Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

En réponse à la demande du plaignant visant à obtenir un document qui serait protégé par le secret professionnel de l’avocat, les défendeurs ont fait valoir que la Commission ne possédait pas le pouvoir de déterminer que le document était effectivement assujetti au secret invoqué - l’argument des défendeurs reposait sur la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44 (<<Blood Tribe>>) - après examen de cette décision, la Commission a conclu qu’en sa qualité de tribunal quasi judiciaire, elle possédait le pouvoir de décider si le secret professionnel de l’avocat s’appliquait à un document en particulier - la Commission a ordonné aux défendeurs de produire un affidavit portant sur la nature du document et sur les motifs pour lesquels le secret professionnel de l’avocat est invoqué. Objection rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-08-28
  • Dossier:  561-34-196
  • Référence:  2009 CRTFP 104

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

RUDY MORENO QUADRINI

plaignant

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA ET LARRY HILLIER

défendeurs

Répertorié
Quadrini c. Agence du revenu du Canada et Hillier

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, commissaire

Pour le plaignant:
Lui-même

Pour les défendeurs:
Caroline Engmann, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 16 juin ainsi que les 6 et 10 juillet 2009.
Traduction de la CRTFP.

I. Affaire devant la Commission

1 L’Agence du revenu du Canada (l’« Agence ») et Larry Hillier, commissaire adjoint de l’Agence pour la région de l’Ontario (les « défendeurs ») revendiquent le privilège du secret professionnel de l’avocat à l’égard d’un document dont Rudy Moreno Quadrini (le « plaignant ») réclame la communication dans le contexte d’une audience sur sa plainte de pratique déloyale de travail. Les défendeurs ont invoqué l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44 (l’arrêt « Blood Tribe ») et d’autre jurisprudence à l’appui de leur argument que la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») n’a pas compétence pour décider si le document réclamé par le plaignant peut être protégé par le secret professionnel de l’avocat et ne peut donc pas en ordonner la communication.

2 L’audience au cours de laquelle la plainte devait être entendue au fond a été ajournée au cours de la phase de présentation de la preuve jusqu’à ce que la question du privilège du secret professionnel de l’avocat puisse être tranchée. Peu après l’ajournement, la Commission a demandé aux parties de lui soumettre leurs présentations écrites sur les deux questions suivantes :

[Traduction]

  1. Dans le contexte d’une plainte déposée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Commission a-t-elle le pouvoir de décider si un document est protégé par le privilège du secret professionnel de l’avocat?
  2. Si la réponse à la question 1 est affirmative, quelle procédure la Commission devrait-elle suivre pour conclure qu’un document est protégé par le privilège du secret professionnel de l’avocat?

3 Les présents motifs répondent à ces deux questions.

II. Contexte

4 Le plaignant a travaillé à l’Agence jusqu’en 2004, quand il a démissionné dans le contexte du règlement par la médiation d’un grief contestant son licenciement par l’Agence pour ce qu’elle qualifiait d’inconduite. Quelques années plus tard, l’Agence a conclu un accord sur les ressources humaines (ARH) avec le ministère du Revenu de l’Ontario (le « MRO ») — devenu entre-temps l’employeur du plaignant — visant le transfert de postes de ses services de l’impôt des sociétés à l’Agence. Le poste du plaignant au MRO était directement touché par cette mesure. Le 13 septembre 2007, M. Hillier a écrit au plaignant pour l’informer au nom de l’Agence qu’elle ne lui offrirait pas de poste dans ce contexte (Pièce R-1, onglet 3).

5 Le 14 novembre 2007, le plaignant a déposé une plainte fondée sur l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), L.C. 2003, ch. 22, en alléguant une violation des interdictions visées aux sous-alinéas 186(2)a)(iii) et (iv). Il a déclaré que les défendeurs s’étaient rendus coupables d’une pratique déloyale de travail en refusant de l’embaucher pour s’être prévalu de son droit de présenter un grief, de porter son grief à l’arbitrage et d’avoir recours à la médiation.

6 Les défendeurs ont contesté la compétence de la Commission d’entendre la plainte. Subsidiairement, ils ont déclaré que la plainte [traduction] « […] ne démontr[ait] pas prima facie une violation de la Loi et qu’elle devrait également être rejetée en vertu du par. 40(2) parce que frivole et vexatoire. »

7 Le président de la Commission m’a nommé comme banc de la Commission pour trancher la question. Dans Quadrini c. Agence du revenu du Canada et Hillier, 2008 CRTFP 37, j’ai jugé que le plaignant avait prouvé prima facie la pratique déloyale de travail qu’il alléguait et rendu une décision rejetant la contestation de la compétence de la Commission, en ordonnant que la plainte soit entendue au fond.

8 L’audience a commencé le 25 novembre 2008 et s’est poursuivie les 26 et 28 novembre, puis du 12 au 15 mai 2009. Ce jour-là, le plaignant a déclaré qu’on avait retiré les « pages 000007 à 000011 » d’un document qu’il avait obtenu par suite d’une demande d’accès à l’information (Pièce C-40). La Direction de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (AIPRP) de l’Agence a expliqué le retrait de ces pages de la façon suivante :

[Traduction]

[…]

Ces renseignements n’ont pas à être communiqués, en vertu des articles 26 et 27 de la Loi [sur la protection des renseignements personnels], qui autorisent l’Agence à refuser la communication des renseignements personnels concernant un autre individu et celle des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat…

[…]

9 L’article 27 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21, se lit comme il suit :

[…]

          27. Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui sont protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client.

[…]

10 Le plaignant m’a demandé d’ordonner aux défendeurs de lui donner accès au contenu des pages 000007 à 000011 parce qu’elles sont susceptibles de contenir des renseignements qui pourraient être pertinents pour les arguments des défendeurs contre sa plainte ou qu’ils pourraient mettre leur crédibilité en doute. Il a déclaré avoir tenté sans succès d’interroger les témoins des défendeurs sur les raisons légales de leur décision de ne pas lui offrir un emploi. Si les pages 000007 à 000011 devaient renfermer un avis juridique, il affirme que cela pourrait être d’importance vitale pour sa cause et maintient que l’équité procédurale lui donne droit à cette information.

11 Les défendeurs ont déclaré qu’ils n’avaient pas les pages en question à l’audience. Toutefois, en se basant sur l’explication donnée par la Direction de l’AIPRP, ils ont soutenu que je ne devrais pas ordonner leur production parce que leur contenu est protégé par le privilège du secret professionnel de l’avocat.

12 Après avoir entendu les parties, j’ai ordonné aux défendeurs de me remettre les pages pour que je puisse en prendre connaissance afin de déterminer si elles pouvaient être protégées par le secret professionnel de l’avocat. Ils ont rétorqué que je n’ai pas le droit de les exiger, en invoquant l’arrêt Blood Tribe de la Cour suprême.

13 J’ai modifié mon ordonnance de production du document en y précisant qu’il serait conservé sous scellés par la Commission jusqu’à ce que j’aie rendu ma décision sur l’objection des défendeurs. Ensuite, j’ai ajourné l’audience.

III. Arguments écrits

14 Les défendeurs ont déposé leurs arguments écrits le 16 juin 2009; le plaignant a répondu en déposant les siens le 6 juillet 2009. La Commission a reçu la réfutation des défendeurs le 10 juillet 2009.

15 Les représentations déposées par le plaignant le 6 juillet 2009 comprenaient ses arguments « contextuels » à l’appui de sa plainte ainsi que ses commentaires sur la procédure jusque-là. Le 12 juillet 2009, le plaignant a également déposé d’autres arguments, non sollicités ceux-là, accompagnés d’un document intitulé « Le droit de l’employé de choisir en common law ». Pour les fins de cette décision provisoire, la Commission a tenu compte seulement des parties du document déposé par le plaignant le 6 juillet 2009 qui portent sur les questions posées au paragraphe 2 de la présente décision.

A. Pour les défendeurs

16 Les défendeurs affirment que le plaignant n’a pas contesté la validité du privilège du secret professionnel de l’avocat qu’ils revendiquent. Le plaignant a demandé qu’on lui communique des avis juridiques que la direction a obtenus sur sa situation. Par conséquent, les défendeurs déclarent qu’on doit présumer qu’ils revendiquent à bon droit le privilège du secret professionnel de l’avocat. La seule question dont la Commission est saisie consiste à déterminer si le plaignant s’est acquitté de la charge de la preuve requise pour invoquer une exception au privilège du secret professionnel de l’avocat. Les défendeurs déclarent qu’il ne l’a pas fait et que leur objection devrait donc être maintenue.

17 Subsidiairement, en réponse à la première question posée par la Commission, les défendeurs déclarent que la Loi ne l’autorise pas à percer le voile du secret professionnel de l’avocat même quand la validité de ce privilège est mise en doute. L’instance appropriée pour juger si le secret professionnel de l’avocat est revendiqué à juste titre est la cour supérieure d’une province ou la Cour fédérale.

18 Si leur position sur la première question posée par la Commission est incorrecte, les défendeurs déclarent dans leur réponse à la seconde question que la validité de leur décision de revendiquer le secret professionnel de l’avocat devrait être évaluée par le président de la Commission ou par un de ses vice-présidents nommés pour ce faire par le président et non confiée au commissaire saisi de l’affaire dans laquelle la question a été soulevée.

1. La Commission a-t-elle le pouvoir de décider si un document est protégé par le privilège du secret professionnel de l’avocat?

19 La Commission est un tribunal administratif législatif créé par la Loi. Comme elle a été créée par une loi, elle n’a que les pouvoirs dont cette loi l’investit : Sara Blake, Administrative Law in Canada, 4th ed., 2006, chapitre 4, p. 117.

20 Les organismes administratifs législatifs comme la Commission sont des organes du pouvoir exécutif du gouvernement qui les a créés par une loi pour s’acquitter de sa mission. L’exécutif délègue certains de ses pouvoirs aux organismes administratifs. Les tribunaux, eux, sont des organes du pouvoir judiciaire, qui tient son indépendance de la Loi constitutionnelle de 1867 : Blake, chapitre 4, p. 142.

21 Dans le contexte de cette plainte, les pouvoirs de la Commission sont essentiellement exposés à l’article 36 et au paragraphe 40(1) de la Loi. C’est de ces dispositions générales que doivent procéder ses pouvoirs de percer le voile du secret professionnel de l’avocat :

[…]

          36. La Commission met en œuvre la présente loi et exerce les pouvoirs et fonctions que celle-ci lui confère ou qu’implique la réalisation de ses objets, notamment en rendant des ordonnances qui exigent l’observation de la présente loi, des règlements pris sous le régime de celle-ci ou des décisions qu’elle rend sur les questions qui lui sont soumises.

[…]

          40.(1) Dans le cadre de toute affaire dont elle est saisie, la Commission peut :

a) de la même façon et de la même mesure qu’une cour supérieure d’archives, convoquer des témoins et les contraindre à comparaître et à déposer sous serment, oralement ou par écrit;

[…]

e) accepter des éléments de preuve, qu’ils soient admissibles ou non en justice;

h) obliger, en tout état de cause, toute personne à produire les documents ou pièces qui peuvent être liés à toute question dont elle est saisie;

[…]

22 Ces dispositions ne confèrent à la Commission aucun pouvoir clair et explicite d’examiner des documents protégés par le privilège du secret professionnel de l’avocat. Les défendeurs déclarent donc qu’elle ne peut pas aller au-delà des pouvoirs que lui donne sa loi habilitante.

23 Une abondante jurisprudence appuie la position des défendeurs. Dans Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2004 CSC 31, la Cour suprême a conclu que l’abrogation législative du privilège du secret professionnel de l’avocat exigeait des dispositions claires et expresses. Elle a analysé dans cette affaire le libellé de l’article 10 de la Loi sur la procédure de révision judiciaire de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. J.1, qui stipule que le tribunal saisi d’un avis de requête en révision judiciaire d’une décision qu’il a rendue dépose le « dossier de l’instance d’où émane la décision ». La Cour suprême a jugé que cette disposition n’était ni assez générale, ni assez spécifique pour inclure les documents protégés tels que l’opinion juridique en cause. En outre, et c’est plus important, elle est arrivée à la conclusion suivante :

[…]

33 Un texte législatif visant à limiter ou à écarter l’application du privilège avocat-client sera interprété restrictivement : voir Lavallée, précité, par. 18. Le privilège avocat-client ne peut être supprimé par inférence. Si, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés, un organisme administratif est maître de sa procédure, il reste que ces pouvoirs doivent être exercés conformément aux règles de justice naturelle et à la common law.

[…]

[Je souligne.]

24 Dans Blood Tribe, la Cour suprême a dû se prononcer sur un libellé législatif semblable à celui de l’article 40 de la Loi, et elle a jugé, en se fondant sur Pritchard et sur Lavallée, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 61, que des dispositions générales étaient insuffisantes pour donner à la Commissaire à la protection de la vie privée le pouvoir d’exiger la production de documents protégés par le privilège du secret professionnel de l’avocat en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5(LPRPDE). Dans cet arrêt Blood Tribe, la Cour suprême a déclaré :

[…]

21  Je n’accepte pas la validité de cette analogie entre la Commissaire à la protection de la vie privée et un tribunal judiciaire à cet égard. Le privilège ne concerne aucunement la Commissaire à la protection de la vie privée. Cette dernière prétend que, puisqu’elle est indépendante des parties, une décision de sa part sur la revendication du privilège ne constituerait pas une violation du privilège. Je ne suis pas de cet avis. La confiance du client est le fondement du privilège, dont la violation doit être évaluée du point de vue du client. Pour un client, la communication, sous la contrainte, de renseignements confidentiels à un fonctionnaire, même si les renseignements ne sont divulgués à personne d’autre, constituerait une violation de la confidentialité. L’objection est d’autant plus sérieuse lorsqu’il existe (comme en l’espèce) une possibilité que les renseignements visés par le privilège soient rendus publics ou soient utilisés contre la personne qui a droit au privilège […] Même si l’art. 12 lui donne des pouvoirs de procédure similaires à ceux d’un tribunal judiciaire, la Commissaire à la protection de la vie privée n’est pas un tribunal judiciaire. Le libellé de l’al. 12(1)a) lui confère le pouvoir de contraindre des témoins à produire

les documents ou pièces qu’[elle] juge nécessaires pour examiner la plainte dont [elle] est saisi[e], de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives;

Il s’agit d’une disposition de nature générale relative à la production de documents. Dans Pritchard, la Cour a rejeté un argument semblable à propos de l’art. 10 de la Loi sur la procédure de révision judiciaire de l’ Ontario. Nous avons conclu qu’une disposition générale relative à la production de documents qui ne précise pas clairement qu’elle s’applique aux documents à l’égard desquels est invoqué le privilège du secret professionnel de l’avocat n’est pas suffisante pour contraindre le détenteur de ces documents à les produire (Pritchard, par. 35). La Commissaire à la protection de la vie privée signale d’autre part que l’art. 12(1)c) lui permet de faire ce qui suit, dans l’exercice de ses pouvoirs d’examen :

12.1c) de recevoir les éléments de preuve ou les renseignements — fournis notamment par déclaration verbale ou écrite sous serment — qu’[elle] estime indiqués, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux;

Le pouvoir de recevoir des éléments de preuve de toutes sortes ne saurait être interprété comme autorisant la Commissaire à la protection de la vie privée à contraindre une personne à produire contre son gré des documents visés par le secret professionnel de l’avocat

[…]

[Je souligne.]

25 Dans Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455, par. 44 et 45, la Cour suprême a déclaré que le privilège du secret professionnel de l’avocat est un principe d’importance fondamentale dans l’administration de la justice et que c’est le plus grand privilège reconnu par les tribunaux : voir aussi Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, p. 836. Dans Descôteaux et al. c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, p. 894, la Cour suprême a également écrit que ce droit à la confidentialité s’attache « […] à toutes les communications faites dans le cadre de la relation client-avocat, laquelle prend naissance dès les premières démarches du client virtuel, donc avant même la formation du mandat formel. »

26 Dans Smith, la Cour suprême a souligné le fait que le privilège du secret professionnel de l’avocat n’est pas absolu; il y a donc des exceptions, mais seulement dans des circonstances très limitées (comme celle de l’exception pour assurer la sécurité du public). Le privilège ne devrait céder que dans les circonstances les plus clairement définies et, même s’il n’est pas absolu, il doit être traité comme étant aussi absolu que possible pour assurer la confiance du public et pour garder sa pertinence : Hubbard et al., The Law of Privilege in Canada, 2009, par. 11.190. Jusqu’à présent, on n’a reconnu que trois exceptions à la règle interdisant la communication de renseignements visés par le privilège du secret professionnel de l’avocat, décrites de la façon suivante dans Hubbard et al. :

[Traduction]

[…]

  • lorsque les renseignements visés par le privilège peuvent empêcher l’accusé(e) de produire une défense complète, autrement dit de faire la preuve de son innocence;
  • lorsque les communications entre l’avocat et son client sont criminelles;
  • lorsque la sécurité de membres du public est menacée et que violer le secret professionnel de l’avocat peut leur éviter un préjudice.

[…]

27 Dans Goldman, Sachs & Co. v. Sessions, [1999] B.C.J. No. 2815 (QL), la Cour suprême de la Colombie-Britannique s’est prononcée sur l’application d’une exception au privilège du secret professionnel de l’avocat dans le contexte du droit civil. Dans cette affaire, on avait invoqué ce privilège à l’appui d’un argument visant à prévenir ce qu’on alléguait être un abus de procédure. La Cour a déclaré que les avis juridiques professionnels obtenus pour faciliter un abus de procédure ne sont pas protégés par le secret professionnel de l’avocat et que [traduction] « […] ce privilège ne s’applique pas parce que l’obligation professionnelle d’un avocat ne va pas jusqu’à conseiller un client de façon qu’il abuse de la procédure judiciaire à des fins illicites. » Pour qu’une demande de production de renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat puisse être accueillie, la Cour a établi le critère suivant dans Goldman, Sachs & Co. :

[Traduction]

[…]

19  J’arrive maintenant à ce que les défendeurs doivent prouver pour que leur demande soit accueillie.

20  La charge de la preuve qui leur incombe est décrite dans Pax Management Ltd. v. C.I.B.C. (1987), 14 B.C.L.R. (2d) 257 (C.A.), p. 265-266, où le juge d’appel Wallace, au nom de la Cour, a souscrit au raisonnement du vicomte Finlay dans O'Rourke v. Darbishire, précitée, p. 604, à savoir qu’il doit y avoir plus qu’une simple allégation — il doit y avoir « quelque chose qui étaye l’accusation », autrement dit « une preuve prima facie qu’elle est fondée sur des faits. » Il a défini l’approche indiquée dans ce passage :

J’ai conclu que les plaignants ont expressément plaidé une fausse représentation frauduleuse et que les circonstances qui entouraient l’affaire, telles que révélées par les affidavits déposés à l’appui de la requête, me convainquent que leur démarche est honnêtement présentée et suffisamment crédible pour que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire de passer outre au privilège afin de se saisir de tous les renseignements pertinents pour trancher cette très grave allégation.

21  Par conséquent, la cour n’a pas besoin de peser des éléments de preuve contradictoires et d’arriver à des conclusions sur les faits à l’égard d’une demande comme celle-ci. Elle doit plutôt examiner la thèse du demandeur à la lumière de toute la preuve et des circonstances qui l’entourent pour déterminer si elles « étayent l’accusation. »

[…]

28 Les défendeurs déclarent que les raisons pour lesquelles le plaignant réclame la communication des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat ne correspondent à aucune des exceptions susmentionnées.

29 La Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) a récemment dû se prononcer sur son pouvoir d’exiger la production de documents à l’égard desquels on avait revendiqué le privilège du secret professionnel de l’avocat afin d’examiner la validité de cette prétention. Dans Carpenters & Allied Workers, Local 27, United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America v. Proplus Construction & Renovation Inc., 2008 CanLII 65158 (ON L.R.B.) (la décision « Proplus Construction »), la CRTO a conclu qu’elle avait compétence pour trancher toutes les questions de fait ou de droit soulevées dans ses audiences et que, par conséquent, l’arrêt Blood Tribe ne s’appliquait pas dans son cas.

30 Les défendeurs affirment que la décision Proplus Construction n’est pas jurisprudentielle pour la Commission et qu’on peut distinguer la situation dans cette affaire-là de celle en l’espèce sous deux aspects essentiels. Premièrement, le régime législatif de la CRTO est très différent de celui de la Loi. Par exemple, le paragraphe 114(1) de la Loi sur les relations de travail de 1995 de l’Ontario, L.O. 1995, ch. 1, Annexe A (LRTO), investit expressément la CRTO de la compétence exclusive pour « … trancher toutes les questions de fait ou de droit soulevées à l’occasion d’une affaire qui lui est soumise. » La Loi ne renferme aucune disposition pareille. L’article 36 de la Loi dispose que la Commission « […] exerce les pouvoirs et fonctions que celle-ci lui confère ou qu’implique la réalisation de ses objets. » Les défendeurs invoquent les arrêts Pritchard et Blood Tribe de la Cour suprême et allèguent que même si le libellé de la LRTO est peut-être suffisamment précis pour autoriser un tribunal quasi judiciaire à examiner les documents protégés par le secret professionnel de l’avocat, le libellé de la Loi n’est pas assez explicite pour conférer ce pouvoir à la Commission.

31 Deuxièmement, dans Proplus Construction, le demandeur avait réussi à prouver qu’il était indispensable que la CRTO rende l’ordonnance réclamée. Les faits dans cette affaire-là laissaient entendre que le défendeur pouvait avoir revendiqué injustement le secret professionnel de l’avocat. Par exemple, il avait apparemment refusé de produire des documents comme le relevé des heures de travail des employés, les talons des chèques de paie et d’autres documents de la liste de paie. La CRTO était convaincue, dans les circonstances, qu’il fallait vérifier si le privilège du secret professionnel de l’avocat avait été invoqué à juste titre, et elle avait souligné que :

[Traduction]

[…]

Si les seuls documents à l’égard desquels on a invoqué le secret professionnel de l’avocat sont des lettres entre la partie défenderesse et ses avocats, ils ne devraient pas être communiqués aux demandeurs…

[…] La Commission ne désire pas mettre à la disposition des demandeurs ou de leur avocat un document protégé par le secret professionnel de l’avocat que détient la partie défenderesse…

[…]

32 En l’espèce, le plaignant n’a pas démontré que le privilège du secret professionnel de l’avocat revendiqué par les défendeurs est une supercherie. Au contraire, il réclame la production de documents protégés par ce secret professionnel à seule fin d’étayer son argument que les défendeurs ont violé les sous-alinéas 186(2)a)(iii) et (iv) de la Loi.

2. Quelle procédure la Commission devrait-elle suivre pour conclure qu’un document est protégé par le privilège du secret professionnel de l’avocat?

33 Les défendeurs déclarent que la Commission n’a pas besoin de tirer cette conclusion, parce que le plaignant ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve nécessaire pour qu’elle ordonne la production des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat. La demande du plaignant reconnaît implicitement la validité du secret professionnel invoqué, de sorte qu’une telle démarche de la Commission serait sans objet.

34 Subsidiairement, si la Commission devait décider qu’elle doit tirer cette conclusion, les défendeurs estiment que la procédure appropriée devrait être la suivante :

[Traduction]

1. La première étape du processus devrait être une détermination de la validité du privilège invoqué grâce à l’examen d’un affidavit descriptif détaillé des documents visés;

2. Deuxièmement, si la première étape était infructueuse, le président de la Commission devrait inspecter et examiner les documents visés ou charger un de ses vice-présidents de le faire;

3. Quoi qu’il en soit, la deuxième étape ne devrait pas être confiée au commissaire ou à l’arbitre de grief saisi de l’affaire dans laquelle la question a été soulevée.

35 L’approche à deux étapes proposée par les défendeurs est compatible avec celle que les tribunaux ont adoptée, notamment dans Pritchard, aux paragraphes 17 et 18 : « […] [le privilège avocat-client] doit être aussi absolu que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent »; il doit être « … jalousement protégé et ne doit être levé que dans les circonstances les plus exceptionnelles… » Si la seconde étape devait être jugée nécessaire, les défendeurs proposent également qu’elle soit confiée à une autre personne qu’au commissaire saisi de l’affaire, pour éviter toute perception de partialité.

36 Pour conclure, les défendeurs demandent à la Commission de maintenir leur objection à la demande du plaignant de produire les documents qu’il réclame.

B. Pour le plaignant

1. Réfutation des arguments des défendeurs

37 Le plaignant déclare que les représentations des défendeurs et la jurisprudence qu’ils invoquent étayent globalement sa position. Toutefois, elles ne tiennent pas compte du contexte « de plainte » dans lequel les questions de la Commission ont été posées. Dans bien des cas, les défendeurs ne font aucune distinction entre « un commissaire et un arbitre de grief ». Or, compte tenu des régimes législatifs différents qui s’appliquent aux différents mécanismes de recours prévus par la Loi, les réponses aux questions posées par la Commission pourraient être différentes selon qu’il s’agit d’une plainte fondée sur la partie 1 ou d’un grief fondé sur la partie 2.

38 Depuis le 26 octobre 2007, et avant le dépôt de sa plainte à la Commission, le plaignant a présenté au coordonnateur de l’AIPRP de l’Agence des demandes répétées pour en obtenir des renseignements et des documents. Quand l’accès à des documents lui a été refusé en invoquant les articles 26 (renseignements personnels) et 27 (secret professionnel de l’avocat) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le plaignant a demandé à l’Agence une liste précisant la nature de chaque document pour lequel elle revendiquait un privilège quelconque. Il n’a jamais reçu une telle liste. Le témoin de l’employeur Laurie Wallace a déclaré qu’on avait refusé de fournir ces renseignements au plaignant conformément aux instructions de M. Hillier. Le plaignant a donc porté plainte au Commissariat à la protection de la vie privée, le 2 novembre 2007.

39 Aucun recours n’est possible en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels lorsqu’on refuse injustement de communiquer des renseignements, l’arrêt Blood Tribe l’a confirmé. Par conséquent, le plaignant a renoncé à toutes ses demandes d’information et à toutes ses plaintes au Commissariat parce que cette loi n’a pas de mordant.

40 Les documents que le plaignant cherchait et cherche encore à obtenir sont pertinents pour déterminer ce qui autorise les défendeurs à décider de ne pas lui offrir un emploi (ou ce qui justifie légalement cette décision, le cas échéant). Ils sont fondamentaux pour sa cause.

41 Le plaignant déclare que l’objection des défendeurs à la production des documents devrait être rejetée parce qu’ils sont tenus de se présenter devant le tribunal ou devant la Commission avec les mains nettes, ce qui n’est pas le cas. Ils n’ont pas respecté son droit de common law de choisir son employeur et ne se sont pas conformés non plus à l’entente de règlement de ses griefs ni à l’accord sur les ressources humaines (ARH) conclu entre l’Agence et le MRO. Les communications figurant dans les documents que le plaignant réclame avaient pour but la poursuite d’une conduite illégale en matière de relations de travail, et comme la Commission est expressément chargée de régler les différends dans ce domaine, elle ne peut pas faciliter ni avaliser une telle conduite.

42 Le plaignant affirme qu’on peut douter de la validité du privilège du secret professionnel de l’avocat que les défendeurs revendiquent, selon leurs arguments. Rien de ce qu’ils avancent ne laisse clairement entendre la participation d’un conseiller juridique ou même de ses adjoints. Les défendeurs n’ont pas prouvé que l’auteur du document a agi en sa qualité professionnelle ou que les avis demandés étaient juridiques plutôt que stratégiques.

43 Si la Commission présume de la validité du privilège du secret professionnel de l’avocat revendiqué par l’employeur, le plaignant maintient qu’il s’est acquitté de la charge de prouver qu’une exception à la règle est justifiée et que la Commission devrait rejeter l’objection des défendeurs à la communication du document qu’il réclame.

44 Le plaignant déclare qu’il est impératif, conforme à la justice naturelle et tout simplement équitable que la Commission et lui-même sachent si le refus des défendeurs de lui offrir un emploi était basé sur des motifs interdits par la Loi.

45 Subsidiairement, il déclare que les défendeurs ont une interprétation beaucoup trop restrictive de la Loi quant au pouvoir de la Commission de statuer sur la validité du privilège avocat-client qu’ils revendiquent, que sa validité soit contestée ou pas.

46 L’article 36 de la Loi donne à la Commission la compétence d’exercer non seulement les pouvoirs et les fonctions qu’elle lui confère, mais aussi ceux « […] qu’implique la réalisation de ses objets », quand ces pouvoirs et ces fonctions ne sont pas précisés dans la Loi. Cela comprend le pouvoir de rendre des décisions à l’égard de toutes les questions dont elle est saisie, même dans des cas inhabituels comme celui de la présente plainte où il est question de dessaisissement et de l’ARH. Bref, et bien qu’il ne s’agisse que d’une disposition de portée générale, elle confère à la Commission de bien plus grands pouvoirs que les défendeurs ne le laissent entendre, compte tenu des objets de la Loi et de ses articles 13 et 14.

2. Autres commentaires du plaignant sur les questions posées par la Commission

a. La Commission a-t-elle le pouvoir de décider si un document est protégé par le privilège du secret professionnel de l’avocat?

47 Le plaignant fait valoir qu’une approche textuelle, contextuelle et fondée sur l’objet de l’interprétation législative montre que le pouvoir de percer le voile du privilège peut être tiré de toutes les dispositions de la Loi, en plus des pouvoirs généraux et des fonctions globales dont la Commission est investie par les articles 36 et 40. Les pouvoirs décisionnels de la Commission sont très vastes.

48 Le plaignant ne reconnaît pas que l’arrêt Blood Tribe de la Cour suprême du Canada s’applique à la Commission et limite ses pouvoirs en ce qui concerne le privilège du secret professionnel de l’avocat. Blood Tribe portait sur une plainte à la Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, qui avait ordonné la production de documents protégés en vertu de l’article 12 de la LPRPDE, lequel lui confère le pouvoir législatif exprès de contraindre des témoins à produire les documents qu’elle juge nécessaires pour examiner une plainte « […] de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives » et « de recevoir les éléments de preuve ou les renseignements [qu’elle] estime indiqués, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux. »

49 Selon le plaignant, la Cour suprême a appliqué les principes appropriés d’interprétation législative au libellé général de la LPRPDE pour conclure que le droit du défendeur à la confidentialité des communications entre l’avocat et son client devait prévaloir dans ce cas-là. Elle a jugé qu’une loi devait contenir des dispositions expresses pour qu’un fonctionnaire puisse percer ce privilège. Il n’y a pas de disposition claire et explicite en ce sens dans la LPRPDE. Toutefois, le plaignant soutient qu’on ne peut pas nécessairement en dire autant de la Loi.

50 La Cour suprême a également conclu qu’il est bien établi que les termes généraux dans un texte législatif accordant des pouvoirs ne confèrent pas un droit d’accès à des documents protégés par le privilège du secret professionnel de l’avocat, même dans le but limité de déterminer si l’on revendique ce privilège à juste titre. Elle a déclaré que ce rôle est réservé aux « tribunaux », sans faire de distinction concernant les tribunaux investis de pouvoirs décisionnels ou la Commission.

51 Le plaignant fait néanmoins valoir qu’on peut distinguer la situation dans Blood Tribe et celle en l’espèce à plusieurs égards. Premièrement, la Loi confère bel et bien des pouvoirs décisionnels à la Commission. Son libellé est plus spécifique que le libellé général de la LPRPDE. Bref, le plaignant maintient que la Loi investit la Commission du pouvoir de faire produire des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat.

52 Contrairement à la Commission, le commissaire à la protection de la vie privée n’occupe pas un poste indépendant investi du pouvoir de rendre des décisions ou des ordonnances comme un tribunal. La Cour suprême l’a déclaré en ces termes dans Blood Tribe :

[…]

Une décision sur la revendication du privilège de la part de la commissaire, qui est un enquêteur administratif et non une autorité décisionnelle, constituerait une violation du privilège.

[…]

[Je souligne.]

53 Dans la présente affaire, au contraire, le commissaire fait office d’instance décisionnelle. Or, la Cour suprême a bel et bien déclaré ce qui suit au paragraphe 22 de Blood Tribe :

[…] le pouvoir d’un tribunal judiciaire d’examiner un document privilégié en vue de statuer sur la revendication contestée du privilège ne découle pas de son pouvoir d’exiger la production de documents, mais de celui de statuer sur des demandes portant sur des droits. La Commissaire à la protection de la vie privée ne dispose pas de ce pouvoir.

[Je souligne.]

54 Pour s’acquitter de son mandat, à l’instar d’un tribunal, la Commission n’agit jamais à l’encontre des intérêts de la partie qu’elle contraint à produire des documents, comme la commissaire à la protection de la vie privée le faisait dans Blood Tribe.

55 Si la Commission choisit de ne pas exercer son pouvoir de passer outre au privilège du secret professionnel de l’avocat, elle peut renvoyer la question aux tribunaux en vertu du paragraphe 18.3(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7.

56 Au sujet des trois exceptions reconnues à l’exclusion de la preuve protégée par le privilège du secret professionnel de l’avocat, le plaignant fait valoir ce qui suit :

[Traduction]

Ø Si l’inversion de la charge de la preuve aux défendeurs dans ce contexte n’influe pas sur la position des parties quant au critère des exceptions :

  1. les renseignements prétendument protégés peuvent empêcher les défendeurs accusés de produire une réponse et une défense complètes, ce qui signifie que leur innocence est en jeu; si c’est le cas, il faut passer outre au privilège afin de communiquer toute l’information pour leur assurer une défense adéquate;
  2. bien que non criminelles, les communications avaient pour but de rendre possibles des actes illégaux; elles sont vraisemblablement tout aussi graves qu’une affaire criminelle devant un tribunal, et c’est pourquoi il faut passer outre au privilège pour éviter d’y contribuer;
  3. la sécurité publique peut être assouplie dans la mesure envisagée par les objets de la Loi; dans ce contexte, la sécurité de la communauté des relations du travail est menacée, de sorte qu’il faudrait passer outre au privilège pour éviter qu’elle n’en souffre.

Ø Si l’inversion de la charge de la preuve aux défendeurs dans ce contexte influe sur la position des parties quant au critère des exceptions :

  1. il faudrait passer outre au privilège pour donner au plaignant la possibilité de produire une réponse et une défense complètes; la lettre du 13 septembre 2007 et les courriels internes de l’employeur qui y ont mené laissent entendre que le document réclamé est nécessaire pour établir pleinement ma plainte;
  2. bien qu’elles ne soient pas criminelles, les communications pourraient prouver que les répondants ont commis des actes illégaux ou liés à des éléments que j’allègue être une supercherie;
  3. la protection du public est primordiale en vertu de la Loi; il n’est pas dans l’intérêt public du maintien de l’harmonie des relations de travail que le gouvernement ne respecte pas la confidentialité des ententes de règlement et des dispositions de licenciement, particulièrement quand il prend des représailles. Compte tenu des actions illégales alléguées ci-dessus, tous les avis juridiques obtenus dans cette affaire auraient vraisemblablement facilité les abus de procédure et d’autorité ainsi que le harcèlement.

57 Il faut passer outre au privilège dans n’importe quelle des situations susdécrites. Le plaignant maintient que ses raisons de réclamer la communication des renseignements correspondent aux trois exceptions reconnues.

58 En réponse aux commentaires des défendeurs sur Proplus Construction, le plaignant a déjà fait valoir que les objets et les dispositions de la Loi ont la précision nécessaire pour conférer à la Commission les pouvoirs requis. Par conséquent, il importe peu que Proplus Construction la lie ou non. La Commission consulte les décisions d’arbitrage rendues par d’autres instances pour se guider, sinon pour y trouver des précédents.

b. Quelle procédure la Commission devrait-elle suivre pour conclure qu’un document est protégé par le privilège du secret professionnel de l’avocat? 
              

59 Le plaignant estime qu’il n’a pas besoin de répondre à la seconde question de la Commission, parce qu’il n’existe clairement pas de privilège du secret professionnel de l’avocat dans ce cas-ci.

60 Si la Commission décide du contraire, elle pourra trancher elle-même étant donné qu’elle a le mandat exprès de rendre des décisions, ou encore renvoyer l’affaire à la Cour fédérale.

61 Si la Commission décide de trancher elle-même, le plaignant accepte qu’elle opte pour la première étape de l’approche à deux étapes proposée par les défendeurs, avec un ajout. Le commissaire devrait invoquer l’article 50 de la Loi pour que le président retienne temporairement les services d’un expert (un avocat spécialisé en droit du travail) qui l’assisterait à titre consultatif dans l’examen requis.

C. Réfutation pour les défendeurs

62 Les défendeurs répondent à l’argument du plaignant voulant que la Commission doive rejeter leur objection à la communication du document qu’il réclame à cause de ce qu’il prétend être leur conduite illégale, en déclarant qu’il n’a pas satisfait aux conditions qui lui permettraient d’invoquer les exceptions au privilège du secret professionnel de l’avocat.

63 La position du plaignant consiste essentiellement à prétendre que l’Agence n’a pas respecté les modalités de l’ARH conclu avec le MRO ni la confidentialité de l’entente de règlement qu’elle avait conclue avec lui, ni non plus son [traduction] « … droit de common law de choisir son employeur. » Selon les défendeurs, ces allégations ne satisfont pas au critère établi dans Goldman Sachs & Co. Comme la Cour suprême l’a écrit dans Goodis c. Ontario (Ministère des Services correctionnels), 2006 CSC 31, la communication de documents à l’égard desquels on revendique le privilège du secret professionnel de l’avocat doit être ordonné seulement si c’est absolument nécessaire, un critère juste en deçà de l’interdiction absolue, et le plaignant n’a pas réussi à prouver que la communication des documents qu’il réclame est absolument nécessaire.

64 Contrairement à la position du plaignant, l’ARH n’a pas été violée. L’Agence n’a pas agi illégalement, contrairement à ce qu’il allègue, et quoi qu’il en soit, la Commission n’a pas compétence pour rendre une décision sur les droits, les tâches et les obligations prévus par l’ARH.

65 Ensuite, rien ne prouve que l’Agence ait violé les dispositions sur la confidentialité de l’entente de règlement qu’elle avait conclue avec le plaignant le 13 octobre 2004. En fait, la Commissaire à la protection de la vie privée a clairement conclu le contraire dans une décision datée du 20 novembre 2008 sur la plainte dont elle avait été saisie par le plaignant.

66 Enfin, la nature du [traduction] « […] droit de common law de choisir son employeur » mentionné par le plaignant dans le contexte de la présente procédure n’est pas claire. Cela dit, un tel droit aurait pour corollaire celui de l’employeur de choisir qui il veut embaucher. En l’espèce, l’Agence a clairement fait savoir qu’elle ne veut pas du plaignant comme employé, à cause de son inconduite passée. M. Hillier et Anne Ross ont été longuement contre-interrogés sur ce point et tous deux ont clairement déclaré que l’Agence entendait mettre entièrement et définitivement fin à sa relation d’emploi avec le plaignant.

67 Les défendeurs sont d’avis que la Commission n’a pas besoin de savoir quels avis juridiques l’employeur a demandés ou obtenus pour pouvoir trancher la plainte. Elle doit rendre une décision sur la plainte au fond en se basant exclusivement sur les faits, sur la preuve et sur le droit.

68 Les défendeurs demandent en toute déférence que leur objection soit maintenue.

IV. Motifs

69 Je tiens à préciser d’emblée dans ces motifs que je ne conteste pas et ne peux pas contester le principe que la protection du privilège du secret professionnel de l’avocat est une question d’importance primordiale. Même si la jurisprudence reconnaît des exceptions à ce privilège, ce sont des exceptions limitées. Le décideur se doit clairement d’accorder le plus grand respect à ce privilège lorsqu’il est valide. Autrement dit, la présente décision ne porte pas sur le rôle ou sur l’importance du privilège, mais seulement sur la compétence de la Commission pour déterminer s’il a été revendiqué à juste titre et sur sa façon d’exercer sa compétence.

70 Les défendeurs ont commencé par dire que le plaignant n’a pas contesté la validité du privilège du secret professionnel de l’avocat qu’ils ont revendiqué. C’est sur cette base qu’ils ont déclaré que la Commission n’a pas besoin d’aller plus loin et de prendre connaissance des représentations sur les deux questions qu’elle a posées aux parties. Je ne partage pas cet avis.

71 Quand le plaignant a demandé qu’on lui communique les pages 000007 à 000011 de la Pièce C-40, il a saisi la Commission du contenu de ces pages. La nature de l’objection des défendeurs à la demande en a fait une question de compétence. La preuve a révélé que le plaignant avait reçu une explication de la Direction de l’AIPRP de l’Agence voulant que l’article 27 (secret professionnel de l’avocat) de la Loi sur la protection des renseignements personnels l’autorisait à ne pas communiquer les pages en question. Le plaignant a néanmoins persisté devant la Commission dans ses efforts pour les obtenir, ce qui est en soi une indication qu’il n’était pas entièrement satisfait de l’explication qu’on lui avait donnée. Bien qu’il ne fasse aucun doute que le plaignant comprend que le document qu’il réclame puisse être une opinion juridique, je ne crois pas, tout bien pesé, que la preuve soit suffisante pour m’amener à conclure qu’on puisse invoquer à juste titre le privilège du secret professionnel de l’avocat dans ce contexte et que la seule question qui me reste à trancher consiste à déterminer s’il existe des motifs justifiant une exception. Les commentaires du plaignant à l’audience et les arguments écrits qu’il a présentés par la suite m’ont convaincu que la validité du privilège revendiqué est en elle-même une question qui n’est pas claire dans son esprit, tout comme la question des motifs justifiant une exception posée subsidiairement.

72 Par conséquent, je conclus que la validité du privilège du secret professionnel de l’avocat revendiqué par les défendeurs — et la question sous-jacente de compétence qu’ils ont soulevée — sont des questions dont la Commission est saisie à juste titre, de sorte que je me dois d’analyser les réponses aux deux questions posées aux parties. J’estime qu’il est nécessaire — et important — de répondre à ces questions tant pour les fins immédiates de la présente affaire que pour trancher une question de compétence d’intérêt général pour la communauté des relations de travail assujettie à la Loi.

A. Dans le contexte d’une plainte déposée en vertu de l’article 190 de la Loi, la Commission a-t-elle le pouvoir de décider si un document est protégé par le privilège du secret professionnel de l’avocat? 

                                                        

73 Le pouvoir de la Commission d’ordonner la communication d’un document est explicitement décrit à l’alinéa 40(1)h) de la Loi :

          40. (1) Dans le cadre de toute affaire dont elle est saisie, la Commission peut :

[…]

h) obliger, en tout état de cause, toute personne à produire les documents ou pièces qui peuvent être liés à toute question dont elle est saisie;

L’exercice du pouvoir de la Commission de contraindre quiconque à communiquer des documents en vertu de cet alinéa est limité aux documents ou aux pièces « qui peuvent être liés » aux questions dont elle est saisie. À l’audience, il m’a été impossible de me prononcer sur la pertinence des pages 000007 à 000011, faute de connaître la nature de leur contenu. Pour les fins des présents motifs, je dois supposer qu’elles peuvent être liées à la question dont je suis saisi.

74 L’argument des défendeurs voulant que la Commission n’ait pas compétence pour questionner la validité du privilège du secret professionnel de l’avocat qu’ils revendiquent est fermement basé sur leur interprétation du raisonnement de la Cour suprême dans plusieurs arrêts, le plus récent étant Blood Tribe. La décision que je dois rendre est la première dans laquelle la Commission est appelée à décider si l’arrêt Blood Tribe limite sa compétence (ou dans quelle mesure il la limite). La question posée par l’objection des défendeurs est manifestement importante. Si j’acceptais leur position, les pouvoirs conférés à la Commission par le législateur en vertu de l’alinéa 40(1)h) (ou d’autres dispositions) de la Loi seraient limités dès qu’on invoquerait le secret professionnel de l’avocat.

75 La Commission, les arbitres de grief nommés en vertu de la Loi et les décideurs oeuvrant sous le régime de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R., 1985, ch. P-35, ont rarement rendu des décisions en bonne et due forme sur une revendication du privilège du secret professionnel de l’avocat. Beaulne c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 10 fait exception, puisque l’arbitre de grief a jugé au par. 50 de cette décision que ce privilège s’appliquait à un document précisant les honoraires juridiques qu’un plaignant avait payés à un  avocat qu’il avait consulté au sujet de sa plainte. Néanmoins, je sais que les commissaires et les arbitres de grief de la Commission ont régulièrement rendu de vive voix des décisions sur ce genre de privilège quand il s’agissait de produire une preuve, sans qu’elles ne soient contestées. De telles décisions seraient-elles interdites par Blood Tribe et par d’autres décisions jurisprudentielles, comme les défendeurs le prétendent?

76 Le « Sommaire de la Cour » suivant, joint à l’arrêt Blood Tribe, est une description de l’historique de cette affaire avant qu’elle n’aboutisse à la Cour suprême :

[…]

Après son congédiement, une employée a demandé d’avoir accès aux renseignements personnels relatifs à son emploi parce qu’elle soupçonnait l’employeur d’avoir irrégulièrement recueilli des renseignements inexacts et de les avoir utilisés pour la discréditer auprès de son conseil d’administration. L’employeur a refusé de lui communiquer ces renseignements et l’employée a déposé une plainte auprès du Commissaire à la protection de la vie privée en vue d’avoir accès à son dossier personnel. Le commissaire a demandé le dossier à l’employeur en termes généraux. Tout le dossier a été fourni sauf les documents à l’égard desquels l’employeur invoquait le privilège du secret professionnel de l’avocat. Le commissaire a alors ordonné la production des documents protégés en se fondant sur l’art. 12 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniquesLPRPDE »), qui confère au commissaire le pouvoir d’obliger une personne à produire tout document « de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives » et de « recevoir les éléments de preuve ou les renseignements […] qu’il estime indiqués, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux ». L’employeur a demandé le contrôle judiciaire de la décision du commissaire. Le juge chargé du contrôle judiciaire a décidé que le commissaire avait le pouvoir d’exiger la production de documents à l’égard desquels le secret professionnel de l’avocat est revendiqué afin d’exercer efficacement les fonctions que lui impose la loi en matière d’examen des plaintes. La Cour d’appel fédérale a annulé la décision du juge chargé du contrôle judiciaire et a cassé l’ordonnance du commissaire relative à la production des documents.

[…]

77 Dans Blood Tribe, la Cour suprême a maintenu la décision de la Cour d’appel fédérale, en basant son jugement sur un examen des pouvoirs spécifiques conférés à la commissaire à la protection de la vie privée par la LPRPDE, et elle a trouvé dans le libellé de cette loi plusieurs éléments préoccupants qui, réunis, l’ont amenée à conclure que le commissaire ne pouvait pas déterminer si le secret professionnel de l’avocat était revendiqué à bon droit.

78 On peut raisonnablement dire qu’un des aspects préoccupants de la LPRPDE se retrouve dans la loi habilitante de la Commission. Néanmoins, si je tiens compte des autres éléments critiques de l’analyse de Blood Tribe, je ne peux pas souscrire à l’idée que la conclusion de la Cour suprême sur le manque de compétence de la commissaire à la protection de la vie privée s’applique à la Commission. Tout bien pesé, j’estime que la nature et les fonctions de la Commission sous le régime de la Loi la distinguent clairement du titulaire du poste de commissaire à la protection de la vie privée. Les différences sont suffisantes pour démarquer la situation en l’espèce de celle qui existait dans Blood Tribe et pour m’amener à conclure que, contrairement au commissaire à la protection de la vie privée, la Commission a le pouvoir, en tant que tribunal quasi judiciaire, de se prononcer sur la validité d’une revendication du privilège du secret professionnel de l’avocat.

79 Je vais commencer par la réserve de la Cour suprême s’appliquant communément à la LPRPDE et à la Loi, qui constitue le principal élément de l’objection des défendeurs en l’espèce, soit l’absence d’une disposition législative explicite précisant le pouvoir de se prononcer sur la validité d’une revendication du privilège du secret professionnel de l’avocat.

80 Vers le début de l’arrêt Blood Tribe (au paragraphe 11), la Cour suprême a souligné « […] qu’une disposition d’acceptation large régissant la production de documents ne vise pas les documents protégés par le secret professionnel de l’avocat : Lavallée, par. 18; Pritchard, par. 33 [le passage en évidence l’est dans l’original]. » La Cour a ensuite ajouté ce qui suit :

[…]

18.  Les parties s’entendent pour dire que la LPRPDE ne confère pas expressément au Commissaire à la protection de la vie privée le pouvoir d’examiner des documents à l’égard desquels le privilège du secret professionnel de l’avocat est revendiqué — soit pour vérifier le bien-fondé de la revendication du privilège, soit pour toute autre fin. La question est donc de savoir si la loi lui confère implicitement ce pouvoir.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original.]

81 La Cour suprême a poursuivi son raisonnement en concluant qu’il n’y a pas non plus de disposition de la LPRPDE qui confère implicitement au commissaire à la protection de la vie privée le pouvoir d’examiner des documents pour lesquels on a revendiqué le secret professionnel de l’avocat. À son avis, les alinéas 12(1)a) et c) sont tous deux insuffisants à cette fin. Ils se lisent comme il suit :

12. (1) Le commissaire procède à l’examen de toute plainte et, à cette fin, a le pouvoir :

a) d’assigner et de contraindre des témoins à comparaître devant lui, à déposer verbalement ou par écrit sous la foi du serment et à produire les documents ou pièces qu’il juge nécessaires pour examiner la plainte dont il est saisi, de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives;

[…]

c) de recevoir les éléments de preuve ou les renseignements — fournis notamment par déclaration verbale ou écrite sous serment —qu’il estime indiqués, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux;

82 La Cour suprême a décrit l’alinéa 12(1)a) de la LPRPDE comme une « disposition de nature générale sur la production de documents » ne s’appliquant pas à des documents pour lesquels on revendique le privilège du secret professionnel de l’avocat. Elle a conclu que l’alinéa 12(1)c) autorise le commissaire à la protection de la vie privée à recevoir une vaste gamme d’éléments de preuve, mais pas à ordonner la production de documents protégés par le secret professionnel de l’avocat. Bref, et en se reportant une fois de plus à Pritchard, la Cour suprême a conclu dans Blood Tribe que c’est « […] justement le caractère général du texte de l’art. 12, où il n’est fait aucune mention des questions que soulève le privilège du secret professionnel de l’avocat [le passage en évidence l’est dans l’original] » qui révèle l’intention du législateur de ne pas accorder au commissaire à la protection de la vie privée le pouvoir d’abroger ce privilège.

83 Le libellé des alinéas 40(1)a), e) et h) de la Loi, que je cite ici, est très semblable à celui des dispositions de la LPRPDE que la Cour suprême a analysé :

[…]

40. (1) Dans le cadre de toute affaire dont elle est saisie, la Commission peut :

a) de la même façon et de la même mesure qu’une cour supérieure d’archives, convoquer des témoins et les contraindre à comparaître et à déposer sous serment, oralement ou par écrit;

[…]

e) accepter des éléments de preuve, qu’ils soient admissibles ou non en justice;

h) obliger, en tout état de cause, toute personne à produire les documents ou pièces qui peuvent être liés à toute question dont elle est saisie;

[…]

Compte tenu de l’analyse que la Cour suprême a faite dans Blood Tribe et des conclusions auxquelles elle était arrivée dans Pritchard, il me paraît évident qu’elle ne trouverait pas aux alinéas 40(1)a), e) et h) le genre de libellé clair qui conférerait explicitement à la Commission le pouvoir de se prononcer sur la validité d’une revendication du privilège du secret professionnel de l’avocat. Comme les défendeurs l’ont fait valoir, je crois que la Cour suprême du Canada aurait la même réaction à l’énoncé général des pouvoirs et des fonctions de la Commission qui figure à l’article 36 de la Loi :

[…]

36. La Commission met en œuvre la présente loi et exerce les pouvoirs et fonctions que celle-ci lui confère ou qu’implique la réalisation de ses objets, notamment en rendant des ordonnances qui exigent l’observation de la présente loi, des règlements pris sous le régime de celle-ci ou des décisions qu’elle rend sur les questions qui lui sont soumises.

[…]

La Loi ne renferme assurément aucune disposition portant explicitement sur le privilège du secret professionnel de l’avocat. Cela dit, savoir si l’article 36, le paragraphe 40(1) ou d’autres dispositions de la Loi confèrent implicitement à la Commission le pouvoir de se prononcer sur ce privilège est une tout autre affaire.

84 Le simple fait que la Cour suprême soulève la question de savoir si la LPRPDE confère implicitement le pouvoir de décider si l’on peut revendiquer à bon droit le privilège du secret professionnel de l’avocat laisse entendre que l’absence d’une disposition accordant explicitement ce pouvoir n’est pas une raison suffisante pour conclure qu’il n’existe pas. L’analyse dans Blood Tribe est beaucoup plus nuancée. La Cour suprême a déclaré (au paragraphe 26 de cet arrêt) qu’il faut toujours analyser des dispositions « […] dans le contexte législatif qui leur est propre ». À mon avis, elle nous amène à un autre élément crucial de son analyse lorsqu’elle déclare ce qui suit :

[…]

22 Quoi qu’il en soit, le pouvoir d’un tribunal judiciaire d’examiner un document privilégié en vue de statuer sur la revendication contestée du privilège ne découle pas de son pouvoir d’exiger la production de documents, mais de celui de statuer sur des demandes portant sur des droits. La Commissaire à la protection de la vie privée ne dispose pas de ce pouvoir.

[…]

85 C’est le fond de la question. En rejetant l’argument que le pouvoir du commissaire à la protection de la vie privée de contraindre les parties à produire des documents est analogue à celui d’un tribunal, la Cour suprême a souligné au paragraphe 20 de l’arrêt Blood Tribe que la LPRPDE fait du commissaire « […] un enquêteur administratif et non une autorité décisionnelle. » Pour une partie revendiquant le privilège du secret professionnel de l’avocat qui se fie à la confidentialité des communications protégées par ce privilège, la Cour suprême déclare que « […] la communication, sous la contrainte, de renseignements confidentiels à un fonctionnaire […] constituerait une violation de la confidentialité [je souligne] » (paragraphe 21 de Blood Tribe). Le fait que la Cour suprême a conclu dans cet arrêt que la commissaire à la protection de la vie privée n’a pas l’indépendance et l’impartialité d’un tribunal est d’importance critique. Son manque d’indépendance et d’impartialité est souligné par l’importante distinction « […] que dans l’exercice de son mandat, la commissaire peut avoir des intérêts opposés à ceux de l’organisation qui possède les documents auxquels la commissaire veut obtenir l’accès » (paragraphe 23 de l’arrêt). Pour la Cour suprême, elle est une étrangère vis-à-vis de la relation privilégiée entre l’avocat et son client, car « le privilège ne [la] concerne aucunement (paragraphe 21).

86 Les observations de la Cour suprême sur la nature du mandat du commissaire à la protection de la vie privée et sur son manque d’indépendance et d’impartialité situent dans un contexte crucial ses autres commentaires sur l’inexistence dans la LPRPDE d’une disposition concernant le privilège du secret professionnel de l’avocat. Cela posait un problème particulièrement préoccupant parce que le commissaire à la protection de la vie privée est une entité administrative sans responsabilités décisionnelles. Conformément à la jurisprudence de la Cour suprême, conférer à un agent administratif qui n’a pas de rôle décisionnel un pouvoir associé aux cours de justice et aux tribunaux quasi judiciaires qui exercent des fonctions décisionnelles impartiales exigerait sans l’ombre d’un doute des pouvoirs législatifs explicitement prévus par le législateur.

87 Contrairement au commissaire à la protection de la vie privée, la Commission est un tribunal quasi judiciaire auquel le législateur a confié de vastes responsabilités décisionnelles. Elle agit indépendamment et impartialement, ses intérêts ne sont jamais opposés à ceux des parties qui comparaissent devant elle, et ces facteurs situent dans un contexte entièrement différent l’absence de la Loi de dispositions expresses sur le privilège du secret professionnel de l’avocat ainsi que la portée que le législateur entendait donner à des dispositions comme l’article 36 et le paragraphe 40(1).

88 La nature quasi judiciaire de la Commission est reconnue depuis longtemps. La Cour suprême a analysé les critères servant à déterminer si un organisme administratif rend des décisions judiciaires ou quasi judiciaires dans Ministre du Revenu National c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495. Les quatre critères qu’elle a retenus dans cet arrêt sont les suivants :

[…]

    (1) Les termes utilisés pour conférer la fonction ou le contexte général dans lequel cette fonction est exercée donnent-ils à entendre que l’on envisage la tenue d’une audience avant qu’une décision soit prise?

    (2) La décision ou l’ordonnance porte-t-elle directement ou indirectement atteinte aux droits et obligations de quelqu’un?

    (3) S’agit-il d’une procédure contradictoire?

    (4) S’agit-il d’une obligation d’appliquer les règles de fond à plusieurs cas individuels plutôt que, par exemple, de l’obligation d’appliquer une politique sociale et économique au sens large?

[…]

89 Tous ces quatre critères s’appliquent à la Commission. La Loi prévoit clairement que la Commission entende les plaintes et les autres questions dont elle est saisie oralement ou sur la base d’arguments écrits. Elle rend des décisions sur les droits et les obligations de personnes, notamment sur les droits reconnus par la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). À cette fin, elle fait partie des arbitres de différends que la Cour suprême considère comme des tribunaux compétents : Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929. Les tribunaux administratifs comme la Commission peuvent aussi ordonner le versement de dommages-intérêts en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte : Johnson-Paquette c. Canada, [1998] A.C.F. no 1741 (QL). Les procédures de la Commission sont contradictoires. Elle ne met pas en œuvre des politiques sociales et économiques au sens large, mais applique plutôt des principes de droit dans des affaires individuelles conformément aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle. À l’instar des autres instances décisionnelles analogues, elle a une obligation primordiale de justice et d’impartialité : Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

90 Les pouvoirs dont la Commission est investie par les articles 36 et 40 ainsi que par les autres dispositions de la Loi doivent être interprétés d’une manière compatible avec son régime législatif global, qui en fait une instance décisionnelle quasi judiciaire. À mon sens, il serait contraire à la nature générale et globale du rôle décisionnel de la Commission sous le régime de la Loi d’admettre qu’elle puisse en sa qualité de tribunal quasi judiciaire convoquer des témoins et les contraindre à comparaître et à déposer sous serment, obliger quiconque à produire des documents ou des pièces, se prononcer sur sa propre compétence, trancher divers points de droit, interpréter la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 et la Charte, ordonner des mesures correctives — y compris le versement de dommages-intérêts — ainsi que des mesures assurant la conformité à ses décisions, entre autres pouvoirs, tout en lui refusant celui de statuer sur la validité de la revendication du privilège du secret professionnel de l’avocat à l’égard d’un document dont elle est saisie.

91 Les défendeurs m’ont renvoyé à la récente décision de la CRTO dans Proplus Construction. À ma connaissance, c’est la première décision dans laquelle une commission des relations de travail s’est prononcée sur sa compétence quant à la revendication du privilège du secret professionnel de l’avocat à la lumière de Blood Tribe. Bien qu’elle ne lie manifestement pas la Commission que je représente, j’estime cette décision très convaincante. La CRTO a exposé ses conclusions fondamentales dans les paragraphes suivants :

[Traduction]

[…]

25. […] Le commissaire à la protection de la vie privée n’est pas une autorité décisionnelle, mais un enquêteur. Il y aurait un problème si un enquêteur avait le pouvoir de contraindre une partie à produire des documents auxquels s’applique le privilège du secret professionnel de l’avocat à cause du risque que les documents ou leur contenu puissent être utilisés par l’enquêteur contre la partie qui revendique ce privilège. En fait, dans Blood Tribe Department of Health, la Cour a expressément souligné une importante distinction entre la commissaire à la protection de la vie privée et un tribunal, à savoir que, dans l’exercice de son mandat, la commissaire peut avoir des intérêts opposés à ceux de la partie aux documents de laquelle elle veut avoir accès.

26. Les circonstances de l’affaire dont la Commission est saisie sont entièrement différentes. La Commission n’est pas un enquêteur, et ses intérêts ne sont pas et ne deviendront pas opposés à ceux de la partie défenderesse. Bien qu’elle ne soit pas une cour de justice, elle est un tribunal législatif quasi judiciaire chargé de trancher toutes les questions de fait ou de droit soulevées dans toutes les audiences devant elle…

27. […] La Commission se doit de se prononcer sur les revendications du privilège du secret professionnel de l’avocat pour assurer l’intégrité et le bon fonctionnement de ses procédures […] C’est à elle qu’il appartient de décider en première instance si les documents sont protégés à juste titre par le privilège du secret professionnel de l’avocat.

[…]

92 Les défendeurs voudraient établir une distinction entre les faits dans Proplus Construction et en l’espèce en alléguant que la CRTO ne peut se prononcer sur la validité de la revendication du privilège du secret professionnel de l’avocat que parce que sa loi habilitante renferme une disposition qui l’autorise à « trancher toutes les questions de fait ou de droit soulevées à l’occasion d’une affaire qui lui est soumise. » Cette disposition figure au paragraphe 114(1) de la Loi (de 1995) sur les relations de travail de l’Ontario, qui se lit comme il suit :

114. (1) La Commission a compétence exclusive pour exercer les pouvoirs que lui confère la présente loi ou qui lui sont conférés en vertu de celle-ci et trancher toutes les questions de fait ou de droit soulevées à l’occasion d’une affaire qui lui est soumise. Ses décisions ont force de chose jugée. Toutefois, la Commission peut à l’occasion, si elle estime que la mesure est opportune, réviser, modifier ou annuler ses propres décisions, ordonnances, directives ou déclarations.

93 Je ne conteste pas que l’expression « […] trancher toutes les questions de […] droit » est nettement plus directe et plus claire qu’une disposition de la Loi comme l’article 36. (Cela dit, même le paragraphe 114(1) de la LRTO ne mentionne pas expressément le privilège du secret professionnel de l’avocat.) Toutefois, je ne crois pas que cette différence soit déterminante. À mon avis, les motifs de décision de la CRTO reposent essentiellement sur la distinction entre un organisme d’enquête tel que le Commissariat à la protection de la vie privée et un organisme comme la CRTO elle-même, qui a statut de tribunal quasi judiciaire. C’est ce statut d’instance décisionnelle rendant ses décisions sur une base quasi judiciaire qui donne à la CRTO le pouvoir de statuer sur les revendications du privilège du secret professionnel de l’avocat, un pouvoir implicite à ce statut rendu explicite par le paragraphe 114(1) de la LRTO, et la Commission que je représente en vertu de la Loi a le même statut.

94 Je prends note que les défendeurs prétendent également qu’on peut distinguer la situation dans Proplus Construction de celle en l’espèce parce que le demandeur dans cette affaire avait pu prouver la nécessité de l’ordonnance de la CRTO. Faute d’être sûr du contenu des pages 000007 à 000011 de la Pièce C-40, il m’est impossible de conclure avec certitude que le plaignant a prouvé que la communication de ces pages s’impose. Néanmoins, cette prétendue différence n’a pas vraiment d’importance pour ma décision sur le pouvoir fondamental de la Commission de statuer sur la revendication du privilège du secret professionnel de l’avocat.

95 En me fondant sur l’analyse qui précède, je conclus que la Commission a le pouvoir de décider si le privilège du secret professionnel de l’avocat s’applique à un document. Le fait qu’il n’existe pas dans la Loi de disposition explicite conférant ce pouvoir à la Commission n’a pas le sens qu’elle avait dans l’examen que la Cour suprême a fait dans Blood Tribe des pouvoirs conférés à la commissaire à la protection de la vie privée par la LPRPDE. La Commission agit à titre de tribunal quasi judiciaire. Les caractéristiques qui en font un tribunal quasi judiciaire la distinguent sous des aspects fondamentaux du commissaire à la protection de la vie privée. En sa qualité de tribunal quasi judiciaire, la Commission statue sur diverses questions de droit, notamment sur des questions découlant de ses pouvoirs constitutionnels et quasi constitutionnels. Il n’est ni légalement correct ni stratégiquement sensé de juger qu’elle ne peut pas se prononcer sur toutes les sortes de questions relatives à la production de la preuve dont elle est saisie, y compris sur les revendications du privilège du secret professionnel de l’avocat.

B. Si la réponse à la question 1 est affirmative, quelle procédure la Commission devrait-elle suivre pour conclure qu’un document est protégé par le privilège du secret professionnel de l’avocat?

96 Le plaignant a souscrit à la première étape de la procédure proposée par les défendeurs, à une modification près. Les défendeurs ont décrit cette première étape de la façon suivante :

[Traduction]

1. La première étape du processus devrait être une détermination de la validité du privilège invoqué grâce à l’examen d’un affidavit descriptif détaillé des documents visés;

97 J’accepte cette première étape telle que proposée. L’affidavit a pour but de donner à la Commission suffisamment d’information pour préciser la nature du contenu des pages 000007 à 000011 de la Pièce C-40 ainsi que les raisons pour lesquelles ces pages sont protégées par le privilège du secret professionnel de l’avocat. Les défendeurs devront produire l’affidavit en prêtant serment devant l’avocat qui est l’auteur des communications à l’égard desquelles le privilège est revendiqué. Le plaignant aura l’occasion de faire des représentations sur la suffisance de l’affidavit à l’audience.

98 Je rejette parce que je la juge inutile la proposition du plaignant de modifier la procédure pour que [traduction] « […] le président retienne temporairement les services d’un expert (un avocat spécialisé en droit du travail) qui [m’]assisterait à titre consultatif dans l’examen requis. » Je soupçonne que le plaignant a fait cette proposition parce qu’il sait que je ne suis pas avocat. Ce n’est pas pertinent. J’exerce le même pouvoir que tous les commissaires — qu’ils soient avocats ou non — chargés de trancher les questions de droit nécessaires pour statuer sur les affaires qui leur sont confiées.

99 Si l’examen d’un affidavit ne me suffit pas pour rendre une décision, je verrai quelle(s) autre(s) étape(s) pourrai(en)t être nécessaire(s) à ce moment-là.

C. Exception à la revendication du privilège du secret professionnel de l’avocat 

100 J’ai posé deux questions aux parties, ni l’une ni l’autre n’appelant pour le moment des représentations sur le fond de la revendication du privilège du secret professionnel de l’avocat. La présente décision interlocutoire a pour but de statuer sur le pouvoir de la Commission de décider elle-même de la validité d’une telle revendication et de la procédure pour ce faire plutôt que de se prononcer sur la revendication elle-même.

101 Les défendeurs ont ouvert le débat sur le fond quand ils ont déclaré que [traduction] « […] la seule question dont la Commission est saisie consiste à déterminer si le plaignant s’est acquitté de la charge de la preuve requise pour invoquer une exception au privilège du secret professionnel de l’avocat. » Le plaignant a suivi en déclarant qu’il y avait des raisons pour justifier une telle exception.

102 Comme je l’ai déjà dit, il ne serait pas approprié pour le moment que je me prononce sur l’existence de raisons justifiant une exception. Je devrai auparavant recevoir l’affidavit des défendeurs et me pencher sur les observations du plaignant à son égard. Si le plaignant veut avancer des raisons justifiant une exception, il devra les prouver selon la prépondérance des probabilités.

103 Pour tous les motifs qui précèdent, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

104 L’objection des défendeurs selon laquelle la Commission n’a pas le pouvoir de statuer sur la validité d’une revendication du privilège du secret professionnel de l’avocat est rejetée.

105 Les Services du greffe de la Commission communiqueront avec les parties pour fixer les dates de reprise de l’audience.

106 Au plus tard dix jours avant la reprise de l’audience, les défendeurs feront parvenir à la Commission, avec copie au plaignant, un affidavit assermenté à leur avocat précisant clairement la nature du contenu des pages 000007 à 000011 de la Pièce C-40 et les raisons pour lesquelles elles revendiquent à leur égard le privilège du secret professionnel de l’avocat.

107 Les parties devraient être disposées à poursuivre toutes les étapes restantes de l’audience lorsqu’elle reprendra.

Le 28 août 2009.

Traduction de la CRTFP.

Dan Butler,
commissaire

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