Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les plaignants ont affirmé que l’intimé avait abusé de son pouvoir en effectuant des vérifications de références auprès de personnes autres que celles désignées par les plaignants et en n’utilisant pas une méthode d’évaluation différente pour résoudre toute contradiction entre leurs références et leurs rapports d’évaluation du rendement. L’intimé a fait valoir que le comité d’évaluation avait décidé de ne pas utiliser les rapports d’évaluation du rendement pour évaluer les candidats. Il a ajouté que la décision de contacter les répondants était fondée sur la nature des renseignements requis; il était important d’obtenir le point de vue d’un répondant qui avait supervisé récemment les candidats afin d’évaluer les qualités personnelles. Décision : Le Tribunal a conclu que les plaignants savaient qu’une vérification des références serait effectuée et qu’il n’était pas nécessaire d’obtenir le consentement d’un candidat pour communiquer avec un répondant issu de l’administration fédérale. Le Tribunal a noté que le simple fait de ne pas souscrire aux commentaires d’un répondant ne constituait pas en soi une preuve d’abus de pouvoir. Le Tribunal a jugé que le comité d’évaluation n’avait pas abusé de son pouvoir lorsqu’il avait omis de communiquer avec d’autres répondants pour obtenir des références à l’égard des plaignants et d’utiliser une autre méthode d’évaluation. Enfin, le Tribunal a établi qu’en vertu de la LEFP, le comité d’évaluation avait le pouvoir discrétionnaire d’évaluer des qualifications sans tenir compte des rapports d’évaluation du rendement. Plaintes rejetées.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossiers:
2007-0225 et 0226
Rendue à:
Ottawa, le 9 juin 2008

RAYMOND MELANSON ET BRUCE INNES
Plaignants
ET
LE SOUS-MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plaintes d'abus de pouvoir en vertu de l'alinéa 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
Les plaintes sont rejetées
Décision rendue par:
Sonia Gaal, vice-présidente
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Melanson et Innes c. Sous-ministre de la Défense nationale et al.
Référence neutre:
2008 TDFP 0014

Motifs de la décision

Introduction

1 Les plaignants, Raymond Melanson et Bruce Innes, travaillent pour le ministère de la Défense nationale (MDN) et ont tous deux présenté une plainte de même nature le 10 mai 2007 à l’égard d’un processus de nomination interne annoncé visant la dotation d’un poste de planificateur/estimateur. Les deux plaignants ont été jugés non qualifiés car ils ne possédaient pas les qualités personnelles demandées, qui faisaient partie des qualifications essentielles. Ils affirment que les commentaires formulés par leurs superviseurs au cours de la vérification des références ne correspondent pas aux renseignements qui figurent dans leurs rapports d’évaluation du rendement.

2 Les plaignants soutiennent que l’intimé, le sous‑ministre de la Défense nationale, a abusé de son pouvoir lorsqu’il a décidé de ne pas les nommer au poste sur la base des références fournies, qui étaient injustes à leur égard.

3 Les plaignants ont présenté leur plainte en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP). Aux fins de la décision, le Tribunal a joint les deux dossiers conformément à l’article 8 du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006-6.

4 Une audience portant sur le bien‑fondé de la plainte a eu lieu à Halifax (Nouvelle‑Écosse) les 14 et 15 février 2008.

Contexte

5 Le 11 novembre 2006, une annonce de possibilité d’emploi a été affichée sur Publiservice en vue de la dotation du poste de planificateur/estimateur (SR‑PLE – 10) au MDN (processus n06‑DND‑HALFX‑IA-054978), Installation de maintenance de la flotte Cape Scott. Ce processus visait l’établissement d’un bassin de candidats qualifiés servant à doter des postes actuellement vacants ou qui sont appelés à le devenir.

6 Les candidats ont été présélectionnés en fonction des qualifications « études » et « expérience ». Les candidats retenus à cette étape devaient ensuite passer un examen visant à évaluer leurs capacités. L’étape suivante consistait à évaluer les qualités personnelles au moyen de la vérification des références. Enfin, les candidats qui possédaient toutes les qualifications essentielles étaient ensuite évalués par rapport aux qualifications constituant un atout.

7 Les plaignants ont tous deux été retenus à l’étape de la présélection du processus de nomination et ont réussi à l’examen écrit. On leur a ensuite demandé de fournir des références. M. Melanson a donné les noms de Dennis Gionet, ancien pilote de mouillage et gestionnaire de projet aux Chantiers maritimes Halifax (retraité), et d’André Monette, superviseur des Services techniques (SST) à la tôlerie, au MDN. M. Innes, quant à lui, a fourni les noms de Tom Hatcher, SST au MDN, et de M. Monette comme répondants.

8 Le comité d’évaluation a établi que M. Gionet n’était pas le mieux placé pour servir de répondant à M. Melanson, étant donné qu’une période d’environ six ans s’était écoulée depuis qu’il avait supervisé M. Melanson, en 2001, époque où les deux hommes travaillaient ensemble aux Chantiers maritimes Halifax. M. Dan Goulden, le membre du comité d’évaluation qui a effectué la vérification des références pour les deux plaignants, a plutôt communiqué avec Joe Christie, SST à la tôlerie du MDN, qui avait récemment supervisé M. Melanson.

9 De la même façon, le comité d’évaluation a jugé que M. Hatcher n’était pas bien placé pour servir de répondant à M. Innes, car il n’était pas son superviseur. M. Goulden a donc choisi de s’adresser à M. Christie, qui avait également été le superviseur de M. Innes récemment.

10 À la lumière de la vérification des références, le comité d’évaluation a déterminé que MM. Melanson et Innes ne possédaient pas la qualification essentielle liée aux qualités personnelles pour le poste. La candidature de ces deux personnes a donc été rejetée.

11 Au cours de l’audience, l’intimé a soulevé une objection concernant la production des rapports d’évaluation du rendement (RER) des plaignants comme éléments de preuve, car il estime que ces documents ne sont pas pertinents pour trancher la question en litige. Le Tribunal a accepté que les RER des deux plaignants soient déposés sous réserve durant leur témoignage et a indiqué qu’il déterminerait le poids à accorder à ces documents. Par conséquent, les témoins ont fait référence aux RER pour démontrer qu’il y a eu des incohérences dans la vérification des références.

Résumé des éléments de preuve pertinents

12 Les deux plaignants ont témoigné. M. Melanson a travaillé pour le MDN pendant environ 12 ans au total, à partir de 1989. Il y a travaillé par intermittence, puisqu’il a également occupé des postes à l’extérieur de la fonction publique fédérale. Il a travaillé pour M. Monette pendant environ neuf mois.

13 M. Melanson a affirmé que certains commentaires formulés au cours de la vérification des références par MM. Monette et Christie portaient sur des points qui n’ont jamais été abordés avec lui, comme le sens des responsabilités et le contrôle des présences. À son avis, ces commentaires ne devraient donc pas être pris en considération.

14 En outre, M. Melanson estime que les renseignements figurant dans les RER rédigés par M. Christie contredisent certains commentaires formulés par ce dernier au cours de la vérification des références.

15 Selon M. Melanson, certaines incohérences dans les réponses fournies par M. Christie durant la vérification des références auraient dû retenir l’attention de M. Goulden. En particulier, M. Christie a affirmé à ce dernier qu’il avait supervisé M. Melanson pendant 25 ans, alors que, en réalité, il n’a été son superviseur que pendant trois ou quatre ans en tout. M. Melanson a ajouté que M. Christie l’avait supervisé pendant environ deux ans et demi depuis son retour au MDN en juillet 2001.

16 M. Melanson a présenté six RER en preuve, dont trois ont été signés par M. Christie, pour la période du 1er avril 2004 au 31 mars 2007. Les trois autres rapports ont été signés par M. Tait et visent la période de juillet 2001 au 31 mars 2004. Selon M. Melanson, les RER signés par M. Tait sont plus positifs que ceux qui ont été signés par M. Christie, puisque ses notes 8 « ont diminué » dans l’évaluation de M. Christie. Toutefois, le plaignant n’a obtenu aucune explication de M. Christie au sujet de ces résultats.

17 Durant le contre‑interrogatoire, M. Melanson a convenu qu’il acceptait les commentaires positifs, mais non les commentaires négatifs qui avaient été formulés au cours de la vérification des références. Il a également admis qu’il souhaitait utiliser les RER pour montrer que M. Christie avait effectué une bonne évaluation à son endroit. Toutefois, il ne souhaitait pas que M. Christie fournisse des références à son égard en raison d’« incidents passés » et de conflits survenus entre eux.

18 M. Melanson ne comprend pas la cote que lui a attribuée le comité d’évaluation et juge qu’elle est injuste. Il croit qu’il aurait dû être considéré comme qualifié afin d’avoir la possibilité d’occuper un poste à titre intérimaire.

19 M. Innes travaille au MDN depuis 1974 à titre de personne de métier. Il a occupé divers postes de SST à titre intérimaire, « par intermittence », au cours des 11 dernières années, notamment à de nombreuses reprises en remplacement de MM. Hatcher et Christie. Il a expliqué avoir donné le nom de M. Hatcher comme répondant parce que ce dernier est responsable d’unités de plus grande taille à Halifax et qu’il croyait que celui‑ci serait en mesure de fournir des exemples positifs, puisqu’il connaît bien le travail de M. Innes.

20 M. Innes a produit deux RER en preuve, lesquels ont été signés par M. Christie et visent la période du 1er avril 2005 au 31 mars 2007. Le plaignant a affirmé qu’il connaissait M. Christie depuis plus de 30 ans.

21 M. Innes a également exprimé son désaccord quant à certains commentaires négatifs formulés durant la vérification des références, par exemple en ce qui a trait au jugement, au sens des responsabilités et à l’entregent, car ces commentaires ne correspondent pas aux renseignements figurant dans les RER.

22 De plus, M. Innes a soulevé des préoccupations au sujet de la vérification des références, car aucun exemple n’a été fourni à l’appui des réponses.

23 Au cours du contre‑interrogatoire, M. Innes a expliqué qu’il n’avait pas travaillé pour M. Hatcher, mais qu’il avait plutôt remplacé ce dernier à titre intérimaire. Le plaignant a indiqué qu’il rencontrait M. Hatcher pour discuter du travail avec lui, mais que ce dernier ne l’avait jamais supervisé.

24 Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas donné le nom de M. Christie comme répondant alors qu’il le connaissait depuis 30 ans, M. Innes a répondu que c’était à lui de décider qui fournirait des références à son égard et qu’il n’avait pas choisi M. Christie.

25 À titre de mesure corrective, M. Innes demande que les réponses fournies par les répondants fassent l’objet d’un examen complet par le comité d’évaluation.

26 M. André Monette a également témoigné pour les plaignants. Il est superviseur depuis février 2006 et il partage la responsabilité avec M. Christie quant à la supervision des deux plaignants. M. Monette n’a pas réellement contribué à la préparation des RER.

27 M. Monette a indiqué qu’il s’en tenait aux commentaires qu’il avait formulés au cours de la vérification des références à l’égard des deux plaignants. Il a affirmé avoir fourni des exemples à l’appui de ses réponses concernant les plaignants dans les domaines qui posent problème.

28 M. Dan Goulden a témoigné pour l’intimé. Il travaille pour le MDN depuis près de 27 ans. M. Goulden était membre du comité d’évaluation pour ce processus de nomination et faisait également partie du groupe qui a préparé l’annonce de possibilité d’emploi et l’énoncé des critères de mérite et des conditions d’emploi. Il a expliqué au Tribunal les qualifications essentielles et les raisons pour lesquelles le comité d’évaluation avait choisi ces compétences en particulier.

29 Des 53 personnes qui ont postulé, six personnes ont vu leur candidature éliminée du processus à la présélection, cinq personnes ne se sont pas présentées à l’examen écrit et deux personnes y ont échoué. Ces candidats n’ont donc pas fait l’objet d’une évaluation plus poussée.

30 M. Goulden a affirmé qu’il ne connaissait pas M. Melanson avant de participer à ce processus de nomination, mais qu’il connaissait M. Innes, car ce dernier travaillait pour le MDN depuis plus de 30 ans et qu’il avait occupé son poste à titre intérimaire en janvier 2004.

31 Le comité d’évaluation a procédé à la vérification des références par corps de métier. M. Goulden a indiqué qu’il devait vérifier les références de 20 candidats, ce qui signifie qu’il devait communiquer avec 40 répondants, étant donné que chaque candidat avait fourni deux noms. Les mêmes questions ont été posées par les trois membres du comité d’évaluation à tous les répondants. Les questions visaient uniquement à attribuer une note pour les quatre qualifications essentielles, soit l’entregent, l’initiative, la fiabilité et le jugement.

32 M. Goulden a rencontré la plupart des répondants, mais il a également mené des entrevues par téléphone. Il a tenté de transcrire les réponses mot pour mot et a indiqué qu’il écrivait le plus rapidement possible. Lorsqu’il avait des doutes, il relisait la question et la réponse. Il n’a demandé à aucun répondant avec qui il a communiqué de fournir des réponses ou des exemples supplémentaires. Par conséquent, selon lui, les notes qu’il a prises au cours des entrevues de vérification des références sont exactes.

33 M. Goulden a discuté avec M. Monette, qui a agi à titre de répondant pour M. Innes, mais il n’a pas communiqué avec M. Hatcher puisque ce dernier n’a jamais supervisé M. Innes. Il a plutôt communiqué avec M. Christie, qui était son superviseur.

34 Selon M. Goulden, les membres du comité d’évaluation n’ont pas discuté du choix des répondants avec les candidats, car ils estimaient ne pas avoir besoin de leur autorisation pour communiquer avec un autre répondant s’ils le jugeaient nécessaire. Dans 11 cas, le comité d’évaluation a communiqué avec des répondants autres que ceux fournis par les candidats afin de parler à leur superviseur. Le comité d’évaluation n’en a pas avisé les candidats et ne leur a pas demandé l’autorisation au préalable.

35 Chaque membre du comité d’évaluation a évalué individuellement les répondants. Ils ont ensuite discuté en groupe des notes élevées et des notes faibles pour voir si celles-ci étaient justifiées. Ils n’ont toutefois pas examiné les notes qui se situaient « dans la moyenne ». M. Goulden croyait que quelques notes avaient pu être changées après cette discussion. Trois personnes, dont les deux plaignants, ont vu leur candidature éliminée du processus après la vérification des références.

36 En ce qui a trait à l’incohérence dans les références fournies par M. Christie à l’égard de M. Melanson, M. Goulden a affirmé qu’il savait que les deux plaignants répondaient au critère de l’expérience. Il n’a donc pas remis en question la réponse de M. Christie au sujet du nombre d’années pendant lesquelles il a supervisé M. Melanson. M. Goulden ne croit pas que M. Christie avait l’intention de l’induire en erreur.

37 M. Goulden a affirmé que le comité d’évaluation avait décidé de ne pas utiliser les RER à titre d’outil d’évaluation, car ceux‑ci ne sont pas fiables. En outre, leur utilisation avait été déconseillée par l’agent des ressources humaines qui les appuyait dans le processus. Selon lui, les résultats figurant dans les RER sont exagérés et le « point de comparaison » pour évaluer les employés n’est pas le même dans tous les domaines. M. Goulden a affirmé qu’il n’avait pas consulté les RER des plaignants avant l’audience.

38 En contre‑interrogatoire, M. Goulden a expliqué qu’il utilisait les RER « pour souligner les points positifs aux employés ». Si un élément pose problème, il ne l’inclut pas dans le RER, mais il rencontre plutôt l’employé pour régler la question dans un contexte autre que le processus du RER. Il a expliqué que les RER de ses employés présentaient des résultats excessivement positifs parce que c’était la façon de faire au chantier et qu’il ne voulait pas que ses employés soient désavantagés par rapport aux autres.

Questions en litige

39 Pour régler ces plaintes, le Tribunal doit déterminer si le comité d’évaluation a abusé de son pouvoir dans l’évaluation des qualités personnelles des plaignants. En particulier, il doit trancher les questions suivantes :

  1. Le comité d’évaluation a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a communiqué avec des répondants autres que ceux qui avaient été nommés par les plaignants?
  2. Le comité d’évaluation a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a omis de communiquer avec d’autres répondants et d’utiliser une autre méthode pour évaluer les plaignants à la suite des commentaires négatifs qui ont été formulés à leur endroit?
  3. Le comité d’évaluation a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a décidé de ne pas tenir compte des RER pour évaluer les candidats?

Argumentation des parties

A) Argumentation des plaignants

40 Les plaignants ne contestent pas le fait que les candidats retenus sont qualifiés et qu’ils possèdent les qualifications essentielles précisées dans l’annonce de possibilité d’emploi affichée sur Publiservice. Ils ne contestent pas non plus les outils utilisés dans le processus ni la structure des formulaires.

41 Les plaignants estiment que M. Goulden a accepté sans réserve les courtes réponses qu’on lui a fournies simplement parce qu’il éprouvait du respect pour les interlocuteurs, MM. Christie et Monette.

42 Les plaignants croient également que M. Christie a fourni des références très négatives en raison de ses antécédents avec eux. Il en est résulté un effet négatif sur la sélection dans la mesure où les plaignants étaient jugés non qualifiés dans le processus de nomination.

43 Selon les plaignants, M. Goulden n’a pas assumé entièrement la responsabilité qui lui incombait et a omis d’exercer une diligence raisonnable dans le processus. Il n’a pas reconnu que M. Christie avait fourni des références très négatives pour les deux plaignants et n’a pas tenté d’obtenir de renseignements supplémentaires d’un autre répondant ni d’utiliser une autre méthode d’évaluation.

44 Les plaignants soutiennent que M. Goulden ne connaissait pas bien les dossiers des candidats, comme en témoigne la divergence entre les années de service et les années de supervision dans le cas de M. Melanson. M. Goulden aurait dû remarquer cette erreur et demander immédiatement des précisions à M. Christie.

45 Les plaignants affirment que M. Goulden et le représentant de l’administrateur général ont abusé de leur pouvoir en omettant d’exercer une diligence raisonnable et de vérifier les répercussions négatives des références fournies à l’égard des plaignants.

46 Les plaignants affirment également que l’on doit conclure à un abus de pouvoir à leur endroit et qu’il faudrait examiner la possibilité d’utiliser une autre méthode d’évaluation pour vérifier les renseignements fournis.

B) Argumentation de l’intimé

47 L’intimé affirme que toute divergence entre les commentaires fournis par MM. Monette et Christie à titre de répondants et leurs commentaires dans les RER n’est pas pertinente en l’espèce. La question dont le Tribunal est saisi concerne plutôt l’abus de pouvoir dans l’exercice des pouvoirs de dotation, par rapport au processus de nomination.

48 L’intimé soutient que les plaignants ont décidé de ne pas appeler M. Christie à comparaître comme témoin pour expliquer les divergences perçues entre les RER et ses réponses aux questions de vérification des références. À son avis, cela aurait pourtant été la meilleure façon de procéder afin de produire la preuve à cet égard.

49 L’intimé affirme que les RER ne sont pas pertinents en l’espèce, car ceux‑ci n’ont pas été utilisés comme outils d’évaluation durant le processus d’évaluation. Toutefois, si le Tribunal les admet en preuve, il ne faudrait leur accorder aucun poids étant donné que MM. Christie et Tait n’ont pas été cités à comparaître pour en expliquer la teneur.

50 M. Goulden a expliqué que le comité d’évaluation avait décidé de ne pas utiliser les RER pour évaluer les qualités personnelles, car ceux‑ci varient d’un gestionnaire à l’autre. Selon l’intimé, il s’agit là de l’exercice approprié du pouvoir discrétionnaire dont jouit le comité d’évaluation. Toujours selon l’intimé, le fait que les plaignants estiment que les RER devraient être utilisés comme outils d’évaluation ne constitue pas un motif de plainte.

51 L’intimé soutient que, puisqu’ils avaient lu l’annonce de possibilité d’emploi sur Publiservice, les plaignants savaient qu’une vérification des références serait effectuée. La décision de communiquer avec les répondants était fondée sur la nature des renseignements requis. M. Goulden a affirmé qu’il était important de communiquer avec un répondant qui avait supervisé les candidats récemment afin d’évaluer les qualités personnelles.

52 L’intimé est d’avis que, essentiellement, les plaignants désapprouvent les commentaires négatifs formulés durant la vérification des références, mais qu’ils acceptent les commentaires positifs. Enfin, l’intimé affirme que la mesure corrective demandée par les plaignants, c’est‑à‑dire une nouvelle vérification des références relativement au processus susmentionné, ne relève pas du pouvoir du Tribunal aux termes du paragraphe 81(1) de la LEFP.

53 Selon l’intimé, les plaignants n’ont fourni aucun élément de preuve démontrant qu’il a abusé de son pouvoir lorsqu’il s’est adressé à des personnes qui n’avaient pas été désignées par les plaignants pour obtenir des références ou lorsqu’il a décidé d’évaluer les qualités personnelles au moyen de la vérification des références et de ne pas tenir compte des RER.

54 L’intimé affirme que l’abus de pouvoir devrait se limiter à la mauvaise foi, au favoritisme personnel ou à toute autre action fautive du même ordre. Il est d’avis que ces termes englobent tous la notion de discernement, par exemple pour faire la part de ce qui est bien et de ce qui ne l’est pas, et qu’ils désignent tous des manquements graves. L’intimé a également cité la jurisprudence et d’autres extraits de doctrine à l’appui de sa position.

55 L’intimé soutient que les plaintes devraient être rejetées.

C) Argumentation de la Commission de la fonction publique

56 La Commission de la fonction publique (la CFP) n’était pas représentée à l’audience, mais elle a fourni des arguments par écrit. Elle fait valoir que, pour constituer un abus de pouvoir, la mesure prise dans le cadre d’un processus de nomination doit comprendre un élément d’intention comme la mauvaise foi ou le favoritisme personnel.

57 La CFP a produit son document « La vérification des références : Regard sur le passé » à l’appui de sa position selon laquelle le comité d’évaluation n’a pas abusé de son pouvoir lorsqu’il a communiqué avec des répondants du gouvernement fédéral dont le nom n’avait pas été fourni par les candidats.

Analyse

Question I: Le comité d’évaluation a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a communiqué avec des répondants autres que ceux qui avaient été nommés par les plaignants?

58 L’article 36 de la LEFP porte sur le pouvoir dont jouit l’administrateur général pour choisir la méthode d’évaluation visant à déterminer si la personne possède les qualifications pour le poste. Cet article est libellé comme suit :

6. La Commission peut avoir recours à toute méthode d’évaluation – notamment prise en compte des réalisations et du rendement antérieur, examens ou entrevues – qu’elle estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications visées à l’alinéa 30(2)a) et au sous‑alinéa 30(2)b)(i).

59 L’objet de cet article est de conférer à l’administrateur général et à ses délégataires le pouvoir discrétionnaire de choisir une méthode d’évaluation des candidats parmi celles qui sont à sa disposition et d’effectuer une nomination fondée sur le mérite en vertu du paragraphe 30(2) de la LEFP. À différentes étapes du processus de sélection, l’administrateur général et les personnes à qui il a délégué ses pouvoirs peuvent choisir et utiliser diverses méthodes d’évaluation, y compris celle qui consiste à communiquer avec les répondants. Ce pouvoir discrétionnaire de choisir une méthode d’évaluation n’est toutefois pas un pouvoir absolu et il peut donner lieu à un recours, comme l’a établi le Tribunal dans la décision Jolin c. l’Administrateur général de Service Canada et al., [2007] TDFP 0011.

60 Le comité d’évaluation avait décidé que tous les candidats ayant réussi l’examen écrit devraient fournir le nom de deux répondants. Le Tribunal estime que les membres du comité d’évaluation ont ainsi agi dans les limites de leur pouvoir discrétionnaire lorsqu’ils ont utilisé cette méthode d’évaluation et limité le nombre de répondants à deux par candidat.

61 M. Goulden n’était pas convaincu que les répondants nommés par les deux plaignants étaient les personnes les mieux placées pour aider le comité d’évaluation à évaluer les qualités personnelles des plaignants; de fait, M. Gionet avait supervisé M. Melanson en 2001 dans le secteur privé, et M. Hatcher n’avait jamais supervisé M. Innes. Les deux plaignants ont omis de fournir le nom de M. Christie à titre de répondant, malgré le fait qu’il s’agit de leur superviseur, en raison d’antécédents conflictuels avec ce dernier.

62 M. Goulden a indiqué que les membres du comité d’évaluation avaient agi de la même façon pour 11 candidats, c’est‑à‑dire qu’ils avaient communiqué avec des répondants autres que ceux qui avaient été nommés par les candidats. Les plaignants n’étaient donc pas les seuls pour qui on avait jugé bon de ne pas communiquer avec les répondants dont ils avaient fourni le nom.

63 L’annonce de possibilité d’emploi contenait expressément la mention suivante : « Une vérification de références sera faite. » Par conséquent, lorsque les candidats ont postulé, ils savaient que leurs références seraient vérifiées et ils y ont ainsi consenti implicitement.

64 De plus, le document intitulé « La vérification des références : Regard sur le passé », présenté par la CFP, traite de la question du consentement et du choix des répondants. Bien que ce document soit dépourvu d’autorité juridique, il est utile en l’espèce de connaître les recommandations de la CFP quant à certains aspects du processus de vérification des références. En voici un extrait :

[…] Lorsque cette vérification sert à évaluer une qualité autre que la fiabilité/sécurité, le consentement n’est pas nécessaire pour communiquer avec les répondants de la fonction publique, mais il l’est pour communiquer avec les répondants de l’extérieur de la fonction publique.

[…]

Étant donné que vous voulez des faits et des exemples précis, vous vous adresserez à des gens qui connaissent bien le travail du candidat. C’est souvent une bonne idée que de communiquer avec au moins deux ou trois personnes dont, par ordre d’importance, le dernier supérieur immédiat, d’anciens employeurs qui ont travaillé étroitement avec les candidats, des collègues de travail, des subalternes et des clients.

Adressez‑vous également à des personnes qui ne sont pas sur la liste de références du candidat.

65 Dans la décision Oddie c. le Sous‑ministre de la Défense nationale et al., [2007] TDFP 0030, le Tribunal a établi qu’il n’était pas obligatoire d’obtenir le consentement d’un candidat pour communiquer avec un répondant provenant du gouvernement fédéral :

[70] […] [I]l s’est avéré évident que les références ont servi à évaluer les qualifications définies dans le document Énoncé des critères de mérite et conditions d’emploi, paru dans Publiservice. En conséquence, Mme Adams-Roy n’avait pas à obtenir le consentement de la plaignante pour communiquer avec Mmes Westfall et Kelly, car elles faisaient toutes deux parties de l’administration fédérale.

Voir également la décision Dionne c. le Sous-ministre de la Défense nationale et al., [2008] TDFP 0011.

66 Le Tribunal est d’avis que M. Goulden n’avait pas à obtenir le consentement des plaignants pour communiquer avec M. Christie, étant donné que ce dernier est le superviseur des plaignants au sein de la fonction publique et que le comité d’évaluation procédait à l’évaluation des qualités personnelles des plaignants, non pas de la fiabilité ni de la sécurité.

67 Le Tribunal comprend que les plaignants auraient préféré que des répondants qui leur étaient favorables parlent en leur nom. Toutefois, l’intimé avait le droit de communiquer avec leur superviseur afin de les évaluer. Par conséquent, le Tribunal estime que M. Goulden n’a pas abusé de son pouvoir.

Question II: Le comité d’évaluation a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a omis de communiquer avec d’autres répondants et d’utiliser une autre méthode pour évaluer les plaignants à la suite des commentaires négatifs qui ont été formulés à leur endroit?

68 Les plaignants soutiennent que M. Goulden aurait dû demander des exemples à l’appui des commentaires négatifs formulés par M. Christie, lesquels ne correspondaient pas aux renseignements figurant dans les RER qu’il avait rédigés à leur égard. Les plaignants affirment également que M. Goulden aurait dû communiquer avec un autre répondant ou utiliser une autre méthode d’évaluation, compte tenu des références négatives fournies par MM. Monette et Christie.

69 Le rôle du Tribunal consiste à examiner le processus utilisé par le comité d’évaluation lorsqu’il a communiqué avec les répondants. Dans la décision Oddie, le Tribunal a établi ce qui suit :

[66] Le Tribunal a déterminé dans plusieurs décisions telles que les décisions Portree c. l’Administrateur général de Service Canada et al., [2006] TDFP 0014, et Robbins c. l’Administrateur général de Service Canada et al., [2006] TDFP 0017, que son rôle n’est pas de reprendre le processus de nomination ni de trancher la question de savoir si les réponses ont été correctement évaluées. Le rôle du Tribunal est d’examiner le processus utilisé par l’administrateur général pour s’assurer qu’il n’y a pas d’abus de pouvoir. En l’espèce, le Tribunal est d’avis qu’il peut examiner le processus lié aux vérifications des références et analyser l’incidence de celles‑ci sur la décision de ne pas nommer la plaignante.

[soulignement ajouté]

70 M. Goulden a affirmé que les membres du comité d’évaluation avaient posé les mêmes questions à tous les répondants. Il a ajouté qu’il n’avait demandé d’exemples ni de précisions à aucun des répondants avec qui il a communiqué. Il a pris des notes de la façon la plus exacte possible et il effectuait des vérifications auprès du répondant s’il n’était pas certain de la réponse. Il a suivi le même processus pour tous les répondants avec qui il a discuté.

71 Le rôle de M. Goulden ne consistait pas à tenter d’obtenir des références positives ou négatives pour les candidats. Voir la décision Portree c. l’Administrateur général de Service Canada et al., [2006] TDFP 0014 :

[59] […]. Comme il est énoncé précédemment, le comité d’évaluation était le mieux placé pour évaluer s’il avait suffisamment d’informations sur la plaignante. Une fois les réponses aux questions fournies dans le cadre adéquat, le comité d’évaluation ne devrait pas « tenter » d’obtenir une référence favorable ou défavorable.

[soulignement ajouté]

72 Dans la décision Gilbert c. le Commissaire de la Gendarmerie Royale du Canada et al., [2007] TDFP 0040, le Tribunal a expliqué que les comités d’évaluation devaient tenir compte de tous les commentaires formulés par les répondants, qu’ils soient positifs ou négatifs :

[60] Dans son évaluation, le comité d’évaluation doit considérer la totalité des commentaires, positifs et négatifs, pour en venir à une décision. De retenir strictement les commentaires positifs comme le propose la plaignante pourrait justement créer la situation inverse que le législateur a voulu éviter. En effet, si le comité d’évaluation ne retenait que les commentaires positifs, il pourrait, à juste titre, se faire reprocher un certain favoritisme à l’égard de la plaignante. Le Tribunal est d’avis qu’en se penchant sur tous les commentaires des répondants, le comité d’évaluation a agi de façon raisonnable et a ainsi évité que l’évaluation de la plaignante soit empreinte de favoritisme.

73 Le Tribunal juge que même si M. Christie a commis une erreur lorsqu’il a évoqué le nombre d’années au cours desquelles il a supervisé M. Melanson, les références qu’il a fournies ne s’en trouvent pas invalidées pour autant, pas plus que cette erreur n’indique que ses commentaires négatifs étaient faux. M. Goulden a reconnu qu’il s’agissait simplement d’une erreur. En somme, celle‑ci ne change rien au fait que M. Christie est le superviseur immédiat de M. Melanson et qu’il était en mesure d’aider le comité d’évaluation.

74 M. Monette a également formulé des commentaires négatifs à l’endroit des plaignants, par exemple en ce qui a trait à leur sens des responsabilités et au contrôle des présences. De plus, M. Monette a affirmé avoir fourni des exemples au cours de la vérification des références à l’appui de ces commentaires. Il était donc raisonnable que M. Goulden juge les références provenant de ces deux personnes satisfaisantes, étant donné qu’elles n’étaient pas contradictoires.

75 Le Tribunal considère comme une bonne pratique le fait qu’un comité d’évaluation demande des exemples lorsqu’il procède à une vérification des références. Cette procédure devrait être encouragée, car elle fournit au comité d’évaluation une explication plus complète des commentaires formulés par les répondants, qu’il s’agisse de commentaires positifs ou négatifs. Elle permet en outre aux candidats de comprendre la note qui leur est accordée et, éventuellement, d’améliorer ou de modifier leurs habitudes de travail. Il aurait donc été préférable que M. Goulden demande des exemples à M. Christie. Or, en soi, la procédure qu’il a adoptée ne constitue pas un abus de pouvoir.

76 Comme le Tribunal l’a établi dans la décision Gilbert, le fait de ne pas souscrire aux commentaires d’un répondant ne constitue pas en soi une preuve d’abus de pouvoir :

[63] La plaignante est en désaccord avec les commentaires négatifs qui ne sont pas pour autant teintés d’abus de pouvoir. Le Tribunal a reçu en preuve le témoignage de la plaignante mais qui ne prouve pas qu’ils sont mensongers et empreints de mauvaise foi comme elle l’allègue. C’est nettement insuffisant.

77 Le Tribunal estime que le comité d’évaluation n’a pas abusé de son pouvoir lorsqu’il a omis de communiquer avec d’autres répondants pour obtenir des références à l’égard des plaignants et d’utiliser une autre méthode d’évaluation.

Question III: Le comité d’évaluation a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a décidé de ne pas tenir compte des RER pour évaluer les candidats?

78 Au début du processus de sélection, les membres du comité d’évaluation ont convenu de ne pas utiliser les RER, puisque leur agent des ressources humaines le déconseillait. Les membres estiment en outre que les RER ne constituent pas une méthode d’évaluation fiable, étant donné qu’ils varient d’un superviseur à l’autre. M. Goulden est même allé jusqu’à dire que, à son avis, ces rapports étaient exagérés.

79 Le Tribunal juge que le comité d’évaluation n’a pas abusé de son pouvoir lorsqu’il a décidé de ne pas examiner les RER dans le cadre du processus d’évaluation. De fait, le comité d’évaluation avait le pouvoir discrétionnaire, en vertu de l’article 36 de la LEFP, d’évaluer les qualifications sans tenir compte des RER.

Décision

80 Pour tous ces motifs, les plaintes sont rejetées.

81 Le Tribunal tient à remercier les parties pour leurs présentations détaillées et pour le professionnalisme dont elles ont fait preuve au cours de l’audience.

Sonia Gaal

Vice-présidente

Parties au dossier

Dossiers du Tribunal:
2007-0225 et 0226
Intitulé de la cause:
Raymond Melanson et Bruce Innes et le Sous-ministre de la Défense nationale et al.
Audience:
Les 14 et 15 février 2008
Halifax (Nouvelle-Écosse)
Date des motifs:
Le 9 juin 2008

Comparutions:

Pour le plaignant:
Lorne Brown
Pour l'intimé:
Lesa Brown
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