Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a formulé à l’encontre de l’intimé des allégations d’abus de pouvoir aux motifs suivants : le gestionnaire délégataire s’est trompé en déterminant que le plaignant ne répondait pas aux exigences du poste en ce qui concerne l’expérience; l’intimé était tenu de nommer plus d’une personne au sein du comité d’évaluation; et la nomination de la candidate retenue était prédéterminée. Décision : Le Tribunal a conclu qu’il n’y avait pas eu d’acte répréhensible grave ni de faute majeure dans le processus de nomination, que le gestionnaire délégataire avait bel et bien effectué une évaluation complète du plaignant et que le recours à un comité formé d’un seul membre pour évaluer les candidats relevait du vaste pouvoir discrétionnaire conféré aux gestionnaires. Le Tribunal a estimé que le plaignant n’avait pas réussi à fournir les éléments de preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle la nomination avait été prédéterminée. Le Tribunal a aussi fait observer que les propos incendiaires tenus par le plaignant au sujet de l’avocat de l’intimé et du membre du Tribunal ne seraient pas tolérés et pourraient entraîner le rejet de toute plainte subséquente devant le Tribunal en cas de récidive. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

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Dossier:
2007-0277
Rendue à:
Ottawa, le 5 septembre 2008

BARRY PUGH
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DE LA JUSTICE
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d'abus de pouvoir en vertu de l'alinéa 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est rejetée
Décision rendue par:
Francine Cabana, membre
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Pugh c. le Sous-ministre de la Justice et al.
Référence neutre:
2008 TDFP 0023

Motifs de la décision

Introduction

1 Barry Pugh est réviseur (IS-03) au ministère de la Défense nationale. Il a posé sa candidature dans le cadre d’un processus de nomination interne annoncé visant la dotation d’un poste de réviseur rédactionnel en chef (SI-08) au ministère de la Justice (processus no 2007-JUS-IA-AL-35572). Le plaignant soutient avoir été victime d’abus de pouvoir en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP) pour les raisons suivantes : le gestionnaire délégataire s’est trompé en déterminant que le plaignant ne satisfaisait pas aux exigences du poste en ce qui concerne l’expérience; l’intimé était tenu de nommer plus d’une personne au sein du comité d’évaluation; et la nomination de la candidate retenue était prédéterminée.

2 L’intimé, le sous‑ministre de la Justice, n’est pas d’accord avec ces allégations. Il estime que le plaignant ne possédait pas l’expérience nécessaire pour assumer les fonctions du poste. Par ailleurs, l’intimé est d’avis que le processus de nomination de même que la nomination subséquente étaient tout à fait conformes aux exigences de la LEFP.

Questions préliminaires

3 Le plaignant a déposé deux requêtes au début de l’audience : la première, une requête en récusation contre le membre du Tribunal, et la seconde, une requête visant l’enregistrement de l’audience.

4 Le Tribunal a rejeté les deux requêtes à l’audience, indiquant que les motifs de cette décision seraient fournis par écrit. Ceux‑ci sont énoncés ci‑après.

5 Le Tribunal doit trancher les questions préliminaires suivantes :

  1. Le membre du Tribunal était-il tenu de se récuser par rapport à l’audition de la plainte?
  2. Le Tribunal était-il tenu d’enregistrer la procédure?

Question I: Le membre du Tribunal était-il tenu de se récuser par rapport à l’audition de la plainte?

Argumentation des parties

A) Argumentation du plaignant

6 Le plaignant est d’avis que le membre du Tribunal a fait preuve de partialité et que, par conséquent, il aurait dû se récuser et ne pas entendre la plainte.

7 Le plaignant soutient que le membre du Tribunal n’a pas dirigé les conférences préparatoires de façon impartiale. À son avis, le membre a tenté de le dissuader de convoquer des témoins et a insisté pour qu’il accepte que l’audience se tienne sur dossier. Le plaignant estime aussi que le membre a essayé de l’empêcher de demander de la documentation et l’a encouragé à dévoiler ses arguments aux parties avant la tenue de l’audience.

8 Le plaignant affirme aussi que le membre du Tribunal a une connaissance insatisfaisante des processus formels, qu’il l’a traité avec condescendance et de façon autoritaire.

B) Argumentation de l’intimé

9 L’intimé soutient que les arguments du plaignant ne satisfont pas au critère de partialité établi par la Cour suprême du Canada dans la décision Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369.

10 Par ailleurs, l’intimé affirme que le plaignant n’a pas fourni d’éléments de preuve à l’appui de son allégation de partialité et, en conséquence, le membre du Tribunal n’a aucune raison de se récuser.

C) Argumentation de la Commission de la fonction publique

11 La Commission de la fonction publique (la CFP) n’était pas représentée à l’audience et n’a présenté aucune observation à cet égard.

Analyse

12 Dans la décision Arthur v. Canada (Attorney General) (2001), 283 N.R. 346, [2001] A.C.F. No 1091 (C.A.F.) (Q.L.), au paragraphe 8, la Cour a déclaré ce qui suit :

[…] Une allégation de partialité, surtout la partialité actuelle et non simplement appréhendée, portée à l’encontre d’un tribunal, est une allégation sérieuse. Elle met en doute l’intégrité du tribunal et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Elle ne peut être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme. […]

13 Comme l’a déclaré la Cour au paragraphe 22 de la décision Murray v. Canada (Revenue Agency) (2004), 135 A.C.W.S. (3d) 454, [2004] A.C.F. No 1874 (C.F. 1re inst.) (Q.L.), « [p]our prouver l’existence d’un parti-pris [sic], il est nécessaire d’établir une preuve directe de partialité, comme une déclaration claire qui confirme celle-ci ». En l’espèce, il n’existe aucune preuve de partialité réelle de la part du membre du Tribunal.

14 Le critère permettant de déterminer l’existence d’une crainte raisonnable de partialité est bien établi. Dans la décision Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, le Juge De Granpré, dans des motifs dissidents, précise à la page 394 :

[…] [L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. […] Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [l’instance décisionnelle], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

15 Par conséquent, le Tribunal doit déterminer si une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, en arriverait à la conclusion que, selon toute vraisemblance, le membre du Tribunal ne rendrait pas une décision juste à l’égard de la plainte.

16 La requête en récusation du plaignant résulte de discussions tenues pendant les conférences préparatoires qui se sont déroulées par voie de téléconférence. Le plaignant n’a pas parlé de ses préoccupations relatives à la partialité du membre du Tribunal pendant les conférences préparatoires, mais il en a fait mention le premier jour de l’audience.

17 Les conférences préparatoires visent à préparer les parties en vue de l’audience et à s’assurer que, dans la mesure du possible, l’audience se déroule de façon ordonnée. Un avis annonçant la tenue d’une conférence préparatoire est envoyé à l’avance, accompagné d’une liste des points qui seront abordés. L’avis informe les représentants des parties qu’elles « doivent être prêtes à discuter de tous les sujets suivants » [Traduction]. Au cours d’une conférence préparatoire, un membre du Tribunal mène la discussion et interroge les parties sur les points précisés dans l’avis. En l’espèce, les conférences préparatoires se sont déroulées conformément à ce qui était inscrit dans l’avis et selon la pratique habituelle au Tribunal.

18 Par le truchement d’un avis officiel en date du 8 novembre 2007, les parties ont été informées des sujets dont il serait question lors des conférences préparatoires. La liste des sujets prévus était la suivante :

  • Désignation des témoins et détermination de la nature de la preuve qui sera présentée et de la longueur des témoignages;
  • Détermination des faits non contestés et des documents pouvant être produits sur consentement;
  • Détermination et/ou examen des questions en litige dans le but de simplifier et d’accélérer le déroulement de l’audience;
  • Déroulement de l’audience;
  • Temps accordé pour la présentation des plaidoiries;
  • Échange des documents qui seront produits comme pièce à l’audience et jurisprudence;
  • Besoin de services d’interprétation;
  • Heure et durée de l’audience.

[Traduction]

19 En ce qui a trait à l’affirmation du plaignant selon laquelle le membre du Tribunal a insisté pour qu’il accepte l’instruction sur dossier, le membre du Tribunal a discuté avec les parties de la possibilité de tenir une audience sur dossier avant de prendre une décision à cet égard. Conformément au paragraphe 99(3) de la LEFP, le Tribunal « peut statuer sur une plainte sans tenir d’audience ». Comme le plaignant avait des témoins à faire entendre, le Tribunal a décidé de tenir une audience.

20 Pour appuyer sa requête, le plaignant emploie des mots comme « intimidante », « autoritaire » et « condescendante » [Traduction] pour qualifier la conduite du membre du Tribunal aux conférences préparatoires. Cependant, ces qualificatifs ne constituent pas des éléments de preuve. Le Tribunal juge donc que le plaignant n’a fourni aucun élément de preuve pouvant satisfaire au critère de la crainte raisonnable de partialité.

21 Par conséquent, la requête du plaignant visant la récusation du membre du Tribunal a été rejetée.

Question II: Le Tribunal était-il tenu d’enregistrer les délibérations?

Argumentation des parties

A) Argumentation du plaignant

22 Le plaignant soutient que, dans l’intérêt de la justice, la procédure doit être enregistrée. D’autant plus, affirme‑t‑il, qu’il a présenté une requête en récusation contre le membre du Tribunal.

23 Il ajoute que l’enregistrement de la procédure est le seul moyen de garantir que la consignation de l’information au dossier soit faite de manière précise, exacte et impartiale.

24 À l’appui de sa requête, le plaignant affirme que les anciens comités d’appel de la Commission de la fonction publique enregistraient leurs procédures.

B) Argumentation de l’intimé

25 L’intimé reconnaît que le Tribunal est maître de sa procédure et qu’il est tenu de mener les audiences de la façon la plus informelle qui soit et dans les meilleurs délais possible.

Analyse

26 Le Tribunal n’enregistre pas ses audiences, pas plus qu’il n’en permet l’enregistrement. Ainsi, l’audience est davantage informelle. Cette façon de faire est conforme au paragraphe 98(1) de la LEFP,qui stipule qu’un membre du Tribunal chargé de trancher une plainte doit procéder, dans la mesure du possible, sans formalisme.Le membre du Tribunal prend ses propres notes manuscrites pendant l’audience. Les parties à l’audience font habituellement de même.

27 Le Tribunal n’a aucune obligation légale d’enregistrer ses audiences. Par ailleurs, conformément à l’article 27 du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006-06 (le Règlement du TDFP), le Tribunal est maître de sa procédure.

28 Le plaignant n’a pas fourni de fondement tiré de la jurisprudence pour appuyer sa requête. Par ailleurs, la jurisprudence soutient amplement la façon de faire du Tribunal. En effet, la Cour d’appel fédérale a affirmé ce qui suit dans l’arrêt Rhéaume v. Canada (1992), 153 N.R. 270, [1992] A.C.F. No 1131 (Q.L.), à la page 271 (N.R.) :

[…] [E]n l’absence de prescription législative, un tribunal, qu’il soit dit d’archives ou non, mais qu’on a fait maître de sa procédure, a complète discrétion quant à l’enregistrement par moyen mécanique ou autre de ses procédés, ce qui fait que l’adoption par lui d’une politique générale de refus de permettre tel enregistrement, pourvu qu’aucune discrimination ne se glisse dans l’application de cette politique, est juridiquement inattaquable.

29 Selon le plaignant, pour qu’une procédure soit équitable, elle doit être enregistrée. Compte tenu des circonstances, le Tribunal estime avoir rempli son obligation d’agir équitablement. Dans l’arrêt Bagri v. Canada (Attorney General) (2006), 347 N.R. 388, [2006] A.C.F. No 540 (Q.L.), au paragraphe 6, la Cour d’appel fédérale, se fondant sur la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, a déclaré ce qui suit :

En l’absence d’obligation prévue par la loi, le tribunal administratif qui n’enregistre pas ses séances ne manque pas à son obligation d’agir équitablement, à la condition que la cour de révision dispose des motifs pour lesquels le demandeur a contesté la décision en litige : Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, paragraphe 81 et suivants.

30 Le Tribunal a établi une marche à suivre pour s’assurer de disposer de tous les renseignements nécessaires pour statuer sur une plainte. Au moment de présenter une plainte, le plaignant doit fournir une description complète des faits, des événements et des circonstances. Les parties sont tenues de se communiquer tous les renseignements pertinents. Le plaignant doit présenter par écrit des allégations détaillées. Des conférences préparatoires sont prévues dans le but de simplifier et d’accélérer le déroulement de l’audience. Les parties présentent au Tribunal des éléments de preuve oralement et par écrit.

31 Pour ces motifs, la requête du plaignant visant l’enregistrement de l’audience a été rejetée.

32 Pour régler la plainte en l’espèce, le Tribunal doit trancher les questions suivantes, qui ont trait au mérite :

  1. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a rejeté la candidature du plaignant à la présélection, alléguant que ce dernier ne satisfaisait pas aux qualifications essentielles relatives à l’expérience, et lorsqu’il a nommé la candidate retenue?
  2. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en établissant un comité d’évaluation formé d’une seule personne?

Résumé des éléments de preuve pertinents

33 Le plaignant a témoigné à l’audience. Il a appelé Francine Fleurangile et Ingrid Ludchen comme témoins.

34 Le plaignant a produit en preuve sa lettre de présentation et son curriculum vitæ. Il a aussi produit l’énoncé des critères de mérite (ECM) établi pour le poste, qui contient sept critères liés à l’expérience, dont les troisième et quatrième sont pertinents en l’espèce. Ces deux critères sont les suivants :

3 – Expérience dans la révision du fond des projets de loi et de règlement;

4 – Expérience dans la reformulation et la rédaction de dispositions de textes législatifs.

35 Dans son témoignage, le plaignant a expressément mentionné les paragraphes 3, 4, 5, 8 et 9 de sa lettre de présentation. Il a aussi parlé de son curriculum vitæ, plus particulièrement du dernier paragraphe de la première page, où il fait état de son expérience en tant que jurilinguiste à Justice Canada dans un poste intérimaire aux groupe et niveau AS‑06, et du point 1 de la page 3. Le plaignant a indiqué que l’expérience professionnelle décrite dans son curriculum vitæ démontre qu’il satisfait aux critères relatifs à l’expérience : expérience dans la révision du fond des projets de loi et de règlement et expérience dans la reformulation et la rédaction de dispositions de textes législatifs.

36 Le plaignant a aussi indiqué que le comité d’évaluation chargé de la présélection des candidats pour ce poste n’était formé que d’un seul membre. Il a produit un document préparé par la CFP, intitulé Série d’orientation – Évaluation, sélection et nomination, dont la dernière mise à jour remonte au 23 août 2007 (le document de la CFP).

37 Le plaignant a expliqué que, à l’issue d’une recherche électronique effectuée dans la version anglaise du document de la CFP, il n’a obtenu aucune occurrence du syntagme « assessment board member » (membre du comité d’évaluation), au singulier. En revanche, il a obtenu neuf occurrences du syntagme au pluriel.

38 Mme Fleurangile, chef du ressourcement pour la région de la capitale nationale, a indiqué dans son témoignage qu’elle n’avait pas participé au processus de nomination. En fait, elle a expliqué que son rôle se limitait à donner des conseils lorsqu’une plainte était déposée. Le processus de nomination en soi est confié à un agent de dotation.

39 Mme Ludchen est la personne qui a été nommée au poste en question. Son curriculum vitæ, sa lettre de présentation et son évaluation ont tous été produits en preuve à l’audience. Dans son témoignage, Mme Ludchen a déclaré ce qui suit : aucune relation entre elle et le membre du comité d’évaluation n’aurait pu influencer les résultats; avant le processus de nomination, elle n’a pas eu de discussion avec le membre du comité d’évaluation qui pourrait donner l’impression que celui‑ci lui a promis de lui faire part du résultat avant la fin du processus; et elle n’a pas discuté avec le membre du comité d’évaluation des résultats ni des autres candidats avant que le processus ne soit terminé.

40 Marc Cuerrier, avocat général principal, Direction des services législatifs, ministère de la Justice (la Direction), a témoigné pour le compte de l’intimé. M. Cuerrier s’occupe d’un groupe de 80 employés chargés de fournir une expertise et des services de soutien à quelque 120 avocats qui rédigent des textes de loi et des règlements. La Direction regroupe 25 avocats et autres professionnels.

41 M. Cuerrier a expliqué que la Direction était le gardien de la rédaction législative. Le rôle de M. Cuerrier est de superviser l’application des conventions d’écriture pour les textes de loi et les règlements, ainsi que la conduite des révisions afin d’assurer le respect de la législation. M. Cuerrier a ajouté que ses employés n’étaient pas simplement des correcteurs d’épreuves; ils sont chargés de réviser en profondeur les ébauches de lois et de règlements.

42 M. Cuerrier a indiqué que, pour le poste de réviseur rédactionnel en chef, il cherchait une personne qui avait une solide expérience de la révision législative et qui savait rédiger.

43 L’intimé a produit l’annonce de possibilité d’emploi publiée pour le poste en question. Conformément à l’ECM, l’annonce de possibilité d’emploi indiquait ce qui suit :

3 – Expérience dans la révision du fond des projets de loi et de règlement;

4 – Expérience dans la reformulation et la rédaction de dispositions de textes législatifs.

44 L’intimé a aussi produit la description de travail associée au poste de réviseur rédactionnel en chef, en date du 29 mars 2007, dans laquelle le profil du poste est décrit de la façon suivante :

Le réviseur rédactionnel en chef

- est le spécialiste du gouvernement fédéral en techniques de révision, de publication, de codification et de rédaction, est membre de l’équipe de gestion de la Direction des services législatifs et joue un rôle de premier plan dans la gestion de l’information juridique au sein de la Direction des services législatifs;

- gère le personnel professionnel de révision et de publication législatives de la Direction des services législatifs;

- dirige la publication du Tableau des lois d'intérêt public et des ministres reesponsables et plusieurs autres tableaux de référence et codifications qui sont une ressource essentielle pour tous les ministères fédéraux ainsi que pour le public et le milieu juridique de l’ensemble du Canada et d’ailleurs.

[Traduction]

45 Dans son témoignage, M. Cuerrier a indiqué qu’il avait examiné la lettre de présentation et le curriculum vitæ du plaignant et qu’il avait l’impression que le plaignant ne satisfaisait pas aux critères de mérite en ce qui concerne l’expérience. Selon M. Cuerrier, le plaignant n’a pas démontré qu’il répondait à tous les critères relatifs à l’expérience établis pour le poste. En examinant les documents du plaignant, il n’a trouvé aucun renvoi au critère « Expérience dans la révision du fond des projets de loi et de règlement », pas plus qu’au critère « Expérience dans la reformulation et la rédaction de dispositions de textes législatifs ».

46 M. Cuerrier a expliqué que, malgré cela, le 27 avril 2007, il a envoyé un courriel à André Labelle, jurilinguiste en chef et conseiller législatif, Service de jurilinguistique, ministère de la Justice, qui a été le superviseur du plaignant lorsque ce dernier a travaillé pour le ministère de la Justice en 2000. M. Cuerrier voulait s’assurer de ne pas rejeter la candidature du plaignant à la présélection si celui‑ci satisfaisait aux critères relatifs à l’expérience.

47 M. Labelle a répondu par courriel le même jour, soit le 27 avril 2007, et a affirmé entre autres ce qui suit : « […] n’a jamais travaillé au sein de l’équipe des réviseurs rédactionnels; les seules connaissances qu’il risque d’avoir sont celles d’un collègue (un jurilinguiste). J’hésiterais à appuyer sa demande pour le poste visé […] » [Traduction].

48 Après avoir reçu la réponse de M. Labelle, M. Cuerrier a conclu que le plaignant ne possédait pas l’expérience requise et a décidé de l’éliminer du processus à la présélection. La remarque suivante à propos du plaignant figurait dans le rapport du comité de présélection préparé par M. Cuerrier (et produit en preuve), dans la section des commentaires : « aucune expérience, critères 3 et 4 ». Pour Mme Ludchen, l’expérience avait été cochée.

49 M. Cuerrier a poursuivi le processus de dotation. Il a procédé à l’évaluation de la seule candidate présélectionnée, Mme Ludchen, en fonction des critères de mérite, et l’a jugée qualifiée.

50 M. Cuerrier a confirmé qu’il était le seul membre du comité d’évaluation formé pour ce processus de nomination et qu’il était d’avis que rien ne l’empêchait de constituer à lui seul un comité d’évaluation. Dans son témoignage, il a indiqué qu’il avait été objectif et juste et qu’il avait fondé son évaluation uniquement sur les critères de mérite.

Question I: L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a rejeté la candidature du plaignant à la présélection, alléguant que ce dernier ne satisfaisait pas aux qualifications essentielles relatives à l’expérience, et lorsqu’il a nommé la candidate retenue?

Argumentation des parties

A) Argumentation du plaignant

51 Le plaignant affirme satisfaire à tous les critères relatifs à l’expérience énumérés dans l’ECM. Il soutient que sa lettre de présentation et son curriculum vitæ font état de son expérience professionnelle pour ce qui est des fonctions suivantes : traducteur juridique, interprète juridique travaillant en simultanée; rédacteur juridique; jurilinguiste; correcteur d’épreuves dans le domaine juridique; spécialiste en adaptation de textes (règlements fédéraux) pour le ministre de l’environnement; rédacteur pour deux commissaires aux langues officielles du Canada; agent de la correspondance pour le ministre de la Santé et quatre ministres de la Défense nationale; rédacteur pour le gouverneur général du Canada ainsi que représentant légal à des audiences quasi judiciaires et à la Cour fédérale du Canada.

52 Le plaignant fait valoir qu’il possède une expérience riche et bien équilibrée pour le poste, qu’il a acquise dans le secteur privé au Canada et à l’étranger, à l’administration fédérale, à la Cour provinciale de l’Ontario et à la Cour fédérale du Canada.

53 Le plaignant affirme qu’il est mieux qualifié pour le poste que la candidate retenue.

54 Le plaignant allègue aussi que M. Cuerrier n’a pas évalué le mérite de sa candidature et que le fait d’avoir supervisé le travail de Mme Ludchen pendant longtemps a eu une influence sur sa décision de la nommer au poste. Par ailleurs, il soutient que les résultats étaient prédéterminés puisque M. Cuerrier a été en mesure d’observer le rendement au travail de Mme Ludchen pendant longtemps et qu’il lui a permis d’occuper le poste à titre intérimaire pendant une longue période. Selon le plaignant, cela prouve que les résultats étaient prédéterminés.

55 Dans son argumentation écrite, le plaignant soutient que « M. Cuerrier avait décidé de nommer Mme Ludchen au poste visé avant la tenue du processus de nomination et a orienté chacune de ses actions vers l’atteinte de cet objectif illégal à chaque étape du processus » [Traduction].

56 Le plaignant affirme aussi que Mme Ludchen ne possède pas les qualifications liées au poste et qu’elle n’aurait pas dû y être nommée.

B) Argumentation de l’intimé

57 L’intimé fait valoir que l’annonce de possibilité d’emploi et les notifications affichées sur Publiservice étaient très claires : « Les candidats doivent démontrer clairement sur leur demande qu’ils répondent à tous les critères essentiels suivants et qu’ils sont dans la zone de sélection. À défaut de le faire, cela peut entraîner le rejet de leur demande ». Sept critères distincts relatifs à l’expérience figurent dans les qualifications essentielles.

58 Selon l’intimé, les éléments de preuve indiquent que M. Cuerrier a fait plus que ce qu’il fallait pour avoir la conviction que le plaignant ne possédait pas l’expérience requise pour répondre aux qualifications essentielles liées au poste avant de rejeter sa candidature à la présélection sur la base des critères relatifs à l’expérience.

59 L’intimé affirme que le fait que le plaignant n’approuve pas l’évaluation que M. Cuerrier a faite de ses qualifications n’équivaut pas à un abus de pouvoir.

60 Selon l’intimé, l’ensemble de la preuve, aussi bien documentaire que testimoniale, démontre que l’évaluation de Mme Ludchen était fondée sur les critères de mérite uniquement. L’intimé fait référence au témoignage de M. Cuerrier ainsi qu’à l’évaluation de Mme Ludchen, qui a été produite en preuve à l’audience.

61 L’intimé affirme que, d’après l’évaluation, chaque critère a été évalué et que Mme Ludchen possède toutes les qualifications essentielles liées au poste. Par conséquent, la nomination est conforme au mérite.

62 L’intimé soutient que les résultats du processus en l’espèce n’étaient pas prédéterminés comme l’indique le plaignant. Il affirme que le fait qu’une personne ait assumé les fonctions d’un poste avant d’y être nommée ne constitue pas, en soi, une preuve que cette personne a fait l’objet d’un traitement de faveur au cours du processus de nomination. Selon l’intimé, il est clair dans cette affaire que la nomination intérimaire de Mme Ludchen au poste de réviseur rédactionnel en chef n’est pas le résultat d’un abus de pouvoir.

63 Selon l’intimé, la preuve produite par le plaignant ne permet absolument pas d’établir qu’il y a eu abus de pouvoir dans la nomination de Mme Ludchen au poste de réviseur rédactionnel en chef.

64 Enfin, l’intimé ajoute que, selon les éléments de preuve, la nomination de Mme Ludchen a été effectuée simplement parce que cette dernière possédait toutes les qualifications essentielles liées au poste.

ANALYSE

65 La plainte en l’espèce est présentée en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP,qui se lit comme suit :

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2).

66 Le plaignant affirme que l’intimé a omis d’évaluer adéquatement ses qualifications en fonction des critères relatifs à l’expérience établis aux fins de la dotation du poste en l’espèce.

67 Comme l’a soutenu le Tribunal dans plusieurs décisions, son rôle consiste à déterminer s’il y a eu abus de pouvoir et non à réévaluer les candidats; le Tribunal doit être convaincu qu’il n’y a pas eu d’acte répréhensif grave ni de faute majeure dans le processus de nomination. Dans la décision Broughton c. le Sous‑ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux et al., [2007] TDFP 0020, par exemple, le Tribunal a déclaré ce qui suit :

[52] Le plaignant n’a pas démontré qu’il y a eu un acte répréhensif grave ou une faute majeure de la part du comité d’évaluation lorsque celui-ci a évalué son expérience. Selon l’intimé, tous les candidats ont été évalués de la même façon.

[…]

[54] Le rôle du Tribunal consiste à déterminer s’il y a eu abus de pouvoir dans le contexte du processus de nomination mais non à reprendre le processus de nomination en examinant l’expérience du plaignant afin de déterminer, suite à un second regard, si son expérience a été évaluée correctement par le comité d’évaluation.

68 Le plaignant allègue que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a rejeté sa candidature à la présélection prétextant qu’il ne satisfaisait pas aux critères relatifs à l’expérience.

69 Comme le Tribunal l’a soutenu à de nombreuses occasions, il incombe au candidat de montrer qu’il possède les qualifications essentielles liées au poste. Dans la décision Charter c. le Sous‑ministre de la Défense nationale et al., [2007] TDFP 0048, au paragraphe 37, le Tribunal a affirmé ce qui suit : « Pour qu’un candidat soit nommé à un poste, il doit démontrer, dans le cadre du processus d’évaluation choisi, qu’il possède les qualifications essentielles liées au poste ». De même, dans la décision Henry c. l’Administrateur général de Service Canada et al., 2008 [TDFP] 0010, au paragraphe 55, le Tribunal a déclaré ce qui suit : « Le Tribunal estime qu’il incombait à la plaignante de veiller à ce que sa demande soit complète et à ce que celle-ci contienne tous les renseignements nécessaires pour démontrer qu’elle possédait toutes les qualifications essentielles ».

70 Au vu des éléments de preuve, le Tribunal estime qu’il n’y a pas eu d’acte répréhensif grave ni de faute majeure durant le processus de nomination en l’espèce. Au contraire, pour évaluer le plaignant, M. Cuerrier a fait plus que ce qu’on attendait de lui. En effet, même s’il avait l’impression que le plaignant n’avait pas réussi à démontrer, dans sa demande, qu’il possédait l’expérience requise, M. Cuerrier a communiqué avec un ancien superviseur de M. Pugh pour savoir si celui‑ci avait l’expérience décrite aux critères 3 et 4 de l’ECM et de l’annonce de possibilité d’emploi.

71 Dans son témoignage, le plaignant a indiqué que son expérience répondait aux exigences. Il s’est toutefois appuyé uniquement sur sa demande initiale sans entrer dans le détail ni expliquer en quoi son expérience satisfaisait aux critères de mérite. Le plaignant s’est contenté de lire le document et n’a fourni aucune autre précision quant à la façon dont son expérience professionnelle pouvait permettre d’établir clairement qu’il satisfaisait aux critères relatifs à l’expérience.

72 Le plaignant n’a fourni aucun élément de preuve indiquant que l’intimé avait commis un acte répréhensif grave ou une faute majeure lorsqu’il a évalué son expérience.

73 M. Cuerrier a affirmé qu’il cherchait à trouver quelqu’un possédant une expérience manifeste de la rédaction de textes de loi, et non quelqu’un capable de vérifier la correspondance des versions anglaise et française. Dans son témoignage, il a indiqué que le plaignant n’a pas démontré qu’il possédait l’expérience nécessaire.

74 Le plaignant allègue que la nomination était prédéterminée. Il affirme que le gestionnaire délégataire avait décidé, même avant que le processus de nomination ne soit lancé, que Mme Ludchen serait nommée au poste.

75 Le plaignant comptait sur le témoignage de Mme Ludchen pour prouver cette allégation. Or, dans son témoignage, Mme Ludchen a réfuté l’allégation de M. Pugh selon laquelle la nomination était prédéterminée. Le Tribunal estime donc que le plaignant n’a fourni aucune preuve à l’appui de cette allégation. De plus, la preuve documentaire vient corroborer le témoignage de M. Cuerrier selon lequel ce dernier ne s’est pas contenté de d’examiner la demande du plaignant, et elle permet au Tribunal de conclure que le résultat du processus de nomination n’était pas prédéterminé.

76 Le plaignant n’a pas prouvé que Mme Ludchen ne possédait pas les qualifications requises pour occuper le poste. Aucun élément de preuve n’indique que Mme Ludchen ne satisfait pas aux critères de mérite établis pour le poste.

Question II: L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en établissant un comité d’évaluation formé d’une seule personne?

Argumentation des parties

A) Argumentation du plaignant

77 Le plaignant a attiré l’attention du Tribunal sur la section 1.7 du document de la CFP, où il est question des « membres du comité d’évaluation », au pluriel. Il affirme que le document de la CFP ne parle pas du « membre du comité d’évaluation », mais plutôt des « membres du comité d’évaluation ». Le plaignant a évoqué le paragraphe de la section 1.7 débutant par « Les gestionnaires peuvent faire en sorte que les décisions en matière de nomination sont impartiales et n’entraînent pas d’obstacles systémiques », dans lequel il est fait mention des membres du comité au pluriel, et non au singulier.

78 Le plaignant soutient que, comme le document de la CFP fait allusion aux membres du comité au pluriel, le comité d’évaluation doit être formé de plusieurs personnes. Selon le plaignant, la création d’un comité d’évaluation formé d’un seul membre constitue un abus de pouvoir.

B) Argumentation de l’intimé

79     L’intimé soutient qu’un comité d’évaluation peut être formé d’une seule personne. À cet égard, il a fait référence au premier paragraphe de la section 1.7 du document de la CFP, celui-là même qui a été cité par le plaignant. L’intimé affirme que le premier paragraphe de cette section, lequel est libellé comme suit, appuie sa position :

Le rôle du ou de la gestionnaire est de déterminer les critères de mérite, de décider lesquels seront évalués/appliqués pour chaque poste et de sélectionner les personnes qui seront nommées. Un ou une gestionnaire peut toutefois décider de faire appel à d’autres personnes pour l’aider dans le cadre du processus d’évaluation. Un comité d’évaluation peut être formé d’une ou de plusieurs personnes et peut comprendre ou non le ou la gestionnaire. Un ou une gestionnaire peut choisir de nommer d’autres personnes au comité d’évaluation en raison de l’efficacité accrue qui en résulterait ou parce qu’il ou elle aimerait accroître la perception d’impartialité qui s’en dégagerait. De plus, un comité d’évaluation peut être composé de membres provenant de l’extérieur de l’organisation. […] Le rôle du comité d’évaluation est d’évaluer la personne par rapport aux critères de mérite, tels qu’établis par le ou la gestionnaire, et fournir au ou à la gestionnaire les renseignements nécessaires pour prendre une décision quant à la nomination.

[Soulignement ajouté]

Analyse

80 C’est aux plaignants qu’il incombe de prouver toute allégation d’abus de pouvoir présentée au Tribunal (voir, par exemple, Tibbs c. le Sous‑ministre de la Défense nationale et al., [2006] TDFP 0008). En l’espèce, le plaignant n’a présenté aucun élément de preuve selon lequel le choix d’un comité d’évaluation formé d’un seul membre dans le cadre du processus de nomination visé constitue un abus de pouvoir. Au contraire, la preuve présentée par le plaignant, notamment le document de la CFP, indique expressément qu’un comité d’évaluation peut être formé d’une seule personne.

81 Aux termes du paragraphe 99(2) de la LEFP, « [l]e Tribunal peut rejeter de façon sommaire les plaintes qu’il estime frustratoires ». Compte tenu des recherches effectuées par le plaignant sur ce sujet, il est difficile de conclure qu’il ne connaissait pas l’existence des indications contenues dans le document de la CFP qui contredisent clairement son argumentation. Dans un contexte où le plaignant persiste à soutenir son point de vue malgré la preuve existante, son allégation pourrait pratiquement être qualifiée de frustratoire. En effet, celui-ci a décidé de faire référence à certains extraits de la section 1.7, mais de faire abstraction de la mention claire, contenue dans la même section, selon laquelle un comité d’évaluation peut être formé d’une seule personne.

82 M. Cuerrier a déclaré que, étant donné que la candidature d’une seule personne avait été retenue à l’étape de la présélection du processus, il a évalué cette personne en fonction de tous les critères de mérite. L’évaluation complète de la candidate retenue a été produite en preuve.

83 M. Cuerrier a également expliqué que, s’il y avait eu plus d’une candidature, sa décision aurait probablement été différente. Compte tenu des circonstances, il estimait qu’il n’y avait pas lieu d’établir un comité d’évaluation composé de plus d’un membre, étant donné qu’il effectuait une évaluation narrative de la candidate retenue.

84 L’article 36 de la LEFP confère à l’intimé un pouvoir discrétionnaire considérable lorsqu’il s’agit de la sélection et de l’utilisation de méthodes d’évaluation visant à déterminer si les candidats possèdent les qualifications établies pour un poste donné. L’article 36 est ainsi formulé :

36. La Commission peut avoir recours à toute méthode d’évaluation — notamment prise en compte des réalisations et du rendement antérieur, examens ou entrevues — qu’elle estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications visées à l’alinéa 30(2)a) et au sous-alinéa 30(2)b)(i).

[Soulignement ajouté]

85 Le Tribunal a déjà abordé la question de la composition des comités d’évaluation, notamment dans la décision Visca c. le Sous-ministre de la Justice et al., [2007] TDFP 0024, où il a jugé que l’utilisation de plusieurs comités relevait du vaste pouvoir discrétionnaire dont jouissent les gestionnaires en vertu de la LEFP. Voici d’ailleurs ce que le Tribunal a établi au paragraphe 61 de la décision Visca :

Il incombe au plaignant de faire la preuve de ces allégations d’abus de pouvoir. Il revenait au plaignant de démontrer par une preuve convaincante que l’utilisation de plusieurs jurys dans le processus de nomination en l’espèce a mené à un abus de pouvoir du type examiné par le Tribunal dans la décision Tibbs, supra. Or, le plaignant n’a fourni aucune preuve de la sorte.

86 L’utilisation d’un comité d’évaluation formé d’un seul membre relève du vaste pouvoir discrétionnaire conféré aux gestionnaires. En ce qui a trait au processus de nomination en l’espèce, le Tribunal juge que le plaignant n’a pas réussi à démontrer que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a choisi d’établir un comité formé d’une seule personne pour évaluer les candidatures.

Question soulevée après l’audience

87 Le Tribunal souhaite formuler des commentaires sur une dernière question soulevée par l’intimé dans son argumentation écrite. Cette question a trait au langage employé par le plaignant dans son argumentation écrite. L’avocat de l’intimé a demandé au Tribunal d’aborder la question dans ses motifs écrits, et le Tribunal a jugé que, compte tenu des circonstances, le plaignant devait recevoir un avertissement pour le choix des termes qu’il a utilisés, avertissement qui devait être de notoriété publique.

88 Les paragraphes suivants sont des extraits de la correspondance écrite et de l’argumentation présentée par le plaignant en l’espèce. Étant donné le caractère offensant du langage employé, le Tribunal a remplacé le nom des personnes concernées par une lettre, par souci de protection des renseignements personnels et de respect à l’égard de leur professionnalisme.

[…] Je n’ai pas employé de mots offensants comme « stupide » ou « cinglée », et si j’ai mentionné sa « négligence » ou son « incompétence » possibles dans la gestion de cette affaire, le contenu de son courriel, reproduit ci-dessous, et le simple fait qu’elle l’ait envoyé ne font que corroborer les preuves qu’elle a elle-même fournies et qui mènent logiquement et naturellement à une remise en question de son honnêteté, de sa compétence, de ses motifs et de sa diligence raisonnable.

(A), à titre d’avocat-conseil, a réagi de façon déroutante, contraire à ce dont on s’attend d’un professionnel du droit, ce qui est déplorable. Au mieux, on peut affirmer qu’il se plaignait constamment. Une fois de plus, le Tribunal mérite mieux de la part d’un […] avocat. 

Je suis convaincu que (A) finira par se remettre de sa petite crise enfantine et, entre‑temps, je demande au Tribunal de s’assurer, lorsqu’il rendra sa décision, que la loi canadienne est respectée et que le processus n’est pas entaché par la désobéissance manifeste et délibérée de (A) aux directives du Tribunal, lesquelles ont été mises en évidence.

Dans ses délibérations, j’aimerais que le Tribunal tienne compte des répercussions de ne pas donner gain de cause au plaignant : si les Canadiens ne peuvent pas s’attendre à ce que l’avocat général principal du ministère de la Justice fasse preuve de « transparence » et assume ses « responsabilités », à quoi servent donc la constitution et les lois du Canada, et quelle est la raison d’être du Tribunal de la dotation de la fonction publique?

Même si (B) a l’habitude de se parler à lui‑même […]

L’avocat […], est en conflit d’intérêts à titre de conseiller juridique […]. (A) est tenu, sur les plans juridique et moral, de faire respecter la justice lorsqu’il protège un client, en l’occurrence (B), qui a violé la lettre et l’esprit de la loi […]

En somme, la seule question qui demeure est la suivante : le TDFP aura-t-il la sagesse, la vision, le courage et la rectitude morale voulus pour accomplir son travail? Ou se contentera‑t‑il d’être un instrument servant à justifier les actes fautifs perpétrés par l’un des responsables les plus haut placés du ministère de la Justice du pays?

Le TDFP ne peut se fonder sur aucune considération relative à l’origine du plaignant, car ce serait contraire à la Charte canadienne des droits et libertés, pas plus qu’il ne peut prendre en considération le fait que l’anglais est la première langue officielle du plaignant, alors que pratiquement toutes les autres parties et tous les témoins dans le cadre de cette affaire ont l’autre langue officielle du pays comme langue maternelle, car il agirait en contravention de la Loi sur les langues officielles du Canada. De plus, le TDFP ne peut pas se fonder sur la race du plaignant ni sur celle de toute autre partie à l’audience aux fins de ses délibérations, puisqu’il agirait ainsi à l’encontre de la constitution et des lois du pays, et de leur esprit. Le TDFP ne peut pas non plus se fonder sur une antipathie personnelle ni sur un parti pris envers le plaignant ou toute autre partie ou personne, car cela équivaudrait à adopter un type de comportement contraire à l’éthique semblable à celui que le plaignant reproche au comité d’évaluation formé d’une seule personne.

[Traduction]

89 Le ton et les mots employés dans cette argumentation sont provocateurs et irrespectueux, ce que le Tribunal ne tolère pas.

90 Dans une affaire précédente, Pugh c. le Sous‑ministre de la Défense nationale et al., [2007] TDFP 0025, le Tribunal avait mis en garde M. Pugh quant au choix des termes employés, aux paragraphes 47 à 50 :

[47] Le Tribunal désire commenter le ton et le contenu de la réponse du plaignant parce qu’il considère que bon nombre des observations étaient offensantes et irrespectueuses à l’égard de l’intimé et de la CFP. Le plaignant affirme souvent que les arguments de la CFP et de l’intimé sont « gratuits », « sans pertinence », « arrogants », « intéressés ». Par exemple, dans sa réponse à la CFP, il dit ce qui suit :

Des juristes canadiens compétents pourraient être « en désaccord » et gênés par la décision du Barreau canadien d’accorder le statut d’avocat à un quelconque conseiller juridique recommandé, et que la CFP mette de l’avant cet argument non pertinent et absurde. Cependant, peu importe si l’objection du juriste pourrait être justifiée d’un point de vue subjectif, la consternation du juriste ne peut et ne devrait pas affecter le statut professionnel de l’avocat. » [Traduction]

[48] Le passage qui suit est un autre commentaire offensant concernant l’intimé : « Il n’y a ni explication ni excuse qui puisse justifier la paresse et le refus délibéré de l’intimé d’exécuter la tâche pour laquelle la population canadienne le paie. » [Traduction]

[49] De même, les menaces voilées adressées au Tribunal ne sont pas acceptables. En ce qui a trait aux courriels dont il est question au paragraphe 16 ci-dessus, le plaignant dans un courriel adressé aux autres parties et à la vice-présidente déclare ce qui suit : « En traitant cette affaire plutôt que de ne pas y donner suite, le Tribunal peut éviter la possibilité que la question soit traitée à un palier plus public et plus dérangeant. » [Traduction]

[50] Les documents adressés au Tribunal par une partie ou l’autre ne devraient jamais contenir d’insultes, ni ridiculiser les autres parties, ni menacer la conduite d’une affaire. De telles actions ne seraient pas acceptables au cours d’une audience; elles sont également inacceptables au cours d’une audience sur dossier.

91 Aux termes du paragraphe 99(2) de la LEFP, le Tribunal peut rejeter de façon sommaire toute plainte qu’il considère comme frustratoire. Le Tribunal a déjà indiqué que l’allégation du plaignant concernant la composition du comité d’évaluation frôlait le caractère frustratoire.

92 Les propos incendiaires tenus par le plaignant amènent le Tribunal à juger sa conduite vexatoire (frustratoire). Il s’agit de la deuxième audience à laquelle participe M. Pugh et où le comportement de ce dernier soulève de sérieuses préoccupations. Le comportement d’une partie à l’audience et en dehors de l’audience peut être pris en considération lorsqu’il s’agit de déterminer si une conduite peut être qualifiée de vexatoire (frustratoire). Dans la décision Canada v. Warriner (1993), 70 F.T.R. 8 (T.D.), [1993] A.C.F. No 1007 (Q.L.), la Cour a fait remarquer que des allégations frivoles et non fondées concernant des actes irréguliers avaient été formulées à l’encontre de deux avocats qui avaient représenté la partie ou qui s’y étaient opposés. De la même façon, dans la décision Wilson c. Canada (Revenue) (2006), 305 F.T.R. 250 (T.D.), [2006] A.C.F. No 1922 (Q.L.), la Cour a établi que, parmi les indicateurs de comportement vexatoire (frustratoire), on comptait notamment la formulation d’allégations non fondées à l’encontre de la partie adverse, de l’avocat‑conseil ou de la Cour concernant des actes irréguliers. Enfin, dans la décision Canada Post Corp. v. Varma (2000), 192 F.T.R. 278 (T.D.), [2000] A.C.F. No 851 (Q.L.), la Cour a examiné les éléments de preuve dont elle disposait et elle a établi, hors de tout doute, que la partie avait mené la procédure de façon vexatoire (frustratoire).

93 En vertu de l’article 27 du Règlement du Tribunal, celui‑ci « est maître de la procédure ». De plus, comme il a déjà été mentionné, le paragraphe 99(2) de la LEFP confère au Tribunal le pouvoir formel de « rejeter de façon sommaire les plaintes qu’il estime frustratoires » [caractères gras ajoutés]. Compte tenu de la jurisprudence de la Cour fédérale citée ci-dessus et du libellé du paragraphe 99(2), le Tribunal est d’avis que l’intention du législateur était clairement que le Tribunal ait le pouvoir d’examiner non seulement la plainte en elle-même, mais également, sur le même pied d’égalité, la conduite du plaignant lorsqu’il s’agit de déterminer si une plainte est frustratoire.

94 Selon le Tribunal, il est clair que les accusations et les sous-entendus non fondés à l’encontre de l’avocat de l’intimé et du Tribunal concernant des actes répréhensibles constituent une conduite vexatoire.

95 Aux termes du paragraphe 40(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, la Cour peut empêcher une personne d’engager d’autres instances devant elle, sauf avec son autorisation. Bien que la LEFP ne contienne pas de disposition semblable, le Tribunal est maître de sa procédure et ne tolérera plus une telle conduite dans l’avenir.

96 Compte tenu du fait que M. Pugh a fait fi de l’avertissement que lui avait précédemment donné le Tribunal et qu’il continue d’adopter une conduite vexatoire (frustratoire) dans le cadre des instances devant le Tribunal, celui-ci donne publiquement un avis au plaignant pour l’intimer de cesser de se conduire de façon abusive et vexatoire (frustratoire) dans le cadre d’instances futures devant le Tribunal, à défaut de quoi le Tribunal prendra les mesures appropriées, lesquelles comprennent, entre autres, le rejet de toute plainte subséquente en vertu du paragraphe 99(2) de la LEFP si le plaignant continue d’afficher ce type de comportement.

Décision

97 Pour tous ces motifs, la plainte est rejetée.

Francine Cabana

Membre

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2007-0277
Intitulé de la cause:
Barry Pugh et le Sous-ministre de la Justice et al.
Audience:
Les 10 et 11 décembre 2007
Date des motifs:
Le 5 septembre 2008

Comparutions:

Pour le plaignant:
Barry Pugh
Pour l'intimé:
Jennifer A. Lewis
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