Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé était un employé civil de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) qui s’est fait prendre pour vol à l’étalage et qui, lorsque interrogé par les services de sécurité du magasin, a affirmé être un agent d’infiltration en uniforme - quand la GRC a appris l’incident, elle a suspendu la cote de fiabilité de la GRC (CFG) du fonctionnaire s’estimant lésé, puis l’a suspendu sans solde - trois mois plus tard, elle a révoqué sa CFG et cinq mois plus tard, elle l’a licencié - le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé des griefs pour contester ces mesures, mais les parties ne s’entendaient pas sur lesquels des griefs avaient été renvoyés à l’arbitrage en bonne et due forme - les deux griefs reçus par la Commission à l’appui du renvoi à l’arbitrage étaient ceux qui concernaient la suspension sans solde du fonctionnaire s’estimant lésé et la suspension de sa CFG - cependant, les renseignements présentés dans le document à l’appui du renvoi à l’arbitrage ne se rapportaient qu’aux griefs relatifs à la suspension et à la révocation de la CFG - le fonctionnaire s’estimant lésé avait l’intention de renvoyer les trois griefs à l’arbitrage, ce que l’employeur avait compris - bien que l’omission ait contrevenu à l’article89 du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, elle constitue un vice de procédure qui ne devrait pas, conformément au paragraphe241(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la <<Loi>>), être utilisé pour invalider un renvoi à l’arbitrage - l’arbitre de grief a conclu qu’elle n’était pas saisie du grief relatif au licenciement - elle a rejeté l’argument voulant qu’une suspension sans solde pendant une période indéfinie équivalait à un licenciement et que, par conséquent, le grief contestant la suspension sans solde équivalait à une remise en question du licenciement - le renvoi à l’arbitrage a été effectué deux jours après le renvoi du fonctionnaire s’estimant lésé, avant qu’il ait déposé un grief contestant son licenciement et avant qu’il ait présenté le grief à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs, tel que l’exige l’article225 de la Loi. Objection accueillie en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-10-14
  • Dossier:  566-02-1948 et 2166
  • Référence:  2009 CRTFP 129

Devant un arbitre de grief


ENTRE

PAUL W.J. BRAUN

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Gendarmerie royale du Canada)

défendeur

Répertorié
Braun c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Marie-Josée Bédard, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Lyle M. Smordin, avocat

Pour le défendeur:
Isabel Blanchard, avocate

Affaire entendue à Winnipeg (Manitoba),
le 10 août 2009.
(Traduction de la CRTFP.)

I. Griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

1 Le fonctionnaire s’estimant lésé  (le « fonctionnaire »), Paul W. J. Braun, occupait le poste de directeur des Services aux employés au bureau de Winnipeg de la Gendarmerie royale du Canada (l’« employeur » ou la GRC). L’employeur a pris les décisions suivantes, que M. Braun a contestées en présentant des griefs distincts :

  • Il a suspendu sa cote de fiabilité de la GRC (CFG) le 13 juillet 2006 (grief déposé le 27 juillet 2006).
  • Il l’a suspendu sans solde le 26 juillet 2006 (griefs déposés le 4 juillet et le 28 août 2006).
  • Il a révoqué sa CFG le 6 novembre 2007 (grief déposé le 20 novembre 2007).
  • Il l’a licencié le 8 avril 2008 (grief déposé le 18 avril 2008).

2 Tel qu’indiqué plus haut, le fonctionnaire a déposé deux griefs pour contester sa suspension sans solde : un premier lorsqu’il a été informé de l’intention de l’employeur de le suspendre, et un deuxième, après sa suspension officielle. Toutefois, à l’audience, les parties n’ont pas fait de distinction entre ces deux griefs et ont toujours parlé « du » grief déposé pour contester la suspension sans solde sans préciser duquel des deux griefs il s’agissait. De plus, l’employeur n’a jamais répondu au grief déposé le 28 août 2006, et les deux parties ont discuté de quatre griefs au total. Ainsi, pour éviter toute confusion et à moins que ce soit nécessaire, je suivrai l’exemple des parties et je parlerai « du » grief déposé pour contester la suspension sans solde et d’un nombre total de quatre griefs.

3 À l’origine, l’audience avait été fixée pour examiner une objection à ma compétence soulevée par l’employeur pour le motif que les décisions contestées ne font pas partie des questions qui peuvent être renvoyées à l’arbitrage aux termes de l’article 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). Cependant, au début de l’audience, j’ai pris connaissance d’un différend entourant la question de savoir lesquels des griefs susmentionnés avaient été renvoyés à l’arbitrage en bonne et due forme. Le fonctionnaire a fait valoir que les quatre griefs avaient été renvoyés dans les règles. L’employeur, en revanche, a allégué que seulement deux des griefs avaient été renvoyés à l’arbitrage, soit les griefs contestant la suspension de la CFG du fonctionnaire et sa suspension sans solde. Par conséquent, l’employeur a prétendu que je n’étais pas saisie des griefs contestant la révocation de la CFG du fonctionnaire et le licenciement de ce dernier.

4 J’ai informé les parties que je rendrais une décision préliminaire pour établir lesquels des griefs avaient été renvoyés à l’arbitrage dans les règles et, par voie de conséquence, l’audience se limitait à cette question.

5  Les deux parties ont soumis des preuves documentaires et ont présenté des arguments de vive voix. Durant l’audience, il y avait de la confusion entourant les documents que le fonctionnaire avait déposés pour étayer les renvois à l’arbitrage de ses griefs. Pour éliminer toute confusion, j’ai informé les parties que la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») enverrait à chaque avocat des copies de tous les documents contenus dans le dossier de la Commission et permettant d’identifier les griefs renvoyés à l’arbitrage. Les documents ont été envoyés aux parties le 12 août 2009, lesquelles ont eu jusqu’au 26 août 2009 pour soumettre des observations écrites additionnelles après avoir pris connaissance de ces documents.

6 L’avocat du fonctionnaire a informé la Commission qu’il n’avait aucune observation additionnelle à faire outre celles qu’il avait faites de vive voix à l’audience. L’avocate de l’employeur, par contre, a soumis des observations écrites additionnelles.

II. Résumé de la preuve

7 Tel qu’indiqué plus haut, quatre décisions de l’employeur ont fait l’objet de griefs. La première décision en cause est la suspension de la CFG du fonctionnaire le 13 juillet 2006. La lettre de suspension précisait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

La présente vise à vous informer que j’ai examiné votre cote de fiabilité de la GRC après que l’information suivante a été portée à mon attention :

– Le 8 février 2006, des membres du personnel de sécurité vous ont vu quitter un magasin Safeway à Winnipeg alors que vous aviez en votre possession des articles cachés et non payés dont la valeur était évaluée à environ 40 $. Apparemment, vous avez dit aux employés de sécurité que vous étiez un agent d’infiltration de la GRC qui suivait un traitement pour cause de stress. À la suite de cet incident, des accusations criminelles seront portées contre vous pour vol de moins de 5 000 $ et pour avoir prétendu faussement être un agent de la paix.

Pour attribuer la cote de fiabilité de la GRC, on se fonde sur l’honnêteté, la loyauté, la fiabilité et l’intégrité d’une personne. Compte tenu de ce qui précède, je suspends votre cote de fiabilité de la GRC à compter de la date du présent document et il vous sera dorénavant interdit d’accéder aux installations de la GRC sans être accompagné.

J’effectuerai un autre examen des circonstances après la procédure au criminel pour établir si votre cote de fiabilité de la GRC peut demeurer valide ou si elle devrait être révoquée pour motif valable. Vous aurez l’occasion à une date ultérieure de me communiquer vos observations écrites avant que je prenne une décision définitive à cet égard.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

8 Le grief déposé le 27 juillet 2006 précise ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Le 26 juillet 2006, j’ai reçu une lettre m’informant de la suspension de ma cote de fiabilité.

Cette décision semble faire suite à des événements qui se sont produits durant une crise dûe à un problème d’ordre médical dont j’ai souffert le 8 février 2006.

Depuis lors, j’ai suivi un traitement de façon intensive pour régler et contrôler mon problème et j’ai démontré, au cours des six derniers mois, que je suis tout à fait en mesure de gérer ma maladie et d’éviter une nouvelle crise.

Par conséquent, cette décision ne repose pas sur de l’information à jour/pertinente qui correspond à ma capacité actuelle/future de satisfaire aux attentes de la GRC à cet égard et elle est par conséquent erronée et sans mérite.

[…]

9 La deuxième décision en cause est la suspension sans solde du fonctionnaire, qui lui a été imposée le 26 juillet 2006. La lettre de suspension était formulée comme suit :

[Traduction]

[…]

Il est allégué que le 8 février 2006, vous vous êtes fait passer à tort pour un membre régulier de la Gendarmerie royale du Canada lorsque vous vous êtes fait arrêter dans un magasin Canada Safeway à Winnipeg par une équipe de prévention des pertes qui vous soupçonnait d’avoir commis un vol à l’étalage.

Ces allégations, si elles s’avéraient fondées, montreraient que vous avez commis un grave manquement à la sécurité et que vous êtes coupable d’inconduite. J’ai maintenant été informé de la suspension temporaire de votre cote de sécurité par les Services de sécurité de la Gendarmerie. Je dois vous informer que vous êtes relevé de vos fonctions indéfiniment dès maintenant, sans solde, en attendant l’ouverture d’une enquête sur cette question.

[…]

Une fois l’enquête terminée, vous serez informé promptement de la décision prise par la direction à cet égard.

[…]

10 Le fonctionnaire a déposé deux griefs pour contester cette décision. Le premier grief a été déposé le 4 juillet 2006, après que le fonctionnaire avait été informé de l’intention de l’employeur de le suspendre. Ce grief renfermait l’affirmation suivante :

[Traduction]

[…]

Le 8 juin 2006, mon superviseur, le surintendant principal Garry Jay, m’a informé de son intention de me suspendre sans solde. Je n’ai fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire, ni ai-je été condamné pour une infraction qui justifierait une mesure extrême de ce genre. Il me semble que cette mesure a pour but de me punir sans qu’il y ait un motif valable et qu’il s’agit d’une tentative de me forcer à démissionner de mon poste de directeur, Services aux employés.

[…]

11 Le 28 août 2006, le fonctionnaire a déposé un deuxième grief contestant la suspension, qui se lisait partiellement comme suit :

[Traduction]

[…]

Le 27 juillet 2006, j’ai été informé de ma suspension sans solde, après que la GRC avait porté des accusations criminelles contre moi et avait suspendu ma cote de sécurité, mesure qui fait partie d’une tentative continue de mettre fin à mon emploi, de manière  inappropriée.

[…]

12 La troisième décision en cause est la décision de l’employeur de révoquer la CFG du fonctionnaire le 6 novembre 2007. Cette décision a fait l’objet d’un grief déposé le 20 novembre 2007.

13 La quatrième et dernière décision examinée ici est le licenciement du fonctionnaire, qui est survenue le 8 avril 2008. La lettre de licenciement, signée par le Commissaire William J.S. Elliott, se lisait comme suit :

[Traduction]

[…]

La présente fait suite à la lettre du 6 novembre 2007 du surintendant Pierre Giguère, qui vous a informé de la révocation de votre cote de fiabilité de la Gendarmerie royale du Canada (GRC).

Étant donné que vous ne satisfaites plus à l’une des conditions exigées pour la continuation de votre emploi au sein de la GRC, je dois vous informer de ma décision de mettre fin à votre emploi pour motif valable, conformément à l’alinéa 12(1)e) de la Loi sur la gestion des finances publiques. Cette mesure entre en vigueur le 26 juillet 2006, date à laquelle vous avez été suspendu sans solde en attendant la tenue d’une enquête.

[…]

14 Le fonctionnaire a déposé un grief pour contester son licenciement le 18 avril 2008, sous la forme d’une lettre adressée au Commissaire de la GRC par son avocat. Cette lettre se présentait sous la forme d’une requête soumise au Commissaire lui demandant de reconsidérer sa décision de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire, mais par la suite, était considérée par les parties comme étant le grief déposé pour contester le licenciement. On a suivi la procédure interne de règlement des griefs pour chacun des quatre griefs, et des réponses ont été fournies au dernier palier de la procédure de règlement des griefs par l’employeur (lorsqu’il répondait aux griefs) aux dates suivantes :

Date du grief

Description du grief

Date à laquelle l’employeur a fourni une réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs

27 juillet 2006

Grief contestant la suspension de la CFG du fonctionnaire le 13 juillet 2006

28 mars 2008

4 juillet 2006

Grief contestant l’intention de l’employeur de suspendre le fonctionnaire sans solde

6 ou 8 mars 2008

28 août 2006

Grief contestant la suspension sans solde le 26 juillet 2006

Aucune réponse au dossier

20 novembre 2007

Grief contestant la révocation de la CFG du fonctionnaire le 6 novembre 2007

28 mars 2008 – Décision unique portant à la fois sur la suspension et sur la révocation de la CFG du fonctionnaire

18 avril 2008

Grief contestant le licenciement du 8 avril 2008

11 août 2008

15 Le 10 avril 2008, la Commission a reçu une lettre par télécopieur de l’avocat du fonctionnaire à laquelle était joint un avis de renvoi à l’arbitrage dans lequel étaient mentionnés deux griefs qui avaient été présentés au premier palier de la procédure de règlement des griefs le 27 juillet 2006 et le 20 novembre 2007, respectivement. La date du 27 juillet 2006 correspond à la date à laquelle le fonctionnaire a déposé son grief contestant la suspension de sa CFG, et la date du 20 novembre 2007, à la date à laquelle il a déposé le grief contestant la révocation de sa CFG.

16 Dans une lettre de suivi, également reçue le 10 avril 2008, l’avocat du fonctionnaire a informé la Commission qu’il lui envoyait sous le même pli les deux griefs renvoyés à l’arbitrage, ainsi que les réponses de l’employeur à ceux-ci. Les griefs inclus étaient le grief du 27 juillet 2006 contestant la suspension de la CFG du fonctionnaire et le grief du 28 août 2006 contestant la suspension sans solde de ce même fonctionnaire. Les originaux de l’avis de renvoi à l’arbitrage et des deux griefs ont été reçus par la Commission le 11 avril 2008.

17 Ainsi qu’il est prévu dans le Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (DORS/2005-79), la Commission a demandé à l’employeur de lui fournir des copies de ses réponses à chaque palier de la procédure de règlement des griefs. L’employeur a fourni deux dossiers reliés qui renfermaient les documents exigés, que j’ai marqués Pièce B-5.

18 Le premier dossier portait le titre [Traduction] « Suspension sans solde » et renfermait les documents suivants :

  • le grief du 4 juillet 2006 contestant l’intention de l’employeur d’imposer une suspension sans solde au fonctionnaire;
  • la réponse de l’employeur au premier palier de la procédure de règlement des griefs, datée du 20 décembre 2007;
  • la réponse de l’employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, datée du 6 ou 8 mars 2008 (il n’est pas clair s’il s’agissait du 6 ou du 8 mars);
  • une formule de transmission des griefs;
  • le document faisant état de la suspension sans solde du fonctionnaire, daté du 26 juillet 2006.

19 Le deuxième dossier portait le titre [Traduction] « Suspension et révocation de la CFG » et renfermait les documents suivants :

  • Le grief déposé le 27 juillet 2006 pour contester la suspension de la CFG du fonctionnaire;
  • le grief déposé le 20 novembre 2007 à la suite de la révocation de la CFG du fonctionnaire;
  • la réponse de l’employeur, au premier palier de la procédure de règlement des griefs, au grief du 27 juillet 2006;
  • la réponse de l’employeur, au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, aux griefs du 27 juillet 2006 et du 20 novembre 2007;
  • une formule de transmission des griefs;
  • la lettre de suspension de la CFG et la lettre de révocation de la CFG.

20 Le 28 avril 2008, Ken Graham, un représentant de l’employeur, a envoyé à la Commission un courriel dans lequel il indiquait que l’employeur estimait que deux dossiers distincts auraient dû être ouverts par la Commission, puisque l’avis de renvoi à l’arbitrage présenté par le fonctionnaire portait sur deux griefs distincts. Après en avoir discuté avec les représentants des parties, la Commission a décidé d’établir deux dossiers distincts à des fins administratives et a demandé à l’avocat du fonctionnaire de soumettre deux avis de renvoi à l’arbitrage distincts, qui devaient remplacer son avis initial. Par conséquent, le 5 juin 2008, l’avocat du fonctionnaire a déposé deux avis de renvoi à l’arbitrage distincts. Un avait trait au grief déposé le 27 juillet 2006, et l’autre, au grief déposé le 20 novembre 2007. Ces deux dates correspondent aux dates indiquées dans l’avis de renvoi à l’arbitrage original, mais cette fois-ci, l’avocat du fonctionnaire n’y avait pas joint des copies des griefs.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

21 L’avocat du fonctionnaire a fait valoir qu’en dépit du fait que seulement un avis de renvoi à l’arbitrage avait été déposé à l’origine auprès de la Commission et que cet avis avait par la suite été scindé en deux avis distincts, les quatre griefs avaient été renvoyés à l’arbitrage en bonne et due forme.

22 L’avocat du fonctionnaire a affirmé que les quatre décisions de l’employeur qui font l’objet de contestations faisaient suite à un seul événement remontant à février 2006, qui avait abouti aux décisions subséquentes et reliées entre elles prises par l’employeur. D’abord, l’employeur a suspendu la CFG du fonctionnaire et puis a suspendu ce dernier sans solde pour le motif qu’il ne pouvait plus continuer à occuper son poste pendant que sa CFG était suspendue. Ensuite, l’employeur a décidé de révoquer la CFG du fonctionnaire et en raison de cela, il a mis fin à son emploi.

23 L’avocat du fonctionnaire a précisé que le grief contestant la suspension sans solde avait été déposé en vertu de l’alinéa 209(1)c) de la Loi (licenciement) et qu’il devrait être interprété comme contestant à la fois la suspension sans solde imposée au fonctionnaire et son licenciement. L’avocat du fonctionnaire a fondé sa position sur l’assertion qu’une suspension sans solde pour une période indéfinie équivaut à la cessation de l’emploi d’une personne, parce que la personne qui fait l’objet d’une suspension sans solde, dont les autres prestations d’emploi sont suspendues et qui n’a pas accès à son bureau ne peut être considérée comme étant toujours un « employé » d’une organisation. Du point de vue du fonctionnaire, la suspension sans solde correspondait à la cessation de son emploi et, par conséquent, le grief contestant la suspension sans solde devrait être considéré comme contestant, en même temps, le licenciement.

24 Pour ce qui est des griefs contestant la suspension et la révocation de la CFG du fonctionnaire, l’avocat de celui-ci a affirmé qu’ils avaient été renvoyés à l’arbitrage ensemble aux termes de l’alinéa 209(1)b) de la Loi (mesure disciplinaire) et a fait valoir que, selon toute évidence, ces mesures étaient à caractère disciplinaire.

B. Pour l’employeur

25 L’employeur a fait valoir que le fonctionnaire n’avait pas renvoyé à l’arbitrage les griefs qu’il avait déposés en réponse à la révocation de sa CFG et à son licenciement, et que, par conséquent, je ne pouvais être saisie de ces griefs. L’employeur a prétendu que les seuls griefs qui avaient été adéquatement renvoyés à l’arbitrage étaient les griefs contestant la suspension de la CFG du fonctionnaire et sa suspension sans solde.

26 Premièrement, l’employeur a soutenu que l’avocat du fonctionnaire avait indiqué clairement dans sa télécopie remontant au 10 avril 2008 qu’il incluait les « deux » griefs qui étaient renvoyés à l’arbitrage, et non pas quatre griefs. Deuxièmement, l’employeur a précisé que l’article 89 du Règlement stipule clairement qu’un avis de renvoi du grief à l’arbitrage doit être accompagné d’une copie du grief pertinent et que les seuls griefs fournis à la Commission étaient les griefs contestant la suspension de la CFG du fonctionnaire et sa suspension sans solde.

27 En ce qui concerne le grief contestant la révocation de la CFG du fonctionnaire, l’employeur a également indiqué que la mention indirecte de la révocation de la CFG du fonctionnaire dans la section 12 de l’avis de renvoi à l’arbitrage ne suffit pas pour conclure que le grief contestant cette décision était renvoyé à l’arbitrage. L’employeur a ajouté que même s’il a rendu une décision unique le 28 mars 2008 au dernier palier de la procédure de règlement des griefs au sujet des griefs faisant suite à la suspension et à la révocation de la CFG du fonctionnaire, dans la lettre, il mentionnait tout particulièrement ces deux griefs distincts. Ainsi, on ne pouvait supposer, en se fondant sur la lettre du 28 mars 2008, que les deux griefs étaient renvoyés à l’arbitrage.

28 L’employeur a aussi prétendu que le grief contestant la suspension sans solde ne pouvait être interprété comme un grief contestant le licenciement du fonctionnaire. Sur ce point, l’employeur a fait valoir que l’emploi du fonctionnaire avait pris fin deux jours avant la date à laquelle il a renvoyé à l’arbitrage ses deux griefs (contestant la suspension de la CFG et sa suspension sans solde) et que ce renvoi à l’arbitrage n’aurait pas pu inclure le grief contestant son licenciement, puisqu’il n’avait pas encore été présenté. En réalité, le fonctionnaire a déposé un grief en réponse à son licenciement le 18 avril 2008, dix jours après avoir renvoyé à l’arbitrage les griefs susmentionnés, et l’employeur a fourni sa réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 11 août 2008, mais le fonctionnaire n’a jamais renvoyé ce grief à l’arbitrage.

29 L’avocat de l’employeur était en désaccord également avec la proposition du fonctionnaire selon laquelle une suspension sans solde équivaut à un licenciement et que la contestation de la suspension sans solde suffisait et incluait aussi le licenciement. L’employeur a déclaré qu’une suspension sans solde, durant laquelle la personne demeure un employé, diffère d’un licenciement qui met fin à la relation d’emploi. L’employeur a ajouté que la suspension sans solde constituait une mesure administrative et provisoire, qui était suivie d’une décision distincte de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire.

30 L’employeur a conclu en affirmant qu’il serait injuste et contraire aux principes énoncés par la Cour d’appel fédérale dans Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.), de permettre au fonctionnaire de changer la nature de ses griefs après leur renvoi.

C. Réfutation du fonctionnaire s’estimant lésé

31 L’avocat du fonctionnaire a précisé que la situation évoquée dans l’affaire Burchill diffère des circonstances en l’espèce, et il a réitéré, en ce qui concernait le grief contestant la suspension sans solde, que la suspension équivalait au licenciement du fonctionnaire.

IV. Motifs

32 Je commencerai par faire remarquer qu’il y a des incohérences entre l’information fournie dans les avis de renvoi à l’arbitrage pour identifier les griefs renvoyés et les griefs joints à l’avis de renvoi à l’arbitrage soumis en avril 2008, ce qui complique la détermination des griefs que le fonctionnaire avait réellement l’intention de renvoyer à l’arbitrage. Tandis que les deux griefs reçus par la Commission à l’appui de l’avis de renvoi à l’arbitrage étaient ceux déposés pour contester la suspension sans solde du fonctionnaire et la suspension de sa CFG, l’information fournie dans l’avis de renvoi à l’arbitrage portait sur les griefs déposés à la suite de la suspension de la CFG du fonctionnaire et de la révocation de celle-ci et non pas sur le grief contestant sa suspension sans solde.

33 En particulier, dans l’avis de renvoi à l’arbitrage déposé en avril 2008, le fonctionnaire avait indiqué dans la section 9 de la formule que les griefs renvoyés à l’arbitrage avaient été déposés le 27 juillet 2006 et le 20 novembre 2007. Ces dates correspondent aux dates auxquelles le fonctionnaire a déposé un grief contestant la suspension de sa CFG et un grief contestant la révocation de celle-ci, respectivement. Dans la section 12 de la formule, le fonctionnaire indiquait que ses griefs étaient renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) et du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi et ajoutait, à la fin de la transcription de ce sous-alinéa, le texte [traduction] « révocation de la cote de sécurité ». Dans la section 11 de la formule, où la personne déposant un grief est priée d’indiquer les dates auxquelles l’employeur a rendu ses décisions au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, le fonctionnaire a indiqué les 3, 6 et 28 mars 2008. La Commission n’a pas dans ses dossiers une décision en date du 3 mars. Il n’est pas clair si la réponse de l’employeur au grief contestant la suspension sans solde du fonctionnaire a été rendue le 6 ou le 8 mars 2008, et la date du 28 mars 2008 correspond à la date à laquelle l’employeur a fourni sa réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs aux griefs déposés à la suite de la suspension et de la révocation de la CFG du fonctionnaire.

34 L’information fournie dans l’avis original de renvoi à l’arbitrage a ensuite été transférée aux avis distincts de renvoi à l’arbitrage déposés en juin 2008. Un avis avait trait au grief du 27 juillet 2006, et l’autre, au grief du 20 novembre 2007.

35 Si je me fiais uniquement à l’information contenue dans les avis de renvoi à l’arbitrage, je conclurais que les seuls griefs qui ont été renvoyés à l’arbitrage étaient ceux contestant la suspension et la révocation de la CFG du fonctionnaire. Or, en agissant ainsi, je ne tiendrais pas compte du fait que le fonctionnaire a fourni une copie du grief contestant sa suspension sans solde, mais n’a pas fourni une copie du grief remettant en question la révocation de sa CFG.

36 Cependant, en dépit de ces incohérences, certains éléments laissent supposer que l’intention du fonctionnaire était de renvoyer à l’arbitrage les trois griefs suivants : le grief contestant sa suspension sans solde, le grief contestant la suspension de sa CFG et le grief contestant la révocation de sa CFG.

37 En premier lieu, il n’y a pas un réel besoin pour moi de parler du renvoi à l’arbitrage du grief déposé à la suite de la suspension de la CFG du fonctionnaire, étant donné qu’il s’agissait clairement de l’un des griefs joints à l’avis de renvoi à l’arbitrage déposé en avril 2008 et que l’employeur ne remet pas en question qu’il a été renvoyé à l’arbitrage. Par conséquent, je conclus que ce grief a été renvoyé à l’arbitrage en bonne et due forme.

38 Pour les raisons qui suivent, j’estime aussi que lorsque le fonctionnaire a renvoyé à l’arbitrage le grief contestant la suspension de sa CFG, il avait également l’intention de renvoyer à l’arbitrage son grief contestant la révocation de sa CFG.

39 Premièrement, même si le fonctionnaire n’a pas fourni une copie du grief contestant la révocation de sa CFG en même temps que son avis de renvoi à l’arbitrage, l’envoi mentionnait un grief déposé le 20 novembre 2007, qui correspond à la date à laquelle le fonctionnaire a déposé le grief contestant la révocation de sa CFG. De plus, dans la section 12 de l’avis de renvoi à l’arbitrage, le fonctionnaire a coché la case ayant trait au sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi et a ajouté le texte [traduction] « révocation de la cote de sécurité » à la fin de la transcription de ce sous-alinéa.

40 Deuxièmement, il appert des documents soumis par l’employeur à la Commission que ce premier comprenait aussi que le fonctionnaire renvoyait les deux griefs à l’arbitrage. Tel qu’indiqué plus haut, lorsqu’on lui a demandé de fournir à la Commission sa décision rendue au dernier palier de la procédure de règlement des griefs pour chacun des griefs qui étaient renvoyés à l’arbitrage, l’employeur a fourni deux dossiers reliés. Sur la couverture de l’un des dossiers, on lisait : [traduction] « CRTFP 566-02-1948/Paul W. J. Braun/ G635-13-168 et G635-13-169/ (Suspension et révocation de la CFG) », et ce dossier renfermait les décisions de suspendre et de révoquer la CFG du fonctionnaire, les griefs contestant ces décisions ainsi que les décisions prises par l’employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs à l’égard des deux griefs.

41  Par conséquent, je conclus que, dans les circonstances de ce cas, bien que l’omission d’envoyer le grief contestant la révocation de la CFG du fonctionnaire à titre de pièce jointe à l’avis de renvoi à l’arbitrage soit contraire à l’article 89 du Règlement, elle constitue une irrégularité technique qui ne devrait pas, selon le paragraphe 241(1) de la Loi, invalider le renvoi à l’arbitrage de ce grief.

42 Je tourne maintenant mon attention vers le grief du 28 août 2006 contestant la suspension sans solde du fonctionnaire. De nouveau, l’employeur ne remet pas en question que le grief a été renvoyé à l’arbitrage. De plus, en dépit d’inexactitudes dans l’avis de renvoi à l’arbitrage, ce grief était l’un de deux griefs envoyés à la Commission sous la forme d’une pièce jointe à l’avis de renvoi à l’arbitrage. Il appert aussi des documents fournis à la Commission par l’employeur que celui-ci comprenait clairement que le fonctionnaire renvoyait à l’arbitrage le grief contestant sa suspension sans solde. Ainsi, je conclus que les inexactitudes contenues dans l’avis de renvoi à l’arbitrage constituaient une irrégularité technique qui ne devrait pas, selon le  paragraphe 241(1) de la Loi, invalider le renvoi à l’arbitrage de ce grief.

43 Je me pencherai maintenant sur la situation entourant le licenciement du fonctionnaire. Pour les motifs qui suivent, je ne considère pas que je sois saisie d’un grief contestant le licenciement du fonctionnaire.

44 En premier lieu, je suis en désaccord avec la proposition du fonctionnaire qu’une suspension sans solde pendant une période indéfinie équivaut à un licenciement, et que, par conséquent, le dépôt d’un grief contestant la suspension sans solde est identique à une contestation du licenciement. Dans le cas qui nous intéresse, l’employeur a rendu deux décisions distinctes, comme suit : il a pris une décision provisoire de suspendre le fonctionnaire sans solde en juillet 2006 et, ensuite, une décision définitive de congédier le fonctionnaire en avril 2008. Même si les deux décisions étaient liées à un ensemble unique d’événements et en découlaient, elles ont été prises à différents moments et ont eu des effets différents sur la relation d’emploi. Ainsi, les deux décisions nécessitent la présentation de griefs distincts et, dans les faits, des griefs séparés ont été déposés. Le fonctionnaire a déposé un grief contestant sa suspension sans solde le 28 août 2006, et un grief contestant son licenciement, le 18 avril 2008. Si le fonctionnaire était d’avis que le grief qu’il avait déposé à la suite de sa suspension sans solde incluait aussi son licenciement, pourquoi a-t-il déposé un autre grief le 18 avril 2008 pour contester le licenciement?

45 Deuxièmement, je n’estime pas que le renvoi à l’arbitrage déposé le 10 avril 2008 puisse être considéré comme un renvoi valable à l’arbitrage du grief contestant le licenciement du fonctionnaire. L’avis de renvoi à l’arbitrage a été déposé le 10 avril 2008, deux jours après le licenciement du fonctionnaire. Ce renvoi à l’arbitrage n’a pas pu inclure le grief contestant le licenciement, puisque ce dernier grief n’avait pas encore été déposé. Le grief contestant le licenciement du fonctionnaire a été déposé le 18 avril 2008 et, en conformité avec l’article 225 de la Loi, il n’aurait pas pu être renvoyé à l’arbitrage avant d’avoir été soumis à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs. En fait, on a suivi la procédure interne de règlement des griefs, et l’employeur a émis sa décision au dernier palier de ce processus le 11 août 2008. Malheureusement, le fonctionnaire n’a pas renvoyé ce grief à l’arbitrage, et je ne suis pas saisie d’une demande de prorogation.

46 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

47 L’objection soulevée par l’employeur est accueillie en partie.

48 Les griefs qui suivent ont été renvoyés à l’arbitrage validement.

  • Le grief contestant la suspension sans solde, dossier de la CRTFP no 566-02-1948.
  • Le grief contestant la suspension de la CFG du fonctionnaire et le grief contestant la révocation de la CFG du fonctionnaire, dossier de la CRTFP no 566-02-2166.

49 Le grief contestant le licenciement du fonctionnaire n’a pas été renvoyé à l’arbitrage et, par conséquent, je ne suis pas saisie de ce grief.

50 Les audiences fixées aux 9 et 10 décembre 2009 porteront sur l’objection originale de l’employeur à ma compétence.

Le 14 octobre 2009.

Traduction de la CRTFP.

Marie-Josée Bédard,
arbitre de grief

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