Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a déclaré que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’établissement et l’application des exigences linguistiques du poste. L’intimé a soutenu que le principe de préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’appliquait en l’espèce étant donné que la question relative aux exigences linguistiques avait déjà été traitée par le Commissariat aux langues officielles et qu’aucune autre question ne restait à trancher par le Tribunal. Le plaignant a fait valoir que la question n’était pas résolue, que les plaintes n’étaient pas de même nature et n’avaient rien en commun. Décision : Le Tribunal a fait remarquer que la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée visait à empêcher les parties de remettre en litige des questions déjà tranchées par d’autres instances. Comme il a été établi par la Cour suprême du Canada, trois conditions doivent être réunies pour que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique : 1) que la même question ait été décidée, 2) que la décision judiciaire invoquée comme créant la préclusion soit définitive et 3) que les parties visées par la décision judiciaire invoquée soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la préclusion est soulevée. En l’espèce, le Tribunal a jugé que ces trois conditions n’étaient pas réunies et que la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’appliquait donc pas. Par conséquent, le Tribunal a jugé qu’il avait compétence en l’occurrence et qu’il procéderait à l’audition des parties concernant le bien-fondé de la plainte. Le Tribunal s’est déclaré compétent pour entendre la plainte.

Contenu de la décision

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Dossier:
2007-0107
Rendue à:
Ottawa, le 4 décembre 2008

LUC BOULANGER
Plaignant
ET
LE COMMISSAIRE DE SERVICE CORRECTIONNEL CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Question préliminaire: Détermination de la compétence
Décision:
Le Tribunal a compétence pour entendre la plainte
Décision rendue par:
Francine Cabana, membre
Langue de la décision:
Français
Répertoriée:
Boulanger c. Commissaire de Service correctionnel Canada et al.
Référence neutre:
2008 TDFP 0031

Motifs de la décision

Introduction

1 Le plaignant, Luc Boulanger, a participé au processus de nomination annoncé (nº : 07-PEN-IA-QUE-DON-7) visant à doter le poste de surveillant des services en établissement, aux groupe et niveau GS-STS-07 C2, à l’établissement de Donnacona, de Service correctionnel Canada.

2 Le plaignant a déposé une plainte en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP) et allègue que l’intimé, le Commissaire de Service correctionnel Canada, a fait preuve d’abus de pouvoir dans l’établissement et l’application des exigences linguistiques du poste. Il allègue que dans le passé l’intimé ne tenait pas compte du fait que ce poste bilingue devait être doté de façon impérative puisque ce poste avait été occupé par une personne unilingue française pendant les deux dernières années.

3 Lors de la conférence préparatoire tenue par le Tribunal le 18 décembre 2007, l’intimé a soulevé une question préliminaire. Il est d’avis que la question en litige a déjà été tranchée. L’intimé soutient alors que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique en l’espèce.

4 Le Tribunal a émis une lettre de décision le 7 janvier 2008 indiquant aux parties qu’il trancherait la question préliminaire avant d’instruire la plainte sur le fond. Les parties devaient fournir leurs arguments par écrit selon l’échéancier établi par le Tribunal. Le Tribunal a statué sur cette question préliminaire sans tenir d’audience, conformément au paragraphe 99(3) de la LEFP. La décision est rendue sur la foi des observations des parties et de la preuve versée au dossier.

Contexte

5 L’intimé a tenu un processus de nomination annoncé pour doter un poste de surveillant des services en établissement à l’établissement Donnacona, Québec. Parmi les critères de mérite, l’intimé a inclus l’exigence linguistique « bilingue impératif niveau BBB/BBB » sous la rubrique « Qualifications essentielles ».

6 Le plaignant a posé sa candidature dans le cadre de ce processus de nomination et a été éliminé du processus de sélection.

7 L’intimé a évalué les compétences linguistiques du plaignant. Cependant, celui-ci n’a pas répondu à l’exigence linguistique établie pour le poste.

8 Le 7 mars 2007, le plaignant a fait une demande d’enquête auprès du Commissariat aux langues officielles (le CLO) puisqu’il contestait l’exigence des deux langues officielles pour le poste en l’espèce et soutenait que le bilinguisme pour ce poste était inutile étant donné que le poste avait été doté par une personne unilingue française pendant deux ans. Il a aussi indiqué que le même poste à l’établissement La Macaza était identifié comme français essentiel et que, selon lui, le bilinguisme pour le poste à Donnacona n’était pas requis. Le plaignant s’est également opposé au recours à la dotation impérative pour doter le poste bilingue. En octobre 2007, le CLO a publié un rapport d’enquête et a conclu ce qui suit :

Dans les circonstances, nous sommes d’accord que le recours à la dotation impérative s’imposait et que la dotation non-impérative aurait pu empêcher la prestation immédiate de services dans les deux langues officielles.

Compte tenu de ce qui précède, nous concluons que l’établissement de l’exigence linguistique dans le cadre de ce processus de sélection était conforme aux besoins définis à la Directive et au Règlement applicables.

Il n’y a donc pas eu, en l’espèce, infraction à la lettre ou à l’esprit de l’article 91 de la Loi sur les langues officielles.

Questions en litige

9 Le Tribunal doit statuer sur la question suivante :

  1. Est-ce que la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique en l’espèce?

Arguments des parties

A) Arguments de l’intimé

10 L’intimé soutient que le rapport d’enquête du CLO a complètement vidé la question des exigences linguistiques établies par l’intimé pour le poste et qu’aucune autre question additionnelle ne reste à trancher par le Tribunal.

11 L’intimé précise que le CLO a le pouvoir discrétionnaire de mener des enquêtes et que quiconque a saisi le Commissaire d’une plainte fondée sur l’article 91 de la Loi sur les langues officielles, 1985, ch. 31 (4e suppl.)(LLO),peut former un recours devant la Cour fédérale.

12 Selon l’intimé, le CLO a rencontré cinq personnes du ministère Service correctionnel Canada dans le cadre de son enquête, qui lui ont expliqué les motifs des exigences linguistiques pour le poste en l’espèce. Le CLO a conclu que les exigences linguistiques du poste s’imposaient objectivement.

13 L’intimé fonde sa position sur la doctrine de préclusion découlant d’une question déjà tranchée. D’après l’intimé, les critères applicables à cette doctrine ont été énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460; [2001] 2 A.C.S. no 46 (QL), et appliqués notamment dans la décision Sherman c. Canada (Agence des Douanes et du Revenu), [2006] A.C.F. 912 (QL).

14 L’intimé reconnaît la différence entre une plainte au Tribunal et une demande d’enquête au CLO. Il indique aussi reconnaître que ces deux entités abordent la question sous un angle différent : l’un sous l’angle de l’abus de pouvoir et l’autre sous l’angle de l’objectivité, mais sur le fondement des mêmes faits.

15 L’intimé soutient que la même question doit être décidée dans chacune des procédures. L’intimé ajoute que le forum le plus approprié eu égard à la vraie nature de la question en litige était le CLO.

16 L’intimé affirme que la décision faisant intervenir la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est finale et les parties aux deux procédures en cause sont les mêmes. L’intimé reconnaît que des parties additionnelles peuvent être entendues par le Tribunal, mais il soutient que ce fait n’empêche pas le Tribunal de conclure que la question devant le Tribunal implique les mêmes parties.

17 L’intimé allègue que le rapport d’enquête émis par le CLO est final et exécutoire puisque, selon lui, le plaignant ne s’est pas prévalu de son droit de recours devant la Cour fédérale dans les délais prévus.

18 L’intimé soutient également que le Tribunal ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour instruire la plainte sur le fond. L’intimé ajoute qu’il n’y a aucun risque d’injustice pour le plaignant. D’après l’intimé, le plaignant ne peut obtenir le droit d’être nommé mais surtout, il n’y a rien d’autre de pertinent à examiner qui n’a pas déjà été examiné par le CLO pour trancher la vraie question posée par le plaignant.

19 En conclusion, l’intimé fait valoir que l’unique question en litige soulevée par le plaignant porte sur l’établissement des exigences linguistiques du poste. Le CLO a déjà conclu que les exigences linguistiques du poste se justifiaient objectivement. Ainsi, l’intimé maintient que la question a déjà été tranchée en vertu des critères énoncés dans l’arrêt Danyluk. Par conséquent, l’intimé soutient que le Tribunal ne devrait pas se prononcer sur la question.

B) Arguments du plaignant

20 Le plaignant affirme que la question n’est pas résolue et que seul le Tribunal a le pouvoir de traiter de la question en litige selon les dispositions de la LEFP.

21 Le plaignant avance également que les plaintes ne sont pas communes, ni de la même nature. Il soutient que le CLO est régie par la LLO et le Tribunal, par la LEFP. Le plaignant fait valoir que le fondement des plaintes est différent d’une loi à l’autre. De plus, il ajoute qu’il n’y a rien dans la LEFP qui mentionne qu’une autre instance peut se substituer au Tribunal pour la détermination d’une décision portant sur une plainte présentée au Tribunal.

22 Selon le plaignant, le rapport d’enquête du CLO n’est pas final et par conséquent, n’est pas exécutoire.

23 Le plaignant soutient qu’il ne peut démontrer ses allégations que si le Tribunal les entend.

24 Finalement, le plaignant demande au Tribunal d’instruire et de statuer sur sa plainte.

C) Arguments de la Commission de la fonction publique

25 La Commission de la fonction publique (CFP) est d’avis que sans la confirmation que le plaignant a poursuivi sa plainte en Cour fédérale, le caractère final de la « décision » ne peut être confirmé. De plus, la CFP soutient que même si la décision du CLO s’avérait être définitive, celle-ci ne serait pas exécutoire.

26 Selon la CFP, deux questions sont en litige. Même si le Tribunal venait à la conclusion que la question de l’exigence linguistique est une question déjà tranchée, il reste quand même le deuxième point à décider soit l’abus de pouvoir basé sur ce qui a été fait dans d’autres processus de dotation antérieurs. Par conséquent, la CFP ne peut soutenir la conclusion de l’intimé qu’il ne reste pas de question à trancher.

Analyse

Question 1: Est-ce que la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique en l’espèce?

27 Dans l’arrêt Danyluk, la Cour suprême a établi que la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée vise à empêcher les parties de remettre en litige des questions déjà tranchées par d’autres instances. Plus particulièrement, les droits, questions ou faits mis en cause et directement réglés par un tribunal compétent ne peuvent être jugés à nouveau dans une affaire subséquente entre les mêmes parties, même si la cause d’action est différente. Ce principe a aussi été appliqué par la Cour fédérale notamment dans la décision Sherman.

28 Tel qu’exprimé par la Cour suprême au paragraphe 25 de l’arrêt Danyluk, trois conditions doivent être réunies pour que la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique:

  1. que la même question ait été décidée ;
  2. que la décision judiciaire invoquée comme créant la [préclusion] soit finale ;
  3. que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droits, sont les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la [préclusion] est soulevée, ou leurs ayants droits.

29 L’analyse de l’applicabilité de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée se fait en deux volets. D’abord, le Tribunal doit déterminer si les conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont réunies. Le Tribunal doit ensuite juger s’il exerce son pouvoir discrétionnaire de refuser d’appliquer la doctrine de préclusion.

A) La condition nécessitant que la même question ait déjà été tranchée

30 Pour cette première condition, la question à trancher doit avoir été fondamentale en ce qui a trait aux conclusions du CLO. La préclusion vise les faits substantiels, les conclusions de droit ou les conclusions mixtes de fait et de droit établies par le CLO.

31 Dans sa plainte au CLO, le plaignant a contesté l’exigence des deux langues officielles pour le poste en l’espèce en vertu de l’article 91 de la LLO, qui est ainsi énoncé :

91. Les parties IV et V n’ont pour effet d’autoriser la prise en compte des exigences relatives aux langues officielles, lors d’une dotation en personnel, que si elle s’impose objectivement pour l’exercice des fonctions en cause.

32 Le plaignant s’est également opposé au recours à la dotation impérative pour doter le poste bilingue.

33 La question devant le CLO était de déterminer si l’exigence linguistique « Bilingue impératif BBB » établie par le Commissaire de service correctionnel Canada s’imposait objectivement pour l’exercice des fonctions en cause. Le CLO ne s’est toutefois pas penché sur l’allégation du plaignant selon laquelle le poste était occupé dans le passé par un employé unilingue francophone et que le poste n’avait pas été doté de façon impérative.

34 La Cour fédérale d’appel a expliqué dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Viola, [1990] 24 A.C.W.S. (3d) 189; [1990] A.C.F. No. 1052 (QL) ce qui est entendu par le terme « objectivement » à l’article 91 de la LLO :

L’article 91, en précisant que les exigences linguistiques doivent s’imposer « objectivement », confirme expressément ce qui a toujours été sous-entendu, soit que les exigences linguistiques ne peuvent être posées de manière capricieuse ou arbitraire.

35 Ainsi, afin de déterminer si les exigences ont été imposées objectivement, le CLO se penche sur les faits reliés à l’exigence linguistique du poste par rapport à la demande de services dans les deux langues officielles, de même qu’aux obligations imposées aux institutions fédérales concernant la promotion d’une langue officielle dans un milieu minoritaire (voir Institut professionnel de la fonction publique c. Canada, [1993] 2 C.F. 90, et Rogers c. Canada (Ministère de la Défense nationale), [2001] 103 A.C.W.S. (3d) 715 ; [2001] A.C.F. no 222 (QL)).

36 Le CLO s’assure alors que l’établissement de l’exigence linguistique n’a pas été faite de façon arbitraire ou capricieuse en ce qui a trait au respect de la LLO, la Directive sur l’identification linguistique des postes ou fonctions, la Directive sur la dotation des postes bilingues (les Directives) et au Règlement sur les langues officielles – communications avec le public et prestation des services, DORS/92-48 (le Règlement sur les langues officielles). Son enquête est donc limitée et ne s’étend pas à l’extérieur de ce cadre.

37 Par ailleurs, la Cour fédérale, dans l’affaire Rogers, a énoncé que lorsqu’elle examine une question concernant l’article 91 de la LLO, elle peut seulement se pencher sur l’objectivité de l’exigence linguistique :

[28] Selon, moi, il ressort aussi clairement que notre Cour ne peut se pencher que sur l’aspect objectif des exigences et la façon par laquelle on a décidé de les imposer. Notre Cour ne peut examiner la question de savoir si le demandeur a été traité de façon injuste par son employeur, […], si on lui a refusé le poste pour des motifs autres que les exigences linguistiques, si la qualité de son français est bonne, […], non plus que les désignations définies pour d’autre postes, la façon dont les entrevues pour le poste ont été menées, ou toute autre question ou erreur technique ou administrative liée à la dotation du poste. Selon moi, la seule question pertinente en l’instance consiste à savoir si les exigences linguistiques du poste telles que définies s’impose objectivement.

[29] […] Si le demandeur considère qu’il a été traité de façon injuste par son employeur ou qu’on lui refuse le poste pour des motifs autres que les exigences linguistiques, il devrait soulever ces questions devant une instance différente. Lorsqu’il s’agit de l’article 91, notre Cour ne peut déterminer que l’objectivité des exigences linguistiques. Par conséquent, je ne traiterai que des exigences linguistiques et ne ferai aucun cas des arguments du demandeur qui portent sur sa situation personnelle.

38 Or, devant le Tribunal, la question en litige vise l’abus de pouvoir par l’intimé dans l’établissement de la qualification essentielle reliée à l’exigence linguistique.

39 Le 7 mars 2007, le plaignant a présenté sa plainte au Tribunal en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP :

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

[…]

40 Par l’effet de l’alinéa 77(1)a) et du paragraphe 30(2) de la LEFP, le Tribunal peut examiner des allégations portant sur l’établissement des qualifications essentielles. Le paragraphe 30(2) est rédigé comme suit :

30. (2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

[…]

41 Les questions en litige devant le CLO et le Tribunal sont distinctes.En l’espèce, la compétence dans les langues officielles « Bilingue impératif de niveau BBB/BBB » constitue une qualification essentielle. Le Tribunal examinera donc si l’intimé a fait preuve d’abus de pouvoir lorsqu’il a établi cette qualification essentielle. L’analyse du Tribunal portera sur un aspect différent, soit l’abus de pouvoir selon les dispositions de la LEFP. Le plaignant allègue que l’intimé a fait preuve d’abus de pouvoir quant à l’exigence de la dotation impérative du poste en question. Il allègue également que dans le passé l’intimé ne tenait pas compte du fait que ce poste bilingue devait être doté de façon impérative. Les critères qui seront utilisés afin de déterminer si l’abus de pouvoir est fondé sont différents des critères utilisés par le CLO afin de déterminer si la décision était conforme aux Directives et au Règlement sur les langues officielles.

42 Il est vrai que le CLO a déterminé que l’exigence linguistique avait été imposé objectivement conformément à l’article 91 de la LLO ; toutefois, le Tribunal a un mandat plus large que le CLO. Le Tribunal doit aller au-delà du fait que la LLO a été respectée et pousser son analyse davantage pour déterminer s’il y a eu abus de pouvoir comme de la mauvaise foi, du favoritisme personnel ou de la discrimination par exemple, lorsque l’intimé a opté d’établir la qualification linguistique en l’espèce. De plus, si la plainte est fondée, le Tribunal peut révoquer la nomination, ordonner un redressement qu’il juge approprié ou faire les deux. La LLO ne confère pas ce pouvoir au CLO en ce qui a trait à la dotation.

43 De plus, le fait que le législateur ait expressément fait référence aux langues officielles au paragraphe 30(2) de la LEFP démontre qu’il avait l’intention d’octroyer au Tribunal le pouvoir de déterminer toute question d’abus de pouvoir concernant les langues officielles.

44 Bien qu’il puisse y avoir un chevauchement des faits dans les deux procédures, cela n’a pas pour effet d’appliquer la doctrine de la préclusion de façon automatique (The Doctrine of Res Judicata in Canada, Second Edition, Butterworths, Donald J. Lange, 2004).

45 À la lumière des faits et de la jurisprudence, le Tribunal conclut que l’existence de cette première condition n’a pas été établie puisque le Tribunal examinera une question différente portant sur l’abus de pouvoir, question qui n’a aucunement été examinée par le CLO dans son rapport d’enquête.

B) Condition nécessitant les mêmes parties aux deux procédures

46 L’enquête du CLO visait le ministère du Service correctionnel Canada ainsi que le plaignant. Devant le Tribunal, les parties sont différentes puisqu’en plus du plaignant et du Commissaire de Service correctionnel Canada, la CFP ainsi que la personne nommée sont aussi des parties identifiées au paragraphe 79(1) de la LEFP comme ayant un droit de se faire entendre. En effet, la LEFP prévoit à l’article 81 que si le Tribunal détermine qu’il y a eu abus de pouvoir, il peut ordonner la révocation de la nomination, ce qui a un impact direct sur la personne nommée. Par ailleurs, la CFP exerce un rôle de premier plan dans l’application de la LEFP. C’est pourquoi celles-ci sont identifiées comme faisant partie du litige devant le Tribunal.

47 Le Tribunal ne peut donc accepter l’argument de l’intimé qui fait valoir que ce sont les mêmes parties puisque selon le principe de justice naturelle, la CFP et la personne nommée sont effectivement des parties qui ont le droit d’être entendu par le Tribunal.

48 De toute évidence, il ne s’agit pas des mêmes parties au présent litige puisque la CFP et la personne nommée n’ont pas fait partie de l’enquête, ni du rapport du CLO.La condition n’est donc pas remplie en ce qui concerne les mêmes parties au litige.

C) La condition necessitant que la décision judiciaire ait un caractère définitif

49 La Cour suprême dans Danyluk afait l’analyse en ce qui a trait à une décision judiciaire et a énoncé au paragraphe 42 qu’une « décision qui statue sur une plainte après l’obtention de l’information pertinente est une décision de nature judiciaire ». La Cour a également noté que la finalité d’une décision concernant la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est liée au processus d’appel. Ainsi, la décision est finale lorsque le tribunal ou la Cour n’a pas la capacité ou la compétence de revoir la question en litige.

50 L’intimé soutient que le plaignant ne s’est pas prévalu de son droit de recours devant la Cour fédérale dans les délais prévus. Le plaignant n’a pas réfuté cet argument. La décision du CLO est donc finale. Cependant il n’est pas nécessaire pour le Tribunal de se pencher davantage sur cette troisième condition, étant donné que deux des trois conditions n’ont pas été remplies.

D) Pouvoir discrétionnaire quant à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée

51 Comme les trois conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne sont pas réunies, il n’y a pas lieu pour le Tribunal de se pencher sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

Conclusion

52 Compte tenu des faits et de la jurisprudence, le Tribunal conclut que la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’applique pas en l’espèce. Le Tribunal procédera donc à l’audition des parties concernant le bien-fondé de la plainte.

Francine Cabana

Membre

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2007-0107
Intitulé de la cause:
Luc Boulanger et le Commissaire de Service Correctionnel Canada et al.
Audience:
Demande écrite, décision rendue sans comparution des parties
Date des motifs:
Le 4 décembre 2008
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