Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant était profondément en désaccord avec son agent négociateur quant aux motifs d’un grief présenté à l’employeur- le plaignant a allégué que l’agent négociateur ne l’avait pas bien représenté dans le cadre de son grief- la défenderesse a déclaré que la plainte était irrecevable parce que tardive et que, de toute façon, elle avait agi de façon diligente et compétente - la Commission a conclu que la plainte était hors délai - la Commission a aussi souligné qu’un désaccord quant à la stratégie adoptée par l’agent négociateur dans sa représentation ne signifie pas que cette stratégie constitue une pratique déloyale de travail- le plaignant avait présenté une demande de modification de sa plainte- la Commission a enjoint le greffe d’ouvrir un nouveau dossier et de considérer la modification comme une nouvelle plainte. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-08-18
  • Dossier:  561-02-383
  • Référence:  2009 CRTFP 100

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

SAMEH BOSHRA

plaignant

et

ASSOCIATION CANADIENNE DES EMPLOYÉS PROFESSIONNELS

défenderesse

Répertorié
Boshra c. Association canadienne des employés professionnels

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, commissaire

Pour le plaignant:
Lui-même

Pour la défenderesse:
Fiona Campbell, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 5 février, les 6 et 23 mars, le 19 mai et les 9, 16 et 25 juin 2009.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1  Sameh Boshra (le « plaignant ») allègue que son agent négociateur, l'Association canadienne des employés professionnels (l’« ACEP » ou la « défenderesse »), s'est livré à une pratique déloyale de travail.

2 Le plaignant travaille pour Statistique Canada à Ottawa. Il a demandé à la défenderesse de le représenter à la suite d'un incident survenu dans son milieu de travail le 7 août 2008.

3 La défenderesse a déposé un grief au nom du plaignant le 26 août 2008, alléguant une violation de l'article interdisant la discrimination qui figure dans la convention collective conclue entre la défenderesse et le Conseil du Trésor concernant le groupe Économique et services de sciences sociales (EC), qui a expiré le 21 juin 2007 (la « convention collective »). La présente plainte porte principalement sur la façon dont la défenderesse a traité ce grief.

4 Le 5 février 2009, le plaignant a déposé la déclaration suivante à l’égard de sa plainte :

[Traduction]

[…]

1. Les représentants de l'ACEP (Aleisha Stevens, Allen Stead, Lionel Saurette) ont soutenu avec insistance que je n'avais aucun droit à la sécurité/à la protection de ma vie privée au travail, même si la convention collective indique que j'ai ce droit.

2. Les représentants de l'ACEP (Aleisha Stevens, Allen Stead, Lionel Saurette) m'ont conseillé de chercher à obtenir un congé pour des raisons médicales, même si je n'étais pas malade, au lieu d'essayer de régler mon problème au travail (pièces 1 et 2).

3. Les représentants de l'ACEP (Aleisha Stevens, Lionel Saurette) m'ont conseillé de prendre un congé de maladie prolongé ou de chercher un autre emploi au lieu d'essayer de régler mon problème au travail avec l’employeur (pièce 9-1).

4. Une représentante de l'ACEP (Aleisha Stevens) a refusé à plusieurs reprises d'obtenir une preuve cruciale avant que celle-ci soit détruite, malgré des demandes répétées (pièces 3 et 4).

5. Une représentante de l'ACEP (Aleisha Stevens) a refusé à plusieurs reprises de s'occuper de mon problème, en raison d'un manque de temps, à des moments clés de la procédure de règlement du grief (pièces 6 et 9).

6. Une représentante de l'ACEP (Aleisha Stevens) a traité l'affaire, de façon répétée et dès le dépôt du grief, comme s'il s'agissait d'un cas de harcèlement sexuel, au lieu de soulever les questions relatives à la sécurité/protection de la vie privée au travail mentionnées dans ma première lettre à l'employeur, et ce, même si des représentants (Aleisha Stevens, Allan Stead) avaient eux-mêmes initialement conseillé de ne pas le faire (pièce 1-2) et qu'un avocat externe avait également conseillé de ne pas le faire, et malgré le fait que je n'avais pas déposé de grief contenant une telle allégation (pièces 8 et 15).

7. Une représentante de l'ACEP (Aleisha Stevens) a nié avoir fourni de mauvais conseils même si sa propre correspondance prouve le contraire (pièces 5 et 9).

[…]

[Numérotation ajoutée]

5 Le plaignant demande à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») de lui accorder le redressement suivant :

[Traduction]

[…]

[…] que l'organisation syndicale me rembourse les frais engagés pour le recours aux services d'un conseiller juridique externe et, s'il y a lieu, qu'elle me verse un dédommagement pour le tort causé au grief en raison d'une présentation erronée des faits et pour perte personnelle.

[…]

6 Lorsqu'une plainte est déposée en vertu de l'alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la « Loi »), comme c'est le cas dans la présente affaire, le plaignant accuse la défenderesse d'avoir violé l'une des interdictions auxquelles renvoie l'article 185, lequel est ainsi libellé :

185. Dans la présente section, « pratiques déloyales » s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

Bien que la plainte ne le mentionne pas explicitement, il appert à la lecture de celle-ci que la violation alléguée porte sur l'article 187 et la disposition généralement appelée « devoir de représentation juste ». L'article 187 prévoit ce qui suit :

187.  Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

7 Le plaignant a soumis un certain nombre de documents (qu'il a désigné comme étant des « pièces » dans sa déclaration) lorsqu'il a déposé sa plainte aux Services du greffe de la Commission, le 5 février 2009. Les Services du greffe lui ont renvoyé les documents en lui expliquant qu'il devait plutôt les soumettre durant le processus d'audience s'il souhaitait qu'ils servent d'éléments de preuve. Lorsque j'ai pris connaissance du dossier en tant que commissaire saisi de l'affaire, les documents présentés à l'origine ne figuraient plus au dossier et je n'ai pu les consulter.

8 La défenderesse a déposé une réponse à la plainte le 6 mars 2009. En résumé, elle estimait que la Commission devait rejeter quatre des allégations du plaignant (numérotées 2, 3, 4 et 6 au paragraphe 4 de la présente décision) au motif que celui-ci ne les avait pas soumises à l'intérieur du délai obligatoire de 90 jours prescrit au paragraphe 190(2) de la Loi. Elle a également fait valoir que le plaignant n'avait pas présenté de preuve prima facie établissant que la défenderesse avait failli à son devoir de représentation juste, ce qui, selon elle, justifiait également le rejet de la plainte. Subsidiairement, la défenderesse a mentionné qu'elle [traduction] « […] avait en tout temps rempli et même dépassé ses obligations à l'égard du client, et qu'elle lui avait offert une excellente représentation […] en faisant preuve de professionnalisme et de diligence ».

9 Dans le cadre de sa réponse, la défenderesse a demandé à la Commission de trancher l'affaire sur la base d'arguments écrits au lieu de procéder à une audience. Elle a fait valoir que les faits relatifs à l'affaire étaient distincts et bien circonscrits, ce qui limitait le besoin de tenir une audience. Elle a également mentionné que le recours à des arguments écrits permettrait d'économiser temps et argent, ce qui serait avantageux pour la Commission et les parties.

10 Le plaignant a déposé une réfutation partielle à la réponse de la défenderesse dans une lettre datée du 23 mars 2009. Le plaignant a demandé à la Commission de recourir au [traduction] « processus d'audience normal », et il a indiqué qu'il comptait présenter sa preuve [traduction] « intégralement ». Il n'a pas expressément réfuté la demande de la défenderesse concernant le recours à des arguments écrits, mais j'ai conclu que la mention « processus d'audience normal » renvoyait à la tenue d'une audience.

11 La défenderesse s'est abstenue de réfuter les arguments du plaignant déposés le 23 mars 2009, en indiquant que celui-ci [traduction] « n'a pas soulevé de nouvelles questions dans sa réponse ».

12 J'ai examiné le dossier et déterminé que je trancherais l'affaire sur la base d'arguments écrits, en vertu des pouvoirs que confère l'article 41 de la Loi, qui porte ce qui suit :

41. La Commission peut trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience.

J'ai fondé ma décision sur mon évaluation des observations initiales des parties, qui semblaient indiquer que le différend portait davantage sur l'interprétation des faits que sur les faits en soi. Néanmoins, il était toujours possible que des observations additionnelles par les parties viennent modifier cette évaluation, et je savais qu'il pourrait s'avérer approprié de tenir une audience si jamais j'étais aux prises avec des preuves contradictoires ou dans l'incapacité de trancher uniquement sur la base d’arguments écrits.

13 Dans une lettre datée du 28 avril 2009, les Services du greffe de la Commission ont informé les parties de ma décision de trancher la plainte sur la base d'arguments écrits, sous réserve de la mise en garde susmentionnée. Étant donné que le plaignant avait dit qu'il s'attendait à pouvoir présenter l'intégralité de sa preuve, et dans le but d'assurer le caractère équitable des procédures, j'ai également demandé aux Services du greffe de transmettre les directives particulières suivantes aux parties :

[Traduction]

[…]

Le commissaire invite le plaignant à présenter tout autre argument écrit qu'il juge nécessaire pour établir le fondement de sa plainte, y compris tout document à l'appui qu'il souhaite porter à l'attention de la Commission. La défenderesse aura la possibilité de présenter d'autres arguments écrits, et le plaignant se verra offrir une dernière occasion de présenter des arguments en réfutation à la Commission.

[…]

Le plaignant a accepté l'invitation et a déposé, le 19 mai 2009, son compte rendu additionnel des événements. La défenderesse a présenté une réponse le 9 juin 2009, et le plaignant a déposé une réfutation le 16 juin 2009.

14 Le 19 mai 2009, le plaignant a demandé à la Commission l'autorisation de modifier sa plainte initiale en y ajoutant l'allégation suivante :

[Traduction]

[…]

Le directeur des Relations de travail de l'ACEP (Jean Ouellette) et des représentants de l'ACEP (Aleisha Stevens, Allen Stead, Lionel Saurette) ont agi de mauvaise foi relativement à la mise au rôle pour l'audition du grief et à la tenue de celle-ci; ils ont nui aux intérêts du plaignant et ont exclu celui-ci, et ont nui aux intérêts de l'employeur et à ceux de la section locale 503 de l'ACEP.

[…]

15 La défenderesse a soumis sa position à l'égard de la demande de modification le 9 juin 2009. Faisant valoir que la nouvelle allégation n'était pas fondée, la défenderesse a mentionné que la Commission devrait exercer son pouvoir discrétionnaire aux termes de l'article 36 de la Loi et refuser la modification ou, subsidiairement, qu'elle devrait la rejeter au motif qu'elle est tardive.

16 Le plaignant a présenté une réfutation le 25 juin 2009 au sujet de la modification.

17 Dans les passages qui suivent, je me suis éloigné quelque peu de la forme de présentation habituelle des décisions de la Commission. Au lieu de présenter un résumé de la preuve et des arguments avant d'indiquer les motifs de ma décision, j'ai porté mon attention directement sur les principales questions que je dois trancher et, au besoin, j'ai fait des renvois vers des points pertinents et des extraits des divers arguments des parties. Le texte intégral des arguments figure au dossier de la Commission et est accessible aux fins de consultation.

II. Questions préliminaires — plainte initiale

18 Tel qu'il a été mentionné précédemment, la défenderesse a contesté la plainte initiale en soumettant deux arguments préliminaires. En premier lieu, elle a fait valoir que quatre des allégations étaient tardives. En second lieu, elle a argué, subsidiairement, que la plainte ne présentait pas de preuve prima facie d'une violation de l'article 187 de la Loi.

A. Respect du délai

19 Le paragraphe 190(2) de la Loi énonce ce qui suit :

190. (2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu – ou, selon la Commission, aurait dû avoir – connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

Dans ses décisions, la Commission a conclu de façon constante que la Loi ne l'autorisait pas à proroger ce délai : voir, par exemple, Castonguay c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 78, paragraphe 55.

20 La question du respect du délai a une incidence directe sur la compétence de la Commission. La plainte a été déposée devant la Commission le 5 février 2009. Pour qu'il y ait respect du délai prescrit au paragraphe 190(2) de la Loi, il faut que les mesures ou les circonstances ayant donné lieu à la plainte se soient produites dans les 90 jours qui ont précédé, c'est-à-dire entre le 7 novembre 2008 et le 5 février 2009. Dans la mesure où certaines ou l'ensemble des mesures faisant l'objet de la plainte ont eu lieu à l'extérieur de la période de 90 jours, la compétence de la Commission est directement remise en question.

21 Certaines caractéristiques de la plainte – ou peut-être la façon dont elle a été présentée – viennent compliquer l'application du délai mentionné au paragraphe 190(2) de la Loi. La défenderesse a abordé la question du respect du délai en considérant chacune des sept allégations énumérées par le plaignant à la section 4 de sa formule 16 originale (Plainte visée à l'article 190 de la Loi) comme étant [traduction] « […] une mesure ou une circonstance donnant lieu à la plainte ». La défenderesse fait valoir que, si les faits relatifs à une allégation en particulier indiquent que le plaignant avait – ou aurait dû avoir – connaissance de la mesure ou des circonstances à l'origine de la plainte avant le 7 novembre 2008, alors l'allégation en question devrait être jugée irrecevable. Se fondant sur ce cadre d'analyse, elle avance que les allégations 2, 3, 4 et 6 de la plainte initiale (voir le paragraphe 4 de la présente décision) ont été présentées tardivement et que la Commission n'a donc pas compétence pour les entendre.

22 L'approche adoptée par la défenderesse est tout à fait légitime, étant donné la manière dont le plaignant a énoncé ses allégations à la section 4 de la formule 16. Cependant, dans la présente affaire, il se peut que le fait de considérer chacune des allégations séparément ne soit pas la seule façon d'aborder la question du respect du délai ou de déterminer l'objet de la plainte. Une autre approche pourrait consister, par exemple, à supposer que les sept allégations sont des éléments d'un problème plus vaste ou sous-jacent concernant la représentation offerte par la défenderesse. Ce pourrait être une tendance générale concernant la représentation, au lieu de chacune des allégations énumérées à la section 4 de la formule 16, qui constitue l'objet essentiel de la plainte. Le plaignant aurait pu, à un certain moment, se rendre compte que les actions ou les refus d'agir de la défenderesse, pris dans leur ensemble, se traduisaient par une tendance constituant une violation de l'article 187 de la Loi. S'il s'avérait que le plaignant conteste une tendance générale concernant la représentation, on pourrait alors considérer que sa plainte est recevable si la preuve montrait qu'il n'a pu se rendre compte de l'existence d'une tendance enfreignant l'article 187 qu'à une date comprise dans la période de 90 jours visée, peut-être à la suite d'un événement catalyseur. En d'autres termes, il se peut que le plaignant ait pris connaissance pour la première fois de la tendance en matière de représentation allant à l'encontre de la Loi à une date comprise dans la période de 90 jours, même si certains éléments constitutifs de cette tendance se sont produits avant la période visée.

23 Quelle est alors la nature fondamentale de la plainte? Pour répondre à cette question, j'ai examiné la façon dont le plaignant a décrit les mesures ou les circonstances ayant donné lieu à la plainte dans ses observations détaillées. D'après celles-ci, on peut raisonnablement en arriver à l'une ou l'autre des conclusions suivantes : 1) le plaignant considère que chacune des sept allégations énumérées dans la plainte originale constitue « […] une mesure ou une circonstance donnant lieu à la plainte […] »; 2) la plainte porte essentiellement sur une tendance générale concernant la représentation; 3) la plainte porte sur autre chose.

24 Dans ses arguments présentés le 16 juin 2009, le plaignant a dit qu'il considérait que [traduction] « […] la question relative au devoir de représentation juste ne se limite pas à une action ou à une erreur isolée, mais renvoie à un défaut général de représenter le plaignant de bonne foi et sans lui causer de tort ». Il a également mentionné ce qui suit :

[Traduction]

[…] le paragraphe 190(2) ne stipule pas que le plaignant doive soumettre une plainte distincte pour chacun des cas de mauvaise représentation ou de conduite douteuse de la part de son représentant, mais qu'une plainte doit être présentée dans les 90 jours qui suivent les mesures ou les circonstances ayant donné lieu à celle-ci […]

25 Chacune de ces deux déclarations donne à penser que le plaignant voulait décrire une tendance générale découlant de l'ensemble des mesures prises par la défenderesse et constituant une pratique déloyale de travail. Cependant, ces déclarations ne suffisent pas à elles seules à déterminer l'objet de la plainte. Étant donné que le plaignant les a formulées postérieurement dans le cadre du processus de présentation des arguments, après qu'il eut pris connaissance des détails de l'objection de la défenderesse fondée sur le non-respect du délai, on pourrait croire qu'il s'agissait là d'une tentative, après le fait, de justifier le moment du dépôt de la plainte.

26 Je ne trouve pas de déclarations étroitement comparables dans les premiers arguments du plaignant. Je trouve toutefois dans le passage ci-après, tiré des arguments qu'il a déposés le 23 mars 2009, une déclaration connexe dans laquelle il affirme que son inquiétude à l'égard des mesures prises par la défenderesse s'est étalée sur une période prolongée, et que cette inquiétude portait sur une série d'interactions entre lui-même et la défenderesse et entre celle-ci et l'employeur – ce qui ressort également de façon évidente de la manière dont il a décrit la chronologie des événements dans ses arguments du 19 mai 2009. Le plaignant mentionne qu'il a retardé le dépôt de sa plainte, malgré son inquiétude, tandis qu'il essayait de régler son différend avec la défenderesse :

[Traduction]

[…]

[…] Les arguments relatifs à la plainte décrivent en détail tous les éléments qui, selon moi, ont constitué de la mauvaise foi et/ou une interprétation erronée et arbitraire des faits dès le début de la procédure de règlement du grief. Ils devraient fournir une preuve abondante des efforts répétés qui ont été déployés durant une période prolongée en vue de régler le problème relatif à l'ACEP et d'éviter le dépôt d'une plainte à la CRTFP. Je crois que c'est conformément à cet esprit que la CRTFP recommande aux parties de procéder pour régler leurs différends.

[…]

27 D'un côté, le passage qui précède peut donner à penser que le plaignant a su assez tôt qu'il y avait un problème pouvant donner lieu à une plainte, peut-être même « […] dès le début de la procédure de règlement du grief ». D'un autre côté, le point sous-jacent qu'il soulève selon lequel un éventuel plaignant devrait essayer de régler le différend qui l'oppose à son agent négociateur avant de présenter à la Commission une plainte pour manquement au devoir de représentation juste a, du point de vue des relations de travail, une valeur certaine. Cela m'a amené à me demander si, aux termes du paragraphe 190(2) de la Loi, il fallait calculer le délai à partir du moment où survient la situation pouvant donner lieu à la plainte, ou s'il ne convenait pas plutôt, afin de favoriser des relations de travail efficaces, d'y aller d'une interprétation selon laquelle on pouvait prévoir une période de discussion entre les parties visant à éviter le dépôt d'une plainte.

28 Un examen plus approfondi des arguments permet de faire ressortir un élément différent et important. Bien que le plaignant fasse état, dans le document présenté le 23 mars 2009, d'un [traduction] « manquement général » au devoir de le représenter de bonne foi, il détermine clairement dans ce même document un incident distinct qui a été l'élément déclencheur de sa plainte. Il mentionne ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] j'affirme […] que l'incident ayant donné lieu à la plainte a été la réception d'une correspondance de Mme Stevens, datée du 11 novembre 2008, dans laquelle elle présentait de manière fausse ses efforts répétés visant à plaider l'affaire comme s'il s'agissait d'un cas de harcèlement sexuel […]

[…]

Le plaignant fait essentiellement la même affirmation dans son argument du 16 juin 2009, en précisant ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…]  j'ai indiqué, et le document écrit peut le prouver, que l'incident ayant donné lieu à la plainte a été le courriel de Mme Stevens daté du 11 novembre 2008, et j'ai déjà mentionné qu'il s'agissait d'une interprétation totalement erronée de la discussion que nous avions eue lors de notre dernière réunion, le 14 octobre 2008, ce qui était à l'image de la majeure partie de la représentation qu'elle m'avait offerte à ce jour […]

[…]

29 Dans les deux déclarations, le plaignant désigne le courriel d'Aleisha Stevens daté du 11 novembre 2008 comme étant l'élément déclencheur de la plainte. Il convient de noter que ces déclarations cadrent avec ce qui est indiqué à la section 5 de la formule 16 initiale du plaignant, à savoir que la date à laquelle il a pris connaissance de la mesure, de l'omission ou de tout autre élément ayant donné lieu à la plainte est le 11 novembre 2008.

30 Que s'est-il passé au juste le 11 novembre 2008? Sans qu'on sache vraiment pourquoi, le plaignant n'a pas fourni le contenu du courriel de Mme Stevens daté du 11 novembre 2008 ni décrit celui-ci en détail dans ses arguments. Peut-être le courriel figurait-il parmi les « pièces » que le plaignant a déposées avec sa plainte initiale et qui lui ont été retournées par la Commission, tel qu'il a été indiqué précédemment, parce qu'elles avaient été présentées trop tôt? Cependant, j'ai subséquemment chargé les Services du greffe d'inviter le plaignant à soumettre « […] tout document à l'appui qu'il souhait[ait] porter à l'attention de la Commission […] ». La lettre du 28 avril 2009, qui contenait l'invitation, mentionnait que je trancherais la plainte sur la base d'arguments écrits, sauf si à un moment ou à un autre il m'apparaissait justifié de procéder autrement. Selon moi, les directives, indiquées ci-après, étaient claires et précises :

[Traduction]

[…]

Ayant pris connaissance des observations déjà présentées concernant l'affaire susmentionnée, le commissaire saisi de la plainte a déterminé qu'il rendrait une décision sur la base d'arguments écrits, sauf s'il constate l'existence d'un différent au sujet d'éléments de preuve importants. Dans un tel cas, le commissaire pourrait ordonner la tenue d'une audience.

Le commissaire invite le plaignant à présenter tout autre argument écrit qu'il juge nécessaire pour établir le fondement de sa plainte, y compris tout document à l'appui qu'il souhaite porter à l'attention de la Commission.

[…]

Dans ce contexte, le plaignant aurait dû savoir qu'il devait fournir la preuve sur laquelle reposait sa plainte. Le fait de ne pas avoir déposé le courriel du 11 novembre 2008 ou de ne pas l'avoir décrit en détail n'aide pas la cause du plaignant, étant donné que, de son propre aveu, c'est la réception de ce courriel qui constitue l'élément déclencheur du dépôt de la plainte pour manquement au devoir de représentation juste.

31 Cependant, le dossier comporte des renvois au courriel du 11 novembre 2008 qui permettent d'en déterminer la teneur. Tel qu'il est indiqué dans l'extrait du document déposé le 23 mars 2009 (cité au paragraphe 28 de la présente décision), la correspondance portait sur les [traduction] « […] efforts répétés [de Mme Stevens] visant à plaider l'affaire comme s'il s'agissait d'un cas de harcèlement sexuel[….] » Dans sa réfutation du 19 mai 2009, le plaignant a mentionné à deux reprises que le courriel de Mme Stevens sur le sujet constituait un [traduction] « déni outrant ». Le premier de ces deux renvois s'accompagne d'une déclaration selon laquelle le courriel [traduction] « […] contredit les affirmations faites aux points 53 à 56 de la réponse [de la défenderesse] du 6 mars 2009 ». Ces paragraphes sont ainsi formulés :

[Traduction]

53. Lors des audiences tenues aux premier et deuxième paliers de la procédure de règlement du grief de discrimination, soit le 9 septembre et le 14 octobre 2008, Mme Stevens a brièvement parlé avec l'employeur de la possibilité que l'incident survenu le 7 août 2008 ait constitué une violation de l'article 17 (Élimination du harcèlement sexuel) de la convention collective. Cette question a été abordée à titre d'argument subsidiaire uniquement.

54. La possibilité de présenter un grief pour violation de l'article 17 a été une fois de plus abordée dans les courriels qu’ont échangés le plaignant et Mme Stevens, les 29 et 30 septembre 2008, au sujet d'une éventuelle modification du grief.

55. Cependant, tel qu'il est mentionné plus haut, le grief n'a pas été modifié. La question du harcèlement sexuel n'a donc jamais été incluse dans le grief.

56. La défenderesse estime que ce sont ces faits qui sont à la base de l'allégation du plaignant selon laquelle les représentants de l'ACEP ont, de façon répétée, plaidé l'affaire comme étant un cas de « harcèlement sexuel » (allégation no 6).

32 Compte tenu des éléments au dossier, je crois pouvoir m'en remettre au fait que le plaignant a, de façon explicite et répétée, désigné le courriel de Mme Stevens daté du 11 novembre 2008 comme étant l'élément déclencheur de la plainte. La réception de ce courriel a été, selon les dires exacts du plaignant, [traduction] « […] l'incident ayant donné lieu à la plainte ». L'examen de tous les arguments du plaignant m'amène à conclure que cet incident est le seul qui puisse être clairement associé à la date indiquée à la section 5 de la formule 16 (11 novembre 2008) – soit la date à laquelle il a pris connaissance de la mesure, de l'omission ou de tout autre élément ayant donné lieu à sa plainte.

33 Si l'on s'en tient au libellé exact des déclarations du plaignant, on ne peut conclure que chacune des allégations énumérées à la section 4 de la formule 16 constitue une mesure ou une circonstance ayant donné lieu à la plainte. Bien que les sujets abordés dans ces allégations puissent représenter des éléments d'une tendance en matière de représentation à laquelle s'oppose le plaignant, la Commission doit se fonder sur la désignation du courriel du 11 novembre 2008 en tant qu'incident déclencheur de la plainte pour ce qui est de déterminer l'objet réel de la plainte. En ce qui concerne la réponse à la question que j'ai posée précédemment (au paragraphe 23 de la présente décision), j'en arrive à la conclusion que, aux yeux du plaignant, le fond de sa plainte porte sur « autre chose », soit le contenu du courriel du 11 novembre 2008.

34 Quel était ce contenu? Même si l'on ne dispose pas du texte du courriel en question, j'estime que la preuve examinée jusqu'ici permet de conclure que ce sont les [traduction] « […] efforts répétés [de Mme Stevens] visant à plaider l'affaire comme s'il s'agissait d'un cas de harcèlement sexuel […] », au lieu d'un cas de sécurité ou de protection de la vie privée, qui forment le sujet du courriel et, par conséquent, l'objet essentiel de la plainte. L'objet de la plainte ainsi déterminé cadre avec la sixième allégation figurant à l'origine à la section 4 de la formule 16, qui est ainsi formulée :

[Traduction]

6. Une représentante de l'ACEP (Aleisha Stevens) a allégué à plusieurs reprises, dès le dépôt du grief, qu'il y avait eu harcèlement sexuel, au lieu de soulever les questions relatives à la sécurité/protection de la vie privée au travail mentionnées dans ma première lettre à l'employeur, et ce, même si des représentants (Aleisha Stevens, Allan Stead) avaient eux-mêmes initialement conseillé de ne pas le faire (pièce 1-2) et qu'un avocat externe avait également conseillé de ne pas le faire, et malgré le fait que je n'avais pas déposé de grief contenant une telle allégation […]

35 La plainte a-t-elle été déposée dans le délai prescrit, si l'on s'en tient à l'objet que l'on vient de déterminer? Dans ses arguments, la défenderesse estime qu'elle a abordé la question du harcèlement sexuel bien avant le 7 novembre 2008. Elle a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Il a été brièvement question de l'argument subsidiaire du harcèlement sexuel lors des audiences tenues aux premier et deuxième paliers de la procédure de règlement du grief de discrimination, le 9 septembre et le 14 octobre 2008. En outre, il a été pris en considération à titre de modification possible du grief dans des courriels qu'ont échangés le plaignant et Mme Stevens les 29 et 30 septembre 2008, avant d'être finalement rejeté.

[…]

En conséquence, la défenderesse maintient que le plaignant avait eu – ou aurait dû avoir – connaissance avant le 7 novembre 2008 des circonstances ayant donné lieu à son allégation relative à l'argument du harcèlement sexuel, et que la plainte n'a donc pas été déposée dans le délai prescrit.

36 Je trouve dans les arguments du plaignant une preuve abondante indiquant que celui-ci était effectivement au courant, avant le 7 novembre 2008, de l'utilisation de l'argument du harcèlement sexuel par la défenderesse. Examinons, par exemple, le compte rendu (arguments du 19 mai 2009) qu'il fait de la réunion ayant eu lieu dans le cadre du premier palier de la procédure de règlement du grief, le 9 septembre 2008, et dont voici la teneur :

[Traduction]

[…]

[…] Des notes manuscrites prises par Mme Grundy et Mme Mihorean ce jour-là témoignent des offerts répétés d'Aleisha [Stevens] visant à plaider l'affaire comme s'il s'agissant d'un cas de harcèlement sexuel. On peut lire dans une note de Mme Grundy qu'« Aleisha indique qu'il s'agit de harcèlement sexuel » (S. Grundy, notes concernant la réunion du 9 septembre 2008). J'étais présent à la réunion, et je me souviens très bien de la réaction de Mme Grundy quand cela a été mentionné : elle a roulé les yeux et incliné la tête vers l'arrière en se calant dans son fauteuil, et s'est exclamée « De grâce! ». Outre le fait que M. Stead a explicitement indiqué, dès ma première réunion avec les représentants de l'ACEP, qu'il ne s'agissait pas d'un cas de harcèlement sexuel, cet argument n'était pas fondé. Mme Stevens a quand même décidé d'utiliser cet argument, ce qui a entraîné une baisse de crédibilité dès la première réunion.

[…]

37 Dans ses arguments datés du 16 juin 2009, le plaignant mentionne un [traduction] « […] avis que j'ai reçu de la défenderesse indiquant que le recours à l'argument du harcèlement était le seul moyen de traiter la question de la sécurité/protection de la vie privée; j'ai plus tard découvert que cet avis était erroné, ce qui a été confirmé par un avocat […] ». Dans de précédents arguments (19 mai 2009), le plaignant indique avoir rencontré un avocat aux bureaux de la firme Sevigny Westdal le 30 septembre 2008. Il décrit la rencontre en partie comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] j'ai appelé les bureaux de Sevigny Westdal pour prendre d'urgence un rendez-vous le 30 septembre 2008. J'ai vu un avocat cette journée-là, puis j'ai écrit à Mme Stevens pour lui faire part de l'avis que j'avais reçu (le 30 septembre 2008, à 19 h 37). Cet avis indiquait, entre autres choses, que les arguments relatifs à la protection de la vie privée et à la sécurité étaient valides, qu'il y avait plusieurs moyens de les poursuivre, notamment aux termes de l'article 7 de la Charte, et qu'il faudrait éviter de recourir à l'argument du harcèlement sexuel […]

[…]

Le plaignant écrit ce qui suit un peu plus loin :

[Traduction]

[…]

[…] Mme Stevens a eu recours deux fois à la même astuce pour refuser de modifier l'entente et d'exclure l'article sur le harcèlement sexuel. Le 30 septembre 2008, elle a mentionné qu'elle n'était plus disponible pour poursuivre cette discussion, et ce, jusqu'à la fin de l'échéance prévue pour la transmission du grief, et elle a promis qu'elle examinerait plus avant mon souhait de soulever des questions relatives à la Charte (Mme Stevens, le 30 septembre 2008, à 13 h 10). Elle ne l'a pas fait. […]

[…]

38 Ces extraits et d'autres passages similaires des arguments du plaignant rendent compte d'un différend concernant l'utilisation de l'argument du harcèlement sexuel, qui existait déjà bel et bien à la fin de septembre 2008, si ce n'est avant. À ce moment, la situation était assez grave pour que le plaignant estime nécessaire de consulter de toute urgence un avocat externe. La preuve montre que cette consultation a eu pour effet de renforcer sa certitude que l'argument du harcèlement sexuel n'était pas approprié – qu'il était en fait « erroné » – et que les questions qui devaient selon lui être abordées – avant toute chose, celles de la protection de la vie privée et de la sécurité – étaient, à tort, absentes de l'approche adoptée par la défenderesse pour représenter ses intérêts. Si le plaignant s'attendait à ce que la défenderesse modifie son approche après avoir communiqué à Mme Stevens les résultats de sa consultation avec un avocat externe le 30 septembre 2008, ce qui s'est passé au deuxième palier de la procédure de règlement du grief, le 14 octobre 2008, a montré qu'il était dans l'erreur. Le plaignant mentionne ce qui suit au sujet de cette réunion :

[Traduction]

[…]

Mme Stevens a fait preuve de mauvaise foi et n'a offert qu'une représentation apparente quand elle a de nouveau plaidé l'affaire comme s'il s'agissait d'un cas de harcèlement sexuel […] ce qui, à ce point, était absurde, [et] qu'elle a omis de soulever les questions de sécurité ou de protection de la vie privée

[…]

39 Compte tenu de ce contexte, est-il raisonnable de conclure que la plainte – qui porte essentiellement sur le fait que la défenderesse a eu recours à l'argument du harcèlement sexuel au lieu d'autres arguments – est recevable parce que le courriel de Mme Stevens du 11 novembre 2008 a constitué l'élément déclencheur? Peut-on faire abstraction des événements qui se sont produits plus tôt, c'est-à-dire à l'extérieur du délai de 90 jours, et ne pas les considérer comme une preuve qu'il a eu – ou aurait dû avoir – connaissance « […] des mesures ou des circonstances […] ayant donné lieu [à la plainte] » avant le début de ce délai?

40 Encore une fois, il est regrettable que l'on ne connaisse pas plus en détail le contenu du courriel du 11 novembre 2008 ou les interactions entre le plaignant et la défenderesse autour de cette date. De mon point de vue, le fait que le plaignant ne fournisse pas plus de précisions pour indiquer clairement ce qui s'est passé le 11 novembre 2008 mine sa preuve. Je peux seulement supposer que le plaignant a cru, à tort, qu'il y aurait une audience durant laquelle il pourrait soumettre d'autres éléments de preuve, et ce, même si j'avais explicitement indiqué mon intention de trancher l'affaire sur la base d'arguments écrits. Si les directives qu'il a reçues à ce sujet avaient été vagues ou imprécises, j'aurais pu comprendre qu'il omette de soumettre des éléments de preuve clés en attribuant cela au fait qu'il se représentait lui-même et qu'il avait peu d'expérience en la matière. Cependant, comme je viens de le préciser, ce n'a pas été le cas.

41 Selon la prépondérance de la preuve contenue dans les arguments qui m'ont été présentés, je ne peux accepter les motifs à l'appui de la plainte, car ils demeurent imprécis ou incertains jusqu'à l'incident du 11 novembre 2008. Je suis convaincu que le plaignant savait – ou aurait dû savoir –, bien avant cette date, que la défenderesse et lui étaient fortement en désaccord au sujet de l'utilisation par celle-ci de l'argument du harcèlement sexuel dans le cadre des représentations concrètes auprès de l'employeur – en fait, en désaccord plus généralement au sujet des motifs à partir des desquels il convenait de plaider l'affaire. Lorsque le plaignant a consulté de toute urgence un avocat externe le 30 septembre 2008 et vérifié ses objections à l'égard des motifs sur lesquels se fondait la défenderesse pour plaider son grief, il avait – ou aurait dû avoir – connaissance « […] des mesures ou des circonstances […] ayant donné lieu [à la plainte] ». Lorsque Mme Stevens a de nouveau eu recours à l'argument du harcèlement sexuel au deuxième palier de la procédure de règlement du grief, le 14 octobre 2008, malgré le fait que le plaignant avait communiqué avec elle après sa rencontre avec l'avocat privé, et qu'elle a, de l'avis du plaignant, omis d'aborder les questions de la sécurité et de la protection de la vie privée, celui-ci avait – ou aurait dû avoir – connaissance « […] des mesures ou des circonstances […] ayant donné lieu [à la plainte] ».

42 Étant donné qu'il a été déterminé que le plaignant avait eu connaissance des circonstances du différend l'opposant à la défenderesse au sujet des motifs de son grief à la fin de septembre 2008, si ce n'est dès la date de l'audience au premier palier de la procédure de règlement du grief, le 9 septembre 2008, et sans aucun doute à la date de l'audience au deuxième palier, le 14 octobre 2008, la Commission doit-elle conclure qu'il y a eu non-respect du délai concernant la plainte? Selon moi, la question qu'il reste à trancher consiste à savoir si les efforts que le plaignant allègue avoir déployés après le 9 septembre 2008 (ou après le 30 septembre ou le 14 octobre 2008) afin de poursuivre sa collaboration avec la défenderesse malgré leur différend, au lieu de procéder immédiatement au dépôt d'une plainte, doivent être pris en compte dans l'application du délai de 90 jours.

43 À ce sujet, la défenderesse fait valoir ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] la date à laquelle le plaignant a eu – ou aurait dû avoir – connaissance des circonstances ayant donné lieu à la plainte est celle à laquelle le syndicat l'a informé pour la première fois de sa position à l'égard des violations alléguées. Les communications ultérieures avec le syndicat, qui visaient à amener celui-ci à modifier sa position, ne changent pas la date à laquelle a commencé à s’écouler le délai de 90 jours […]

[…]

La défenderesse cite la décision Cuming c. Butcher et al., 2008 CRTFP 76, à l'appui de sa position.

44 J'ai lu la décision Cuming avec attention. Le passage le plus pertinent relativement à l'argument de la défenderesse se trouve au paragraphe 40, qui est ainsi formulé :

40 Quant à la violation alléguée de l’obligation de représentation équitable, le plaignant a été informé en mai 2005 de la position de l’AFPC quant à la cessation anticipée de son mandat, en 2003, et de son réembauchage, deux ans plus tard, à un poste de niveau inférieur. Même si le plaignant a eu d’autres communications avec des représentants de l’AFPC dans le but de les faire changer d’avis, la position de l’AFPC au sujet de la possibilité de prendre un recours quelconque concernant la mise en disponibilité du plaignant, en 2003, et sa réembauche, en 2005, lui a été clairement communiquée au printemps 2005.

45 Dans Cuming, les faits diffèrent considérablement de ceux de la présente affaire et, selon moi, permettent d'établir une distinction entre les deux espèces. Néanmoins, tenant compte encore une fois du libellé de la loi, je ne puis qu'être d'accord avec le principe sous-tendant la façon dont la vice-présidente a tranché la question du délai dans Cuming. Le paragraphe 190(2) de la Loi n'autorise pas l'adoption d'une approche différente. Une fois que l'agent négociateur a clairement communiqué sa position à l'égard de la représentation d'un membre et que celui-ci considère cette position comme une preuve de la violation de l'article 187, le paragraphe 190(2) ne permet pas de proroger le début du délai de 90 jours pour le dépôt de la plainte, même dans les cas où il y aurait de bonnes raisons de le faire. Le libellé du paragraphe a force de loi. Il diffère en ce sens de la manière dont s'appliquent certains autres types de mesures prévus par la Loi.

46 Dans les cas de griefs déposés en vertu de l'article 208, par exemple, la Loi reste muette au sujet du délai de présentation. Les conventions collectives contiennent habituellement des dispositions prévoyant une prorogation du délai – précisé soit dans le Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, DORS/2005-79, soit dans les conventions collectives – pour le dépôt de griefs, lorsque les parties essaient de résoudre leur différend à l'amiable ou qu'elles conviennent d'un prolongement du délai. Les conventions collectives ne contiennent aucune disposition similaire au sujet de la procédure de dépôt d'une plainte aux termes de l'article 190, sans doute parce que le paragraphe 190(2) énonce une exigence obligatoire qui ne peut être renégociée par les parties – ni modifiée par la Commission.

47 Je dois donc conclure que la Commission n'est pas autorisée à tenir compte des efforts du plaignant visant à poursuivre sa collaboration avec la défenderesse au sujet de son grief. Le paragraphe 190(2) de la Loi exige que la plainte soit déposée dans le délai prescrit, même lorsqu'on déploie des efforts en vue de résoudre le problème à l'amiable. Si ces efforts finissent par donner des résultats positifs, le plaignant peut alors retirer sa plainte.

48 Ayant déterminé que le plaignant avait eu – ou aurait dû avoir – connaissance, avant le début du délai prescrit de 90 jours, des circonstances qui ont donné lieu à la plainte – c'est-à-dire du fait que la défenderesse et lui étaient en désaccord au sujet de l'utilisation par celle-ci de l'argument du harcèlement sexuel dans le cadre des représentations auprès de l'employeur, ainsi qu'au sujet d'autres motifs sur lesquels fonder la plaidoirie du grief, et ce, avant le 7 novembre 2008 –, je conclus que la plainte est irrecevable, en ce qui a trait à son objet essentiel. Cette décision constitue un motif suffisant pour rejeter la plainte.

B. Absence de preuve prima facie

49 Étant donné la décision que j'ai rendue concernant la recevabilité de la plainte, il n'est pas nécessaire de trancher la seconde objection préliminaire de la défenderesse fondée sur l'hypothèse que le plaignant n'a pas fourni de preuve prima facie d'une violation de l'article 187 de la Loi. Je dois toutefois préciser, en toute déférence, que je ne souscris pas au raisonnement selon lequel, comme le soutient la défenderesse, l'application du critère de la preuve prima facie aurait justifié le rejet de la plainte.

50 La défenderesse cite la décision que j'ai rendue dans Exeter c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 14, à l'appui de son argument selon lequel la présente plainte devrait être rejetée au motif que les allégations qui la composent ne sont pas soutenues par une preuve prime facie. La défenderesse renvoie aux paragraphes suivants tirés de Exeter :

[…]

13   Cela dit, la Commission ne partage pas le point de vue de la plaignante que rien ne l’oblige à relier les allégations contenues dans sa plainte aux diverses dispositions du paragraphe 190(1) de la Loi citées par elle ou qu’il serait inéquitable de lui demander de le faire. Toute personne qui dépose une plainte a l’obligation de fournir les détails nécessaires pour établir à première vue en quoi les actes ou omissions reprochés contreviennent à une disposition particulière de la Loi. Si elle ne le fait pas, la Commission peut soit rejeter la plainte, soit supprimer de celle-ci les renvois aux dispositions de la Loi qui lui paraissent sans fondement à première vue.

14  Dans ce cas-ci, la plaignante a la charge d’établir à première vue qu’il existe un lien entre ses allégations et chacune des dispositions du paragraphe 190(1)a) à g) de la Loi mentionnées sur la formule 16. Le critère à remplir à cet égard n’est pas très contraignant. Une allégation est établie à première vue lorsque les faits allégués – et considérés comme avérés aux fins de la question préliminaire que je dois trancher ici – indiquent qu’il y a des motifs valables de croire que certaines dispositions de la loi n’ont pas été respectées. Dans sa plainte initiale, ou encore dans les arguments qu’elle a soumis en réponse à la demande de précisions de l’employeur, la plaignante avait la charge d’établir à la satisfaction de la Commission qu’il y a des motifs valables de croire que la défenderesse a contrevenu aux alinéas 190(1)a) à g) de la Loi.

[…]

51 Dans Exeter, l'application du critère de la preuve prima facie était justifiée par le fait que, dans la formule 16, les détails fournis par la plaignante ne précisaient absolument pas comment la plainte renvoyait à chacun des alinéas a) à g) du paragraphe 190(1) de la Loi. J'ai estimé dans cette affaire qu'il n'était pas possible, à partir de l'exposé des motifs, de faire ressortir une preuve défendable montrant que la plainte reposait sur des dispositions de la Loi autres que l'article 187. Par conséquent, j'ai conclu qu'il y avait absence de preuve prima facie relativement à une plainte visant les alinéas a) à e) du paragraphe 190(1). J'ai cependant estimé qu'il y avait un fondement pour une plainte alléguant une violation possible du devoir de représentation juste en vertu de l'article 187, qui est l'objet d'une plainte déposée aux termes du paragraphe 190(1)g).

52 Je tiens à préciser que l'exposé des motifs accompagnant la formule 16 dans Exeter était plus détaillé que le contenu de la plainte initiale dont je suis saisi en l’espèce. Dans la présente affaire, le plaignant a fourni à la section 4 un exposé des allégations qui, bien que concis (comme le demande la formule 16), suffit à établir une preuve prima facie que les allégations renvoient à l'alinéa 190(1)g) de la Loi. S'il y avait eu lieu d'appliquer le critère de la preuve prima facie à la plainte initiale, ce critère aurait consisté uniquement à déterminer s'il y avait – ou avait pu y avoir – une preuve défendable d'une violation de la Loi, en supposant que les allégations du plaignant soient fondées. Il n'est pas nécessaire que la plainte initiale prouve le bien-fondé de l'affaire. Lorsque j'ai demandé aux parties de soumettre d'autres arguments écrits, j'avais déjà tranché la question consistant à savoir si le plaignant avait fourni une preuve prima facie. Il s'agissait plutôt alors de déterminer si le plaignant pouvait faire la preuve d'une violation de l'article 187 en respectant la norme en matière civile, c'est-à-dire en établissant le bien-fondé de sa plainte selon la « prépondérance des probabilités ». J'ai donc demandé des observations supplémentaires aux fins de l'évaluation de la preuve et des arguments sur le fond.

III. Commentaires sur le fond de l'affaire

53 J'ai rejeté la plainte au motif de non-respect du délai en ce qui a trait à son objet essentiel. Du point de vue strictement technique, l'analyse de la présente affaire n'a pas à être approfondie. Cependant, compte tenu des circonstances, il m'apparaît approprié de formuler quelques brefs commentaires sur le fond de l'affaire, car je crois que les faits allégués ne permettent pas de conclure à une violation de l'article 187 de la Loi.

54 Le libellé de l'article 187 de la Loi définit la nature du devoir de représentation juste qu'a la défenderesse à l'égard du plaignant, et il le fait en indiquant ce qu'il faut éviter de faire : l'agent négociateur ne doit pas, en matière de représentation, « […] agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi […] ».

55 Une jurisprudence considérable de la Commission actuelle et de l'ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») portant sur une disposition similaire de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, aborde la question de la signification et de la portée du critère de « représentation juste ». Assez souvent, les commissaires se sont reportés aux directives faisant autorité qui ont été énoncées par la Cour suprême du Canada dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509. Au paragraphe 527 de cette décision, la Cour suprême a défini comme suit les principes sous-tendant le devoir de représentation juste :

[…]

1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d'agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d'une unité de négociation comporte en contrepartie l'obligation de la part du syndicat d'une juste représentation de tous les salariés compris dans l'unité.

2. Lorsque, comme en l'espèce et comme c'est généralement le cas, le droit de porter un grief à l'arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n'a pas un droit absolu à l'arbitrage et le syndicat jouit d'une discrétion appréciable.

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l'importance du grief et des conséquences pour le salarié, d'une part, et des intérêts légitimes du syndicat d'autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[…]

56 Dans Bahniuk c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 13, au paragraphe 51, la Commission s'est reportée à une décision de la Commission des relations de travail de la Colombie-Britannique qui, selon elle, ajoutait des concepts utiles à la notion de représentation juste :

[51] Est également instructive la décision rendue dans l’affaire James W.D. Judd v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 2000 (2003), 91 CLRBR (2d) 33 (BCLRB), dans laquelle est citée une précédente décision, Rayonier Canada (B.C.) Ltd., [1975] 2 Can LRBR 196 (BCLRB). Un syndicat ne doit pas agir de mauvaise foi, c’est-à-dire qu’il ne doit pas être hostile à l’égard d’une personne ni être vindicatif sur le plan politique ou être malhonnête. Il ne saurait y avoir de discrimination, y compris une inégalité dans le traitement des fonctionnaires, que ce soit pour des motifs comme la race et le sexe (qui sont des motifs de distinction illicite selon la Loi canadienne sur les droits de la personne) ou le simple favoritisme personnel. Et un syndicat ne peut agir de façon arbitraire en faisant preuve d’indifférence à l’égard des intérêts des fonctionnaires. Un syndicat [traduction] « […] doit adopter un point de vue raisonnable sur le problème qui lui est soumis et arriver à une décision réfléchie sur les mesures à prendre, après avoir tenu compte des divers facteurs conflictuels et pertinents » (Rayonier, aux pages 201-202).

57 On trouve également dans Bahniuk les commentaires suivants concernant la latitude dont doit disposer un agent négociateur lorsqu'il détermine s'il convient de poursuivre un grief, la manière de procéder et les ressources à affecter à la procédure :

[…]

[69] […] le devoir de représentation équitable n’exige pas que l’agent négociateur agisse sous la direction de membres individuels quand il détermine quels griefs poursuivre, quand négocier des prolongations de délai et quels griefs régler. Enfin, un membre individuel d’un agent négociateur a le droit à une représentation, mais ce n’est pas un droit absolu ou illimité. Cela ne signifie pas, par exemple, que le membre peut insister que l’agent négociateur lui assure un représentant chaque fois qu’il le veut. Pourvu que l’agent négociateur n’agisse pas de façon arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi quand il exerce son jugement à cet égard, il est en droit de distribuer les ressources limitées de l’organisation d’une manière raisonnée.

[…]

58 Dans le même ordre d'idées, la Commission a rejeté la plainte dans Cloutier et Rioux c. Turmel, Présidente de l'Alliance de la Fonction publique du Canada, et l'Alliance de la Fonction publique du Canada, 2003 CRTFP 12, qui alléguait notamment que les défenderesses avaient failli à leur devoir de représentation juste en ne rencontrant pas les plaignants au moment opportun ou en n'allouant pas assez de temps à la rencontre. La Commission a mentionné ce qui suit au paragraphe 18 :

[18] Les plaignants voudraient dicter à leur agent négociateur le moment de la rencontre entre eux et leur agent négociateur en vue de préparer l'audition de leur plainte ainsi que le temps consacré à la rencontre. J'estime qu'il appartient à leur syndicat de décider du moment et du temps consacré à leur dossier. Je comprends les plaignants de vouloir que toute l'attention possible soit donnée à leur affaire. Toutefois, il revient à l'agent négociateur de décider des moyens (personnes, temps, argent) pour les représenter.

[Les passages soulignés le sont dans l'original]

59 Dans Cox c. Vezina, 2007 CRTFP 100, la Commission a formulé les commentaires suivants en vue d'établir clairement que, lorsqu'elle examine une plainte pour manquement au devoir de représentation juste, elle n'évalue habituellement pas le caractère judicieux des décisions prises par l'agent négociateur dans le cadre de sa représentation :

[…]

[110]   Je tiens à souligner que, tout comme dans Ford, la Commission ne cherche normalement pas à savoir si la décision prise par un agent négociateur dans le cadre de la représentation d'un employé était correcte. Elle examine le processus suivi par l'agent négociateur pour en arriver à ses décisions, ainsi que sa conduite, pendant qu'il en est arrivé à celles-ci, tout en accordant à l'agent négociateur une considérable latitude tout au long du processus. Tel que souligné dans Archambault, les résultats ou conséquences des actes de l'agent négociateur ont une grande importance dans le contexte de l'examen effectué ainsi par la Commission. Essentiellement, la Commission se demande si les actes de l'agent négociateur ont nui ou porté préjudice à l'employé.

[…]

(Ford c. Alliance de la Fonction publique du Canada, dossier de la CRTFP 161-02-775 (19951218) et Archambault c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2003 CRTFP 56.)

60 Dans la toute récente décision Martel et al. c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 16, la Commission a débouté les plaignants, car elle a décidé notamment qu'un différend au sujet de la jurisprudence s'appliquant au fond de l'affaire ne permettait pas de conclure à un manquement au devoir de représentation juste. De façon similaire, dans Cyr c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2006 CRTFP 57, la Commission a conclu que la défenderesse n'avait pas agi de mauvaise foi ou de façon arbitraire ou discriminatoire lorsque, en se fondant sur son analyse des circonstances de l'affaire, elle a choisi de ne pas inclure dans sa représentation des arguments qui auraient dû être utilisés selon le plaignant.

61 Si l'on applique les principes établis dans les affaires susmentionnées et dans d'autres décisions de la Commission, il devient difficile, selon moi, de conclure que les arguments du plaignant établissent la preuve d'une conduite arbitraire, d'un traitement discriminatoire ou de décisions prises de mauvaise foi de la part de la défenderesse, et donc une preuve suffisante qu'il y a eu violation de l'article 187 de la Loi, selon la prépondérance des probabilités. Beaucoup d'éléments dans les arguments du plaignant suggèrent fortement l'existence d'un différend important l'opposant à la défenderesse au sujet des motifs sur lesquels devait être fondé le grief, et peut-être aussi au sujet des représentations particulières qui auraient dû être faites à différentes étapes de la procédure de règlement du grief. Cependant, un désaccord ne peut constituer le fondement d'une plainte. Pour être tout à fait clair, il se peut que la défenderesse ait pris des décisions « non judicieuses » concernant le fond du grief du plaignant, et peut-être même qu'elle ait fait des choix stratégiques et tactiques discutables durant la procédure. Cependant, le fait de commettre des erreurs ou de prendre des décisions discutables relativement à ce qu'il convient de faire dans le cadre d'une procédure de règlement d'un grief ne constitue pas en soi une preuve de mauvaise foi ou de comportement arbitraire ou discriminatoire.

IV. Demande de modification de la plainte

62 Dans sa demande du 19 mai 2009, le plaignant souhaite que la plainte soit modifiée afin d'y inclure l'allégation selon laquelle les représentants de l'ACEP [traduction] « […] ont agi de mauvaise foi relativement à la mise au rôle pour l'audition du grief et à la tenue de celle-ci; ils ont nui aux intérêts du plaignant et ont exclu celui-ci, et ont nui aux intérêts de l'employeur et à ceux de la section locale 503 de l'ACEP ».

63 Dans le cadre d'une procédure fondée sur l'article 187 de la Loi, la Commission ne cherche pas à déterminer si une mesure prise par l'agent négociateur va à l'encontre des intérêts des autres parties; elle cherche uniquement à déterminer si la mesure va à l'encontre des intérêts de l'employé à l'égard duquel elle doit s'acquitter de son devoir de représentation juste. Par conséquent, la partie pertinente de l'allégation additionnelle du plaignant se limite au fait que les représentants de l'ACEP « [...] ont agi de mauvaise foi relativement à la mise au rôle pour l'audition du grief et à la tenue de celle-ci; ils ont nui aux intérêts du plaignant et ont exclu celui-ci […] ». La mention des intérêts de l'employeur et de ceux de la section locale 503 de l'ACEP n'a pas à être prise en compte.

64 La défenderesse soutient que la Commission a le pouvoir, en vertu de l'article 36 de la Loi, d'accepter ou de refuser une proposition de modification de plainte qui lui est présentée. L'article 36 prévoit ce qui suit :

36.  La Commission met en œuvre la présente loi et exerce les pouvoirs et fonctions que celle-ci lui confère ou qu’implique la réalisation de ses objets, notamment en rendant des ordonnances qui exigent l’observation de la présente loi, des règlements pris sous le régime de celle-ci ou des décisions qu’elle rend sur les questions qui lui sont soumises.

65 La défenderesse fait valoir que la Commission devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et refuser la demande du plaignant concernant la modification, parce que la nouvelle allégation complexifie la plainte et peut retarder le traitement de la plainte initiale. La défenderesse soutient également que la modification fait en sorte d'ajouter de nouveaux éléments au différend. En outre, elle estime que la modification est tardive.

66 La défenderesse cite la décision de l'ancienne Commission dans Rioux et Cloutier c. Leclair, 2003 CRTFP 75, et plus particulièrement l'analyse comprise dans le passage suivant :

[…]

[13]    […] les incidents précisés aux demandes d'ajout sont tous postérieurs aux dates de dépôt des plaintes en instance et ajouteraient de nouveaux éléments à la contestation liée sur les 2 plaintes dont je suis saisi et qui sont en cours d'audition. Dans ces circonstances, je suis d'avis que la Commission excéderait sa juridiction si je faisais droit à la demande des plaignants de simplement verser aux dossiers de plaintes dont je suis saisi, des allégations relatives à des faits postérieurs à leur dépôt. Ces allégations doivent faire l'objet de nouvelles plaintes.

[…]

67 Le plaignant commence sa réfutation du 25 juin 2009 en « remerciant » la Commission [traduction] « […] d'accepter la modification et de rendre une décision sur le fond en ce qui la concerne ». De toute évidence, les « remerciements » du plaignant sont prématurés. La Commission n'a pas encore accepté la modification et doit l'analyser pour déterminer son statut et sa recevabilité.

68 Le plaignant, peut-être parce qu'il croyait, à tort, que la Commission a accepté la modification, n'aborde pas dans sa réfutation la question de l'objection de la défenderesse au sujet du respect du délai. Il ne conteste pas non plus la position de la défenderesse, soutenue par Rioux et Cloutier, selon laquelle la modification ajoute au différend de nouveaux éléments qui ne relèvent pas de la compétence de la Commission.

69 Les arguments du plaignant concernant la demande de modification reprennent certaines des préoccupations qu'il a exprimées à l'appui de sa plainte initiale. Cependant, la modification introduit un élément qui n'a pas été mentionné antérieurement par le plaignant, et qui porte sur la mise au rôle de l'audition du grief et la tenue de celle-ci à une période ultérieure au dépôt de sa plainte initiale, le 5 février 2009.

70 Dans Rioux et Cloutier, le commissaire s'est demandé si les « allégations additionnelles » soumises par les plaignants au sujet d'incidents s'étant produits après le dépôt des plaintes initiales faisaient en sorte d'altérer la nature de celles-ci. Ayant conclu que c'était bel et bien le cas, il a rendu une ordonnance selon laquelle la Commission devrait traiter ces nouvelles allégations en tant qu'objet d'une plainte nouvelle et distincte.

71 J'ai conclu que la nature essentielle de la plainte initiale est l'allégation selon laquelle la défenderesse a violé l'article 187 de la Loi en plaidant le grief du plaignant comme s'il s'agissait d'une violation de l'article de la convention collective interdisant la discrimination et d'un cas de harcèlement de sexuel, au lieu de fonder le grief sur les questions de la sécurité et de la protection de la vie privée, comme le souhaitait le plaignant. Selon moi, la modification proposée par le plaignant ne fait pas en sorte de clarifier ou de corriger la plainte initiale ni d'en étendre la portée en ce qui a trait à son objet essentiel – ou, tout compte fait, en ce qui a trait à l'une ou l'autre des allégations initiales énumérées à la section 4 de la formule 16. Elle ajoute plutôt à la plainte une nouvelle dimension, laquelle revêt un caractère encore plus distinct dans la mesure où elle porte clairement sur des incidents qui se sont produits ultérieurement. Par conséquent, je conclus que l'allégation modifie non seulement la plainte, mais également la nature de celle-ci.

72 Suivant le précédent établi dans Rioux et Cloutier, la conclusion à laquelle j'en arrive fait en sorte que la modification demandée devrait être traitée comme une nouvelle plainte, et non comme une modification. Comme ce fut le cas dans Rioux et Cloutier, l'ordonnance accompagnant les présents motifs enjoindra aux Services du greffe de la Commission de traiter la « modification » présentée le 19 mai 2009 comme une nouvelle plainte aux termes de l'alinéa 190(1)g) de la Loi. Les Services du greffe devront ouvrir un nouveau dossier de plainte au nom du plaignant, qui contiendra la « modification », soit l'allégation d'une violation de l'article 187, ainsi que les arguments reçus à ce jour concernant cette allégation.

73 Je tiens à mettre l'accent sur le fait que la nouvelle plainte se limitera à l'allégation particulière selon laquelle les représentants de l'ACEP « […] ont agi de mauvaise foi relativement à la mise au rôle pour l'audition du grief et à la tenue de celle-ci; ils ont nui aux intérêts du plaignant et ont exclu celui-ci […] ». Étant donné la conclusion à laquelle j'en suis arrivé dans le cadre de la présente décision, les allégations à l'origine de la plainte initiale – y compris le différend qui oppose le plaignant à la défenderesse au sujet de la façon de plaider son grief relativement à l'incident du 7 août 2008 – ne sont pas incluses.

74 La lecture que je fais des arguments des parties m'amène à penser qu'il y a des désaccords importants concernant les faits relatifs aux auditions du grief en février 2009 ainsi que la façon d'interpréter ces faits. Il faudra également trancher la question de la recevabilité de la modification demandée par le plaignant, traitée comme une plainte distincte. Le commissaire qui sera saisi de cette plainte devra décider si la nature des questions et de la preuve nécessite la tenue d'une audience ou la présentation d'autres arguments écrits.

75 Pour ces motifs, la Commission rend l'ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

76 La plainte déposée le 5 février 2009 est rejetée pour cause de non-respect du délai en ce qui a trait à son objet essentiel.

77 J'ordonne aux Services du greffe de la Commission d'ouvrir un nouveau dossier de plainte au nom du plaignant; ce dossier devra traiter la demande de « modification » que le plaignant a présentée le 19 mai 2009 comme une allégation distincte selon laquelle il y a eu violation de l'article 187 de la Loi, et contenir les arguments reçus à ce jour concernant cette allégation. Aux fins de la détermination de toute objection relative à la recevabilité de la plainte, celle-ci sera réputée avoir été déposée le 19 mai 2009.

Le 18 août 2009.

Traduction de la CRTFP

Dan Butler,
commissaire

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