Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a formulé à l’encontre de l’intimé des allégations d’abus de pouvoir par favoritisme personnel et manque de transparence. L’intimé a demandé le rejet de la plainte pour cause de présentation prématurée. Le plaignant s’est opposé à la requête de l’intimé au motif que celle-ci avait été déposée tardivement. Décision : Le Tribunal a jugé que la plainte ne pouvait pas être considérée comme prématurée puisque, ne faisant pas mention du droit de présenter une plainte ou des motifs qui le justifiaient, la notification de nomination était inadéquate. Le Tribunal a statué que la requête de l’intimé n’était pas tardive, car elle portait sur la question de déterminer si le Tribunal avait compétence pour instruire la plainte. Motion rejetée.

Contenu de la décision

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Dossiers:
2008-0413 et 0507
Rendue à:
Ottawa, le 9 octobre 2008

PIERRE SMITH
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Requête visant à faire rejeter la plainte
Décision:
La requête est rejetée
Décision rendue par:
Guy Giguère, président
Langue de la décision:
Français
Répertoriée:
Smith c. Sous-ministre de la Défense nationale et al.
Référence neutre:
2008 TDFP 0025

Motifs de la décision

Introduction

1 Pierre Smith a présenté une plainte d’abus de pouvoir concernant un processus de nomination non annoncé pour combler le poste de professeur agrégé UT-3 au sein du Collège militaire royal de Saint-Jean. Il allègue entre autre que cette nomination est entachée de favoritisme personnel et que la personne nommée ne satisfait pas à toutes les exigences du poste. De plus, selon le plaignant, le choix d’un processus non annoncé par l’intimé, le sous-ministre de la Défense nationale, constitue un abus de pouvoir car il manque de transparence et n’a pas permis de considérer d’autres candidatures.

2 L’intimé demande que la plainte soit rejetée puisqu’il soutient que celle-ci est prématurée. Selon l’intimé aucune nomination ou proposition de nomination n’avait été effectuée lors du dépôt de la plainte en juin 2008 puisque la notification de nomination ou de proposition de nomination n’a été affichée sur Publiservice que le 2 juillet 2008. L’intimé note que le plaignant a déposé une deuxième plainte (2008-0507) à l’intérieur du délai prescrit qui vise le même processus de nomination dont il conteste dans cette première plainte.

Contexte

3 Le 15 mai 2008, le plaignant a appris par l’entremise d’un courriel envoyé par Patricia Lefebvre au nom du directeur des études, Lieutenant-général (ret) J.O. Michel Maisonneuve, que Sylvie Mainville avait été nommée au poste de professeure agrégée depuis le 7 mai 2008. Le courriel est le suivant :

Le Directeur des études, Lgén (ret) J.O. Michel Maisonneuve, est fier d’annoncer que Mme Sylvie Mainville a été nommée au poste de professeure agrégée au Collège militaire royal de Saint-Jean, nomination en vigueur depuis le 7 mai 2008. Après plusieurs années de très bons services auprès des professeurs et des étudiants du Collège, nous tenons à féliciter très chaleureusement Mme Mainville pour cette nomination bien méritée!

4 À la suite de ce courriel, soit le 3 juin 2008, le plaignant a déposé sa plainte auprès du Tribunal en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP).

Questions en litige

5Le Tribunal doit statuer sur les questions suivantes :

  1. La plainte est-elle prématurée?
  2. La requête de l’intimé est-elle hors délai?

Arguments des parties

A) Arguments de l’intimé

6 L’intimé maintient que la plainte est prématurée étant donné que l’avis de notification de nomination ou de proposition de nomination dans le cadre du processus de nomination 08-DND-INA-KGSTN-307977 a été affiché sur Publiservice le 2 juillet 2008. Il affirme que l’avis indique que la période pendant laquelle une plainte peut être déposée est du 2 juillet 2008 au 17 juillet 2008. Par conséquent, selon l’intimé, la plainte déposée le 3 juin 2008 est prématurée.

7 Par ailleurs, l’intimé soutient que même si selon l’article 21 du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique DORS/2006-6 (Règlement du TDFP), il devait présenter son objection à la plainte dans les 25 jours suivant l’accusé de réception de la plainte, la plainte n’est pas conforme au paragraphe 77(1) de la LEFP.

B) Arguments du plaignant

8 Le plaignant explique qu’après avoir pris connaissance du courriel en date du 15 mai 2008, il a procédé au dépôt de sa plainte le 3 juin 2008. Il convient que le courriel du 15 mai 2008 ne contient pas un avis de droit d’appel et que cet avis n’a pas été affiché sur les lieux de travail.

9 Le plaignant maintient que l’argument de l’intimé voulant qu’il n’avait pas le droit de déposer sa plainte n’est pas valide, ni fondé. Il indique qu’il était raisonnable de considérer l’avis de l’intimé comme étant un avis de nomination.

10 De plus, le plaignant s’oppose à la requête et précise que la demande de l’intimé est hors délai en vertu de l’article 21 du Règlement du TDFP puisque la période pour la communication de renseignements est échue.

Analyse

Question I: La plainte est-elle prématurée?

11 La compétence du Tribunal est délimitée par sa loi habilitante, la LEFP. Le paragraphe 77(1) de la LEFP prévoit que pour déposer une plainte auprès du Tribunal, la nomination ou proposition de nomination doit avoir été faite. Le paragraphe 77(1) de la LEFP est ainsi rédigé :

77.(1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nominationpour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

b) abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas;

c) omission de la part de la Commission d’évaluer le plaignant dans la langue officielle de son choix, en contravention du paragraphe 37(1).

(Nous soulignons)

12 Ainsi, le droit d’un employé de déposer une plainte est conditionnel à ce qu’une nomination ou une proposition de nomination ait été effectuée (Voir Czarneski c. Administrateur général de Service Canada et al., [2007] TDFP 0001, et Tennant c. Président de l’Agence canadienne de développement international et al., [2007] TDFP 0006). Lorsqu’une nomination ou une proposition de nomination a été faite la plainte ne peut être considérée comme étant prématurée.

13 Le courriel que le plaignant a reçu le 15 mai 2008 est sans équivoque et annonce la nomination de Mme Mainville au poste de professeure agrégée depuis le 7 mai 2008. L’intimé ne nie pas ce fait mais soutient que la plainte est prématurée parce que la notification de nomination ou de proposition de nomination n’a été affichée sur Publiservice que le 2 juillet 2008.

14 Le Tribunal a traité d’une situation similaire concernant une nomination intérimaire dans la décision Sherif c. le sous-ministre d’Agriculture et Agroalimentaire Canada et als., [2006] TDFP 0003, où il a conclu qu’il n’était pas nécessaire qu’un avis de nomination soit affiché sur Publiservice afin de conférer un droit de recours.

15 Dans la décision Sherif, le Tribunal a établi que la notification d’une nomination intérimaire qui n’avise pas les personnes visées de leur droit de porter plainte et des motifs pour lesquels elles peuvent le faire n’est pas un avis en bonne et due forme. Le Tribunal y a souligné ceci :

[17] La Cour d’appel fédérale a traité de la question des avis dans le contexte d’une disposition relative aux avis, contenue dans la version antérieure du règlement de l’ancienne LEFP. Dans l’affaire Healey c. Canada (Comité d’appel de la fonction publique), [1982] 1 C.F. 792, la Cour d’appel fédérale a jugé qu’on ne saurait considérer un avis d’appel comme ayant été donné après l’expiration du délai d’appel puisque l’avis de nomination n’était pas conforme aux exigences relatives aux avis prévues par le règlement. La Cour d’appel fédérale a précisé davantage, dans l’affaire Bova v. Canada (Public Service Commission) (F.C.A.), [1990] F.C.J. No. 1032 (QL), en indiquant que lorsque l’avis n’est pas conforme aux exigences prévues par la disposition relative aux avis, on ne peut aucunement le considérer comme un avis en bonne et due forme. La Cour a conclu qu’ « il ne s’ensuit pas que l’avis […] était prématuré, car le Règlement fixe la date limite pour transmettre l’avis d’appel […] mais n’arrête aucune date à laquelle il serait trop tôt pour le faire, de sorte que si le candidat non reçu n’a pas été informé de la nomination, pour quelque raison que ce soit, il peut tout de même déposer un avis d’appel […] ».

16 Bien que la décision Sherif ait été rendue dans le contexte d’une nomination intérimaire, le Tribunal estime que l’avis de notification d’une nomination pour une durée indéterminée doit également être complet. Les dispositions portant sur la notification d’une nomination se retrouvent à l’article 48 de la LEFP. Il y est prévu que lors d’un processus de nomination non annoncé,l’avis annonçant la personne nommée doit également informer les personnes dans la zone de sélection de ce processus de nomination interne :

48.(1) La Commission, une fois l’évaluation des candidats terminée dans le cadre d’un processus de nomination interne, informe, selon les modalités qu’elle fixe, les personnes suivantes du nom de la personne retenue pour chaque nomination :

a) dans le cas d’un processus de nomination interne annoncé, les personnes qui sont dans la zone de sélection définie en vertu de l’article 34 et qui ont participé au processus;

b) dans le cas d’un processus de nomination interne non annoncé, les personnes qui sont dans la zone de sélection définie en vertu de l’article 34.

(2) La Commission peut, pour les processus de nomination internes, fixer la période, commençant au moment où les personnes sont informées en vertu du paragraphe (1), au cours de laquelle elle ne peut ni faire ni proposer une nomination.

(3) À l’expiration de la période visée au paragraphe (2), la Commission peut proposer la nomination d’une personne ou la nommer, que ce soit ou non la personne dont la candidature avait été retenue et, le cas échéant, en informe les personnes informées aux termes du paragraphe (1).

17 De plus, le paragraphe 29(3) de la LEFP spécifie que la Commission de la fonction publique (CFP) peut établir des lignes directrices sur la manière de faire et de révoquer les nominations et de prendre des mesures correctives. À cet effet, les Lignes directrices en matière de nomination de la CFP établissent les modalités des avis de nomination concernant les processus de nomination internes annoncés et non annoncés. Il est à noter que celles-ci ne s’appliquent pas aux nominations intérimaires qui sont encadrées par les articles 12 et suivants du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, DORS/2005-334 (Règlement sur l’emploi).

18 Les administrateurs généraux sont tenus de se conformer aux Lignes directrices en matière de nomination lorsqu’ils procèdent à ces nominations, tel que l’indique l’article 16 de la LEFP, car elles ont été établies par la CFP en vertu du paragraphe 29(3) de la LEFP. L’article 16 se lit ainsi :« L’administrateur général est tenu, lorsqu’il exerce les attributions de la Commission visées à l’article 15, de se conformer aux lignes directrices visées au paragraphe 29(3). »

19 Les Lignes directrices en matière de nomination spécifient que l’avis de nomination doit aviser les personnes de leur droit de porter plainte devant le Tribunal ainsi que les motifs pour le faire. Le délai pour présenter la plainte doit également figurer sur l’avis de nomination. La partie pertinente de ces lignes directrices, en ce qui concerne la présente plainte, se retrouve sous la rubrique « exigences des lignes directrices ». Elle énonce ce qui doit se retrouver dans un avis de nomination ou de proposition de nomination complet :

Exigences des lignes directrices

En plus d’être responsables du respect de l’énoncé des lignes directrices, les administrateurs généraux et les administratrices générales doivent :

  • déterminer la durée de la période d’attente, laquelle doit être d’au moins cinq jours civil;
  • s’assurer que les personnes visées par la notification sont informées de la durée de la période d’attente;
  • s’assurer que la notification d’une décision de nomination ou d’une proposition de nomination informe les personnes :

     

    • de leur droit de porter plainte devant le Tribunal de [la] dotation de la fonction publique (TDFP) et des motifs pour lesquels elles peuvent le faire;
    • des modalités et du délai fixé pour présenter une plainte comme le précise le TDFP.
(Nous soulignons.)

 

20 Le Tribunal estime que la notification de cette nomination indéterminée ne respecte pas l’article 48 de la LEFP ni les Lignes directrices en matière de nomination etne peut donc être considéré comme un avis en bonne et due forme. Il ne s’ensuit pas que la plainte soit prématurée pour autant, car l’article 10 du Règlement du TDFP fixe la date limite pour transmettre la plainte mais n’établit aucune date à laquelle il serait trop tôt pour le faire. Ceci veut dire que dans un processus non annoncé, la personne qui se trouve dans la zone de sélection mais qui n’a pas reçu un avis en bonne et due forme peut tout de même déposer une plainte. L’article 10 se lit comme suit :

10.(1) La plainte est présentée au Tribunal au plus tard quinze jours après la date :

a) où l’avis de mise en disponibilité, de révocation, de nomination ou de proposition de nomination en faisant l’objet [a] été reçu;

b) figurant sur l’avis, s’il s’agit d’un avis public.

(Nous soulignons)

21 Ainsi dès qu’il y a eu une nomination, un droit de recours existe et la plainte ne peut être considérée comme étant prématurée. Une plainte déposée alors qu’aucune nomination ou une proposition de nomination n’a été faite sera considérée prématurée.

22 À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que l’avis de la nomination envoyé par courriel le 15 mai 2008 ne constitue pas un avis en bonne et due forme. Le courriel annonçait la nomination de Mme Mainville, mais ne mentionnait pas le droit de porter plainte devant le Tribunal ni les motifs pour le faire, en plus de ne pas inclure le délai pour présenter la plainte. Le courriel n’a pas non plus été précédé d’un avis de la candidature retenue, tel que requis aux paragraphes 48(1) et (2) de la LEFP. Par conséquent, le Tribunal conclut que la plainte n’est pas prématurée. Le Tribunal a donc compétence pour instruire et statuer sur celle-ci.

Question II: La requête de l’intimé est-elle hors délai?

23 La requête de l’intimé porte sur la compétence du Tribunal d’instruire la plainte selon les dispositions du paragraphe 77(1) de la LEFP. Il soutient que le paragraphe 21(1) du Règlement du TDFP ne s’applique pas dans ces circonstances. Le plaignant maintient que la demande de l’intimé est hors délai en vertu de l’article 21 du Règlement du TDFP puisque la période pour la communication de renseignements est échue.

24 Le paragraphe 21(1) du Règlement du TDFP spécifie que si l’administrateur général s’oppose à la plainte au motif qu’elle n’a pas été présentée dans les délais spécifiés à l’article 10 du Règlement du TDFP, il doit le faire avant la fin de la période prévue pour la communication de renseignements. Or, comme le Tribunal l’a indiqué à la question précédente, l’article 10 du Règlement du TDFP établit le délai limite pour transmettre une plainte suivant la réception d’un avis de nomination complet, mais n’établit pas de date à laquelle il serait trop tôt pour le faire. En d’autres mots l’article 10 s’applique seulement lorsqu’un avis en bonne et du forme a été transmis. Le Tribunal a établi que le courriel du 15 mai 2008 ne constituait pas un avis en bonne et due forme. Le paragraphe 21(1) se lit comme suit :

21.(1) Si l’administrateur général, la Commission ou, dans le cas d’une nomination ou proposition de nomination, la personne visée par celle-ci s’oppose à la plainte aux motifs qu’elle n’a pas été présentée dans les délais prévus à l’article 10, une objection à cet égard est faite avant l’expiration de la période prévue pour la communication de renseignements.

25 Ainsi, le paragraphe 21(1) s’appliquerait lorsque l’intimé allègue que la plainte a été déposée après les délais prévus à l’article 10 du Règlement du TDFP, ce qui n’est pas du tout la question soulevée par l’intimé en l’espèce. L’intimé soutient que le Tribunal n’a pas compétence pour instruire cette plainte suivant le libellé du paragraphe 77(1) de la LEFP. Selon lui, il n’y avait pas eu de nomination ou proposition de nomination puisque la notification sur Publiservice a été faite après que la plainte a été déposée.

26 Pour toutes ces raisons, le Tribunal considère que la requête de l’intimé n’est pas hors délai car elle porte sur la compétence du Tribunal d’instruire une plainte avant que la notification de la nomination ou de la proposition de nomination n’ait été faite. Par conséquent, l’article 10 et le paragraphe 21(1) du Règlement du TDFP ne s’appliquent pas dans ces circonstances.

Jonction des plaintes

27 Comme l’a mentionné l’intimé, le plaignant a déposé une deuxième plainte (2008-0507) à l’intérieur du délai prescrit concernant le même processus de nomination en question. Le Tribunal a examiné les deux plaintes et il constate que celles-ci visent effectivement le même processus de nomination. La nature des plaintes est également similaire. De plus, la représentante du plaignant est la même pour chacune des plaintes. Alors, conformément à l’article 8 du Règlement du TDFP et afin d’assurer la résolution rapide des plaintes, le Tribunal ordonne la jonction d’instances pour les plaintes 2008-0413 et 2008-0507. Par conséquent, les plaintes seront entendues en même temps par le Tribunal. Le dossier principal sera 2008-0413.

Décision

28 Pour tous ces motifs, la requête de l’intimé est rejetée.

Guy Giguère

Président

Parties au dossier

Dossiers du Tribunal:
2008-0413 et 2008-0507
Intitulé de la cause:
Pierre Smith et Sous-ministre de la Défense nationale et al.
Audience:
Demande écrite, décision rendue sans comparution des parties
Date des motifs:
Le 9 octobre 2008
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