Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les plaignants ont formulé des allégations d’abus de pouvoir à l’encontre de l’intimé pour avoir choisi un processus non annoncé aux fins de prolongation d’une nomination intérimaire. Selon eux, un certain nombre d’employés bilingues et qualifiés étaient intéressés par le poste. Les plaignants ont déclaré que l’intimé avait fait preuve de mauvaise foi par la prolongation de la nomination en dépit du fait que la personne nommée ne possédait pas l’une des qualifications essentielles. Ils ont ajouté que le processus manquait de transparence puisque la notification avait été affichée avec trois mois de retard. L’intimé a fait valoir que le gestionnaire avait raison de nommer un employé unilingue à un poste bilingue. Le gestionnaire en cause connaissait bien son unité et était parvenu à la conclusion qu’il ne pouvait pas doter le poste avec une personne bilingue. En ce qui concerne le choix d’un processus non annoncé, l’article 33 de la LEFP confère aux gestionnaires une certaine marge de manœuvre. L’intimé a soutenu que l’utilisation d’un processus de nomination non annoncé avait une justification même si celle-ci n’avait pas été consignée par écrit. Il s’agissait d’une omission qui ne contrevenait pas à la LEFP; elle contrevenait plutôt aux lignes directrices. Le gestionnaire savait qu’il pouvait utiliser un processus non annoncé pour une nomination intérimaire à court terme. Cependant, il ne savait absolument pas que la nomination devrait être prolongée deux fois pour cause de maladie. Décision : Le Tribunal a conclu que le choix d’un processus de nomination non annoncé était motivé par des circonstances opérationnelles et ne constituait donc pas un abus de pouvoir. Le Tribunal a établi qu’un certain nombre d’erreurs et omissions graves étaient survenues durant le processus, lesquelles, prises globalement, étaient assimilables à un abus de pouvoir. Ces erreurs comprennent l’absence de justifications écrites, l’absence d’énoncé des critères de mérite, la non-exécution d’une évaluation des qualifications de la personne nommée en temps opportun, l’incapacité de démontrer qu’il n’y avait aucun candidat répondant aux exigences linguistiques du poste et qui pouvait y être nommé, le fait que la personne nommée ne possédait pas les qualifications essentielles, et le caractère inapproprié de la notification. Plaintes fondées.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossiers:
2007-0024, 0182 et 0187
Rendue à:
Ottawa, le 25 septembre 2008

YVES-CYRILLE ROBERT ET HEIDI SABOURIN
Plaignants
ET
LE SOUS-MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plaintes d'abus de pouvoir en vertu de l'alinéa 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
Les plaintes sont fondées
Décision rendue par:
Helen Barkley, membre
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Robert et Sabourin c. le Sous-ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et al.
Référence neutre:
2008 TDFP 0024

Motifs de la décision

Introduction

1 Yves-Cyrille Robert et Heidi Sabourin ont présenté des plaintes au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) concernant la nomination intérimaire de Melissa Gomes au poste de conseillère ministérielle (PM-05), à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC). Selon eux, l’intimé, le sous-ministre de CIC, a abusé de son pouvoir lorsqu’il a choisi un processus de nomination non annoncé. Ils déclarent aussi que l’intimé a agi de mauvaise foi et a favorisé une employée qui ne possédait pas toutes les qualifications essentielles liées au poste. Ils ajoutent que l’intimé a omis de donner une notification de la nomination comme il se doit.

2 Mme Gomes a été nommée au poste de conseillère ministérielle par intérim pour les périodes suivantes : du 11 septembre au 10 novembre 2006; du 11 novembre 2006 au 9 janvier 2007; du 10 janvier au 26 février 2007; et du 27 février au 16 mars 2007. Une notification de la nomination intérimaire a été affichée le 13 avril 2007.

Questions en litige

3 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a choisi un processus de nomination non annoncé?
  2. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en agissant de mauvaise foi et en favorisant une employée qui ne répondait pas à toutes les qualifications essentielles liées au poste?

Résumé des éléments de preuve pertinents

4 M. Robert a déclaré qu’il avait écrit à Graham Alldridge, directeur, Réexamen des cas, Direction générale du règlement des cas (DGRC), le 28 août 2006. Dans cette correspondance, il a indiqué qu’il aimerait qu’on tienne compte de sa candidature pour le poste de conseiller ministériel lorsque Alain Tassé, le titulaire actuel, prendra sa retraite en septembre 2006. Dans sa réponse écrite, M. Alldridge a déclaré qu’il avait l’intention de muter un agent de niveau PM-05 à ce poste.

5 Toutefois, le 12 septembre 2006, les employés ont été informés par un courriel de Louise Downs, conseillère ministérielle, que Melissa Gomes avait commencé à travailler au sein de l’unité en tant que conseillère ministérielle « pour une période indéterminée ».

6 Comme il n’y a eu aucune notification officielle de cette mesure de dotation, M. Robert a présenté un grief en septembre 2006. En janvier 2007, lorsque la nomination intérimaire avait atteint une durée de quatre mois, M. Robert a présenté une plainte au Tribunal. Lorsque la notification officielle de cette mesure de dotation a finalement été publiée le 13 avril 2007, M. Robert et Heidi Sabourin ont présenté des plaintes au Tribunal. La notification indiquait que la nomination intérimaire commençait le 11 septembre 2006 et prenait fin le 26 février 2007.

7 M. Robert a soutenu qu’il travaillait à la DGRC depuis 1997 en tant qu’analyste de l’immigration aux groupe et niveau PM-04. Il est bilingue et très qualifié pour le poste. De septembre 2006 à février 2007, on ne lui a pas proposé d’occuper un poste de conseiller ministériel par intérim, même s’il avait fait connaître son intérêt pour le poste en août 2006. Selon M. Robert, de nombreux autres employés bilingues et qualifiés occupant un poste de groupe et niveau PM-04 au sein de la DGRC n’ont jamais eu l’occasion de présenter leur candidature pour le poste de conseiller ministériel.

8 M. Robert a ajouté que Mme Gomes ne répondait pas aux exigences linguistiques du poste (BBB/BBB). Un certain nombre d’autres employés occupant des postes de groupe et niveau PM‑04 ne répondent pas aux exigences linguistiques, mais leur candidature n’a pas été prise en considération.

9 Mme Sabourin a affirmé que son poste d’attache fait partie de la DGRC. Cependant, elle occupe actuellement un poste en affectation au sein de la Direction générale de la gestion opérationnelle et de la coordination de CIC. Elle travaille à CIC depuis 1991. Elle a assumé les fonctions de conseillère ministérielle pendant une période de huit mois en 2003. Elle répond aux exigences linguistiques du poste. Elle a aussi obtenu plusieurs autres nominations aux groupe et niveau PM-05. Au cours des mois d’août et de septembre 2006, elle a pris un congé avec étalement du revenu. Toutefois, Mme Sabourin a déclaré qu’elle serait revenue de son congé pour assumer les fonctions de ce poste PM-05. Elle a soutenu qu’on ne lui avait jamais demandé si le poste l’intéressait.

10 À la suite des nominations intérimaires de Mme Gomes, un processus de nomination annoncé a été mené en avril 2007 afin de doter le poste de conseiller ministériel à court terme. Mme Sabourin a présenté sa candidature, mais elle n'a pas été jugée qualifiée, car il lui manquait ½ point.

11 Onze autres témoins qui ont occupé un poste de groupe et niveau PM-04 à la DGRC ont témoigné à l’audience. Chacun des témoins a déclaré être bilingue et répondre au profil linguistique du poste de conseiller ministériel. On n’a demandé à aucun des témoins d’assumer une affectation intérimaire à ce poste entre septembre 2006 et février 2007. Un résumé des autres points saillants de leur témoignage suit.

12 Diane Séguin Bacon et Rémi Larivière ont affirmé qu’au début d’avril 2007, un avis avait été envoyé par courriel pour demander des déclarations d’intérêt relativement à des nominations à court terme. Ils ont présenté leur candidature, et ils ont été jugés qualifiés. Mme Séguin Bacon a occupé un poste de conseillère ministérielle par intérim du 22 mai au 21 septembre 2007. M. Larivière a commencé à travailler pour la DGRC en avril 2006, et il a été jugé qualifié pour le poste de conseiller ministériel en avril 2007.

13 Delmy Rivera a acquis de l’expérience à un poste de conseillère ministérielle pendant deux semaines en 2004. Elle a confirmé qu’elle était en congé annuel du 26 septembre au 5 octobre 2006 et, de nouveau, du 12 décembre 2006 au 5 janvier 2007. Elle a eu une affectation temporaire à Nairobi de la mi‑février à la fin mars 2007. Elle a obtenu une nomination intérimaire au bureau du directeur général pour la période d’août à novembre 2007. Elle ne savait pas si les gestionnaires allaient prolonger ou non les affectations en 2006-2007. On avait mis fin aux nominations intérimaires de certains collègues en 2004-2005. Dans l’unité responsable des litiges, la charge de travail a toujours été intense.

14 Dans leur témoignage, les témoins suivants ont confirmé qu’ils n’étaient pas intéressés par une affectation intérimaire au poste de conseiller ministériel : Christine Wannamaker, Robert Génier, John Warner, Gina Champagne, Judith Lauson‑Domingue et Nicole Campbell. Bien que Mme Champagne n’était pas intéressée par le poste, elle n’en a jamais informé M. Alldridge.

15 Alexandra Hiles a déclaré qu’elle avait commencé à travailler à la DGRC en août 2006. Elle a confirmé qu’elle n’avait pas d’expérience dans le domaine de l’application de la législation sur la citoyenneté à ce moment, ce qui constituait une des qualifications relatives à l’expérience pour le poste de conseiller ministériel. Cependant, elle a été jugée qualifiée pour le poste en avril 2007. Katherine Dupuis a indiqué qu’elle avait été embauchée à la DGRC le 2 octobre 2006, et qu’elle travaillait auparavant pour l’Agence des services frontaliers du Canada.

16 Riaz Kara a déclaré qu’il était le conseiller en ressources humaines de la DGRC en 2006-2007. Il a ajouté qu’en réponse à une demande de prolongation de la nomination intérimaire de Melissa Gomes au poste de conseillère ministérielle, il a écrit le courriel suivant à M. Alldridge le 14 novembre 2006 :

J’ai examiné cette demande pour la prolongation de l’affectation intérimaire, et j’aimerais formuler quelques commentaires à ce sujet. Bien que la prolongation de l’affectation intérimaire ne dépasse pas quatre mois et relève en grande partie de votre pouvoir discrétionnaire, j’aimerais suggérer qu’on examine de plus près la titulaire de l’affectation intérimaire ainsi que la situation au sein de votre direction générale. Comme vous le savez, les Relations de travail traitent actuellement un grief directement lié à l’affectation intérimaire de Melissa Gomes aux groupe et niveau PM-05. Mme Gomes n’a pas été jugée qualifiée et son nom n’a donc pas été inscrit dans le répertoire PM-05 qui a été créé. Par conséquent, Mme Gomes ne peut pas être considérée comme la candidate idéale pour occuper une affectation intérimaire à ce niveau. Le fait qu’elle n’ait pas été jugée qualifiée pour être inscrite dans le répertoire indique qu’elle ne possède pas toutes les capacités dont elle aurait besoin pour assumer les fonctions du poste. Bien que Mme Gomes ait agi à titre de conseillère intérimaire à plusieurs reprises pendant de courtes périodes aux groupe et niveau PM-05, je voudrais suggérer qu’une autre personne occupe le poste de façon intérimaire, qu’on mène un processus visant à doter le poste ou même qu’on nomme un employé occasionnel ou une personne à la suite d’une mutation. Comme un grief a déjà été présenté, le fait de laisser Mme Gomes continuer à occuper le poste de façon intérimaire ne constituerait pas une pratique exemplaire. Si vous le désirez, je me ferais un plaisir d’aller discuter de cette question avec vous tous ou avec certains d’entre vous.

[Traduction]

17 M. Kara a indiqué qu’il avait discuté de ce sujet avec les gestionnaires concernés (Graham Alldridge, Stéphane Larue et Linda Martin), qui lui ont dit qu’en dépit de la validité des préoccupations soulevées, celles-ci ne s’appliquaient pas à la situation en question. Comme la nomination était de moins de quatre mois à ce moment, l’exigence linguistique ne s’appliquait pas. Lorsque la nomination intérimaire de Mme Gomes a dépassé quatre mois en janvier 2007, M. Kara a déclaré qu’il avait rencontré les membres de la direction pour les informer qu’ils devaient afficher une notification concernant cette nomination. M. Alldridge devait envoyer les renseignements pertinents aux Ressources humaines.

18 La notification a été affichée le 13 avril 2007. M. Kara a affirmé qu’une notification était affichée habituellement avant la date de prolongation, ou aux environs de la date de fin de la période de quatre mois. Il était inhabituel d’afficher une notification si tard après la période de quatre mois. Il a expliqué qu’il fallait avoir une cote BBB en ce qui concerne la maîtrise des langues officielles pour occuper le poste. Cependant, il avait autorisé qu’on inscrive sur la notification que l’exigence linguistique était « Exemption de l’exigence relative au bilinguisme – Niveau : BBB/BBB » [Traduction]. Selon M. Kara, le Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (le REFP) permet à un gestionnaire de nommer une personne qui n’est pas bilingue à un poste bilingue si le poste ne peut pas être pourvu avec une personne qualifiée et bilingue. M. Kara a soutenu qu’en février 2007, M. Alldridge l’avait informé qu’une analyse de l’environnement avait été effectuée et que personne d’autre que Mme Gomes n’était qualifié pour occuper le poste.

19 Graham Alldridge a témoigné au nom de l’intimé. Il a déclaré qu’il avait quitté son poste le 20 avril 2007, même si son dernier jour de travail était le 18 mars 2007. Il a ajouté que le service « Réexamen des cas » était formé de quatre sections – dossiers d’immigration, dossiers de citoyenneté, danger pour la population - réadaptation, et conseillers ministériels.

20 Dans la section des conseillers ministériels, on comptait trois ou quatre postes de groupe et niveau PM-05. La section des conseillers ministériels s’occupe des relations entre le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration et les cabinets du ministre de CIC et du ministre de la Sécurité publique en ce qui concerne les cas de nature délicate et les questions complexes et litigieuses. La section des conseillers ministériels prépare des résumés de dossiers et recommande diverses options visant à traiter ces questions. Ainsi, les conseillers ministériels constituent un lien crucial entre les cabinets des ministres et CIC. De plus, ils doivent suivre les instructions des ministres rapidement. M. Alldridge estimait qu’il devait y avoir au moins deux conseillers ministériels sur place en tout temps.

21 Une conseillère ministérielle, Rebecca Scott, était en affectation au Secrétariat ministériel. Jane Turner avait accepté une affectation à ce poste aux groupe et niveau PM‑05, mais elle est tombée malade en septembre 2006. Compte tenu de la nature importante du poste, M. Alldridge a décidé de le doter immédiatement. Il s’attendait à ce que Mme Turner revienne au travail au cours des deux mois suivants. Après avoir examiné les dossiers des agents PM-04 disponibles, il a déterminé que Mme Gomes était la bonne personne pour obtenir cette affectation à court terme.

22 Le 8 novembre 2006, M. Alldridge a été informé que Mme Turner ne reviendrait pas au travail. Il a donc prolongé la nomination intérimaire de Mme Gomes. Vers la fin de l’année, Mme Turner l’a informé qu’elle ne reviendrait pas au travail en tant que conseillère ministérielle. À la fin de décembre 2006, un nouveau ministre a été nommé. M. Alldridge voulait assurer la continuité des conseils prodigués aux cabinets des ministres. En conséquence, M. Alldridge a prolongé la nomination intérimaire de Mme Gomes au poste de conseillère ministérielle du 9 janvier au 26 février 2007.

23 Mme Scott est retournée occuper son poste de conseillère ministérielle le 26 février 2007, mais une autre conseillère ministérielle, Louise Down, a pris un congé de trois semaines. M. Alldridge a nommé Mme Gomes au poste de Mme Down pour cette période de trois semaines afin d’assurer la continuité des conseils prodigués aux cabinets des ministres.

24 En ce qui concerne le courriel en date du 12 septembre 2006 annonçant que Mme Gomes occuperait le poste pendant une période indéterminée, M. Alldridge a déclaré que le message avait été envoyé par un des conseillers ministériels. Cette information était tout simplement fausse, et il n’a jamais eu l’intention de donner un emploi permanent de conseillère ministérielle à Mme Gomes.

25 M. Alldridge a indiqué qu’il voulait mener un processus de nomination annoncé afin de doter le poste de M. Tassé, de même que tout autre poste vacant. Toutefois, la description de travail du poste de conseiller ministériel avait été rédigée en 1999 et s’avérait maintenant complètement désuète. Il fallait la réécrire et rédiger un énoncé des critères de mérite avant de mener un processus de nomination.

26 Mme Gomes a commencé à travailler au service Réexamen des cas en tant qu’analyste de l’immigration en 2003. M. Alldridge connaissait ses qualifications, car il avait pu parcourir son curriculum vitæ et discuter avec elle. Pour déterminer que Melissa Gomes était la bonne personne pour occuper le poste, il a tenu compte de deux facteurs : premièrement, la présence de membres du personnel sur place; et deuxièmement, l’incidence du déroulement du travail sur la section qui perdrait un employé pendant la période de la nomination intérimaire. M. Alldridge a effectué une évaluation informelle des connaissances, de l’expérience, des qualités personnelles et des habiletés de Mme Gomes. Pour occuper le poste, il faut posséder de l’expérience de l’application de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et de la Loi sur la citoyenneté. Il faut aussi posséder de l’expérience dans un contexte opérationnel et impliquant des rapports avec le public. La capacité de communiquer de vive voix et par écrit est très importante afin de pouvoir expliquer ces deux lois complexes aux membres du personnel des cabinets des ministres. La personne nommée doit être capable de travailler sous pression et de respecter les délais serrés imposés par les cabinets des ministres. Les qualités personnelles recherchées sont le tact, le jugement et l’entregent. Après avoir examiné tous ces éléments, M. Alldridge a conclu que Mme Gomes était la meilleure personne et la personne la plus qualifiée pour occuper cet emploi.

27 M. Alldridge avait examiné la possibilité, de façon informelle, de nommer d’autres employés au poste. Mme Séguin Bacon et Mme Rivera travaillaient à la Gestion des litiges, et cette section était submergée de travail, qui ne faisait qu’augmenter. La superviseure de Mme Séguin Bacon a décidé qu’elle n’offrirait pas d’affectations à l’extérieur de son unité de travail. Puisque Mme Rivera a obtenu la permission de se rendre à Nairobi en octobre, sa superviseure ne lui permettrait pas d’obtenir une autre affectation. Christine Wannamaker voulait aller travailler dans la section Danger pour le public et réadaptation, et M. Alldridge lui a permis de le faire. M. Larivière a commencé à travailler au sein de la DGRC en avril 2006 et devait acquérir plus d’expérience dans le domaine des dossiers d’immigration avant qu’on ne lui confie d’autres fonctions. Mme Dupuis et Mme Hiles avait commencé récemment à travailler pour la DGRC. M. Génier avait déclaré à M. Alldridge, en 2005, que le poste de conseiller ministériel ne l’intéressait pas. M. Warner et Mme Champagne étaient occupés à traiter les cas de nature délicate dans leur secteur respectif. Mme Campbell et Mme Lauzon ne possédaient aucune expérience dans le domaine de l’immigration.

28 M. Alldridge a affirmé qu’il était important de fournir des services à CIC et aux deux cabinets des ministres afin d’assurer des relations de travail harmonieuses. Le fait de cesser de confier un travail important à quelqu’un, comme ce fut le cas pour Gina Champagne, aurait un effet négatif sur le moral de cette personne. M. Alldridge a ajouté qu’il avait tenu compte des personnes disponibles et qu’il avait réfléchi à la situation chaque fois qu’il devait prolonger la nomination intérimaire.

29 Pour ce qui est de Mme Sabourin, M. Alldridge a déclaré qu’elle occupait un poste de conseillère ministérielle par intérim lorsqu’il a commencé à travailler à la DGRC en 2003. Elle l’a informé qu’elle ne voulait pas continuer à occuper ce poste, et qu’on lui avait confié une affectation d’analyste principale, Dossiers d’immigration. En septembre 2006, elle était en congé avec étalement du revenu; elle n’était donc pas au travail. Selon M. Alldridge, Mme Sabourin n’a pas été prise en considération pour la nomination au poste de conseillère ministérielle par intérim car elle avait déclaré que le poste ne l’intéressait pas. En novembre 2006, elle a informé M. Alldridge que si elle ne pouvait pas quitter la DGRC, elle voudrait quitter le secteur des Dossiers d’immigration. Elle a pu obtenir une affectation à la section de la Gestion des litiges. M. Alldridge a affirmé que Mme Sabourin était une des agentes les plus expérimentées et qu’elle pourrait certainement faire le travail de conseillère ministérielle. Il ne lui a pas parlé de ce poste en décembre 2006 ou en janvier 2007 parce qu’elle travaillait à la section de la Gestion des litiges.

30 Selon M. Alldridge, M. Robert était la seule personne qui avait exprimé de l’intérêt pour le poste de conseiller ministériel. Toutefois, il ne possédait aucune expérience liée à la Loi sur la citoyenneté. En outre, M. Alldridge a déclaré qu’il existait des préoccupations concernant les relations interpersonnelles de M. Robert, et qu’il trouvait que ces préoccupations étaient troublantes. Le tact et le jugement dans l’établissement de relations avec le personnel des cabinets des ministres constituaient un aspect très important du poste de conseiller ministériel et, selon M. Alldridge, M. Robert n’était pas un choix approprié.

31 En réponse à une question qui visait à déterminer pourquoi il n’avait pas annoncé la possibilité d’affectation intérimaire, M. Alldridge a indiqué qu’il n’avait jamais eu l’intention de doter le poste pour une longue période. Par contre, Jane Turner l’a informé à plusieurs reprises qu’elle ne serait pas en mesure de venir travailler pendant deux mois. À la fin de chaque affectation intérimaire, il examinait qui était disponible, et il concluait que Mme Gomes était la bonne personne pour occuper le poste. Elle n’était pas bilingue, mais il existait un moyen de l’exempter de cette exigence, pourvu qu’il n’y ait aucun autre candidat qualifié et bilingue.

32 En ce qui concerne les préoccupations de M. Kara, M. Alldridge a affirmé que le fait que Mme Gomes n’ait pas été jugée qualifiée pour inscription dans un bassin de spécialistes des politiques et des programmes (PM-05) n’était pas pertinent pour le poste de conseiller ministériel. Les qualifications se rapportant aux postes de spécialistes des politiques et des programmes n’étaient pas les mêmes que les qualifications pour le poste de conseiller ministériel.

33 La notification de la nomination intérimaire a été publiée après le départ à la retraite de M. Alldridge. Ce dernier a indiqué que la notification ne pouvait pas être publiée en janvier 2007, alors que la nomination intérimaire avait dépassé quatre mois, car il n’y avait aucun énoncé des critères de mérite (ECM). En octobre ou en novembre 2006, M. Alldridge a demandé qu’on embauche un consultant qui serait chargé de rédiger un ECM, ce qui allait permettre la tenue d’un processus annoncé. De cette façon, Mme Gomes pouvait être évaluée par rapport à l’ECM.

34 M. Alldridge n’a pas fourni de justification écrite quant à son choix d’une nomination au moyen d’un processus non annoncé. Il a ajouté qu’il ne savait pas que cela était obligatoire. Il savait qu’il pouvait utiliser un processus non annoncé pour une nomination intérimaire de moins de 12 mois.

35 Stéphane Larue, directeur général de la DGRC, a également témoigné. Il est en poste depuis la mi-août 2006. M. Larue a déclaré qu’un courriel avait été envoyé le 18 octobre 2006 pour clarifier le courriel indiquant que MmeGomes allait occuper le poste de conseillère ministérielle « pendant une période indéterminée [Traduction] ». Le courriel du 18 octobre expliquait qu’elle occuperait le poste de façon intérimaire jusqu’à la mi-novembre 2006.

36 En réponse à la question visant à déterminer pourquoi il n’y avait eu aucune notification de la nomination en janvier 2007, M. Larue a déclaré que la notification ne pouvait être publiée qu’après que l’ECM eut été élaboré et que Mme Gomes eut été évaluée. Le consultant embauché n’avait pas produit un ECM exact, il fallait donc le compléter au sein de la DGRC. M. Larue a évalué Mme Gomes à l’aide de son dossier d’employée, de son curriculum vitæ et de certains renseignements obtenus directement d’elle. Il a approuvé l’évaluation de Mme Gomes en le signant le 17 avril 2007. L’évaluation a confirmé que Mme Gomes répondait à tous les critères, à l’exception de l’exigence linguistique.

A) Argumentation des plaignants

37 Les plaignants allèguent que M. Alldridge a abusé de son pouvoir lorsqu’il a choisi d’utiliser un processus de nomination non annoncé pour nommer Mme Gomes au poste de conseillère ministérielle. Au moins trois employés de la DGRC (Mme Sabourin, Mme Wannamaker et Mme Rivera) avaient déjà assumé ces fonctions de façon intérimaire dans le passé, et on ne leur a pas donnée l’occasion d’exprimer leur intérêt.

38 Au moins 12 employés aux groupe et niveau PM-04 étaient bilingues, mais leur candidature n’a pas été prise en considération pour le poste bilingue de conseiller ministériel. Au moins quatre de ces employés étaient intéressés au poste (Mme Rivera, Mme Bacon-Séguin, Mme Sabourin et M. Robert).

39 À la suite du témoignage de M. Alldridge, il était évident qu’il ne comprenait ni le nouveau régime de dotation, ni les exigences liées au nouveau régime. Il ne connaissait pas le plan des ressources humaines. Il n’était pas au courant des lignes directrices de la CFP qui exigent une justification écrite pour l’utilisation d’un processus de nomination non annoncé. Il ne connaissait pas non plus les politiques ministérielles. Malgré tout, il a continué à soutenir que Mme Gomes était la bonne personne pour occuper le poste de conseillère ministérielle et n’a procédé à aucune évaluation de ses qualifications.

40 Il est incontestable que Mme Gomes ne répondait pas aux exigences linguistiques du poste en matière de bilinguisme. De plus, l’évaluation des autres qualifications de Mme Gomes n’a été effectuée que deux mois après la fin de sa nomination intérimaire. À ce moment, le directeur général avait préparé une longue évaluation écrite. Le gestionnaire d’embauche, M. Alldridge, a déclaré que Mme Gomes avait été évaluée par rapport à la description d’emploi du poste de conseiller ministériel chaque fois que la nomination avait été prolongée. Toutefois, il a admis que cette description d’emploi était complètement désuète; elle l’était tellement qu’il ne pouvait pas mener un processus de nomination annoncé.

41 En novembre 2006, le conseiller en ressources humaines, M. Kara, a exprimé des préoccupations en ce qui concerne les qualifications de Mme Gomes. Elle avait participé récemment à un processus visant à préparer un répertoire pour des postes PM-05, mais elle n’avait pas été jugée qualifiée.

42 L’intimé n’a pas agi de façon transparente pendant le processus. M. Robert a cherché à obtenir des renseignements dès septembre 2006 en ce qui concerne la durée de la nomination, mais il n’a reçu aucun renseignement à cet égard. En janvier 2007, M. Larue a admis que la nomination intérimaire dépassait les quatre mois, mais malgré tout, aucun renseignement n’a été communiqué. Bien que l’intimé admette maintenant qu’une erreur a été commise, cela ne suffit pas. L’intimé a contrevenu à la LEFP en n’affichant pas de notification de la nomination avant trois mois après que ladite nomination devienne assujettie au principe du mérite et au droit de recours, et en ne menant pas d’évaluation en temps opportun des qualifications de Mme Gomes. L’intimé a agi de mauvaise foi lorsqu’il a prolongé la nomination de Mme Gomes, et ce, malgré le fait que cette dernière ne répondait pas à une des qualifications essentielles. Il est impossible d’affirmer que Mme Gomes était l’unique candidate appropriée pour occuper le poste.

B) Argumentation de l’intimé

43 L’intimé soutient que, bien que les plaignants aient mentionné un certain nombre de nominations intérimaires obtenues par Mme Gomes, le Tribunal n’a compétence que pour procéder à l’examen des nominations qui ont eu lieu du 11 septembre 2006 au 26 février 2007, à savoir trois nominations de courte durée. Une notification était requise en date du 11 janvier 2007, puisqu’il y avait eu une nomination intérimaire continue de quatre mois ou plus. La nomination intérimaire du 27 février au 16 mars 2007 concernait un autre poste de conseiller ministériel et visait à remplacer une employée en vacances. Cette nomination ne doit donc pas être considérée comme une prolongation de la nomination intérimaire antérieure.

44 Le gestionnaire avait l’intention de nommer Mme Gomes de façon intérimaire pour une courte durée afin de remplacer une employée en congé de maladie. Cependant, il a fallu prolonger la nomination intérimaire à deux reprises et, lors de la deuxième prolongation en janvier 2007, la nomination a fait l’objet d’une plainte.

45 Le paragraphe 15(1) du REFP permet à un gestionnaire de nommer un employé unilingue à un poste bilingue pour une période ne dépassant pas 12 mois, à condition que le gestionnaire ne puisse pas doter le poste avec une personne possédant la qualification relative aux connaissances linguistiques.

46 En ce qui concerne le choix d’un processus non annoncé, les gestionnaires bénéficient d’une certaine latitude aux termes de l’article 33 de la LEFP; aucune préférence n’est accordée à un type de processus de nomination par rapport à un autre. M. Alldridge connaissait bien son unité, et il a conclu qu’il ne pouvait pas doter le poste avec une personne bilingue. Selon le paragraphe 30(4) de la LEFP, un gestionnaire n’est pas tenu de comparer les qualifications de la personne nommée avec celles des autres employés de l’unité. L’intimé a établi des critères pour les processus de nomination non annoncés; un des critères prévoit qu’un processus non annoncé peut être utilisé pour procéder à une nomination intérimaire d’une période pouvant atteindre jusqu’à 12 mois.

47 L’intimé ajoute qu’il existait une preuve convaincante que le poste ne pouvait pas être pourvu par une autre personne. Les autres employés étaient soit non disponibles, non intéressés ou non qualifiés. M. Robert n’était pas qualifié pour occuper le poste, et Mme Sabourin était en congé lorsque la nomination initiale a été faite.

48 Une fois que les gestionnaires se sont rendu compte qu’il fallait envoyer une notification aux employés faisant partie de la zone de recours, ils ont confié à un consultant la rédaction de l’énoncé des critères de mérite. Il y a eu des retards, et ils ont finalement dû préparer eux‑mêmes ce document. Cependant, le retard n’a eu aucune incidence sur le droit de recours des employés; ces derniers pouvaient tout de même présenter des plaintes.

49 Il existait une justification pour l’utilisation d’un processus de nomination non annoncé, même si cette justification n’a pas été consignée par écrit. Il s’agissait d’une omission, mais cette omission ne contrevenait pas à la législation; elle contrevenait plutôt aux lignes directrices. M. Alldridge a déclaré qu’il ne savait tout simplement pas qu’il devait fournir une justification écrite. Il savait qu’il pouvait utiliser un processus non annoncé pour une nomination intérimaire à court terme. Cependant, il ne savait absolument pas que la nomination devrait être prolongée deux fois en raison de la maladie de Mme Turner.

50 Finalement, l’intimé affirme qu’il incombait aux plaignants de démontrer que l’intimé a abusé de son pouvoir, ce qu’ils n’ont pas fait. L’abus de pouvoir constitue une allégation grave, et les plaignants doivent présenter une preuve claire et convaincante de l’abus, ce qui n’a pas été fait en l’espèce.

C) Argumentation de la Commission de la fonction publique

51 La Commission de la fonction publique (la CFP) a fourni des observations écrites sur le concept d’abus de pouvoir et sur la façon dont la CFP suggère que le Tribunal axe son approche à l’égard de l’abus de pouvoir. La CFP soutient que, pour prouver qu'il y a eu abus de pouvoir dans le cadre d'un processus de nomination, le Tribunal doit conclure qu'il y a eu intention illégitime de la part de l'intimé. Des erreurs ou des omissions ne constituent pas un abus de pouvoir, à moins qu'une partie ne puisse prouver qu'il y a eu « incurie ou insouciance grave » permettant de supposer que la personne a agi de mauvaise foi.

52 En ce qui concerne le cas en l’espèce, la CFP indique que le REFP prévoit des circonstances exceptionnelles lorsqu’aucune autre personne n’est disponible pour obtenir une nomination intérimaire à un poste bilingue. Pour se pencher sur cette question, le Tribunal doit déterminer si l’examen ou l’analyse du dossier des employés a eu lieu avec une incurie ou une insouciance si grave qu’on pourrait imputer la mauvaise foi au gestionnaire.

53 Pour ce qui est du choix du processus de nomination, M. Alldridge a décidé de mener un processus non annoncé. Selon l’article 16 de la LEFP, l’intimé est tenu de se conformer aux lignes directrices établies par la CFP, qui sont énoncées au paragraphe 29(3) de la LEFP, y compris aux Lignes directrices sur le choix du processus de nomination. Ces lignes directrices obligent les administrateurs généraux à « s'assurer qu'une justification écrite montre comment un processus non annoncé répond aux critères établis et respecte les valeurs de nomination ». L’intimé ne s’est pas conformé à cette partie des lignes directrices. Cependant, la CFP indique que pour conclure que l’erreur correspond à un abus de pouvoir, le Tribunal devrait déterminer que cette violation a été faite de mauvaise foi ou avec incurie. En ce qui concerne la qualification relative aux connaissances linguistiques, la CFP indique qu’elle prend très au sérieux les exigences en matière de langues officielles. Il aurait été préférable que le gestionnaire prépare un dossier écrit de son analyse ou de son examen des employés lorsqu’il a déterminé qu’aucune personne répondant aux exigences linguistiques du poste n’était qualifiée ou disponible pour une nomination.

Dispositions pertinentes de la législation et des lignes directrices

54 Les plaintes ont été présentées en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP), qui énonce les critères relatifs aux nominations faites selon le principe du mérite au paragraphe 30(2) de la LEFP. Ces dispositions sont les suivantes :

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

b) abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas; […]

30. (2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir; […]

(caractères gras ajoutés)

55 Le pouvoir de la CFP d’établir des lignes directrices est énoncé à l’article 16 et au paragraphe 29(3) de la LEFP, qui sont ainsi rédigés :

16. L’administrateur général est tenu, lorsqu’il exerce les attributions de la Commission visées à l’article 15, de se conformer aux lignes directrices visées au paragraphe 29(3).

29. (3) La Commission peut établir des lignes directrices sur la façon de faire et de révoquer les nominations et de prendre des mesures correctives.

56 Les dispositions suivantes du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, DORS/2005-334 (le REFP) portent sur les nominations intérimaires :

13. Lorsque les nominations ci-après sont faites ou proposées dans le cadre d’un processus de nomination interne, la Commission avise par écrit les personnes qui sont dans la zone de recours, au sens du paragraphe 77(2) de la Loi, du nom de la personne qu’elle propose ainsi de nommer ou qu’elle a ainsi nommée, selon le cas, de leur droit de porter plainte et des raisons pour lesquelles elles peuvent le faire :

a) la nomination intérimaire de quatre mois ou plus;

b) la nomination intérimaire portant la durée cumulative de la nomination intérimaire d’une personne à quatre mois ou plus.

(italique et caractères gras ajoutés)

14. (1) La nomination intérimaire de moins de quatre mois est soustraite à l’application des articles 30 et 77 de la Loi pourvu qu’elle ne porte pas la durée cumulative de la nomination intérimaire d’une personne à ce poste à quatre mois ou plus.

(2) Malgré le paragraphe (1), les dispositions de l’alinéa 30(2)a) de la Loi — quant à la compétence dans les langues officielles — s’appliquent à la nomination intérimaire de moins de quatre mois à un poste bilingue vacant dans les cas suivants :

a) la Commission est en mesure de combler ce poste par la nomination d’une personne qui possède la qualification de la compétence dans les langues officielles;

b) la durée cumulative des nominations intérimaires d’une ou de plusieurs personnes à ce poste est de quatre mois ou plus.

15. (1) Sous réserve du paragraphe (2), les nominations intérimaires de quatre mois ou plus mais d’au plus douze mois à tout poste bilingue non vacant que la Commission n’a pas été en mesure de combler par la nomination intérimaire d’une personne qui possède la qualification de la compétence dans les langues officielles prévue à l’alinéa 30(2)a) de la Loi sont soustraites à l’application de cet alinéa quant à la compétence dans les langues officielles.

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux nominations intérimaires à un même poste si la durée cumulative des nominations intérimaires d’une ou de plusieurs personnes à ce poste est de plus de douze mois.

16. (1) Sous réserve du paragraphe (2), les nominations intérimaires de quatre mois ou plus mais d’au plus dix-huit mois à tout poste bilingue dont le titulaire est en formation linguistique et que la Commission n’a pas été en mesure de combler par la nomination intérimaire d’une personne qui possède la qualification de la compétence dans les langues officielles prévue à l’alinéa 30(2)a) de la Loi sont soustraites à l’application de cet alinéa quant à la compétence dans les langues officielles.

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux nominations intérimaires à un même poste si la durée cumulative des nominations intérimaires d’une ou de plusieurs personnes à ce poste est de plus de dix-huit mois.

(caractères gras ajoutés)

57 Les dispositions suivantes des lignes directrices sur le choix du processus de nomination de la CFP et de CIC sont pertinentes :

Lignes directrices sur le choix du processus de nomination de la CFP

Exigences des lignes directrices

En plus d'être responsables du respect de l'énoncé des lignes directrices, les administrateurs généraux et les administratrices générales doivent :

  • respecter toute exigence et procédure mises en oeuvre pour administrer les droits de priorité des personnes (p. ex., l'utilisation obligatoire d'un répertoire);
  • établir un mécanisme de surveillance et d'examen des processus de nomination suivants :
    • les nominations intérimaires de plus de 12 mois;
    • la nomination d'employées ou d'employés occasionnels pour une période déterminée ou d'une durée indéterminée au moyen de processus non annoncés;
    • les nominations au groupe de la direction par des processus non annoncés;
  • établir et communiquer les critères régissant l'utilisation de processus non annoncés;
  • s'assurer que la justification écrite démontre comment un processus non annoncé respecte les critères établis et les valeurs en matière de nomination.
    • Cette exigence ne s'applique pas aux nominations intérimaires de moins de quatre mois, sauf si la même personne est nommée au même poste à titre intérimaire dans les 30 jours civils.

(caractères gras ajoutés)

Lignes directrices de CIC sur les critères relatifs aux processus de nomination non annoncés :

2. Éléments essentiels

2.1 Le choix d’un processus de nomination non annoncé doit respecter les exigences suivantes :

  1. Le plan opérationnel des ressources humaines de la direction générale/du bureau régional;
  2. Les critères établis par le ministère;
  3. Les lignes directrices de la CFP et du ministère sur le choix du processus de nomination;
  4. Les valeurs de nomination que sont l’équité, l’accessibilité et la transparence.

2.2 Les gestionnaires doivent fournir une justification écrite démontrant de quelle façon le processus de nomination non annoncé est cohérent par rapport aux exigences susmentionnées. Une justification écrite doit être préparée par le gestionnaire et doit être gardée dans le dossier de dotation. […]

(caractères gras ajoutés)

4. Processus de nomination internes non annoncés

Un processus de nomination interne non annoncé peut être utilisé dans les situations suivantes :

[…]

(h) Une nomination intérimaire d’une durée allant jusqu’à 12 mois. […}

[Traduction]

Analyse

Question I: L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a choisi un processus de nomination non annoncé?

58 Les plaignants affirment que l’intimé n’a pas fait preuve de transparence dans le cadre du présent processus de nomination et qu’il aurait dû prendre en considération la candidature d’autres employés. Toutefois, les gestionnaires possèdent le pouvoir discrétionnaire de choisir entre un processus annoncé et un processus non annoncé en vertu de l’article 33 de la LEFP, et le fait de prendre en compte une seule personne est autorisé expressément au paragraphe 30(4). Dans la décision Clout c. le Sous‑ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et al.,[2008] TDFP 0022, le Tribunal a déterminé ce qui suit :

[32] L’ancien système de mérite relatif obligatoire n’existe plus. Il existe un pouvoir discrétionnaire considérable en ce qui concerne les questions de dotation. Il est évident qu’en tant que délégataire de la CFP, un administrateur général dispose du pouvoir discrétionnaire qui lui permet de choisir entre un processus de nomination annoncé et non annoncé. En outre, le fait de prendre en considération une seule candidature, comme c’est la cas en l’espèce, relève aussi du pouvoir discrétionnaire autorisé expressément dans le paragraphe 30(4) de la LEFP.

[33] Cependant, cela ne signifie pas que la LEFP prévoit un pouvoir discrétionnaire absolu. L’alinéa 77(1)b) de la LEFP prévoit la possibilité de porter plainte directement pour motif d’abus de pouvoir en ce qui concerne le choix discrétionnaire entre un processus de nomination annoncé ou non annoncé.

[34] Le Tribunal a établi que le simple fait de choisir un processus non annoncé ne constitue pas un abus de pouvoir en soi. Le plaignant doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que la décision de mener un processus de nomination non annoncé constituait un abus de pouvoir. À cet égard, on peut consulter la décision Rozka et al. c. le Sous-ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration Canada et al., [2007] TDFP 0046.

59 Dans le préambule de la LEFP, on trouve l’objet de la Loi et on peut lire que la fonction publique se distingue par ses « pratiques d’emploi (...) transparentes ». Le Canadian Oxford Dictionary définit le terme « transparent », lorsqu’il est lié aux opérations et aux activités au sein du milieu des affaires et du gouvernement, comme étant « ouvert à l’examen du public » [Traduction]. Ainsi, dans les processus de nomination non annoncés, les personnes faisant partie de la zone de recours peuvent porter plainte au Tribunal en raison d’un abus de pouvoir. La LEFP exige que les personnes faisant partie de la zone de recours reçoivent une notification concernant les nominations faites ou proposées.

60 Les lignes directrices de la CFP garantissent également qu’il existe des pratiques d’emploi transparentes. Les lignes directrices sur la notification exigent que les personnes faisant partie de la zone de recours soient informées de leur droit de porter plainte. En ce qui concerne les processus de nomination non annoncés, les lignes directrices de la CFP exigent que les administrateurs généraux établissent et communiquent les critères relatifs à l’utilisation des processus non annoncés et exigent la présentation d’une justification écrite. Ces exigences visent à assurer qu’un rapport de décisions soit préparé.

61 Le Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique prévoit la communication de tous les renseignements pertinents à la plainte. C’est de cette façon que la LEFP et les lignes directrices connexes peuvent assurer des pratiques d’emploi transparentes. Et c’est la raison pour laquelle il est si important que les gestionnaires se conforment aux exigences de la législation.

62 M. Alldridge a déclaré qu’il ne connaissait pas les exigences relatives à une justification écrite, mais qu’il savait qu’un des critères pour l’utilisation d’un processus non annoncé se rapportait à une nomination intérimaire de moins de 12 mois. C’est pour cela qu’il a utilisé un processus non annoncé. Il a indiqué qu’il avait examiné la possibilité de nommer d’autres personnes au sein de la DGRC, mais que ces personnes étaient non disponibles, non intéressées ou pas assez qualifiées pour occuper le poste de conseiller ministériel.

63 En se fondant sur la preuve présentée, le Tribunal juge qu’au début, M. Alldridge devait affronter des circonstances imprévues. En effet, Mme Turner ne pouvait pas occuper le poste de conseillère ministérielle en septembre 2006 pour cause de maladie. Par conséquent, il a autorisé la nomination intérimaire de Mme Gomes pour une période de deux mois. En raison de la courte durée prévue de la nomination intérimaire, il a décidé de la nommer en utilisant un processus de nomination non annoncé.

64 En novembre 2006, on l’a informé de nouveau que Mme Turner ne serait pas disponible pour travailler pendant deux autres mois en raison de maladie. Il a donc décidé de prolonger la nomination intérimaire de Mme Gomes pour une autre période de deux mois, en utilisant de nouveau un processus non annoncé.

65 La deuxième nomination intérimaire a pris fin le 9 janvier 2007. À ce moment, la nomination en était à son quatrième mois d’affilée, ce qui rendait possible la présentation d’une plainte en vertu de l’article 77 de la LEFP. M. Alldridge affirme qu’il avait besoin de la stabilité qu’apporterait la prolongation de la nomination intérimaire de Mme Gomes jusqu’au retour de Mme Scott à son poste d’attache le 27 février 2007.

66 Une quatrième nomination intérimaire de Mme Gomes au poste de conseillère ministérielle a eu lieu le 28 février 2007, pour une période de trois semaines. Cette nomination avait pour but de remplacer une autre conseillère ministérielle, qui était en vacances annuelles. Le Tribunal juge que cette nomination intérimaire est assujettie aux dispositions de la LEFP, par l’entremise de l’article 13 du REFP. Mme Gomes a été nommée au poste de conseillère ministérielle, de sorte que la période cumulative de sa nomination intérimaire a été prolongée à quatre mois ou plus. Ainsi, cette nomination était également assujettie au paragraphe 30(2) et à l’article 77 de la LEFP.

67 Alors que le Tribunal a des préoccupations sérieuses (qui seront abordées ci‑dessous) quant au processus, la preuve ne soutient pas une constatation selon laquelle l’intimé aurait abusé de son pouvoir dans le choix d’un processus non annoncé. M. Alldridge devait faire face à des besoins temporaires à court terme en ce qui concerne les postes de conseillers ministériels. Les critères établis par CIC permettent d’utiliser des processus de nomination non annoncés dans des situations d’affectations intérimaires à court terme d’une durée de moins de 12 mois.

Question II: L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en agissant de mauvaise foi et en favorisant une employée qui ne répondait pas à toutes les qualifications essentielles liées poste?

68 Un certain nombre d’omissions ou d’erreurs graves sont survenues dans le cadre du processus de nomination en question. Le Tribunal a conclu que, globalement, les mesures prises par l’intimé correspondent à un abus de pouvoir.

(a) Absence de justifications écrites

69 Après avoir décidé d’utiliser un processus de nomination non annoncé, en trois occasions distinctes, M. Alldridge n’a pas rédigé de justification écrite concernant son choix de processus, ce qu’il aurait dû faire. En vertu du paragraphe 29(3) de la LEFP, la CFP peut établir des lignes directrices se rapportant à la façon de faire des nominations. Selon l’article 16 de la LEFP, les administrateurs généraux doivent se conformer à ces lignes directrices. Contrairement aux observations de l’intimé, il ne s’agit pas seulement d’une question de lignes directrices; en vertu de la LEFP, les administrateurs généraux et leurs gestionnaires délégataires ont clairement l’obligation de se conformer aux lignes directrices de la CFP établies en vertu du paragraphe 29(3).

70Aux termes des Lignes directrices sur le choix du processus de nomination de la CFP, M. Alldridge devait rédiger une justification écrite le 11 novembre 2006 pour démontrer de quelle façon le processus non annoncé respecte les critères établis et les valeurs de nomination. Cela n’a pas été fait. Par ailleurs, aucune justification écrite n’a été faite le 10 janvier 2007, date à laquelle la nomination intérimaire a été prolongée une deuxième fois. De plus, aucune justification écrite n’a été rédigée le 27 février 2007 pour la nomination intérimaire finale de Mme Gomes au poste de conseillère ministérielle.

71 L’exigence de fournir une justification écrite pour chaque processus de nomination non annoncé est aussi clairement énoncée dans les lignes directrices de CIC. Non seulement le gestionnaire doit-il démontrer de quelle façon la décision est conforme aux critères ministériels, mais en plus, la justification doit montrer de quelle façon la décision est conforme au plan des ressources humaines et aux valeurs de nomination. Comme il est indiqué ci‑dessus, la justification écrite constitue une des façons importantes de mettre en oeuvre des pratiques d’emploi transparentes. Le Tribunal juge que le fait de ne pas rédiger une justification écrite à trois occasions distinctes démontre la grande insouciance du gestionnaire. Le Tribunal considère que l’absence de justification écrite équivaut à une omission grave dans le cadre de ces processus de nomination.

(b) Absence d’énoncé des critères de mérite

72 La pierre angulaire d’un processus de nomination dans la fonction publique est l’énoncé des critères de mérite (l’ECM). Le candidat ou les candidats doivent être évalués en fonction de l’ECM afin de déterminer si une nomination est conforme au principe du mérite. La preuve présentée en l’espèce montre qu’une demande a été faite en octobre ou en novembre 2006, afin qu’un consultant soit embauché pour rédiger un ECM à jour lié au poste de conseiller ministériel. Cependant, l’ECM n’était pas prêt avant avril 2007.

73 Le motif invoqué pour ne pas avoir affiché de notification concernant la nomination ou pour ne pas avoir préparé une évaluation en temps opportun de Mme Gomes était qu’il n’existait aucun ECM à jour pour le poste. En janvier 2007, les gestionnaires savaient qu’ils devaient afficher une notification concernant la nomination intérimaire et qu’ils devaient évaluer Mme Gomes. Ces exigences ne sont pas nouvelles – des obligations semblables étaient énoncées dans l’ancienne LEFP. Même si le consultant n’a pas fourni d’ECM à jour avant janvier, M. Alldridge, en tant que directeur expérimenté de la DGRC, était en mesure de déterminer les qualifications requises pour les postes de conseillers ministériels. Le Tribunal considère que, compte tenu des circonstances, le fait de ne pas avoir d’ECM à jour en janvier 2007 constituait une omission grave.

(c) Évaluation par rapport aux critères de mérite

74 Il n’existe aucune preuve évidente que Mme Gomes a été évaluée par rapport aux critères de mérite du poste de conseiller ministériel en janvier 2007. En fait, M. Larue a fourni des preuves que Mme Gomes ne pouvait pas être évaluée avant que l’ECM soit prêt en avril 2007. Par conséquent, l’intimé a omis de fournir une preuve suffisante selon laquelle, au moment où la nomination intérimaire est devenue assujettie au paragraphe 30(2) et à l’article 77 de la LEFP en janvier 2007, Mme Gomes possédait les qualifications essentielles du poste.

75 En novembre 2006, c’est-à-dire avant la première prolongation de la nomination intérimaire, M. Kara, conseiller en ressources humaines, a soulevé des préoccupations en ce qui concerne la prolongement de la nomination intérimaire de Mme Gomes. À ce moment, M. Kara a posé des questions concernant les qualifications de Mme Gomes et les préoccupations de M. Robert. M. Kara a suggéré plusieurs solutions de remplacement à la prolongation de la nomination intérimaire de Mme Gomes. Les préoccupations de M. Kara ont été rejetées par les gestionnaires.

76 Dans la décision Cameron et Maheux c. l’Administrateur général de Service Canada et al., [2008] TDFP 0016, le Tribunal a déterminé que l’absence d’évaluation des critères de mérite constituait un abus de pouvoir, car le gestionnaire délégataire s’était appuyé sur des documents insuffisants :

[85] En l’espèce, l’intimé n’a pas déposé en preuve des documents qui auraient pu étayer les motifs de sa décision, soit le rapport d’évaluation et le curriculum vitae de Mme Bouchard. Tel qu’établi dans la décision Rinn, pour qu’une nomination soit fondée sur le mérite, la personne nommée doit posséder les qualifications essentielles. La prépondérance de la preuve amène le Tribunal à conclure que l’intimé n’a pas procédé à une évaluation adéquate des critères de mérite et que, par conséquent, il ne s’est pas acquitté de ses obligations en vertu de la LEFP.

[86] Le Tribunal conclut que l’intimé a abusé de son pouvoir en se fondant sur des éléments insuffisants pour proroger la nomination intérimaire de Mme Bouchard et en procédant à cette nomination bien qu’elle ne fût pas fondée sur le mérite.

77 M. Larue, directeur général, a effectué une évaluation écrite de Mme Gomes le 17 avril 2007, c’est-à-dire environ quatre mois après que la nomination devienne assujettie au principe du mérite et au droit de recours, et un mois après la fin de la nomination intérimaire. Le Tribunal juge que l’intimé a commis une erreur lorsqu’il a omis d’effectuer une évaluation en temps opportun des qualifications de Mme Gomes le 10 janvier 2007. Il s’agissait d’une autre omission grave, qui démontre l’insouciance dont a fait preuve l’intimé.

(d) Qualification liée aux compétences linguistiques et absence d’une analyse écrite

78 Mme Gomes ne répondait pas à la qualification liée aux compétences linguistiques du poste de conseiller ministériel. Ce fait n’est pas contesté. Toutefois, l’intimé s’appuie sur une exemption de l’obligation de répondre à la qualification liée à la maîtrise des langues officielles énoncée aux articles 14 à 16 du REFP.

79 Selon le REFP, le principe du mérite et le droit de recours ne s’appliquent pas aux nominations intérimaires de moins de quatre mois, sauf que la qualification liée à la maîtrise des langues officielles s’applique à un poste bilingue vacant dans certaines circonstances. Le paragraphe 15(1) prévoit une exception dans le cas d’un poste bilingue doté. En effet, une personne unilingue peut être nommée pour une certaine période qui ne dépasse pas 12 mois lorsque le poste ne peut pas être pourvu avec un employé bilingue.

80 Par conséquent, l’intimé doit être en mesure de convaincre le Tribunal que, le 10 janvier 2007, son gestionnaire délégataire, M. Alldridge, a été incapable de doter le poste en y plaçant une personne qui possédait la qualification liée aux compétences linguistiques pour le poste de conseiller ministériel.

81 Le Tribunal juge que l’intimé ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait de montrer qu’il ne pouvait pas doter le poste en y plaçant un employé bilingue. Le Tribunal conclut qu’au moins 13 employés de la DGRC aux groupe et niveau PM-04 étaient bilingues, dont un grand nombre avaient déjà assumé des fonctions aux groupe et niveau PM-05 de façon intérimaire.

82 Au moins quatre employés de la DGRC étaient bilingues, qualifiés et intéressés par le poste. Selon M. Alldridge, les superviseurs de Mmes Séguin Bacon et Rivera ne les auraient pas laissées aller occuper un poste dans une autre section. Il a déclaré que la section de la Gestion des litiges était surchargée de travail et que le travail ne cessait d’augmenter. Il a ajouté que le superviseur de Mme Rivera ne voulait pas la laisser partir en affectation, car on lui avait permis de se rendre à Nairobi en octobre 2006.

83 Sur ce point, le témoignage de M. Alldridge n’est pas corroboré. Mme Séguin Bacon a indiqué que bien qu’il soit généralement vrai de déclarer que les gestionnaires n’accordaient pas d’affectations à ce moment, certains de ses collègues ont pu accepter des affectations. La preuve documentaire présentée à l’audience montre qu’on a permis à Mme Rivera d’aller à Nairobi en février 2007. Mme Rivera a indiqué qu’elle était revenue de son congé annuel le 5 janvier 2007. Bien que M. Alldridge ait pu croire que Mme Séguin Bacon et Mme Rivera n’étaient pas disponibles pour cette nomination intérimaire, cela ne constitue pas une preuve. Après avoir examiné la preuve présentée à l’audience, le Tribunal juge que l’intimé n’a pas réussi à prouver que les superviseurs avaient refusé de laisser ces employées obtenir une nomination intérimaire au poste de conseillère ministérielle le 10 janvier 2007.

84 M. Larivière possédait la qualification liée aux compétences linguistiques pour le poste de conseiller ministériel. M. Alldridge a déclaré que le motif pour lequel la candidature de M. Larivière n’a pas été prise en considération en ce qui concerne la possibilité d’affectation intérimaire était qu’il travaillait depuis peu de temps à la DGRC. M. Larivière a commencé à travailler pour la DGRC en avril 2006. Le 10 janvier 2007, M. Larivière avait une expérience de neuf mois au sein de la DGRC, et il ne pouvait plus être considéré comme un employé qui a commencé à travailler récemment pour la direction générale.

85 Il convient de noter qu’en avril 2007, Mme Séguin Bacon et M. Larivière avaient été jugés qualifiés pour obtenir des affectations intérimaires à titre de conseiller ministériel.

86 La quatrième personne, Mme Sabourin, a affirmé que le poste l’intéressait à l’automne 2006 et qu’elle serait revenue de son congé pour occuper ce poste intérimaire. M. Alldridge a admis qu’elle était entièrement compétente pour être nommée. Cependant, selon M. Alldridge, Mme Sabourin n’était pas intéressée par le poste. M. Alldridge a admis qu’il n’avait pas parlé à Mme Sabourin au sujet de la nomination intérimaire avant de nommer Mme Gomes le 10 janvier 2007. Le Tribunal tient pour avéré que M. Alldridge n’a pas demandé à Mme Sabourin si le poste l’intéressait.

87 M. Alldridge a expliqué qu’il avait effectué une « analyse sommaire » des employés de la DGRC aux groupe et niveau PM-04 chaque fois que la nomination intérimaire était prolongée. Aucune preuve écrite n’atteste que cela a été fait comme il a été prétendu. Même si le Tribunal convient que M. Alldridge a effectué une analyse sommaire chaque fois, les faits démontrent que, du moins en ce qui concerne la décision de prolonger la nomination prise le 10 janvier 2007, M. Alldridge a omis de recueillir les renseignements pertinents concernant Mme Sabourin, Mme Rivera, Mme Séguin Bacon et M. Larivière. Cette absence de diligence raisonnable a eu des conséquences graves et déplorables sur cette activité de dotation. Si M. Alldridge avait effectué une analyse en bonne et due forme, il se serait rendu compte qu’au moins quatre employés bilingues auraient pu être disponibles et intéressés. Compte tenu des obligations imposées à l’intimé au paragraphe 15(1) du REFP, le Tribunal juge que l’intimé n’a pas réussi à démontrer qu’il ne pouvait pas doter le poste en y plaçant une personne qui possédait la qualification liée aux compétences linguistiques.

88 Dans la décision Rinn c. le Sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités et al., [2007] TDFP 0044, le Tribunal a énoncé les principes fondamentaux suivants :

[35] Le mérite est maintenant lié au mérite individuel; pour être nommée, la personne doit répondre aux qualifications essentielles se rapportant au travail à effectuer. Il existe une latitude considérable pour choisir la personne qui fera l’objet d’une nomination. Cependant, l’exigence fondamentale pour nommer une personne sur la base du mérite est que la personne doit être qualifiée pour le poste.

[38] Le paragraphe 30(1) de la LEFP indique clairement que les nominations doivent être fondées sur le mérite. De son côté, le paragraphe 30(2) établit les critères permettant de procéder à une nomination fondée sur le mérite. (…) Le recours prévu à l’alinéa 77(1)a) de la LEFP porte sur cette question en matière de nomination, nommément, si la nomination ou la nomination proposée est fondée sur le mérite. Ce n’est pas une question liée à une intention illégitime. Si la personne nommée ne répond pas aux qualifications essentielles, peu importe l’intention, la nomination n’est pas fondée sur le mérite. […]

89 Mme Gomes ne possédait pas la qualification linguistique nécessaire pour occuper le poste le 10 janvier 2007. Par conséquent, sa nomination n’était pas fondée sur le mérite, et le Tribunal juge que l’intimé a abusé de son pouvoir en la nommant au poste en question.

(e) Notification inappropriée

90 Finalement, au moment où la nomination intérimaire de Mme Gomes est devenue assujettie à un recours en vertu de l’article 77 de la LEFP le 10 janvier 2007, aucune notification de la nomination n’a été faite comme l’exige l’article 13 du REFP. L’article 13 du REFP exige que les personnes faisant partie de la zone de recours soient informées du nom de la personne nommée, ainsi que de leur droit de présenter une plainte et les motifs relatifs à celle‑ci. Les deux gestionnaires étaient bien au courant que la nomination intérimaire de Mme Gomes était contestée par M. Robert, et qu’elle l’était depuis septembre 2006. Malgré les préoccupations soulevées, l’intimé a aggravé la situation en omettant de notifier les employés le 10 janvier 2007. Pour expliquer cette omission, on a indiqué qu’il n’y avait aucun ECM à jour. La notification a finalement été affichée le 13 avril 2007. Le Tribunal estime que le fait de ne pas avoir notifié les personnes faisant partie de la zone de recours en temps opportun constituait une autre omission en l’espèce.

91 Dans la décision Finney c. Barreau du Québec, [2004] 2 R.C.S. 17, [2004] A.C.S. No 31 (QL), la Cour suprême indique qu’il n’est pas nécessaire de montrer qu’il y a eu une faute intentionnelle pour prouver qu’il y a eu de la mauvaise foi, et qu’il faut interpréter les faits de façon plus large afin d’inclure l’incurie ou l’insouciance grave. Au paragraphe 39, la Cour suprême déclare ce qui suit (version QL) :

39. Ces difficultés montrent néanmoins que la notion de mauvaise foi peut et doit recevoir une portée plus large englobant l’incurie ou l’insouciance grave. Elle inclut certainement la faute intentionnelle, dont le comportement du procureur général du Québec, examiné dans l’affaire Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, représente un exemple classique. Une telle conduite constitue un abus de pouvoir qui permet de retenir la responsabilité de l’État ou parfois du fonctionnaire. Cependant, l’insouciance grave implique un dérèglement fondamental des modalités de l’exercice du pouvoir, à tel point qu’on peut en déduire l’absence de bonne foi et présumer la mauvaise foi. L’acte, dans les modalités de son accomplissement, devient inexplicable et incompréhensible, au point qu’il puisse être considéré comme un véritable abus de pouvoir par rapport à ses fins. (Dussault et Borgeat, op. cit., p. 485). […]

92 Après avoir examiné la série de nominations intérimaires de Mme Gomes et les nombreuses erreurs et omissions de l’intimé, le Tribunal conclut que le gestionnaire délégataire a agi avec une telle insouciance grave que ses actions constituent de la mauvaise foi. Par conséquent, le Tribunal juge que l’intimé a abusé de son pouvoir en agissant de mauvaise foi et en nommant une personne qui ne possédait pas toutes les qualifications essentielles liées au poste.

93 Bien que les plaignants aient soulevé la question du favoritisme pendant l’audience, le Tribunal estime qu’il n’existe aucune preuve de favoritisme personnel en l’espèce qui pourrait constituer un abus de pouvoir tel que décrit dans la décision Glasgow c. le Sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada, [2008] TDFP 0007.

Décision

94 Pour les motifs invoqués ci-dessus, les plaintes sont jugées fondées.

Mesures correctives

95 Le pouvoir du Tribunal en matière de mesures correctives est décrit au paragraphe 81(1) de la LEFP, qui est ainsi rédigé :

81. (1) S’il juge la plainte fondée, le Tribunal peut ordonner à la Commission ou à l’administrateur général de révoquer la nomination ou de ne pas faire la nomination, selon le cas, et de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées.

96 Les plaignants ont demandé que le Tribunal fasse une déclaration indiquant que l’intimé a abusé de son pouvoir. Ils n’ont demandé ni la révocation de la nomination, ni une autre mesure corrective quelconque. En l’espèce, la personne nommée avait obtenu une nomination intérimaire d’une durée de six mois prenant fin en mars 2007. Le gestionnaire, M. Alldridge, a pris sa retraite de la fonction publique. Au début dd’avril 2007, CIC a mené un processus de nomination annoncé pour des nominations intérimaires à court terme au poste de conseiller ministériel. En raison de ces circonstances, aucune révocation ni aucune autre mesure corrective ne doit être ordonnée.

Helen Barkley

Membre

Parties au dossier

Dossiers du Tribunal:
2007-0024, 0182 et 0187
Intitulé de la cause:
Yves-Cyrille Robert et Heidi Sabourin et le Sous-ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et al.
Audience:
Les 17 et 18 October 2007
et les 30 et 31 janvier 2008
Ottawa (Ontario)
Date des motifs:
Le 25 septembre 2008

Comparutions:

Pour le plaignant:
Fred Sadori
Pour l'intimé:
Karl Chemsi
Pour la Commission
de la fonction publique:
John Unrau
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.