Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a formulé des allégations d’abus de pouvoir à l’encontre de l’intimé au motif que celui-ci avait choisi un processus de nomination non annoncé afin de prolonger la nomination intérimaire de plusieurs candidats. Le plaignant a affirmé que l’intimé n’a pas suivi les lignes directrices ministérielles régissant le choix d’un processus non annoncé; que l’intimé a abusé de son pouvoir par l’élimination de la candidature du plaignant au motif que ce dernier ne possédait pas la qualification relative aux études, et que l’intimé a fait preuve de mauvaise foi pour n’avoir pas avisé les personnes faisant partie de la zone de sélection des nominations effectuées et de leur droit de porter plainte. L’intimé a fait valoir qu’il avait suivi les lignes directrices du ministère et fourni une justification raisonnable pour le choix du processus non annoncé; que la candidature du plaignant n’avait pas été retenue parce qu’il ne possédait pas la qualification relative aux études. L’intimé a admis que c’était une erreur de ne pas émettre un avis de droit de recours, mais il a soutenu que cette erreur avait été corrigée par le fait que le Tribunal avait exercé sa compétence et accordé au plaignant le droit de porter plainte. Décision : Le Tribunal a jugé que les éléments de preuve produits corroboraient la justification du choix du processus non annoncé, à savoir qu’il s’agissait de rattraper le retard. D’après les preuves de l’intimé et l’aveu du plaignant, ce dernier ne possédait pas la qualification relative aux études. Enfin, il n’était pas nécessaire que le Tribunal se prononce sur la prétendue lacune concernant l’avis puisque celle-ci a été comblée par la décision du Tribunal de statuer que le plaignant avait le droit de porter plainte. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier:
2006-0102
Rendue à:
Ottawa, le 4 février 2008

PAUL CHAVES
Plaignant
ET
LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d'abus de pouvoir en vertu de l'alinéa 77(1)b) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est rejetée
Décision rendue par:
Francine Cabana, membre
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Chaves c. Commissaire du Service correctionnel du Canada et al.
Référence neutre:
2008 TDFP 0003

Motifs de la décision

Introduction

1 Le plaignant, Paul Chaves, a présenté une plainte au motif qu’il n’a pas été nommé ni proposé en vue d’une nomination au poste d’agent de libération conditionnelle en raison d’un abus de pouvoir de la part de l’intimé, le Commissaire du Service correctionnel du Canada. Le plaignant affirme qu’il y a eu abus de pouvoir dans le choix d’un processus de nomination non annoncé et dans l’application des critères de mérite relatifs au poste.

Contexte

2 En octobre 2005, l’intimé a mené un processus de nomination non annoncé visant la dotation de postes intérimaires d’agent de libération conditionnelle (WP-04). Une lettre d’intérêt a été envoyée aux employés à cet égard. Environ 15 personnes ont manifesté leur intérêt, dont le plaignant. Comme il y avait plus de personnes intéressées que de postes disponibles, on a décidé d’évaluer les candidats en fonction de l’énoncé des critères de mérite et de recommander les sept candidats ayant obtenu les meilleurs résultats en vue d’une nomination.

3 Sept personnes ont été nommées à titre intérimaire d’octobre 2005 à avril 2006. Deux de ces candidats avaient déjà été nommés à un poste intérimaire en août 2005. Leur nomination constituait donc en fait une prolongation de leur nomination intérimaire initiale. En août 2006, les sept nominations intérimaires ont été prolongées jusqu’au 30 novembre 2006.

4 Le plaignant n’a pas été considéré comme qualifié et n’a donc pas été proposé en vue d’une nomination. Le 31 août 2006, le plaignant a présenté une plainte au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en vertu de l’alinéa 77(1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP).

5 Le 21 mars 2007, le Tribunal a rendu une décision concernant une demande d’ordonnance de communication de renseignements. Dans le cadre de cette affaire, le Tribunal a également statué sur une question de compétence qui avait été soulevée par l’intimé. Le Tribunal a établi qu’il avait compétence pour instruire la plainte de M. Chaves concernant la nomination intérimaire de J. Rutley, K. White, M. Tudor, K. Patterson, A. Vanhorn et L. Flanagan et pour statuer sur celle‑ci, et il a ordonné la communication de renseignements à cet égard.

Résumé de la preuve pertinente

6 Dans son témoignage, le plaignant a expliqué que sa carrière au sein du Service correctionnel du Canada avait débuté en novembre 1991. Il occupe actuellement un poste d’agent des programmes sociaux au groupe et au niveau WP-03. À la suite d’un processus de sélection précédent, il a exercé les fonctions du poste d’agent de libération conditionnelle à titre intérimaire à deux reprises : en 1994, pendant une période de quatre mois, et de juillet 2004 à septembre 2005.

7 En septembre 2005, le plaignant a été informé que sa nomination intérimaire devait prendre fin. Il a alors été avisé que, conformément aux lignes directrices ministérielles énoncées dans le Bulletin sur les nominations intérimaires (le Bulletin), sa nomination par intérim devait prendre fin parce qu’il exerçait les fonctions à titre intérimaire depuis plus de 12 mois. À cette époque, le plaignant a accepté cette explication.

8 Le 13 octobre 2005, le plaignant a envoyé un courriel à la gestionnaire de l’unité par intérim, Mme Caroline Rueberer, pour l’informer qu’il souhaitait encore que sa candidature soit prise en considération pour d’autres nominations intérimaires à des postes d’agent de libération conditionnelle.

9 Le plaignant a affirmé qu’on ne l’a pas informé des motifs pour lesquels sa candidature n’avait pas été prise en considération, pas plus qu’on ne l’a avisé de la tenue d’un processus de nomination non annoncé. Ce n’est qu’après coup qu’il a connu l’existence de ce processus, une fois que les personnes avaient commencé à exercer leurs fonctions à titre intérimaire. Le plaignant a également affirmé qu’il n’y avait eu aucune notification concernant les nominations au terme du processus de nomination non annoncé et qu’aucun droit de porter plainte au Tribunal n’avait été mentionné.

10 Au cours du contre-interrogatoire, lorsqu’on lui a demandé s’il estimait qu’il y avait eu mauvaise foi ou favoritisme personnel, le plaignant a répondu qu’il était difficile pour lui de se prononcer sur cette question. Il a ajouté qu’il avait observé certaines tendances en ce qui a trait aux nominations intérimaires et que ces tendances pourraient constituer une preuve d’abus de pouvoir.

11 Pour ce qui est du favoritisme, le plaignant a répondu que les lignes directrices ministérielles concernant les nominations intérimaires n’avaient pas été appliquées aussi rigoureusement pour les autres candidats qu’elles l’avaient été dans sa situation.

12 Le plaignant a affirmé que les actions elles-mêmes s’apparentaient à de la mauvaise foi et à du favoritisme personnel. Les motifs fournis (c.-à-d. la continuité et l’expérience) pour expliquer la prolongation des nominations intérimaires étaient injustes dans un contexte où le plaignant présentait une candidature intéressante pour cette nomination compte tenu de sa grande expérience à titre d’agent de libération conditionnelle, poste qu’il avait occupé pendant plus d’un an.

13 M. Bruce Somers, directeur par intérim, a affirmé qu’il occupait le poste de sous‑directeur de l’établissement de Millhaven depuis juin 2006. Il a expliqué que ses principales responsabilités consistaient à diriger les opérations générales, la gestion des cas et la sécurité à l’établissement.

14 M. Somers a expliqué qu’à son arrivé en juin 2006, on lui avait donné le mandat clair de rattraper le retard dans l’élaboration des plans correctionnels et d’atteindre le taux de conformité de 100 p. 100. Il est essentiel de compléter les plans correctionnels à temps afin de pouvoir gérer le placement des détenus. Le défaut de mesures entraîne des conséquences; par exemple, les détenus pourraient être amenés à prolonger leur séjour à l’établissement de Millhaven et il pourrait y avoir des pénuries de lits sur une base quotidienne ainsi que des retards relatifs à la prise de mesures correctionnelles et à la libération des détenus. M. Somers a également indiqué qu’il existait une autre conséquence grave associée au défaut d’atteindre le taux de conformité de 100 p. 100 : le ministère est alors incapable de réaliser son mandat par suite d’une non-réinsertion du détenu dans la société pour cause de lacunes des programmes; celui-ci demeure incarcéré plus longtemps, faute d’admission dans le système en temps opportun.

15 M. Somers a expliqué le choix du processus de nomination non annoncé. Il a fait référence à la lettre du directeur en date d’août 2006, dans laquelle ce dernier expliquait pourquoi les nominations initiales avaient été effectuées : l’organisation avait un retard à rattraper et risquait de ne pas avoir suffisamment de cellules pour loger les nouveaux détenus provenant de l’Ontario. Le directeur a donc élaboré un plan d’action dans le cadre duquel il a déterminé que le maintien des ressources supplémentaires permettrait de diminuer les retards et d’assurer à temps l’exécution des plans.

16 M. Somers a également indiqué que la même justification avait été utilisée pour expliquer la décision d’avoir recours à un processus non annoncé visant la prolongation des nominations intérimaires, étant donné que les mêmes circonstances s’appliquaient. Il a ajouté que la date à laquelle il fallait avoir atteint une entière conformité avait été fixée à novembre 2006.

17 M. Somers a expliqué que le fait de remplacer les personnes occupant les postes intérimaires par d’autres personnes aurait eu une grande incidence sur l’atteinte de cet objectif, car il aurait fallu prévoir environ quatre mois avant que les nouveaux employés soient en mesure d’exercer toutes les fonctions de leur poste. Il a ajouté qu’en juin, il était devenu primordial de maintenir la cadence en vue de rattraper le retard à temps étant donné que les titulaires des postes atteignaient leurs objectifs en ce qui a trait au nombre de cas réglés.

18 Enfin, M. Somers a indiqué qu’il n’avait pas fait preuve de favoritisme car il ne connaissait aucun des candidats et qu’il avait décidé de prolonger les nominations intérimaires pour des raisons opérationnelles seulement, de façon à assurer le respect de l’échéance de novembre 2006.

19 Dans son témoignage, Mme Caroline Rueberer a expliqué les raisons pour lesquelles elle avait mené un processus non annoncé et la façon dont elle avait procédé à cet égard.

20 En octobre 2005, Mme Rueberer est devenue la gestionnaire de l’unité d’évaluation de Millhaven à titre intérimaire. Sa responsabilité principale consiste à s’occuper du fonctionnement général de l’unité d’évaluation initiale. En particulier, elle est responsable de la sécurité et de la gestion des cas des détenus. Elle supervise environ 140 personnes de diverses catégories : trente agents de libération conditionnelle, trois superviseurs de la gestion des cas, quatre membres du personnel administratif, quatre superviseurs du groupe CX, cent agents du groupe CX et un agent de liaison autochtone.

21 Mme Rueberer a indiqué qu’à son arrivée à l’unité, elle a reçu le mandat d’atteindre un taux de conformité de 100 p. 100 en ce qui a trait aux plans correctionnels. À cette époque, le taux de conformité était de 19 p. 100. Il n’y avait pas suffisamment d’agents de libération conditionnelle dans un contexte où le nombre de détenus augmentait. Celui‑ci était supérieur au nombre de lits disponibles.

22 Des ressources supplémentaires ont été octroyées de façon temporaire, et Mme Rueberer, à la fin du mois d’octobre ou au début du mois de novembre 2005, a envoyé une lettre d’intérêt aux employés afin de savoir si ceux-ci souhaitaient occuper un poste d’agent de libération conditionnelle à titre intérimaire. Elle n’arrivait pas à se rappeler exactement combien de personnes avaient manifesté leur intérêt. Comme elle savait que le plaignant s’était déjà montré intéressé, elle a décidé de tenir compte de sa candidature dans le cadre du processus non annoncé.

23 Mme Rueberer a évalué les candidats en fonction de l’énoncé des critères de mérite, plus particulièrement en fonction des critères suivants :

  • Études : diplôme universitaire en criminologie, en sociologie ou dans un domaine connexe;
  • Programme d’orientation;
  • Expérience : expérience de l’évaluation initiale des détenus;
  • Rendement : connaissance des divers problèmes de rendement;
  • Utilisation des congés.

[Traduction]

24 Mme Rueberer a expliqué que la candidature de certaines personnes avait été éliminée parce que celles-ci n’avaient pas suivi le programme d’orientation. Les candidats qui ne satisfaisaient pas à l’un des critères voyaient leur candidature éliminée à la présélection.

25 Mme Rueberer a affirmé que la candidature du plaignant avait été prise en considération dans le cadre de ce processus, mais que celle-ci avait été éliminée à la présélection parce que le plaignant ne satisfaisait pas au critère relatif aux études. Le plaignant ne possédait pas de diplôme universitaire en criminologie, en sociologie ni dans un domaine connexe. Selon le curriculum vitæ de ce dernier, le plaignant détient un diplôme universitaire en économie. Sa candidature ne pouvait donc pas être prise en considération pour la suite du processus et ne l’a pas été.

26 Le comité d’évaluation a identifié les sept personnes qui répondaient le mieux aux critères du poste. Le nom de ces personnes a été transmis au directeur, qui a confirmé ce choix et signé les lettres d’offre. Une fois les nominations confirmées, Mme Rueberer a expliqué qu’elle avait envoyé un courriel à toutes les personnes qui avaient manifesté leur intérêt afin de les informer des résultats. Elle a également confirmé qu’elle n’avait précisé aucun droit de recours en vertu de la LEFP dans son courriel.

27 En ce qui a trait aux prolongations des nominations, Mme Rueberer avait discuté avec le directeur et, afin d’atteindre l’objectif de conformité de 100 p. 100, il avait été décidé de ne pas effectuer de rotation pour ce qui est des nominations intérimaires. Une justification a été fournie au directeur quant au choix d’un processus de dotation non annoncé, et cette même justification a servi à appuyer la décision de ne pas effectuer de rotation dans les nominations intérimaires. De plus, il fallait également tenir compte du fait que les personnes mettaient quatre ou cinq mois avant d’atteindre leur pleine capacité et d’être en mesure d’exercer toutes les fonctions du poste. Le directeur a donc approuvé la prolongation des nominations intérimaires.

28 Mme Rueberer a également confirmé que toutes les nominations intérimaires avaient pris fin en novembre 2006, à l’exception d’une seule. Cette nomination intérimaire qui avait été prolongée visait à remplacer un congé. Cette possibilité a été offerte au plaignant à la condition qu’il travaille durant la période des Fêtes. Le plaignant a refusé cette offre.

29 Mme Rueberer a finalement affirmé que la possibilité de nomination intérimaire avait été offerte au plaignant car elle tentait de faire changer les critères relatifs aux études, mais sans succès.

30 Lorsqu’on a demandé à Mme Rueberer si elle avait fait preuve de favoritisme personnel dans le cadre de ce processus, elle a répondu par la négative et a indiqué qu’elle s’était fiée à l’évaluation du sous-directeur et des superviseurs. Elle ne connaissait aucun des candidats.

31 Mme Cornelia Biscaro a également témoigné. Mme Biscaro est la gestionnaire régionale du Renouvellement du personnel à l’administration régionale de Kingston depuis le 17 août 2005. Parmi ses responsabilités figurent la dotation, la classification, les programmes de ressources humaines liés à l’égalité d’accès à l’emploi et aux langues officielles, la planification des ressources humaines et les récompenses. Mme Biscaro a indiqué que sa participation au processus de dotation avait porté sur les nominations initiales de moins de quatre mois.

32 Mme Biscaro a expliqué que ce processus avait été mené comme s’il était régi par l’ancienne LEFP, c’est-à-dire qu’un droit d’appel avait été affiché plutôt qu’un droit de porter plainte en vertu de la LEFP. Elle a également affirmé avoir fait une erreur involontaire, car à l’époque, une certaine confusion régnait quant à l’application de la loi, et ce processus avait été mené conformément à l’ancienne loi plutôt qu’à la nouvelle.

33 Mme Biscaro a également confirmé qu’aucune notification n’avait été faite en vertu de la LEFP. Lorsqu’on lui a posé des questions concernant le fait qu’il n’y avait aucun droit d’appel à l’égard de certaines nominations, Mme Biscaro a répondu que toutes les mesures de dotation étaient appliquées au niveau régional. Par conséquent, il était possible que l’on ait omis de publier les avis. Dans l’esprit des personnes responsables, ce processus de dotation n’a jamais été traité comme un processus régi par la LEFP. Elles ont toujours considéré que ce processus était mené en vertu de l’ancienne LEFP, ce qui explique pourquoi aucun droit de porter plainte en vertu de la LEFP n’a été annoncé.

Questions en litige

34 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a choisi un processus de dotation non annoncé en vue de prolonger la nomination intérimaire de plusieurs personnes?
  2. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a éliminé la candidature du plaignant au motif que ce dernier ne satisfaisait pas à l’exigence relative aux études et qu’il ne possédait donc pas l’une des qualifications essentielles?
  3. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a omis d’envoyer une notification aux personnes faisant partie de la zone de sélection concernant les nominations effectuées et leur droit de porter plainte en vertu de la LEFP?

Question en litige I: L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a choisi un processus de dotation non annoncé en vue de prolonger la nomination intérimaire de plusieurs personnes?

Argumentation

A) Argumentation du plaignant

35 Le plaignant soutient que l’intimé était tenu de se conformer aux lignes directrices ministérielles régissant le choix d’un processus non annoncé. Ces lignes directrices figurent dans le Bulletin, qui contient une description du processus à suivre pour prolonger les nominations intérimaires au-delà d’un an. Le plaignant affirme que l’intimé doit fournir une justification par écrit, non seulement au sous-commissaire de la région, mais également à l’administration centrale.

36 À titre d’élément de preuve, le plaignant a produit une liste énumérant les personnes occupant un poste intérimaire et la période d’intérim dans chacun des cas. Le plaignant soutient que l’intimé n’a pas exercé la même rigueur dans l’application des lignes directrices ministérielles pour ces nominations qu’il l’a fait dans le contexte de sa nomination intérimaire. D’après le plaignant, il s’agit d’un cas d’abus de pouvoir et de favoritisme personnel.

B) Argumentation de l’intimé

37 L’intimé affirme que la décision de mettre fin à la nomination intérimaire du plaignant ne relève clairement pas de la compétence du Tribunal et qu’il ne s’agit pas de la question en litige en l’espèce.

38 L’intimé affirme que Mmes Somers et Rueberer ont expliqué le contexte dans lequel la décision a été prise et ont fourni une justification raisonnable à cet égard. Il affirme également qu’aucune preuve démontrant que l’intimé avait agi de façon « inacceptable » n’a été fournie. L’intimé soutient au contraire que ses deux témoins ont fait preuve de bonne foi et d’une volonté de réaliser le mandat de l’organisation qui consistait à atteindre le taux de conformité de 100 p. 100.

C) Argumentation de la Commission de la fonction publique

39 La Commission de la fonction publique (la CFP) indique qu’aux termes du paragraphe 15(3) de la LEFP, un employé ayant des préoccupations peut demander que l’administrateur général mène une enquête à cet égard. Bien que ce dernier ne soit pas tenu de mener une enquête à la suite de chaque demande reçue, il s’agit d’un mécanisme possible pour régler un problème survenu dans un processus de dotation. La CFP ajoute que son pouvoir de mener des enquêtes et de prendre des mesures correctives en vertu du paragraphe 67(1) de la LEFP a été délégué aux administrateurs généraux en vertu de l’article 15 de la LEFP.

40 Pour qu’une mesure prise dans le cadre d’un processus de nomination constitue un abus de pouvoir, il doit y avoir un refus délibéré d’une fonction officielle conjugué au fait de savoir que l’inconduite est vraisemblablement préjudiciable au plaignant. Il doit y avoir un élément d’intention comme la mauvaise foi ou le favoritisme personnel.

Analyse

41 La plainte a été présentée en vertu des alinéas 77(1)a) et 77(1)b) de la LEFP. Le paragraphe 77(1) de la LEFP est libellé comme suit :

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

b) abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas;

c) omission de la part de la Commission d’évaluer le plaignant dans la langue officielle de son choix, en contravention du paragraphe 37(1).

42 Ce paragraphe confère un droit de présenter une plainte aux personnes qui n’ont pas été nommées ni proposées en vue d’une nomination en raison d’un abus de pouvoir dans l’application du mérite, dans le choix entre le processus interne annoncé ou non annoncé et dans le défaut d’évaluer le plaignant dans la langue officielle de son choix.

43 Aux termes de l’article 33 de la LEFP, la CFP ou son délégataire peut choisir un processus annoncé ou non-annoncé en vue d’effectuer une nomination : « La Commission peut, en vue d’une nomination, avoir recours à un processus de nomination annoncé ou à un processus de nomination non annoncé. »

44 Il incombe donc au plaignant de prouver que le choix d’un processus non annoncé constituait un abus de pouvoir de la part de l’intimé. Bien que le plaignant présente une plainte à l’encontre de sept nominations intérimaires, seules deux de ces nominations ont dépassé un an. Dans ces deux cas, les personnes visées ont d’abord été nommées à leur poste en août 2005, puis leur nomination a été prolongée plusieurs fois jusqu’au mois d’août 2006, date à laquelle une autre prolongation leur a été accordée jusqu’en novembre 2006. Il s’agit là des prolongations contestées par le plaignant.

45 Afin de prouver son allégation, le plaignant se rapporte au Bulletin du ministère. Il soutient que, pour prolonger les nominations intérimaires, l’intimé aurait dû se conformer aux lignes directrices énoncées dans le Bulletin dans le cas des deux nominations intérimaires qui ont dépassé la période d’un an.

46 Voici un extrait du Bulletin :

Une justification écrite du processus de prise de décision, y compris la raison pour laquelle on n’a pas choisi de procéder à une affectation par rotation ou à un processus annoncé et, dans le cas d’un processus de nomination annoncé, comment la zone de sélection a été établie [Traduction].

(Gras et italiques ajoutés)

47 La seule justification écrite versée au dossier à titre d’élément de preuve est une lettre du directeur destinée au sous-commissaire adjoint, Services corporatifs, dans laquelle il expose les raisons pour lesquelles les nominations intérimaires devraient être prolongées. Ces motifs sont décrits ci-dessous.

48 Le Bulletin précise également les renseignements qui doivent figurer dans la justification écrite. Selon la section 7 intitulée « Exigences », la justification relative aux nominations intérimaires pour une durée supérieure à 12 mois doit contenir les renseignements suivants :

  • le statut du poste (vacant ou non);
  • la stratégie de dotation;
  • le choix du processus de nomination pour la nomination intérimaire initiale, y compris la zone de sélection;
  • les raisons pour lesquelles la nomination intérimaire devrait être prolongée, y compris l’incidence sur l’organisation et sur les employés.

[Traduction]

49 Le Tribunal a examiné les éléments de preuve fournis par l’intimé quant à sa stratégie de dotation et il estime que ce dernier a clairement respecté ses lignes directrices. En octobre 2005, l’organisation devait rattraper un retard en vue de l’admission de nouveaux détenus provenant de l’Ontario, sans quoi elle risquait de manquer de cellules pour les loger. Mme Rueberer, en octobre 2005, et M. Somers, en juin 2006, ont tous deux reçu le mandat clair de rattraper le retard et d’augmenter le taux de conformité, qui était alors de 19 p. 100, pour atteindre un taux de 100 p. 100 en ce qui a trait à l’élaboration de plans correctionnels. La date butoir pour atteindre ce taux de conformité avait été fixée à novembre 2006.

50 La décision a donc été prise d’embaucher des agents de libération conditionnelle supplémentaires à titre intérimaire afin de rattraper le retard et d’éviter les conséquences éventuelles. Un processus de nomination non annoncé a été choisi en vue des nominations intérimaires initiales.

51 En août 2006, le directeur a élaboré un plan d’action dans lequel il a indiqué que le fait de conserver les ressources existantes, c’est-à-dire les agents de libération conditionnelle par intérim, pourrait permettre de rattraper le retard et d’assurer à temps l’exécution complète (à hauteur de 100 p. 100) des plans correctionnels. Il a alors été décidé que les nominations intérimaires seraient prolongées, dont deux au-delà de 12 mois. À cette époque, les employés visés occupaient déjà les postes d’agent de libération conditionnelle à titre temporaire.

52 Étant donné qu’il y avait toujours un retard en août 2006, la même justification a été utilisée pour motiver la décision d’avoir recours à un processus non annoncé en ce qui a trait à la prolongation des nominations intérimaires. Le fait d’effectuer une rotation aux postes intérimaires pour nommer des employés différents aurait eu une incidence considérable sur l’objectif visant à éliminer le retard.

53 L’intimé a expliqué les motifs pour lesquels les nominations intérimaires devaient être prolongées ainsi que les répercussions sur le ministère et les employés. Le fait de ne pas terminer les plans correctionnels aurait entraîné un retard dans la mise en oeuvre des mesures correctionnelles pour les détenus, ce qui aurait par la suite retardé leur libération. Les faits précités ainsi que la stratégie de dotation démontrent clairement l’urgence de la situation pour le ministère et les employés : un retard prolongé aurait pu entraîner une situation difficile à gérer et augmenter la pression exercée sur les employés.

54 De plus, comme l’organisation avait un mandat clair à réaliser, elle ne disposait pas du temps voulu pour former de nouveaux employés. Il aurait fallu prévoir environ quatre ou cinq mois avant que les employés soient en mesure d’exercer toutes les fonctions du poste d’agent de libération conditionnelle.

55 Le Tribunal estime que la décision de l’intimé était fondée sur des besoins opérationnels et organisationnels. Les éléments de preuve indiquent qu’il y avait des besoins urgents à combler et que des mesures immédiates devaient être prises afin d’atteindre l’objectif de conformité de 100 p. 100. L’organisation a donc obtenu des ressources temporaires supplémentaires de façon à pouvoir réaliser son mandat et atteindre ses objectifs.

56 Le Tribunal est convaincu qu’une justification appropriée a été fournie à l’appui de l’utilisation d’un processus de nomination non annoncé et que cette justification satisfait aux exigences énoncées dans le Bulletin.

57 Le plaignant n’a présenté aucun élément de preuve démontrant que la justification fournie par l’intimé n’était pas fondée ou était déraisonnable. Le plaignant n’a pas contesté la justification fournie par M. Somers et Mme Rueberer concernant le retard sur le plan du taux de conformité en ce qui a trait à l’évaluation initiale des détenus et la crise causée par ce retard.

58 Le plaignant affirme également que la nomination d’autres personnes a été prolongée alors que la sienne ne l’a pas été. Selon le plaignant, l’intimé n’a pas fait preuve d’autant de rigueur quant à l’application des lignes directrices du Bulletin lorsqu’il s’agissait des autres employés. De fait, le plaignant avait été informé que, conformément au Bulletin, la nomination intérimaire devait prendre fin car elle durait depuis plus de 12 mois. Bien que le plaignant soutienne qu’il a été traité de façon injuste, l’explication fournie ne constituait pas le motif pour lequel sa candidature n’a pas été sélectionnée aux fins d’une nomination. La candidature du plaignant n’a pas été retenue parce qu’il ne possédait pas la qualification essentielle relative aux études. Cette question est abordée ci-dessous.

59 Le plaignant n’a pas réussi à prouver qu’il y a eu abus de pouvoir dans le choix du processus de nomination non annoncé.

Question en litige II: L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a éliminé la candidature du plaignant au motif que ce dernier ne satisfaisait pas à l’exigence relative aux études et qu’il ne possédait donc pas l’une des qualifications essentielles?

Argumentation

60 Le plaignant fait valoir que, même si sa candidature a été éliminée parce qu’il ne satisfaisait pas aux exigences relatives aux études, il s’est tout de même vu offrir une nomination intérimaire au poste d’agent de libération conditionnelle en novembre 2006 en remplacement d’un employé en congé.

61 L’intimé indique que le plaignant ne satisfaisait pas à l’exigence relative aux études. Mme Rueberer a tenté de faire changer cette exigence afin d’assouplir le critère relatif aux études, mais sans succès.

62 La CFP n’a pas présenté d’argumentation à cet égard.

Analyse

63 Dans l’énoncé des critères de mérite, l’une des qualifications essentielles porte sur les études. Cette exigence est formulée ainsi :

Diplôme d’une université reconnue dans un domaine axé sur la compréhension et l’évaluation du comportement humain, comme la sociologie, la psychologie, le travail social, la criminologie et l’éducation ou diplôme d’une université reconnue et combinaison d’études postsecondaires dans un domaine axé sur la compréhension et l’évaluation du comportement humain [Traduction].

64 Mme Rueberer a indiqué que le plaignant ne possédait pas de diplôme universitaire en criminologie, en sociologie ni dans un domaine connexe. Il s’agit là d’un fait non-contesté. De plus, le plaignant a admis qu’il ne répondait pas à l’exigence relative aux études. Il est clair que le plaignant ne possédait pas l’une des qualifications essentielles.

65 Le plaignant insiste sur le fait qu’on lui a offert une nomination intérimaire au poste d’agent de libération conditionnelle même s’il ne possédait pas l’une des qualifications essentielles. Dans son témoignage, Mme Rueberer a affirmé que le plaignant s’était vu offrir une nomination intérimaire en novembre 2006 parce qu’elle tentait de modifier les exigences relatives aux études pour ce poste, ce qu’elle n’a pas réussi à faire. Le plaignant n’a présenté aucun élément de preuve démontrant qu’il aurait dû faire partie des candidats dont la candidature a été prise en considération pour la nomination intérimaire. De plus, le plaignant a refusé l’offre de nomination intérimaire sans fournir de motif.

66 Le Tribunal ne peut souscrire à la position du plaignant selon laquelle l’intimé a abusé de son pouvoir parce qu’il lui a offert une nomination intérimaire en novembre 2006. Le plaignant devait tout de même satisfaire à l’exigence relative aux études.

Question en litige III: L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a omis d’envoyer une notification aux personnes faisant partie de la zone de sélection concernant les nominations effectuées et leur droit de porter plainte en vertu de la LEFP?

Argumentation

67 Le plaignant soutient que l’intimé aurait dû accorder un droit de recours en vertu de la LEFP pour toutes les nominations intérimaires dès l’entrée en vigueur de la LEFP le 30 décembre 2005. Le plaignant ajoute que l’intimé aurait dû mettre fin à toutes les nominations intérimaires effectuées avant le 30 décembre 2005 pour mener de nouveau le processus conformément aux dispositions de la LEFP et émettre un avis de nomination indiquant un droit de présenter une plainte. Le plaignant affirme que le défaut de prendre les mesures précitées constitue un abus de pouvoir et de la mauvaise foi.

68 L’intimé indique que le Tribunal a déjà réglé cette question dans le cadre d’une autre décision. L’intimé est d’avis que cette erreur a été corrigée par le Tribunal qui a exercé sa compétence et ainsi accordé le droit de présenter une plainte.

69 L’intimé fait référence au témoignage de Mme Biscaro et affirme que certaines erreurs ont été commises. Le ministère était dans une période de transition et n’était pas certain de la façon de procéder. Mme Biscaro a également affirmé qu’il s’agissait d’une erreur involontaire qui a été corrigée après que le Tribunal eut rendu sa décision dans l’affaire Wylie c. le Président de l’Agence des services frontaliers du Canada et al., [2006] TDFP 0007.

70 La CFP n’a présenté aucune argumentation à cet égard.

Analyse

71 Le plaignant affirme que le fait de ne pas avoir fourni de notification aux personnes dans la zone de sélection concernant leur droit de porter plainte constitue un abus de pouvoir de la part de l’intimé. Lorsque le Tribunal a rendu une décision intérimaire dans le cadre de cette affaire (voir la décision Chaves c. le Commissaire du Service correctionnel du Canada et al., [2007] TDFP 0009), il a dû statuer sur la question de la compétence et, ce faisant, il a établi que certaines personnes dans la zone de recours n’avaient pas obtenu un avis approprié. Il s’agissait là d’une erreur. Or, étant donné que le Tribunal a jugé que M. Chaves pouvait présenter une plainte, la lacune relative à l’avis a été corrigée. Le Tribunal n’a donc pas à se prononcer sur cette question.

Décision

72 Pour tous les motifs exposés ci-dessus, la plainte est rejetée.

Francine Cabana

Membre

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2006-0102
Intitulé de la cause:
Paul Chaves et le Commissaire du Service correctionnel du Canada et al.
Audience:
Les 15 et 16 août 2007
Kingston, (Ontario)
Date des motifs:
Le 4 février 2008

Comparutions:

Pour le plaignant:
Ken Veley
Pour l'intimé:
Stéphane Bertrand
Lesa Brown
Pour la Commission
de la fonction publique:
John Unrau
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