rejetée. Plainte fondée sur l’alinéa 190(1)c) de la Loi, alléguant une violation de l’article 107 - Période de gel - Maintien des conditions d’emploi après qu’un avis de négocier collectivement ait été donné - Unité de négociation du groupe Scientifique et analytique La plaignant a allégué que la défenderesse n’avait pas respecté les dispositions de la convention collective obligeant la défenderesse à le consulter avant d’abolir les postes de quatre fonctionnaires une fois donné l’avis de négocier collectivement - la Commission a conclu que cette obligation ne s’appliquait pas à la défenderesse à la date de la présentation de la plainte. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-11-24
  • Dossier:  561-32-189 and 561-32-192
  • Référence:  2008 CRTFP 98

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

plaignant

et

AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS

défenderesse

Répertorié
Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence canadienne d'inspection des aliments

Affaire concernant des plaintes visées à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, commissaire

Pour le plaignant:
Christopher Rootham, avocat

Pour la défenderesse :
Karen Clifford, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 26 au 29 août 2008.

I. Plaintes devant la Commission

1 Le 18 octobre 2007, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (le « plaignant ») a déposé deux plaintes à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») contre l’Agence canadienne d’inspection des aliments (la « défenderesse »). La première plainte a été déposée en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). La seconde plainte a été déposée en vertu de l’alinéa 190(1)c) de la Loi. Puisque les deux plaintes ont comme source une même série de faits, la Commission les a entendues ensemble.

2 Dans la première plainte, le plaignant allègue que la défenderesse a aboli les postes de quatre fonctionnaires à la suite de griefs de classification présentés par ces derniers, en contravention des sous-alinéas 186(2)a)(i) et (iii) de la Loi. La décision d’abolir ces postes serait la conséquence directe de l’exercice de leurs droits par ces fonctionnaires et de leur implication syndicale.

3 Dans la seconde plainte, le plaignant allègue que la défenderesse n’a pas respecté l’obligation que lui impose l’article 107 de la Loi de maintenir les conditions d’emploi des fonctionnaires dans l’unité de négociation de ce que les parties appellent le Groupe scientifique et analytique (l’« unité de négociation ») après que l’avis de négocier ait été envoyé vers le 23 février 2007. Le manquement à cette obligation serait survenu lorsque la défenderesse a aboli les postes de quatre fonctionnaires et lorsqu’elle n’a pas respecté les stipulations de l’appendice « B » (Transition en matière d’emploi) de la convention collective conclue le 1er septembre 2005 entre les parties à l’égard de l’unité de négociation (la « convention collective »).

4 Même si le fardeau de la preuve incombe au plaignant à l’égard de la première plainte, en vertu du paragraphe 191(3) de la Loi, et à la défenderesse à l’égard de la seconde, les parties ont convenu que la preuve sur les deux plaintes serait présentée en même temps.

II. Résumé de la preuve

A. Pour la défenderesse

5 La défenderesse a déposé 16 pièces lors de l’audience et a appelé comme témoins Ange-Aimée Deschenes, directrice exécutive associée de la défenderesse pour la région du Québec, ainsi que Claudia Pasters, gestionnaire des ressources humaines de la défenderesse pour la région du Québec.

6 Au cours de l’année 2006, à une date qui n’a pas été précisée lors de l’audience, la défenderesse a décidé de réviser sa structure opérationnelle pour la région du Québec. Le but de cette révision était, entre autres choses, d’harmoniser la structure de la région du Québec avec celles des autres régions en plus de rendre la structure de la Division des végétaux conforme à celle de la Division des aliments.

7 Un des effets de la nouvelle structure a été de créer trois postes additionnels de gestionnaires de l’inspection pour les végétaux. Les trois postes, de classification IM (« Inspection Manager ») et exclus de l’unité de négociation, ont été affectés aux bureaux de Montréal-Est, de Québec et de St-Hyacinthe. Il y a aussi eu trois postes de classification AG-03 maintenus au lieu des quatre existants avant la restructuration. Ces postes sont ceux dont il est question dans les plaintes. Au moment de l’annonce de la restructuration, les postes étaient classifiés aux groupe et niveau AG-03. Cependant, des griefs de classification ont été déposés en octobre 2001 par trois des quatre fonctionnaires occupant ces postes. Au terme d’un long processus sur lequel je reviendrai plus loin, les postes ont été reclassifiés au niveau AG-04 le 7 février 2007.

8 Les postes AG-03 (devenus AG-04 en février 2007) de la nouvelle structure et ceux de l’ancienne sont différents. En effet, les nouveaux postes AG-03 ont des responsabilités plus limitées que les anciens postes AG-03 et ne comprennent pas la responsabilité de supervision des employés de soutien technologique et scientifique.

9 En octobre 2006, des réunions ont eu lieu dans les divers bureaux de la défenderesse dans la région du Québec pour annoncer la restructuration, avec documents à l’appui. L’échéancier prévu a aussi été fourni. Il a alors été expliqué qu’il était possible qu’à la suite de la restructuration un AG-03 devienne surplus à l’effectif s’il ne se qualifiait pour les postes de IM. Dans une telle éventualité, les fonctionnaires visés bénéficieraient d’une protection salariale.

10 Parmi les quatre postes AG-03 (devenus AG-04 en février 2007) visés par la réorganisation, se trouvaient deux représentants syndicaux, soit Jacques Audette et Georges Laplante. Mme Deschenes a affirmé que la réorganisation ne visait aucunement ces postes en particulier, mais plutôt l’harmonisation des structures, et que la décision de procéder à la restructuration n’avait rien à voir avec les griefs de classification soumis ou les activités syndicales de ces deux fonctionnaires.

11 En décembre 2006, la défenderesse a nommé un nouveau directeur exécutif pour la région du Québec. Les AG-03 étaient préoccupés par la restructuration et ils en ont informé le nouveau directeur exécutif. Ce dernier a décidé de prendre un certain temps de réflexion à l’égard au projet dont la mise en œuvre a été retardée. À la fin décembre 2007, les nouveaux postes IM ont été affichés. La date de fermeture était le 11 janvier 2008. Les titulaires des postes AG-03 qui seraient abolis ont postulé pour les postes IM et leurs candidatures ont été retenues à la première étape du processus de sélection puisqu’ils possédaient de l’expérience dans la gestion des végétaux. À l’exception de l’un d’entre eux, ils ont cependant échoué au test « in-basket » administré par le Centre de psychologie de la Commission de la fonction publique (CFP). À la fin du processus de sélection, le fonctionnaire qui a réussi le test a été nommé à un des postes IM.

12 Le 20 juin 2008, M. Audette et M. Laplante ont reçu des lettre les informant qu’ils étaient déclarés excédentaires et que l’appendice « B » de la convention collective s’appliquait. Comme solution transitoire, les deux fonctionnaires sont encore rémunérés au niveau AG-04, mais exécutent les fonctions des nouveaux postes AG-03 qui ont été créés.

B. Pour le plaignant

13 Le plaignant a déposé 21 pièces à l’audience et a appelé comme témoins M. Audette et M. Laplante, tous deux agronomes régionaux de la défenderesse et aussi membres actifs du plaignant.

14 Depuis août 2006, M. Audette est déchargé de ses fonctions habituelles pour assumer la responsabilité de l’équipe du nématode doré, un phytoravageur de la pomme de terre. Il a commencé sa carrière à Agriculture Canada, puis s’est joint à la défenderesse lors de la création de cette dernière en 1997. M. Audette est impliqué dans les affaires du plaignant depuis plusieurs années. Entre l’automne 2001 et la fin 2006, il a occupé la fonction de président de l’unité de négociation. Il est encore membre de l’exécutif mais n’assume plus la présidence. Avant la restructuration, M. Audette occupait un poste d’agent régional à la production et protection des végétaux.

15 Tout comme M. Audette, M. Laplante occupait lui aussi un poste d’agent régional à la production et protection des végétaux avant la restructuration. Il a lui aussi été déchargé de son poste pour une période de deux ans pour occuper un poste d’officier principal dans le dossier du nématode doré. M. Laplante a commencé sa carrière à Agriculture Canada, puis s’est joint à la défenderesse lors de la création de cette dernière en 1997. L’implication de M. Laplante auprès du plaignant a commencé en 1992. Depuis quelques années, il est vice-président de l’unité de négociation pour la région du Québec.

16 En octobre 2001, M. Audette, M. Laplante et un de leurs collègues ont déposé des griefs de classification revendiquant une révision à la hausse de la classification de leurs postes AG-03. Il s’est ensuivi une longue saga juridique qui s’est dénouée en février 2007 par une reclassification rétroactive à 1999 au niveau AG-04.

17 À la suite des griefs de 2001, un premier comité de classification a conclu en septembre 2002 que les postes étaient correctement classifiés au niveau AG-03. Le plaignant a porté cette décision en contrôle judiciaire en octobre 2002. En février 2003, le plaignant et la défenderesse se sont entendus pour que la classification des postes soit évaluée par un nouveau comité de classification. En mai 2003, le nouveau comité a confirmé la décision du premier comité voulant que les postes étaient correctement classifiés au niveau AG-03.

18 En juin 2003, le plaignant a déposé une nouvelle demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale eu égard aux conclusions du second comité de classification. Dans sa décision du 30 septembre 2004, la Cour fédérale a ordonné qu’un nouveau comité de classification soit mis sur pied pour étudier les griefs. Un troisième comité de classification a donc été mis sur pied. Il a rendu sa décision le 30 novembre 2004, confirmant la décision des deux premiers comités voulant que les postes étaient correctement classifiés au niveau AG-03. En décembre 2004, le plaignant a déposé une troisième demande de contrôle judiciaire. La Cour a entendu l’affaire le 29 mars 2006 et a suggéré aux parties d’essayer d’en arriver à une entente hors cour. Le 24 octobre 2006, le plaignant et la défenderesse se sont entendus pour que la classification des postes soit examinée par un nouveau comité, le quatrième. Ce dernier comité a rendu sa décision le 7 février 2007, concluant que les postes étaient mal classifiés et qu’ils devraient être reclassifiés au niveau AG-04.

19 La première fois que M. Audette et M. Laplante ont entendu parler de la restructuration a été lors d’une réunion de la défenderesse dans la région du Québec en octobre 2006. Tous les fonctionnaires directement affectés par la réorganisation étaient présents. Une autre réunion sur le sujet a eu lieu en décembre 2006. Puis, en janvier 2007, M. Audette et M. Laplante ont rencontré le nouveau directeur exécutif pour la région du Québec et ils ont profité de l’occasion pour lui faire part de leurs préoccupations. À la suite de cette dernière rencontre, le directeur exécutif a décidé de retarder le projet. Enfin, une autre rencontre avec le directeur exécutif pour la région du Québec a eu lieu dans un restaurant au printemps 2007.

20 En septembre 2007, à une rencontre à laquelle M. Audette et M. Laplante assistaient, la défenderesse a présenté officiellement la nouvelle structure qui serait mise en place. C’est lors de cette rencontre qu’ils ont appris officiellement que leurs postes seraient éventuellement abolis. Les déclarations de statut excédentaire n’ont cependant pas été reçues que le 20 juin 2008.

21 Selon M. Audette et M. Laplante, il y a une relation de cause à effet entre leurs griefs de classification et la décision de la défenderesse de restructurer la région du Québec pour abolir leurs postes AG-04. Même si la décision du dernier comité de classification n’était pas connue au moment où la défenderesse a décidé de restructurer, le Cour fédérale avait statué plus d’une fois sur le sujet. Cette dernière avait aussi ordonné aux parties de tenter de régler le problème. Tout indiquait donc que la reclassification au niveau AG-04 n’était qu’une question de temps. M. Audette et M. Laplante avaient demandé à la défenderesse d’attendre la décision du quatrième comité de reclassification avant de prendre la décision de restructurer, mais elle a refusé de le faire.

22 M. Audette et M. Laplante ont témoigné, dans des termes un peu différents, que toute cette histoire leur a laissé un goût amer. Ils se sont impliqués dans les affaires du plaignant, se sont battus pendant plusieurs années pour que leur droit à une classification juste soit respecté, ont senti la pression au cours de ces années, ont finalement eu gain de cause, mais, en bout de ligne, ont perdu leurs postes et les responsabilités qu’ils avaient.

23 En contre-interrogatoire, M. Audette n’a pu affirmer que Mme Deschesnes a menti en déclarant que la restructuration n’avait rien à voir avec les griefs de classification ou ses activités syndicales et celles de M. Laplante. C’est plutôt la séquence des événements qui le laisse perplexe.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la défenderesse

24 Eu égard à la première plainte déposée en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi, la défenderesse allègue que la restructuration de la région du Québec n’avait strictement rien à voir avec le fait que des griefs de classification avaient été déposés ou que M. Audette et M. Laplante étaient des membres actifs du plaignant. Aucune preuve n’a été présentée pour supporter la théorie avancée par le plaignant. Les témoins de la défenderesse ont nié cette théorie. En contre-interrogatoire, M. Audette ne pouvait affirmer sous serment que Mme Deschesnes mentait en niant cette théorie.

25 Le témoignage de Mme Deschenes sur les motifs de la restructuration de la région du Québec et les dates où elle s’est faite n’a pas été contredit par le plaignant et ses témoins. La restructuration répondait à des impératifs de gestion visant à uniformiser la structure de gestion des végétaux avec celles des autres divisions de la région du Québec et avec celle des autres régions de la défenderesse. Les documents déposés en preuve supportent aussi le témoignage de Mme Deschenes.

26 La restructuration a affecté plus particulièrement les quatre AG-04 en poste, et non seulement M. Audette et M. Laplante. Si l’objectif était de prendre des mesures de représailles contre ces deux fonctionnaires, ce sont eux seulement qui auraient été visés. De plus, la défenderesse n’aurait pas attendu six ans avant d’agir, les griefs ayant été déposés en 2001.

27 La restructuration a aussi créé des possibilités de promotion dans le groupe IM pour M. Audette et M. Laplante. La défenderesse contrôlait une partie du processus de sélection, l’autre ayant été confiée à la CFP pour les tests « in-basket ». Lorsque la défenderesse a ouvert les concours, elle a exigé de l’expérience dans la gestion des végétaux, ce que M. Audette et M. Laplante possédaient. Cette exigence les favorisait par rapport à d’autres candidats. Leurs candidatures ont donc été retenues à l’étape de la présélection. M. Audette et M. Laplante ont tous deux échoué le test « in-basket » qui a été administré dans sa totalité par la CFP. La défenderesse n’a eu aucun contrôle là-dessus.

28 Eu égard à la seconde plainte déposée en vertu de l’alinéa 190(1)c) de la Loi, la défenderesse a rappelé que l’article 107 implique qu’elle doit, après que l’avis de négocier a été donné, respecter les conditions d’emploi en vigueur. La défenderesse a respecté ses obligations. Elle a appliqué et respecté la convention collective, plus particulièrement son appendice « B ».

29 Comme la preuve l’a démontré, il y a eu plusieurs rencontres entre la haute direction et les fonctionnaires concernés tout au long du processus de restructuration. Il y a aussi eu des rencontres avec l’agent négociateur et ses représentants, dont une impliquant M. Audette et M. Laplante.

30 Le plaignant a le fardeau de démontrer que l’appendice « B » de la convention collective n’a pas été respecté. Or, une telle preuve n’a pas été faite et la plainte doit être rejetée.

31 À l’appui de ses arguments, la défenderesse a soumis les décisions suivantes : Association des pilotes fédéraux du Canada c. Conseil du Trésor, 2006 CRTFP 86; Association canadienne du contrôle du trafic aérien c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 148-02-149 (19890119); Syndicat des travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 1973 c. Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes, dossier de la CRTFP 148-18-114 (19860404); UCCO-SACC-CSN c. Conseil du Trésor, 2004 CRTFP 38; Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2006 CRTFP 29; Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale et section locale 147 de l’Association nationale des travailleurs correctionnels fédéraux c. Service correctionnel du Canada, 2006 CRTFP 76.

B. Pour le plaignant

32 Le fardeau de la preuve à l’égard de la plainte déposée en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi incombe à la défenderesse. La jurisprudence est claire en ce sens. La défenderesse doit prouver que ses actions et ses décisions n’avaient pas pour but de prendre des mesures de représailles contre M. Audette et M. Laplante. Ce n’est pas au plaignant de prouver le contraire.

33 Sur cette dernière question, la défenderesse n’a pas satisfait à son fardeau de preuve. Elle n’a pas démontré que la restructuration amène une harmonisation complète des structures de gestion, ni dans la région du Québec, ni avec les autres régions. Elle n’a pas non plus déposé de preuve directe sur les avantages de la restructuration. Tout ce qui a été présenté par la défenderesse fut à l’effet qu’elle voulait harmoniser ses structures.

34 Pour ce qui est du motif de procéder à une réorganisation pour donner des possibilités de promotion aux titulaires de postes AG-04, la preuve a plutôt démontré que la restructuration a provoqué l’abolition des postes. Qui plus est, dans le passé, lorsque des postes étaient convertis au groupe IM, les titulaires des anciens postes étaient automatiquement nommés au groupe IM. Ce n’est pas ce qui a été fait dans le présent cas, et la défenderesse n’a pas respecté ses pratiques passées.

35 Au moment d’amorcer la restructuration, il était clair, à la suite des décisions de la Cour fédérale, que les postes de M. Audette et de M. Laplante seraient reclassifiés du niveau AG-03 au niveau AG-04. Mme Deschenes, qui a témoigné pour la défenderesse, n’est pas la personne qui a décidé de restructurer. Elle s’est plutôt jointe au projet, une fois la décision prise. Ceux qui ont pris la décision de restructurer n’ont pas témoigné et les documents initiaux, les études ou les notes de service sur le projet de réorganisation n’ont pas été présentés en preuve lors de l’audience.

36 La défenderesse a présenté de la preuve à l’effet qu’à la suite de la restructuration, M. Audette et M. Laplante n’ont subi aucune perte parce que leur salaire de AG-04 est protégé. Ils ont subi par contre une perte au niveau de leurs tâches, car ils auront dorénavant à faire du travail de AG-03, dont l’étendue des responsabilités est moindre que ce qu’impliquait leur travail de AG-04. Cela a aussi un impact négatif sur le plaignant et ses membres, qui hésiteront dans le futur à exercer leurs droits par crainte de représailles de la part de la défenderesse.

37 Sur l’obligation de maintenir les conditions d’emploi après que l’avis de négocier a été donné, le plaignant a soutenu que la défenderesse, au moment du dépôt de la plainte, n’avait pas commencé à appliquer l’appendice « B » de la convention collective. Pourtant, elle aurait déjà dû l’avoir fait. C’est pourquoi une plainte a été déposée en vertu de l’alinéa 190(1)c) de la Loi. Plus particulièrement, la stipulation 1.1.10 de cet appendice n’a pas été respectée, car les représentants de l’agent négociateur n’ont pas été consultés dès que la décision de restructurer a été prise.

38 À l’appui de ses arguments, le plaignant a soumis les décisions suivantes : Noreau c. Société Radio-Canada (1978), 31 di 144 (C.C.R.T.); Canadian Union of Public Employees, Local 94 c. The Corporation of the City of North York, [1995] OLRB Rep. September 1170; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Commission de la capitale nationale et al., dossiers de la CRTFP 148-29-218 et 161-29-761 (19951016); Syndicat national des travailleurs et travailleuses de l’automobile c. Air Atlantic Limited (1986), 68 di 30 (C.C.R.T.); Guay c. Cablevision du Nord de Québec Inc., Val d’Or (Québec) (1988), 73 di 173 (C.C.R.T.); Carr c. Halifax Grain Elevator Limited (1991), 86 di 97 (C.C.R.T.); Dionne c. Conseil de la Nation huronne-wendat (1998), 107 di 29 (C.C.R.T.).

IV. Motifs

39 Afin de trancher les deux plaintes dont il est ici question, les articles suivants de la Loi doivent être examinés :

          190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

c) l’employeur, l’agent négociateur ou le fonctionnaire a contrevenu à l’article 107 (obligation de respecter les conditions d’emploi);

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

[…]

          107. Une fois l’avis de négociation collective donné, […] les parties, y compris les fonctionnaires de l’unité de négociation, sont tenues de respecter chaque condition d’emploi qui peut figurer dans une convention collective et qui est encore en vigueur au moment où l’avis de négocier a été donné, et ce, jusqu’à la conclusion d’une convention collective comportant cette condition ou :

a) dans le cas où le mode de règlement des différends est le renvoi à l’arbitrage, jusqu’à ce que la décision arbitrale soit rendue;

b) dans le cas où le mode de règlement des différends est le renvoi à la conciliation, jusqu’à ce qu’une grève puisse être déclarée ou autorisée, le cas échéant, sans qu’il y ait contravention au paragraphe 194(1).

          185. Dans la présente section, «pratiques déloyales » s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

          186. (2) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, que ce dernier agisse ou non pour le compte de l’employeur

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité, ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

(i) elle adhère à une organisation syndicale ou en est un dirigeant ou représentant — ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire ou à le devenir —, ou contribue à la formation, la promotion ou l’administration d’une telle organisation,

[…]

(iii) elle a soit présenté une demande ou déposé une plainte sous le régime de la présente partie, soit déposé un grief sous le régime de la partie 2,

[…]

40 D’entrée de jeu, les parties ont admis que le fardeau de la preuve incombe à la défenderesse à l’égard de la plainte déposée en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi, qui allègue une violation des sous-alinéas 186(2)a)(i) et (iii). La défenderesse doit donc présenter une preuve prépondérante voulant qu’elle ne se soit pas livrée à une telle pratique déloyale.

41 La défenderesse a présenté une telle preuve en expliquant, témoignages et documents à l’appui, qu’elle a réorganisé la structure de gestion des végétaux dans la région du Québec pour l’harmoniser avec ses autres structures de gestion, de sorte que ses divisions soient gérées par des titulaires de postes IM. La défenderesse n’avait pas à prouver que l’harmonisation était essentielle au bon fonctionnement des opérations de protection ou production des végétaux dans la région du Québec, qu’elle était plus efficace ou efficiente ou encore que c’était la seule option de structure possible.

42 La défenderesse devait prouver qu’elle avait des raisons d’affaires pour restructurer la région du Québec et elle l’a fait. Elle devait aussi démontrer que la restructuration n’avait rien à voir avec les griefs de classification déposés par M. Audette et M. Laplante ou avec leur implication syndicale. Le témoignage de Mme Deschenes était clair : la restructuration n’avait rien à voir avec ces éléments. On cherchait plutôt à harmoniser les structures de gestion. Ce témoignage n’a d’ailleurs pas été contredit.

43 Le plaignant n’a présenté aucune preuve pour contredire la preuve de la défenderesse. Certes, il aurait été intéressant que la défenderesse soumette en preuve les documents de discussion qui ont mené au projet de restructuration. Elle ne l’a pas fait et je ne crois pas que cela était essentiel. D’ailleurs, le plaignant n’a pas demandé, lors du contre-interrogatoire des témoins de la défenderesse, si de tels documents existaient et le point n’a été soulevé que lors de l’argumentation.

44 Comme l’a souligné la défenderesse, la restructuration de la région du Québec offrait des possibilités de promotion pour les quatre titulaires de postes AG-04 en créant trois postes IM. Un des postes IM a d’ailleurs été comblé par un des trois titulaires de postes AG-04 qui avait déposé un grief de classification en 2001. La défenderesse n’a pas éliminé M. Audette et M. Laplante du processus de sélection. Ils ont plutôt échoué le test « in-basket » administré par la CFP et sur lequel la défenderesse n’avait aucun contrôle.

45 J’adhère aussi à la thèse de la défenderesse quant à l’explication fournie sur la séquence des événements. Le projet de restructuration a été annoncé aux fonctionnaires à la fin octobre 2006. Les griefs de classification avaient été déposés en octobre 2001. Entre 2002 et 2006, de nouveaux comités de classification ont été mis en place et le plaignant a présenté à la Cour fédérale des demandes de contrôle judicaire à l’égard des décisions qu’ils ont rendues. La dernière décision de la Cour fédérale remonte à mars 2006. Le 24 octobre 2006, les parties se sont entendues pour mettre sur pied un quatrième comité de classification pour réviser la classification des postes. Ce dernier comité a rendu sa décision le 7 février 2007. On ne peut conclure de cette séquence d’événements une relation de cause à effet entre la reclassification des postes et la décision de restructurer la région du Québec. Cette dernière décision a d’ailleurs été prise bien avant la décision de reclassifier les postes de M. Audette et de M. Laplante.

46 J’en conclus que la plainte déposée en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi est non fondée. La preuve présentée par la défenderesse est suffisante pour me convaincre que sa décision de restructurer la région du Québec n’a pas été prise comme représailles à l’exercice du droit de présenter des griefs ou à l’implication de M. Audette et M. Laplante dans les activités du plaignant.

47 Eu égard à la plainte déposée en vertu de l’alinéa 190(1)c) de la Loi, le plaignant devait prouver que la défenderesse n’a pas respecté les conditions d’emploi en vigueur après que l’avis de négocier a été donné vers le 23 février 2007. Cette plainte porte plus particulièrement sur le non-respect de l’appendice « B » de la convention collective lors de la restructuration de la région du Québec. Selon la défenderesse, au moment du dépôt de la plainte, elle n’avait pas commencé à appliquer cet appendice et n’avait pas consulté le plaignant. La stipulation 1.1.10 de cet appendice n’aurait ainsi pas été respectée.

48 Pour trancher la plainte, je dois tout d’abord examiner les stipulations suivantes de l’appendice « B » de la convention collective :

[…]

Définitions

[…]

Transition en matière d’emploi (employment transition) – Situation qui se produit lorsque le président ou la présidente décide que les services d’un ou de plusieurs employés nommés pour une période indéterminée ne seront plus requis au-delà d’une certaine date en raison d’un manque de travail ou de la cessation d’une fonction à l’Agence. Les raisons pour lesquelles de telles situations se produisent comprennent, sans s’y limiter, les raisons indiquées ci-dessus, sous la rubrique « Politique ».

[…]

1.1.10

L’Agence informe et consulte le plus possible les représentants de l’agent négociateur dans les cas de transition en matière d’emploi, dès que la décision a été prise et tout au long du processus. Elle communique à l’agent négociateur le nom et le lieu de travail des employés touchés.

[…]

49 La preuve présentée révèle qu’à partir d’octobre 2006, la défenderesse a tenu plusieurs rencontres avec les fonctionnaires visés, incluant M. Audette et M. Laplante, eux-mêmes représentants du plaignant. À la suite de ces discussions, le nouveau directeur exécutif de la région du Québec avait d’ailleurs décidé de retarder la restructuration.

50 Le plaignant n’a pas réussi à prouver que la défenderesse a enfreint la convention collective. Qui plus est, la décision de déclarer que les services de M. Audette et M. Laplante n’étaient plus requis ne leur a été communiquée que le 20 juin 2008. Certes, cette décision a été prise plus tôt mais, selon la preuve, elle ne l’était certainement pas au moment où la plainte a été déposée, en octobre 2007. La défenderesse n’était pas alors confrontée à des cas de transition en matière d’emploi, tel que défini par l’appendice « B » de la convention collective. La défenderesse ne pouvait donc, à cette époque, avoir enfreint une obligation qu’elle n’avait pas encore.

51 J’en conclus que la plainte déposée en vertu de l’alinéa 190(1)c) de la Loi est non fondée. La preuve présentée par le plaignant est insuffisante pour me convaincre que la défenderesse n’a pas respecté les obligations que lui imposait l’article 107 de la Loi.

52 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

53 Les plaintes sont rejetées.

Le 24 novembre 2008.

Renaud Paquet,
commissaire

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