Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a formulé des allégations d’abus de pouvoir à l’encontre de l’intimé au motif que celui-ci a établi l’exigence linguistique « bilingue impératif » comme qualification essentielle et qu’il a tenu un processus de dotation fermé et opaque. Il a déclaré d’autre part faire l’objet de discrimination par l’âge. Le plaignant ne s’est pas présenté à l’audience; l’intimé a donc présenté une motion de non-lieu tout en demandant au Tribunal de rejeter les plaintes. La Commission de la fonction publique a souscrit à la motion de non-lieu. L’intimé a néanmoins présenté ses arguments en précisant que durant les trois dernières années il a mené un processus de nomination générique diffusé sur intranet et sur Publiservice. Il a ajouté que les postes du groupe EX exigent le bilinguisme et sont dotés par voie de nomination impérative. Il a enfin fait valoir qu’il n’y avait aucune preuve de discrimination. Décision : Motion de non-lieu : le Tribunal a conclu que les documents versés au dossier fournissent des éléments de preuve à l’appui des allégations formulées par le plaignant. Il a fallu que le Tribunal statue sur le fond pour répondre à la question de savoir s’il y a eu ou non suffisamment de preuve pour motiver une plainte d’abus de pouvoir. Le Tribunal a le contrôle de ses propres procédures et a compétence pour mener une instruction sur dossier à partir de documents écrits versés au dossier. Pour toutes ces raisons, la motion de non-lieu présentée par l’intimé est rejetée. Le Tribunal a conclu que le processus de nomination avait été menée de façon ouverte et transparente, et qu’il contenait suffisamment d’information pour que les candidats soient au fait des attentes et des obligations. Le Tribunal a aussi jugé que l’exigence linguistique « bilinguisme impératif » correspondait à la politique du ministère et ne constituait donc pas un abus de pouvoir de la part du gestionnaire. Enfin, le Tribunal a conclu que le plaignant n’avait pas de preuve à l’appui de son allégation de discrimination par l’âge. En fait, il n’a pas fourni de preuve prima facie de discrimination; cette allégation n’était donc pas fondée. Plaintes rejetées.

Contenu de la décision

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Dossiers:
2007-0378, 0546 et 0547
Rendue à:
Ottawa, le 6 novembre 2008

ROSARIO VANI
Plaignant
ET
LE STATISTICIEN EN CHEF DU CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plaintes d'abus de pouvoir en vertu de l'alinéa 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
Les plaintes sont rejetées
Décision rendue par:
Helen Barkley, membre
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Vani c. statisticien en chef du Canada et al.
Référence neutre:
2008 TDFP 0029

Motifs de la décision

Introduction

1 Rosario Vani a présenté trois plaintes au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en alléguant que l’intimé, le statisticien en chef du Canada, a abusé de son pouvoir lorsqu’il a établi l’exigence linguistique « Bilingue impératif » (CBC) en tant que qualification essentielle pour des postes au niveau de directeur. Le plaignant affirme également que l’intimé a fait preuve de discrimination à son encontre en raison de son âge.

2 Le plaignant ne s’est pas présenté à l’audience. L’intimé a présenté une requête de non‑lieu et a demandé au Tribunal de rejeter les plaintes.

Contexte

3 À la fin mai 2007, un processus de nomination interne annoncé a été lancé dans le but de doter des postes au niveau de directeur (EX-01) au moyen du Programme de sélection et de perfectionnement des EX de l’intimé (processus de sélection n07‑STC‑IA‑NCR‑100‑204).

4 La qualification relative aux langues officielles pour ces postes est « Bilingue impératif » (CBC).

5 Le plaignant a présenté une demande dans le cadre de ce processus, mais sa candidature a été retirée de celui‑ci après qu’il a été déterminé qu’il ne répondait pas à l’exigence linguistique des postes annoncés.

6 Le plaignant a présenté des plaintes distinctes pour chacune des trois nominations découlant du processus de nomination en question. Il a envoyé un avis à cet effet à la Commission canadienne des droits de la personne. Le Tribunal a joint les trois plaintes aux fins d’une audience conformément à l’article 8 du Règlement du Tribunal de la fonction publique, DORS/2006-6 (le Règlement du TDFP).

7 Conformément à l’article 28 du Règlement du TDFP, le Tribunal a fourni aux parties un avis d’audience le 14 avril 2008, et un avis d’audience modifié le 30 mai 2008. L’audience a été fixée aux 17 et 18 juin 2008.

8 Le 16 juin 2008, c’est‑à‑dire le jour précédant l’audience prévue, le plaignant a demandé un ajournement. Il a déclaré qu’il n’avait pas assez de temps pour signifier ses assignations à témoigner. Le 16 juin, le Tribunal a émis une lettre de décision dans laquelle il rejetait la demande d’ajournement de l’audience présentée par le plaignant :

Le Tribunal a examiné la demande de report de l’audience présentée par le plaignant en date du 16 juin. L’audience est prévue les 17 et 18 juin 2008 à Ottawa, en Ontario.

La demande de report de l’audience est rejetée pour les motifs suivants. Le 14 avril 2008, toutes les parties ont été informées que l’audience aurait lieu les 16 et 17 juin 2008. Pendant la conférence préparatoire tenue le 30 mai 2008, les dates de l’audience ont été reportées aux 17 et 18 juin 2008 à la demande de l’intimé. Une autre conférence préparatoire a été fixée au 11 juin afin de confirmer les noms des témoins. Pendant la conférence, le plaignant a indiqué qu’il n’avait pas encore communiqué avec les personnes qu’il voulait assigner à témoigner. Il a demandé des assignations à témoigner de façon tardive le 11 juin 2008, mais il a omis de fournir des renseignements complets.

Le plaignant tente maintenant d’obtenir le report de l’audience, car il n’a pas reçu les assignations à témoigner avant le 13 juin 2008 à midi. Il indique qu’il était alors trop tard pour donner un préavis suffisant aux témoins, afin de leur permettre de modifier le calendrier de leurs activités.

Le Tribunal note que chaque partie est responsable de s’assurer que ses témoins seront présents à l’audience. Le plaignant n’a indiqué aucune circonstance exceptionnelle qui l’aurait empêché de s’assurer que ses témoins seraient présents en temps opportun.

Pour les motifs susmentionnés, la demande de report de l’audience est rejetée. L’audience aura lieu le 17 juin 2008, à 9 h.

[Traduction]

9 À l'heure de fermeture des bureaux le 16 juin 2008, le plaignant a informé le Tribunal qu’il ne serait pas présent à l’audience.

10 Il est important de souligner qu’une partie qui demande une assignation (assignation à témoigner) pour un témoin a la responsabilité de s’assurer que tous les renseignements nécessaires sont transmis au Tribunal afin de permettre à ce dernier d’émettre les assignations à témoigner. La partie a également la responsabilité de s’assurer que le témoin reçoit l’assignation à témoigner en temps opportun. Les parties ont accès facilement aux renseignements nécessaires pour émettre et signifier une assignation à témoigner dans le Guide de procédures du Tribunal. Le chapitre 19 du Guide de procédures indique, en partie, ce qui suit :

Toute personne qui veut assurer la présence d’un témoin doit envoyer une demande pour obtenir une assignation à comparaître au Tribunal. La demande est faite par écrit et comporte les éléments suivants :

  1. le numéro du dossier du Tribunal;
  2. le nom et l’adresse de la personne qui doit comparaître;
  3. la date, l’heure et le lieu où cette personne est tenue de comparaître, s’ils sont connus;
  4. une description détaillée des documents ou pièces que cette personne doit produire à l’audience, le cas échéant.

[…]

Il incombe à la partie qui a demandé l’assignation de prendre les mesures appropriées pour qu’elle soit signifiée au témoin le plus tôt possible. Quelles que soient les circonstances, l’assignation doit être signifiée au moins sept jours avant la comparution du témoin.

11 En l’espèce, le plaignant connaissait ses responsabilités en ce qui concerne l’obtention et la signification des assignations à témoigner au moins depuis le 30 mai 2008, c’est‑à‑dire la date de la première conférence préparatoire. Il a décidé, à ses risques et périls, de retarder l’obtention et la signification des assignations à témoigner.

Questions préliminaires

12 Au début de l’audience, l’intimé a présenté une requête de non‑lieu et a demandé que le Tribunal rejette la plainte pour cette raison.

Argumentation des parties

A) Argumentation de l’intimé

13 L’intimé soutient que le fardeau de la preuve repose sur le plaignant, et que ce dernier n’a pas prouvé le bien-fondé de ses allégations.

14 Selon l’intimé, le fait de devoir répondre à chaque allégation de nature générale et sans fondement, contenue dans l’argumentation du plaignant, constituerait une perte de temps et de ressources. L’intimé a répondu aux allégations dans sa réponse.

15 L’intimé reconnaît que le plaignant doit atteindre un seuil peu élevé pour contester une requête de non‑lieu. Cependant, en l’espèce, le seuil n’a pas été atteint; aucune preuve à laquelle l’intimé doit répondre n’a été produite.

16 L’intimé affirme qu’une requête de non‑lieu ne constitue pas un fait établi montrant que le plaignant n’a pas réussi à prouver le bien‑fondé de sa cause; la présentation d’une pareille requête démontre plutôt que l’intimé n’a pas à répondre. Selon l’intimé, une fois qu’une requête de non‑lieu a été présentée, la nature même de la requête fait en sorte qu’aucune preuve supplémentaire ne peut être produite.

17 Finalement, l’intimé soutient que le Tribunal n’a pas le droit de rendre une décision sur le fond, car aucune preuve n’a été produite au Tribunal.

18 L’intimé n’a fourni aucune jurisprudence à l’appui de sa requête.

B) Argumentation de la Commission de la fonction publique

19 La Commission de la fonction publique (CFP) souscrit au point de vue de l’intimé en ce qui concerne la requête.

20 La CFP soutient que, vu l’absence totale de preuve produite au Tribunal, le plaignant ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve. En conséquence, les plaintes doivent être rejetées.

21 La CFP n’a fourni aucune jurisprudence pour appuyer la requête de non‑lieu de l’intimé.

C) Argumentation du plaignant

22 Comme le plaignant ne s’est pas présenté à l’audience, il n’a présenté aucune argumentation par rapport à la requête.

Analyse

23 Pour commencer, le Tribunal tient à mettre l’accent sur la nature inhabituelle de la présentation d’une requête de non‑lieu. Le seuil à atteindre pour rejeter une requête est extrêmement peu élevé. Le plaignant doit seulement présenter une preuve prima facie au lieu de devoir se conformer à la norme plus élevée de la prépondérance des probabilités. Ni l’intimé, ni la CFP n’ont fourni de jurisprudence pour appuyer la requête.

24 La jurisprudence indique clairement qu’un tribunal administratif a le contrôle absolu de ses propres procédures. Par exemple, dans la décision Prassad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560, aux pages 568 et 569, [1989] 1 J.C.S. no 25, au par. 16 (C.S.C.)(Q.L.), le juge Sopinka, s’exprimant au nom de la majorité, a déclaré ce qui suit (version Q.L.) :

16. […] Nous traitons ici des pouvoirs d'un tribunal administratif à l'égard de sa procédure. En règle générale, ces tribunaux sont considérés maîtres chez eux. En l'absence de règles précises établies par loi ou règlement, ils fixent leur propre procédure à la condition de respecter les règles de l'équité et, dans l'exercice de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, de respecter les règles de justice naturelle.

25 En ce qui concerne le Tribunal, aucune règle précise n’a été établie par la LEFP ou le Règlement du TDFP afin de permettre d’outrepasser les pouvoirs qui ont été dévolus au Tribunal dans le cadre de la common law et qui font en sorte qu’il est considéré maître chez lui. Au contraire, un pouvoir est expressément dévolu en vertu de la LEFP et du Règlement du TDFP, qui renforce ce pouvoir accordé selon le principe de la common law. Le paragraphe 99(3) de la LEFP est ainsi rédigé : « Le Tribunal peut statuer sur une plainte sans tenir d’audience. » L’article 27 du Règlement du TDFP est libellé comme suit : « Le Tribunal est maître de la procédure. Il peut décider de l’ordre et de la manière dont la preuve et les plaidoiries seront présentées. »

26 Lorsqu’une partie omet de comparaître à l’audience, l’article 29 du Règlement du TDFP s’applique :

29. Si une partie, un intervenant ou la Commission canadienne des droits de la personne, si celle-ci a le statut de participant, omet de comparaître à l’audience ou à toute continuation de celle-ci, le Tribunal peut, s’il est convaincu que l’avis d’audition a bien été donné, tenir l’audience et statuer sur la plainte sans autre avis.

(caractères gras ajoutés)

27 Le Tribunal a interprété l’article 29 du Règlement du TDFP dans la décision Broughton c. le Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux et al., [2007] TDFP 0020. Les extraits pertinents de cette décision sont les suivants :

[24] Le Tribunal est d’avis qu’il faut donner au mot « audience » son sens habituel, à savoir audience ou audience sur dossier. De plus, l’expression « statuer sur la plainte sans autre avis », qui figure à l’article 29 du Règlement du TDFP désigne l’étape du processus de plainte au cours de laquelle le Tribunal statuera sur la plainte.

[…]

[32] Par ailleurs, si le législateur avait envisagé comme conséquence du défaut de comparaître d’un plaignant à une audience que la plainte de celui-ci soit considérée comme étant abandonnée ou retirée, il l’aurait indiqué clairement. II n’existe dans la LEFP aucun élément susceptible de soutenir cette interprétation. Il est à noter que le paragraphe 22(3) du Règlement du TDFP prévoit expressément que le Tribunal peut juger que la plainte est retirée « si le plaignant ne présente aucune allégation ».

[33] Comme le plaignant a présenté des allégations, le libellé de l’article 29 du Règlement du TDFP s’applique et précise expressément que le Tribunal peut tenir l’audience et statuer sur la plainte sans autre avis.

28 Compte tenu du fait que les pouvoirs du Tribunal découlant de la common law et de la loi ont été abordés en ce qui a trait à son contrôle absolu sur ses propres procédures, et de l’application de l’article 29 du Règlement du TDFP, il est nécessaire d’appliquer la loi aux faits.

29 Il est incontestable que le plaignant avait reçu un avis approprié concernant l’audience dont le début était prévu pour le 17 juin 2008. Le plaignant a envoyé un courriel au Tribunal en fin d’après-midi le 16 juin 2008. Il a informé le Tribunal qu’il ne serait pas présent à l’audience.

30 Le plaignant a présenté des allégations le 3 décembre 2007. En conséquence, l’article 22 du Règlement du TDFP ne s’applique pas. L’intimé et la CFP ont répondu aux allégations. Dans ses arguments concernant la requête de non‑lieu, l’avocate représentant l’intimé soutient que le fait de présenter des preuves en réponse à de pareilles allégations générales sans fondement constituerait une perte de temps et de ressources. Elle reconnaît que l’intimé a déjà répondu à ces allégations.

31 Comme il a été expliqué, le Tribunal n’est pas obligé de tenir une audience pour examiner une plainte et statuer sur celle‑ci. Dans la décision Broughton, le Tribunal a déterminé que, bien que le plaignant eût omis de fournir des arguments écrits comme l’exigeait le Tribunal, ce dernier rendrait tout de même sa décision concernant la plainte en se fondant sur les documents versés au dossier.

32 L’avocate représentant l’intimé soutient que le Tribunal n’a aucune preuve à examiner. Elle ajoute et laisse entendre que, comme aucune preuve n’a été produite, le Tribunal ne peut pas rendre une décision sur le fond de la plainte. Le Tribunal ne souscrit pas à cet argument. Les documents versés au dossier fournissent une preuve à l’appui des allégations soulevées par le plaignant. Qu’il y ait ou non suffisamment de preuve pour motiver une plainte d’abus de pouvoir, il est bien entendu nécessaire de rendre une décision sur le fond.

33 Le Tribunal a compétence pour mener une instruction sur dossier en se fondant sur les documents écrits versés au dossier. De plus, l’article 29 du Règlement du TDFP donne au Tribunal le pouvoir formel de mener l’audience et de statuer sur la plainte sans autre avis.

34 Pour les motifs énumérés ci-dessus, la requête de non‑lieu présentée par l’intimé est rejetée. Le Tribunal statuera sur le fond de la plainte en examinant les documents écrits versés au dossier.

Question en litige

35 Le Tribunal doit déterminer si la plainte d’abus de pouvoir est fondée.

Argumentation des parties

A) Résumé de l’argumentation et des éléments de preuve pertinents présentés par le plaignant

36 Les allégations du plaignant se divisent essentiellement en trois volets : premièrement, l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a utilisé un processus de dotation fermé et opaque, avec des résultats déterminés à l’avance; deuxièmement, l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a imposé une exigence linguistique impérative qui n’était pas nécessaire et qui a mené à des nominations non fondées sur le principe du mérite; et finalement, les nominations étaient fondées sur un motif de distinction illicite, à savoir l’âge.

37 À l’appui de ses allégations, le plaignant a fourni la preuve suivante. Selon lui, neuf candidats ont été admis à la présélection, et leurs noms ont été inscrits dans un bassin de personnes qui n’ont pas été nommées immédiatement à un poste. Il affirme que la nomination du directeur général des Comptes nationaux a été annoncée le 12 octobre 2007, mais la nomination n’est pas entrée en vigueur avant mai 2008. Selon le plaignant, l’intimé a utilisé son pouvoir discrétionnaire pour retarder cette nomination parce que le statut des connaissances linguistiques de la personne nommée n’avait pas été confirmé. Cette situation a ensuite occasionné un retard de la nomination liée au poste de directeur de la Balance des paiements. Le plaignant indique également que la nomination du directeur des Statistiques sur le revenu a été retardée à mai 2008.

38 Selon le plaignant, toute cette information est la preuve que l’intimé n’avait pas besoin d’utiliser une exigence linguistique impérative dans le cadre du processus de nomination en question. Il a également soutenu que cette situation prouve que le choix des candidats retenus avait été fait à l’avance, et que la nomination de ces personnes avait été confirmée, au lieu qu’une sélection convenable soit entreprise.

39 Pour ce qui est de son allégation selon laquelle l’intimé a utilisé un motif de distinction illicite fondé sur l’âge dans le processus de nomination en question, il indique que l’âge des personnes nommées à la suite des trois derniers processus constituait une preuve. Il ajoute que le processus de sélection était fortement entaché d’un parti pris en faveur du groupe d’âge le plus jeune et qu’on y trouvait tout bonnement le « trouble‑fête âgé du processus » [Traduction].

B) Résumé de l’argumentation et des éléments de preuve pertinents présentés par l’intimé

40 En réponse à l’allégation du plaignant selon laquelle un processus de nomination fermé et opaque a été mené, l’intimé soutient ce qui suit. Au cours des trois dernières années consécutives, l’intimé a mené un processus de nomination générique au niveau EX. Le processus est annoncé sur le site intranet de l’intimé, ainsi que sur Publiservice. Sont admissibles les personnes employées par la fonction publique du Canada au niveau EX moins 1 ou à un niveau équivalent. L’annonce de l’offre d’emploi indique clairement les outils d’évaluation et les échéances établies pour le processus en question. Des séances d’information sont organisées pour répondre aux questions des candidats éventuels. Pendant la séance d’information du 1er juin 2007, les outils d’évaluation et les échéances ont été expliqués aux candidats intéressés. Ces derniers connaissaient les échéances obligatoires pour respecter les exigences linguistiques.

41 Le premier niveau de présélection des candidats a eu lieu après l’examen des renseignements détaillés fournis par ceux‑ci. Les évaluations ont été faites conformément aux lignes directrices de la CFP. L’évaluation des candidats comprenait des entrevues formelles devant cinq membres de comités de sélection, ainsi qu’une vérification des références structurée. Les noms des candidats retenus ont ensuite été inscrits dans un bassin, puis les candidats retenus ont été nommés à des postes de niveau EX-01 au fur et à mesure que les postes devenaient vacants.

42 Compte tenu de cette preuve, l’intimé soutient que la première allégation du plaignant n’est pas fondée.

43 En ce qui concerne la deuxième allégation du plaignant, l’intimé affirme que pour occuper un emploi au sein du Groupe de la direction, il faut être bilingue et avoir atteint le niveau CBC ou un niveau supérieur. Ces postes sont dotés de façon impérative.

44 Dans sa réponse, l’intimé a fourni la preuve suivante. D’abord, l’annonce d’offre d’emploi informait clairement les candidats que l’exigence relative aux compétences linguistiques faisait partie des qualifications essentielles, et que la présélection des candidats aurait lieu en fonction de ce critère. Tous les candidats dont les résultats des évaluations linguistiques de la langue seconde n’étaient plus valides ont été inscrits à des tests. L’intimé soutient que tous les employés avaient accès à son document intitulé « Conseils aux candidats pour les tests de STC » [Traduction] sur son intranet. Selon l’intimé, ce document informe de façon précise les candidats qu’ils doivent passer tous les tests, y compris les tests linguistiques, sauf dans des circonstances exceptionnelles, à savoir les cas de maladie, les situations d’urgence, les exigences opérationnelles et les congés annuels déjà approuvés. Tous ces renseignements doivent être vérifiés.

45 En tant qu’employé de Statistique Canada qui avait accès au document susmentionné, le plaignant n’a fourni aucune preuve démontrant l’existence de circonstances exceptionnelles qui l’auraient empêché de passer le test d'interaction orale (IO) pour l'évaluation de la seconde langue officielle, comme prévu. Selon l’intimé, M. Vani n’a pas passé le test d’IO, malgré le fait que la date initiale du test ait été changée à sa demande. La candidature du plaignant a été éliminée à la présélection parce qu’il ne possédait pas la qualification essentielle liée à la compétence dans les langues officielles.

46 L’intimé s’appuie sur la preuve documentaire suivante : Politique du Conseil du Trésor sur la dotation de postes bilingues et Politique sur les langues officielles de l’intimé. Une copie du dernier document a été fournie au Tribunal. Pour appuyer davantage son point de vue, l’intimé invoque le paragraphe 30(2) de la LEFP.

47 Finalement, l’intimé soutient que la preuve n’appuie pas une allégation de discrimination fondée sur l’âge. L’intimé indique l’âge des candidats qualifiés nommés à la fin du processus, lesquels ont 37, 37, 42, 42, 44, 50 et 54 ans. Les candidats ont été nommés après avoir démontré qu’ils répondaient aux critères de mérite.

Analyse

48 En ce qui concerne la première allégation, la preuve produite est insuffisante pour prouver l’allégation d’abus de pouvoir. Le plaignant n’a fourni aucune preuve pour soutenir son allégation selon laquelle il y a eu un processus fermé et opaque, dont les résultats avaient été déterminés à l’avance. La preuve fournie par l’intimé quant aux étapes suivies démontre que le processus de nomination a été mené de façon ouverte et transparente.

49 Pour ce qui est de la deuxième allégation, la Politique sur les langues officielles de l’intimé est pertinente. Les extraits appropriés de la Politique sont les suivants :

Dotation impérative : Procédure de dotation d'un poste bilingue dans le cadre de laquelle seuls les candidats qui satisfont aux exigences du poste sont retenus.

[…]

Les postes au niveau de directeur ou à un niveau plus élevé et les postes de directeur adjoint et de chef de section qui comprennent des responsabilités de supervision doivent être dotés au niveau CBC ou à un niveau plus élevé.

[…]

La dotation impérative doit être obligatoire dans les concours visant à doter tous les postes de statisticien adjoint en chef, de directeur général et de directeur.

[…]

Les postes bilingues doivent être dotés de façon impérative à moins qu’une justification suffisante ait été donnée, comme l’exige la politique du CT.

[Traduction]

50 Le paragraphe 30(2) de la LEFP est rédigé en partie comme suit :

30. (2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

(a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir.

(caractères gras ajoutés)

51 À la lecture du paragraphe 30(2) de la LEFP, il est évident que la compétence dans les langues officielles constitue une qualification essentielle qui doit être établie par l’administrateur général. Pour que le plaignant réussisse à prouver le bien‑fondé de cette allégation, il doit démontrer que l’administrateur général a abusé de son pouvoir lorsqu’il a établi la compétence linguistique « Bilingue impératif » (CBC) pour les postes au niveau de directeur. Le Tribunal n’a reçu aucune preuve permettant de constater que la décision d’exiger la compétence linguistique « Bilingue impératif » (CBC) constitue un abus de pouvoir. La Politique sur les langues officielles de l’intimé exige une pareille compétence. Le plaignant n’a pas réussi de façon satisfaisante à établir un lien entre ses déclarations concernant les dates des diverses nominations et son allégation se rapportant à l’établissement de la qualification relative à la dotation impérative. En conséquence, la deuxième allégation d’abus de pouvoir présentée par le plaignant n’est pas fondée.

52 Enfin, l’allégation du plaignant selon laquelle les processus de nomination ont été entachés de discrimination fondée sur l’âge n’a pas été prouvée. En réalité, le plaignant n’a pas prouvé à première vue (preuve prima facie) qu’il y avait eu discrimination en l’espèce. Le plaignant doit s’acquitter du fardeau de la preuve qui consiste à présenter une preuve prima facie. Le critère bien établi a été élaboré par la Cour suprême du Canada dans le paragraphe 28 de la décision Ontario (Commission des droits de la personne) c. Simpsons Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536:

Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu'à preuve contraire qu'il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu'à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur intimé.

53 Bien qu’il ne constitue pas un précédent, l’extrait suivant tiré d’une décision du Tribunal des droits de la personne de la Colombie‑Britannique, qui porte sur une plainte liée à une invalidité, est instructive. Dans la décision Ingram v. Workers’ Compensation Board et al., 2003 BCHRT 57, paragraphe 20 (Q.L.), le Tribunal des droits de la personne de la Colombie‑Britannique indique ce qui suit :

Pour qu’une plainte relative aux droits de la personne puisse être considérée valide, il doit y avoir une allégation selon laquelle un travailleur a été victime de discrimination en raison de son invalidité. Autrement dit, le plaignant doit alléguer des faits qui, s’ils sont prouvés, détermineraient qu’ils ont, d’une manière ou d’une autre, eu des conséquences négatives liées à son invalidité. Il ne suffit pas de dire qu’une personne est invalide et qu’elle a été traitée de façon injuste. Il doit exister un certain lien direct entre les deux affirmations. Ce lien direct n’existe pas dans les faits allégués par le plaignant.

[traduction]

54 De plus, en l’espèce, il ne suffit pas au plaignant de présenter des allégations de discrimination fondée sur l’âge. Il doit alléguer des faits qui, s’ils sont prouvés, permettraient de déterminer qu’ils lui ont nui d’une manière ou d’une autre en raison de son âge. Ce lien direct n’existe pas entre les faits allégués par le plaignant. En conséquence, son allégation d’abus de pouvoir lié à une discrimination fondée sur l’âge n’est pas prouvée.

55 Le Tribunal ne peut conclure cette affaire sans réprimander fortement le plaignant pour sa conduite. Des ressources importantes sont consacrées à la prise des dispositions relatives à l’audience, le cas échéant. Il revient aux parties d’informer le Tribunal en temps opportun de leur décision de ne pas se prévaloir de leur droit d’être entendues après la réception d’un avis d'audience.

Décision

56 Pour tous ces motifs, les plaintes sont rejetées.

Helen Barkley

Membre

Parties au dossier

Dossiers du Tribunal:
2007-0378, 0546 et 0547
Intitulé de la cause:
Rosario Vani et le statisticien en chef du Canada et al.
Audience:
Le 17 juin 2008
Ottawa (Ontario)
Date des motifs:
Le 6 novembre 2008

Comparutions:

Pour le plaignant:
personne n'était présent à l'audience
Pour l'intimé:
Lesa Brown
Pour la Commission
de la fonction publique:
John Unrau
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