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Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a affirmé que l’intimé avait abusé de son pouvoir en optant pour un processus de nomination non annoncé en vue de proroger une nomination intérimaire, et en établissant et en appliquant les qualifications essentielles. Le plaignant s’est opposé à l’utilisation répétitive des processus de nomination non annoncés. L’intimé a soutenu que la nomination intérimaire était fondée sur le mérite et ne constituait pas un abus de pouvoir; et que puisque les circonstances n’avaient pas changé depuis la dernière prorogation de la nomination intérimaire du candidat reçu, le gestionnaire a réutilisé la même documentation sans en modifier les dates afin de justifier la prorogation. Décision : Selon le Tribunal, la preuve a démontré que la justification écrite fournie concernant la nomination initiale (pénurie de main-d’œuvre, processus interne en cours et besoins opérationnels pressants) motivait la décision de proroger la nomination intérimaire par l’entremise d’un processus non annoncé. Toutefois, le Tribunal a fait remarquer qu’une nouvelle justification et une évaluation auraient dû être préparées relativement à la prorogation de la nomination intérimaire. Néanmoins, le Tribunal a souligné qu’il s’agissait seulement d’une erreur technique et non d’un abus de pouvoir. Il a ajouté d’autre part qu’un processus de nomination non annoncé a été choisi pour sa rapidité étant donné le besoin opérationnel pressant de doter le poste. Le Tribunal a enfin jugé que l’établissement et l’application des qualifications essentielles respectaient les normes de qualification applicables et que l’intimé n’avait pas abusé de son pouvoir dans l’application de ces qualifications. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier:
2007-0093
Rendue à:
Ottawa, le 1 août 2008

LOUIS CANNON
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d'abus de pouvoir aux termes du paragraphe 77(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est rejetée
Décision rendue par:
Francine Cabana, membre
Langue de la décision:
Français
Répertoriée:
Cannon c. Sous-ministre des Pêches et des Océans et al.
Référence neutre:
2008 TDFP 0021

Motifs de la décision

Introduction

1 Le plaignant, M. Louis Cannon, est un employé indéterminé (matelot – membre de l’équipage) de longue date à la Garde côtière du Canada (GCC), un organisme de service spécial au sein du ministère des Pêches et des Océans. Il a présenté une plainte devant le Tribunal au motif qu’il n’avait pas été nommé de façon intérimaire au poste de commandant SO-MOA-04 à la GCC en raison d’un abus de pouvoir de la part de l’intimé, le sous-ministre des Pêches et des Océans.

2 Le plaignant allègue que l’intimé a abusé de son pouvoir en utilisant un processus de nomination non annoncé pour effectuer une nomination intérimaire au poste de commandant. Il allègue également que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application des qualités essentielles. Il conteste la nomination intérimaire de M. Alain Guimont pour la période du 31 mars 2007 au 31 mars 2008, résultant d’un processus de nomination non annoncé.

3 À la suite de la conférence préparatoire entre le plaignant et l’intimé, le Tribunal a décidé de rendre sa décision sans tenir d’audience, conformément au paragraphe 99(3) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP). La décision est rendue sur la foi des observations des parties et de la preuve versée au dossier.

Résumé des faits pertinents

4 Afin de remédier à une pénurie d’officiers, la GCC a initié une stratégie de relèves en février et mars 2006 pour doter plusieurs postes d’officiers à différents niveaux. Cette stratégie a pris la forme de processus annoncé interne et externe. Les résultats du processus de nomination annoncé interne (2006-DFO-QC-IA-918166) pour le poste de commandant SO-MAO-04 ont été diffusés en juillet 2007 et seul un candidat s’est qualifié pour le poste. Celui-ci a cependant accepté un autre poste de commandant en résultat d’un autre processus de dotation. Par conséquent, aucun bassin d’officiers n’a pu être établi.

5 En planifiant le déploiement de la main d’oeuvre dans la région de Québec, M. Jean Du Sablon, Surintendant de la Marine intérimaire, a constaté qu’il y avait un besoin pressant de doter le poste de commandant du navire Cap Rozier. C’est un navire de sauvetage de classe CAP avec 33,8 tonneaux de jauge brute (tjb) et une zone d’opération entre Matane et Gaspé.

6 Sachant que les besoins opérationnels de la GCC ne pouvaient pas attendre les résultats du processus annoncé 2006-DFO-QC-IA-918166, M. Du Sablon a décidé de combler le poste de commandant SO-MAO-04 du Cap Rozier de façon temporaire par l’entremise d’une nomination intérimaire à la suite d’un processus de nomination non annoncé (06-DFO-ACIN-MTJ-919916). Lorsqu’il a établi les qualifications essentielles, M. Du Sablon a choisi le Brevet de capitaine avec restrictions de 60tjb puisque le processus ciblait un navire en particulier, le Cap Rozier dont la jauge brute était inférieure à 60tjb.

7 En avril 2006, M. Guimont a été nommé de façon intérimaire au poste de commandant du Cap Rozier pour une période de quatre mois moins un jour. Celui-ci possède un Brevet de capitaine avec restrictions de 60tjb valide sur le navire Cap Rozier utilisé entre Rimouski et Carleton à un maximum de 50 milles de la côte. Étant donné que les résultats du processus de nomination annoncé n’ont été disponibles qu’en juillet 2007, M. Du Sablon a prorogé la nomination intérimaire de M. Guimont du 10 août 2006 au 31 mars 2007 et par la suite, du 31 mars 2007 au 31 mars 2008. Les employés de la GCC ont été avisés de ces nominations intérimaires de M. Guimont par l’entremise de tableaux de transmission des notifications en date du 14 septembre 2006 et du 19 février 2007 affichés sur chaque navire de la GCC, à la base des aéroglisseurs à Trois-Rivières et aux bureaux des Services opérationnels à Québec.

8 Le 2 mars 2007, le plaignant qui possède un Brevet de capitaine de 350 tjb, a présenté sa plainte au Tribunal.

9 Il existe deux catégories principales de postes sur les navires de la GCC; les officiers de navires (SO), groupe auquel appartient M. Guimont, et les membres d’équipage (SC), groupe auquel appartient le plaignant.

10 Les postes d’officiers de navires sont gérés par réserve d’effectif et non par navire. Les Normes de qualifications établies par l’Agence de la fonction publique du Canada (AFPC) stipulent que les normes minimales d’attestation pour les postes au sein de la GCC sont gouvernées par l’Ordonnance de la flotte de la GCC. Afin d’effectuer une nomination à durée indéterminée au poste de commandant SO-MOA-04 conformément à l’Ordonnances de la flotte de la GCC, et au Profil de compétences – Classe CAP, les candidats doivent posséder un brevet de capitaine de 350tjb étant donné que la personne sélectionnée est nommée dans la réserve d’effectif et qu’elle est par la suite susceptible d’être affectée sur différents navires dans l’ensemble de la région du Québec.

11 En ce qui concerne une nomination intérimaire ou pour une période déterminée, l’Ordonnance de la flotte mentionne que la certification requise pour satisfaire au Profil de compétences – Classe CAP du navire peut être moindre que celle requise dans un cadre de dotation de durée indéterminée tout en satisfaisant aux exigences légales de Transports Canada :

Exigences de certification pour la dotation de durée déterminé ou temporaire

Dans le cadre de dotation de durée déterminée ou temporaire, le niveau minimal de certification pour un voyage ou des opérations données est le niveau établi dans le profil de compétences du navire, sauf indication contraire dans la présente ordonnance.

Les profils de compétences des navires de la GCC indiquent, pour chaque poste du bord, un niveau de certification qui répond ou dépasse les exigences du Règlement sur l’armement en équipage de la Loi sur la marine marchande.

La certification requise pour satisfaire au profil de compétences du navire peut donc être moindre que celle requise dans un cadre de dotation de durée indéterminée.

Chaque membre de l’effectif du navire doit, dans un cadre de dotation de durée déterminée ou temporaire, satisfaire aux qualifications requises par le profil de compétences du navire, à moins qu’une exemption soit accordée par rapport à ces exigences, conformément aux règles qui suivent.

[Nos italiques]

12 Le Profil de compétences – Classe CAP indique que pour le poste de commandant, le brevet de capitaine de 350tjb ou le brevet de capitaine avec restrictions de 60tjb est nécessaire. Il y a toutefois une note qui accompagne le brevet de capitaine avec restrictions de 60tjb : « le commandant qui détient ce certificat est limité aux opérations dans les eaux secondaires du Canada ».

Questions en litige

13 L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en choisissant un processus de nomination non annoncé pour proroger la nomination intérimaire de M. Guimont du 31 mars 2007 au 31 mars 2008?

14 L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l’établissement et l’application des qualifications essentielles lorsqu’il a effectué la nomination intérimaire de M. Guimont?

Arguments des parties

A) Arguments du plaignant

15 Le plaignant allègue que M. Guimont ne satisfait pas une à des qualifications essentielles concernant la nomination intérimaire au poste de commandant, soit celle de détenir un Brevet de capitaine de 350tjb comme il a été requis lors du processus de nomination annoncé pour un poste à durée indéterminée (2006-DFO-QC-IA-918166). Cependant il précise qu’il ne remet pas en question les compétences de M. Guimont à titre d’officier de navigation. Il explique que le cas de M. Guimont n’a servi que d’exemple et qu’il a choisi ce cas en particulier puisque c’est un poste qu’il connait et pour lequel il a les certifications et compétences.

16 Le plaignant indique qu’il s’oppose à l’utilisation répétitive du processus de nomination non annoncé par l’intimé qui, selon lui, semble être devenu une norme en matière de dotation dans sa région depuis plusieurs années, privant ainsi les employés de la possibilité de postuler à plusieurs des postes sur les navires de la GCC. D’après le plaignant, l’intimé offre de façon systématique des affectations intérimaires à répétition et des prorogations à sa discrétion et souvent aux mêmes personnes. Il est d’avis que cette situation lui porte préjudice et l’empêche de faire progresser sa carrière au sein de la GCC.

17 Le plaignant indique que pendant la période du 2 août 2007 au 7 mars 2008, il y eu six nominations résultant d’un processus de nomination annoncée, plus de 30 nominations résultant d’un processus de nomination non annoncé et plus de 100 prorogations de ces nominations.

18 Le plaignant fait référence aux Lignes directrices en matière de nomination : facteurs à prendre en considération de la Commission de la fonction publique (Lignes directrices de la CFP) afin de démontrer que l’intimé a abusé de son pouvoir en utilisant un processus de nomination non annoncé. Il fait valoir que l’intimé ne respecte pas les valeurs fondamentales et directrices en matière de dotation que sont le mérite, l’impartialité, la justice, la transparence, l’accessibilité et la représentativité.

19 À titre de redressement, le plaignant demande :

  1. La révocation de la nomination intérimaire de M. Guimont;
  2. Que l’intimé cesse d’utiliser le processus de nomination non annoncé de manière répétitive;
  3. Que l’intimé permette aux personnes dont les compétences et certifications correspondent aux critères et exigences déterminés par le directeur général d’être sélectionnées en priorité;
  4. Que l’intimé se prévale de son droit discrétionnaire de processus de nomination non annoncé pour les employés permanents qui répondent aux critères et les exigences de certification en utilisant le processus d’offre d’emploi sur le champ élaboré par la CFP depuis 2007;
  5. Que sa candidature à un poste permanent de commandant de navire de recherche et sauvetage soit prise en considération.

B) Arguments de l’intimé

20 L’intimé soutient que M. Guimont est un officier qui était disponible au moment de la nomination et qui possède toutes les qualifications essentielles requises, y compris le Brevet de capitaine avec restrictions de 60tjb, pour occuper le poste de commandant SO-MAO-04 à bord le Cap Rozier. L’intimé ajoute que la nomination intérimaire est fondée sur le mérite et ne constitue pas un abus de pouvoir.

21 L’intimé fait valoir que M. Du Sablon a établi les qualifications essentielles du poste en se référant aux Lignes directrices – Processus de nomination non annoncés du ministère des Pêches et des Océans (Lignes directrices du ministère), aux Lignes directrices de la CPF, aux Normes de qualification de l’AFPC et au Profil de compétences - Classe CAP. Selon l’intimé, les Lignes directrices du ministère reprennent les principes énoncés dans les Lignes directrices de la CFP. M. Du Sablon s’est également fié au Profil de compétences – Classe CAP en ce qui concerne l’exigence minimale relative au brevet de capitaine.

22 L’intimé maintient que M. Du Sablon a évalué les capacités de M. Guimont en fonction des qualités essentielles du poste de commandant du Cap Rozier conformément au paragraphe 30(2) de la LEFP. Pour ce faire, il a utilisé plusieurs méthodes d’évaluation conformément à l’article 36 de la LEFP pour évaluer M. Guimont, telles que son expérience de travail à la GCC, ses observations de M. Guimont et le dossier de ce dernier.

23 Par surcroît, selon l’intimé, l’exigence du Brevet de capitaine avec restrictions de 60tjb respecte ou dépasse les normes de qualifications applicables établies par l’employeur. En particulier, les profils de compétences des navires de la GCC indiquent, pour chaque poste de bord, un niveau de brevet ou de certification qui répond ou dépasse les exigences de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. 1985, ch. S-9 (LMMC) et ses règlements. Le Profil de compétences – Classe CAP, concernant les navires comme le Cap Rozier, précise que le commandant doit posséder le Brevet de capitaine avec restrictions de 60tjb prescrit par la LMMC.

24 Or, l’intimé affirme que le Brevet de capitaine avec restrictions de 60tjb que détient M. Guimont qui a été attribué sous le sceau du ministre précise que ce brevet de capitaine est « […] valide sur le navire « Cap Rozier » […]. De plus, plaide l’intimé, la zone précisée sur ce brevet de capitaine, soit entre Rimouski et Carleton, dépasse celle des opérations du Cap Rozier, soit de Matane à Gaspé. Selon l’intimé, ces références soulignent clairement que le Brevet de capitaine avec restrictions de 60tjb de M. Guimont est une attestation professionnelle valide pour commander le Cap Rozier en vertu de la LMMC.

25 L’intimé maintient que le fait de demander un brevet de capitaine de 350tjb dans le processus annoncé 2006-DFO-QC-IA-918166 ne l’oblige pas d’imposer ce brevet de capitaine pour tous les processus postérieurs. De plus, l’intimé souligne que les circonstances du processus annoncé diffèrent de celles du processus non annoncé faisant l’objet de cette plainte. Contrairement au processus annoncé, l’intimé soutient que M. Du Sablon ne recherchait pas des candidats pouvant travailler sur différents navires de la flotte de la GCC. Alors, M. Du Sablon a choisi l’option du Brevet de capitaine avec restrictions de 60tjb car ce processus non annoncé ciblait le Cap Rozier, dont la jauge brute était inférieure à 60tjb.

26 L’intimé affirme que la nomination de M. Guimont respecte toutes les exigences des Lignes directrices de la CFP et celles du ministère, en plus de satisfaire au plan des ressources humaines de 2007 de la GCC. De plus, il ajoute qu’il ne pouvait faire abstraction des conventions collectives en vigueur concernant les navires de la GCC, ni de l’entente patronale-syndicale qui précise que les nominations intérimaires aux niveaux supérieurs seront offertes au préalable aux officiers qui sont disponibles et qui possèdent les qualifications requises pour le poste.

27 L’intimé explique que la nomination de M. Guimont est conforme aux exigences des Lignes directrices du ministère qui requièrent une justification narrative écrite démontrant comment la décision satisfait aux exigences de ces lignes directrices. Une telle justification pour la période allant du 10 avril 2006 au 31 mars 2007 a été fournie et annexée au dossier concernant cette nomination. Une évaluation écrite de M. Guimont, pour cette même période de temps, a également été effectuée, en fonction des critères de mérite et des conditions d’emploi. L’intimé précise que puisque les circonstances n’avaient pas changé depuis la dernière prorogation, M. Du Sablon a réutilisé la documentation de la prorogation intérimaire de M. Guimont en date du 10 août 2006 au 31 mars 2007 pour la prorogation du 31 mars 2007 au 31 mars 2008 sans en modifier les dates. Une « Demande d’action en personnel » a également été fournie pour la prorogation de la nomination intérimaire du 31 mars 2007 au 31 mars 2008.

28 L’intimé fait également valoir qu’en vertu du paragraphe 30(4) de la LEFP, il n’existe aucune exigence de prendre en compte plus d’une personne pour faire une nomination. Par ailleurs, il soutient que le plaignant n’a pas établi que la décision de choisir un processus de nomination non annoncé constitue un abus de pouvoir. Par conséquent, l’intimé demande au Tribunal de rejeter cette plainte.

C) Arguments de la Commission de la fonction publique

29 La CFP a présenté des arguments généraux portant sur la notion d’abus de pouvoir et sur la façon dont le Tribunal devrait aborder cette question.

Analyse

Question 1: L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en choisissant un processus de nomination non annoncé pour proroger la nomination intérimaire de M. Guimont du 31 mars 2007 au 31 mars 2008?

30 L’article 33 de la LEFP accorde à la CFP ou à son délégué en vertu de l’article 15 de la LEFP, la discrétion de choisir entre un processus de nomination annoncé ou un processus de nomination non annoncé pour procéder à une nomination. Toutefois ce pouvoir discrétionnaire n’est pas absolu et une plainte peut être présentée au Tribunal pour abus de pouvoir lors du choix du processus en vertu de l’alinéa 77(1)b) de la LEFP. Il revient au plaignant de prouver qu’il y a eu abus de pouvoir selon la prépondérance des probabilités tel qu’établi par la jurisprudence du Tribunal. Ces dispositions de la LEFP se lisent ainsi:

33. La Commission peut, en vue d’une nomination, avoir recours à un processus de nomination annoncé ou à un processus de nomination non annoncé.

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

(…)

b) abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas; (…)

31 Dans les Lignes directrices du ministère, sous la rubrique « documentation à verser au dossier de dotation » il est indiqué :

Les gestionnaires qui procèdent à une nomination au moyen d’un processus non annoncé doivent fournir :

  1. une justification narrative écrite démontrant comment la décision satisfait aux exigences de la section 5.1 des présentes lignes directrices;
  2. une évaluation écrite de la personne dont la nomination est proposée, en fonction des critères de mérite et des conditions d’emploi.

32 La preuve démontre qu’une justification pour l’utilisation du processus de nomination non annoncé et une évaluation narrative ont été fournies pour la prorogation de la nomination intérimaire de M. Guimont se terminant le 31 mars 2007 et que la même documentation a été réutilisée pour justifier la prorogation allant jusqu’au 31 mars 2008. M. Du Sablon a fourni la justification suivante pour l’utilisation du processus de nomination non annoncé en l’espèce :

Principes des lignes directrices satisfaits (référence article 5.1) :

(i)    Cette nomination découle de l’effet domino causé par les postes vacants de commandants au niveau SO-MAO-04. Il y a un processus annoncé interne en marche, le tout devrait être terminé d’ici la fin de l’année financière. (…)

Circonstances considérées : ( …)

(ii) Il s’agit d’un cas de rareté de main-d’oeuvre, telle que définie dans le plan des RH. (…)

33 De plus, les employés de la GCC de même que le plaignant ont été avisés de ces nominations intérimaires de M. Guimont par l’entremise de tableaux de transmission des notifications affichés sur chaque navire de la GCC, à la base des aéroglisseurs à Trois-Rivières et aux bureaux des Services opérationnels à Québec.

34 Le Tribunal estime que le plaignant n’a pas présenté de preuve démontrant que la justification et l’évaluation narrative fournies par l’intimé n’étaient pas fondées ou étaient déraisonnables. Les circonstances, telles que la pénurie de main d’oeuvre et le processus de nomination interne non complété, exigeaient que M. Du Sablon dote le poste de façon urgente. Un processus de nomination non annoncée a été choisi pour sa rapidité étant donné le besoin opérationnel pressant de doter le poste de commandant à bord du Cap Rozier. M. Du Sablon a complété une justification et une évaluation narrative tel que requis aux Lignes directrices du ministère lorsqu’il a entamé le processus de nomination non annoncé.

35 Le paragraphe 58(2) de la LEFP stipule que la prolongation d’une nomination à durée déterminée n’est pas une nomination et ne donne pas lieu à un recours en vertu de l’article 77. Cependant, le paragraphe 58(3) indique que cet article ne s’applique pas aux nominations intérimaires et par conséquent la prorogation d’une nomination intérimaire constitue une nomination pouvant faire l’objet d’une plainte. Voir à cet effet Chaves c. Commissaire du Service correctionnel du Canada et al., [2007] TDFP 0009, et Wylie c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada et al., [2006] TDFP 0007.

36 En l’espèce, lorsque la nomination intérimaire de M. Guimont a été prorogée pour la période du 31 mars 2007 au 31 mars 2008, il s’agissait d’une nouvelle nomination selon la loi. Or une nouvelle justification et une évaluation narrative n’ont pas été préparées lors de la prorogation de la nomination intérimaire. Puisque la prorogation de la nomination intérimaire constitue une nouvelle nomination, le Tribunal estime qu’une nouvelle justification et une évaluation narrative pour la période du 31 mars 2007 au 31 mars 2008 auraient dû être préparées selon les lignes directrices.

37 Comme le Tribunal l’a établi dans sa jurisprudence, l’abus de pouvoir constitue plus que de simples erreurs ou omissions. VoirTibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale et al.,[2006] TDFP 0008. En l’espèce, le Tribunal est d’avis qu’il s’agit ici d’une erreur technique seulement et non d’un abus de pouvoir. En effet, la preuve démontre que les circonstances n’avaient pas changé depuis la dernière prorogation et qu’aucun candidat n’avait été identifié dans le processus de sélection à cette date.

38 Bien que le fait de ne pas fournir une nouvelle justification et une nouvelle évaluation narrative ne constitue pas en soi un abus de pouvoir, le Tribunal estime qu’il est souhaitable que l’intimé prépare une nouvelle justification et une nouvelle évaluation narrative lorsqu’une nomination intérimaire est prorogée. La prorogation d’une nomination intérimaire, comme dans le présent cas, constitue une nomination pouvant faire l’objet d’une plainte au Tribunal en vertu de l’article 77 de la LEFP.

39 Devant tous ces faits, le Tribunal considère qu’il n’y a pas eu abus de pouvoir de la part de l’intimé lorsque ce dernier a opté pour un processus de nomination non annoncé.

Question 2: L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l’établissement et l’application des qualifications essentielles lorsqu’il a effectué la nomination intérimaire de M. Guimont?

40 Le Tribunal estime qu’il est important de bien cerner la différence entre le processus de nomination interne annoncé (2006-DFO-QC-IA-918166) et celui non annoncé (2006-DFO-ACIN-MTJ-919916). Le processus de nomination annoncé visait à doter des postes dans la réserve d’effectif requérant ainsi un Brevet de capitaine de 350tjb puisque les candidats pouvaient travailler sur différents navires de la flotte de la GCC ayant une jauge brute différente. Le processus de nomination non annoncé concernant la nomination intérimaire au poste de commandant visait plutôt un candidat appelé à travailler sur un navire spécifique, soit le Cap Rozier, pour lequel le Brevet de capitaine avec restrictions de 60tjb est suffisant.

41 Les dispositions suivantes s’appliquent ici :

30. (2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

  1. selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles – notamment la compétence dans les langues officielles – établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;
  2. la Commission prend en compte :
    1. toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administrateur, pour le présent ou l’avenir,
    2. toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,
    3. tout besoin actuel ou futur de l’administration précisée par l’administrateur général.

31. (1) L’employeur peut fixer des normes de qualifications, notamment en matière d’instruction, de connaissances, d’expériences, d’attestation professionnelle ou de langue, nécessaire ou souhaitable à son avis du fait de la nature du travail à accomplir et des besoins actuels et futurs de la fonction publique.

(2) Les qualifications mentionnées à l’alinéa 30(2)a) et au sous-alinéa 30(2)b)(i) doivent respecter ou dépasser les normes de qualification applicables établies par l’employeur en vertu du paragraphe (1).

42 Dans la décision Rinn c. Sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités et al., [2007] TDFP 0044, le Tribunal a analysé ces dispositions dans le cadre d’une plainte similaire où il était allégué que la personne nommée au poste intérimaire ne possédait pas la qualification essentielle d’expérience de pilote pour le poste indéterminé. Le Tribunal y a indiqué ceci:

[41] Le paragraphe 31(2) fait référence à l’alinéa 30(2)a) et au sous-alinéa 30(2)b)(i) et, par conséquent, il s’applique aux critères pour que la nomination soit fondée sur le mérite. Ainsi, le Tribunal a compétence pour entendre une plainte voulant que l’administrateur général ait abusé de son pouvoir en établissant des qualifications essentielles ou supplémentaires qui ne répondent pas ou ne dépassent pas les normes de qualification applicables établies par l’AFPC pour l’employeur.

43 Ainsi, le paragraphe 31(2) de la LEFP indique que les qualifications essentielles établies pour un poste par l’administrateur général et utilisées pour procéder à une nomination fondée sur le mérite doivent respecter ou dépasserles normes de qualification applicables établies par l’AFPC pour l’employeur.

44 La seule qualification essentielle contestée par le plaignant est celle que M. Guimont ne détient pas la certification appropriée, soit le Brevet de capitaine de 350tjb comme il a été requis lors du processus de nomination interne annoncé 2006-DFO-QC-IA-918166.

45 Le Tribunal considère que l’intimé n’a pas abusé de son pouvoir lorsqu’il a établi les qualifications essentielles pour occuper le poste de façon intérimaire car ces dernières respectent les normes de qualifications applicables établies par l’AFPC. Les profils de compétences des navires de la GCC indiquent, pour chaque poste, que le brevet doit satisfaire ou dépasser les exigences de la LMMC et de ses règlements. Le Profil de compétences – Classe CAP, concernant les navires comme le Cap Rozier, indique que le commandant doit posséder le Brevet de capitaine avec restrictions de 60tjb tel que prescrit par la LMMC. Par ailleurs, l’Ordonnance de la flotte indique clairement que « [l]a certification requise pour satisfaire au profil de compétences du navire peut donc être moindre que celle requise dans un cadre de dotation de durée indéterminée. » Ainsi un brevet de capitaine avec restrictions de 60tjb est suffisant en ce qui concerne une nomination intérimaire comme dans le cas en l’espèce.

46 M. Du Sablon a opté pour le Brevet de capitaine avec restrictions de 60tjb, décision qui est conforme aux Normes de qualifications de l’AFPC,à la LMMC, à l’Ordonnance de la flotte et au Profil de compétences - Classe CAP puisque le processus de nomination non annoncé visait à doter un poste de façon intérimaire sur le Cap Rozier en particulier dont la jauge brute est inférieure à 60tjb, contrairement à un poste de durée indéterminée qui requiert un brevet de capitaine de 350tjb.

47 En vertu du paragraphe 30(4) de la LEFP, l’intimé n’est pas obligé de prendre en considération plus d’une personne pour faire une nomination fondée sur le mérite. M. Guimont a été nommé conformément aux critères de mérite et conditions d’emploi puisqu’il détient le Brevet de capitaine avec restrictions de 60tjb, une qualification prescrite par l’Ordonnance de la flotte et conforme aux Normes de qualifications de l’AFPC.

48 Le Tribunal juge que les qualifications essentielles telles qu’établies par l’intimée respectaient les normes de qualification applicables établies par l’AFPC et que l’intimé n’a pas abusé de son pouvoir dans l’application de ces qualifications essentielles lorsqu’il a effectué la nomination intérimaire de M. Guimont. La plainte d’abus de pouvoir fondée sur ce motif n’est donc pas justifiée.

Décision

49 Pour tous ces motifs, la plainte est rejetée.

Francine Cabana

Membre

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2007-0093
Intitulé de la cause:
Louis Cannon et le Sous-ministre des pêches et des océans et al.
Audience:
Demande écrite; décision rendue sans comparution des parties
Date des motifs:
Le 1 août 2008
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