Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’employeur a déposé une demande fondée sur le paragraphe 123(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) concernant les questions pouvant être incluses dans une entente sur les services essentiels visant les postes du groupe Systèmes d’ordinateurs (CS) - la demande déposée était accompagnée d’une liste des postes du groupe CS que l’employeur proposait inclure dans l’entente sur les services essentiels - les parties ont convenu que l’audience ne porterait que sur les postes situés au Bureau du Directeur général des élections, communément appelé Élections Canada (EC) - outre la conduite des élections, un segment important du mandat d’EC est de maintenir son état de préparation en vue d’un scrutin, ce qui est une activité continue - il incombait au demandeur de démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, les services fournis ou les activités effectuées par les employés du groupe CS à Élections Canada sont essentiels pour assurer la sécurité du public - bien que le demandeur ait établi que le travail des employés CS était essentiel pour la préparation et la conduite d’une élection, la Commission a jugé que la preuve ne démontrait pas de manière convaincante que les activités exécutées à l’étape post-électorale étaient nécessaires à la conduite d’une élection - cependant, la question n’est pas de savoir si le travail effectué par les employés CS est nécessaire à la bonne préparation et à la bonne conduite d’une élection; la question est plutôt de savoir si les activités effectuées par les employés CS, dans le cadre de la préparation et de la conduite d’une élection, sont essentielles pour assurer la sécurité du public - la Commission a estimé qu’elles ne le sont pas - la sécurité du public ne serait pas menacée si l’employeur n’était pas suffisamment préparé en vue de la tenue d’une élection ou s’il n’était pas en mesure d’assurer la bonne conduite d’une élection - le gouverneur en conseil pourrait simplement décider de reporter l’élection jusqu’à la fin de la grève ou de retarder la grève si les intérêts nationaux étaient menacés - le fait que l’article 197 de la LRTFP, qui confère au gouverneur en conseil le pouvoir de reporter la date d’une grève, est contenu dans la même loi qui traite des services essentiels, revêt une importance - aucune preuve ne permet de conclure que la population canadienne réagirait de manière violente ou que l’on pourrait assister à une agitation civile du fait du report ou de la conduite inadéquate d’une élection - l’arbitre de grief a rejeté la prétention de l’employeur selon laquelle le gouvernement ne serait pas en mesure de faire face aux urgences par voie législative, si Élections Canada était incapable d’assurer la bonne conduite d’une élection - la prétention de l’employeur relativement au risque que des renseignements personnels des électeurs soient communiqués en cas de grève n’a pas été démontrée de manière suffisante. Aucun service désigné essentiel.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-10-02
  • Dossier:  593-02-11
  • Référence:  2009 CRTFP 120

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

CONSEIL DU TRÉSOR

demandeur

et

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défendeur

à l’égard du groupe Systèmes d’ordinateurs

Répertorié
Conseil du Trésor c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Affaire concernant une demande de règlement d’une question pouvant figurer dans une entente sur les services essentiels en vertu du paragraphe 123(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
John Mooney, commissaire

Pour le demandeur:
Sean F. Kelly, avocat

Pour le défendeur:
Sarah Godwin, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 12 et 14 janvier ainsi que du 3 au 6 mars et du 12 au 14 mai 2009.
(Traduction de la CRTFP.)

I. Demande devant la Commission

1 Le 12 août 2008, le Conseil du Trésor (« le demandeur ») a présenté une demande fondée sur le paragraphe 123(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (« la LRTFP »), concernant des questions pouvant figurer dans une entente sur les services essentiels (ESE) à l’égard des postes du groupe Systèmes d’ordinateurs (CS) dont le demandeur est l’employeur et l’Institut professionnel de la fonction publique (« le défendeur ») l’agent négociateur. Le demandeur a joint à sa demande une liste des postes du groupe CS dont il proposait l’inclusion dans l’ESE, soit des postes de CS du Bureau du Directeur général des élections, communément appelé Élections Canada, du ministère des Transports, du ministère de l’Industrie, du ministère de l’Environnement, du ministère des Pêches et des Océans, du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ainsi que de l’Agence des services frontaliers du Canada.

2 Les parties ont convenu que je commencerais par me prononcer sur les questions dont je suis saisi dans le contexte d’Élections Canada. Il s’agit de définir les services fournis ou les activités accomplies à Élections Canada par les membres du groupe CS qui sont nécessaires pour la sécurité du public.

II. Résumé de la preuve

3 Le demandeur a fait comparaître un seul témoin, Rockland Kreis, dirigeant principal de l’information (EX-03) à Élections Canada. Le défendeur a lui aussi fait comparaître un seul témoin, le professeur Peter H. Russell.

A. Témoignage de M. Kreis

4 M. Kreis occupe son poste actuel depuis septembre 2005. Il travaille dans la fonction publique fédérale depuis 33 ans. Avant d’entrer au service d’Élections Canada, il était directeur des plates-formes techniques à Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC), comme CS-05. À ce titre, il était responsable du fonctionnement et du soutien des systèmes de serveurs de l’ordinateur principal. Auparavant, il avait été directeur des opérations nationales (CS-05) à RHDCC, où il fournissait les services de technologie de l’information (TI) dans la région de la capitale nationale. Il a occupé plusieurs autres postes dans le domaine de la TI à RHDCC avant de se joindre à Élections Canada.

5 M. Kreis a décrit ses fonctions actuelles. Il relève de Marc Mayrand, le directeur général des élections, et siège au Comité exécutif d’Élections Canada. Il est responsable de la prestation et du soutien de tous les services de TI, ce qui inclut les programmes de gestion de l’information, les systèmes de soutien, les systèmes de télécommunication, le centre d’informatique, la planification technologique, les projets spéciaux et la planification générale de la TI. Plusieurs directeurs et un agent des finances relèvent de lui, à savoir le directeur des services technologiques, le directeur du développement des systèmes et des services à la clientèle, le directeur des services de télécommunication, le directeur des services de gestion de l’information, le directeur de la planification de la technologie et des projets spéciaux et le directeur des systèmes sur le terrain. Tous ces directeurs sont des CS. M. Kreis m’a reporté à un organigramme de la section de TI d’Élections Canada où figurent les postes qui relèvent directement de lui (Pièce E-1). Il a également produit en preuve un modèle conceptuel des systèmes de TI d’Élections Canada (Pièce E-4).

6 En tout, 44 employés d’Élections Canada ont été nommés pour une période indéterminée à des postes de CS; ils relèvent tous de M. Kreis, et les postes de 27 d’entre eux figurent sur la liste de ceux dont l’employeur propose l’inclusion dans l’ESE. Il y a plus de 13 000 postes de CS dans la fonction publique.

7 Trois des postes de la section de M. Kreis sont exclus : celui du directeur des services de télécommunication, celui du directeur des services technologiques et celui du directeur du développement des systèmes et des services à la clientèle.

8 M. Kreis a expliqué que le directeur général des élections est un haut fonctionnaire du Parlement indépendant et impartial. Le  Rapport ministériel sur le rendement d’Élections Canada pour la période se terminant le 31 mars 2008 (Pièce E-3, page 9) précise qu’il a pour mandat :

  • d’être en mesure, en tout temps, de conduire une élection générale ou partielle, ou un référendum fédéral;
  • d’administrer les dispositions du financement politique prévues par la Loi électorale du Canada;
  • de surveiller l’observation de la législation électorale et de la faire appliquer;
  • d’exécuter des programmes d’information et d’éducation de l’électorat;
  • d’appuyer les commissions de délimitation indépendantes chargées de réviser les limites des circonscriptions fédérales après chaque recensement décennal;
  • de mener des études sur d’autres méthodes de vote et, sous réserve de l’approbation du Parlement, de mettre à l’essai des processus de vote électroniques en vue de scrutins futurs.

9 Être constamment en mesure de conduire des activités électorales est une importante partie du mandat d’Élections Canada. Quand une élection est proclamée à une autre date qu’à celle qui est fixée par la Loi électorale du Canada, L.C. 2000, ch. 9(LEC), le gouvernement ne consulte pas Élections Canada sur la date à laquelle l’élection doit avoir lieu et ne le prévient pas non plus de cette date. Élections Canada est donc informé de la date de l’élection en même temps que le public lorsque le gouverneur en conseil proclame l’élection. Le Parlement s’attend à ce qu’Élections Canada soit prêt à conduire l’élection quand elle est proclamée.

10 M. Kreis a expliqué que la LEC prévoit des élections à date fixe, autrement dit au moins tous les quatre ans le troisième lundi d’octobre. Puisque la dernière élection générale a eu lieu en octobre 2008, la prochaine devrait avoir lieu le troisième lundi d’octobre 2012. Toutefois, lorsque le gouvernement est minoritaire, comme c’est actuellement le cas, l’élection peut être proclamée avant la date prévue dans la LEC si le gouvernement perd la confiance de la Chambre des communes.

11 L’élection est déclenchée par une proclamation du gouverneur en conseil qui dissout le Parlement et donne à Élections Canada le pouvoir de conduire l’élection. La proclamation enjoint au directeur général des élections de délivrer un bref au directeur du scrutin de chacune des circonscriptions électorales et fixe la durée de la campagne électorale et la date de l’élection. (La campagne électorale doit durer au moins 36 jours; dans le cas de l’élection générale de janvier 2006, elle a duré 55 jours.)

12 M. Kreis a expliqué que le Canada compte 308 circonscriptions électorales. Il n’y a pas de directeurs du scrutin entre les élections, mais Élections Canada emploie 32 agents de liaison fédéraux, qui sont affectés à différentes tâches. En période  électorale, il y a un directeur du scrutin par circonscription chargé de gérer le bureau de scrutin de la circonscription. Avant que la campagne électorale proprement dite commence, le directeur du scrutin travaille à domicile.

13 M. Kreis a expliqué qu’Élections Canada doit mener à bien certaines activités dans les délais prescrits par la LEC pour être prêt à gérer une élection. Il a déposé un calendrier électoral précisant à quels moments certaines activités doivent être menées à bien (Pièce E-8). Par exemple, Élections Canada doit poster les cartes d’information aux électeurs au plus tard le 24e ou le 26e jour avant la date de l’élection. La LEC exige qu’Élections Canada envoie à chaque candidat et à chaque parti une liste des électeurs de chaque circonscription à une date donnée.

14 Lorsque les élections ont lieu à date fixe, M. Kreis a témoigné qu’Élections Canada a besoin de deux mois de préparation pour pouvoir accomplir sa tâche. Puisqu’il lui est impossible de savoir quand l’élection sera déclenchée lorsque le gouvernement est minoritaire, la préparation aux élections est une tâche permanente.

15 Pour être toujours prêt, Élections Canada effectue deux exercices de préparation par année, en se fixant deux dates cibles de préparation à des élections, une en octobre et une en février. Ces dates sont choisies parce que c’est alors que le risque d’un vote de défiance à la Chambre des communes est le plus grand. (En octobre, la Chambre des communes reprend son travail, et le gouvernement dépose son budget en février.) Élections Canada embauche temporairement du personnel supplémentaire et le forme pour ces exercices préparatoires, en faisant comme si une élection allait être déclenchée; s’il n’y a pas d’élection, on remercie le personnel supplémentaire.

16 M. Kreis a souscrit aux commentaires figurant à la page 34 du Rapport du directeur général des élections du Canada sur la 39e élection générale du 23 janvier 2006 (Pièce E-7). Ces commentaires font ressortir toute la difficulté d’être prêt pour une élection générale sous un gouvernement minoritaire.

17 M. Kreis a décrit les neuf principales activités qu’Élections Canada doit accomplir pour se préparer à une élection générale :

  • établir des bureaux du scrutin et des bureaux du scrutin supplémentaires dans chacune des 308 circonscriptions électorales;
  • gérer le Registre national des électeurs;
  • préparer les services des Règles électorales spéciales;
  • établir ses centres d’appels internes et externes;
  • établir le budget électoral de son administration centrale et des 308 circonscriptions électorales;
  • préparer le système de paie des bureaux de scrutin;
  • recruter, embaucher et former le nouveau personnel et retenir à contrat les services professionnels nécessaires;
  • gérer les fournisseurs de l’extérieur;
  • gérer son entrepôt.

18 M. Kreis a donné des explications plus détaillées sur chacune de ces activités. La première étape consiste à établir un bureau de scrutin dans chacune des 308 circonscriptions électorales, mais Élections Canada doit aussi établir des bureaux de scrutin supplémentaires dans les circonscriptions couvrant un vaste territoire, afin que les électeurs ne soient pas contraints à parcourir de longues distances pour aller voter. À la dernière élection générale, il y avait 122 de ces bureaux de scrutin supplémentaires.

19 Élections Canada ne peut pas établir de bureaux de scrutin entre les élections, mais doit attendre pour le faire que le gouverneur en conseil prenne la proclamation. Par conséquent, entre deux élections, il lui faut trouver les bureaux de scrutin potentiels (et supplémentaires). À cette fin, Élections Canada peut pressentir des propriétaires, sans toutefois pouvoir signer des baux avant que l’élection ne soit proclamée.

20 Avant le début de la campagne électorale, Élections Canada doit se préparer à envoyer les fournitures nécessaires aux bureaux de scrutin et aux bureaux de scrutin supplémentaires. Les directeurs du scrutin reçoivent ces fournitures à leur résidence. Élections Canada doit aussi identifier les fournisseurs locaux de certains articles, comme le matériel du scrutin et le mobilier de bureau, puisque son entrepôt ne conserve pas tous les petits articles utilisés lors des élections.

21 Élections Canada doit également identifier le personnel de base de chaque bureau de scrutin et de chaque bureau de scrutin supplémentaire, sans toutefois pouvoir l’embaucher avant le début de la campagne électorale. Durant la campagne, il emploie de 20 à 40 personnes dans chaque bureau de scrutin ou bureau de scrutin supplémentaire.

22 Avant l’élection, Élections Canada doit aussi s’assurer que les services téléphoniques des bureaux de scrutin seront opérationnels. Chaque bureau de scrutin doit installer 30 lignes téléphoniques dans les 48 heures suivant son ouverture. Les employés de la section des télécommunications d’Élections Canada s’emploient avec les compagnies de téléphone à faire en sorte que cette tâche soit menée à bien dans cette fenêtre de 48 heures.

23 Les compagnies de téléphone acceptent de réserver des lignes téléphoniques dans l’éventualité où une élection serait déclenchée, mais elles ne consentent à le faire que pour 30 jours. Si l’élection n’est pas déclenchée dans ce délai, Élections Canada doit prendre de nouveaux arrangements avec les compagnies de téléphone pour une nouvelle période de 30 jours, afin de s’assurer que les lignes téléphoniques seront disponibles au cas où une élection serait proclamée.

24 M. Kreis a déclaré qu’on télécharge les données suivantes dans les serveurs sur le terrain en prévision d’une élection : la liste préliminaire des électeurs pour chaque bureau de scrutin, la liste nationale des électeurs, les endroits où voter, le budget de chaque bureau de scrutin et l’information sur les propriétaires des bureaux. Toutes ces données sont préparées par les CS qui travaillent pour M. Kreis.

25 M. Kreis a déclaré qu’il ne serait pas possible de conduire une élection valide sans établir des bureaux de scrutin et des bureaux de scrutin supplémentaires. Comme je viens de l’expliquer, il faut donc commander les fournitures nécessaires pour ces bureaux, recruter du personnel, activer les services téléphoniques et acheter les fournitures ainsi que le mobilier. Il ne serait pas possible de conduire une élection valide sans accomplir ces activités et sans le soutien des CS.

26 M. Kreis a expliqué qu’avant 1998, on recensait les électeurs de porte-à-porte pour établir la liste électorale. En 1998, Élections Canada a établi le Registre national des électeurs, une liste électronique permanente où figurent le nom, l’adresse, le sexe et la date de naissance des Canadiens et des Canadiennes qui ont le droit de vote. Cette liste est continuellement mise à jour, puisque Élections Canada a conclu des ententes à cette fin avec plus de 40 ministères et organismes fédéraux de même qu’avec des organismes provinciaux qui lui communiquent de l’information sur les électeurs. Par exemple, si un électeur qui déménage a autorisé l’Agence du revenu du Canada à lui communiquer ce renseignement, Élections Canada change son adresse dans le Registre. De même, lorsqu’un ministère qui a conclu une entente à cet effet avec Élections Canada l’informe que quelqu’un est décédé, le nom du défunt est retiré du Registre. Chaque année, Élections Canada change ainsi des renseignements concernant de 16 à 18 p. 100 des électeurs inscrits au Registre. Un rapport statistique a révélé qu’Élections Canada a apporté près de 5,9 millions de changements au Registre entre la 39e et la 40e élections générales (Pièce E-6). Ce même rapport a indiqué qu’Élections Canada a apporté plus de 1,5 million de changements au Registre durant la 40e élection générale grâce aux renseignements recueillis dans le cadre du scrutin par anticipation, le jour de l’élection elle-même ou dans le contexte de la procédure de révision, qui comprend des visites ciblées de porte à porte effectuées par des employés d’Élections Canada pour vérifier l’exactitude de la liste des électeurs. Par exemple, Élections Canada peut faire une visite ciblée lorsqu’il y a un nouvel ensemble résidentiel dans une circonscription.

27 Le système REVISE est l’application informatique qui fait fonctionner le Registre national des électeurs. Avant une élection, Élections Canada extrait l’information du Registre et fait un test qui lui prend deux semaines, puis envoie une liste préliminaire des électeurs de sa circonscription à chaque directeur du scrutin, qui met la liste à jour à partir de là.

28 Élections Canada gère aussi un Système de mesure de la qualité automatisé qui lui permet de s’assurer que l’information figurant au Registre national des électeurs est valide et à jour. Le Registre couvre actuellement 94 p. 100 des électeurs admissibles; sa validité pourrait être contestable s’il n’en couvrait que 75 p. 100.

29 La LEC oblige Élections Canada à produire une liste des électeurs pour les députés et les partis politiques une fois par année, en octobre.

30 M. Kreis a déclaré qu’il ne serait pas possible de conduire une élection valide sans gérer le Registre national des électeurs, parce qu’il serait alors impossible de créer une liste électorale, ce qui signifie qu’il serait également impossible d’envoyer aux directeurs du scrutin une liste des électeurs de leur circonscription électorale. Les techniciens CS assurent le soutien permanent du Registre national des électeurs.

31 M. Kreis a expliqué ce que « gérer la géographie électorale » suppose. L’adresse de chaque électeur est inscrite sur une carte géographique électorale contenant 23 millions d’adresses. Cette carte est envoyée à chaque directeur du scrutin, qui l’examine pour déterminer où établir les bureaux de vote. Il y a environ 60 000 bureaux de vote au pays, soit de 16 à 20 par circonscription électorale. L’emplacement de ces bureaux est déterminé en fonction de plusieurs facteurs, dont la densité de population. Chaque bureau de vote est censé accueillir de 400 à 450 électeurs. La structure géographique de la circonscription électorale est un autre facteur dont il faut tenir compte : le directeur du scrutin doit par exemple se demander si les électeurs vont devoir traverser une route pour aller voter.

32 M. Kreis a déclaré que les CS qui relèvent de lui gèrent les deux bases de données géographiques servant à produire les cartes électorales. À l’élection générale de janvier 2006, ces bases de données ont généré près de 70 000 cartes originales et plusieurs autres documents géographiques. Plus d’un demi-million de ces cartes et d’autres documents ont été distribués aux directeurs du scrutin et aux candidats pendant le processus électoral. Les CS qui travaillent sous la direction de M. Kreis gèrent les systèmes qui produisent ces cartes géographiques, et il serait impossible de tenir une élection valide sans leur contribution.

33 Cela dit, les électeurs peuvent voter par la poste. Ceux qui ne sont pas dans leur circonscription électorale le jour de l’élection ou durant les scrutins par anticipation, les personnes hospitalisées à l’extérieur de leur circonscription électorale, les 60 000 membres des Forces canadiennes, les citoyens qui se trouvent à l’extérieur du pays durant la période électorale et les détenus dans des prisons canadiennes peuvent choisir de voter par la poste ou doivent forcément voter de cette façon. À la dernière élection générale, ce fut le cas pour 253 000 électeurs.

34 Le traitement du vote postal représente beaucoup de travail pour Élections Canada, qui doit préparer et faire parvenir leurs ensembles de vote aux électeurs postaux éventuels. À l’élection générale de 2006, il a fallu préparer 253 000 de ces ensembles. Ce travail est effectué à l’entrepôt d’Ottawa d’Élections Canada. Le vote postal exige de nombreuses procédures d’identification, puisqu’on doit s’assurer de l’identité des intéressés. Il faut deux mois pour accomplir tout ce travail préparatoire.

35 Le service des Règles électorales spéciales s’occupe des formulaires de demande des électeurs désireux de voter par la poste et du registre des électeurs habitant à l’extérieur du Canada, en plus de gérer les autres renseignements concernant les électeurs. Il emploie près de 400 personnes appuyées par les CS.

36 Les élections ne seraient pas valides s’il n’était pas possible de voter par la poste, puisque plus de 250 000 citoyens seraient alors privés de leur droit de vote.

37 M. Kreis a déclaré que la préparation d’une élection générale nécessite l’établissement de centres d’appels internes et externes. Les centres d’appels internes fournissent des renseignements et de l’aide sur les élections au personnel d’Élections Canada pendant l’élection; ils reçoivent en moyenne 1 200 appels par jour au cours de la période électorale. Par exemple, lors de l’élection générale de 2006, le personnel des centres d’appels internes a répondu à 77 000 appels.

38 Les centres d’appels externes fournissent des renseignements et de l’aide sur les élections au grand public. Les électeurs peuvent par exemple demander où aller voter, tandis qu’un membre d’un parti politique peut téléphoner pour connaître les limites des dépenses électorales. Le numéro 1-800 d’Élections Canada donne accès à un système automatique de réponse vocale. C’est un ordinateur qui répond aux questions, mais on peut aussi demander à parler à un agent. Lors de la dernière élection générale, le système automatique de réponse vocale a traité 680 000 appels, contre 300 000 pour les agents d’Élections Canada.

39 Le public peut aussi communiquer directement avec les bureaux de scrutin. Élections Canada a plus de 1 000 numéros 1-800 pour ces bureaux, qui ont reçu plus d’un million d’appels téléphoniques lors de la dernière élection générale.

40 M. Kreis a témoigné qu’il faut deux mois pour établir les centres d’appels internes et externes. Élections Canada doit négocier des ententes avec les compagnies de téléphone et installer l’équipement de communications nécessaire. Les CS relevant de M. Kreis sont chargés de ce travail.

41 M. Kreis a déclaré qu’il ne serait pas possible de conduire une élection valide sans ces centres d’appels internes et externes. Les employés d’Élections Canada et le grand public ont besoin d’information et de conseils durant les élections. Ce sont des CS qui mettent les systèmes en place. Il ne serait pas possible de conduire une élection valide sans leur contribution.

42 La préparation d’une élection nécessite l’établissement d’un budget électoral. Il faut un budget distinct de 300 millions de dollars pour préparer et conduire une élection. Élections Canada doit établir un budget pour son administration centrale et un autre pour chaque bureau de scrutin et pour chaque bureau de scrutin supplémentaire. Le budget de chaque bureau de scrutin est de 340 000 $ à 360 000 $. Le budget du système de paie des bureaux de scrutin est administré par les systèmes informatiques de l’administration centrale avant la période électorale, mais dès que celle-ci commence, il est téléchargé aux bureaux de scrutin eux-mêmes. Les directeurs du scrutin le gèrent à partir de là, mais les paiements continuent d’être effectués à partir de l’administration centrale, à Ottawa. Le système informatique administre aussi les autorisations des congés des employés.

43 M. Kreis a déclaré qu’il faut deux mois pour préparer le budget d’une élection.

44 Il a témoigné qu’il ne serait pas possible de conduire une élection valide sans établir un budget. Il ne serait pas possible de signer les baux, d’acheter l’équipement et de payer les travailleurs.

45 Les CS qui relèvent de M. Kreis ont des tâches de gestion du budget. Par exemple, ils sont responsables des systèmes qui établissent les prévisions budgétaires. Il ne serait pas possible de conduire une élection valide sans leur contribution.

46 La préparation des élections nécessite également qu’on embauche et qu’on forme de nouveaux employés. Par exemple, le service des Règles électorales spéciales a besoin de 400 employés pendant la période électorale, au cours de laquelle Élections Canada embauche de 400 à 600 employés de plus dans chaque bureau de scrutin. Élections Canada emploie quelque 200 000 personnes le jour de l’élection.

47 M. Kreis a déclaré qu’il n’est pas possible de conduire une élection valide sans embaucher et sans former de nouveaux employés. Le personnel permanent d’Élections Canada ne suffirait pas. Il faut du personnel temporaire supplémentaire pour chaque élection.

48 Les CS contribuent au recrutement et à la formation de ces employés. Leur travail est indispensable aux systèmes dont on se sert pour les embaucher; il ne serait pas possible de conduire une élection valide sans leur contribution.

49 M. Kreis a déclaré qu’Élections Canada doit gérer des fournisseurs de l’extérieur pour préparer et conduire une élection. Ses CS négocient des marchés et des protocoles d’entente avec ces fournisseurs et sont responsables des systèmes informatiques servant à communiquer avec eux. Par exemple, Élections Canada a une entente avec Postes Canada pour faire livrer de l’équipement électoral de son entrepôt d’Ottawa aux bureaux de scrutin.

50 Élections Canada a aussi deux marchés de service avec IBM. Le premier porte sur les systèmes déployés sur le terrain. À cette fin, IBM conserve dans un entrepôt situé à Markham, en Ontario, de l’équipement destiné aux bureaux de scrutin et aux bureaux de scrutin supplémentaires (il s’agit de 4 500 appareils de saisie — écrans, claviers et souris —, de 308 serveurs et 800 imprimantes, avec les câbles, les interrupteurs, les routeurs, les concentrateurs et tout l’équipement de communication de données servant à relier l’administration centrale d’Élections Canada avec les bureaux de scrutin).

51 Le second marché d’Élections Canada avec IBM est un marché de services professionnels pour l’administration centrale d’Élections Canada. Quelque 30 employés d’Élections Canada administrent les bases de données au cours de l’élection, mais ils ne suffisent pas à la tâche; il faut leur adjoindre 40 personnes de plus, qui sont embauchées à contrat par l’intermédiaire d’IBM. Les employés d’Élections Canada gèrent le marché d’approvisionnement et forment ce personnel supplémentaire.

52 Élections Canada a également conclu un marché avec Allstream parce que la capacité de son site Web conçu pour renseigner les électeurs est insuffisante en période électorale : Allstream lui fournit la capacité supplémentaire nécessaire.

53 Qui plus est, Élections Canada a négocié des ententes avec cinq compagnies de téléphone. Chaque protocole d’entente doit être conclu avant l’élection. Au cours de la période électorale, Élections Canada a besoin de 1 000 numéros 1-800, de 8 000 lignes téléphoniques, de 6 000 téléphones et de 6 000 casques téléphoniques. Les protocoles d’entente stipulent que les téléphones doivent être opérationnels dans les 48 heures suivant le moment où l’adresse du bureau de scrutin ou du bureau de vote est donnée à la compagnie de téléphone.

54 Bell Canada est l’hôte du système de réponse vocale, mais Élections Canada lui fournit les données et les systèmes nécessaires pour le faire fonctionner.

55 M. Kreis a déclaré qu’il avait fallu six mois pour accomplir tout le travail nécessaire avec les fournisseurs lors de la 39e élection générale.

56 Il a également déclaré qu’il ne serait pas possible de conduire une élection valide sans gérer les fournisseurs contractuels avant la période électorale. Il n’y aurait pas de système téléphonique pour que les employés puissent communiquer entre eux et il n’y aurait aucun moyen de donner des renseignements au public.

57 Les CS contribuent à la gestion des fournisseurs contractuels et notamment à celle des fournisseurs de services professionnels, ainsi qu’à la coordination de leurs activités. Par exemple, ils disent à IBM où et quand livrer l’équipement technologique dont les bureaux de scrutin ont besoin, informent les fournisseurs des critères qu’ils doivent respecter et surveillent leur travail. Il ne serait pas possible de conduire une élection valide sans leur apport.

58 M. Kreis a expliqué qu’Élections Canada conserve à son grand entrepôt d’Ottawa de nombreux articles utilisés lors des périodes électorales, comme le papier utilisé pour les bulletins de vote, les boîtes de scrutin, les manuels d’information et les fournitures de bureau. Élections Canada emploie deux systèmes de gestion de l’entrepôt, un pour l’inventaire et l’autre pour le système d’identification du matériel à envoyer aux bureaux de scrutin. Certaines fournitures sont envoyées au domicile des directeurs du scrutin dès que l’élection est proclamée; les autres sont livrées plus tard.

59 M. Kreis a déclaré qu’il n’est pas possible de conduire une élection valide sans gérer l’entrepôt. Par exemple, s’il n’était pas géré, il n’y aurait pas de bulletins de vote pour les élections. Les bulletins de vote sont imprimés sur du papier spécial qu’on garde en sécurité. Il n’est pas possible de commander les bulletins de vote à un fournisseur commercial, pour des raisons de sécurité.

60 Les CS sont responsables des deux systèmes de gestion de l’entrepôt. Il ne serait pas possible de conduire une élection valide sans leur travail.

61 M. Kreis a expliqué qu’Élections Canada doit s’acquitter des cinq importantes activités suivantes en période électorale :

  • gérer les bureaux de scrutin et les bureaux de scrutin supplémentaires;
  • mettre en place et gérer les systèmes d’information du public;
  • gérer et soutenir de façon centralisée les systèmes d’information et de technologie;
  • gérer les fournisseurs de services contractuels;
  • produire les résultats de l’élection.

62 La première activité importante d’Élections Canada en période électorale consiste à gérer les bureaux de scrutin et les bureaux de scrutin supplémentaires. Pour lui permettre de s’acquitter de ses responsabilités à cet égard, les CS ont un rôle à jouer à plusieurs titres :

  • les directeurs du scrutin font parvenir aux bureaux de scrutin et aux bureaux de scrutin supplémentaires les fournitures qu’ils ont reçues à leur domicile — les CS font fonctionner le système servant à commander ces fournitures;
  • IBM livre l’équipement de TI aux bureaux de scrutin et l’installe — les CS fournissent à IBM les adresses des bureaux de scrutin et lui communiquent les instructions pour la livraison et l’installation de l’équipement;
  • l’administration centrale d’Élections Canada envoie les produits de données de TI aux bureaux de scrutin — les CS gèrent cette activité;
  • Élections Canada conclut des ententes avec les compagnies de téléphone pour réserver des lignes téléphoniques (numéros 1-800, lignes de télécopieurs et lignes de communication de données) — les CS donnent les instructions aux compagnies de téléphone, coordonnent l’installation des lignes et les testent;
  • chaque directeur du scrutin embauche de 400 à 600 personnes — les CS font fonctionner le système dont on se sert pour embaucher et former ces nouveaux employés et assurent le soutien nécessaire à l’identification de l’endroit auquel chaque nouvel employé est affecté;
  • les directeurs du scrutin prennent les décisions finales sur les endroits où voter — les CS font fonctionner le système utilisé pour localiser ces endroits;
  • les directeurs du scrutin produisent une liste révisée des électeurs — les CS font fonctionner les systèmes utilisés pour produire cette liste;
  • Élections Canada imprime et distribue par la poste 23 millions de cartes d’information des électeurs (ces cartes servent à informer les électeurs du moment et de l’endroit où voter) — les CS font fonctionner le système REVISE utilisé pour imprimer ces cartes d’information;
  • les directeurs du scrutin acceptent l’investiture des candidats — les CS font fonctionner le système utilisé pour saisir l’information sur les candidats;
  • Élections Canada paie les employés — les CS font fonctionner le système de paie.

63 M. Kreis a déclaré qu’Élections Canada ne pourrait pas conduire une élection valide sans accomplir cette importante activité en effectuant les tâches susmentionnées.

64 La deuxième importante activité qu’Élections Canada doit accomplir en période électorale consiste à établir et à gérer les systèmes d’information du public. M. Kreis a expliqué qu’il existe trois façons pour le public d’obtenir de l’information pendant la période électorale : visiter le site Web d’Élections Canada, visiter son site Web des services d’information à l’intention des électeurs et accéder à son système téléphonique de réponse vocale. Ces systèmes sont interconnectés.

65 Les CS s’assurent que le site Web d’Élections Canada a une capacité accrue durant la période électorale. C’est un site Web statique : les visiteurs accèdent tout simplement à l’information qu’il contient. Les CS négocient des ententes avec Allstream, qui est l’hôte des systèmes Web. Les CS surveillent aussi le trafic sur le site et en surveillent le rendement.

66 Allstream est également l’hôte du système d’information sur les électeurs, un site Web dynamique, où les visiteurs peuvent poser des questions et obtenir des réponses. Les CS le surveillent pour s’assurer qu’Allstream lui fournit la capacité nécessaire et pour le protéger. Pendant la dernière élection, des pirates ont réussi à fermer le système pendant une heure le jour même de l’élection.

67 Les CS assurent également le soutien du système téléphonique de réponse vocale, en veillant à ce que Bell Canada assure la capacité voulue et à ce que les lignes 1-800 soient correctement configurées.

68 M. Kreis a déclaré qu’il ne serait pas possible de conduire une élection valide sans ces trois systèmes qui donnent au public les moyens de communiquer avec Élections Canada. Ils fournissent tous les trois aux électeurs divers renseignements sur l’élection, notamment les endroits et les heures où voter. Lors de la dernière élection générale, Élections Canada a fourni 4,8 millions de renseignements au public.

69 La troisième activité importante d’Élections Canada en période électorale est la gestion et le soutien centralisés des systèmes d’information et de technologie. Pendant la période électorale, les systèmes d’information doivent passer du mode attente au mode actif, ce qui signifie qu’on y ajoute plusieurs systèmes, comme les systèmes d’information des électeurs. L’initialisation des systèmes pour le passage au mode actif est faite à l’administration centrale d’Élections Canada. À partir de ce moment-là, les directeurs du scrutin peuvent communiquer avec l’administration centrale pour télécharger des données critiques. Les CS de l’administration centrale initialisent et surveillent les systèmes, qui sont surveillés 24 heures sur 24 durant la période électorale. Les CS corrigent également les problèmes au fur et à mesure. Par exemple, en cas de panne du site Web, ils s’empressent d’y remédier.

70 M. Kreis a témoigné qu’il ne serait pas possible de conduire une élection valide sans le travail des CS qui contribuent à la gestion centralisée des systèmes d’information. Les directeurs du scrutin ne pourraient pas accéder aux données conservées à l’administration centrale, les électeurs ne pourraient pas avoir accès à l’information sur le site Web et les employés ne pourraient pas diriger les électeurs vers les bureaux de vote appropriés.

71 La quatrième activité importante d’Élections Canada en période électorale consiste à gérer les fournisseurs de services contractuels. Pendant cette période, les CS font le pont entre les utilisateurs d’Élections Canada et ces fournisseurs de l’extérieur. Par exemple, si un système de TI est défectueux dans un bureau de scrutin, des CS vont vérifier si le problème se situe à l’administration centrale d’Élections Canada ou à IBM. Si le problème est à IBM, les CS assurent la coordination avec les efforts d’IBM pour y remédier.

72 M. Kreis a déclaré qu’il ne serait pas possible de conduire une élection valide sans le travail des CS qui gèrent les fournisseurs de services contractuels.

73 La cinquième activité importante d’Élections Canada en période électorale consiste à produire les résultats de l’élection. Les CS participent à cette activité. Avant le jour de l’élection, ils effectuent trois tests des systèmes d’information. Le jour de l’élection, des millions d’électeurs votent. Les CS surveillent les systèmes d’information sur l’élection pour s’assurer que les résultats sont transmis à l’administration centrale d’Élections Canada, à son site Web et aux médias. S’il y a un problème, les CS doivent déterminer s’il se trouve au bureau de scrutin ou à l’administration centrale d’Élections Canada afin de le résoudre. M. Kreis a témoigné qu’il ne serait pas possible de conduire une élection valide sans la contribution des CS; il ne serait tout simplement pas possible de produire les résultats de l’élection.

74 M. Kreis a déclaré que les CS participent aussi à la phase postélectorale de l’élection, qui comprend trois grandes activités, la fermeture des bureaux de scrutin et des bureaux de scrutin supplémentaires, la conversion des systèmes du mode actif au mode attente et la surveillance.

75 La fermeture des bureaux de scrutin et des bureaux de scrutin supplémentaires consiste notamment à renvoyer le matériel inutilisé à l’administration centrale ainsi qu’à s’assurer que les lignes téléphoniques sont enlevées et que l’information concernant les électeurs est retirée de certains systèmes d’information. La conversion du mode actif au mode attente comprend des activités comme l’inscription dans le Registre national des électeurs des changements apportés à la liste des électeurs au cours de la période électorale. Les activités de surveillance consistent notamment à examiner le financement des partis politiques.

76 M. Kreis m’a renvoyé à une liste de 104 applications de TI utilisées pour préparer et conduire les élections (Pièce E-9). (Cette liste comprenait 105 applications, mais le demandeur en a retiré l’application 55 à l’audience.) La liste précise le nom de chaque application et la décrit en plus de nommer son principal utilisateur. Elle a été établie pour la négociation de l’ESE. Élections Canada emploie d’autres applications de TI (un total d’entre 140 et 150). La mise au point d’applications est une activité permanente qui suit l’évolution de la TI. M. Kreis a décrit de façon plus détaillée chacune des applications de TI figurant dans la liste et le travail des CS correspondant à chacune d’entre elles.

77 Il a déclaré qu’il serait impossible de produire des résultats électoraux complets, légitimes et vérifiables sans ces 104 applications de TI. Cela causerait des troubles parce que les citoyens seraient incapables d’exercer leur droit de vote et leur droit de se porter candidats aux élections, des droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés (« la Charte »).

78 Conduire une élection incorrectement pourrait aussi entraîner la divulgation accidentelle de renseignements personnels qu’Élections Canada recueille sur les électeurs. L’importance de la protection de ces renseignements personnels a été soulignée par la Commissaire à la protection de la vie privée du Canada dans le rapport intitulé Cadres de gestion de la protection de la vie privée de certaines institutions fédérales (Pièce E-10, page 16). Dans ce rapport, la Commissaire a constaté quatre manquements à la protection des renseignements personnels. Ainsi, en 2006, des listes contenant des noms et des adresses d’électeurs avaient été trouvées dans les bureaux d’une cellule des Tigres de libération de l’Eelam tamoul. Des CS travaillent à la gestion de cette information. En outre, Élections Canada a conclu des ententes avec certains ministères qui communiquent des renseignements sur les électeurs. Des CS contrôlent le transfert de ces renseignements et évaluent les risques de leur transfert. Il ne serait pas possible d’assurer en toute sécurité la collecte et l’échange de renseignements personnels concernant les électeurs sans la contribution des CS.

79 M. Kreis a témoigné qu’on s’exposerait à des troubles si les résultats d’une élection ne pouvaient pas être confirmés, ce qui risquerait de se produire s’ils étaient serrés ou incomplets.

80 M. Kreis a également déclaré qu’on avait volé des boîtes de scrutin une fois à l’élection générale de 2004 ainsi qu’à celle de 2006.

81 Il a témoigné qu’il y avait eu de la violence dans d’autres pays quand les élections ne s’étaient pas déroulées correctement, en mentionnant le rapport de la Mission de l’Union européenne d’observation des élections générales à la présidence du Kenya en décembre 2007 (Pièce E-11), où le manque de transparence dans le traitement et le comptage des résultats avait sapé la confiance de la population quant à la validité des résultats électoraux. À cause de ces irrégularités, des actes de violence généralisés avaient éclaté après la journée des élections.

82 M. Kreis a donné un autre exemple de perturbations résultant d’une élection, en évoquant le rapport de la Mission de l’Union européenne d’observation des élections présidentielles et parlementaires au Mexique en juillet 2006 (Pièce E-12). Ces élections avaient été conduites correctement, mais il y avait eu des problèmes parce que les résultats étaient serrés. Le candidat perdant, Lopez Obrador, avait refusé d’accepter que Felipe Calderon ait remporté l’élection à la présidence, et ses partisans avaient manifesté pour protester.

83 M. Kreis a déclaré que si les résultats des élections ne peuvent pas être confirmés, il n’y a pas de gouvernement, et que sans gouvernement dûment élu, il est impossible d’adopter des lois pour parer aux urgences. S’il n’est pas possible de confirmer les résultats des élections, il n’est pas possible non plus de déterminer qui forme le gouvernement. Sans gouvernement valide, il n’aurait pas été possible d’adopter des lois pour contrer le terrorisme comme on l’a fait après les attentats terroristes du 11 septembre 2001 à New York. Le Parlement a adopté alors trois projets de loi pour lutter contre le terrorisme (voir la Pièce E-13). La Loi antiterroriste, L.C.2001, ch. 41, prévoit des mesures visant à identifier, poursuivre et condamner les terroristes. La Loi de 2002 sur la sécurité publique,L.C. 2004, ch. 15, a modifié plusieurs lois afin d’accroître la capacité du gouvernement de protéger les citoyens. Enfin, la Loi sur l’aéronautique, L.R.C., 1985, ch. A-2, a été modifiée pour maximiser l’efficacité du système de sécurité de l’aviation.

84 L’intervention des législateurs s’est également imposée lorsque Énergie atomique du Canada a dû fermer le réacteur nucléaire de Chalk River, qui produisait la moitié des isotopes médicaux utilisés à l’échelle mondiale pour le traitement du cancer. Le gouvernement a dû adopter une loi visant à faire redémarrer ce réacteur.

85 M. Kreis a expliqué que même si le paragraphe 59(1) de la LEC autorise le gouverneur en conseil à retirer le bref électoral applicable à une circonscription, cette autorisation ne s’applique qu’à des situations exceptionnelles telles qu’une inondation. M. Kreis ne savait pas si cette disposition a jamais été invoquée pour annuler une élection, mais elle ne peut pas l’être dans le cas d’une grève.

86 En contre-interrogatoire, la représentante du défendeur a fait remarquer à M. Kreis qu’il est écrit à la page 5 du Rapport ministériel sur le rendement d’Élections Canada pour la période terminée le 31 mars 2008 (Pièce E-3) qu’il y avait eu huit votes de défiance à la Chambre des communes au cours de l’exercice 2007-2008. Elle lui a demandé si Élections Canada était prêt à conduire une élection à l’occasion de chacun de ces huit votes. M. Kreis a répondu qu’Élections Canada n’était pas tout à fait prêt à le faire à chacune de ces occasions.

87 La représentante du défendeur a demandé à M. Kreis s’il y avait eu des émeutes au Québec après son référendum. M. Kreis a répondu que non.

88 M. Kreis a déclaré qu’un électeur peut s’inscrire pour voter le jour même de l’élection, au bureau de vote.

89 La représentante du défendeur a demandé à M. Kreis si plusieurs des tâches accomplies grâce aux applications énumérées à la Pièce E-9 pourraient être accomplies manuellement. M. Kreis a répondu que non, exception faite de la tâche 71, consistant à valider les résultats de l’élection. Il a déclaré qu’il supposait que cette tâche pourrait être faite manuellement.

90 La représentante du défendeur a demandé à M. Kreis s’il savait que l’article 131 de la LRTFP donne à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (« la Commission ») le pouvoir de modifier une ESE en cas d’urgence. M. Kreis a répondu qu’il l’ignorait.

B. Témoignage du professeur Russell

91 La représentante du défendeur a déposé en preuve le curriculum vitæ du professeur Russell (Pièce B-24). Le professeur Russell a résumé ses études et son expérience. Il a obtenu un B.A. en philosophie et en histoire de l’Université de Toronto en 1955, un B.A. en philosophie, en politique et en économique de l’Université d’Oxford en 1957 et une maîtrise en philosophie, en politique et en économique de cette même université en 1979.

92 Le professeur Russell occupe actuellement les postes suivants à l’Université de Toronto :

  • professeur d’université;
  • professeur émérite, Département de science politique;
  • Emeritus Fellow, Trinity College;
  • Senior Fellow, Massey College;
  • co-président, Conseil de gestion, retraité/Senior Scholar Centre.

93 Le professeur Russell a notamment été professeur à l’Université de Toronto, au Département de science politique, de 1968 à 1996. Il a été professeur invité dans plusieurs universités, notamment à Harvard, de 1967 à 1968.

94 Le professeur Russell a gagné de nombreux prix et distinctions; il a notamment été nommé officier de l’Ordre du Canada en 1986.

95 Le professeur Russell est membre de plusieurs associations professionnelles :

  • Association canadienne de science politique (il en a été président en 1990-1991);
  • Association internationale de science politique (en 1990, membre exécutif du Comité de recherche sur les études judiciaires comparées);
  • Institut canadien pour l’administration de la justice (vice-président à la recherche de 1983 à 1985);
  • Association canadienne de droit et société (vice-président en 1985-1986 et président en 1987-1988).

96 Le professeur Russell a été membre de plusieurs comités et commissions d’enquête dans la fonction publique :

  • Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada, dont il a été directeur de la recherche de 1977 à 1981;
  • The Churchill Society for the Advancement of Parliamentary Democracy, dont il a été président de 2001 à 2004;
  • The Chinese Academy of Social Science/Royal Society of Canada Project on Democracy, de 1992 à 1996.

97 Le professeur Russell a écrit de nombreux ouvrages et articles sur les sciences politiques, la démocratie et le droit, dont :

  • Two Cheers for Minority Government: The Evolution of Parliamentary Democracy in Canada, (2008);
  • Parliamentary Democracy in Crisis, (with Lorne Sisson), (2009);
  • Leading Constitutional Decisions, (1982);
  • The Administration of Justice in Uganda: Some Problems and Proposals, (1971);
  • The Future of Social Democracy: Views of Leaders from Around the World, (2000);
  • Judicial Independence in the Age of Democracy: Critical Perspectives from Around the World, ouvrage compilé en collaboration avec David O'Brien (2001);
  • Judicial Power and Canadian Democracy, ouvrage compilé en collaboration avec Paul Howe (2001).

98 Le professeur Russell a déclaré avoir enseigné et écrit sur la théorie politique et sur la philosophie durant toute sa carrière. Il a écrit sur de nombreux sujets, dont la Constitution canadienne et celle des États-Unis, la politique autochtone et la nomination des juges ainsi que le fonctionnement des tribunaux au Canada.

99 Le professeur Russell a déclaré avoir été en quelque sorte le chef d’état-major de la Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), pour laquelle il a travaillé pendant deux ans. Sa tâche consistait alors à définir les questions de principe soulevées par la collecte d’information sur les citoyens et sur les façons d’améliorer la sécurité au Canada. Il s’agissait principalement de savoir si le Canada avait besoin d’un organisme chargé de recueillir des renseignements sur ses citoyens. Le fait est que la GRC recueillait beaucoup de renseignements sur les gens ordinaires : par exemple, elle avait des dossiers sur des citoyens comme des professeurs d’université qui avaient protesté contre la guerre au Vietnam ainsi que sur des membres des partis politiques, sur des dirigeants syndicaux et sur des dirigeants autochtones. La Commission avait conclu que le Canada avait besoin d’un organisme pour recueillir des renseignements sur l’espionnage et sur le terrorisme, mais que cet organisme n’avait pas à recueillir des renseignements sur les citoyens ordinaires qui ne se livraient pas à de telles activités.

100 Le professeur Russell a témoigné qu’il était témoin expert dans une affaire en instance devant la Cour fédérale mettant en cause Démocratie en surveillance et le premier ministre Harper, où il s’agit de déterminer si le premier ministre a enfreint la LEC en déclenchant une élection en 2008, alors que la LEC prévoit des élections à dates fixes.

101 La représentante du défendeur m’a demandé de considérer le professeur Russell comme un expert en [traduction] « sciences politiques, incluant la démocratie parlementaire et la démocratie parlementaire dans un contexte comparatif comprenant la perception et les rouages des systèmes parlementaires canadiens ainsi que le rôle et les prérogatives du gouverneur général. » Le représentant du demandeur s’y est opposé, en déclarant que le professeur Russell n’est pas un expert dans tous ces domaines. Compte tenu des études et de la vaste expérience du professeur Russell dans les sphères gouvernementales et parlementaires, j’ai accepté de le considérer comme un expert en sciences politiques, en démocratie parlementaire, en démocratie parlementaire comparative dans un contexte international et comme un expert en ce qui concerne le rôle et les prérogatives du gouverneur général du Canada.

102 Le professeur Russell a expliqué que le parlement du Canada est basé sur le modèle de Westminster. Le parti qui détient la majorité des sièges au Parlement forme le gouvernement. Ce parti doit toujours avoir la confiance de la Chambre des communes. S’il perd cette confiance, son chef demande au gouverneur général de dissoudre le Parlement et de proclamer une élection. Le gouverneur général peut dissoudre le Parlement sur l’avis du premier ministre, mais il peut aussi désigner le chef d’un autre parti qui a la confiance de la Chambre des communes pour le charger de former le gouvernement. La raison d’être de ce pouvoir du gouverneur général consiste à éviter des élections inutiles, par exemple si le premier ministre voulait déclencher une autre élection peu après une élection générale. Ce pouvoir existe parce que si un autre parti a la confiance de la Chambre des communes, il mérite d’avoir la possibilité de gouverner le pays.

103 Il est arrivé une seule fois que le gouverneur général refuse de suivre l’avis du premier ministre de déclencher une élection. En 1926, le premier ministre Mackenzie King avait demandé au gouverneur général Lord Byng de dissoudre le Parlement et de déclencher une élection. Le parti au pouvoir ne détenait pas la majorité à la Chambre des communes, mais gouvernait grâce à l’appui d’un autre parti. Le premier ministre King avait demandé au gouverneur général Byng de dissoudre le Parlement et de déclencher une élection parce qu’il estimait qu’il allait perdre l’appui de l’autre parti et qu’il voulait éviter d’être défait en perdant un vote de défiance. Le gouverneur général avait refusé de dissoudre le Parlement; il préférait attendre jusqu’à l’automne pour laisser les esprits se calmer. Le premier ministre avait alors démissionné pour se soustraire au vote de défiance qu’il redoutait.

104 Le professeur Russell a expliqué que le gouvernement a toujours besoin de ministres pour diriger les ministères. Quand le Parlement est dissous, le parti au pouvoir continue de gouverner le pays en vaquant aux affaires courantes. Il se limite alors habituellement à l’essentiel en se gardant d’introduire d’importants changements stratégiques. Par exemple, en 1896, le premier ministre Tupper a été battu à la Chambre et voulait forcer des nominations avant de quitter la barre, mais le gouverneur général, Lord Aberdeen, a refusé de faire les nominations qu’il souhaitait.

105 Le professeur Russell a expliqué que le gouverneur général a un pouvoir de réserve l’autorisant à renvoyer le premier ministre, bien qu’aucun gouverneur général ne se soit jamais prévalu de ce pouvoir. Le gouverneur général pourrait être contraint à le faire si le premier ministre devait perdre la confiance de la Chambre des communes et refusait de lui demander de proclamer une élection.

106 Le gouverneur général convoque le Parlement après l’élection à la demande du premier ministre. Le Parlement doit être convoqué dans un délai d’au plus un an. La plus longue période durant laquelle le Parlement n’a pas siégé après une élection est arrivée en 1979, quand le gouverneur général a attendu cinq mois pour le convoquer.

107 Avant le début des années 1960, le premier ministre perdait la confiance de la Chambre des communes dès qu’il perdait un vote quelconque. Les choses ont changé depuis. Pour qu’on puisse dire que le gouvernement a perdu la confiance de la Chambre des communes, le vote perdu doit porter sur une question majeure comme le budget, le discours du Trône ou une autre question d’importance attestant que le premier ministre ne peut pas continuer à gouverner le pays. Savoir s’il a perdu la confiance de la Chambre des communes est une affaire de jugement et de bon sens.

108 Le professeur Russell a déclaré qu’on avait reporté l’élection fédérale pendant un an au cours de la Deuxième Guerre mondiale pour éviter qu’elle ait lieu en temps de guerre. Au Royaume-Uni, en 2001, on a aussi décidé de reporter des élections, locales celles-là,  à cause d’une épidémie de fièvre aphteuse, en vertu d’une Loi du Parlement du Royaume-Uni (Recueil de jurisprudence, volume 2, onglet 21). Dans les deux cas, le report des élections n’a pas causé de troubles.

109 La représentante du défendeur a demandé au professeur Russell s’il y aurait des troubles au Canada dans l’éventualité où une élection fédérale serait reportée à cause d’une épidémie de fièvre aphteuse. Le représentant du demandeur s’est opposé à cette question en déclarant que le professeur Russell n’est pas un expert du comportement humain. J’ai pris son objection en délibéré et j’ai fini par décider de laisser le professeur Russell répondre à la question, parce qu’il est expert en la matière en raison de ses antécédents en sciences politiques et de sa vaste expérience de l’étude du fonctionnement de la démocratie canadienne. Je  voulais également entendre sa réponse par souci d’équité, parce que le représentant du demandeur avait posé à M. Kreis plusieurs questions en lui demandant s’il estimait qu’il y aurait des troubles si les élections n’étaient pas conduites correctement, même si M. Kreis n’est pas expert en la matière. Toutefois, j’aimerais ajouter que la réponse du professeur Russell n’était pas vraiment pertinente. Une des questions à trancher en l’espèce consiste en effet à savoir s’il y aurait des troubles dans l’éventualité où une élection ne serait pas conduite correctement parce qu’Élections Canada n’était pas prêt à la conduire et non parce qu’il y avait une épidémie de fièvre aphteuse. Quoi qu’il en soit, le professeur Russell a répondu qu’il serait fort invraisemblable que des troubles se produisent au cas où une élection serait retardée ou conduite incorrectement à cause d’une épidémie de fièvre aphteuse, compte tenu de ce que nous savons des Canadiens et des Canadiennes.

110 Le professeur Russell a témoigné qu’il connaissait bien la situation politique au Kenya, une démocratie émergente qui a récemment connu des changements constitutionnels. Le Kenya est un pays dominé par un parti et peuplé par deux grandes tribus dont l’une craignait que le gouvernement n’agisse à son encontre. Des troubles ont éclaté durant les élections générales de 2007. Les Nations Unies sont intervenues. Les deux tribus ont conclu une entente pour partager le pouvoir. Cela dit, la situation au Kenya est très différente de celle du Canada. La démocratie n’est pas arrivée à maturité au Kenya, alors qu’elle est établie au Canada depuis 150 ans. En outre, les Canadiens ne sont pas enclins à la violence.

111 Le professeur Russell a témoigné que certains citoyens étaient mécontents l’an dernier quand la gouverneure générale a dissous le Parlement, mais qu’il n’y a pas eu d’agitation. La population canadienne est très civile; elle peut protester contre une mesure gouvernementale, mais elle le fait pacifiquement. Les politologues ont souligné la façon pacifique des Canadiens de composer avec les enjeux politiques.

112 Le professeur Russell a expliqué que les Canadiens désireux de contester la validité d’une élection ont plusieurs recours. Ils peuvent la contester devant les tribunaux, et un candidat peut réclamer un recomptage.

113 En contre-interrogatoire, le professeur Russell a déclaré que le Parlement ne peut pas adopter de lois après avoir été dissous. Toutefois, il a délégué à l’exécutif de nombreux pouvoirs, réglementaires par exemple.

114 Le représentant du demandeur a demandé au professeur Russell s’il était juste de dire que s’il n’y avait aucun moyen de déterminer qui a gagné l’élection, le gouverneur général ne pourrait pas convoquer le Parlement, de sorte qu’il n’y aurait aucun moyen d’adopter des lois. Le professeur Russell a répondu que c’était exact.

115 En contre-interrogatoire, le professeur Russell a reconnu qu’il y avait déjà eu quelques émeutes au Canada, comme le représentant du demandeur le lui avait dit. Par exemple, il y a eu une violente émeute à Montréal quand Maurice Richard a été suspendu à la fin d’une saison de hockey. Le professeur Russell savait aussi qu’il y avait eu une émeute en 1919 à Winnipeg à cause d’une grève générale. Il ignorait qu’il y avait eu une émeute à Terre-Neuve en 1861 à cause d’une crise constitutionnelle et deux émeutes à Montréal, l’une en 1832 pendant une élection partielle et l’autre en 1849 quand des Tories indignés avaient agressé Lord Elgin et mis le feu aux édifices du Parlement. Par contre, il a déclaré qu’il se rappelait l’émeute de Vancouver à l’occasion des séries de la Coupe Stanley de 1994, même s’il ne se souvenait pas de l’émeute de 1993 à Montréal, elle aussi à l’occasion des séries de la Coupe Stanley.

116 Le professeur Russell a également déclaré en contre-interrogatoire qu’il n’avait jamais travaillé pour Élections Canada ni pour aucun organisme provincial chargé de conduire des élections.

117 Il a reconnu en contre-interrogatoire, quand le représentant du demandeur lui a posé la question, qu’on ne peut pas prédire des émeutes ni des troubles.

118 Le professeur Russell a reconnu que les émeutes qui avaient secoué le Kenya avant et après les élections de 2007 avaient été violentes. Il a aussi souscrit à la description dans la Pièce E-26 de la violence qui a marqué les élections de 2006 à Haïti (ces émeutes-là avaient causé des morts).

119 Toujours en contre-interrogatoire, le professeur Russell a déclaré qu’il était au courant des émeutes qui ont sévi en Moldavie en 2009. Ses collègues s’étaient rendus dans ce pays pour examiner la situation. (La Moldavie est un pays de l’ex-Union soviétique.) Il a dit souscrire globalement à la description de l’émeute dans le rapport du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (Pièce E-19).

120 Dans son réinterrogatoire, le professeur Russell a précisé qu’il avait fallu deux mois au gouvernement pour adopter des lois contre le terrorisme après les attentats terroristes du 11 septembre.

121 Le professeur Russell a expliqué que la Loi sur les mesures d’urgence,L.R.C.1985,ch. 22 (4e suppl.), donne au gouverneur général le pouvoir de déclarer une urgence et les pouvoirs nécessaires pour composer avec de telles situations. Si le Parlement ne siège pas, le gouverneur général peut le convoquer. La Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada avait recommandé l’adoption d’une législation d’urgence.

III. Résumé des arguments

A. Pour le demandeur

122 Le représentant du demandeur a souligné que la question à trancher est simple. Se préparer à une élection fédérale et la conduire est-il nécessaire à la sécurité du public? Le demandeur estime que la réponse est oui. Il demande donc à la Commission de rendre une ordonnance déclarant que tous les aspects de la préparation et de la conduite d’une élection fédérale sont réputés faire partie de l’ESE.

123 Le demandeur a proposé que 27 postes de CS soient désignés essentiels pour la sécurité du public.

124 Sans le travail des employés du groupe CS, une élection serait incomplète ou invalide, ce qui serait préjudiciable à la sécurité du public pour les trois raisons suivantes :

  • Une grève des CS créerait des troubles en causant des procédures électorales chaotiques ou des résultats électoraux invalides.
  • Puisque la grève pourrait raisonnablement empêcher la production de résultats électoraux valides, elle retarderait la convocation de la Chambre des communes. Par conséquent, le Parlement serait dans l’impossibilité d’adopter des lois pour parer aux urgences.
  • La grève pourrait raisonnablement mener à la divulgation de renseignements personnels qu’Élections Canada a recueillis au sujet des électeurs.

125 M. Kreis a témoigné qu’Élections Canada n’a aucun pouvoir sur le moment auquel une élection est proclamée, qu’il n’est pas consulté avant l’élection et qu’il n’est pas prévenu du moment auquel l’élection sera proclamée. Par conséquent, Élections Canada doit être constamment prêt pour l’élection. M. Kreis a aussi décrit les conséquences d’une omission ou d’une erreur quelconque dans la conduite des élections.

126 L’élection peut être divisée en trois phases : la phase préélectorale, la phase électorale et la phase postélectorale. La phase préélectorale comprend neuf catégories d’activités, la phase électorale (autrement dit la période électorale proprement dite) en comprend cinq et la phase postélectorale en comprend trois. M. Kreis a décrit chaque phase en montrant que les CS contribuent directement ou indirectement à chacune d’entre elles.

127 Le témoignage de M. Kreis a établi qu’Élections Canada a besoin de deux mois avant la proclamation d’une élection pour accomplir les activités de la phase préélectorale afin d’être prêt à conduire une élection valide. C’est pour cette raison que le temps de préparation à l’élection est si important.

128 Le représentant du demandeur a insisté sur le fait que le témoignage incontesté de M. Kreis a montré que les activités de toutes les phases de la conduite d’une élection sont essentielles pour que l’élection soit valide. M. Kreis a également témoigné qu’une grève des CS pendant une phase quelconque de l’élection pourrait être préjudiciable à la sécurité des Canadiens.

129 La représentante du défendeur a déclaré plusieurs fois que certaines des tâches exécutées grâce à des applications de TI pourraient être accomplies manuellement. Le représentant du demandeur a soutenu que cet argument n’est pas valide parce que l’alinéa 123(6)b) de la LRTFP dispose que l’employeur n’est pas tenu d’envisager d’autres moyens d’assurer le service pour déterminer les services essentiels. Cette disposition se lit comme il suit :

[…]

123.(6) Pour l’application du paragraphe (5), le nombre des fonctionnaires de l’unité de négociation nécessaires à la fourniture du service essentiel est calculé :

[…]

b) compte tenu du fait que l’employeur n’est pas obligé de changer le cours normal de ses opérations afin de fournir ce service essentiel pendant une grève, notamment en ce qui concerne les heures normales de travail, la mesure dans laquelle l’employeur a recours aux heures supplémentaires et le matériel que celui-ci utilise dans le cadre de ses opérations.

[…]

130 Le représentant du demandeur a fait valoir que le paragraphe 197(1) de la LRTFP n’est pas pertinent pour cette application, et ce pour deux raisons. Ce paragraphe se lit ainsi :

[…]

197. (1) S’il estime qu’une grève qui a été déclenchée ou risque de l’être au cours de l’intervalle qui sépare la date de dissolution du Parlement et celle fixée pour le retour des brefs lors des élections générales consécutives est préjudiciable à l’intérêt national ou le serait, le gouverneur en conseil peut, par décret pris pendant cet intervalle, empêcher son déclenchement au cours de la période commençant à la date du décret et se terminant le vingt et unième jour suivant la fin de l’intervalle.

[…]

131 La première raison est que le paragraphe 197(1) de la LRTFP ne porte que sur la période électorale proprement dite, autrement dit celle qui suit la proclamation de l’élection. Si la grève a lieu un mois après la proclamation de l’élection, le gouverneur en conseil ne peut pas invoquer cette disposition pour retarder la grève. Élections Canada ne serait pas prêt pour l’élection, puisqu’il lui faut deux mois pour s’y préparer.

132 La seconde raison pour laquelle le paragraphe 197(1) de la LRTFP n’est pas pertinent en l’espèce, c’est que sa portée est trop générale pour qu’on puisse l’invoquer afin de régler le problème d’une grève en période électorale. Le décret du gouverneur en conseil visant à empêcher le déclenchement de la grève devrait porter sur l’ensemble des 1 300 CS de l’unité de négociation au lieu d’être limité aux seuls 27 CS d’Élections Canada dont le demandeur propose la désignation dans l’ESE. Prendre un décret fondé sur cette disposition de la LRTFP serait beaucoup plus intrusif que la désignation des 27 postes de CS d’Élections Canada dans une ESE.

133 Le représentant du demandeur a souligné que la Commission a déclaré ce qui suit au paragraphe 176 d’Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence Parcs Canada, 2008 CRTFP 97 : « … il est clair que l’intérêt public primordial qui doit être protégé dans une ESE est la sécurité du public ». La Commission a également déclaré dans cette décision-là que les décisions rendues par l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique sur l’interprétation de la notion de sécurité du public demeurent pertinentes pour elle lorsqu’elle est saisie de demandes fondées sur le paragraphe 123(1) de la LRTFP (au paragraphe 177) et elle a ajouté qu’elle tendrait à pécher par prudence lorsqu’elle serait appelée à désigner des services essentiels (au paragraphe 179) :

[…]

179 … Premièrement, comme l’indiquait la jurisprudence de l’ancienne Commission et comme le réitère le préambule de la nouvelle Loi, la Commission devrait privilégier la prudence en protégeant les intérêts du public en matière de sécurité; voir, par exemple Canada (Conseil du Trésor) c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Groupe de la radiotélégraphie, catégorie technique). Deuxièmement, en adoptant une optique différente, la Commission devrait veiller à ne pas priver les employés de leur droit de grève (ni, en ce faisant, miner la capacité de l’agent négociateur de mener des négociations collectives efficaces) à moins d’être convaincue que la preuve qui lui est soumise établit une base solide qui lui permet de déclarer un service essentiel ou de déterminer les autres éléments qui devraient être inclus dans une ESE.

[…]

134 Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Groupe Services des programmes et de l’administration), 2009 CRTFP 55, la Commission a déclaré que la première chose qu’elle doit faire dans une demande présentée en vertu de l’article 123 de la LRTFP consiste à déterminer les services ou les activités nécessaires pour la sécurité du public (au paragraphe 67). Le représentant du demandeur a demandé que j’utilise une description simplifiée des services essentiels comme la suivante, qui a été employée dans cette décision-là :

[…]

106    Cependant, une ESE ne doit pas comporter le même niveau de détails qu’une description de travail. La description de travail est un outil créé essentiellement aux fins de la classification d’un poste en fonction d’une norme de classification. Dans une ESE, un service essentiel est décrit pour un motif assez différent. La description doit être assez précise pour que l’on puisse déterminer quelles fonctions principales devraient être maintenues dans l’éventualité d’une grève et décider plus facilement des autres éléments de contenu requis dans une ESE, soit essentiellement le nombre final de postes qui seront nécessaires pour offrir le service essentiel advenant une grève. À cette fin, la Commission ne s’attend pas à ce que les ESE ressemblent nécessairement à un ensemble d’extraits de documents de classification.

107    La Commission a conclu qu’un énoncé simplifié du service essentiel est possible et approprié dans cette affaire…

[…]

135 Dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, dossier de la CRTFP no 181-02-348 (19970303), l’ancienne Commission avait jugé que le bon fonctionnement de la Cour fédérale était d’importance vitale pour l’intérêt public. Le représentant du demandeur a établi une analogie entre le bon fonctionnement du système de la Cour fédérale et le bon fonctionnement du Parlement. Selon lui, les deux sont essentiels pour la sécurité du public.

136 Dans Conseil du Trésor c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada (Groupe de la traduction - Catégorie administrative et du service extérieur), dossier de la CRTFP no 181-02-28 (19740703), l’ancienne Commission avait décidé que les traducteurs affectés au Parlement durant la session, à la traduction des projets de loi publics et à la section de traduction du ministère de la Justice étaient nécessaires pour la sécurité du public. Cette décision est particulièrement pertinente, puisqu’elle portait sur le fonctionnement du Parlement, tout comme la présente demande. Les fonctions des postes de CS proposés sont essentielles au bon fonctionnement du Parlement, puisque ces CS assurent l’élection en bonne et due forme des députés fédéraux.

137 Le représentant du demandeur a souligné que le défendeur n’a pas produit de preuve pouvant contredire le témoignage de M. Kreis. Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Groupe Services des programmes et de l’administration), 2009 CRTFP 55, la Commission a déclaré que, même si l’agent négociateur n’a pas besoin de présenter une preuve qui contredise celle de l’employeur, sa décision de ne pas le faire peut être une erreur de stratégie :

[…]

70      […] Le fardeau de la preuve principal continue d’incomber à l’employeur. Il est donc loisible à l’agent négociateur de décider de ne pas produire de preuve dans un dossier sur les services essentiels. Bien que cette décision laisse à la Commission le soin de déterminer l’issue sur la seule base des faits présentés par l’employeur, tel qu’il a été établi en contre-interrogatoire par l’agent négociateur, aucun préjudice formel n’est lié à l’approche préconisée par l’agent négociateur. Sa décision pourrait comporter un vice sur le plan de la stratégie si la Commission soupèse le résultat final sans avoir été saisie des arguments opposés, mais il ne s’agit pas d’un manquement de la part de l’agent négociateur de s’acquitter d’un fardeau formel de prouver ou non le bien-fondé d’une cause.

[…]

138 Dans cette affaire-là, la Commission avait conclu que la preuve non contredite de l’employeur était suffisante pour lui permettre de conclure que les postes étaient nécessaires pour la sécurité du public et elle avait décidé qu’il était préférable d’opter pour la prudence (aux paragraphes 102 et 103 de sa décision).

139 En l’espèce, le représentant du demandeur a fait valoir l’existence d’une possibilité raisonnable que la sécurité du public soit menacée si les CS d’Élections Canada faisaient la grève pendant soit la préparation, soit le déroulement d’une élection. Ces fonctionnaires participent directement aux activités de ces phases de l’élection ou font fonctionner l’équipement informatique utilisé pour ces activités.

140 Une grève pourrait causer des procédures électorales chaotiques ou des résultats électoraux invalides, ce qui priverait les Canadiens de leur droit de vote et de leur droit de choisir leurs députés, des droits fondamentaux dans des sociétés démocratiques. Le représentant du demandeur m’a renvoyé à l’arrêt Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 R.C.S. 995, dans lequel la Cour suprême du Canada a souligné l’importance du droit de vote dans notre société démocratique :

[…]

Le droit de vote est le fondement de toutes les formes de gouvernement démocratique. En l’absence de ce droit, il n’y a pas de démocratie. La marque apposée sur un bulletin de vote est la marque distinctive des citoyens d’un pays démocratique. C’est le fier symbole de la liberté. Bien que la Charte canadienne des droits et libertés garantisse certains droits en matière d’élection, le droit de vote est généralement conféré et défini dans une loi. Ce droit légal est tellement fondamental qu’il doit recevoir une interprétation large et libérale. Il faut prendre tous les moyens possibles pour permettre aux citoyens de voter. De même, on doit veiller à ne pas les priver du droit de vote.

[…]

141 Dans Figueroa c. Canada (Procureur général), 2003 CSC 37, la Cour suprême a souligné (au paragraphe 26) que le droit de vote est une assurance que chaque citoyen peut participer pleinement au processus électoral.

142 Dans Lukaszuk v. Kibermanis, 2005 ABCA 26, une affaire portant sur le recomptage judiciaire de bulletins de vote dans une élection, la Cour d’appel de l’Alberta a souligné que [traduction] « voter est l’exercice fondamental de la démocratie, de sorte que les tribunaux devraient avoir beaucoup de réticence à priver les électeurs de leur droit de vote parce qu’ils n’auraient pas respecté une technicalité des instructions pour s’en prévaloir… » (au paragraphe 25).

143 La preuve a établi que des irrégularités dans la conduite des élections ont causé des troubles au Mexique, au Kenya, à Haïti et en Moldavie. Le professeur Russell a déclaré que les émeutes avaient été causées par des irrégularités au cours des élections. Le demandeur a également déposé des rapports officiels décrivant les émeutes. Ces preuves montrent qu’il y a des possibilités raisonnables que des troubles se produisent au Canada dans l’éventualité où une élection serait mal conduite.

144 On ne peut pas présumer qu’il ne saurait y avoir d’émeutes au Canada si les élections ne se déroulaient pas correctement. Il y a déjà eu des émeutes dans notre pays : à Montréal en 1849, quand des Tories indignés ont agressé Lord Elgin, à Winnipeg en 1919 pendant une grève générale, à Montréal en 1955, quand Maurice Richard a été suspendu pendant les séries de la Coupe Stanley, de nouveau à Montréal en 1993 pendant ces mêmes séries, puis en 1994 à Vancouver, encore pendant les séries de la Coupe Stanley. Le professeur Russell l’a confirmé, ces émeutes ont bel et bien eu lieu. Si des citoyens canadiens peuvent déclencher des émeutes pour un match de hockey, on ne peut pas exclure l’idée que des citoyens en déclencheraient pour des questions plus importantes comme le non-respect de leur droit de vote.

145 Le représentant du demandeur a souligné que la représentante du défendeur n’avait jamais demandé au professeur Russell s’il pourrait y avoir des troubles au cas où l’on appliquerait des procédures électorales chaotiques ou si les résultats d’une élection étaient incomplets. Elle lui a plutôt demandé s’il y aurait des troubles au Canada dans l’éventualité d’une épidémie de fièvre aphteuse, ce qui est tout autre chose.

146 Le second risque, on l’a déjà fait valoir, c’est qu’une grève des CS d’Élections Canada pourrait aboutir à des résultats électoraux invalides. Or, sans résultats électoraux valides, il serait impossible de convoquer le Parlement après sa dissolution, et quand le Parlement est dissous, il ne peut plus adopter de lois. Le professeur Russell l’a confirmé. Le Parlement ne pourrait donc pas adopter de lois pour parer à des urgences imprévues qui menaceraient la sécurité des citoyens. M. Kreis a donné deux exemples : en 2007, le Parlement a adopté une loi pour faire redémarrer le réacteur nucléaire de Chalk River, qui assurait à lui seul la moitié de la production mondiale d’isotopes médicaux pour le traitement du cancer. En 2001, le Parlement avait adopté d’urgence des lois pour lutter contre le terrorisme après les attentats du 11 septembre à New York.

147 Le professeur Russell a confirmé que le Parlement ne peut pas adopter de lois pour parer aux urgences quand il est dissous. Pour qu’il puisse adopter des lois, il faut attendre l’élection de nouveaux députés. Le professeur Russell n’a fait aucun commentaire sur les autres risques évoqués par le demandeur, soit les risques de troubles dans l’éventualité d’une élection chaotique et le risque de divulgation de renseignements personnels concernant les électeurs.

148 Le représentant du demandeur a fait valoir que la Loi sur les mesures d’urgence n’est pas pertinente en l’espèce. Cette Loi s’applique dans certaines situations, mais pas à toutes les urgences pouvant exposer le Canada à des risques. En outre, la portée des pouvoirs gouvernementaux qu’elle prévoit n’est pas aussi vaste que celle des pouvoirs du Parlement. Le gouvernement ne peut faire en vertu de cette Loi que ce qu’elle prévoit.

149 Le paragraphe 58(3) de la Loi sur les mesures d’urgence prévoit que le Parlement est convoqué si la déclaration d’urgence est faite alors que la Chambre des communes est dissoute. La Chambre ne peut toutefois pas être convoquée s’il n’y a pas de résultats électoraux valides. En effet, il serait impossible de savoir qui convoquer.

150 Le représentant du demandeur a également fait valoir qu’il existe un risque que des renseignements personnels concernant les électeurs qu’Élections Canada détient puissent être divulgués si les membres du groupe CS décidaient de faire la grève soit peu de temps après une élection, soit en pleine période électorale. La Commissaire à la protection de la vie privée du Canada a souligné l’importance de mesures appropriées de protection contre la divulgation de renseignements personnels dans son rapport de vérification des Cadres de gestion de la protection de la vie privée de certaines institutions fédérales (Pièce E-10). Le défendeur n’a pas contredit le témoignage de M. Kreis quant au rôle critique que les CS d’Élections Canada jouent pour assurer la confidentialité des renseignements personnels durant la période électorale aussi bien que durant la phase postélectorale.

151 Pour conclure, le représentant du demandeur a déclaré qu’il est essentiel qu’Élections Canada puisse se préparer à conduire une activité électorale et puisse la conduire. On peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il y ait une grève pendant la préparation d’une élection ou pendant son déroulement et à ce que cette grève menace la sécurité des Canadiens. Le représentant du demandeur prie donc la Commission de déclarer que les fonctions des CS qui contribuent à la préparation et à la conduite d’une activité électorale fédérale sont essentielles pour la sécurité du public.

B. Pour le défendeur

152 La représentante du défendeur a présenté des arguments oraux et écrits. Je résume ici les deux.

153 Le défendeur est d’avis qu’Élections Canada ne fournit pas un service essentiel. La sécurité du public ne serait pas menacée si les élections étaient retardées ou si elles n’étaient pas menées correctement. S’il n’y avait pas d’élections, le gouvernement pourrait parer aux urgences de façon non législative. En outre, l’article 59 de la LEC autorise le gouverneur en conseil à ordonner le retrait du bref électoral. Subsidiairement, seule une petite partie des membres du groupe CS travaillant à Élections Canada sont essentiels.

154 Il faut se rappeler que la durée d’une grève n’est pas illimitée, que les élections peuvent être reportées et que les reporter ne signifie pas qu’on retire aux électeurs leur droit de vote. D’autres dispositions législatives peuvent répondre aux questions soulevées par le demandeur, comme la Loi sur les mesures d’urgence.

155 L’ESE doit être établie dans le contexte d’une grève, la Commission l’a souligné comme il suit dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence Parcs Canada :

[…]

161    La Commission croit que l’intention du législateur est donc claire. La Commission conclut que la question initiale qu’il convient de poser dans le cadre de l’établissement d’une ESE est : « Quels services sont nécessaires pour assurer la sécurité du public advenant une grève? »

[…]

156 Puisqu’une ESE est une limitation du droit de grève, elle doit concilier les droits des travailleurs avec les autres mandats législatifs du gouvernement. Le droit de négocier collectivement et le droit de grève devraient être limités le moins possible, autrement dit juste assez pour assurer la sécurité du public. Cela signifie que le gouvernement ne peut pas toujours s’acquitter de ses autres mandats législatifs en cas de grève, même avec une ESE. La Commission l’a aussi souligné dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence Parcs Canada, en ces termes :

[…]

151      Les éléments sur les services essentiels de la nouvelle Loi équilibrent le droit de grève des employés et le droit du public de recevoir les services de sécurité nécessaires. Il s’agit de trouver un juste équilibre dans l’éventualité précise d’une grève de la fonction publique. Aucun autre scénario n’est envisagé. La protection du droit de grève dans le cadre de l’équilibre recherché ne constitue pas une fin en soi. Elle est plutôt nécessaire pour donner effet au régime de négociation collective intégré à la nouvelle Loi dans les divisions 6 à 11 de la partie 1. Une partie de ce régime est constituée du droit conféré à un agent négociateur, au nom des employés qu’il représente, de choisir la conciliation avec droit de grève comme solution du règlement de différend s’il survient une impasse dans les négociations collectives (article 103).

[…]

153    La Commission comprend en outre que le fait de donner son sens au droit de grève prévu par la nouvelle Loi tout en respectant l’intérêt public primordial de la prestation de services essentiels s’inscrit dans une quête d’équilibre encore plus large. Le Parlement a attribué à Parcs Canada des droits et des obligations dans le cadre de ses lois et de ses règlements comme l’expose l’employeur dans ses arguments. La Commission doit reconnaître ces droits et ces obligations tout en les mettant adéquatement en équilibre par rapport aux droits et aux obligations de l’employeur, des employés et des agents négociateurs en vertu de la nouvelle Loi. Plus particulièrement, la Commission doit présumer que le Parlement entendait donner un sens véritable au droit de grève en vertu de la nouvelle Loi même si l’exercice de ce droit peut gêner la capacité de Parcs Canada d’offrir les services requis en vertu de son mandat législatif. Ce sont les éléments des services essentiels de la nouvelle Loi qui servent à concilier les tensions que peuvent susciter les textes législatifs.

[…]

157 Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Groupe Services des programmes et de l’administration), 2009 CRTFP 56, la Commission a souligné que l’importance du service ou le fait qu’il s’agit d’une exigence prévue par une loi ne le rend pas essentiel au sens de la LRTFP (paragraphe 53).

158 La représentante du défendeur a souligné que la charge de prouver qu’un service est essentiel incombe au demandeur, comme la Commission l’avait noté dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence Parcs Canada, au paragraphe 180, dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Groupe Services des programmes et de l’administration), 2009 CRTFP 55, au paragraphe 70, et dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Groupe Services des programmes et de l’administration), 2009 CRTFP 56, au paragraphe 52.

159 D’ailleurs, l’ancienne Commission avait toujours jugé qu’il était important d’établir une distinction entre les inconvénients subis par le public et la sécurité du public. Dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Groupe de la bibliothéconomie), dossier de la CRTFP no 181-02-348 (19970303), l’ancienne Commission avait conclu qu’un service n’est pas essentiel simplement parce que son retrait causerait des inconvénients au public :

[…]

[25] En conséquence, les décisions antérieures de la Commission touchant cette question demeurent pertinentes. Comme le signale la représentante de l’agent négociateur, un élément commun à toutes les décisions de la Commission touchant la désignation pour des motifs de sécurité est l’importance de distinguer entre les inconvénients subis par le public, d’une part, et sa sécurité, d’autre part. Le processus de désignation vise à établir un équilibre entre le droit des employés qui sont membres d’une unité de négociation de participer avec leurs collègues à ce qui est autrement une grève légale et le besoin de protéger les intérêts vitaux du public. En déterminant le bon équilibre, la Commission a affirmé que les inconvénients sont le résultat naturel d’une interruption des services (sinon quel était d’abord l’objet de ces services). Bref, il n’y a pas d’équivalence entre des inconvénients et « des fonctions [qui] sont ou non, à un moment particulier, ou seront ou non, après un délai déterminé, nécessaires pour la sécurité du public ».

[…]

160 L’ancienne Commission avait également conclu dans Canada (Conseil du Trésor) c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Groupe de la radiotélégraphie - Catégorie technique), dossier de la CRTFP no 181-02-99 (19790601), que les services essentiels ne comprennent pas des tâches qui serviraient seulement à protéger l’employeur ou le public contre des difficultés ou des inconvénients économiques.

161 Dans Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Canada (Conseil du Trésor) (Groupe de l’électronique - Catégorie technique),dossier de la CRTFP no 181-02-16(19720221), l’ancienne Commission avait également conclu que, même si la sécurité du public peut être invoquée dans des situations à venir, ces situations ne peuvent être abstraites ou hautement spéculatives.

162 Dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Groupe de l’enseignement), dossier de la CRTFP no 181-02-235 (19870319), l’ancienne Commission avait jugé que la détermination des services essentiels ne devrait pas être basée sur des circonstances exceptionnelles :

[…]

[24] … Par conséquent, nous ne sommes pas d’avis qu’un employé devrait être désigné et par conséquent privé du droit de grève sous prétexte d’exécuter des fonctions que son employeur peut hypothétiquement lui demander d’exécuter dans des circonstances extraordinaires. Prétendre autrement entraînerait la désignation de presque tous les employés de la fonction publique…

[…]

163 L’ancienne Commission avait également déclaré dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor) (Groupe Chauffage, force motrice et opération de machines fixes - Catégorie de l’exploitation), dossier de la CRTFP no 181-02-18 (19720427), que la sécurité du public n’est pas synonyme d’intérêt public. Par exemple, même si d’importants projets de recherche ou des œuvres d’art de grande valeur peuvent subir de gros dommages, la sécurité du public n’est pas menacée.

164 Le défendeur a maintenu que l’employeur doit prendre les mesures qui sont de son ressort ou qu’il a en son pouvoir pour assurer la sécurité du public dans l’éventualité d’une grève, notamment en offrant des services de rechange ou en autorisant que certaines opérations soient limitées ou interrompues. Par exemple, dans Canada (Conseil du Trésor) c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Groupe de la radiotélégraphie - Catégorie technique), une affaire portant sur les opérateurs radios dans les aéroports, l’ancienne Commission avait conclu que les aéronefs ne voleraient pendant une grève qu’en cas d’urgence, pour des évacuations ou des vols de secours. Elle avait rejeté la possibilité que les vols se poursuivraient comme d’habitude.

165 La sécurité du public ne serait pas menacée si Élections Canada devait reporter une élection pendant une grève. L’employeur a cité trois risques potentiels pour prouver l’existence de ces risques hypothétiques. Son seul témoin, M. Kreis, est au service du gouvernement; on ne peut pas le considérer comme indépendant. Une grande partie des réponses qu’il a données en contre-interrogatoire ont prouvé qu’il n’était pas conscient des rouages détaillés du processus électoral (par exemple, il ne savait pas si certaines tâches pouvaient être accomplies manuellement). Il ignorait en outre que l’article 131 de la LRTFP autorise la Commission à modifier une ESE en cas d’urgence.

166 L’employeur demande à la Commission de prendre connaissance d’office des effets qu’une grève aurait sur les élections. La représentante du défendeur fait valoir qu’elle ne peut pas en prendre connaissance d’office. Les critères de la connaissance d’office sont stricts. Le tribunal peut prendre connaissance d’office de faits soit si notoires ou généralement acceptés qu’ils ne peuvent pas faire l’objet d’un débat entre des personnes raisonnables, soit qui peuvent être immédiatement démontrés en invoquant des sources incontestables facilement accessibles. Le demandeur n’a satisfait à aucun de ces deux critères. Dans R. c. Spence, 2005 CSC 71, la Cour suprême a souligné que plus le fait touche de près au cœur du litige, plus sa preuve doit être rigoureuse (au paragraphe 60).

167 Il n’y a pas de risque de troubles en cas de grève pendant l’élection, parce que l’élection peut être reportée. Le professeur Russell a souligné que le gouverneur en conseil n’est pas tenu de proclamer une élection lorsque le gouvernement est défait en perdant un vote de défiance à la Chambre des communes, car il peut alors demander aux partis minoritaires de former une coalition et peut également proroger le Parlement et demander au gouvernement de continuer de gouverner le pays.

168 Le demandeur n’a avancé aucune preuve sur ce qui pourrait raisonnablementarriver au Canada dans l’éventualité où une élection serait reportée. Les trois risques qu’il a évoqués sont uniquement liés à la conduite incorrecte d’une élection. Si l’élection est reportée, il n’y a aucun risque de troubles. On a reporté des élections générales au Canada en 1926 et pendant la Deuxième guerre mondiale, et il n’y a pas eu d’émeutes. Le Parlement a été prorogé pendant six semaines en 2008 et en 2009 sans que la population ne se soulève. La question de savoir si le Parlement devrait être prorogé a soulevé un vif intérêt dans la population, et le pays a été divisé sur cette question, mais il n’y a pas eu d’émeutes ni de troubles, même si certains étaient en colère et se sont sentis lésés par la décision de proroger le Parlement. Au Royaume-Uni, en 2001, on a reporté des élections aux conseils locaux à cause d’une épidémie de fièvre aphteuse, et il n’y a pas eu d’émeutes là non plus.

169 Dans son témoignage, le professeur Russell a déclaré que les Canadiens n’ont pas de tendance historique à la violence. Au contraire, ils ont une longue histoire de tolérance et de protestations pacifiques. Le Canada a connu des luttes titanesques comme le référendum du Québec sur la séparation, mais ses citoyens ont su protester pacifiquement. Ils ont été un modèle de réaction aux perturbations de l’appareil gouvernemental et du processus électoral. Ils n’ont jamais fait d’émeutes dans ces contextes. En fait, les Canadiens sont apathiques quant à la politique au Canada. La participation électorale aux élections générales n’a jamais été aussi faible, comme l’ont révélé un document rendu public par le Parlement (Pièce B-6) et une étude d’Élections Canada sur la question (Pièce B-7).

170 La représentante du défendeur a déclaré qu’elle avait demandé au professeur Russell s’il y aurait des troubles au Canada au cas où une élection fédérale serait reportée à cause d’une épidémie de fièvre aphteuse. Il a répondu que ce serait très peu plausible, en ajoutant que les Canadiens n’étaient pas enclins à la violence. La question de la représentante du défendeur était suffisamment générale pour couvrir toutes les situations où une élection serait reportée.

171 La représentante du défendeur a souligné que le seul élément de preuve qu’ait avancé le demandeur pour étayer son argument selon lequel il y aurait des troubles si les procédures électorales étaient chaotiques est le témoignage de M. Kreis, qui a donné son opinion sur des émeutes au cours d’élections au Mexique et au Kenya. M. Kreis n’est pas un expert en la matière.

172 Il est vrai qu’on a constaté des problèmes à l’occasion des élections générales au Kenya en 2007. Un rapport de l’Union européenne (Pièce E-11) a révélé qu’un manque de transparence dans le traitement et le comptage des résultats de ces élections avaient sapé la confiance quant à leur validité (consulter la page 1 du rapport).Toutefois, on ne saurait établir de comparaison raisonnable entre la situation au Kenya et la situation au Canada. Le professeur Russell a témoigné que le Kenya est une démocratie émergente qui a récemment connu des changements constitutionnels. Ce qui est arrivé au Kenya ne peut pas et ne pourrait pas se produire si une élection était reportée au Canada ou si elle était conduite avec un minimum de personnel CS.

173 On ne peut pas non plus comparer les élections présidentielles et parlementaires qui ont eu lieu au Mexique en 2006 avec des élections au Canada. Le rapport de la Mission de l’Union européenne d’observation des élections a révélé que même s’il n’y avait pas de graves irrégularités dans le processus électoral, le candidat perdant aux élections présidentielles avait refusé d’accepter une décision judiciaire déclarant son adversaire vainqueur (Pièce E-12, page 1). Le Canada dispose de mesures dont le Mexique est privé pour composer avec de telles irrégularités. En effet, la LEC prévoit plusieurs mécanismes propres à remédier aux irrégularités électorales. Par exemple, si les résultats entre deux candidats sont serrés, le directeur du scrutin peut demander un recomptage judiciaire. En outre, les électeurs peuvent contester l’élection devant les tribunaux s’ils estiment que des irrégularités ou une fraude ont entaché les résultats.

174 La représentante du défendeur a déclaré que le gouvernement pourrait parer aux urgences au cours d’une élection. Le professeur Russell a expliqué que le premier ministre et le cabinet continuent à gouverner le Canada en s’occupant des affaires courantes après la dissolution du Parlement.

175 Le gouvernement peut aussi se prévaloir des mécanismes prévus par la Loi sur les mesures d’urgence pour réagir aux urgences en cas de grève, car l’article 19 de cette loi investit le gouverneur en conseil des pouvoirs nécessaires en pareils cas.

176 La représentante du défendeur a souligné que les mesures législatives sont prises bien après coup, même en cas d’urgence. Par exemple, le gouvernement n’a adopté des mesures législatives contre le terrorisme que deux mois après les attentats  du 11 septembre 2001.

177 Le paragraphe 59(1) de la LEC donne au gouverneur en conseil un autre moyen de réagir aux urgences en période électorale, puisqu’il peut retirer un décret applicable à n’importe quelle circonscription électorale en cas d’inondation ou d’une autre calamité lorsqu’il est pratiquement impossible d’y conduire l’élection. Ce paragraphe se lit comme il suit :

[…]

59. (1) Le gouverneur en conseil peut ordonner le retrait du bref pour toute circonscription pour laquelle le directeur général des élections certifie qu’il est pratiquement impossible, par suite d’une inondation, d’un incendie ou de toute autre calamité, d’appliquer la présente loi.

[…]

178 La LRTFP donne également au gouvernement les outils nécessaires pour composer avec une urgence susceptible de se produire pendant une grève. Le paragraphe 197(1) accorde au gouverneur en conseil le pouvoir d’empêcher le déclenchement d’une grève si la situation le justifie. Les critères servant à déterminer si c’est le cas sont plus généraux que ceux qu’on applique pour déterminer si un service est essentiel. En vertu du paragraphe 197(1), le gouverneur en conseil peut empêcher le déclenchement d’une grève dans l’intérêt national, tandis que les services ne sont jugés essentiels en vertu du paragraphe 4(1) que s’ils sont nécessaires pour la sécurité du public. Le libellé du paragraphe 197(1) sous-entend qu’une grève en période électorale n’est pas toujours préjudiciable à l’intérêt national, puisque ce paragraphe donne au gouverneur en conseil le pouvoir discrétionnaire de décider si c’est le cas.

179 Le gouvernement s’est penché sur la question de savoir si les employés d’Élections Canada devraient être privés de leur droit de grève en période électorale. Le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre a recommandé dans son treizième rapport que le personnel d’Élections Canada soit désigné comme assurant un service essentiel et qu’il lui soit interdit de faire la grève. Le gouvernement a refusé de prendre de telles mesures en demandant au Comité de tenir d’autres consultations sur cette question, dans sa Réponse du gouvernement au treizième rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre (Pièce B-2, page 10) :

[…]

La majorité des membres du Comité a également recommandé que le personnel d’Élections Canada soit désigné comme assurant un service essentiel et qu’il leur soit interdit de faire la grève (recommandation no 1.8). Même si le gouvernement ne rejette pas l’idée que cette recommandation éviterait la possibilité d’interruptions pouvant mettre en péril la conduite d’une élection, il estime que les personnes concernées devraient être abondamment consultées avant qu’un tel changement ne soit mis de l’avant. Le gouvernement invite le Comité à organiser des consultations s’il souhaite étudier cette question plus en profondeur.

[…]

Inclure des postes de CS dans l’ESE et priver par conséquent ces CS de leur droit de grève irait donc à l’encontre de la volonté du gouvernement.

180 La LRTFP fournit au gouvernement d’autres moyens de parer aux urgences en période électorale. L’article 131 de la Loi lui donne le pouvoir de modifier ou de suspendre une ESE au besoin en cas d’urgence. Cette disposition se lit comme il suit :

[…]

131. Malgré les autres dispositions de la présente section, si l’une des parties — employeur ou agent négociateur — estime qu’il est nécessaire, en raison d’une situation d’urgence, de modifier temporairement ou de suspendre l’entente sur les services essentiels mais qu’il leur est impossible de s’entendre à ce sujet, l’une ou l’autre de celles-ci peut à tout moment demander à la Commission de modifier temporairement ou de suspendre l’entente par ordonnance.

[…]

181 Les Lignes directrices concernant les ententes sur les services essentiels du Conseil du Trésor lui-même confirment que c’est à l’article 131 de la LRTFP qu’on trouve la solution appropriée en cas d’urgence (Pièce B-10) :

[…]

5.3 Suspension d’une ESE

Si dans des situations extraordinaires ou urgentes, il est nécessaire de reporter une grève ou d’en minimiser temporairement les effets, l’employeur ou l’agent négociateur peut demander à la CRTFP de modifier ou de suspendre temporairement une entente. Voici quelques exemples de situations envisagées :

  • une menace à la sécurité publique (p. ex. : 11 septembre 2001);
  • une situation d’urgence environnementale ou sanitaire (p. ex. : inondations de la rivière Rouge);
  • toute autre situation d’urgence où les fonctionnaires du gouvernement fédéral doivent être à leurs postes, au-delà de ce qui est prévu dans l’entente sur les services essentiels.

[…]

182 Le droit de grève est un droit reconnu par la Charte. Inclure les postes de CS dans l’ESE priverait ces employés de ce droit et saperait gravement la dynamique des négociations collectives. Les paramètres rigoureux de la législation et de la jurisprudence sont clairs : le droit de grève peut être limité seulement lorsqu’il y a de bonnes raisons de craindre pour la sécurité du public. En l’espèce, il n’y a pas de telles craintes.

183 La représentante du défendeur a souligné que la Commission doit tenir compte du fait qu’on ne fonctionne pas comme d’habitude pendant une grève. Il faut faire des compromis, et il peut en résulter de véritables inconvénients.

184 Subsidiairement, la représentante du défendeur a fait valoir que si la Commission devait décider que la préparation aux élections était essentielle pour la sécurité du public, elle devrait déterminer quel sous-ensemble de services est essentiel. Plusieurs des systèmes d’Élections Canada sont en place essentiellement pour des raisons d’efficience. Le travail peut se faire sans eux. Cela comprend les multiples canaux d’accès à Élections Canada, la gestion de l’entrepôt, la gestion de la géographie électorale et les améliorations des logiciels nécessaires pour la phase postélectorale. De nombreuses activités de gestion de la géographie électorale et d’établissement des bureaux régionaux ne sont pas essentielles. Dans ses arguments écrits, la représentante du défendeur a énuméré d’autres activités qui ne sont pas essentielles, à son avis. Elle a aussi avancé des commentaires écrits sur la plupart des 104 applications énumérées dans la Pièce E-9.

185 Quelques activités seulement sont essentielles pour la préparation aux élections, comme l’impression de la liste électorale telle qu’elle existe le jour où la grève commence (mais pas l’impression des mises à jour de cette liste), la création des cartes électorales appropriées, l’activation des lignes téléphoniques et la livraison des bulletins de vote et des autres fournitures aux bureaux de scrutin.

186 Il est vrai que la LRTFP prévoit que la Commission ne devrait pas se demander s’il y a d’autre personnel disponible ou si l’employeur peut changer sa façon de fonctionner afin de déterminer le nombre d’employés nécessaire pour fournir un service essentiel, mais ces facteurs n’entrent pas en jeu quand la Commission détermine les services essentiels. Il est donc pertinent, lorsqu’il s’agit d’identifier les services essentiels, de tenir compte des autres façons de fonctionner.

C. Réplique du demandeur

187 Le représentant du demandeur a déclaré que la décision rendue dans Canada (Conseil du Trésor) c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Groupe de la radiotélégraphie - Catégorie technique) n’est pas pertinente. Dans cette affaire, qui portait sur les opérateurs radios, l’ancienne Commission avait déclaré que les vols ne pourraient pas continuer comme d’habitude en cas de grève et que les avions ne voleraient qu’en cas d’urgence. La loi a évolué depuis. En effet, l’alinéa 123(6)b) de la LRTFP dispose expressément que, pour déterminer les services essentiels, l’employeur n’est pas tenu de changer sa façon de fonctionner normalement.

188 Le représentant du demandeur a souligné que les arguments du défendeur sur la connaissance d’office ne sont pas pertinents. Le demandeur ne demande pas à la Commission de prendre connaissance d’office des risques associés au manque de préparation d’Élections Canada à conduire une élection. Il a produit une preuve directe et indirecte à l’appui de ses propositions.

189 Les arguments du défendeur sur le report d’une élection ne sont pas pertinents non plus. La situation envisagée par le demandeur se produit lorsqu’une élection est proclamée. Son argument revient à dire que lorsque cela se produit et qu’Élections Canada n’est pas bien préparé à conduire une élection, les procédures électorales pourraient être chaotiques, au point qu’Élections Canada risquerait d’être dans l’impossibilité de produire des résultats électoraux valides. Le demandeur n’a pas soulevé la question de reporter les élections.

190 En ce qui concerne le témoignage du professeur Russell voulant que les Canadiens ne soient pas enclins à la violence, le représentant du demandeur a souligné que ce témoin ignorait l’émeute qui avait eu lieu à Montréal en 1832 et celle qui avait éclaté à Terre-Neuve en 1861.

191 Même si le paragraphe 59(1) de la LEC donne au gouverneur en conseil le pouvoir de retirer un bref électoral, ce pouvoir peut être exercé seulement dans les situations que ce paragraphe prévoit. Puisque les exemples énumérés au paragraphe 59(1) correspondent tous à des catastrophes naturelles, « toute autre calamité » mentionnée dans ce paragraphe devrait être également naturelle. La règle d’interprétation ejusdem generis implique qu’un élément mentionné à la fin d’une énumération devrait être interprété comme étant de même nature que ceux qu’il précède. Cette disposition ne couvre donc pas tous les risques auxquels les citoyens peuvent être exposés.

192 Le représentant du demandeur a fait valoir que l’article 131 de la LRTFP n’est pas pertinent en l’espèce, car il porte sur les modifications d’une ESE, alors qu’il n’y a pas d’ESE à modifier en l’occurrence.

193 Le représentant du demandeur a déclaré que la représentante du défendeur a fait plusieurs commentaires tant oraux qu’écrits, notamment dans le tableau annexé à ses arguments écrits, qui ne sont étayés par aucun élément de preuve. Par exemple, elle a affirmé que gérer la géographie électorale n’est pas essentiel, sans avancer le moindre élément à l’appui de cette allégation.

IV. Motifs

194 Le demandeur a déposé une demande en vertu du paragraphe 123(1) de la LRTFP sur les questions pouvant figurer dans une ESE à l’égard de postes du groupe CS dont le demandeur est l’employeur. Cette disposition se lit comme il suit :

[…]

123. (1) S’ils ne parviennent pas à conclure une entente sur les services essentiels, l’employeur ou l’agent négociateur peuvent demander à la Commission de statuer sur toute question qu’ils n’ont pas réglée et qui peut figurer dans une telle entente.

[…]

195 Le paragraphe 4(1) de la LRTFP contient des définitions des notions de « services essentiels » et d’« entente sur les services essentiels » :

[…]

« services essentiels » Services, installations ou activités du gouvernement du Canada qui sont ou seront nécessaires à la sécurité de tout ou partie du public.

[…]

« entente sur les services essentiels » Entente conclue par l’employeur et l’agent négociateur indiquant :

a) les types des postes compris dans l’unité de négociation représentée par l’agent négociateur qui sont nécessaires pour permettre à l’employeur de fournir les services essentiels;

b) le nombre de ces postes qui est nécessaire pour permettre à l’employeur de fournir ces services;

c) les postes en question.

[…]

196 Le demandeur allègue que [traduction] « la préparation et la conduite de toutes les activités électorales fédérales constituent un service essentiel ». Il maintient également que les activités décrites par M. Kreis sont nécessaires pour préparer et conduire correctement une élection. Il affirme en outre que les 104 applications de TI qui soutiennent la préparation et la conduite d’une activité électorale (Pièce E-9) sont essentielles pour ces fins. Le demandeur a identifié les 27 postes de CS chargés de faire fonctionner ces applications de TI.

197 Le défendeur soutient au contraire que la préparation et la conduite d’une élection ne constituent pas un service essentiel. Subsidiairement, il fait valoir que la plupart des activités décrites par M. Kreis et la plupart des 104 applications de TI énumérées dans la Pièce E-9 ne sont pas essentielles pour la préparation et la conduite d’une élection.

198 À l’audience, j’ai informé les parties que l’audience elle-même et ma décision porteraient seulement sur la question de savoir si les employés du groupe CS d’Élections Canada accomplissaient des services essentiels et, dans l’affirmative, sur la nature de ces services. À ce stade de la demande, je n’allais me prononcer sur aucune autre question pouvant figurer dans une ESE, par exemple celle des types de postes nécessaires pour assurer un service essentiel.

199 Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence Parcs Canada, la Commission a jugé que la principale charge de la preuve incombe à l’employeur :

[…]

180. La Commission […] est d’avis que le fardeau de la preuve principal continue d’incomber à l’employeur en vertu de la nouvelle Loi, comme c’était le cas par le passé lorsque l’employeur proposait de désigner des postes sous le régime de l’ancienne Loi. L’employeur doit soumettre des preuves à la Commission pour la persuader qu’il existe un fondement raisonnable et suffisant lui permettant de conclure, par exemple, qu’un service est essentiel…

[…]

200 Le demandeur doit donc prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les services fournis ou les activités accomplies par les employés membres du groupe CS d’Élections Canada sont nécessaires pour la sécurité du public, au sens du paragraphe 4(1) de la LRTFP.

201 L’employeur a utilisé l’expression [traduction] « activités électorales ». Cette expression ne figure pas dans la LEC, qui s’applique aux élections générales (paragraphe 57(1)) et aux élections partielles (paragraphe 57(1.1) fédérales). Le but d’une élection générale consiste à élire un député de chaque circonscription électorale fédérale à la Chambre des communes, tandis que celui d’une élection partielle consiste à élire un député d’une circonscription électorale fédérale à la Chambre des communes. La préparation et la conduite de ces deux types d’élections peuvent être très différentes, étant donné que leur envergure est extrêmement différente. De toute évidence, il y a beaucoup moins de travail à faire pour préparer et conduire une élection partielle, tout simplement parce qu’il n’y a qu’un député à élire au Parlement. On ne m’a présenté aucune preuve sur les élections partielles. Je ne parlerai donc que des élections générales dans cette décision, et tous les commentaires que je vais faire sur les élections ne s’appliqueront par conséquent qu’aux élections générales.

202 Avant de me pencher sur les questions de fond soulevées dans la demande, j’aimerais souligner que le demandeur ne m’a jamais demandé de prendre connaissance d’office des risques qui résulteraient du fait qu’Élections Canada ne serait pas prêt à conduire une élection, comme la représentante du défendeur le prétend. Le demandeur a présenté une preuve à l’appui de ses arguments.

203 J’aimerais également souligner d’emblée que je suis convaincu que les neuf principales activités décrites par M. Kreis pour préparer une élection et les cinq importantes activités à accomplir durant la phase électorale de l’élection (autrement dit la période commençant avec la proclamation de l’élection et se terminant le jour du scrutin) sont nécessaires pour la préparation et la conduite d’une élection. M. Kreis a expliqué de façon détaillée pourquoi ces activités sont nécessaires et comment les CS d’Élections Canada y contribuent. Par exemple, l’établissement des centres d’appels internes et externes est nécessaire pour fournir de l’information au public durant la période électorale. Le défendeur n’a produit aucune preuve contredisant celle que le demandeur a avancée. Sans ces activités et sans le travail des CS qui y contribuent, il ne serait pas possible de conduire une élection; dans l’éventualité où l’élection serait conduite quand même, on courrait le risque qu’elle ne soit pas conduite correctement. Par exemple, des erreurs pourraient se glisser dans la préparation de la liste des électeurs ou dans le comptage des résultats.

204 Par contre, on ne m’a pas présenté de preuves convaincantes que les activités accomplies durant la phase postélectorale, comme la fermeture des bureaux de scrutin, sont nécessaires à la conduite d’une élection. Les élections sont alors terminées, et ces activités pourraient être reportées jusqu’après la fin de la grève.

205 Je suis également convaincu par le témoignage de M. Kreis que la plupart des 104 applications énumérées à la Pièce E-9 sont nécessaires à la préparation et à la conduite d’une élection. M. Kreis a expliqué de façon crédible pourquoi ces applications de TI sont nécessaires, et le défendeur n’a avancé aucune preuve pour établir le contraire. Sans la plupart de ces applications, il ne serait pas possible, par exemple, d’échanger de l’information sur les électeurs avec les directeurs du scrutin et de compter les résultats rapidement le jour de l’élection. Néanmoins, certaines applications ne seraient pas nécessaires, notamment toutes celles qui sont liées à la phase postélectorale, puisque l’élection serait alors terminée et que les activités correspondantes pourraient être accomplies après la grève. L’application 97 de la Pièce E-9, par exemple, est conçue pour fermer les bureaux régionaux. On n’en a pas besoin pendant la période électorale. Cela dit, je ne m’attarderai pas davantage aux applications qui sont nécessaires pour conduire une élection et à celles qui ne le sont pas, pour des raisons auxquelles je reviendrai plus loin.

206 La question à trancher en l’espèce ne consiste pas à savoir si le travail accompli par les CS dans le cadre des activités décrites par M. Kreis et des 104 applications de TI énumérées à la Pièce E-9 est nécessaire pour qu’Élections Canada se prépare correctement à une élection et la conduise efficacement, mais plutôt si les activités des CS relatives à la préparation et à la conduite d’une élection sont des services essentiels. En d’autres termes, leurs activités sont-elles « nécessaires à la sécurité de tout ou partie du public », comme le prévoit le paragraphe 4(1) de la LRTFP? Je ne le crois pas. La sécurité du public ne serait pas menacée si Élections Canada n’était pas suffisamment préparé à conduire une élection ou s’il était incapable de la conduire correctement.

207 J’aimerais insister sur le fait que je suis convaincu que les élections sont le fondement de notre démocratie. Le droit de vote est consacré par l’article 3 de la Charte. Dans Haig c. Canada (Directeur général des élections), la Cour suprême a souligné l’importance du droit de vote dans notre société démocratique en ces termes :

[…]

Les droits démocratiques prévus aux art. 3, 4 et 5 de la Charte sont très clairement énoncés. Dans Charte canadienne des droits et libertés (2e éd. 1989), sous la direction de G.-A. Beaudoin et E. Ratushny, le professeur Beaudoin résume ainsi ces droits dans son analyse intitulée « Les droits démocratiques », à la p. 309 :

Le droit de choisir ceux qui nous gouvernent, le droit de se porter candidats aux charges publiques, le droit de voter périodiquement, librement et secrètement et le droit pour les élus de siéger régulièrement constituent les assises des droits démocratiques.

[…]

208 Il reste que le fait que les élections sont importantes et fondamentales pour notre démocratie ne signifie pas nécessairement que la sécurité du public serait menacée si Élections Canada était incapable de se préparer pour une élection ou de la conduire correctement.

209 Le principal argument du demandeur est que si les activités accomplies par les CS d’Élections Canada pour se préparer à l’élection et pour la conduire n’étaient pas déclarées essentielles, on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que les élections soient entachées par [traduction] « des procédures électorales chaotiques et/ou des résultats électoraux invalides », si une grève devait se produire moins de deux mois avant que l’élection ne soit déclenchée (parce qu’il faut deux mois pour se préparer à l’élection) ou pendant la période électorale. Cela risquerait de causer des troubles qui constitueraient un risque pour la sécurité du public. À mon avis, cet argument ne tient pas parce qu’il n’y aurait pas de « procédures électorales chaotiques » ni de résultats électoraux invalides si le gouvernement (ou plus précisément le gouverneur en conseil) décidait simplement de reporter l’élection jusqu’après la fin de la grève.Si Élections Canada n’était pas prêt à conduire l’élection à cause d’une grève, le gouverneur en conseil pourrait simplement décider d’attendre jusqu’à ce que la grève soit finie avant de proclamer l’élection. Comme le professeur Russell l’a expliqué, même quand le gouvernement est défait à la Chambre des communes en perdant un vote de défiance, le gouverneur en conseil n’est pas tenu de proclamer immédiatement une élection. On ne m’a pas présenté de preuve convaincante que reporter temporairement l’élection constituerait un risque pour la sécurité du public, mais le demandeur n’a rien prétendu de tel; il n’a rien dit directement à ce sujet. Sa position est qu’Élections Canada n’a aucun contrôle sur le moment auquel l’élection est proclamée. C’est vrai, mais le gouverneur en conseil a un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et il fait partie du gouvernement du Canada, tout comme l’employeur. L’alinéa 7(1)e) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11, dispose que le Conseil du Trésor (autrement dit l’employeur) agit pour le compte du Conseil privé de la Reine pour le Canada en ce qui concerne la gestion des ressources humaines, notamment à Élections Canada. Le gouverneur en conseil et l’employeur font partie du même gouvernement.

210 Si le gouverneur en conseil décide de déclencher une élection après le début d’une grève ou si une grève commence en pleine période électorale, il a un autre moyen de s’assurer que la grève ne nuise pas à l’élection. Il peut en empêcher le déclenchement jusqu’après l’élection s’il pense qu’Élections Canada n’est pas prêt à conduire l’élection pendant la grève. L’article 197 de la LRTFP prévoit en effet que le gouverneur en conseil peut empêcher le déclenchement d’une grève au cours de la période électorale s’il estime qu’elle est préjudiciable à l’intérêt national. Cet article se lit comme il suit :

[…]

197. (1) S’il estime qu’une grève qui a été déclenchée ou risque de l’être au cours de l’intervalle qui sépare la date de dissolution du Parlement et celle fixée pour le retour des brefs lors des élections générales consécutives est préjudiciable à l’intérêt national ou le serait, le gouverneur en conseil peut, par décret pris pendant cet intervalle, empêcher son déclenchement au cours de la période commençant à la date du décret et se terminant le vingt et unième jour suivant la fin de l’intervalle.

(2) Le ministre fait déposer devant chaque chambre du Parlement un rapport exposant les motifs pour lesquels un tel décret a été pris, dans les dix premiers jours de séance suivant sa prise.

(3) Il est interdit à toute organisation syndicale de déclarer ou d’autoriser une grève à l’égard d’une unité de négociation donnée, et à tout dirigeant ou représentant d’une telle organisation de conseiller ou susciter la déclaration ou l’autorisation d’une telle grève, pendant la période visée par le décret pris au titre du paragraphe (1).

(4) Il est interdit à tout fonctionnaire de participer à une grève pendant la période visée par le décret pris au titre du paragraphe (1).

[…]

211 Pour empêcher la grève, le gouverneur en conseil doit d’abord déterminer si elle « est préjudiciable à l’intérêt national ou le serait ». L’impossibilité de conduire correctement une élection générale pourrait fort bien satisfaire à ce critère. De toute évidence, si cela devait causer des troubles, ce serait préjudiciable à l’intérêt national.

212 Le fait que la disposition autorisant le gouverneur général à empêcher le déclenchement d’une grève figure dans la même Loi que celle qui régit les ententes sur les services essentiels est significatif. Une loi doit se lire comme un tout. À mon avis, le législateur tenait à ce qu’on sache qu’il avait voulu donner au gouvernement un outil conçu pour composer avec les effets d’une grève sur une élection lorsqu’il s’agit de décider si un service ou une activité sont essentiels.

213 Le demandeur a fait remarquer que l’article 197 de la LRTFP ne peut être invoqué qu’une fois l’élection proclamée. D’après le témoignage de M. Kreis, la phase de préparation de l’élection prend deux mois. Par conséquent, si une grève commençait peu après le début de la période électorale, Élections Canada n’aurait pas suffisamment de temps pour se préparer même si l’on empêchait le déclenchement de la grève. Élections Canada ne pourrait pas reprendre le temps perdu à cause de la grève avant que son déclenchement ne soit empêché. À mon avis, cet argument ne tient pas. Si une grève commençait avant que le gouverneur en conseil ne déclenche l’élection et que le gouverneur en conseil constatait qu’Élections Canada n’est pas prêt à conduire l’élection, il pourrait invoquer l’article 197 pour empêcher le déclenchement de la grève une fois l’élection déclenchée pour une période suffisamment longue pour qu’Élections Canada puisse se préparer à conduire l’élection. L’article 197 autorise en effet le gouverneur en conseil à empêcher le déclenchement de la grève pour une période commençant à la date du décret qu’il prend à cette fin et se terminant 21 jours après l’élection. Bien que la LEC prévoit un minimum de 36 jours pour conduire une élection (alinéa 57(1.2)c)), elle ne fixe pas de période maximale. Si le gouverneur en conseil estime qu’Élections Canada a besoin de deux mois pour se préparer à l’élection et d’un mois et demi de plus pour la conduire, il peut décréter une période électorale de trois mois et demi et invoquer l’article 197 pour empêcher le déclenchement de la grève jusqu’après le jour de l’élection. Assurément, c’est le pire des scénarios, en supposant qu’Élections Canada ne soit absolument pas prêt quand le bref est pris, mais dans la plupart des cas, Élections Canada sera prêt dans une certaine mesure.

214 Le demandeur a fait valoir qu’invoquer l’article 197 de la LRTFP en excède la portée et n’est pas pratique, puisque le gouverneur en conseil devrait empêcher le déclenchement d’une grève de tous les CS, pas seulement de ceux qui travaillent à Élections Canada. Je n’ai pas à me prononcer sur cette question, mais même en supposant que le gouverneur en conseil ne pourrait pas limiter l’empêchement du déclenchement de la grève aux seuls CS d’Élections Canada, ce qui est discutable, le fait que ce ne serait pas pratique n’enlève rien au pouvoir qui lui permettrait de composer avec une grève qui serait préjudiciable à l’intérêt national puisqu’elle menacerait la sécurité du public.

215 Il est significatif que le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre ait recommandé dans son treizième rapport que le personnel d’Élections Canada soit désigné comme assurant un service essentiel, quoique le gouvernement ait refusé de prendre une telle mesure, en demandant au Comité de poursuivre ses consultations sur cette question (Pièce B-2, page 10) :

[…]

La majorité des membres du Comité a également recommandé que le personnel d’Élections Canada soit désigné comme assurant un service essentiel et qu’il leur soit interdit de faire la grève (recommandation no 1.8). Même si le gouvernement ne rejette pas l’idée que cette recommandation éviterait la possibilité d’interruptions pouvant mettre en péril la conduite d’une élection, il estime que les personnes concernées devraient être abondamment consultées avant qu’un tel changement ne soit mis de l’avant. Le gouvernement invite le Comité à organiser des consultations s’il souhaite étudier cette question plus en profondeur.

[…]

216 Même si le gouvernement décidait de tenir une élection peu après le début d’une grève, voire pendant une grève, et qu’il décidait de ne pas empêcher le déclenchement de la grève jusqu’après l’élection, on ne m’a pas présenté de preuve convaincante que des irrégularités dans la conduite de l’élection entraîneraient des troubles. Le demandeur prétend qu’il y en aurait à cause des « procédures chaotiques » qui risqueraient d’entacher l’élection et qu’Élections Canada serait dans l’impossibilité de produire des résultats électoraux valides. J’estime que s’il y avait des irrégularités pendant l’élection, le gouvernement se servirait des outils dont il dispose pour y remédier. Par exemple, si les résultats de l’élection dans une circonscription électorale étaient serrés, le directeur du scrutin pourrait demander un recomptage judiciaire en vertu de l’article 300 de la LEC.

217 En outre, même si le gouvernement ne pouvait pas corriger les irrégularités susceptibles de se produire à l’occasion d’une élection, on ne m’a pas avancé de preuves raisonnables et suffisantes pour m’inciter à conclure que la sécurité du public serait menacée. On n’a produit aucune preuve convaincante que les citoyens canadiens réagiraient avec violence ou qu’une autre forme quelconque de troubles s’ensuivrait. Comme le professeur Russell l’a déclaré, les Canadiens ne sont pas enclins à la violence. Il m’est impossible de déduire qu’il y aurait des troubles au Canada parce qu’il y en a eu dans d’autres pays comme le Kenya, Haïti, la Moldavie et le Mexique lors de leurs élections. On ne peut pas établir de comparaisons valides entre ces pays et le Canada. Leur situation politique n’est pas la même que la nôtre, et leurs histoires, leurs structures sociales, leurs économies, leurs cultures et leurs valeurs sont différentes. Le Kenya, par exemple, et le professeur Russell l’a justement souligné, est une nouvelle démocratie qui a récemment connu des changements constitutionnels. Deux tribus s’y disputent le pouvoir depuis des années. Le Canada est au contraire un pays paisible qui jouit des avantages de la démocratie depuis 150 ans. De même, des factions politiques se déchirent à Haïti depuis de nombreuses années, alors que le Canada est politiquement très stable et pacifique.

218 Je ne peux pas non plus conclure que des manifestations violentes comme celles qui ont sali les séries de la Coupe Stanley au Canada ou qui ont marqué des incidents comme la grève générale de 1919 à Winnipeg laissent entendre qu’il y aurait de la violence au Canada si les élections n’étaient pas conduites correctement. Ces situations étaient très spécifiques et localisées; on ne saurait les comparer à une élection. Il n’y a aucun lien commun entre ces incidents et la conduite d’une élection.

219 Avant de passer à une autre question, je tiens à souligner que le paragraphe 59(1) de la LEC n’est pas pertinent en l’espèce. Ce paragraphe donne au gouverneur en conseil le pouvoir de retirer un bref en cas d’urgence. On ne saurait l’invoquer pour annuler une élection si Élections Canada n’était pas suffisamment bien préparé pour la conduire. Le paragraphe 59(1) autorise le gouverneur en conseil à retirer le bref pour une circonscription seulement s’il est impossible d’y conduire l’élection « par suite d’une inondation, d’un incendie ou de toute autre calamité ». Comme le représentant du demandeur l’a fait valoir, la règle d’interprétation ejusdem generis prévoit que lorsque le dernier élément d’une énumération est général, il doit être interprété en fonction des éléments qui le précèdent (voir Mozley and Whiteley’s Law Dictionary, Butterworths, Tenth Edition). Par conséquent, je suis d’avis que « toute autre calamité » doit être une catastrophe naturelle, puisque les inondations et les incendies sont des catastrophes naturelles. Le fait qu’Élections Canada ne serait pas prêt pour l’élection ne saurait être considéré comme « toute autre calamité » au sens de cette disposition, puisque cela ne serait pas une catastrophe naturelle.

220 De même, j’estime que l’article 131 de la LRTFP, qui autorise la Commission à modifier une ESE en cas d’urgence, n’est pas pertinent en l’espèce. La demande dont je suis saisi a pour objet de déterminer s’il y a des services essentiels à Élections Canada et non de déterminer si ces services figurant dans une ESE devraient être modifiés parce qu’une urgence s’est produite.

221 Le deuxième grand argument du demandeur est que si Élections Canada était incapable de conduire une élection correctement, le gouvernement serait dans l’impossibilité de composer avec des urgences en adoptant des lois, comme il l’a fait dans le passé. Le Parlement a adopté des lois pour lutter contre la menace du terrorisme dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001 à New York et il a également adopté une loi pour faire redémarrer le réacteur nucléaire de Chalk River. Selon le demandeur, il ne serait pas possible de convoquer le Parlement pour lui faire adopter des lois d’urgence parce qu’il ne serait pas possible de déterminer quels députés ont été élus ou quel parti a remporté l’élection. Je ne suis pas de cet avis. Avant de me prononcer sur cette question, je crois toutefois qu’il est important de préciser que le gouvernement n’a généralement pas besoin d’adopter des lois pour parer aux urgences. Il est investi d’une vaste gamme de pouvoirs délégués qui lui permettent de réagir dans de telles situations, par exemple en faisant appel aux Forces armées. Dans l’éventualité où les pouvoirs habituels du gouvernement seraient insuffisants, le Parlement a adopté une loi conçue expressément pour lui donner les pouvoirs dont il a besoin en cas d’urgence. Le paragraphe 19(1) de la Loi sur les mesures d’urgence donne en effet au gouvernement des pouvoirs pour intervenir en cas d’état d’urgence, défini comme une situation de crise causée par des menaces envers la sécurité du Canada d’une gravité telle qu’elle constitue une situation de crise nationale (article 16 de la Loi sur les mesures d’urgence). Ces menaces incluent tout « usage de la violence grave… contre des personnes ou des biens » (article 2 de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. 1985, ch. C-23, mentionné à l’article 16 de la Loi sur les mesures d’urgence). En pareils cas, le gouverneur en conseil dispose d’une vaste gamme de pouvoirs incluant celui de prendre des règlements interdisant les assemblées publiques (paragraphe 19(1) de la Loi sur les mesures d’urgence).

222 En supposant qu’il faille adopter des lois pour parer aux urgences, j’estime quand même que l’argument selon lequel le Parlement ne pourrait pas être convoqué parce qu’il ne serait pas possible de savoir qui a remporté l’élection est beaucoup trop hypothétique et spéculatif. On ne m’a pas présenté d’arguments suffisants pour me convaincre qu’il serait impossible de déterminer quels candidats ont été élus à la Chambre des communes. Ainsi que je l’ai expliqué plus tôt dans cette décision, si l’on avait constaté des irrégularités dans le comptage des résultats, par exemple, le gouvernement aurait des moyens pour y remédier, comme un recomptage judiciaire.

223 J’aimerais ajouter un autre commentaire au sujet de la Loi sur les mesures d’urgence. Le paragraphe 58(6) de cette Loi dispose que la Chambre des communes doit voter sur une motion visant à confirmer la déclaration d’une urgence. Le paragraphe 58(3) prévoit que le Parlement doit être convoqué après la déclaration de la situation de crise, s’il était dissous. Le représentant du demandeur a déclaré que le Parlement ne pourrait pas être convoqué s’il n’y avait pas de résultats électoraux valides parce qu’il ne serait pas possible de savoir qui convoquer. Je rejette cet argument pour les raisons que j’ai données dans le paragraphe précédent. Cette situation est trop hypothétique.

224 Le troisième grand argument du demandeur est l’existence d’un risque pour la sécurité du public si la préparation et la conduite d’une élection ne sont pas déclarées essentielles parce qu’il y a un risque que des renseignements personnels concernant les électeurs soient divulgués dans l’éventualité d’une grève : les CS ne seraient pas capables de protéger ces renseignements. Le Registre national des électeurs d’Élections Canada renferme les noms des électeurs, avec leur adresse, leur sexe et leur date de naissance. Je tiens à préciser que la moitié de ces renseignements sont déjà publics, puisque le nom et l’adresse de la plupart des électeurs figurent déjà dans le bottin téléphonique. Je dois rejeter cet argument du demandeur, parce qu’il ne m’a pas présenté d’éléments de preuve suffisants pour m’expliquer comment ces renseignements risquent d’être divulgués pendant une grève et comment la divulgation de ces renseignements porterait préjudice à la sécurité du public.

225 Pour tous ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

226 L’Entente sur les services essentiels (ESE) pour le groupe Systèmes d’ordinateurs (CS) ne doit inclure aucune disposition désignant un service essentiel fourni par Élections Canada.

227 La Commission demeure saisie de toutes les questions concernant les autres postes du groupe CS n’ayant pas fait l’objet d’une entente entre les parties.

Le 2 octobre 2009.

Traduction de la CRTFP.

John Mooney,
commissaire

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