Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Plusieurs employés ont obtenu des nominations intérimaires par rotation, chacune d’entre elles pour une période de quatre mois moins un jour; une employée a occupé le poste de façon intérimaire à deux occasions. Le plaignant a soutenu que l’intimé avait abusé de son pouvoir en ne procédant pas à une notification pour la seconde nomination de l’employée car, selon lui, le deuxième intérim prolongeait la durée cumulative à plus de quatre mois. Décision : Le Tribunal a jugé qu’une période de plusieurs mois s’était écoulée entre les deux nominations intérimaires, et donc que la deuxième nomination n’avait pas été une prolongation de la première, mais plutôt une nomination distincte. Vu que les deux nominations portaient sur une période de moins de quatre mois, il n’existait pas de droit de porter plainte en vertu de l’article 77 de la LEFP. Pas de compétence; plainte rejetée.

Contenu de la décision

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Dossier:
2008-0046
Rendue à:
Ottawa, le 16 juillet 2008

YVES-CYRILLE ROBERT
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DE CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Détermination de la compétence
Décision:
La plainte est rejetée
Décision rendue par:
Guy Giguère, président
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Robert c. Sous-ministre de Citoyenneté et Immigration Canada et al.
Référence neutre:
2008 TDFP 0020

Motifs de la décision

Introduction

1 Le plaignant, Yves-Cyrille Robert, a présenté sa candidature à un poste intérimaire. Sa candidature n’a pas été retenue. Les candidats retenus ont eu l’occasion d’occuper le poste pendant une période de quatre mois moins un jour. Une candidate retenue a occupé le poste à deux occasions.

2 Le plaignant a présenté une plainte parce qu’il croit que l’intimé, le sous‑ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, a abusé de son pouvoir en ne diffusant pas denotification concernant la nomination de cette candidate pour une seconde fois. Le plaignant allègue que la deuxième période d’intérim a porté la période cumulative de la nomination intérimaire à quatre mois ou plus, de sorte que cette nomination est assujettie aux exigences de notification énoncées dans la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la LEFP).

3 Le 17 janvier 2008, le plaignant a présenté une plainte auprès du Tribunal en vertu de l’article 77 de la LEFP à la suite de la nomination intérimaire d’Hélène Beauchamp le 14 janvier 2008.

4 L’intimé a présenté une requête visant à faire rejeter la plainte au motif que le plaignant n’a pas de droit de recours, car la nomination intérimaire est d’une durée de moins de quatre mois et est donc soustraite à l’application de la LEFP.

Question en litige

Pour régler la plainte, le Tribunal doit trancher la question suivante :

5 La deuxième nomination intérimaire a-t-elle entraîné l’extension de la durée cumulative de la nomination intérimaire à quatre mois ou plus?

Résumé des éléments de preuve pertinents

6 La Direction générale du règlement des cas (la DGRC) du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration (CIC) a annoncé à l’interne une possibilité de nomination intérimaire à un poste de conseiller ministériel (PM-05) au cabinet du ministre. Un courriel a été envoyé aux employés de la DGRC le 3 avril 2007 pour les informer de cette possibilité.

7 Les résultats de l’évaluation des candidatures ont fait ressortir que neuf candidats en tout répondaient aux qualifications requises pour la nomination intérimaire. Leurs noms ont donc été inscrits dans le répertoire de candidats qualifiés pour le poste intérimaire PM-05 portant le numéro 00500456 (le poste).

8 Le poste a été offert par rotation à chacun des candidats considérés comme qualifiés pour une période de quatre mois moins un jour.

9 La rotation des candidats à ce poste a commencé le 7 mai 2007. Mme Beauchamp était la première candidate à occuper le poste. Sa nomination portait sur la période du 7 mai 2007 au 5 septembre 2007.

10 Mme Beauchamp a obtenu d’autres nominations intérimaires de moins de quatre mois à CIC comme il est indiqué dans le rapport Peoplesoft fourni par l’intimé. Elle a occupé un poste d’analyste principale, Examen des cas, du 1er avril 2007 au 6 mai 2007. Le 3 décembre 2007, Mme Beauchamp a été détachée à l’Agence des services frontaliers du Canada.

11 Entre-temps, deux autres candidats retenus, Diane Séguin-Bacon et Rémi Larivière, ont occupé le poste à tour de rôle. On a également offert à une autre candidate retenue, Alexandra Hiles, d’occuper le poste, mais elle a décliné l’offre pour accepter un autre emploi.

12 Le 11 janvier 2008, Raylene Baker, directrice principale, CIC, a envoyé un courriel pour informer les utilisateurs de services de gestion des cas que Mme Beauchamp retournerait travailler à CIC le 14 janvier 2008 au poste de conseillère ministérielle intérimaire jusqu’au 13 mai 2008, car elle était la candidate qualifiée suivante sur la liste qui avait accepté une offre de nomination intérimaire.

13 Mme Beauchamp est retournée à CIC le 14 janvier 2008, et elle est restée en poste jusqu’au 13 mai 2008.

Argumentation de l’intimé

14 L’intimé affirme que la nomination intérimaire avait pour but de pourvoir temporairement à des postes vacants pendant que la DGRC menait un processus annoncé visant à doter le poste vacant pour une durée indéterminée.

15 L’intimé déclare que la direction avait également l’intention d’offrir des possibilités de nomination intérimaire de quatre mois moins un jour par rotation si plus d’un candidat était jugé qualifié.

16 L’intimé ajoute que le plaignant n’a pas le droit de porter plainte en vertu de l’article 77 de la LEFP.

17 Selon l’intimé, la plainte est liée à une nomination intérimaire de moins de quatre mois. Par conséquent, c’est l’article 14 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, DORS/2005-334 (le REFP) qui s’applique.

18 L’intimé signale que les faits ne montrent pas que la nomination intérimaire a été prolongée, car Mme Beauchamp ne travaillait pas à CIC au cours du mois qui a précédé la nomination intérimaire.

19 L’intimé soutient qu’aucune notification n’a été affichée sur Publiservice, car il n’est pas tenu d’afficher une notification sauf dans les cas où la période de la nomination intérimaire dépasse quatre mois.

20 L’intimé fait référence à la décision du Tribunal dans l’affaire Schellenberg et Nyst c. le Sous-ministre de la Défense nationale et al., [2006] TDFP 0005, pour soutenir son point de vue selon lequel les nominations intérimaires portant sur une période de moins de quatre mois sont soustraites à l’application de l’article 77 de la LEFP.

Argumentation du plaignant

21 Le plaignant n’accepte pas l’argument selon lequel le poste a été doté par rotation. Selon lui, la deuxième nomination intérimaire de Mme Beauchamp est une prolongation de sa nomination intérimaire précédente. Par conséquent, la durée de la nomination intérimaire de Mme Beauchamp est de plus de quatre mois.

22 Le plaignant s’appuie sur la décision du Tribunal dans l’affaire Wylie c. le Président de l'Agence des services frontaliers du Canada et al., [2006] TDFP 0007, pour affirmer que s’agissant de la nomination intérimaire de Mme Beauchamp, chaque prolongation effectuée le 14 janvier 2008 ou après constitue une nomination.

23 De plus, le plaignant affirme que chacune de ces nominations a pour effet de prolonger la période cumulative de la nomination intérimaire pour la porter à quatre mois ou plus.

24 Le plaignant soutient que les faits ne cadrent pas avec la disposition d’exemption du paragraphe 14(1) du REFP. Il y a eu continuation puis prolongation d’une période cumulative dépassant quatre mois. Cette période doit être considérée comme une nomination portant sur une durée de plus de quatre mois, donc susceptible de recours.

25 Compte tenu de la situation, l’intimé était tenu de fournir une notification concernant cette nomination intérimaire. Le plaignant a le droit de porter plainte auprès du Tribunal.

Dispositions pertinentes

26 La LEFP ne fournit aucune définition de la « nomination intérimaire ». Cependant, cette formulation est définie comme suit à l’article 1 du REFP :

« nomination intérimaire » Le fait pour un fonctionnaire d’exercer temporairement les fonctions d’un autre poste, dans le cas où l’exercice de ces fonctions aurait constitué une promotion, si ce fonctionnaire avait été nommé à ce poste.

27 De plus l’article 13 et le paragraphe 14(1) du REFP indiquent ce qui suit:

13. Lorsque les nominations ci-après sont faites ou proposées dans le cadre d’un processus de nomination interne, la Commission avise par écrit les personnes qui sont dans la zone de recours, au sens du paragraphe 77(2) de la Loi, du nom de la personne qu’elle propose ainsi de nommer ou qu’elle a ainsi nommée, selon le cas, de leur droit de porter plainte et des raisons pour lesquelles elles peuvent le faire :

  1. a) la nomination intérimaire de quatre mois ou plus;
  2. b) la nomination intérimaire portant la durée cumulative de la nomination intérimaire d’une personne à quatre mois ou plus.

14. (1) La nomination intérimaire de moins de quatre mois est soustraite à l’application des articles 30 et 77 de la Loi pourvu qu’elle ne porte pas la durée cumulative de la nomination intérimaire d’une personne à ce poste à quatre mois ou plus.

28 Par ailleurs, l’article 58 de la LEFP est ainsi libellé :

58. (1) Sous réserve de l’article 59, le fonctionnaire nommé ou muté pour une durée déterminée perd sa qualité de fonctionnaire à l’expiration de la période fixée ou de toute période de prolongation fixée en vertu du paragraphe (2).

(2) L’administrateur général peut prolonger la durée déterminée; cette prolongation ne constitue pas une nomination ni une mutation et ne donne à personne le droit de présenter une plainte en vertu de l’article 77.

(3) Le présent article ne s’applique pas aux nominations intérimaires.

Analyse

29 Le paragraphe 58(2) de la LEFP précise que la prolongation d’un poste pour une période déterminée ne constitue pas une nomination et n’est donc pas susceptible de recours en vertu de l’article 77. Toutefois, le paragraphe 58(3) stipule que cet article ne s’applique pas aux nominations intérimaires. Par conséquent, la prolongation d’une nomination intérimaire constitue une nomination et peut donc faire l’objet d’un recours.

30 Comme il est expliqué au paragraphe 21 de la décision Wylie :

Les tribunaux ont reconnu la nécessité d’une certaine latitude permettant d’affecter les fonctionnaires fédéraux à des fonctions pour une période temporaire sans qu’une telle démarche ne remette en cause l’application du mérite et le droit de recours. L’affaire Doré c. Canada, [1987] 2 R.C.S. 503 illustre bien à la fois ce principe et ses limites.

31 Le paragraphe 14(1) du REFP accorde cette latitude aux gestionnaires. En effet, les nominations intérimaires sont exclues du droit de recours pourvu qu’elles soient d’une période de moins de quatre mois et qu’elles ne portent pas la durée cumulative de la nomination intérimaire à quatre mois ou plus.

32 Par conséquent, chaque prolongation d’une nomination constitue une nomination et est assujettie aux exigences de la LEFP, y compris en ce qui concerne le droit de recours si la prolongation porte la durée cumulative de la nomination intérimaire d’une personne dans un poste en particulier à quatre mois ou plus. Selon l’alinéa 13b) du REFP, un avis concernant une telle prolongation doit également être donné.

33 Dans la décision Wylie, la nomination intérimaire initiale de M. Rose était d’une durée de neuf mois, à savoir du 30 juin 2003 au 31 mars 2004, et une notification de doit de recours a été donnée dans ce cas. La nomination intérimaire initiale a été prolongée le 1er avril 2004, mais aucun avis de droit de recours n’a été émis, car l’administrateur général considérait qu’il s’agissait d’une prolongation de la nomination intérimaire initiale et non d’une nouvelle nomination. La nomination intérimaire a ainsi été prolongée de façon consécutive, pour un total de six fois. Le Tribunal a examiné l’article 58 de la LEFP et a conclu que chaque nomination effectuée de façon intérimaire et chaque prolongation d’une telle nomination constituait une nomination assujettie à la LEFP et à son règlement d’application, y compris au droit de recours.

34 En l’espèce, le poste a été offert initialement aux candidats retenus, par rotation, pour une période de quatre mois moins un jour. La nomination intérimaire de Mme Beauchamp n’a pas été prolongée immédiatement après la première comme ce fut le cas dans la décision Wylie. Lorsque Mme Beauchamp a accepté la deuxième nomination intérimaire, elle était la candidate qualifiée suivante sur la liste et qui a accepté une offre de nomination intérimaire.

35 En l’espèce, les circonstances sont manifestement différentes de celles entourant la décision Wylie. Dans ce dernier cas, il ne s’agissait pas d’une nomination intérimaire où un poste était pourvu par rotation. Personne d’autre n’avait occupé le poste. M. Rose a occupé le poste et sa nomination a été prolongée maintes fois entre le 30 juin 2003 et le 16 juin 2006.

36 En l’espèce, la nomination intérimaire pour une période de moins de quatre mois a été offerte par rotation aux candidats qualifiés, pendant qu’un processus annoncé visant à doter le poste vacant pour une durée indéterminée était en cours. Une période de plus de quatre mois s’est écoulée entre la première et la deuxième nomination de Mme Beauchamp à ce poste. Entre-temps, le poste a été occupé par un autre candidat retenu.

37 La Cour suprême du Canada s’est penchée sur les termes « prolonger » et « prolongation » lorsqu’elle a analysé la distinction entre une « prolongation » et un « renouvellement ». La Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 29 de la décision Banque Manulife du Canada c. Conlin, [1996] 3 R.C.S. 415 :

Le dictionnaire juridique Black’s […] définit le terme « extension » (prolongation) […] comme « [u]n accroissement de la durée […]. Le terme “extension” (prolongation) implique habituellement l’existence d’une situation qui doit être prolongée ». Cela indique clairement qu’une « prolongation » désigne la prolongation d’une convention qui existe déjà […]. Le dictionnaire The Concise Oxford Dictionary of Current English […] confirme cette distinction en définissant « extend » (prolonger) par « allonger ou accroître dans l’espace ou dans le temps » […].

[Traduction]

38 Le Tribunal juge que, comme une période de plusieurs mois s’est écoulée entre la première nomination et la deuxième nomination de Mme Beauchamp, il est évident que la deuxième nomination ne constituait pas une prolongation de la première nomination. Au vu des éléments de preuve, le Tribunal tient pour avéré que la deuxième nomination intérimaire constitue une nomination en soi, et non la prolongation de la première nomination.

39 Le Tribunal juge que, comme la deuxième nomination intérimaire n’est pas la prolongation de la première nomination, les deux nominations intérimaires étaient d’une durée de moins de quatre mois. Conformément au paragraphe 14(1) du REFP, les deux nominations sont donc soustraites à l’application de l’article 77 de la LEFP.

40 Par conséquent, l’intimé n’était nullement tenu d’émettre une notification.

Décision

41 Pour tous ces motifs, le Tribunal n’a pas compétence pour instruire cette plainte et statuer sur elle. La plainte est rejetée.

Guy Giguère

Président

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2008-0046
Intitulé de la cause:
Yves-Cyrille Robert et le Sous-ministre de Citoyenneté et Immigration Canada et al.
Audience:
Demande écrite; décision rendue sans comparution des parties
Date des motifs:
Le 16 juillet 2008
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