Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a prétendu avoir fait l’objet de discrimination parce qu’il n’a pas reçu d’offre pour le poste d’agent de libération conditionnelle, en dépit du fait que son nom avait été inscrit sur une liste d’admissibilité après que sa candidature a été retenue dans le cadre d’un concours - l’employeur a soutenu que le grief ne pouvait pas être renvoyé à l’arbitrage étant donné qu’un autre recours existait aux termes de la LEFP - l’arbitre de grief a souscrit à la prétention de l’employeur et a statué que le grief n’était pas arbitrable en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-10-14
  • Dossier:  566-02-708
  • Référence:  2009 CRTFP 127

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JEFFREY BROWN

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Brown c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Michel Bouchard, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN

Pour l'employeur:
Martin Desmeules, avocat

Affaire entendue à Kingston (Ontario),
le 23 septembre 2009.
Traduction de la CRTFP.

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Jeffrey Brown, le fonctionnaire s'estimant lésé (le « fonctionnaire »), a été l'un des candidats reçus dans le cadre d'un concours visant à pourvoir à des postes d'agent de libération conditionnelle. Il s'est classé au 11e rang sur la liste d'admissibilité de candidats qualifiés. Le 26 octobre 2005, il a contesté le fait que le Service correctionnel du Canada (l'« employeur ») ne lui a pas offert un poste d'agent de libération conditionnelle avant la date d'expiration de la liste d'admissibilité. Le fonctionnaire a allégué que l'employeur a manipulé le processus de dotation afin d'exercer un contrôle sur le choix des candidats à qui des postes seraient offerts. Le fonctionnaire a également allégué que l'employeur avait violé la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33 (LEFP) ainsi que l'article 37 de la convention collective signée le 2 avril 2001 par le Conseil du Trésor et l'Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (la « convention collective »).

2 Comme redressement, le fonctionnaire a demandé qu'on le nomme immédiatement à un poste d'agent de libération conditionnelle dans la région de l'Ontario, qu'on lui verse une compensation financière appropriée pour la perte qu'il a subie et que l'employeur lui présente des excuses officielles. Il a également réclamé des dommages-intérêts. À l'audience, le fonctionnaire a indiqué que ses demandes se limitaient dorénavant à une déclaration selon laquelle l'employeur avait violé la convention collective et la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985) ch. H-6 (LCDP), ainsi qu'à l'octroi de dommages-intérêts.

3 Le 6 février 2009, le fonctionnaire a fait savoir à la Commission canadienne des droits de la personne qu'il soulevait dans son grief une question ayant trait à l'interprétation ou à l'application de la LCDP.

4 L'article 37 de la convention collective se lit comme suit :

[…]

ARTICLE 37
ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION

37.01 Il n'y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l'égard d'un-e employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion au Syndicat ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle il a été gracié.

[…]

II. Objection préliminaire

A. Pour l'employeur

5 L'employeur s'est opposé à l'argument selon lequel un arbitre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») a la compétence pour trancher le grief. Le fonctionnaire conteste la décision qu'a prise l'employeur de ne pas le nommer à un poste d'agent de libération conditionnelle, ou, plus précisément, le fait que l'employeur n'a pas pris la décision de le nommer à un tel poste à partir d'une liste d'admissibilité établie aux termes de la LEFP. L'employeur a fait valoir que la LEFP prévoyait un recours administratif de réparation que le fonctionnaire aurait pu utiliser, soit le droit d'interjeter appel en vertu de l'article 21 de la LEFP. Ce recours constituait le mécanisme approprié pour traiter l'essence du grief.

6 L'employeur a allégué que le grief ne peut être renvoyé à l'arbitrage, selon le paragraphe 208(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). En outre, l'employeur a soutenu que la situation faisant l'objet d'une contestation ne renvoie à aucun des alinéas du paragraphe 209(1) de la Loi. Ces dispositions se lisent comme suit :

[…]

208. (2) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d'une autre loi fédérale, à l'exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[…]

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire;

[…]

7 L'employeur a fait valoir que le grief portait uniquement sur des questions de dotation, et que toutes les questions sous-jacentes ainsi que les redressements demandés découlaient de ce seul fait. Puisque d'autres recours administratifs de réparation s'offraient au fonctionnaire, la Commission n'a pas la compétence pour entendre l'affaire.

8 L'employeur m'a renvoyé aux décisions suivantes : Cooper c. Canada, [1974]2 C.F. 407 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Boutilier, [1999] 1 C.F. 459 (1re inst.); Marinos c. Canada (Conseil du Trésor), [1998] A.C.F. no 1601 (QL); Singh c. Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2001 CFPI 577; Browne et al. c. Conseil du Trésor (Revenu Canada - Douanes, Accise et Impôt), dossiers de la CRTFP 166-02-27650 à 27661 (19971201); Dhudwal et al. c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTPF 116; Hureau c. Conseil du Trésor (ministère de l'Environnement), 2008 CRTFP 47.

B. Pour le fonctionnaire

9 Le fonctionnaire ne demande plus qu'on le nomme à un poste d'agent de libération conditionnelle. Il a indiqué que son grief se limite dorénavant à demander une déclaration selon laquelle il y a eu violation de l'article 37 de la convention collective et de la LCDP. Un arbitre de grief de la Commission a la compétence pour décider si l'employeur a effectivement commis ces violations.

10 Le fonctionnaire a également fait valoir qu'en vertu du paragraphe 208(2) de la Loi, un arbitre de grief a la compétence pour entendre un grief portant sur une violation possible de la LCDP. Si l'on se fonde sur la liste d'admissibilité sur laquelle le fonctionnaire figurait en tant que candidat qualifié, les décisions de l'employeur en matière de dotation ont donné lieu à une discrimination à l'égard du fonctionnaire.

11  Les alinéas 226(1)g) et h) de la Loi précisent les pouvoirs conférés aux arbitres de grief dans les affaires ayant trait aux droits de la personne. Ces alinéas se lisent comme suit :

 […]

226. (1) Pour instruire toute affaire dont il est saisi, l’arbitre de grief peut :

[…]

g) interpréter et appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne, sauf les dispositions de celle-ci sur le droit à la parité salariale pour l’exécution de fonctions équivalentes, ainsi que toute autre loi fédérale relative à l’emploi, même si la loi en cause entre en conflit avec une convention collective;

h) rendre les ordonnances prévues à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

[…]

12 Le fonctionnaire m'a renvoyé à la décision Hureau ainsi qu'aux affaires suivantes : Pepper c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 8; Pepper c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 71; Gibson c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2008 CRTFP 68.

III. Motifs de décision concernant l'objection

13 Le paragraphe 208(2) de la Loi est sans équivoque : un employé ne peut présenter un grief portant sur une question pour laquelle un recours administratif de réparation est prévu aux termes d'une autre loi du Parlement, à l'exception de la LCDP. Il apparaît également de façon évidente que le grief renvoie à une question de dotation. À ce sujet, la LEFP prévoit un recours administratif de réparation à l'intention des employés. Le fonctionnaire aurait pu utiliser ce recours pour contester la décision de l'employeur en matière de dotation. Par conséquent, je n'ai pas la compétence pour entendre le grief.

14 Le fonctionnaire a soutenu que j'avais la compétence parce que le grief renvoyait à l'article 37 de la convention collective et à la LCDP. Même si le fonctionnaire pouvait prouver qu'il a été victime de discrimination en raison des décisions ou des mesures prises par l'employeur, lorsque celui-ci a pourvu les postes d'agents de libération conditionnelle ou omis de les pourvoir, je devrais quand même en arriver à la conclusion que je n'ai pas la compétence. Le fonctionnaire aurait pu utiliser le recours administratif de réparation prévu par la LEFP pour alléguer qu'il a été victime de discrimination. Le paragraphe 208(2) de la Loi a notamment pour objectif d'empêcher l'emploi de recours multiples pour contester une même question ou décision. La LEFP prévoyait un recours administratif de réparation, et je ne puis convenir du fait que le fonctionnaire soit en plus autorisé à renvoyer la même question à l'arbitrage, même si elle porte sur les droits de la personne.

15 Le même raisonnement s'applique à l'allégation selon laquelle il y a eu violation de la convention collective. Même si le fonctionnaire était en mesure de prouver que, lorsque l'employeur a pourvu les postes d'agents de libération conditionnelle, celui-ci a agi de façon discriminatoire à son égard relativement à l'une des raisons énumérées à l'article 37 de la convention collective, je devrais quand même conclure que je n'ai pas la compétence, parce que la discrimination est liée à une question de dotation. Je n'ai pas la compétence pour trancher les affaires relatives à la dotation qui sont régies par la LEFP et pour lesquelles il existe un mécanisme de redressement.

16 La présente affaire diffère de la décision Gibson. Dans ce dernier cas, l'employeur n'a pas renouvelé l'emploi pour une durée déterminée de la fonctionnaire, et celle-ci a allégué qu'elle avait été victime de discrimination en raison d'une incapacité d'ordre médical. L'arbitre a décidé qu'il avait la compétence pour entendre le grief lorsqu'il a été allégué que le grief portait sur des pratiques discriminatoires interdites. Contrairement à M. Brown, dans l'affaire Gibson, la fonctionnaire n'avait aucun autre recours administratif de réparation à sa disposition. Le seul mécanisme à sa disposition était le dépôt d'un grief.

17 Les deux décisions Pepper indiquent clairement qu'un arbitre de grief a la compétence pour entendre une affaire relative aux droits de la personne et pour accorder des dommages-intérêts. Je suis tout à fait d'accord avec ces deux décisions, mais la question en l'espèce est très différente. Le présent grief sous-entend qu'un arbitre aurait la compétence pour entendre une affaire dans laquelle il est allégué qu'il y a eu discrimination en raison d'une décision ou d'une mesure en matière de dotation prise par l'employeur.

18 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

19 L'objection de l'employeur est accueillie.

20 Le grief est rejeté.

Le 14 octobre 2009.

Traduction de la CRTFP.

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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