Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a formulé des allégations d’abus de pouvoir à l’encontre de l’intimé au motif que celui-ci a modifié les instructions de l’examen écrit à distance sans s’assurer qu’elle avait bien reçu les nouvelles consignes. L’intimé a soutenu que la plaignante n’a présenté aucun élément de preuve établissant que les candidats n’avaient pas été traités équitablement et qu’elle avait été pénalisée par le fait de ne pas avoir pris connaissance des nouvelles instructions. Il a ajouté qu’il n’y a eu aucun suivi auprès d’aucun des candidats pour s’assurer que ces derniers avaient bien reçu les nouvelles consignes, et que ce fait démontrait que la décision du comité d’évaluation n’avait pas été prise de mauvaise foi. Décision : Le Tribunal a estimé que le fait d’avoir modifié les instructions sans faire de suivi constituait une négligence grave assimilable à de la mauvaise foi. Le Tribunal a conclu que, dans les circonstances, l’intimé avait l’obligation de faire un suivi auprès de la plaignante pour s’assurer qu’elle avait reçu les nouvelles consignes. La conduite déraisonnable de l’intimé a donc entraîné un résultat inéquitable. De surcroît, l’examen a été jugé déficient en tant qu’outil d’évaluation puisque les instructions ont été changées sans qu’un suivi ne soit assuré. Par conséquent, la plaignante n’a pas été évaluée sur la même base que les autres candidats. L’intimé s’est également fondé sur un élément insuffisant quand il a corrigé l’examen de la plaignante puisqu’il n’a pas pris en considération le fait qu’elle n’avait pas reçu la modification aux instructions. Le Tribunal a également conclu que l’intimé avait refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire en n’examinant pas le cas individuel de la plaignante et en ne prenant pas les mesures appropriées afin de rectifier son erreur. Le Tribunal a conclu qu’il y avait clairement eu un abus de pouvoir dans cette affaire. Plainte fondée. Mesures correctives : Le Tribunal a ordonné à l’intimé de revoir la procédure utilisée au sein de son ministère pour l’administration des examens à distance utilisés dans les processus de sélection et d’établir une procédure prévoyant la marche à suivre lorsque les consignes initiales des examens doivent être modifiées une fois que l’examen a été distribué aux candidats. Il a également ordonné à l’intimé de réévaluer la plaignante.

Contenu de la décision

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Dossier:
2006-0149
Rendue à:
Ottawa, le 22 octobre 2008

LINDA CHIASSON
Plaignante
ET
LE SOUS-MINISTRE DE PATRIMOINE CANADIEN
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d'abus de pouvoir aux termes de l'alinéa 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est accueillie
Décision rendue par:
Francine Cabana, membre
Langue de la décision:
Français
Répertoriée:
Chiasson c. Sous-ministre de Patrimoine canadien et al.
Référence neutre:
2008 TDFP 0027

Motifs de la décision

Introduction

1 La plaignante, Linda Chiasson, a présenté une plainte auprès du Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13, (la LEFP). La plaignante avait posé sa candidature au poste de gestionnaire, Élaboration des politiques, aux groupe et niveau ES-06 (numéro de processus 06-PCH-IIA-CC-0076) au sein du ministère de Patrimoine canadien.

2 La plaignante allègue que l’intimé, le sous-ministre de Patrimoine canadien, a abusé de son pouvoir lorsqu’il a modifié les instructions à l’examen écrit auquel elle participait sans s’assurer qu’elle avait bien reçu ces modifications.Elle allègue également que l’intimé a abusé de son pouvoir en n’indiquant pas le pointage accordé à chacune des deux questions et en ne précisant pas quelles capacités et connaissances allaient être évaluées à l’examen.

3 Une conférence préparatoire a eu lieu le 5 septembre 2007. Lors de cette conférence, la plaignante a spécifié que la seule question en litige était celle de savoir si l’intimé avait abusé de son pouvoir en modifiant les instructions à l’examen écrit auquel elle participait sans s’assurer qu’elle avait bien reçu ces nouvelles consignes. La plaignante a précisé que l’intimé n’a tenté d’aucune façon de corriger son erreur. Les parties ont convenu que les faits de la présente cause ne sont aucunement contestés et que cette plainte pouvait être traitée sans tenir d’audience.

4 Le paragraphe 99(3) de la LEFP prévoit que le Tribunal peut rendre toute décision sans tenir d’audience. Après avoir entendu les parties sur ce point lors de la conférence préparatoire, le Tribunal est d’avis que les allégations écrites des parties et la preuve à l’appui suffisent pour trancher la question soulevée dans le cadre de la présente plainte. Conséquemment, le Tribunal a décidé d’instruire de la plainte sans tenir d’audience.

Résumé des faits pertinents

5 Le 27 février 2006, l’intimé a affiché une annonce de possibilité d’emploi sur le site Publiservice. L’annonce de possibilité d’emploi visait à doter le poste de gestionnaire, Élaboration des politiques, Affaires internationales, aux groupe et niveau ES-06. L’annonce de possibilité d’emploi était également accompagnée d’un énoncé des critères de mérite et conditions d’emploi.

6 L’intimé a choisi d’administrer un examen à distance, c'est-à-dire que les candidats le passaient à l’extérieur des locaux de l’intimé.

7 Le 11 avril 2006, Dennis Dooley, conseiller en ressources humaines, a transmis à Arthur Wilczynski, directeur, Relations internationales, le texte des deux courriels qui seraient expédiés aux candidats dans ce processus. Il lui indiquait qu’il devait décider si un nombre maximum de pages devait être indiqué; si oui, il devait modifier le texte du courriel en conséquence. M. Wilczynski a répondu au courriel de M. Dooley et a demandé à Mireille Dubois, directrice, Services de gestion, de s’occuper d’envoyer les questions et instructions aux candidats et il a indiqué qu’il corrigerait les examens. Cependant M. Wilczynski a ajouté que le nombre de pages de réponses à l’examen était illimité, mais que si les réponses étaient trop longues, cela serait pris en compte lors de la correction.

8 Le 13 avril 2006, les candidats ont été informés par courriel qu’ils devaient faire un examen à distance et que les instructions ainsi que les questions leur seraient acheminées par courriel, le jeudi 20 avril 2006, avant 9 h. Ils ont également été avisés qu’ils auraient jusqu’à 9 h le lendemain, soit le 21 avril 2006, pour passer et retourner l’examen par courriel. De plus, les candidats étaient avisés que si l’examen n’était pas retourné à cette date, ce serait considéré comme un retrait de leur candidature au processus.

9 Tel que convenu, le 20 avril 2006 à 9 h 03, l’intimé a envoyé aux candidats les instructions et les questions de l’examen écrit. Les questions de l’examen écrit sont les suivantes :

Le directeur général (DG) de l’UNESCO a fait des démarches auprès du gouvernement du Canada pour que celui-ci organise une réunion régionale au sujet de la Convention (de 2005) sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Il a demandé que cette rencontre régionale aborde d’autres instruments culturels récemment adoptés par l’UNESCO comme condition pour la tenue de la rencontre.

Vous devez fournir 2 documents :

1. Une note d’information destinée à la ministre et qui fournit des recommandations sur la façon de traiter cette requête. La note doit inclure les éléments suivants :

  • Contexte
  • Considérations
  • Recommandations

2. Les grandes lignes de la réponse de la ministre destinée au DG de l’UNESCO.

10 Selon les instructions initiales, la longueur maximale des réponses à chaque question ne devait pas dépasser deux pages de format 8½ X 11 pouces par question avec une police de 12 points et une marge d’un pouce.

11 Après avoir reçu ces instructions, la plaignante a fermé son courriel pour pouvoir se concentrer et passer son examen.

12 Cependant, un peu plus tard, soit à 9 h 50, Mme Dubois a informé les candidats par courriel qu’une erreur s’était glissée dans les instructions au sujet de la longueur maximale des réponses aux questions :

Désolée. Une erreur s’est glissée dans les instructions au sujet du maximum de pages demandé. Il n’y a pas de maximum.

Veuillez me répondre le plus tôt possible afin que je m’assure que vous avez reçu les nouvelles instructions.

Merci!

13 Bien que Mme Dubois ait demandé aux candidats d’accuser réception de son courriel, aucun suivi n’a été fait si un candidat n’accusait pas réception du courriel.

14 La plaignante n’a ouvert le deuxième courriel de Mme Dubois qu’une fois qu’elle eut terminé l’examen et qu’elle s’apprêtait à le lui transmettre. Elle lui a répondu le 21 avril 2006 à 7 h 25 que son courriel était fermé au moment de passer l’examen et qu’elle n’avait pas vu son message à temps pour pouvoir en tenir compte dans ses réponses. Son examen complété était joint et elle a souhaité de ne pas être pénalisé pour ceci. La plaignante a aussi spécifié que Mme Dubois pouvait communiquer avec elle si nécessaire.

15 Le comité d’évaluation composé de M. Wilczynski et Gordon Platt, directeur, Politique internationale, planification, programmes et rayonnement, a évalué les réponses des candidats à l’aide d’un guide de cotation. Dans ce guide de trois pages, la grille de correction concernant la première question avait environ deux pages, et devait évaluer ce qui suit :

Élément 1 – Note d’information : 90 points

Cet élément évalue les connaissances et les capacités des candidats. Ceux-ci doivent montrer ce qu’ils savent des priorités du gouvernement du Canada en matière de politique étrangère et de la façon dont celles-ci sont élaborées. C’est l’occasion pour les participants de montrer ce qu’ils savent des priorités du ministère et du portefeuille. La tâche évalue la capacité des candidats d’analyser et de recommander les stratégies propres à promouvoir les intérêts des Canadiens. Elle mesure aussi leur capacité de proposer des approches faisant appel à des équipes multidisciplinaires et de communiquer par écrit. L’examen évalue aussi la capacité des candidats de travailler sous pression.

Les candidats ayant obtenu la meilleure note seront convoqués en entrevue.

Guide d’évaluation section par section :

Contexte : total de 20 points

Éléments de réponse attendus : Évaluation des connaissances générales associées au thème de la politique et de la diversité culturelle et à l’éventail de partenariats et de processus liés à la politique culturelle internationale

  1. Information sur le soutien du Canada à la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles
  2. Mention des partenariats qui ont conduit à son adoption (interministériel, société civile et provinces)
  3. Mention à l’effet que le Canada serait invité à diriger un colloque dans une zone géographique donnée
  4. Énumération des différentes conventions internationales que l’UNESCO pourrait vouloir associer au colloque – Convention internationale de l’UNESCO contre le dopage dans le sport et Convention pour la sauvegarde du patrimoine immatériel, en particulier
  5. Mention du rôle du Québec et des provinces dans le processus
  6. Information sur la façon dont le colloque s’inscrit dans les priorités de PCH
  7. Tout agencement approprié des éléments mentionnés plus haut ou d’autres renseignements utiles.

Considérations : total de 30 points

Éléments de réponse attendus : Évaluation de la capacité d’analyse des questions complexes et de mener et coordonner les activités d’équipes multidisciplinaires

  1. Devrait inclure une mention quant au rôle complexe que joueront différents ministères dans l’organisation d’un colloque
  2. Capacité de reconnaître et d’aborder le soutien conditionnel du DG de l’UNESCO à l’égard du colloque
  3. Aborder la question du coût d’un tel colloque
  4. Proposer la région qui convient et justifier cet élément
  5. Souligner le rôle particulier que le Québec est sensé jouer
  6. Expliquer le lien entre le deuxième instrument international et celui sur la diversité culturelle (appui à la Convention contre le dopage, opposition à la Convention sur le patrimoine culturel immatériel)
  7. Mentionner les attentes de la société civile
  8. Énoncer les résultats clés attendus
  9. Tout agencement approprié des éléments mentionnés plus haut ou d’autres renseignements utiles

Recommandation : total de 40 points

Éléments de réponse attendus : Évaluation du jugement, de la capacité de promouvoir les priorités du gouvernement sur la scène internationale et de mener et coordonner les activités d’équipes multidisciplinaires.

  1. Une stratégie bien énoncé qui recommande la tenue de la rencontre
  2. Recommandations sur la gestion des autres intervenants
  3. Suggestions quant à la façon de gérer les relations avec l’UNESCO

16 Pour ce qui est de la deuxième question, un court paragraphe expliquait que son objectif était d’évaluer le jugement des candidats, à savoir s’ils étaient en mesure de reconnaître que cette question était moins importante que la première. Le guide de cotation pour la deuxième question indique ce qui suit :

Élément 2 – Grandes lignes d’une réponse au DG de l’UNESCO – 10 points

L’objectif ici est d’évaluer le jugement des candidats. Ceux-ci devraient reconnaître qu’il s’agit d’une priorité moindre que la note d’information, c’est-à-dire que la note est plus importante que les éléments de réponse au DG de l’UNESCO. Les candidats devraient indiquer que la ministre devrait reconnaître l’importance du colloque et répondre comme il se doit à la demande du DG concernant d’autres instruments. Les grandes lignes devraient être claires et concises.

17 Le 20 septembre 2006, M. Dooley a informé la plaignante du nom des personnes qui avaient été nommées ou proposées en vue d’une nomination. La plaignante a aussi été informée, à ce moment, de son droit de présenter une plainte au Tribunal. La plaignante a présenté sa plainte au Tribunal le 29 septembre 2006.

Question en litige

18 Pour résoudre cette plainte, le Tribunal doit trancher la question suivante :

Est-ce que l’intimé a abusé de son pouvoir en modifiant les instructions à l’examen écrit auquel participait la plaignante sans s’assurer qu’elle avait bien reçu les nouvelles consignes ?

Arguments des parties

A) Arguments de la plaignante

19 La plaignante soutient qu’il y a eu abus de pouvoir de la part de l’intimé dans le processus concernant l’examen écrit puisque personne n’a effectué de suivi pour s’assurer qu’elle avait bien reçu et pris connaissance des modifications aux instructions. Selon la plaignante, cela démontre de la mauvaise foi et constitue de l’abus de pouvoir en vertu de la LEFP. Elle ajoute que Mme Dubois aurait dû prendre d’autres moyens afin de confirmer la réception de la nouvelle instruction, tels que lui téléphoner puisqu’elle avait fourni son numéro de téléphone au domicile et au travail.

20 Selon la plaignante, la correction de l’examen était basée, pour un des critères, sur la longueur de la lettre présentée à la deuxième question. Elle explique alors avoir compris, de par les instructions envoyées, qu’elle devait faire deux pages par question. De plus, comme l’examen ne précisait pas la répartition des points, elle a mis autant d’effort dans la préparation des deux questions et a répondu aux deux questions en deux pages chacune. Elle maintient que ceci l’a désavantagée par rapport aux candidats qui ont pris connaissance du deuxième courriel de Mme Dubois qui avait été envoyé à 9 h 50.

21 D’après la plaignante, l’intimé a agi de mauvaise foi parce qu’il ne s’est pas assuré que le processus de nomination était équitable et ne s’est pas assuré que l’information adéquate avait été envoyée aux candidats. Elle soutient ainsi que l’intimé a mal géré l’administration du processus de nomination et qu’il a manqué de respect et d’équité envers elle.

B) Arguments de l’intimé

22 L’intimé soutient que la plaignante a le fardeau de la preuve d’établir qu’il y a eu abus de pouvoir de la part de l’intimé dans l’exercice de ses attributions en vertu du paragraphe 30(2) de la LEFP.

23 L’intimé constate que le critère à satisfaire, pour conclure qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’établissement et l’évaluation des qualifications essentielles en vertu du paragraphe 30(2), est très exigeant. L’intimé maintient que le Tribunal ne devrait pas intervenir dans la décision de l’intimé en ce qui a trait à l’exercice de ses attributions à moins que la plaignante démontre que l’intimé a agi de façon arbitraire, malhonnête ou de mauvaise foi.

24 Selon l'intimé la modification de la consigne initiale concernant le nombre limite de pages pour répondre à chacune des questions n’a pas été faite de mauvaise foi ou dans le but de favoriser un candidat.

25 L’intimé affirme que la plaignante n’a présenté aucune preuve que les candidats n’ont pas été traités de la même façon. Le même guide de cotation a été utilisé pour tous les candidats. De plus, aucun suivi n’a été fait auprès d’aucun des candidats pour s’assurer qu’ils avaient bien reçu les modifications aux instructions. Selon l’intimé, ce fait démontre que la décision du comité d’évaluation n’a pas été prise de mauvaise foi ni pour procurer un avantage à un candidat particulier en raison de favoritisme personnel.

26 L’intimé fait valoir que la capacité de communiquer efficacement constitue une des qualifications essentielles recherchées pour le poste. Les candidats devaient répondre de façon concise et précise, soit deux éléments démontrant la capacité de communiquer efficacement. Ainsi, l’intimé soutient que le fait que la plaignante ait suivi la première instruction selon laquelle les candidats devaient se limiter à deux pages par question, était plutôt un avantage qu’un désavantage pour elle.

27 L’intimé maintient que la plaignante n’a présenté aucune preuve démontrant qu’elle aurait réussi à son examen si elle avait eu connaissance de la nouvelle instruction. De plus, l’intimé ajoute que la plaignante n’a présenté aucune preuve établissant qu’elle a été pénalisée, de quelque façon que ce soit, par le fait qu’elle n’a pas pris connaissance de la nouvelle instruction.

28 L’intimé note que la nature des ordonnances pouvant être rendues par le Tribunal, s’il considère la plainte fondée, se retrouve à l’article 84 de la LEFP. Cependant l’intimé souligne que la plaignante n’a demandé aucun redressement au Tribunal.

29 En dernier lieu, l’intimé soutient que la plaignante ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve selon la prépondérance des probabilités, puisqu’elle n’a pas démontré que l’intimé a abusé de son pouvoir. Pour tous ces motifs, l’intimé demande au Tribunal de rejeter la plainte.

C) Arguments de la Commission de la fonction publique

30 La Commission de la fonction publique (la CFP) indique qu’après avoir pris connaissance des allégations de la plaignante ainsi que de l’information fournie par l’intimé, elle n’a aucune conclusion quant aux faits avancés par ces deux parties.

31 La CFP a présenté des observations écrites générales portant sur la notion d’abus de pouvoir et sur la façon dont le Tribunal devrait aborder cette question.

Analyse

Question en litige: Est-ce que l’intimé a abusé de son pouvoir en modifiant les instructions à l’examen écrit auquel participait la plaignante sans s’assurer qu’elle avait bien reçu les nouvelles consignes ?

32 La plainte a été présentée en vertu de l’alinéa 77(1)(a) de la LEFP :

77 (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

[…]

33 Le paragraphe 30(2) de la LEFP se lit comme suit :

30(1) Les nominations — internes ou externes — à la fonction publique faites par la Commission sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique.

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

  1. selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;
  2. la Commission prend en compte :
  1. toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,
  2. toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,
  3. tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

[…]

34 La plaignante soutient que l’intimé a fait preuve d’abus de pouvoir parce qu’il n’a pas effectué un suivi à la suite de l’envoi par courriel de la modification aux instructions de l’examen écrit. Elle allègue avoir mis autant d’effort dans la préparation des deux questions et avoir répondu aux deux questions en deux pages chacune ce qui l’a désavantagée par rapport aux candidats qui ont bien reçu les modifications aux consignes de l’examen. De plus, la plaignante atteste que lorsque l’intimé a été informé de son erreur, il n’en a pas tenu compte et n’a pas pris de mesures correctives comme lui faire subir un nouvel examen. Selon la plaignante ces faits démontrent particulièrement la mauvaise foi de l’intimé.

35 L’abus de pouvoir n’est pas défini dans la LEFP.Cependant, le paragraphe 2(4) de la LEFP fournit certains indices. Il se lit comme suit :

2(4) Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par «abus de pouvoir» la mauvaise foi et le favoritisme personnel.

36 Par surcroît, le Tribunal a énoncé dans Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale et al., [2006] TDFP 0008, les cinq catégories d’abus. Ces mêmes principes généraux de droit administratif s’appliquent à toutes les formes de décisions discrétionnaires administratives. Les cinq catégories d’abus sont les suivantes :

  1. Lorsqu’un délégué exerce son pouvoir discrétionnaire dans une intention illégitime (incluant dans un but non autorisé, de mauvaise foi ou en tenant compte de considérations non pertinentes).
  2. Lorsqu’un délégué se fonde sur des éléments insuffisants (incluant lorsqu'il ne dispose d'aucun élément de preuve ou qu'il ne tient pas compte d'éléments pertinents).
  3. Lorsque le résultat est inéquitable (incluant lorsque des mesures déraisonnables, discriminatoires ou rétroactives ont été prises).
  4. Lorsque le délégué commet une erreur de droit dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.
  5. Lorsqu’un délégué refuse d'exercer son pouvoir discrétionnaire en adoptant une politique qui entrave sa capacité d'examiner des cas individuels avec un esprit ouvert.

37 Même si la plaignante n’a pas fait référence à une catégorie en particulier lorsqu’elle a allégué l’abus de pouvoir, le Tribunal estime que les actions dont se plaint Mme Chiasson relèvent de plusieurs catégories d’abus de pouvoir. Les catégories 1, 2, 3 et 5 s’appliquent particulièrement en l’espèce.

38 Comme la Cour suprême du Canada a statué dans Finney c. Barreau du Québec, [2004] 2 R.C.S 17 ; [2004] A.C.S. no. 31 (QL), il n’est pas nécessaire de démontrer un élément d’intention pour prouver la mauvaise foi. Il s’agit de démontrer que la conduite de l’intimé équivaut à la négligence ou l’insouciance grave :

[37] Que veut dire la mauvaise foi ? Correspond-elle toujours à la faute intentionnelle ? La jurisprudence ne paraît pas assimiler rigoureusement l’état ou l’acte de mauvaise foi à l’existence d’une volonté affirmée de nuire à autrui ni, partant, exiger la preuve d’une faute intentionnelle

[…]

[39] Ces difficultés montrent néanmoins que la notion de mauvaise foi peut et doit recevoir une portée plus large englobant l’incurie ou l’insouciance grave. Elle inclut certainement la faute intentionnelle, dont le comportement du procureur général du Québec, examiné dans l’affaire Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, représente un exemple classique. Une telle conduite constitue un abus de pouvoir qui permet de retenir la responsabilité de l’État ou parfois du fonctionnaire. Cependant, l’insouciance grave implique un dérèglement fondamental des modalités de l’exercice du pouvoir, à tel point qu’on peut en déduire l’absence de bonne foi et présumer la mauvaise foi. L’acte, dans les modalités de son accomplissement, devient inexplicable et incompréhensible, au point qu’il puisse être considéré comme un véritable abus de pouvoir par rapport à ses fins. […] Par ailleurs, le rejet d’actions pour absence de preuve de mauvaise foi et l’importance attachée à ce facteur dans des affaires particulières ne signifient pas pour autant que seule l’existence d’une faute intentionnelle, fondée sur l’intention subjective du décideur, permet de conclure à la mauvaise foi du décideur …

39 Le Tribunal a également fait état dans la décision Cameron et Maheux c. l’Administrateur général de Service Canada et al., [2008] TDFP 0016, que la mauvaise foi peut aussi bien être établie par une preuve circonstancielle que par une preuve directe d’intention de nuire. Le Tribunal a cité à ce sujet l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Entreprises Sibeca Inc. c. Frelighsburg (Municipalité), [2004] 3 R.C.S. 304 ; [2004] A.C.S. no 57 (QL) :

[26] Cette interprétation du concept de mauvaise foi permet d’englober non seulement les actes qui sont délibérément accomplis dans l’intention de nuire, ce qui correspond à la mauvaise foi classique, mais aussi ceux qui se démarquent tellement du contexte législatif dans lequel ils sont posés qu’un tribunal ne peut raisonnablement conclure qu’ils l’ont été de bonne foi. Ce qui paraît être une extension de la mauvaise foi n’est, en quelque sorte, que l’admission en preuve de faits qui correspondent à une preuve circonstancielle de la mauvaise foi à défaut par la victime de pouvoir en présenter une preuve directe.

40 L’intimé soutient que la plaignante devait démontrer qu’elle aurait obtenu un résultat différent si elle avait pris connaissance des nouvelles instructions. L’intimé n’a apporté aucune preuve pour appuyer cet argument. Le Tribunal voit mal comment la plaignante pourrait démontrer qu’elle aurait obtenu un résultat différent si elle avait reçu les nouvelles instructions. Comme le Tribunal l’a indiqué dans la décision Tibbs, une fois que le plaignant a présenté certains éléments de preuve à l’appui de son allégation d’abus de pouvoir, l’intimé doit vraisemblablement présenter sa preuve face à l’allégation. En l’absence de preuve contraire, le Tribunal peut tirer des conclusions raisonnables de faits non contestés.

41 Il est clair que la plaignante n’a pas été évaluée par rapport aux mêmes normes que les autres candidats lorsqu’elle a suivi les premières consignes. La deuxième question à l’examen évaluait le jugement des candidats à reconnaître que cette question était moins importante que la première. La plaignante avait des moyens plus limités pour démontrer qu’elle considérait la deuxième question comme moins importante en respectant les instructions initiales. Elle était restreinte à un maximum de deux pages pour la première question même si celle-ci était plus importante que la deuxième. D’ailleurs, le guide de cotation comporte deux pages pour décrire les éléments de réponse que l’on doit retrouver pour la première question alors qu’un court paragraphe suffit pour la deuxième question.

42 Il en va de même de l’argument de l’intimé voulant que la plaignante ait été avantagée en remettant deux pages par question puisque la capacité de communiquer efficacement était une qualification essentielle. Cet argument de l’intimé n’est pas appuyé par la preuve. En effet, il est important de noter que le guide de cotation n’indique pasque la capacité de communiquer efficacement, soit de façon claire et précise, était évaluée par la première question. De plus, il n’y a aucune mention qu’un candidat qui répond à cette question en plus de deux pages, s’en verrait pénalisé. Le guide de cotation met plutôt l’accent sur les nombreux éléments de réponse recherchés pour la première question. Il précise que la première question cherchait à évaluer :

  • les connaissances générales associées au thème de la politique et de la diversité culturelle et à l’éventail de partenariats et de processus liés à la politique culturelle internationale
  • la capacité des candidats d’analyser et de recommander les stratégies propres à promouvoir les intérêts canadiens
  • la capacité de proposer des approches faisant appel à des équipes multidisciplinaires et de communiquer par écrit
  • la capacité des candidats de travailler sous pression
  • la capacité d’analyse des questions complexes et de mener et coordonner les activités d’équipes multidisciplinaires
  • le jugement, la capacité de promouvoir les priorités du gouvernement sur la scène internationale et de mener et coordonner les activités d’équipes multidisciplinaires

43 La capacité de communiquer efficacement, c’est-à-dire de façon claire et précise, est toutefois évaluée dans la deuxième question. Il est indiqué que « les grandes lignes devraient être claires et concises ». Cette qualification essentielle était donc seulement évaluée à la deuxième question. C’est alors la réponse à la deuxième question qui devait être concise selon le guide de cotation. Ceci amène le Tribunal à conclure qu’une réponse dépassant deux pages pour la première question était tout à fait acceptable.

44 En vertu de l’article 36 de la LEFP, l’administrateur général dispose d’une grande discrétion dans le choix de la méthode qu’il juge indiquée pour évaluer les qualifications d’un candidat. Cependant, le choix et l’utilisation de la méthode d’évaluation est sujet au recours prévu à l’article 77 de la LEFP. En effet, il pourrait y avoir abus de pouvoir dans le choix ou dans l’utilisation d’une méthode d’évaluation tel que le Tribunal l’a expliqué dans Jolin c. Administrateur général de Service Canada et al., [2007] TDFP 0011, au paragraphe 37:

37. Exclure du recours de l’alinéa 77(1)a) le choix et l’utilisation de la méthode d’évaluation de la personne à nommer conduirait à une situation illogique qui va à l’encontre de l’esprit de la loi. Par exemple, un abus de pouvoir pourrait être commis dans le choix d’une méthode d’évaluation qui aurait pour effet de favoriser indûment un individu, ou de chercher à nuire à certains candidats ou de discriminer contre des personnes sur la base de leur sexe, âge et autres motifs illicites. L’évaluation qui suivrait en se servant d’une méthode déficiente pourrait paraître tout à fait impartiale mais l’abus de pouvoir aurait été commis dans le choix de la méthode pour évaluer la personne à nommer. Comme le Tribunal l’a indiqué dans la décision Tibbs, supra, le législateur n’aurait pu avoir l’intention de déléguer le pouvoir d’agir d’une façon si outrageuse, déraisonnable ou inacceptable.

45 Le Tribunal souligne que dans le cadre du pouvoir discrétionnaire accordé par la LEFP, le gestionnaire pouvait très bien choisir d’avoir recours à un examen maison sans limiter le nombre de pages pour répondre aux questions. Cependant, le fait d’avoir modifié les instructions après avoir envoyé l’examen et les instructions, sans faire de suivi, est problématique en l’espèce.

46 Comme il a été mentionné dans l’affaire Finney, il n’est pas nécessaire de démontrer un élément d’intention pour prouver la mauvaise foi. Il s’agit de démontrer que la conduite de l’intimé équivaut à l’incurie. En l’espèce, l’intimé avait envoyé un courriel le 20 avril 2006 à 9 h 03 qui contenait l’examen et les instructions quant au nombre de page requis, soit deux pages par question. À 9 h 50 la même journée, l’intimé a envoyé un deuxième courriel aux candidats modifiant les instructions initiales, c’est-à-dire en indiquant que le nombre de page était dorénavant illimité. L’intimé avait même indiqué dans ce deuxième courriel : « Veuillez me répondre le plus tôt possible afin que je m’assure que vous avez reçu les nouvelles instructions». Pourquoi alors demander un accusé de réception des candidats si l’intimé n’avait pas l’intention de s’assurer que tous les candidats avaient pris connaissance de la modification apportée aux instructions de l’examen ? Même si l’intimé n’avait pas inclus l’énoncé d’accusé de réception, il aurait été nécessaire de communiquer avec les candidats afin de s’assurer que chacun d’eux avaient pris connaissance de la nouvelle consigne. Le Tribunal estime que modifier les instructions sans faire de suivi, après avoir envoyé l’examen et les instructions initiales, démontre une négligence grave assimilable à de la mauvaise foi.

47 Dans une décision concernant l’ancienne LEFP, la Cour fédérale d’appel du Canada avait jugé que le défaut d’appliquer les normes de manière uniforme contrevenait au principe du mérite (voir Buttar c. Canada (Procureur Général), [2000] 186 D.L.R. (4th) 101 ; [2000] A.C.F. no 437 (QL)). Dans Canada (Attorney General) v. Clegg, [2007] FC 940; [2007] F.C.J. No. 1214 (QL), la Cour fédérale du Canada a confirmé une décision du Comité d’appel de la Commission de la fonction publique qui s’appuyait sur ce principe où le plaignant avait seulement eu 90 minutes pour passer son test, contrairement aux autres candidats qui avaient eu deux heures.

48 Bien que ces décisions soient antérieures à la présente LEFP, ce principe demeure valide aujourd’hui. Le Tribunal juge qu’il faut évaluer tous les candidats selon les mêmes normes, c’est-à-dire que les mêmes règles du jeu doivent être appliquées de façon uniforme pour tous les candidats. La preuve démontre que la plaignante n’a pas été assujettie aux mêmes normes que les autres candidats puisqu’elle n’a pas reçu la modification aux instructions de l’examen écrit. Il ne s’agit pas d’une simple erreur sans conséquence.

49 Le Tribunal estime que le fait de modifier les instructions sans faire de suivi constitue non seulement une négligence grave assimilable à de la mauvaise foi mais qu’en ne remédiant pas à son erreur, l’intimé s’est ainsi fondé sur un élément insuffisant pour évaluer la plaignante.

50 Dans l’affaire Hammond et al. c. Administrateur général de Service Canada et al., [2008] TDFP 0008, le Tribunal a fait référence à la décision Madracki c. Canada, [1986] 72 N.R. No. 257 ; [1986] A.C.F. No 727 (QL) (C.A.F.) afin de confirmer un principe clé, soit celui où un outil d’évaluation doit permettre d’évaluer la qualification, sans quoi l’évaluation est déraisonnable. Il est alors important de déterminer si l’outil en question, tel que l’examen, évaluait réellement ce qui devait être évalué, c’est-à-dire les connaissances et les capacités. Ceci dit, si l’outil est vicié, le résultat ne peut être considéré raisonnable ou équitable.

51 Par ailleurs, le Tribunal estime que l’examen en l’espèce était vicié puisque les instructions ont été modifiées sans en assurer un suivi. L’intimé n’a donc pas été en mesure de réellement évaluer les capacités et les connaissances de la plaignante étant donné qu’elle a été restreinte par les instructions initiales de deux pages par question. Étant donné cette erreur de l’intimé, la plaignante n’a pas été évaluée sur la même base que les candidats qui ont reçu les nouvelles instructions et qui ont pu faire ressortir toutes les qualifications et les points pertinents requis sur plus de deux pages. Par conséquent, le Tribunal juge que l’intimé a abusé de son pouvoir en se fondant sur un élément insuffisant lorsqu’il a corrigé l’examen de la plaignante puisqu’il n’a pas pris en considération le fait que la plaignante n’avait pas eu les nouvelles instructions à temps pour passer son examen, tel qu’indiqué dans son courriel du 21 avril 2006.

52 De même, le Tribunal estime que le résultat de cet examen qui fait en sorte que la plaignante ne répond pas aux qualifications essentielles ne peut être considéré comme équitable puisque l’intimé a agi d’une façon déraisonnable en ne tenant pas compte du fait qu’elle n’avait pas reçu les nouvelles instructions.

53 L’intimé a déclaré que tous les candidats ont été traités de la même façon. Toutefois, le Tribunal juge que cette affirmation ne mène pas automatiquement à une conclusion qu’il n’y a pas eu abus de pouvoir. Si l’outil d’évaluation comporte un vice fondamental, son application cohérente ne peut pas être considérée comme raisonnable ou équitable.

54 Lord Greene a traité du terme « déraisonnable » dans la décision Associated Provincial Picture Houses Ltd. v. Wednesbury Corp., [1947] 2 All E.R. 680; [1948] 1 K.B. 223 (C.A.) en énonçant que ce terme est souvent utilisé pour décrire ce qui ne doit pas être fait dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Il indique qu’une personne ayant un pouvoir discrétionnaire doit agir conformément à la loi et prendre en compte toute question qu’il a le devoir de considérer. Lord Greene poursuit et affirme qu’en faisant cela, une personne doit exclure toute question qui n’est pas pertinente à l’affaire et que si elle n’adhère pas à ces règles, cette personne sera considérée comme ayant agi de façon déraisonnable. 

55 L’intimé, en temps que délégué de la CFP en vertu de l’article 15 de la LEFP, est chargé de s’assurer de l’intégrité du processus de nomination. Il doit être en mesure d’offrir un processus de nomination équitable. Lorsqu’une erreur se glisse dans un processus de nomination, l’intimé est tenu de s’assurer qu’elle est rectifiée le plus tôt possible et sans préjudice aux candidats.

56 Dans l’ensemble, le résultat est clairement inéquitable face au fait que l’intimé a modifié les instructions de l’examen sans en assurer un suivi. Lorsqu’il a été informé de ceci par la plaignante, il a agi de façon déraisonnable en ne prenant aucune mesure afin de corriger son erreur. Il ne serait pas raisonnable de conclure autrement puisque l’examen était vicié et que les capacités et les connaissances de la plaignante n’ont pas été réellement évaluées étant donné qu’elle a été restreinte par les instructions initiales.

57 Le Tribunal estime que modifier la consigne de l’examen, soit le nombre de pages requis, après que les instructions avaient été envoyées, sans faire de suivi constitue une conduite irrationnelle et déraisonnable qui a amené un résultat inéquitable. L’intimé n’a évidemment pas accordé suffisamment d’importance aux conséquences que sa conduite entrainerait après avoir modifié la consigne sans s’assurer que tous les candidats avaient bien reçu cette modification. Bien que l’intimé ait appliqué le même guide de cotation à tous les candidats, il reste que la plaignante n’a pas été évaluée sur le même pied d’égalité que les autres candidats puisqu’elle a été restreinte à deux pages par question au lieu d’un nombre illimité.

58 Le Tribunal conclut également que l’intimé a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire en n’examinant pas le cas individuel de la plaignante. L’intimé aurait pu prendre en considération les conséquences de ses gestes et offrir une solution acceptable à la plaignante étant donné les circonstances. Cependant, l’intimé a tout simplement ignoré le courriel de la plaignante et a poursuivi le processus sans tenir compte des préoccupations de celle-ci, ni même communiquer avec elle afin d’en discuter.

59 Il incombait à l’administrateur général d’examiner la situation de la plaignante et de considérer de façon sérieuse s’il y avait lieu de tenir compte de ses préoccupations étant donné les circonstances de l’affaire. Il est vrai qu’il existe des directives et des pratiques établies pour les processus de nomination. Toutefois, l’administrateur général a le pouvoir discrétionnaire de déroger à celles-ci dans des cas particuliers, comme en l’espèce.

60 Le Tribunal conclut que la plaignante s’est acquittée du fardeau de la preuve selon la prépondérance des probabilités. Compte tenu des faits établis ci-dessus, la décision d’effectuer une modification aux instructions après avoir envoyé le courriel initial, sans faire de suivi auprès de la plaignante est plus qu’une simple erreur ou omission, c’est de la mauvaise foi. La preuve démontre que l’intimé s’est fondé sur un élément insuffisant quand il a corrigé l’examen de la plaignante puisqu’il n’a pas pris en considération le fait qu’elle n’avait pas reçu la modification aux instructions. L’intimé a également choisi de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire puisqu’il n’a pas communiqué avec la plaignante après avoir été informé qu’elle n’avait pas reçu les consignes modifiées et il n’a pas pris de mesures correctives pour remédier à son erreur. Le résultat est clairement inéquitable car l’intimé a agi de façon déraisonnable dans ces circonstances.

61 Par conséquent, il y a clairement un abus de pouvoir en l’espèce.

Décision

62 Pour tous ces motifs, la plainte est accueillie.

Mesures correctives

63 La plaignante n’a pas précisé de redressement lors de son argumentation ni lors de son droit de réplique.

64 Dans le présent dossier, les mesures correctives qui s’appliquent sont celles prévues au paragraphe 81(1) de la LEFP. Ce paragraphe se lit comme suit : « S’il juge la plainte fondée, le Tribunal peut ordonner à la Commission ou à l’administrateur général de révoquer la nomination ou de ne pas faire la nomination, selon le cas, et de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées. »

65 Le Tribunal est d’avis que lorsqu’il juge la plainte fondée, il peut ordonner des mesures correctives même s’il n’ordonne pas la révocation de la nomination.

66 Le Tribunal estime que la révocation n’est pas appropriée dans le présent dossier mais que les mesures correctives suivantes seraient plus appropriées dans les circonstances.

67 L’article 81 donne au Tribunal le pouvoir de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées, le Tribunal émet donc l’ordonnance suivante :

L’intimé devra dans les 60 jours de la présente décision :

  1. Revoir la procédure utilisée au sein de son ministère pour l’administration des examens à distance utilisés dans les processus de sélection.
  2. S’assurer que la procédure prévoit la marche à suivre lorsque de nouvelles consignes doivent être données que ce soit immédiatement avant ou pendant la période de l’examen afin d’être en mesure de certifier que tous les candidats ont bien reçu les nouvelles consignes.

L’intimé devra dans les 90 jours de la présente décision :

Réévaluer la plaignante concernant le processus de nomination no06-PCH-IIA-CC-0076 qui fait l’objet de cette plainte.

Francine Cabana

Membre

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2006-0149
Intitulé de la cause:
Linda Chiasson et le Sous-ministre de Patrimoine canadien et al.
Audience:
Décision rendue sans comparution des parties
Date des motifs:
Le 22 octobre 2008
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