Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a contesté la décision du Tribunal d’instruire ses plaintes sur dossier car cette décision le priverait de l’occasion d’appeler des témoins et de contre-interroger ceux de l’intimé. Selon lui, le Tribunal a ignoré les règles de justice naturelle et lui a nié le droit de se faire entendre avant de statuer sur l’affaire. Le plaignant a formulé des allégations d’abus de pouvoir à l’encontre de l’intimé aux motifs suivants : subdélégation de l’établissement des critères de mérite au comité d’évaluation; modification substantielle des critères de mérite affichés sur Publiservice et utilisés pour l’éliminer à la présélection; utilisation pour la présélection d’éléments qui n’étaient pas inclus dans l’énoncé des critères de mérite. Le plaignant a fait valoir, d’autre part, que l’intimé ne s’était pas assuré que la discussion informelle était conforme à la LEFP; que le gestionnaire et les employés en cause ont abusé de leur pouvoir de façon flagrante envers lui, ce qui lui a causé un tort personnel et professionnel irréparable; que le gestionnaire en cause l’a amené à révéler des renseignements personnels le concernant au comité d’évaluation. Le plaignant a réclamé des dommages-intérêts moraux et dissuasifs. Pour ce qui concerne la tenue d’une audience, l’intimé a soutenu que le plaignant n’avait invoqué aucun fait dont la preuve par témoin aurait permis au Tribunal de conclure à un abus de pouvoir. Si le Tribunal devait accepter les arguments du plaignant, il serait alors dans l’obligation de tenir des audiences dans tous les cas. L’intimé a maintenu que le gestionnaire en cause n’avait pas subdélégué son pouvoir de nomination. Il n’était pas nécessaire que ce dernier prenne part personnellement à toutes les étapes du processus d’évaluation des candidats. Aucun document n’a été falsifié; il a été complété à une date ultérieure puis antidaté afin de porter la date de préparation des qualifications essentielles. L’intimé a soutenu que celles-ci avaient été établies en fonction des tâches à accomplir, avec un contenu suffisamment clair pour que les candidats comprennent ce qu’ils devaient démontrer. Selon lui, l’objet d’une discussion informelle est de discuter avec un plaignant de la décision de ne pas retenir sa candidature. Toute erreur commise peut être corrigée à ce moment-là. Le comité d’évaluation n’avait pas à changer sa décision vu que le plaignant n’avait présenté aucun fait nouveau au cours de la discussion informelle. Enfin, l’intimé a fait valoir que le Tribunal n’était pas habilité à accorder des dommages-intérêts en l’espèce. Pour la Commission de la fonction publique, la décision du Tribunal d’instruire le dossier sans audience n’était pas contraire aux règles de justice naturelle. Elle a ajouté que les dommages-intérêts moraux et dissuasifs réclamés par le plaignant ne faisaient pas partie des mesures correctives à ordonner par le Tribunal en vertu de la LEFP. Décision : En vertu de la LEFP et du Règlement du TDFP, le Tribunal peut statuer sur une plainte sans tenir d’audience. Il n’était pas nécessaire d’entendre des témoins pour statuer sur les plaintes puisque le litige portait essentiellement sur les critères de mérite servant à éliminer le plaignant des processus de nomination. L’instruction sur dossier n’a pas violé les règles de justice naturelle. Au vu des éléments de preuve, ce n’était pas le comité d’évaluation qui avait élaboré et approuvé la << justification des critères de mérite pour le choix d’une nomination >>. C’était plutôt le fait du gestionnaire en cause, lequel avait approuvé les critères de mérite. Il n’y avait donc pas eu de subdélégation au comité d’évaluation. En outre, il n’était pas nécessaire que le gestionnaire participe à chaque étape de l’évaluation des candidats. Le fait que le gestionnaire n’ait pas indiqué la date effective de signature du document n’est pas une pratique à suivre. Les documents devraient toujours porter la date du jour où ils sont signés. Ce geste est un manquement au type de transparence attendu dans la fonction publique et du système de dotation sous le régime de la LEFP. Le Tribunal a jugé que le document en question était admissible en preuve et qu’il a été signé quelques jours après l’affichage des critères de mérite sur Publiservice. Cependant, les candidats avaient été évalués après la date d’affichage des critères de mérite. Le plaignant n’a pas démontré en quoi le fait d’avoir antidaté la signature de ce document constituait en soi un abus de pouvoir. Le Tribunal a fait remarquer que l’intimé disposait d’une marge de manœuvre considérable en ce qui a trait au choix des qualifications et des méthodes d’évaluation et il a conclu que l’intimé n’avait pas abusé de son pouvoir lorsqu’il avait établi qu’une << expérience récente et considérable >> équivalait à environ dix ans d’expérience. Toutefois, le Tribunal a indiqué qu’il aurait été préférable, par souci de transparence, d’inclure les définitions des critères de mérite dans l’énoncé des critères de mérite. Il a aussi conclu que la tenue d’une instruction sur dossier n’enfreignait pas les règles de justice naturelle. Les discussions informelles font partie du processus de nomination et constituent une occasion de dialogue entre le candidat éliminé du processus et la personne qui a pris cette décision. Le Tribunal a jugé que l’intimé avait mené la discussion informelle aux termes de la LEFP et que les allégations du plaignant étaient sans fondement. Comme la plainte n’était pas fondée, le Tribunal n’a pas statué sur la question des dommages moraux et dissuasifs. Plaintes rejetées.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossiers:
2007-0241, 0242, 0274, 0314, 0400 et 2008-0384
Rendue à:
Ottawa, le 27 mai 2008

JEAN LAVIGNE
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DE LA JUSTICE
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plaintes d'abus de pouvoir en vertu de l'alinéa 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
Les plaintes sont rejetées
Décision rendue par:
Sonia Gaal, vice-présidente
Langue de la décision:
Français
Répertoriée:
Lavigne c. Sous-ministre de la Justice et al.
Référence neutre:
2008 TDFP 0013

Motifs de la décision

Introduction

1 Me Jean Lavigne, le plaignant, allègue l’abus de pouvoir de la part de l’intimé, le sous-ministre de la Justice, car, à son avis, les critères essentiels qui ont servi à l’éliminer au stade de la présélection contenaient des éléments qui n’étaient pas inclus dans l’énoncé des critères de mérite sur Publiservice. Il demande de déclarer nuls ab initio les processus de nomination, la révocation des nominations et propositions de nomination ainsi que des dommages moraux et exemplaires.

2 Le plaignant a présenté ces plaintes auprès du Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) aux termes de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP). En vertu de l’article 8 du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006-06 (le Règlement du TDFP), le Tribunal joint les dossiers 2007-0241, 2007-0242, 2007-0274, 2007-0314, 2007-0400 et 2008-0384 pour les fins de la décision.

3 Conformément au paragraphe 99(3) de la LEFP, le Tribunal a instruit la plainte sans tenir d’audience. La décision a été rendue sur les arguments écrits fournis par les parties et les nombreux documents au dossier, lesquels ont été examinés en détail et sont résumés ci-dessous.

Questions en litige

4 Pour résoudre ces plaintes, le Tribunal doit statuer sur les questions suivantes :

  1. Le Tribunal enfreint-il les règles de justice naturelle en procédant à une audience sur dossier?
  2. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en sous-déléguant l’établissement des critères de mérite au comité d’évaluation ?
  3. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en datant le document « Justification du/des critères de mérite  pour le choix d’une nomination » du 8 septembre 2006 plutôt que le 22 septembre 2006 ?
  4. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en éliminant le plaignant par l’utilisation de définitions qui ne sont pas incluses dans l’annonce sur Publiservice?
  5. L’intimé a-t-il omis de s’assurer que la discussion informelle soit conduite conformément à la LEFP?
  6. Le plaignant a-t-il droit à des dommages moraux et exemplaires?

Contexte

5 Les postes de chef d’équipe (LA-2B 02) (processus nº 2006-JUS-MTL-DAF-IA-130) et de juriste expert (LA-2B 02) (processus nº 2006-JUS-MTL-DAF-IA-89), tous deux au sein du ministère de la Justice – Direction des affaires fiscales à Montréal, ont été affichés sur Publiservice le 18 septembre 2006. La date de clôture était le 2 octobre 2006 pour les deux postes.

6 Le plaignant a posé sa candidature le 2 octobre 2006 pour les deux postes. Un total de huit candidats, incluant le plaignant, ont postulé pour le poste de chef d’équipe alors que 14 candidats ont postulé pour le poste de juriste expert, incluant le plaignant.

7 Un document approuvé par Me Henri Bédirian, gestionnaire délégué, intitulé « Justification du/des critères de mérite  pour le choix d’une nomination » contenait de l’information concernant l’expérience requise pour les deux postes. Il est utile de reproduire la portion du document qui est pertinente aux plaintes. Le Tribunal utilisera plus loin dans la décision les termes de « la colonne de gauche » et de « la colonne de droite » pour référer aux « critères de mérite » ou « justification du critère de mérite », selon le cas :

Document affiché sur Publiservice Document du comité d'évaluation
CRITÈRES DE MÉRITE JUSTIFICATION DU CRITÈRE DE MÉRITE
COMMENT LE CRITÈRE SERA UTILISÉ POUR LA SÉLECTION
Faire le lien avec la Planification des ressources humaines
QUALIFICATIONS ESSENTIELLES La personne qui sera retenue pour le poste est la personne ayant obtenu la note la plus élevée pour l’ensemble des qualifications essentielles
Expérience considérable et récente dans la conduite de litiges complexes et variés à la Cour canadienne de l’impôt. On entend par expérience considérable et récente : une expérience acquise depuis environ une dizaine d’années dans la conduite de dossiers de complexité moyenne touchant les dispositions variées de la Loi de l’impôt sur le revenu et touchant la Loi de l’assurance-emploi, dont au moins deux années d’expérience acquise au cours des deux dernières années.
Très bonne expérience dans la conduite de dossiers devant la Cour d’appel fédérale. On entend par très bonne expérience : l’avocat(e) est familier (ère) avec la conduite de ces dossiers ayant eu l’occasion durant ses années d’expérience de rédiger des mémoires et de plaider des dossiers en matière d’appel de cotisation ou d’assurance-emploi devant la Cour d’appel fédérale.

8 La colonne de gauche contient les critères de mérite essentiels concernant l’expérience requise tels qu’ils apparaissent dans les annonces sur Publiservice le 18 septembre 2006. La colonne de droite détaille davantage l’évaluation de l’expérience pour la présélection des candidats; cette information n’est pas incluse sur Publiservice.

9 Ledit document est en date du 8 septembre 2006 mais il a été signé par Me Bédirian le 22 septembre. Selon la preuve au dossier, le 8 septembre est la date à laquelle Me Bédirian avait élaboré et autorisé ces définitions.

10 Suite à l’examen du curriculum vitae du plaignant, celui-ci a été informé par courriel le 31 octobre 2006 que ses deux demandes n’avaient pas été retenues pour le motif suivant :

[…] les personnes responsables de l’évaluation sont arrivées à la conclusion que vous ne répondez pas au critère de mérite essentiel suivant fixé par la présélection: Expérience considérable et récente dans la conduite de litiges complexes et variés à la Cour canadienne de l’impôt. 

11 Puisque le plaignant ne répondait pas à l’exigence de la dizaine d’années d’expérience, il n’a pas été évalué pour la deuxième qualification essentielle, soit l’expérience devant la Cour d’appel fédérale.

12 L’intimé a fait parvenir le même jour un document au plaignant contenant essentiellement les colonnes de droite et de gauche du tableau susmentionné pour le critère « expérience ». Il s’agissait donc de la première fois que le plaignant voyait l’information contenue dans la colonne de droite.

13 Une discussion informelle a eu lieu le 15 décembre 2006 entre le plaignant et Me Marie-Andrée Legault, Me Valérie Tardif et Me Daniel Verdon qui étaient sur le comité de présélection ainsi que Mme Monique Renaud, conseillère en ressources humaines.

14 Un bassin de candidats a été créé contenant les candidats qui se sont qualifiés pour les deux processus de nomination. L’intimé a par la suite procédé à des nominations à partir du bassin de candidats. Le plaignant a présenté une plainte pour chaque nomination ainsi faite.

Absence d’audience/Audience sur dossier

Question 1: Le Tribunal a-t-il enfreint les règles de justice naturelle en procédant à une audience sur dossier?

A) Arguments du plaignant

15 Le plaignant dénonce également la décision du Tribunal de procéder par une audience sur dossier pour ses plaintes comme il l’a fait pour la plainte 2007-0565 qui a fait l’objet de la décision Lavigne c. le Sous-ministre de la Justice et al.,[2007] TDFP 0045.

16 Selon le plaignant, cette décision du Tribunal le prive de faire entendre des témoins et de contre-interroger ceux de l’intimé. L’article 27 du Règlement du TDFP n’habilite pas le Tribunal à ignorer les règles de justice naturelle ni à nier au plaignant le droit d’être entendu avant qu’il ne soit statué sur ses droits.

B) Arguments de l’intimé

17 La raison pour laquelle le plaignant ne fait pas l’objet d’une nomination est claire et le Tribunal a plusieurs éléments de preuve en sa possession à cet effet.

18 Le plaignant n’allègue aucun fait dont la preuve par témoin permettrait au Tribunal de conclure qu’il y a abus de pouvoir. Il a eu l’occasion de faire valoir ses arguments. Il s’agit d’une recherche à l’aveuglette du plaignant que de vouloir procéder à une audience avec témoins.

19 Si le Tribunal devait accepter les arguments du plaignant, le Tribunal serait alors dans l’obligation de tenir des audiences par voie orale dans tous les cas. Pourtant, le paragraphe 99(3) de la LEFP doit avoir un sens.

C) Arguments de la Commission de la fonction publique

20 Pour la Commission de la fonction publique (CFP), la décision du Tribunal de procéder sans audience tel que prévu dans la LEFP n’est pas contraire aux règles de justice naturelle.

D) Réplique du plaignant

21 Pour ce qui est de la décision du Tribunal d’avoir procédé sans audience, le plaignant questionne en outre l’indépendance et la crédibilité du membre du Tribunal et est sceptique pour ce qui est de la suite qui sera donnée à ses plaintes.

E) Analyse

22 Le plaignant soulève à nouveau qu’il y a un déni de justice parce que le Tribunal a décidé de procéder par une audience sur dossier pour ses plaintes. Le plaignant aurait souhaité être entendu durant une audience pour traiter de la façon de procéder du Tribunal.

23 Deux dispositions de la LEFP portent sur cette question. Le paragraphe 98(1) qui se lit ainsi : « Les plaintes sont instruites par un membre seul qui procède, dans la mesure du possible, sans formalisme et avec célérité ». Mais surtout, le paragraphe 99(3) de la LEFP qui établit clairement que : « Le Tribunal peut statuer sur une plainte sans tenir d’audience ».

24 Au risque de répéter ce qui a été déterminé dans la décision Lavigne, impliquant le même plaignant, le Tribunal peut procéder sans audience pour entendre une plainte. Le Tribunal avait aussi décidé ce qui suit :

[15] […] Le paragraphe 99(3) de la LEFP est clair : le Tribunal n’est pas obligé de tenir d’audience. De façon générale, l’instruction d’une requête ou d’une plainte sur le fond par voie de documentation écrite est plus efficace, réduit le temps d’attente d’une décision et favorise une meilleure utilisation des ressources limitées du Tribunal. La décision de tenir ou non une audience revient au Tribunal, décision qu’il prend de façon éclairée compte tenu de toutes les circonstances d’une affaire. Ceci ne veut pas dire que les parties n’ont pas l’occasion de faire valoir leur point de vue.

25 De plus, l’article 27 du Règlement du TDFP prévoit que « [l]e Tribunal est maître de la procédure. Il peut décider de l’ordre et de la manière dont la preuve et les plaidoiries seront présentées. »

26 Lorsque le Tribunal a décidé de procéder sans audience pour ces plaintes, il avait beaucoup d’information au dossier soit : la plainte, les allégations du plaignant qui comptent plusieurs pages ainsi que la réponse de l’intimé. De plus, les parties ont échangé un nombre impressionnant de documents (environ 90) incluant de nombreux courriels dont le Tribunal a obtenu copie à sa demande. Certes, il y en avait en double mais le Tribunal avait néanmoins une idée précise du motif de la plainte, de la position des parties et toute l’information nécessaire pour procéder sans audience.

27 Le plaignant soutient qu’il aurait pu faire entendre des témoins et contre-interroger ceux de l’intimé et il donne des exemples de témoignages potentiels. Toutefois, le Tribunal est d’avis qu’il n’était pas nécessaire d’entendre des témoins pour décider les plaintes, le point principal en litige étant l’utilisation de la justification du critère de mérite qui a servi à éliminer le plaignant des processus de nomination.

28 Par conséquent, le Tribunal considère que les règles de justice naturelle sont respectées en procédant à une audience sur dossier.

Délégation

Question 2: L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en sous-déléguant l’établissement des critères de mérite au comité d’évaluation ?

A) Arguments du plaignant

29 Selon le plaignant, Me Bédirian, le gestionnaire délégué, devait respecter à la lettre les conditions du pouvoir subdélégué en vertu de la sous-délégation du 11 avril 2006 par le sous-ministre de la Justice ainsi que l’Instrument de délégation et de responsabilisation en matière de nomination du ministère de la Justice.

30 Le plaignant soutient que Me Bédirian devait établir des critères de mérite objectifs et les inclure dans les annonces. Il a failli à sa tâche et manqué à ses devoirs d’équité, de transparence et de respect inscrits dans la LEFP ainsi que dans les Lignes Directrices relatives à la délégation des pouvoirs en dotation en approuvant les versions finales des énoncés des critères de mérite dans lesquels n’apparaissent nullement les éléments de la colonne de droite. Me Bédirian a donc commis un abus de pouvoir flagrant envers le plaignant et les autres candidats dans la même situation en établissant l’exigence suivante :

expérience acquise depuis environ une dizaine d’années dans la conduite de dossiers de complexité moyenne touchant les dispositions variées de la Loi de l’impôt sur le revenu et touchant la Loi de l’assurance-emploi.

C’est cette expérience d’une dizaine d’années qui a servi à disqualifier le plaignant.

31 Le plaignant allègue que Me Bédirian a manqué à ses devoirs en subdéléguant sans droit son pouvoir de nomination car il a habilité le comité d’évaluation à utiliser arbitrairement et secrètement de l’exigence de la « dizaine d’années » comme s’il s’agissait d’un critère de mérite objectif alors qu’il s’agit d’un outil d’élimination arbitraire en contradiction avec les politiques en vigueur. Me Bédirian a habilité le comité à l’exclure des processus de nomination au stade de la présélection sur la base d’un critère de mérite non inclus dans les annonces sur Publiservice.

B) Arguments de l’intimé

32 L’intimé soutient que le gestionnaire, Me Bédirian, n’a pas sous-délégué son pouvoir de nommer. Il n’était pas nécessaire que Me Bédirian prenne part personnellement à toutes les étapes du processus d’évaluation des candidats.

C) Arguments de la Commission de la fonction publique

33 La CFP a traité de la délégation en portant l’attention du Tribunal sur certaines dispositions de la LEFP. Toutefois, la CFP n’a pas fourni d’arguments précis quant à la question de la délégation en l’espèce.

D) Analyse

34 Le plaignant soutient que Me Bédirian a subdélégué sans droit son pouvoir de délégation en autorisant le comité d’évaluation à utiliser des conditions qui n’étaient pas incluses dans l’annonce sur Publiservice. Ces conditions ont ensuite été utilisées par le comité de sélection pour exclure le plaignant des processus de nomination.

35 Or, selon la preuve ce n’est pas le comité d’évaluation qui a élaboré et approuvé ces conditions que l’on retrouve dans la « Justification du/des critères de mérite  pour le choix d’une nomination ». C’est Me Bédirian qui l’a fait comme il a approuvé les critères de mérite. Il n’y a donc pas eu de subdélégation au comité d’évaluation comme le soutient le plaignant.

36 De plus, comme l’a affirmé l’intimé, il n’était pas nécessaire que Me Bédirian participe à chaque étape de l’évaluation des candidats. Aux termes de l’article 36 de la LEFP, les gestionnaires disposent d’un pouvoir discrétionnaire considérable dans la sélection et l’utilisation des méthodes d’évaluation pour déterminer si un candidat satisfait aux qualifications établies pour un poste donné. Voir les décisions Jolin c. Administrateur général de Service Canada et al., [2007] TDFP 0011, et Visca c. Sous-ministre de la Justice et al., [2007] TDFP 0024.

37 L’article 36 de la LEFP se lit ainsi :

36. La Commission peut avoir recours à toute méthode d’évaluation – notamment prise en compte des réalisations et du rendement antérieur, examens ou entrevues – qu’elle estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications visées à l’alinéa 30(2)a) et au sous-alinéa 30(2)b)(i).

(Soulignages ajoutés)

38 Ce n’est pas en soi un abus de pouvoir pour le gestionnaire à qui est subdélégué le pouvoir de dotation que de ne pas participer à chaque étape de l’évaluation des candidats. Ainsi le Tribunal a établi dans la décision Visca que le pouvoir discrétionnaire considérable accordé aux gestionnaires dans l’évaluation des critères leur permettait d’établir plusieurs comités d’évaluations composés de différentes personnes. Le Tribunal s’est exprimé ainsi au paragraphe 61 de cette décision :

[61] Il incombe au plaignant de faire la preuve de ces allégations d’abus de pouvoir. Il revenait au plaignant de démontrer par une preuve convaincante que l’utilisation de plusieurs jurys dans le processus de nomination en l’espèce a mené à un abus de pouvoir du type examiné par le Tribunal dans la décision Tibbs, supra. Or, le plaignant n’a fourni aucune preuve de la sorte. Au contraire, le Tribunal est convaincu, au vu des éléments de preuve présentés, que le processus choisi pour la présentation des rapports des jurys, et le fait que M. Wilson était un membre de tous ces jurys, assuraient une présentation uniforme des rapports au comité de sélection au regard des critères de mérite dans le processus de nomination en l’espèce, ainsi qu’une évaluation uniforme par le comité.

39 Le Tribunal doit donc examiner les autres allégations du plaignant pour déterminer s’il a établi une preuve convaincante d’abus de pouvoir dans ces processus de dotation.

Document du 8 septembre 2006

Question 3: L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en datant le document « Justification du/des critères de mérite  pour le choix d’une nomination » du 8 septembre 2006 plutôt que le 22 septembre 2006 ?

A) Arguments du plaignant

40 Le plaignant dénonce fortement le document en date du 8 septembre 2006 par Me Bédirian qui a été signé et complété en réalité le 22 septembre 2006. Il s’agirait d’un faux document qui modifie de manière substantielle les critères de mérite annoncés sur Publiservice et qui ont servi à disqualifier le plaignant des processus de nomination. De plus, ce document n’existait pas en forme complétée au moment de la publication des annonces sur Publiservice le 18 septembre.

41 Selon le plaignant, il s’agit d’un geste conscient, mensonger et répréhensible qui démontre l’abus de pouvoir et la mauvaise foi de l’intimé.

B) Arguments de l’intimé

42 Par souci de transparence, Me Bédirian a adopté et consigné par écrit une définition pour certaines qualifications essentielles avant que les candidatures ne soient reçues. Dans ce cas, il a précisé que le mot « considérable » signifiait « environ une dizaine d’années ». La définition incluse dans la colonne de droite n’a pas pour effet d’ajouter ou d’enlever à la qualification essentielle requise, soit l’expérience considérable.

43 L’intimé affirme qu’il n’y a toutefois aucune exigence d’adopter ou de consigner par écrit une telle définition. De plus, il n’est pas dans la pratique de l’intimé d’inclure sur les énoncés de critères de mérite les définitions se rapportant aux expériences évaluées lors de la présélection. Il est de la responsabilité d’un candidat de communiquer avec le gestionnaire identifié sur l’avis pour obtenir de l’information additionnelle concernant l’expérience requise.

44 Le document a été complété le 22 septembre mais il est en date du 8 septembre car c’est à cette date que Me Bédirian a élaboré les définitions.

C) Arguments de la Commission de la fonction publique

45 La CFP n’a pas fourni d’arguments sur ce point.

D) Réplique du plaignant

46 Le document en date du 8 septembre 2006 est un faux dont on a fait un usage illicite et auquel on cherche à faire produire des effets juridiques. Me Bédirian et Mme Renaud ont choisi de faire de fausses représentations et ont, par leur geste répréhensible, vicié la conduite des processus de nomination ainsi que leur résultante.

47 Selon le plaignant, les définitions du document du 8 septembre ont pour effet d’ajouter aux qualifications essentielles requises.

E) Analyse

48 Le plaignant soutient qu’il s'agit d’un faux document et qui ne peut être utilisé pour ajouter aux critères contenus sur l’annonce de Publiservice.

49 L’intimé ne nie nullement que la date du document n’est pas celle de la signature mais explique que Me Bédirian avait déterminé les critères de mérite le 8 septembre et a signé le document portant sur la justification en conséquence.

50 Le fait que Me Bédirian n’ait pas indiqué la date réelle à laquelle il a signé le document n’est certes pas une pratique à suivre. En effet, les documents devraient toujours être en date de la journée où ils sont signés. Ainsi, Me Bédirian aurait très bien pu indiquer dans le document qu’il avait élaboré ces conditions le 8 septembre et le signer le 22 septembre. Le geste de Me Bédirian manque certes de la transparence qui est attendue dans la fonction publique et particulièrement du système de dotation sous la LEFP.

51 Le plaignant soutient que la justification doit être ignorée car elle n’était pas incluse dans les critères de mérite ce qui est traitée à la question suivante.

52 Par ailleurs, le Tribunal ne peut ignorer ce document comme l’allègue le plaignant parce qu’il a été signé le 22 septembre. Le Tribunal considère qu’il est admissible en preuve et qu’il a été signé le 22 septembre, soit quelques jours après que les critères de mérite ont été annoncés sur Publiservice. Cependant, les candidats ont été évalués après cette date car la date de clôture était le 2 octobre et le plaignant n’a pas démontré en quoi le fait d’avoir signé ce document le 22 septembre constituait en soi un abus de pouvoir.

53 Le Tribunal a examiné toutes les circonstances de cette plainte mais ne peut conclure à un abus de pouvoir du fait d’avoir indiqué la date à laquelle le document a été élaboré plutôt que la date de la signature des documents.

54 De plus, que la date soit le 8 ou le 22 septembre 2006, le fait demeure que ce document émane de Me Bédirian et qu’il a le pouvoir en tant que gestionnaire délégué d’établir les critères de mérite et de sélectionner les candidats pour les postes à doter. Le processus entier ne devient pas une nullité tel que le soutient le plaignant simplement parce que la date du document n’est pas exacte.

55 Le Tribunal conclut donc que l’intimé n’a pas abusé de son pouvoir en datant la justification du critère de mérite du 8 septembre 2006 plutôt que lorsqu’il l’a signée le 22 septembre 2006.

Évaluation des qualifications essentielles

Question 4: L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en éliminant le plaignant par l’utilisation de définitions qui ne sont pas incluses dans l’annonce sur Publiservice?

A) Arguments du plaignant

56 Le plaignant soutient que sa candidature a été rejetée sans droit selon la justification du critère de mérite non incluse dans les annonces, soit les énoncés dans la colonne de droite du tableau susmentionné. Le plaignant soutient qu’il a été exclu des processus de nomination de façon sommaire et arbitraire puisque l’intimé a tenu compte de la justification du critère de méritequi n’était pas incluse dans les critères de mérite. Selon le plaignant, les définitions utilisées dans la colonne de droite pour le disqualifier ne pouvaient être prises en compte parce qu’elles n’étaient pas incluses dans les annonces des postes sur Publiservice.

57 Le comité d’évaluation a omis de donner aux mots « expérience considérable » leur sens ordinaire. Le plaignant soutient que son expérience de 30 ans de pratique consacrée au litige, dont trois années à plaider devant la Cour canadienne de l’impôt, est une expérience considérable qui s’est manifestée récemment, donc qui était actuelle.

58 Le plaignant soutient que son curriculum vitae démontre qu’il a eu une très bonne conduite de dossiers devant la Cour d’appel fédérale, ce qui était le deuxième critère de mérite sur Publiservice qui n’a pas été évalué.

59 Selon le plaignant, Me Bédirian et l’équipe qui a participé à l’élaboration des critères de mérite affichés sur Publiservice voulaient contingenter le nombre de candidatures en élevant une barrière artificielle « tout en adoucissant le parcours pour ceux qui demeuraient ».

60 Le plaignant soutient que même si la définition d’une dizaine d’années avait été incluse sur l’annonce de Publiservice, cela n’aurait pas suffit à éliminer sa candidature car ce n’est pas, en soi, un critère objectif permettant d’apprécier le mérite. Selon le plaignant, « jamais de mémoire d’homme un tel critère, par définition flou et arbitraire, n’a été utilisé au Bureau régional du Québec pour définir les critères essentiels (…) ».

61 Le plaignant est d’avis qu’il s’agit d’un abus de pouvoir flagrant et que les règles d’équité procédurale les plus élémentaires ont été bafouées.

62 Le plaignant demande que les processus de nomination soient déclarés nuls ab initio et que les nominations ou propositions de nomination soient révoquées.

B) Arguments de l’intimé

63 Le fardeau de la preuve, selon la prépondérance des probabilités, incombe au plaignant. La preuve doit être claire, forte et convaincante. À la face même du dossier, dans les allégations et l’argumentation du plaignant, rien ne démontre qu’il y a eu abus de pouvoir dans la décision de ne pas nommer le plaignant dans un de ces postes.

64 Selon l’intimé, le gestionnaire, Me Bédirian, est le mieux placé pour établir les qualifications essentielles et les préciser au besoin pour les fins de l’évaluation.

65 Les qualifications essentielles ont été établies en fonction des tâches à accomplir. La qualification essentielle « expérience considérable et récente dans la conduite de litiges complexes et variés à la Cour canadienne de l’impôt » n’a rien d’abusive pour des postes de juriste-expert et chef d’équipe à la direction des affaires fiscales. De plus, le libellé de cette qualification est suffisamment clair pour permettre à un candidat de savoir ce qu’il a à démontrer.

66 L’intimé soutient que, de son propre aveu, le plaignant ne possède que trois années d’expérience dans la conduite de litiges devant la Cour canadienne de l’impôt. Selon le gestionnaire, cela ne constitue pas une expérience considérable. Toute personne ne possédant que trois années d’expérience aurait été écartée du processus.

67 Le plaignant propose une interprétation ou une définition différente pour cette qualification essentielle. Afin que le plaignant puisse se qualifier et potentiellement faire l’objet d’une nomination à un des postes, il faudrait soit réduire ou éliminer cette qualification essentielle.

68 Selon l’intimé, l’expérience, les connaissances, les habiletés et les qualités personnelles du plaignant ne sont pas en cause. Le plaignant ne possède pas l’expérience requise qui est identifiée comme étant une qualification essentielle. C’est la raison pour laquelle sa candidature a été éliminée. Le fait qu’il ne possède pas cette qualification essentielle n’est pas une indication d’un abus de pouvoir.

69 Selon l’intimé, l’examen de l’historique législatif est important pour interpréter la LEFP. Cet historique démontre l’intention du législateur de s’éloigner des concepts compliqués et rigides sous l’ancienne LEFP ainsi que de la jurisprudence développée au fil des ans.

70 L’intimé soutient que l’abus de pouvoir nécessite une intention négative. L’intimé a de plus produit de la jurisprudence ainsi que des extraits d’ouvrages à l’appui de sa position.

C) Arguments de la Commission de la fonction publique

71 La CFP a fait valoir que pour qu’il y ait abus de pouvoir dans un processus de dotation, il faut qu’il y ait un élément intentionnel, tel la mauvaise foi ou le favoritisme, ou l’incurie ou l’insouciance doivent être prouvées. La CFP a également produit de la jurisprudence et des extraits de doctrine afin d’appuyer sa position.

D) Réplique du plaignant

72 Le plaignant affirme que les membres du comité d’évaluation ont abusé de leur pouvoir en soumettant sa candidature à un critère dont ils n’avaient pas le pouvoir de tenir compte, soit la « dizaine d’années », parce que cette définition n’avait pas été annoncée. Au stade de la présélection, le comité ne pouvait user de la seule totalisation des années passées par le plaignant à faire l’activité. En effet, le critère n’était pas annoncé et ensuite, il n’est pas un indicateur du « mérite ».

73 Le plaignant croit s’être déchargé de son fardeau de preuve du bien-fondé de ses allégations en regard de l’existence d’un abus de pouvoir dans le déroulement des processus de nomination ayant mené au rejet arbitraire de sa candidature.

E) Analyse

74 La question sur laquelle le Tribunal doit se pencher est de savoir si l’utilisation de la justification du critère de mérite pour éliminer le plaignant des processus de nomination constitue un abus de pouvoir car il contient des définitions qui ne sont pas incluses dans l’annonce de Publiservice. Selon le plaignant, il n’était pas nécessaire de définir « expérience considérable » comme étant environ une dizaine d’années d’expérience, le terme lui-même étant suffisant.

75 Dans la décision Visca, le Tribunal traite du pouvoir discrétionnaire d’un gestionnaire pour établir les qualifications liées à un poste à doter et pour choisir le candidat qui est la bonne personne pour occuper ce poste :

[42] Aux termes du paragraphe 30(2) de la LEFP, les gestionnaires disposent d’un pouvoir discrétionnaire considérable pour établir les qualifications liées au poste qu’ils souhaitent doter et pour choisir la personne qui non seulement satisfait aux qualifications essentielles mais représente la bonne personne pour occuper le poste visé. […]

[43] […] Les gestionnaires ont en effet toute la marge de manoeuvre nécessaire pour décider des critères qui sont les plus importants pour un poste donné, au moment du processus de sélection. […] M. Wilson a pris cette décision et opté pour une méthode d’évaluation qui met l’accent sur deux critères en particulier, la vaste expérience récente, et le jugement.

(Soulignages ajoutés)

76 De toute évidence, Me Bédirian disposait du pouvoir discrétionnaire pour établir la qualification essentielle « expérience considérable et récente dans la conduite de litiges complexes et variés à la Cour canadienne de l’impôt ». De la même façon, il pouvait définir ce qu’il considérait être une telle expérience. La preuve révèle qu’il a établi que l’expérience considérable était une « expérience acquise depuis environ une dizaine d’années dans la conduite de dossiers de complexité moyenne touchant les dispositions variées de la Loi de l’impôt sur le revenu et touchant la Loi de l’assurance-emploi ».

77 De plus, la décision récente du Tribunal dans Neil c. le Sous‑ministre d’Environnement Canada et al., [2008] TDFP 0004, est applicable en l’espèce. Tout comme dans le présent dossier, le plaignant, M. Neil, avait été éliminé du processus de nomination car il ne possédait pas le minimum de trois années d’expérience requis mais qui n’était pas spécifié sur Publiservice.

78 Dans Neil, l’annonce sur Publiservice indiquait comme qualification essentielle  « expérience appréciable » pour le poste. Le gestionnaire et son équipe ont ensuite défini « expérience appréciable » comme étant un minimum d’environ trois années d’expérience. La version finale du document avec les définitions a été complétée le dernier jour de la présélection des candidats.

79 Le Tribunal a conclu qu’il n’était pas obligatoire d’informer les candidats des définitions au moment de poser leur candidature :

[50] Le Tribunal tient à souligner que, bien qu’il ne soit pas obligatoire d’informer les candidats de tous les détails concernant la façon dont une qualification en particulier sera évaluée, il est dans l’intérêt de tous de faire preuve de clarté et de transparence dans la mesure du possible dans le cadre d’un processus de nomination. Il s’agit de s’assurer que tous ceux qui possèdent effectivement une qualification peuvent le démontrer et passer à la prochaine étape du processus. Il aurait donc été préférable que l’intimé fournisse aux candidats plus de détails dans l’énoncé des critères de mérite sur la façon dont « l’expérience appréciable » serait évaluée par le comité. Cette démarche est d’ailleurs recommandée dans la Série d’orientation de la Commission de la fonction publique portant sur l’évaluation, la sélection et la nomination. En voici un extrait :

Dans le but de faciliter la présélection des candidats et candidates, il est important que le ou la gestionnaire mette au point une définition de certains mots : par exemple, la signification d’une expérience « récente » ou « appréciable ». Une fois qu’une telle définition a été établie, le ou la gestionnaire, ou le comité d’évaluation si le ou la gestionnaire en fait la demande, devrait être prêt à répondre aux demandes et à transmettre ces renseignements aux candidats ou aux candidats éventuels. (…) Les définitions sont élaborées en fonction des exigences du poste et non pas d’après l’expérience ou les compétences du candidat ou de la candidate. Par conséquent, elles devraient être élaborées avant de passer en revue les candidatures et les qualifications des personnes considérées.

a. Exemple – L’annonce pour un poste précisait que les personnes devaient posséder « une expérience appréciable en élaboration de politiques ». Le ou la gestionnaire devrait définir le mot « appréciable » et il ou elle pourrait inclure cette définition dans l’annonce (…).

[51] Toutefois, le fait de ne pas informer les candidats de la définition précise d’un critère de mérite ne constitue pas, en soi, un abus de pouvoir. La qualification choisie par les gestionnaires et en fonction de laquelle les candidats seraient évalués figurait dans l’énoncé des critères de mérite. Le Tribunal estime que cette qualification était suffisamment détaillée pour permettre aux candidats de démontrer qu’ils la possédaient.

[52] Le document de la CFP précise également que les définitions doivent être établies avant l’examen des demandes d’emploi des personnes dont la candidature est prise en considération. Selon les éléments de preuve présentés à l’audience, le Tribunal tient pour avéré que les membres du comité d’évaluation se sont entendus sur la définition finale de l’expérience appréciable la journée même où l’étape de la présélection des candidats a été terminée. Cette pratique devrait résolument être évitée, car elle pourrait susciter des allégations selon lesquelles les critères ont été établis dans le but d’éliminer des candidatures ou de favoriser une personne en particulier. En l’espèce, il n’y a aucune preuve de manipulation de cet ordre.

(Soulignages ajoutés)

80 Nonobstant la pratique de l’intimé de ne pas inclure les définitions se rapportant aux critères de mérite dans les annonces sur Publiservice, il aurait été préférable que les définitions de la colonne de droite soient incluses dans l’énoncé des critères de mérite tel qu’indiqué au paragraphe 50 de la décision Neil. Une telle pratique rend le processus de nomination beaucoup plus transparent, peut réduire le nombre de candidats qui savent dès la lecture de l’annonce qu’ils ne répondent pas aux exigences et peut éviter les plaintes de candidats qui s’estiment lésés parce qu’ils ignoraient ces définitions additionnelles.

81 Le plaignant soutient qu’il n’était pas nécessaire d’expliquer les termes « expérience considérable » et que son expérience de trois années était suffisante pour répondre à cette exigence. Le Tribunal est au contraire d‘avis qu’il est utile pour tous de savoir exactement ce que le gestionnaire entend par « expérience considérable », ces termes pouvant mener à plusieurs interprétations, tel qu’en fait foi la position du plaignant.

82 Dans Broughton c. le Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux et al., [2007] TDFP 0020, le Tribunal explique son rôle :

[54] Le rôle du Tribunal consiste à déterminer s’il y a eu abus de pouvoir dans le contexte du processus de nomination mais non à reprendre le processus de nomination en examinant l’expérience du plaignant afin de déterminer, suite à un second regard, si son expérience a été évaluée correctement par le comité d’évaluation. […]

83 Ce n’est pas au Tribunal d’évaluer si l’expérience de trois ans du plaignant est suffisante pour les exigences des postes à doter. Il s’agit du rôle du gestionnaire qui a évalué qu’une expérience considérable pour le poste à doter était une expérience d’environ une dizaine d’années. Le comité d’évaluation, sur la base de cette définition d’expérience considérable, a jugé que l’expérience du plaignant ainsi que celle d’un autre candidat ne répondait pas à cette qualification essentielle. Le comité a même rencontré le plaignant le 15 décembre 2006 afin de s’assurer qu’il avait toute l’information pertinente en main.

84 Le Tribunal remarque que l’annonce sur Publiservice contenait les coordonnées de Mme Renaud, la conseillère en ressources humaines, pour des renseignements généraux. Rien n’empêchait le plaignant de communiquer avec elle afin d’obtenir des renseignements supplémentaires pour savoir ce en quoi consistait l’expérience considérable et récente pour ces postes.

85 En conclusion, le Tribunal est d’avis qu’il n’y a pas eu d’abus de pouvoir quand Me Bédirian a établi pour les postes à doter que l’expérience considérable dans la conduite de litiges complexes et variés à la Cour canadienne de l’impôt  était une expérience d’environ une dizaine d’années. De la même façon, le Tribunal considère que le comité d’évaluation n’a pas abusé de son pouvoir lorsqu’il a éliminé le plaignant du processus en se fondant sur la justification du critère de mérite qui contient les définitions de la colonne de droite du tableau mentionné précédemment.

Discussion informelle

Question 5: L’intimé a-t-il omis de s’assurer que la discussion informelle soit conduite conformément à la LEFP?

A) Arguments du plaignant

86 Selon le plaignant, il n’a pas eu le choix de participer à la discussion informelle qui a eu lieu le 15 décembre 2006 avec les trois membres du comité d’évaluation et Mme Renaud. Lors de la discussion, il a tenté d’expliquer que la définition d’expérience considérable soit une « expérience acquise depuis environ une dizaine d’années dans la conduite de dossiers de complexité moyenne touchant les dispositions variées de la Loi de l’impôt sur le revenu et touchant la Loi de l’assurance-emploi » dans la colonne de droite du tableau ne pouvait et ne devait pas servir à le disqualifier au stade de la présélection ou à quelque stade que ce soit car elle n’était pas incluse dans l’annonce sur Publiservice. Selon lui, c’était en vain.

87 Me Bédirian a omis de s’assurer que la discussion informelle soit conduite d’une manière juste, équitable et conforme aux principes inscrits dans la LEFP et les Lignes Directrices sur les discussions informelles.

B) Arguments de l’intimé

88 L’objet d’une discussion informelle selon l’article 47 de la LEFP est de discuter avec un plaignant de la raison pour laquelle sa candidature n’a pas été retenue. Si une erreur a été commise, elle peut être corrigée.

89 Selon l’intimé, le plaignant n’a pas su démontrer ni dans son curriculum vitae ni lors de la discussion informelle qu’il possédait l‘expérience demandée.

90 Le comité d’évaluation n’avait donc pas à changer sa décision puisqu’aucun fait nouveau n’a été apporté par le plaignant.

C) Arguments de la CFP

91 La CFP n’a pas présenté d’argument sur ce point.

D) Analyse

92 Le plaignant soutient qu’il a été obligé de se soumettre et de participer à la discussion informelle. Selon lui, celle-ci a été inutile car le comité d’évaluation n’a pas changé sa position face à son expérience de travail et l’utilisation de la justification du critère de mérite. Il y a donc eu abus de pouvoir.

93 L’intimé affirme pour sa part que le plaignant n’a rien ajouté à son expérience de trois ans et que les gens présents étaient toujours d’avis qu’il ne satisfaisait pas à cette expérience d’environ une dizaine d’années, qui est une qualification essentielle. Il n’y avait donc pas lieu pour le comité de changer sa décision de l’éliminer du processus.

94 L’article 47 de la LEFP traite des discussions informelles :

47. À toute étape du processus de nomination interne, la Commission peut, sur demande, discuter de façon informelle de sa décision avec les personnes qui sont informées que leur candidature n’a pas été retenue.

95 Les discussions informelles font partie du processus de nomination et elles constituent une opportunité pour le dialogue entre le candidat qui a été éliminé du processus et la personne qui a pris cette décision. Dans Neil, leTribunal a indiqué ce qui suit sur le but des discussions informelles:

[56] Enfin, bien qu’il ne s’agisse pas d’un point essentiel pour trancher la plainte en l’espèce, le plaignant a soulevé une autre préoccupation qui mérite que l’on s’y attarde. Lorsqu’il a évoqué la discussion informelle qui a eu lieu après l’élimination de sa candidature, le plaignant a affirmé que, même lorsqu’il a soulevé les problèmes relatifs à sa qualification avec le gestionnaire, aucune mesure n’a été prise pour corriger la situation. Dans la décision Rozka et al. c. le Sous‑ministre de Citoyenneté et Immigration Canada et al.,[2007] TDFP 0046, le Tribunal a indiqué ce qui suit :

[76] La discussion informelle est un moyen de communication qui vise principalement à permettre à un candidat de discuter des raisons du rejet de sa candidature dans le cadre d’un processus. Si l’on découvre qu’une erreur a été faite, par exemple si le comité d’évaluation a omis de tenir compte de certains renseignements figurant dans la demande d’emploi du candidat, la discussion informelle donne l’occasion au gestionnaire de corriger son erreur. Toutefois, la discussion informelle ne doit pas constituer un mécanisme permettant de demander que le comité d’évaluation réévalue les qualifications d’un candidat.

(Soulignages ajoutés)

Voir aussi Henry v. Deputy Head of Service Canada et al., [2008] TDFP 0010, non encore publiée et Dionne v. Deputy Minister of National Defence et al., [2008] TDFP 0011, non encore publiée.

96 La discussion informelle a donc eu lieu après l’évaluation des candidats qui n’ont pas été retenus pour le processus de nomination. Pendant cette discussion, le plaignant a pu discuter avec l’intimé de son expérience ainsi du fait que la justification du critère de mérite n’avait pas été incluse dans l’annonce de Publiservice.

97 De plus, le plaignant allègue que l’intimé n’a pas respecté ses propres Lignes directrices sur les discussions informelles et qu’il s’agirait d’un abus de pouvoir. Comme le Tribunal a déjà conclu que l’intimé n’a pas abusé de son pouvoir en établissant l’expérience considérable à environ dix ans, il ne peut conclure que le plaignant a démontré que l’intimé a fait preuve d’abus de pouvoir sur cette question lors de la discussion informelle.

98 Par ailleurs le Tribunal considère que le plaignant n’a pas démontré le non-respect des lignes directrices sur les discussions informelles par l’intimé. Même s’il y avait eu mauvaise interprétation, cela n’équivaudrait pas à une erreur de droit dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire correspondant à un abus de pouvoir. La décision Kane c. l’Administrateur général de Service Canada et al.,[2007] TDFP 0035, traite de lignes directrices d’une agence :

[73] […] Les Lignes directrices peuvent constituer une forme de loi tel qu’indiqué dans Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884, [2003], S.C.J. no 36 (Q.L.). Toutefois, les Lignes directrices de l’AGRHFPC n’ont pas été publiées en vertu de la LEFP ou de son Règlement; elles ne constituent donc pas une forme de loi apparentée au Règlement. Par conséquent, même si l’intimé avait mal interprété les Lignes directrices, ce qu’il n’est pas nécessaire de déterminer pour rendre une décision en l’espèce, pareille mauvaise interprétation n’équivaut pas à une erreur de droit dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui correspondrait à un abus de pouvoir. Le Tribunal juge que l’intimé n’a pas contrevenu aux dispositions de la LEFP en ce qui concerne le présent processus de nomination.

(Soulignages ajoutés)

99 Le Tribunal constate donc que l’intimé a procédé à la discussion informelle conformément à la LEFP et considère les allégations du plaignant comme non fondées.

Dommages

Question 6: Le plaignant a-t-il droit à des dommages moraux et exemplaires?

A) Arguments du plaignant

100 Le plaignant allègue que Me Bédirian et les employés qui ont participé au processus de nomination et à l’élaboration du document daté du 8 septembre ont abusé de leur pouvoir de façon flagrante envers lui, ce qui lui a causé un tort personnel et professionnel irréparable.

101 En effet, Me Bédirian aurait amené le plaignant à révéler des renseignements personnels le concernant qu’il n’aurait pas autrement révélé au comité d’évaluation s’il avait su que ces personnes feraient secrètement usage d’éléments non annoncés de la colonne de droite pour l’exclure du processus.

102 Le plaignant demande des dommages moraux au montant de 100 $ et des dommages exemplaires de 100 $ de chacune des cinq personnes impliquées dans le processus.

B) Arguments de l’intimé

103 L’intimé est d’avis que le Tribunal n’a pas le pouvoir d’accorder des dommages en l’espèce.

C) Arguments de la Commission de la fonction publique

104 La CFP soutient que la demande du plaignant de déclarer les deux processus en cause nuls ab initio ainsi que la demande de dommages exemplaires et moraux ne font pas partie des mesures correctives pouvant être accordées par le Tribunal en vertu du paragraphe 81(1) de la LEFP. Si le Tribunal juge que la plainte d’abus de pouvoir est fondée, la mesure corrective indiquée est la révocation des nominations contestées et la prise de mesures correctives.

D) Réplique du plaignant

105 Le Tribunal a compétence pour accorder les conclusions recherchées.

E) Analyse

106 Comme la plainte n’est pas fondée, le Tribunal n’a pas à répondre à cette question.

Décision

107 Pour tous ces motifs, les plaintes sont rejetées.

Sonia Gaal

Vice-présidente

Parties au dossier

Dossiers du Tribunal:
2007-0241, 0242, 0274, 0314, 0400 et 2008-0384
Intitulé de la cause:
Jean Lavigne et le Sous-ministre de la Justice et al.
Audience:
Décision rendue sans comparution des parties
Date des motifs:
Le 27 mai 2008

Comparutions:

Pour le plaignant:
Jean Lavigne
Pour l'intimé:
Martin Desmeules
Pour la Commission
de la fonction publique:
Lili Ste-Marie
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.