Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant était un agent des libérations conditionnelles qui a été rétrogradé à la suite d’une enquête disciplinaire - son grief contestant la rétrogradation a été rejeté à l’arbitrage - il a porté plainte contre son agent négociateur pour ne pas l’avoir représenté adéquatement - la Commission a jugé que le plaignant n’avait pas fait la preuve d’une représentation inéquitable de la part de l’agent négociateur. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20090904

Dossier: 561-02-159

 

Référence: 2009 CRTFP 107

 

Loi sur les relations de travail

dans la fonction publique

 

 

Devant la Commission des relations

de travail dans la fonction publique

 

ENTRE

 

MARTIN OUELLET

plaignant

 

et

 

LUCE ST-GEORGES

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

défendeurs

Répertorié

Ouellet c. St-Georges et Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 187 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Devant : Michele A. Pineau, vice-présidente

Pour le plaignant : lui-même

Pour les défendeurs : Guylaine Bourbeau

Affaire entendue à Drummondville, Québec,

le 21 avril 2009.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

 

[1] Le plaignant, Martin Ouellet, était, jusqu’en octobre 2009, à l’emploi du Service correctionnel du Canada (SCC).

[2] Le 19 avril 2007, le plaignant a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») contre sa représentante syndicale, Luce Saint-Georges et contre le SCC en vertu des alinéas 190(1)b) et d) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP).

[3] Dans une première décision émise le 27 janvier 2009, (Ouellet c. Alliance de la fonction publique du Canada et Conseil du trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 9), j’ai rejeté la plainte déposée contre l’employeur. L’agent négociateur a retiré son objection que la plainte était hors délai. J’ai aussi accordé la demande de remise du plaignant à certaines conditions, afin de lui permettre de se faire représenter par procureur.

[4] Dans cette décision, j’ai donné instruction au plaignant qu’à la reprise des audiences, sa preuve devait se limiter aux dispositions de l’article 187 de la LRTFP, soit le devoir de représentation équitable de l’agent négociateur relativement au grief ayant mené à la décision de l’arbitre Tessier dans Ouellet c. Conseil du trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 23 et qu’il a avait le fardeau de la preuve concernant sa plainte contre l’agent négociateur.

[5] À la reprise de l’audience le 21 avril 2009, le procureur du plaignant MJean‑François Houle s’est présenté, mais s’est retiré du dossier au début de l’audience après m’avoir expliqué que son client comprenait l’ensemble du dossier, la nature de la plainte et le fait qu’il avait le fardeau de la preuve.

II. Preuve et argumentation du plaignant

[6] Au moment des faits pertinents à la plainte, le plaignant était un agent de libération conditionnelle (WP-4) à l’Établissement Drummond. En 2002, le plaignant a fait l’objet d’une enquête pour avoir omis de tenir compte d’un rapport psychologique qui contredisait sa perception du risque que représentait la libération d’un détenu. Pendant l’enquête, le plaignant a été affecté à des tâches administratives.

[7] Le 5 février 2003, l’employeur a jugé que le plaignant avait exercé ses fonctions de façon inappropriée et susceptible de mettre en danger directement ou indirectement la sécurité du public. Il lui a imposé une sanction disciplinaire, soit une sanction pécuniaire de 500 $ et certaines mesures administratives, dont le retour au statut probatoire pour une période de six mois, la participation à de la formation pour les nouveaux agents de libération conditionnelle et la réalisation de certains objectifs concernant la qualité de son travail. Le rapport de mesures disciplinaires indiquait qu’advenant un incident de même nature ou d’un non respect des objectifs fixés, il s’exposait à des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement ou à la rétrogradation.

[8] Le plaignant a été informé de cette sanction disciplinaire en présence de sa représentante syndicale, Mme St-Georges. Même si le plaignant considérait la sanction de 500 $ démesurée, il a décidé de l’accepter sans la contester et a communiqué sa décision à Mme St-Georges. Le plaignant a réintégré ses fonctions et croyait sincèrement être en mesure de satisfaire aux attentes de l’employeur. Le plaignant a vite constaté qu’il avait pris une bien mauvaise décision, puisqu’en acceptant la mesure disciplinaire, il se reconnaissait coupable d’une faute que la direction jugeait très grave et il franchissait une autre étape dans la progression des sanctions disciplinaires.

[9] Un autre incident s’est produit le 23 octobre 2003. Lors dune réunion d’un comité pavillonnaire, le plaignant a présenté un dossier qui ne contenait pas les motifs justifiant l’octroi d’une réinsertion, une information essentielle en vue d’une prise de décision. Marc Lanoie, gérant dunité et supérieur hiérarchique du plaignant, dans une note de service adressée à la directrice de l’établissement, a remis en question la qualité des rapports du plaignant, son manque de jugement, sa compréhension du système et son rôle comme agent de libération conditionnelle. Le plaignant fut l’objet d’une nouvelle enquête disciplinaire. Pendant l’enquête, il a été affecté au magasin. Le plaignant a tenté de s’expliquer avec la directrice de l’établissement, mais sans succès. Selon le plaignant, l’enquête du comité interne a été sommaire et n’a pas tenu compte de ses justifications. Le comité a conclu qu’il y avait eu faute de la part du plaignant.

[10] En contre-interrogatoire, le plaignant a admis que le seul incident qui a fait l’objet de l’enquête a été le dossier à l’étude devant le comité pavillonnaire le 23 octobre 2003, et non l’ensemble des faits reprochés dans la note de service de M. Lanoie comme il l’avait prétendu. Le plaignant a aussi admis que la note de service de M. Lanoie lui a été remise et qu’il a eu pleine connaissance des faits. Il a admis avoir avoué son erreur aux enquêteurs.

[11] Le 11 décembre 2003, l’employeur a imposé au plaignant une sanction de 800 $ et le choix entre le licenciement ou une rétrogradation au poste de linger (GS-STS-04), ce qui représentait une perte de salaire de 25 000 $ par année. Le plaignant a accepté le poste de linger sous réserve de son droit de grief et a signé un document à cet effet.

[12] Le plaignant a été représenté par l’agent négociateur, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (le « syndicat ») à toutes les étapes de la procédure de règlement des griefs : par Mme St-Georges aux 1er et 2e paliers et Michel Charbonneau au 3e palier. En contre-interrogatoire, le plaignant a admis qu’il a été bien représenté, surtout par M. Charbonneau, mais que ce dernier a été consterné d’apprendre que le plaignant avait signé son accord à la rétrogradation.

[13] Le 17 janvier 2005, est intervenu un protocole d’entente entre le plaignant et l’employeur, selon lequel la sanction de 800 $ a été remboursée au plaignant et le grief retiré. Ce protocole a été conclu avec l’aide de M. Charbonneau.

[14] En février 2007, la directrice de l’établissement a rencontré le plaignant en présence de Mme St-Georges pour lui communiquer la décision de l’arbitre Tessier. En bref, l’arbitre de grief a maintenu une objection de l’employeur et s’est dit sans compétence pour entendre le grief parce que le plaignant aurait pu contester sa rétrogradation dans le cadre d’un autre recours de réparation prévu par une loi fédérale, soit la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. À la fin de cette rencontre, le plaignant a dit à la directrice d’un ton agressif qu’elle n’avait pas fini d’entendre parler de lui. Par la suite, il a reproché à Mme St-Georges de ne pas lui avoir communiqué la décision de l’arbitre de grief directement plutôt que de laisser la directrice de l’établissement s’en charger. En contre-interrogatoire, il a admis qu’après avoir reçu la décision de l’arbitre Tessier, il a préparé une plainte pour être déposée à la Commission de la fonction publique (CFP) mais qu’il ne l’a pas envoyée parce que les délais étaient expirés. Il en a parlé à son nouveau délégué syndical, mais pas à Mme St‑Georges.

[15] Au début de mars 2007, pendant qu’il était à la cafétéria, un incendie s’est déclaré à la buanderie dont il assumait la responsabilité. Le 9 mars 2007, le plaignant a été convoqué au bureau de la directrice des Services de gestion. Elle lui a annoncé qu’elle ne le croyait plus apte à remplir ses fonctions et qu’il avait intérêt à signer un consentement pour une évaluation de son état médical et son aptitude à travailler. La directrice lui a demandé de quitter les lieux de travail et il a été escorté jusqu’à la limite du territoire de l’établissement. Le plaignant s’est présenté pour l’évaluation médicale le surlendemain et a repris son travail quelques jours plus tard comme si de rien n’était. Le plaignant a dit n’avoir jamais reçu le rapport d’évaluation médicale de Santé Canada et ne pas connaître les motifs qui ont poussé l’employeur à demander une évaluation médicale.

[16] Le plaignant reproche à Mme St-Georges ce qui suit :

1. D’avoir omis de lui expliquer les conséquences de ne pas contester la sanction de 500 $ et les attentes de la direction concernant son travail. Selon le plaignant, Mme St-Georges aurait dû lui recommander de déposer un grief afin de freiner les conséquences disciplinaires de cet incident. Il reproche à Mme St‑Georges de ne pas avoir négocié les attentes de la direction à légard de son travail, y compris le besoin de suivre des formations complémentaires.

2. De ne pas avoir contesté « énergiquement » les conclusions de l’enquête disciplinaire de novembre 2003 et de ne pas avoir soulevé l’iniquité de la démarche d’enquête et son état d’anxiété au moment où il a fait sa présentation au comité pavillonnaire. Le plaignant dit que s’il avait connu la nature des reproches au moment de son entrevue par le comité d’enquête, il aurait été en mesure de réfuter tous les incidents qui ont fait l’objet des conclusions du rapport d’enquête. Le plaignant estime que sa fragilité psychologique l’empêchait de confronter M. Lanoie et que Mme St-Georges ne lui a pas apporté le soutien moral auquel il pouvait s’attendre d’une représentante syndicale, alors qu’il vivait une grande anxiété liée au refus systématique de la direction de le rencontrer pour discuter de la gestion de ses dossiers et de considérer des solutions de rechange pour le travail.

3. De ne pas l’avoir informé qu’en plus d’un grief, il disposait d’un autre recours administratif contre la décision de l’employeur de le rétrograder. Le plaignant s’est dit très déçu de l’attitude passive de Mme St-Georges concernant les sanctions disciplinaires de 2003.

4. De ne pas lavoir aidé concernant son expulsion forcée de l’établissement.

[17] En plus d’une grande détresse personnelle, le plaignant dit avoir perdu son statut professionnel et son estime de soi; sa santé a été ébranlée et sa vie familiale a été profondément perturbée. L’expulsion de son travail sous escorte a contribué à des rumeurs de sanctions disciplinaires injustifiées. Le plaignant est devenu inadmissible à la médaille d’honneur pour 20 ans de service continu. Les quatre dernières années de sa carrière comme journalier l’ont isolé de son groupe d’appartenance. Les mesures prises contre lui l’ont empêché d’exercer tout autre emploi dans son lieu de travail. Ses pertes monétaires sont importantes : perte de salaire de 100 000 $ sur quatre ans, qui a engendré une réduction importante de sa pension.

[18] Le plaignant considère que les conséquences désastreuses qu’il a subies en 2003 témoignent du fait qu’il n’a pas reçu de représentation adéquate et qu’il n’a pas eu l’opportunité de se défendre. Le plaignant admet qu’il est très difficile de prouver la mauvaise foi de quelqu’un, mais il demeure toutefois perplexe quant à l’acquiescement de Mme St-Georges par rapport à la progression de son dossier disciplinaire.

II. Preuve et argumentation du syndicat

[19] Mme St-Georges est une agente de libération conditionnelle. Elle a été représentante syndicale de 1988 à 2008 et présidente du syndicat de 1998 à 2007. Elle a pris connaissance du dossier du plaignant en 1990 et l’a accompagné dans toutes ses démarches depuis cette date, et ce, jusqu’à ce qu’il soit rétrogradé à la lingerie. En novembre 2001, le plaignant a reçu une réprimande écrite pour avoir imité la signature d’un gérant d’unité sur un document afin de faire avancer le dossier plus rapidement. Il a choisi de ne pas se faire représenter par le syndicat. Par la suite, le plaignant a fait l’objet de plusieurs enquêtes disciplinaires liées à des erreurs dans son travail. Par conséquent, le plaignant a fait l’objet d’un suivi assidu par ses supérieurs afin quil soit autonome dans son travail.

[20] Mme St-Georges a accompagné le plaignant avant, pendant et après l’imposition de la sanction disciplinaire du 5 février 2003. Elle a discuté avec le plaignant des conséquences possibles de la sanction et du fait qu’il s’exposait à une rétrogradation et des mesures plus sévères en cas de récidive. Le plaignant s’est montré inflexible et n’a pas voulu déposer un grief. Le travail du plaignant a continué à faire l’objet d’un suivi serré par M. Lanoie.

[21] Mme St-Georges a aussi accompagné le plaignant lors de l’enquête disciplinaire du mois de novembre 2003 et a obtenu que M. Lanoie ne fasse pas partie du comité d’enquête en raison d’un conflit d’intérêt évident. Elle a obtenu pour le plaignant une copie de la plainte de M. Lanoie à la directrice de l’établissement concernant le travail du plaignant. Lors de l’imposition de la sanction disciplinaire du 11 décembre 2003, Mme St-Georges a informé le plaignant de ses recours et l’a avisé de déposer deux griefs. Un grief concernant l’amende de 800 $ et un deuxième alléguant l’imposition d’une rétrogradation comme double pénalité pour le même incident. Le grief concernant l’amende de 800 $ a fait l’objet d’un règlement à l’amiable. Le deuxième a fait l’objet de la décision de l’arbitre Tessier. Mme St-Georges a représenté le plaignant aux 1er et 2e paliers de la procédure de règlement des griefs et M. Charbonneau a représenté le plaignant au 3e palier de la procédure.

[22] La réaction du plaignant à la décision de l’arbitre Tessier dans le bureau de la directrice de l’établissement a suscité l’inquiétude que le plaignant pourrait un jour perdre le contrôle de ses émotions. Mme St-Georges a communiqué avec le procureur du syndicat pour le mettre en communication avec le plaignant concernant la décision de l’arbitre Tessier.

[23] Mme St-Georges a souligné que les erreurs du plaignant dans le traitement de ses dossiers avaient une incidence sur ses collègues de travail. S’il induisait ses collègues en erreur en raison d’omissions dans l’étude de ses dossiers, tous ses collègues risquaient d’en souffrir. Mme St-George doit défendre les droits de tous les employés qu’elle représente. Dans la mesure où l’employeur notait une véritable erreur, elle devait conseiller le plaignant en conséquence. Par contre, le plaignant ne lui a remis l’ensemble de l’information concernant l’incident du 23 octobre 2003 qu’au moment de l’imposition de la sanction disciplinaire, le 11 décembre 2003.

[24] Au nom de Mme St-Georges, le syndicat souligne que c’est le plaignant qui a décidé de ne pas déposer de grief pour contester la sanction disciplinaire du 5 février 2003. Quant à la mesure disciplinaire du 11 décembre 2003, le plaignant a admis avoir été bien représenté lors de l’audition de ses griefs. Le plaignant a même avoué avoir été très satisfait de la prestation de M. Charbonneau. Mme St-Georges a non seulement représenté le plaignant lors de l’imposition de sanctions disciplinaire et de la procédure de règlement des grief, mais elle l’a assisté dans son témoignage pendant des enquêtes administratives.

[25] Le syndicat a porté une attention particulière au dossier du plaignant, allant jusqu’à embaucher un avocat de la pratique privée pour le représenter devant l’arbitre Tessier. Bien que l’arbitre de grief ait fait droit à l’objection préliminaire de l’employeur, le plaignant avait un recours administratif qu’il a choisi lui-même de ne pas exercer. C’est le plaignant qui a décidé qu’une plainte à la CFP serait hors délai et non le syndicat.

[26] Le syndicat plaide que le plaignant n’a pas établi qu’il a agi de façon discriminatoire ou de mauvaise foi quant à la représentation du fonctionnaire. Le plaignant peut être déçu, perplexe et incertain de certains résultats, mais cela ne prouve pas que le syndicat l’a représenté de façon inéquitable.

IV. Motifs

[27] Larticle 187 de la LRTFP prévoit le devoir de représentation équitable de l’agent négociateur comme suit :

187. Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

[28] Le devoir de représentation équitable est la contrepartie du pouvoir exclusif de l’agent négociateur d’agir comme porte-parole à l’égard des membres de l’unité de négociation.

[29] Le devoir de représentation équitable est un principe fondamental de la législation canadienne sur les relations du travail et se trouve dans presque toutes les lois du travail provinciales et fédérales. Il fait depuis longtemps l’objet d’une interprétation uniforme, non seulement des commissions de relations de travail, mais aussi des tribunaux. Les principes qui régissent cette obligation du syndicat sont enchâssés dans l’extrait suivant de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et autre, [1984] 1 R.C.S. 509 :

1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[30] Bien que ces critères aient été développés pour décider si le syndicat s’est prévalu à juste titre de son pouvoir discrétionnaire de déposer un grief et de le porter à l’arbitrage, les mêmes principes s’appliquent généralement à la conduite du syndicat dans sa gestion du dossier de grief d’un employé. Ainsi, le rôle de la Commission n’est pas d’examiner en appel la décision du syndicat de déposer ou non un grief ou de le porter à l’arbitrage, mais plutôt d’évaluer sa manière de traiter le grief. Autrement dit, la Commission se prononce sur le processus décisionnel du syndicat et non sur le bien-fondé d’un grief ou d’une plainte. Cela dit, pour déterminer si le processus décisionnel du syndicat reflète la valeur et le sérieux d’un cas donné, il faut souvent aussi en regarder les faits.

[31] Dans une plainte fondée sur l’article 187, c’est le fonctionnaire qui a le fardeau de présenter des faits suffisants pour établir que le syndicat a manqué à son devoir de représentation équitable.

[32] D’autre part, le devoir de représentation équitable du syndicat suppose que le fonctionnaire prenne les démarches nécessaires pour protéger ses propres intérêts. Il doit informer le syndicat de sa volonté de déposer un grief et agir dans les délais prescrits par la convention collective. Il doit collaborer avec le syndicat en fournissant les renseignements nécessaires à la préparation de son dossier et suivre les conseils du syndicat sur la façon de se comporter durant la procédure de règlement des griefs. Si le fonctionnaire néglige l’une ou l’autre de ces consignes, la plainte risque d’être rejetée par la Commission. En règle générale, la Commission n’accueille pas une plainte lorsque le syndicat a obtenu un règlement raisonnable que le plaignant rejette ultérieurement.

[33] La LRTFP donne à l’agent négociateur le pouvoir exclusif de négocier et d’administrer la convention collective parce que cela fait partie de son rôle de porte-parole efficace de l’ensemble des membres de l’unité de négociation. Le pouvoir de l’agent négociateur, dans sa relation avec l’employeur, tient au fait qu’il représente justement cet ensemble d’employés, de sorte qu’il est en mesure de prendre des engagements auxquels l’employeur peut se fier. Pour obtenir quelque chose en échange de ces engagements, l’agent négociateur doit tenir compte de l’intérêt de l’ensemble du groupe des employés, en plus des besoins de chacun d’eux.

[34] Quand l’agent négociateur décide de présenter ou non un grief ou de le porter ou non à l’arbitrage, il fait son travail de représentation des employés. À cette fin, l’agent négociateur doit déterminer les conditions qui ont pu mener à un manquement à la convention collective, et ce en fonction de l’expérience des rapports établis entre l’agent négociateur et l’employeur. L’agent négociateur doit aussi tenir compte des conséquences d’un grief sur les autres membres de l’unité de négociation. Dans la mesure où son analyse du dossier est fondée sur des facteurs pertinents, l’agent négociateur est libre de choisir la stratégie optimale dans une situation donnée.

[35] Le devoir de représentation équitable commence dès qu’il existe une possibilité de sanction disciplinaire et s’applique durant toute la procédure de règlement des griefs, jusqu’à sa conclusion définitive. Il n’existe pas de liste exhaustive des facteurs dont l’organisation syndicale doit tenir compte lorsqu’elle décide de déposer un grief ou de le porter à l’arbitrage. Par contre, il existe quelques principes incontournables, dont voici quelques-uns.

[36] Le syndicat ne doit pas agir dans un but illégitime, comme par exemple en permettant aux sentiments personnels des agents syndicaux d’influer sur la décision de donner suite à un grief ou en laissant des ambitions politiques de quelques uns nuire aux intérêts d’un autre employé.

[37] Le syndicat ne doit pas faire de discrimination contraire à la Charte des droits de la personne, qu’elle soit fondée sur l’âge, la race, la religion, le sexe ou l’état de santé. Chaque membre de l’unité de négociation a droit au traitement individuel de son dossier et le syndicat ne doit tenir compte que des facteurs pertinents et légaux pour décider de déposer un grief ou de le porter à l’arbitrage. Le syndicat doit être capable de justifier ce qu’il a fait de façon objective et raisonnable. Il doit éviter de croire aveuglément les arguments de l’employeur sans mener sa propre enquête.

[38] Il est légitime que le syndicat tienne compte de la crédibilité de l’employé en cause, de la présence ou de l’absence de témoins pouvant confirmer sa version des événements, du fait que la sanction disciplinaire est raisonnable ou non, ainsi que des décisions arbitrales en pareilles circonstances.

[39] Bref, le devoir du syndicat est de s’acquitter de son devoir de représentation de façon raisonnable, en tenant compte de tous les faits qui l’entourent, en enquêtant sur la situation, en pesant les intérêts contradictoires du fonctionnaire, en tirant des conclusions réfléchies quant aux résultats envisageables du grief, puis en informant le fonctionnaire de sa décision de donner suite ou non au grief.

[40] Après avoir pris connaissance de la preuve et de l’argumentation des paries, je suis d’avis compte tenu des principes énumérés ci-dessus, que la plainte de représentation inéquitable doit être rejetée pour les motifs suivants.

[41] Le plaignant allègue que le syndicat a manqué à son devoir de représentation équitable sous quatre chefs :

1. Omission d’expliquer au plaignant les conséquences de ne pas contester la sanction disciplinaire du 5 février 2003;

2. Omission de contester l’iniquité de la démarche d’enquête et les conclusions d’une enquête interne tenue en novembre 2003;

3. Omission d’informer le plaignant qu’en plus d’un grief, il avait un recours administratif contre la décision de l’employeur de le rétrograder;

4. Omission de venir en aide au plaignant au moment de son expulsion forcée de l’établissement en mars 2007.

A. Omission d’expliquer au plaignant les conséquences de ne pas contester la sanction disciplinaire du 5 février 2003

[42] L’allégation du plaignant que le syndicat aurait omis de lui expliquer les conséquences de ne pas contester la sanction disciplinaire du 5 février 2003 ne correspond pas aux faits tels que révélés par la preuve. Dans son témoignage, le plaignant a admis qu’il a décidé d’accepter la sanction disciplinaire sans la contester en raison de son état d’anxiété à l’époque. Tel que le requiert le devoir de représentation équitable, Mme St-Georges a expliqué au plaignant les conséquences possibles de la sanction disciplinaire et le fait qu’il s’exposait à une rétrogradation ou à des mesures plus sévères en cas de récidive. Malgré cet avertissement, le plaignant a refusé de déposer un grief. Il n’y a aucune preuve voulant que le plaignant aurait demandé à Mme St-Georges de négocier les mesures administratives qui lui étaient imposées. Au contraire, il a témoigné qu’il croyait être en mesure de les satisfaire. Ce n’est qu’avec le recul qu’il a constaté qu’il avait pris une mauvaise décision. En raison de ces circonstances, l’omission de contester la sanction disciplinaire n’est pas attribuable à Mme St-Georges. Cette dernière a fait son devoir en accompagnant le plaignant à la rencontre disciplinaire. Elle lui a prodigué des conseils. Le plaignant a passé outre. Le plaignant doit assumer l’entière responsabilité pour sa décision d’accepter la sanction disciplinaire sans contestation. Il ne peut revenir en arrière sur cette décision.

B. Omission de contester l’iniquité de la démarche d’enquête et les conclusions d’une enquête interne tenue en novembre 2003

[43] Le plaignant allègue également que Mme St-Georges n’a pas contesté « énergiquement » les conclusions de l’enquête disciplinaire tenue en novembre 2003 qui a mené à la sanction disciplinaire du 11 décembre 2003 et de ne pas avoir soulevé l’iniquité de la démarche d’enquête.

[44] Mme St-Georges a d’abord obtenu que M. Lanoie ne fasse pas partie du comité d’enquête parce que l’enquête avait été déclenchée par sa note de service exprimant son insatisfaction quant au rendement du plaignant. Mme St-Georges a accompagné le plaignant lors de son entrevue avec les enquêteurs et, selon le rapport, elle est intervenue à plus d’une reprise. Selon le rapport du comité d’enquête, le plaignant a rencontré le comité le 18 novembre 2003. Pendant l’entrevue, Mme St-Georges a fait remarquer que la note de service du 24 octobre 2003 rédigée par M. Lanoie n’avait pas été partagée avec M. Ouellet. Suite à cette intervention, la note de service a été remise au plaignant le 20 novembre 2003. Le 21 novembre, un des membres du comité d’enquête a rencontré le plaignant pour linformer que le comité ne tiendrait compte que de l’information concernant l’incident du 23 octobre 2003 et non des autres faits allégués dans la note de service en question. Le plaignant s’est dit satisfait de ces précisions. Le plaignant ne peut maintenant dire qu’il a été pris par surprise ou qu’il n’avait pas toute l’information pertinente concernant l’enquête disciplinaire. Le rapport d’enquête a été émis le 27 novembre 2003, soit après la rencontre avec le plaignant pour apporter des précisions.

[45] Par ailleurs, le rapport d’enquête relève deux aveux importants de la part du plaignant :

[…]

Il [le plaignant] mentionne au comité qu’il n’était pas en mesure, sur un plan personnel, de faire une présentation adéquate.

[…] l’employé reconnaît volontairement qu’il n’a pas donné toute l’information existante et souligne que ce n’est pas par mauvaise volonté ni pour cacher de l’information.

[…]

Constatations

Considérant que M. Ouellet a admis sur une base volontaire qu’il n’a pas donné toutes les informations pertinentes lors de sa présentation au comité pavillonnaire du 23 octobre 2003 […] Le comité d’enquête n’a pas jugé pertinent de rencontrer d’autres personnes présentes, que le gérant d’unité M. Lanoie, lors de ce comité pavillonnaire du 23 octobre.

[…]

[Je souligne]

[46] Compte tenu de ce qui est rapporté par les enquêteurs, j’ai de la difficulté à comprendre comment le plaignant peut se plaindre de l’omission de Mme St‑Georges de contester les conclusions de l’enquête et de ne pas avoir soulevé l’iniquité de la démarche d’enquête. Le plaignant a admis son erreur. Les enquêteurs n’avaient pas à aller plus loin. Mme St-Georges n’avait rien à contester. Le comité d’enquête tient compte de l’incident du 23 octobre 2003, rien de plus, et conclut qu’il y a eu une faute grave de la part du plaignant. Le comportement du plaignant était d’autant plus grave qu’il avait déjà deux mesures disciplinaires actives dans son dossier, dont une aussi récente que le 5 février 2003. Le comité d’enquête a considéré qu’il y avait eu récidive en ce qui concerne une infraction de nature très grave, et que cette erreur pouvait avoir des conséquences graves. Le comité a recommandé une sanction disciplinaire et/ou administrative. Puisque les erreurs du plaignant dans le traitement de ses dossiers avaient une incidence sur le travail d’autres agents de libération conditionnelle, Mme St-Georges devait exercer son jugement par rapport aux conséquences sur tous les membres de l’unité qu’elle représentait, et non seulement le plaignant. En optant pour une stratégie de déposer deux griefs, elle s’acquittait pleinement de son devoir de représentation et on ne peut lui reprocher cette décision. Il n’y a aucune preuve qu’elle a agi de façon négligente ou qu’elle a mis les intérêts de l’employeur avant ceux du plaignant.

[47] Le rôle de la Commission n’est pas de juger de la légitimité de la sanction disciplinaire de l’employeur, mais bien de déterminer si le syndicat a rempli son devoir envers le plaignant pendant le processus disciplinaire. Mme St-Georges a fait tout ce qu’elle pouvait pour le plaignant, compte tenu de l’aveu de ce dernier d’avoir fait une erreur. Elle ne pouvait défendre l’indéfendable. Il est à noter que le grief contestant la sanction de 800 $ a fait l’objet d’un règlement à l’amiable et que le grief de rétrogradation a été renvoyé à l’arbitrage. À la suite de la décision de l’arbitre Tessier, Mme St-Georges a fait les arrangements pour que le plaignant puisse communiquer avec le procureur qui le représentait pour discuter des conséquences. Le plaignant n’a pas fait mention dans son témoignage qu’il s’était prévalu de cette possibilité. Je suis d’avis que le syndicat a traité le dossier du plaignant de façon sérieuse et a considéré tous ses éléments. Pour toutes ces raisons, cette allégation est injustifiée.

C. Omission d’informer le plaignant qu’en plus d’un grief, il avait un recours administratif contre la décision de l’employeur de le rétrograder

[48] Le plaignant reproche à Mme St-Georges d’avoir omis de l’informer qu’en plus d’un grief, il avait un autre recours administratif contre la décision de l’employeur de le rétrograder. En contre-interrogatoire, le plaignant a admis qu’après avoir pris connaissance de la décision de l’arbitre Tessier, il a préparé une plainte pour être déposée à la CFP mais qu’il ne l’a jamais envoyée parce qu’il croyait que les délais étaient expirés. Il n’a pas demandé conseil à Mme St-Georges; il a décidé de lui-même que les délais pour déposer une plainte étaient expirés. Bien que Mme St-Georges devait savoir que le plaignant avait un recours devant le tribunal de la CFP, le plaignant n’a pas permis à Mme St-Georges de corriger son erreur. Compte tenu que Mme St-Georges accompagnait le plaignant dans ses démarches depuis 1990, il me semble que le plaignant aurait dû lui faire suffisamment confiance pour lui parler de la possibilité de déposer une plainte devant la CFP. Elle aurait été en mesure d’intervenir, par exemple en faisant une demande d’extension des délais pour déposer une plainte, si les délais étaient effectivement expirés. La représentation du syndicat n’a pas à être parfaite, mais un plaignant doit collaborer avec le syndicat avant de se plaindre que la représentation a été moins qu’équitable. Compte tenu de ces circonstances, cette allégation du plaignant est injustifiée.

D. Omission de venir en aide au plaignant au moment de son expulsion forcée de l’établissement en 2007

[49] En mars 2007, le plaignant était affecté comme linger, un poste faisant partie du groupe GS, de l’unité de négociation qui relève également de l’Alliance de la fonction publique du Canada. La représentation de ce groupe d’employés ne relève pas de Mme St-Georges. Le plaignant n’a soumis aucune preuve qu’il avait demandé l’aide de son syndicat au moment de son expulsion et que cette aide lui avait été refusée. Par ailleurs, cette allégation ne fait pas partie de la plainte déposée devant la Commission le 13 avril 2007 et elle est donc sans objet. Cette allégation est rejetée.

[50] Dans la présente affaire le plaignant avait le fardeau d’établir que le syndicat avait manqué à son devoir de représentation équitable. Pour les motifs déjà exposés, le plaignant ne s’est pas acquitté de son fardeau de preuve. Le plaignant n’a pas pris les démarches nécessaires pour protéger ses propres intérêts. Il a refusé de déposer un grief. Il n’a pas collaboré en fournissant tous les renseignements nécessaires à la préparation de son dossier. Il n’a pas suivi les conseils du syndicat.

[51] Le syndicat a rempli son devoir de représentation équitable en s’impliquant dès le début dans le processus disciplinaire pour ce qui est des deux sanctions imposées au plaignant. Relativement aux griefs qui ont suivi la sanction disciplinaire du 11 novembre 2003, le syndicat a continué de s’impliquer tout au long de la procédure de règlement des griefs, jusqu’à sa conclusion définitive.

[52] Le plaignant n’a pas fait la preuve que le syndicat a agi dans un but illégitime ou a agi de façon discriminatoire. Le plaignant a eu droit au traitement individuel de son dossier et le syndicat a tenu compte des facteurs pertinents dans son analyse. Le grief qui n’a pas été réglé à l’amiable a été porté à l’arbitrage. Le plaignant ne s’est pas plaint de la qualité de la représentation à l’arbitrage. Le syndicat a été en mesure de justifier ce qu’il a fait de façon objective et raisonnable. Le plaignant n’a fait valoir aucun élément qui aurait justifié le fait que le syndicat fasse d’autres démarches que celles que le plaignant lui a demandé de faire en son nom.

[53] Je suis donc d’avis que le syndicat s’est acquitté de son devoir de représentation de façon raisonnable en tenant compte de tous les faits et des intérêts du plaignant.

[54] Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


 

[55] La plainte est rejetée.

Le 4 septembre 2009.

Michele A. Pineau,

vice-présidente

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.