Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés travaillaient comme avocats au ministère de la Justice - ils ont contesté leurs transferts les ayant empêchés de faire partie du Bureau du directeur des poursuites pénales nouvellement créé - leur grief n’a pas été renvoyé au dernier palier du processus de règlement des griefs dans le délai prescrit - les fonctionnaires s’estimant lésés ont présenté une demande de prorogation du délai - le vise-président, occupant à titre intérimaire le poste de président, a conclu que les critères justifiant une prorogation de délai étaient satisfaits. Demande accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-01-29
  • Dossier:  568-02-178 et 179
  • Référence:  2009 CRTFP 11

Devant le président


ENTRE

CHRISTIAN JARRY ET CONSTANTINA ANTONOPOULOS

demandeurs

et

CONSEIL DU TRÉSOR (MINISTÈRE DE LA JUSTICE)

défendeur

Répertorié
Jarry et Antonopoulos c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice)

Affaire concernant une demande visant la prorogation d’un délai visée à l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Marie-Josée Bédard, vice-présidente

Pour les demandeurs:
Marissa Pollock, avocate

Pour le défendeur :
Cécile La Bissonière, conseillère en représentation de l’employeur

Décision rendue sur la base d’arguments écrits,
déposés le 31 janvier, le 25 février, le 11 mars, le 31 octobre,
le 21 novembre et le 8 décembre 2008.
(Traduction de la CRTFP)

I. Demande devant le président

1 Christian Jarry et Constantina Antonopoulos (les « fonctionnaires s’estimant lésés »), qui sont membres de l’Association des juristes du ministère de la Justice (l’« agent négociateur »), ont chacun déposé un grief le 15 janvier 2007. Leurs griefs n’ont pas été renvoyés au dernier palier de la procédure de règlement des griefs dans le délai prescrit. Le 23 novembre 2007, ils ont demandé, par l’entremise de leur avocate, une prorogation de ce délai à l’employeur, qui a refusé le 7 janvier 2008. Le 31 janvier 2008, ils ont présenté, à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »), une demande visant une prorogation du délai de présentation des griefs des fonctionnaires s’estimant lésés au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

2 Le 25 février 2008, l’employeur a fourni sa réponse à la demande, indiquant qu’il était opposé à celle-ci. Le 11 mars 2008, les fonctionnaires s’estimant lésés ont soumis une réfutation. Le 31 octobre 2008 et le 21 novembre 2008, l’employeur a présenté des observations additionnelles et, le 8 décembre 2008, les fonctionnaires s’estimant lésés ont eux aussi soumis des observations additionnelles. Parallèlement à cet échange de correspondance et en dépit de son refus d’accorder une prorogation du délai, l’employeur a répondu au grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 28 août 2008. Dans sa réponse, il rejetait le grief sur le fond et a réitéré que le renvoi des griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs s’était fait en dehors du délai prescrit. Le 8 octobre 2008, les fonctionnaires s’estimant lésés ont renvoyé leurs griefs à l’arbitrage.

3 En vertu de l’article 45 de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), le président m’a autorisée, en ma qualité de vice-présidente, à exercer tous ses pouvoirs ou à m’acquitter de toutes ses fonctions en application de l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement »), pour entendre et trancher toute question de prorogation de délai.

4 La présente décision porte uniquement sur la demande de prorogation de délai.

II. Contexte des griefs

5 Les fonctionnaires s’estimant lésés, qui sont des avocats qui travaillent à Montréal, faisaient anciennement partie du Service fédéral des poursuites (le « SFP »). En décembre 2006, le SFP a été démantelé, auquel moment on a fondé le Bureau du directeur des poursuites pénales  (le « BDPP »). Au moment de la création du BDPP, les avocats qui faisaient partie du SFP y ont été transférés. Les fonctionnaires s’estimant lésés allèguent qu'avant la création du BDPP, ils, ensemble avec un groupe d’avocats de Toronto, ont été « mutés depuis » le SFP et, par conséquent, sont demeurés au ministère de la Justice quand a été fondé le BDPP.

6 Les fonctionnaires s’estimant lésés et les avocats de Toronto, qui étaient dans la même situation, ont déposé un grief le 15 janvier 2007, contestant leur présumée mutation unilatérale depuis le SFP, qui a eu pour effet qu’ils n’ont pas été mutés au BDPP lorsqu’il a été créé. Les fonctionnaires s’estimant lésés prétendent que le fait pour eux d’être restés au ministère de la Justice a eu un impact négatif sur leurs possibilités de travail et sur leur avancement professionnel. Dans sa lettre datée du 31 janvier 2008, l’avocate des fonctionnaires s’estimant lésés a remis en question la « mutation » comme suit :

[Traduction]

[…]

Dans leurs griefs, les fonctionnaires s’estimant lésés à Toronto et à Montréal allèguent notamment que la « mutation » s’est faite pour contourner l’intention et l’application de la Loi fédérale sur la responsabilité, en vertu de laquelle tous les employés du SFP devaient automatiquement devenir des membres du BDPP. Ils affirment, par ailleurs dans les griefs, que le présumé retrait de ces avocats du SFP à la veille de la création du BDPP représentait un traitement différent injustifié qui a eu un impact négatif sur eux, comparé à la majorité de leurs collègues dont les possibilités de travail n’étaient pas aussi limitées par la suite du fait qu'ils continuaient à faire partie du BDPP. Finalement, les fonctionnaires s’estimant lésés soutiennent, dans leurs griefs, que leur présumée mutation était contraire à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, qui interdit le déploiement de personnes sans leur consentement et que cette présumée mutation était également contraire à la note de service en date du 22 août 2006 du sous-ministre qui précisait que « les avocats régionaux s’occupant exclusivement de litiges pour le Groupe d’entraide internationale (GEI) » demeureraient au ministère de la Justice. Aucun des fonctionnaires s’estimant lésés à Montréal ou à Toronto ne s’occupait exclusivement de litiges pour le GEI, au moment pertinent.

[…]

7 Même s’il n’a pas contesté le fait que les fonctionnaires s’estimant lésé n’avaient pas été mutés au BDPP, l’employeur a donné sa version des événements :

Extrait de la lettre datée du 25 février 2008 :

[Traduction]

[…]

Ces trois avocats travaillaient pour le secteur de l’extradition à Montréal. Avant la création du Bureau du directeur des poursuites pénales en décembre 2006, l’employeur a maintenu ce secteur au sein du ministère de la Justice du Canada.

Ces fonctionnaires s’estimant lésés ont déposé des griefs parce qu’ils n’avaient pas été transférés au Bureau du directeur des poursuites pénales nouvellement créé, puisqu’ils sont restés au ministère de la Justice.

[…]

Extrait de la lettre datée du 20 novembre 2008 :

[Traduction]

[…]

Voici un petit historique de la situation.

Le 11 avril 2006, le gouvernement du Canada a déposé la Loi fédérale sur l’imputabilité. Cette loi a reçu la sanction royale le 12 décembre 2006. C'était la date d'entrée en vigueur de la Loi sur le directeur des poursuites pénales et la date de création du Bureau du directeur des poursuites pénales (BDPP), qui était indépendant du ministère de la Justice. Certains avocats de l’ancien Service fédéral des poursuites du ministère de la Justice ont été transférés au nouveau Bureau du directeur des poursuites pénales, sauf les plaignants de Montréal et certains avocats de Toronto, qui sont demeurés au ministère de la Justice.

[…]

8 Les fonctionnaires s’estimant lésés à Montréal et à Toronto ont également déposé une plainte ne vertu de l’article 190 de la Loi.

III. Faits pertinents concernant les délais

9 La demande de prorogation a trait au délai fixé pour le renvoi des griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Il n’est pas contesté que les griefs ont été déposés initialement dans le délai prescrit au premier palier de la procédure de règlement des griefs.

10 L’alinéa 68(2)a) du Règlement précise qu’un grief peut être présenté successivement à chaque palier « au plus tard, [si le fonctionnaire s’estimant lésé] a reçu une décision du palier immédiatement inférieur, 15 jours après l’avoir reçue […] ». Dans sa lettre du 31 janvier 2008, l’avocate des fonctionnaires s’estimant lésés a décrit comme suit le déroulement des événements qui l’ont amenée à présenter la demande de prorogation :

[Traduction]

[…]

(ii) Premier palier de la procédure de règlement des griefs

Du fait que les griefs à Toronto et à Montréal résultaient des mêmes faits et soulevaient des questions identiques, les parties ont convenu qu’ils devraient tous être traités ensemble en tant que groupe unique. Le grief a été instruit au premier palier de la procédure de règlement des griefs le 22 mars 2007. À cette occasion, l’employeur était représenté par Terrance McCauley, du bureau régional de l’Ontario, et par Solange Marion, du bureau régional du Québec.

(iii) Réponse de l’employeur au premier palier

L’employeur a rejeté les griefs au premier palier. À l’issue de discussions entre moi-même et Terrance McCauley, on a décidé qu’on sauterait le deuxième palier de la procédure de règlement des griefs et que les griefs devraient être renvoyés directement au dernier palier. Le grief devait être instruit au dernier palier le 2 novembre 2007, mais son instruction a fini par être ajournée en raison de la tenue de discussions dans le cadre d’une médiation visant à régler la plainte déposée en vertu de l’article 190 mentionnée plus haut. Dans le cadre de la médiation, les parties tentaient de résoudre à la fois la plainte déposée en vertu de l’article 190 et les griefs de Toronto et de Montréal. Les fonctionnaires s’estimant lésés à Montréal ont participé à la médiation par téléconférence le 18 octobre 2007.

2. Découverte d’une erreur dans la communication des griefs

Le 22 octobre 2007, l'avocat de l’AJMJ a reçu un courriel de l’employeur en rapport avec l’instruction au dernier palier du grief qui, à ce moment-là, était fixée au 2 novembre 2007. Le courriel mentionnait uniquement les fonctionnaires s’estimant lésés de Toronto et ne parlait pas de ceux de  Montréal. Il est apparu ensuite que l’employeur s’attendait à ce que l’instruction au dernier palier porte uniquement sur les griefs de Toronto, et non pas sur ceux de Montréal, parce que l’employeur avait uniquement reçu les formules de renvoi des griefs au prochain palier des fonctionnaires s’estimant lésés à Toronto. L’AJMJ a enquêté et a découvert que, même si les formules de renvoi des griefs avaient été remplies en bonne et due forme le 15 mai 2007, elles n’avaient pas été communiquées à l’employeur. Malheureusement, lorsque les formules de renvoi ont été envoyées par télécopieur à l’avocat de l’AJMJ au nom des fonctionnaires s’estimant lésés à Montréal, l’avocat pensait que l’employeur en avait déjà reçu des copies et ne les a pas transmises à ce dernier. Cette erreur a été découverte six mois après que le délai de communication des formules de renvoi des griefs était échu, juste avant l'instruction prévue des griefs.

Lorsqu’elle a été informée de cette erreur, l’AJMJ a communiqué avec l’employeur et a demandé une prorogation du délai. Après plusieurs échanges de correspondance, l’employeur a informé le syndicat le 7 janvier 2008 que la demande avait été rejetée.

[Les passages en gras le sont dans l’original]

11 L’employeur ne conteste pas les faits, mais sa représentante a ajouté les éléments suivants :

  • le 20 avril 2007, les fonctionnaires s’estimant lésés ont reçu une réponse à leurs griefs au premier palier;
  • le 15 mai 2007, les fonctionnaires s’estimant lésés ont soumis leurs formules de renvoi des griefs à la signature d’une gestionnaire par intérim, mais ne lui ont pas fourni de copies des formules de renvoi;
  • le 14 juin 2007, un conseiller en relations de travail a informé l’avocate des fonctionnaires s’estimant lésés que les griefs envoyés par le bureau régional de Toronto avaient été reçus;
  • le 23 octobre 2007, l’employeur a informé l’agent négociateur qu’il considérait que les fonctionnaires s'estimant lésés à Montréal avaient renoncé à leurs griefs;
  • le 28 janvier 2008, l’employeur a reçu les formules de renvoi des griefs des fonctionnaires s’estimant lésés.

12 L’employeur fait valoir qu’étant donné que les fonctionnaires s’estimant lésés ont reçu la réponse de l’employeur le 20 avril 2007, ils avaient jusqu’au 6 mai 2007 pour présenter leurs griefs au dernier palier. Ainsi, quand ils ont signé leurs formules de renvoi des griefs le 15 mai 2007, et les ont communiquées à leur avocate, le délai était déjà échu.

13 Dans sa lettre du 11 mars 2008 adressée à la Commission, qui était une réponse à la lettre de l’employeur datée du 25 février 2008, l’avocate des fonctionnaires s’estimant lésés ajoutait les faits suivants :

[Traduction]

[…]

Nous avons représenté les fonctionnaires s’estimant lésés lors de l’instruction des griefs au premier palier le 22 mars 2007. La décision refusant les griefs déposés par les fonctionnaires s’estimant lésés à Toronto au premier palier nous a été communiquée le 3 mai 2007 par Terrence McAuley. Le délai de présentation des formules de renvoi des griefs était donc le 17 mai 2007. Même si les décisions rejetant les griefs des fonctionnaires s’estimant lésés à Montréal au premier palier étaient datées du 20 avril 2007, nous ne les avons pas reçues avant le 14 mai 2007 de  Micheline Van Erum. Quoi qu’il en soit, du fait que les fonctionnaires s’estimant lésés à Toronto et à Montréal devaient être traités comme un groupe unique, comme en avait convenu les deux parties, l’AJMJ a décidé que le délai de présentation des formules de renvoi des griefs pour tous les griefs était le 17 mai 2007.

Il est important de noter que le 10 mai 2007, nous avons envoyé à Terrence McCauley et à Solange Marion, les représentants de l’employeur pour le bureau régional de l’Ontario et le bureau régional du Québec, respectivement, un courriel qui renfermait notamment l’affirmation suivante :

En outre, veuillez noter que nous supposons que tout délai applicable commencerait au moment où nous avons reçu les réponses et les formules de renvoi, soit le 17 mai 2007.

Une copie de ce courriel est jointe à la présente en tant qu’annexe « A ». Une copie de ce courriel a été envoyée à tous les fonctionnaires s’estimant lésés à Toronto et à Montréal. L’employeur n’a pas contredit ou corrigé cette affirmation.

[…]

Le 15 mai 2007, nous avons reçu les formules de renvoi des griefs des fonctionnaires s’estimant lésés à Montréal. Ces formules de renvoi n’ont pas été communiquées à l’employeur, parce qu’on a supposé à tort que l’employeur les avait déjà reçues. C’est seulement le 23 octobre 2007 que l’on a découvert cette erreur.

[…]

[Le passage souligné l’est dans l’original]

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

14 L’avocate des fonctionnaires s’estimant lésés insiste sur le fait que le respect du délai de présentation des griefs à l’étape initiale du dépôt de ceux-ci ne soulève aucun litige. En ce qui concerne le renvoi des griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, elle affirme que les fonctionnaires s’estimant lésés avaient communiqué les formules de renvoi dans le délai prévu, mais à cause d’une erreur administrative, les formules de renvoi n’ont pas été transmises à l’employeur. L’avocate des fonctionnaires s’estimant lésés affirme en outre que cette erreur a seulement été découverte peu avant que les parties doivent se réunir pour l’instruction des griefs au dernier palier de la procédure. Dans sa lettre en date du 31 janvier 2008, l’avocate des fonctionnaires s’estimant lésés a déclaré ceci :

[Traduction]

Aucun des fonctionnaires s’estimant lésés à Montréal n’a jamais eu l’intention de renoncer à son grief. En réalité, les fonctionnaires s’estimant lésés à Toronto et à Montréal demeurent des plaignants dans le contexte de la plainte déposée en vertu de l’article 190 à la Commission et qui découle des mêmes faits que ceux qui ont donné lieu aux griefs à Toronto et à Montréal. Les fonctionnaires s’estimant lésés à Montréal n’ont jamais rien fait pour suggérer aux gestionnaires dont ils relevaient ou à quiconque d’autre qu’ils ne contestaient plus les gestes posés par l’employeur.

15 L’avocate des fonctionnaires s’estimant lésés suggère que la Commission devrait exercer son pouvoir discrétionnaire aux termes de l’article 61 du Règlement et accorder la prorogation demandée. Dans sa lettre datée du 31 janvier 2008, l’avocate des fonctionnaires s’estimant lésés a précisé que la Commission examine habituellement les facteurs suivants lorsqu’elle cherche à déterminer s’il y a lieu d’accorder une prorogation :

  • le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
  • la durée du retard;
  • la diligence raisonnable du demandeur;
  • l’équilibre entre l’injustice causée au demandeur et le préjudice que subit le défendeur si la prorogation est accordée;
  • les chances de succès du grief.

16 L’avocate des fonctionnaires s’estimant lésés a ajouté que le poids à accorder à chaque facteur dépend des circonstances de chaque cause [traduction] « […] dans une optique d’équité procédurale et de justice pour chaque partie ».

17 Appliquant ces facteurs en l’espèce, l’avocate des fonctionnaires s’estimant lésés a soutenu ce qui suit :

[Traduction]

(i) Les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait preuve de diligence après la découverte du retard

Tel que noté, le retard était dû à une erreur administrative. Les fonctionnaires s’estimant lésés ont rempli les formules de renvoi des griefs en mai 2007. Même si l’erreur a seulement été découverte quelques mois plus tard, l’employeur a été informé du problème lorsque l’AJMJ s’en est rendu compte.

Étant donné la nature continue (et en attente) à la fois des griefs de Toronto et de la plainte déposée en vertu de l’article 190, qui découle des mêmes faits que les griefs à Montréal, la durée du retard n’est pas significative.

(ii) L’injustice subie par les fonctionnaires s’estimant lésés l’emporte sur tout préjudice subi par l’employeur

Un refus de proroger le délai dans les circonstances de ce cas crée une injustice pour les fonctionnaires s’estimant lésés qui est disproportionnellement plus grave que tout préjudice concevable que pourrait subir l’employeur si cette prorogation était accordée. Tel que noté plus haut, les griefs à Montréal ont été déposés initialement dans le délai prévu. En outre, ils faisaient parti d’un groupe de griefs, qui portaient tous sur les mêmes questions de fond, et qui incluaient les griefs connexes déposés par des LA à Toronto. L’employeur a traité l’ensemble des griefs (c’est-à-dire tous les griefs de Toronto et de Montréal) en les combinant au premier palier. L’employeur a continué de traiter les griefs comme faisant partie d’un groupe unique, même au dernier palier (l’instruction des griefs au dernier palier qui, tel que noté plus haut, était fixée au 2 novembre 2007 mais qui a fini par être ajournée, visait, même aux yeux de l’employeur, à traiter l’ensemble des griefs de Toronto comme faisant partie d’un seul groupe). Ainsi, il est clair que durant toute la période pertinente, jusqu’à aujourd’hui, l’employeur était conscient du fait que la question de fond identique soulevée dans l’ensemble des griefs est une question réelle. L’employeur n’a jamais eu aucune raison de croire que cette question générique était réglée. En réalité, outre les griefs, tous les fonctionnaires s’estimant lésés sont également impliqués dans la plainte déposée à la Commission en vertu de l’article 190. Les fonctionnaires s’estimant lésés à Montréal sont tous nommés dans cette plainte. Lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, la question de fond, à la connaissance de l’employeur, continue clairement à être poursuivie par les personnes en question, on ne peut affirmer que l’employeur a subi un quelconque préjudice du fait qu’il n’avait pas reçu plus tôt les formules de renvoi des fonctionnaires s’estimant lésés. En fait, on ne peut dire que l’employeur a tiré raisonnablement la conclusion que la question n’était plus réelle en ce qui touchait les fonctionnaires s’estimant lésés à Montréal.

Lorsqu’on la compare à l’absence de préjudice causé à l'employeur par une prorogation du délai, l’injustice que cause le refus d'une prorogation du délai aux fonctionnaires s’estimant lésés est plus grande. Les questions soulevées par ces griefs sont sérieuses pour les personnes concernées et ont un effet négatif sur les possibilités de travail et l’avancement professionnel des fonctionnaires s’estimant lésés. Les fonctionnaires s’estimant lésés à Montréal subiraient donc un préjudice considérable si l'on empêchait que leurs griefs soient examinés sur le fond et, à mon avis, le refus d’entendre les griefs ne serait d’aucune utilité dans le contexte des relations de travail.

[Les passages en gras le sont dans l’original]

18 L’avocate des fonctionnaires s’estimant lésés prétend que la Commission a un vaste pouvoir discrétionnaire d’accorder une prorogation et qu’elle devrait exercer ce pouvoir dans les circonstances et, dans ce contexte, elle se fonde sur les décisions suivantes : Richard c. Agence du revenu du Canada, 2005 CRTFP 180, Guittard c. Personnel des fonds non publics des Forces canadiennes) 2002 CRTFP 18, Thompson c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2007 CRTFP 59, Trenholm c. Personnel des fonds non publics des Forces canadiennes, 2005 CRTFP 65, et Vincent c. Conseil du Trésor (Solliciteur général – Service correctionnel du Canada), dossier de la CRTFP 166-02-21022 (19910515).

19 Dans sa lettre datée du 31 janvier 2008, l’avocate des fonctionnaires s’estimant lésés a également affirmé que les griefs étaient fondés :

[Traduction]

La Commission a statué que le demandeur doit seulement prouver que « l’affaire est défendable », puisqu’il n’est pas approprié, dans le cadre d’une demande de prorogation, d’entreprendre un examen exhaustif du bien-fondé du  grief : Trenholm, supra au par. 84. L’AJMJ prétend que les fonctionnaires s’estimant lésés ont plus que satisfait à ce critère et se fient sur ce point au libellé des griefs et de la plainte formulée en vertu de l’article 190.

B. Pour l’employeur

20 L’employeur est d’accord avec les fonctionnaires s’estimant lésés pour dire que les facteurs qui doivent être examinés par la Commission ont été énoncés dans Trenholm. Cependant, il prétend qu’en l’espèce, l’application de ces critères devrait amener la Commission à refuser d’accorder la prorogation. Dans sa lettre datée du 25 février 2008, la représentante de l’employeur a formulé ses arguments comme suit :

[Traduction]

Raisons du retard

Le syndicat a expliqué que le retard dans la communication des formules au dernier palier était une erreur de sa part, sans pour autant fournir d’autres détails. Tel que déclaré plus haut, tant les employés que le syndicat ont accusé un retard dans la communication des formules.

Durée du retard

20 avril 2007 : les employés reçoivent la réponse à leurs griefs fournie au premier palier.

6 mai 2007 : dernier jour où les employés peuvent renvoyer leurs griefs au prochain palier.

15 mai 2007 : les fonctionnaires s’estimant lésés au bureau régional du Québec font signer leurs formules de renvoi par une gestionnaire par intérim, Chantal Sauriol, et envoient leurs griefs à Marisa Pollock, SGM, à Toronto. Cette journée-là, les employés ne fournissent pas de copie des formules de renvoi à la gestionnaire par intérim.

14 juin 2007 : Pascal Arcand, conseiller en relations de travail, fait savoir à Me Pollock que les griefs du bureau régional de Toronto ont été reçus au bureau national.

23 octobre 2007 : Me Pollock se rend compte que les griefs du bureau régional du Québec n’ont pas été transmis au dernier palier.

23 novembre 2007 : Me Pollock demande à la sous-ministre associée, Mme Donna Miller, une prorogation du délai de présentation des griefs des fonctionnaires au bureau régional de Québec.

28 janvier 2009 : Me Pollock transmet les formules de renvoi des griefs pour les griefs déposés par les fonctionnaires au bureau régional de Québec à la sous-ministre associée, Mme Donna Miller.

31 janvier 2008 : Me Pollock demande une prorogation du délai de présentation des griefs déposés par les fonctionnaires au bureau régional de Québec à la Commission des relations de travail dans la fonction publique.

Diligence des fonctionnaires s’estimant lésés

Les employés ont transmis leurs griefs au syndicat neuf (9) jours après que le délai était échu, soit le 6 mai 2007.

L’équilibre entre l’injustice causée à l’employé/l’employeur

Il reste toujours aux employés la plainte qu’ils ont déposée en vertu de l’article 190 de la nouvelle LRTFP. Par conséquent, les employés ne sont pas sans recours.

Chances de succès

L’employeur est d’avis que la Commission n’a pas la compétence d’entendre ces griefs, étant donné que l’employeur conserve le droit d’attribuer des tâches et d’organiser l’administration publique fédérale, conformément à l’article 7 de la LRTFP. En outre, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a été pénalisé d’aucune façon étant donné qu’il a conservé le même niveau, le même salaire ainsi que la même description de travail.

21 En ce qui concerne la jurisprudence à laquelle se sont référés les fonctionnaires s’estimant lésés, l’employeur suggère que les faits en l’espèce se distinguent des faits dans Trenholm, Guittard et Vincent, dans le cadre desquels la Commission a accédé aux demandes de prorogation.

V. Réfutation du fonctionnaire s’estimant lésé

22 Dans sa lettre datée du 11 mars 2008, l’avocate des fonctionnaires s’estimant lésés a fourni la réponse suivante à l’allégation de l’employeur que les fonctionnaires s’estimant lésés avaient déjà dépassé le délai lorsque le 15 mai 2007, ils ont signé les formules de renvoi et les ont envoyées à leur avocate :

[Traduction]

Conformément à l’alinéa 68(1)a) du Règlement, un fonctionnaire s’estimant lésé peut présenter successivement son grief individuel à chaque palier supérieur de la procédure applicable aux griefs individuels au plus tard, s’il a reçu une décision du palier immédiatement inférieur, quinze jours après l’avoir reçue. Nous avons représenté les fonctionnaires s’estimant lésés au cours de l’instruction du grief au premier palier, qui s'est tenue le 22 mars 2007. Le 3 mai 2007, nous avons reçu, de Terrence McAuley, les décisions refusant au premier palier les griefs présentés par les fonctionnaires s’estimant lésés à Toronto. Ainsi, le délai de présentation des formules de renvoi des griefs était le 17 mai 2007. Même si les décisions refusant au premier palier les griefs déposés par les fonctionnaires s’estimant lésés à Montréal étaient datées du 20 avril 2007, nous ne les avons pas reçues avant le 14 mai 2007, de Micheline Van Erum. Quoi qu’il en soit, du fait que les fonctionnaires s’estimant lésés à Toronto et à Montréal devaient, comme en avaient convenu les deux parties, être traités comme un seul groupe, l’AJMJ a déterminé que le délai de présentation des formules de renvoi des griefs pour tous les fonctionnaires s’estimant lésé était le 17 mai 2007.

Il est important de noter que le 10 mai 2007, nous avons envoyé un courriel à Terrence McCauley et à Solange Marion, les représentantes de l’employeur du bureau régional de l’Ontario et du bureau régional du Québec, respectivement, qui précisait notamment ce qui suit :

Par ailleurs, veuillez noter que nous supposons que tout délai applicable commencerait à partir du moment où nous avons reçu les réponses et les formules de renvoi, ce qui signifie que le délai serait fixé au 17 mai 2007.

Une copie de ce courriel est jointe à la présente en tant qu’annexe « A ». Une copie de ce courriel a été envoyée à l’ensemble des fonctionnaires s’estimant lésés à Toronto et à Montréal. L’employeur n’a pas contredit ni corrigé cette affirmation. L’AJMJ et les différents fonctionnaires s’estimant lésé ont donc poursuivi raisonnablement en pensant que le délai de présentation des formules de renvoi des griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs était, tel qu’indiqué dans le courriel, le 17 mai 2007.

Le 15 mai 2007, nous avons reçu les formules de renvoi des griefs des fonctionnaires s’estimant lésés à Montréal. Ces formules de renvoi n’ont pas été fournies à l’employeur, parce qu’on a supposé à tort que l’employeur les avait déjà reçues. Cette erreur a seulement été découverte le 23 octobre 2007.

[Le passage souligné l’est dans l’original]

23 En ce qui concerne l’argument de l’employeur que les fonctionnaires s’estimant lésés ne se retrouvaient pas sans recours étant donné qu’il y avait toujours leur plainte en vertu de l’article 190 de la Loi, l’avocate des fonctionnaires s’estimant lésés a déclaré que les questions soulevées dans le cadre des deux procédures sont différentes, comme suit :

[Traduction]

Ainsi, les deux procédures parallèles (griefs et plainte déposée à la Commission) auront deux buts distincts, examineront des régimes législatifs distincts et conduiront à des remèdes distincts, le cas échéant. Étant donné le fait que les procédures sont régies par des lois différentes, les personnes touchées peuvent, en réponse à des faits identiques, obtenir un redressement en vertu d'une procédure législative mais pas en vertu de l’autre. Dans de telles circonstances, on ne peut affirmer que les personnes ne se verraient pas refuser l’accès à un redressement si la Commission n’accordait pas une prorogation du délai. En fait, dans le cadre de sa procédure, il n'est pas probable que la Commission examinerait même la question de la mutation sans consentement qui est contraire à la LEFP, tandis que la procédure ayant trait aux griefs prévoit un mécanisme pour statuer sur cet aspect, ainsi que la possibilité d’accorder une réparation pour violation de la LEFP.

VI. Observations additionnelles de l’employeur

24 Dans sa lettre datée du 20 novembre 2008, l’employeur a réitéré sa position et a insisté sur le fait que le délai commence quand les fonctionnaires s’estimant lésés reçoivent la réponse de l’employeur aux griefs et non pas quand l’agent négociateur la reçoit. L’employeur a également réitéré que la chance de succès des griefs doit être considérée et qu’un arbitre de grief n’a pas la compétence d’entendre le fond des griefs. Sur ce point, la représentante de l’employeur a articulé sa position comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] Avant l'entrée en vigueur de la Loi, les plaignants ont été informés qu’une décision nationale avait été prise, selon laquelle les questions d’extradition et d’aide mutuelle à l’échelle internationale continueraient de relever du ministère de la Justice. L’alinéa 7(1)b) de la Loi sur la gestion des finances publiques permet à l’employeur d’organiser l’administration publique fédérale. En outre, aucun changement n’a été apporté aux conditions d’emploi des plaignants. Ils sont toujours visés par la même description de travail qui s’appliquait auparavant. En outre, lorsqu’un poste doit être comblé au Bureau du directeur des poursuites pénales (BDPP) ou au ministère de la Justice, les employés des deux entités peuvent le postuler. Par conséquent, nous affirmons qu’un arbitre de grief n’a pas la compétence de muter ses employés du ministère de la Justice au BDPP.

VII. Observations additionnelles des fonctionnaires s’estimant lésés

25 Dans sa lettre datée du 8 décembre 2008, l’avocate des fonctionnaires s’estimant lésés a répondu ceci :

[Traduction]

[…]

[…] La  jurisprudence n’appuie pas la proposition que la probabilité de succès d’un grief à l’arbitrage doit influer de quelque façon que ce soit sur l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Il serait plutôt contraire au principe de la justice naturelle pour la Commission, à ce stade-ci, de se prononcer sur le bien-fondé d’un grief qu’il n’a pas encore entendu. Il en est ainsi d'autant plus que des griefs essentiellement identiques ne soulevant aucune question en matière de respect de délais (les « griefs de Toronto ») ont été soumis à la Commission pour qu’elle statue à leur sujet.

VIII. Motifs

26 L’alinéa 61b) du Règlement précise que le président a le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai de présentation d’un grief à n’importe quel palier de la procédure applicable aux griefs « par souci d’équité ». L’alinéa 63b) du Règlement et Règles de procédure de la C.R.T.F.P. autorisait l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») à proroger les délais « […] selon les modalités que la Commission juge[ait] indiquées ». Dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, l’ancienne Commission a formulé des critères pour déterminer dans quelles circonstances un délai devrait être prorogé. Même si le langage utilisé diffère dans les deux versions des règlements, les critères qui ont été élaborés par l’ancienne Commission renvoient à des principes reflétant le principe de l’équité qui guide le président lorsqu’il applique l’article 61 du Règlement. Il est bien établi que ces critères, auxquels les deux parties se sont référées, s’appliquent lorsqu’on cherche à déterminer si une prorogation devrait être accordée « par souci d’équité ». Voici les critères :

a) le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;

b) la durée du retard;

c) la diligence raisonnable du demandeur;

d) l’équilibre entre l’injustice causée au demandeur et le préjudice que subit le défendeur si la prorogation est accordée;

e) les chances de succès du grief.

27 Je suis d’accord avec la vice-présidente Pineau, qui a parlé dans Gill c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 81, du poids à accorder à chacun des critères :

[…]

L’importance accordée à chacun des critères n’est pas nécessairement la même. Les faits du cas déterminent comment ils sont appliqués et quelle valeur probante est accordée à chacun. Chaque critère est examiné et apprécié en fonction du contexte factuel. Il arrive que des critères ne s’appliquent pas ou qu’il y en ait seulement un ou deux qui pèsent dans la balance.

[…]

28 J’appliquerai maintenant ces critères en l’espèce.

A. Raisons claires, logiques et convaincantes pour le délai

29 Les fonctionnaires s’estimant lésés ont déposé des griefs qui contestaient la décision de l’employeur de transférer leur section en dehors du BDPP, et initialement, les griefs ont été déposés à temps. Leur intention de contester la décision de l’employeur était claire dès le départ, et rien n’amène la Commission à conclure qu’ils auraient modifié leur position à n’importe quel moment.

30 Je suis d’accord avec l’employeur qu’aussi bien les fonctionnaires s’estimant lésés que leur avocate ont transmis les formules pertinentes en retard lorsqu’ils ont renvoyé les griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Je conclus, cependant, qu’aux deux occasions, les retards étaient dus à une erreur faite en toute bonne foi par l’avocate des fonctionnaires s’estimant lésés, et que ces derniers ne devraient pas être pénalisés à cause de cette erreur.

31 Je suis d’accord avec l’employeur que le paragraphe 68(2) du Règlement laisse sous-entendre que le délai de présentation d’un grief à un palier autre que le premier palier de la procédure de règlement des griefs commence quand le fonctionnaire s’estimant lésé, et non pas son avocat, est avisé de la réponse de l’employeur au niveau précédent. Par conséquent, si les fonctionnaires s’estimant lésés ont reçu la réponse de l’employeur le 20 avril 2007, ils avaient jusqu’au 6 mai 2007 pour présenter leurs griefs au dernier palier. Donc, quand ils ont signé leurs formules de renvoi et les ont envoyées à leur avocate le 15 mai 2007, ils avaient déjà dépassé le délai prescrit. Toutefois, j’estime que les fonctionnaires s’estimant lésés ont envoyé leurs griefs dans le délai dont ils pensaient raisonnablement qu’il s’appliquait. Sur ce point, les fonctionnaires s’estimant lésés avaient reçu une copie du courriel daté du 10 mai 2007, que leur avocate avait envoyé à la représentante de l’employeur et dans lequel elle précisait qu’elle supposait que tout délai applicable commencerait quand elle avait reçu les réponses, ce qui signifiait que dans ce cas-là le délai était le 17 mai 2007. En adoptant cette position, je crois que l’avocate des fonctionnaires s’estimant lésés a mal interprété le paragraphe 68(2) du Règlement et a involontairement induit en erreur les fonctionnaires s’estimant lésés en leur donnant l’impression qu’ils avaient jusqu’au 17 mai 2007 pour envoyer leurs formules de renvoi.

32 Le fait que les documents reçus par l’avocate des fonctionnaires s’estimant lésés le 15 mai 2007 n’ont pas été transmis à l’employeur était dû également à une erreur administrative. L’avocate des fonctionnaires s’estimant lésés a indiqué qu’elle pensait à tort que les formules de renvoi avaient déjà été transmises à l’employeur. Lorsqu’elle s’est rendu compte de l’erreur, elle a rapidement demandé une prorogation à l’employeur.

33 Compte tenu des circonstances, je considère que les fonctionnaires s’estimant lésés ont des raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le retard.

B. Durée du délai

34 L’avocate des fonctionnaires s’estimant lésés a réalisé que les griefs n’avaient pas été renvoyés au dernier palier presque six mois après le délai, et un mois plus tard elle a demandé une prorogation du délai à l’employeur. À première vue, le délai peut sembler significatif. Toutefois, le délai doit être examiné dans le contexte du processus qui était suivi en ce qui concernait les griefs formulés par les fonctionnaires à Toronto. Les griefs formulés par les fonctionnaires s’estimant lésés à Montréal soulèvent des questions qui sont identiques à celles soulevées par les fonctionnaires s’estimant lésés à Toronto. Lorsque l’avocate des fonctionnaires s’estimant lésés a demandé une prorogation à l’employeur le 23 novembre 2007, l’instruction au dernier palier où il serait question des griefs formulés par les fonctionnaires s’estimant lésés à Toronto n’avait pas encore eu lieu. Par conséquent, je conclus qu'à l’époque, la durée du délai dans les circonstances n’était pas déraisonnable. Le temps qui s’est écoulé depuis la demande initiale des fonctionnaires s’estimant lésés est attribuable au refus de l’employeur d’accorder la prorogation. En conséquence, je statue que ce retard additionnel ne devrait pas être pris en compte.

35 J'estime aussi que la nature des griefs ne soulève pas des questions de fait dans le contexte desquelles le temps qui s’est écoulé pourrait causer un préjudice à l’employeur. Par conséquent, je conclus que, dans les circonstances, les retards n’étaient pas importants.

C. La diligence raisonnable des demandeurs

36 Il est clair qu’à tous les moments pertinents, les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait preuve de diligence. Ils ont respecté le délai que leur a indiqué leur avocate et ont envoyé leurs formules de renvoi dans la période qui, d'après eux, s’appliquait. Ils ont agi de façon conséquente tout au long du processus et n’ont jamais indiqué qu’ils avaient décidé de renoncer à leurs griefs.

D. L’équilibre entre l’injustice causée aux plaignants et le préjudice que subit l’employeur

                                                                                                                 

37 En l’espèce, je conclus que le préjudice et l’injustice que subiraient les fonctionnaires s’estimant lésés si je n’accordais pas la prorogation l’emporte sur tout préjudice que subirait l’employeur. Comme je l’ai indiqué plus haut, je ne considère pas que l’employeur a subi un préjudice à cause des retards additionnels. D’un autre côté, si la prorogation est refusée, les fonctionnaires s’estimant lésés ne pourront présenter des arguments pour démontrer le bien-fondé d’un grief qui, de leur point de vue, risque d’avoir un important impact sur leurs carrières.

E. Les chances de succès

38 Ce point porte sur la question de savoir si les fonctionnaires s’estimant lésés ont une cause défendable. Pour évaluer ce facteur, je dois me garder de procéder à un examen exhaustif du bien-fondé du grief. En l’espèce, je ne peux pas conclure, en examinant le grief à première vue, que les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas une cause défendable. En évaluant ce facteur, je prends également en considération le fait que des griefs identiques sont toujours en attente, ont été renvoyés à la Commission et doivent encore être entendus.

39 Pour toutes les raisons susmentionnées, je conclus que les retards qui sont survenus dans le renvoi des griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs étaient dus à des erreurs commises en toute bonne foi par l’avocate des fonctionnaires s’estimant lésés. Je conclus par ailleurs qu’en raison de leur diligence, les fonctionnaires s’estimant lésés ne devraient pas être privés de leur recours ou être pénalisés d’une quelconque autre façon à cause d’une erreur commise par leur avocate.

40 Étant donné que l’employeur a fourni une réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et que les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage, je conclus que toutes les étapes sont terminées et qu’une audience peut être fixée pour entendre le fond de ces griefs.

41 Pour ces raisons, je rends l’ordonnance qui suit :

IX. Ordonnance

42 La demande de prorogation est accueillie et les griefs sont considérés comme ayant été renvoyés en bonne et due forme au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

43 J’enjoins au greffe de la Commission de mettre les griefs au rôle en vue de la tenue d’une audience portant sur le fond desdits griefs.

Le 29 janvier 2009.

Traduction de la CRTFP

Marie-Josée Bédard,
vice-présidente

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