Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été congédié de son poste de surveillant correctionnel à la suite d’un incident avec une détenue dans un hôpital psychiatrique correctionnel - le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé la communication de dossiers psychiatriques de la détenue et d’autres documents ayant trait à sa période de détention au service correctionnel - l’arbitre de grief a ordonné la communication d’une partie des documents demandés afin d’en prendre elle-même connaissance - une nouvelle ordonnance pourrait être rendue si des documents doivent être communiqués au fonctionnaire s’estimant lésé. Ordonnance rendue enjoignant la communication de documents à l’arbitre de grief pour son examen.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-09-14
  • Dossier:  566-02-2008
  • Référence:  2009 CRTFP 111

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JOHN TARALA

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Tarala c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Beth Bilson, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
William Selnes, avocat

Pour le défendeur:
Adrian Bieniasiewicz, avocat

Affaire entendue à Saskatoon (Saskatchewan),
le 21 avril 2009.
Arguments écrits datés des 1er, 22 et 26 mai 2009.
(Traduction de la CRTFP)

Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Le fonctionnaire s’estimant lésé, John Tarala (le « fonctionnaire »), était un employé du Service correctionnel du Canada (le « défendeur »). Il a été suspendu par suite d’incidents survenus en mars 2007, au cours desquels il aurait agressé une détenue au Centre psychiatrique régional (CPR) de Saskatoon (Saskatchewan), puis il a été congédié au terme d’une enquête menée par l’employeur. Il a alors déposé un grief à l’encontre de la suspension et du congédiement. La détenue « S », qui aurait été agressée par le fonctionnaire, a été transférée dans d’autres établissements quelques semaines après les incidents, et elle a par la suite mis fin à ses jours.

2 La présente décision porte sur une demande de production de documents présentée pour le compte du fonctionnaire. L’argumentation orale concernant la demande a été entendue le 21 avril 2009. L’arbitre de grief a alors ordonné de vive voix la production d’un certain nombre de documents énumérés dans la demande. L’avocat de l’employeur ne s’est pas opposé à l’ordonnance rendue relativement à ces documents. Le 24 avril 2009, une version écrite de l’ordonnance rendue de vive voix a été publiée.

3 Quant au reste des documents, les parties ont présenté des arguments écrits. Les documents qui demeurent en litige sont les suivants :                                                           

  1. Un résumé des antécédents de la détenue S dans les établissements, à compter du moment où elle a été incarcérée pour la première fois dans un établissement fédéral jusqu’au moment de son transfert du CPR à Montréal.
  2. Les dossiers d’accusations portées contre la détenue S sous le régime de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, qui sont en la possession de l’employeur.
  3. Le dossier de gestion des cas pour la détenue S se rapportant à toutes les périodes au cours desquelles elle a été incarcérée dans un établissement fédéral. Il y a lieu de noter que l’ordonnance de production rendue le 21 avril 2009 exigeait la production du dossier de gestion des cas se rapportant à la période d’incarcération au CPR.
  4. Le dossier de sécurité préventive concernant la détenue S pendant qu’elle était détenue dans un établissement fédéral.
  5. Le dossier disciplinaire et de dissociation de la détenue S lorsqu’elle était détenue dans un établissement fédéral.
  6. Le dossier psychiatrique de la détenue S lorsqu’elle était détenue dans un établissement fédéral.

4 Il y a lieu de noter qu’une demande de production d’un bon nombre de ces documents a été présentée devant la Cour provinciale de la Saskatchewan en relation avec les accusations criminelles déposées contre le fonctionnaire sur le fondement des mêmes incidents qui ont été invoqués à l’appui de son congédiement. J’ai eu l’avantage de lire la décision de la Cour provinciale.

Résumé de l’argumentation

5 L’avocat du fonctionnaire a déclaré que, pour que le fonctionnaire puisse présenter une défense adéquate à l’encontre des allégations sur lesquelles son congédiement était fondé, il doit nécessairement avoir accès au plus grand nombre possible de documents susceptibles de l’éclairer sur les tendances comportementales de la détenue S. Sur ce point, l’avocat du fonctionnaire a souligné que l’employeur s’est fondé sur des déclarations faites par la détenue S dans le cadre de l’enquête qu’il a menée sur les incidents survenus en mars 2007. Étant donné le décès de la détenue S et, par conséquent, l’impossibilité de contester ses déclarations dans le cadre d’un contre-interrogatoire, le fonctionnaire doit alors être autorisé à vérifier la crédibilité de ces déclarations en présentant d’autres documents relatifs aux antécédents et au caractère de la détenue S.

6 L’avocat de l’employeur a fait valoir que les documents mentionnés dans la demande, se rapportant à la période qui a suivi le départ de la détenue S du CPR, ne peuvent avoir aucune pertinence dans la présente instance. Le congédiement reposait sur le comportement du fonctionnaire dans le contexte de l’incarcération de la détenue S au CPR, et tout événement subséquent concernant cette détenue ne peut avoir influé sur les gestes posés par le fonctionnaire en mars 2007. Il a fait valoir également que la question du droit de la détenue S à la vie privée fait pencher la balance à l’encontre d’une ordonnance de production des dossiers psychiatriques, et que les autres documents demandés sont à ce point délicats que l’employeur ne devrait pas être tenu de les communiquer, à moins qu’ils aient clairement une incidence sur le bien-fondé du grief.

Motifs

7 La manière dont il convient de concilier les questions relatives à la pertinence, les questions d’équité pour une personne qui présente une défense contre des allégations de faute et les questions se rapportant à la protection de la vie privée et de la dignité qui sont associées à ce genre de renseignements a fait l’objet de nombreuses analyses par les cours et autres tribunaux aux fins de déterminer quels documents doivent être produits. Il existe en common law une protection contre l’examen de certains genres de renseignements — comme les dossiers médicaux, psychiatriques ou de counseling — que l’on qualifie de « privilège » et que l’on assure en appliquant les principes de Wigmore, qui ont été analysés assez longuement dans la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans M.(A) c. Ryan, [1997] 1 R.C.S. 157. Dans ce cas, la Cour suprême a reconnu que la relation entre un patient et un psychiatre justifiait que l’on s’intéresse à la question de la protection des renseignements, mais elle a tenté surtout de trouver un équilibre entre le droit du défendeur de présenter une défense adéquate et le droit de la demanderesse et de son psychiatre de maintenir le caractère confidentiel des renseignements délicats. La Cour suprême a indiqué que, dans la recherche de cet équilibre, le juge doit essentiellement faire preuve de « […] bon sens et de discernement ». Elle a en outre établi une distinction entre les instances criminelles, comme celles dont il était question dans R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, et les instances civiles, comme celles dont il était question dans Ryan. La Cour suprême a indiqué que, dans le cas d’accusations criminelles, le droit à la protection de la vie privée ou à la confidentialité devrait dans la majorité des cas laisser la place à la « découverte de la vérité », tandis que, dans les instances civiles, le droit à la protection de la vie privée pourrait être considéré comme étant prioritaire.

8 Dans O’Connor, la Cour suprême a conçu un processus permettant d’atteindre un équilibre entre les divers droits grâce à l’adoption d’une méthode pragmatique. Suivant cette méthode, le tribunal en question enjoint dans un premier temps à l’auteur de la demande de démontrer la « pertinence probable » des documents dont il demande la communication. La Cour suprême a indiqué clairement que le concept de la « pertinence probable » impose à l’auteur d’une demande d’ordonnance de production un fardeau moins onéreux que ne le ferait une argumentation sur la question de savoir si le document doit en bout de ligne être admis en preuve, bien que le demandeur soit tenu de démontrer qu’il existe « […] une possibilité raisonnable que les renseignements aient une valeur logiquement probante relativement à une question en litige ou à l’habilité à témoigner d’un témoin ». La « question en litige » pourrait se rapporter notamment à la crédibilité d’un témoin ou à la fiabilité d’autres éléments de preuve. Dans le cas de la demande de production présentée dans O’Connor, la Cour suprême a reconnu que le demandeur n’avait pas eu l’avantage de consulter les documents.

9 La deuxième étape du processus énoncé dans O’Connor, lorsque le juge est convaincu que les documents sont « probablement pertinents », consiste à ordonner la production des documents en vue de leur examen par le tribunal. S’il est convaincu, après avoir examiné les documents, que ceux-ci doivent être produits à l’intention du demandeur, une autre ordonnance doit être rendue à cet égard.

10 Une version du processus élaboré dans O’Connor a été subséquemment inscrite dans des modifications apportées au Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, articles 278.1 à 278.91, qui se rapportent à des questions qui concernent certains dossiers dans le cadre d’instances mettant en cause des infractions d’ordre sexuel. Aux termes du paragraphe 278.5(2) du Code criminel, le tribunal doit prendre considération les facteurs suivants :

a)       la mesure dans laquelle le dossier est nécessaire pour permettre à l’accusé de présenter une défense pleine et entière;

b)       sa valeur probante;

c)       la nature et la portée de l’attente raisonnable au respect de son caractère privé;

d)       la question de savoir si sa communication reposerait sur une croyance ou un préjugé discriminatoire;

e)       le préjudice possible à la dignité ou à la vie privée de toute personne à laquelle il se rapporte;

f)       l’intérêt qu’a la société à ce que les infractions d’ordre sexuel soient signalées;

g)       l’intérêt qu’a la société à ce que les plaignants, dans les cas d’infraction d’ordre sexuel, suivent des traitements;

h)       l’effet de la décision sur l’intégrité du processus judiciaire.

11 Dans Community Social Service Employers’ Association v. Health Sciences Association of British Columbia (2002), 109 L.A.C. (4e) 289, l’arbitre a examiné la question de l’incidence de Ryan, O’Connor et R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668, ainsi que les dispositions du Code criminel, aux fins d’arbitrer un grief. L’arbitre a conclu que le fait que le différend soit né au travail plutôt que dans le cadre d’une instance criminelle ne signifie pas que les intérêts opposés au chapitre de la communication — le droit de présenter une défense pleine et entière par rapport au droit à la vie privée et à l’égalité — ne doivent pas être examinés avec la même prudence ou le même respect.

12 Dans le cas du fonctionnaire, l’opposition entre ces deux droits est vive. Bien que la présente instance ne soit pas de nature criminelle, les conséquences de son congédiement sont extrêmement graves pour lui, et il a le droit de contester vigoureusement les allégations de faute qui ont été faites contre lui. Par ailleurs, le décès de la détenue S ne met pas un terme aux préoccupations relatives à sa dignité et à son droit à la vie privée, ni n’atténue-t-il les préoccupations plus générales de l’employeur concernant le maintien de la confidentialité des dossiers se rapportant à des personnes qui sont à la fois détenues dans un établissement correctionnel et parties à une relation thérapeutique.

13 J’en suis arrivée à la conclusion que le fonctionnaire n’a pas réussi à démontrer que les documents portant sur la période qui a suivi le transfert de la détenue S du CPR, le 12 avril 2007 ou vers cette date, sont « probablement pertinents » quant à la question de savoir si les motifs de sa suspension et de son congédiement sont bien fondés. Par ailleurs, j’ai conclu que les documents portant sur la période à partir de laquelle la détenue S a été incarcérée dans un établissement fédéral avant son arrivée au CPR pourraient être pertinents dans une certaine mesure relativement aux questions qui seraient susceptibles de revêtir une certaine importance dans le présent dossier, notamment la crédibilité des déclarations faites par la détenue S au cours de l’enquête et le caractère approprié des gestes posés par le fonctionnaire.

14 En ce qui concerne les dossiers psychiatriques en particulier, ma conclusion diffère quelque peu de celle de la Cour provinciale de la Saskatchewan. J’en suis arrivée à la conclusion que le fonctionnaire a satisfait au critère de la pertinence probable relativement à ces dossiers, en ce qu’il se peut qu’ils soient utiles pour déterminer la crédibilité des déclarations faites par la détenue S au cours de l’enquête disciplinaire.

15 Ces ordonnances sont des « ordonnances de O’Connor », c’est-à-dire que j’ordonne que les documents soient produits à mon intention dans un premier temps. Lorsque j’en aurai terminé l’étude, je rendrai d’autres ordonnances sur la question de savoir si la totalité ou une partie seulement de ces documents doit être communiquée au fonctionnaire, et j’assortirai ces ordonnances des conditions nécessaires. Il sera évidemment possible à l’avocat de l’une ou l’autre partie de soulever à l’audience toute question concernant la pertinence ou l’admissibilité d’une partie ou de la totalité des documents produits en preuve.

16 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

17 J’ordonne que les documents suivants soient produits à mon intention en vue de leur examen :

  1. Tout résumé des antécédents de la détenue S dans les établissements, préparé par l’employeur avant son transfert du CPR le 12 avril 2007 ou vers cette date.
  2. Les dossiers d’accusations portées contre la détenue S sous le régime de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui sont en la possession de l’employeur et qui se rapportent à la période précédant son transfert du CPR le 12 avril 2007 ou vers cette date.
  3. Le dossier de gestion des cas pour la détenue S se rapportant à toutes les périodes au cours desquelles elle a été incarcérée dans un établissement fédéral, avant son arrivée au CPR.
  4. Le dossier de sécurité préventive concernant la détenue S pendant qu’elle était détenue dans un établissement fédéral, jusqu’à son transfert du CPR le 12 avril 2007 ou vers cette date.
  5. Le dossier disciplinaire et de dissociation de la détenue S lorsqu’elle était détenue dans un établissement fédéral, jusqu’à son transfert du CPR le 12 avril 2007 ou vers cette date.
  6. Tout dossier psychiatrique de la détenue S jusqu’à son transfert du CPR le 12 avril 2007 ou vers cette date.

Le 14 septembre 2009.

Traduction de la CRTFP

Beth Bilson,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.