Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée conteste la violation de l’article 45 (Réaffectation ou congé lié à la maternité) de la convention collective par l’employeur - dès la confirmation de sa grossesse, elle avait avisé l’employeur, qui lui avait trouvé une réaffectation - le certificat de son médecin indiquait qu’elle ne devait pas avoir de contact avec les détenus - cependant, deux détenus-nettoyeurs avaient accès aux deux lieux de travail de la fonctionnaire s’estimant lésée - il y a eu plusieurs incidents de contact entre elle et des détenus dans les semaines suivant sa réaffectation - son médecin l’a mise en arrêt de travail, indiquant que ses troubles de grossesse ont été précipités par des difficultés vécues au travail - il y a eu des discussions entre l’employeur et la fonctionnaire s’estimant lésée sur la question de sa réaffectation, mais il n’y a pas eu d’entente et l’employeur l’a avisée qu’elle serait en congé sans solde jusqu’à son accouchement, équivalant à une période de dix semaines - l’employeur n’a pas exercé son droit d’obtenir un certificat médical indépendant et n’a pas fait vérifier si la restriction sur l’interdiction de contact était justifiée - il ne pouvait donc pas se substituer à la preuve médicale existante et ne pas appliquer les dispositions de la convention collective - l’employeur avait l’obligation, dans la mesure du possible, de modifier les tâches de la fonctionnaire s’estimant lésée ou de la réaffecter, tout en respectant les conditions précisées dans son certificat médical - l’employeur considérait qu’il était difficilement réalisable de réaffecter la fonctionnaire s’estimant lésée de façon à éviter les activités ou conditions mentionnées dans la certificat médical - la fréquence des contacts entre la fonctionnaire s’estimant lésée et les détenus-nettoyeurs ouvrait droit à un congé payé en vertu de l’article 45.07 de la convention collective - l’employeur et la fonctionnaire s’estimant lésée n’ont pas réussi l’adaptation nécessaire malgré leur bonne volonté - l’employeur doit donc payer huit semaines de rémunération sur les dix semaines réclamées. Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-10-05
  • Dossier:  566-02-1260
  • Référence:  2009 CRTFP 122

Devant un arbitre de grief


ENTRE

DOMINIQUE TURMEL

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Turmel c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Roger Beaulieu, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Ariane Pelletier, Syndicat des agents correctionnels du Canada

Pour l'employeur:
Patricia Gravel, avocate

Affaire entendue à Québec (Québec),
le 19 et 20 novembre 2008 et le 6 janvier 2009

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Lors des événements à l’origine de son grief, Dominique Turmel, la fonctionnaire s’estimant lésée, occupait le poste d’agente correctionnelle à l’établissement de Donnacona, au Québec, du Service correctionnel du Canada (SCC).

2 L’établissement de Donnacona est un pénitencier à sécurité maximale, qui abrite les détenus les plus dangereux et qui ont été condamnés pour les crimes les plus sérieux du Code criminel du Canada.

3 Lors du dépôt de son grief en février 2007, Mme Turmel est enceinte; elle conteste la violation des articles 45 et suivants de la convention collective, elle allègue le non-respect de son certificat médical et elle réclame toute perte de salaire occasionnée par le non-respect de la convention collective en vigueur.

4 L’enjeu financier dans la présente affaire représente environ 10 semaines de salaire en plus des avantages sociaux applicables à la période en question entre le 30 janvier 2007 (date à laquelle Mme Turmel a été déclarée en congé sans solde) jusqu’au 12 avril 2007 (date de son accouchement).

5 Un autre enjeu en cause est l’examen et l’application des dispositions de l’article 132 du Code canadien du travail (CCT).

6 Je note aussi, afin de cerner l’ensemble de ce dossier que Mme Turmel a déposé une réclamation à la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec (CSST) le 28 novembre 2006, en alléguant le harcèlement psychologique de la part de sa gestionnaire Chantale Fortier. La réclamation a été produite en preuve par l’employeur lors du contre-interrogatoire de Mme Turmel (pièce E-1).

7 Au moment de l’audition du grief la décision finale visant la plainte de harcèlement devant la CSST n’était pas encore connue parce qu’elle était toujours devant la Commission des lésions professionnelles.

8 Par ailleurs, ni l’une ni l’autre des parties n’a fait mention de la plainte d’harcèlement dans leur argumentation lors de l’audience; alors je n’en tiendrai donc pas compte dans ma décision.

II. Résumé de la preuve

A. Pour Mme Turmel

9 L’article 45 de la convention collective se lit comme suit :

ARTICLE 45
RÉAFFECTATION OU CONGÉ LIÉS À LA MATERNITÉ

45.01 L'employée enceinte ou allaitant un enfant peut, pendant la période qui va du début de la grossesse à la fin de la vingt-quatrième (24e) semaine qui suit l'accouchement, demander à l'Employeur de modifier ses tâches ou de la réaffecter à un autre poste si, en raison de sa grossesse ou de l'allaitement, la poursuite de ses activités professionnelles courantes peut constituer un risque pour sa santé, celle du fœtus ou celle de l'enfant.

45.02 La demande dont il est question au paragraphe 45.01 est accompagnée d'un certificat médical ou est suivie d'un certificat médical aussitôt que possible faisant état de la durée prévue du risque possible et des activités ou conditions à éviter pour l'éliminer. Selon les circonstances particulières de la demande, l'Employeur peut obtenir un avis médical indépendant.

45.03 L'employée peut poursuivre ses activités professionnelles courantes pendant que l'Employeur étudie sa demande; toutefois, si le risque que représentent ses activités professionnelles l'exige, l'employée a droit de se faire attribuer d'autres tâches jusqu'à ce que l'Employeur :

a) modifie ses tâches ou la réaffecte,

ou

b) l'informe par écrit qu'il est difficilement réalisable de prendre de telles mesures.

45.04 L'Employeur, dans la mesure du possible, modifie les tâches de l'employée ou la réaffecte.

45.05 Lorsque l'Employeur conclut qu'il est difficilement réalisable de modifier les tâches de l'employée ou de la réaffecter de façon à éviter les activités ou les conditions mentionnées dans le certificat médical, l'Employeur en informe l'employée par écrit et lui octroie un congé non payé pendant la période mentionnée au certificat médical. Toutefois, ce congé doit se terminer au plus tard vingt-quatre (24) semaines après la naissance.

45.06 Sauf exception valable, l'employée qui bénéficie d'une modification des tâches, d'une réaffectation ou d'un congé est tenue de remettre un préavis écrit d'au moins deux (2) semaines à l'Employeur de tout changement de la durée prévue du risque ou de l'incapacité que mentionne le certificat médical d'origine. Ce préavis doit être accompagné d'un nouveau certificat médical.

45.07 Nonobstant le paragraphe 45.05, dans le cas d'une employée qui travaille dans un établissement où elle a un contact direct et régulier avec les détenus, lorsque l'Employeur conclut qu'il est difficilement réalisable de modifier les tâches de l'employée ou de la réaffecter de façon à éviter les activités ou les conditions mentionnées dans le certificat médical, l'Employeur en informe l'employée par écrit et lui octroie un congé payé pendant la période du risque mentionnée au certificat médical. Toutefois, ce congé doit se terminer au plus tard à la date du début du congé de maternité non payé ou à la date de fin de la grossesse, selon la première de ces éventualités.

45.08 Une employée qui revient au travail à la fin de son congé de maternité ou de son congé parental peut demander de bénéficier d'une semaine de travail réduite se terminant au plus tard douze (12) mois après la fin de la période de congé de maternité ou de congé parental sans solde prévu aux paragraphes 30.03 et 30.06.

Pour la durée [sic] cette période, les avantages sociaux de l'employée sont régis par l'article 35, Employé-e-s à temps partiel.

Afin que l'employée puisse bénéficier d'une semaine de travail réduite, l'Employeur, l'employée et le Syndicat doivent convenir d'une entente écrite à cet effet. L'employée peut mettre fin à cette entente en tout temps sur un avis de trente (30) jours. À la fin de l'entente, l'employée reprend son poste ou un poste équivalent au poste d'attache qu'elle occupait au moment de son départ.

10 L’article 132 du CCT se lit comme suit :

Employées enceintes ou allaitantes

Cessation des tâches

132.(1) Sans préjudice des droits conférés par l’article 128 et sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employée enceinte ou allaitant un enfant peut cesser d’exercer ses fonctions courantes si elle croit que la poursuite de tout ou partie de celles-ci peut, en raison de sa grossesse ou de l’allaitement, constituer un risque pour sa santé ou celle du fœtus ou de l’enfant. Une fois qu’il est informé de la cessation, et avec le consentement de l’employée, l’employeur en informe le comité local ou le représentant.

Consultation d’un médecin

(2) L’employée doit, dans les meilleurs délais, faire établir l’existence du risque par le médecin — au sens de l’article 166 — de son choix.

Disposition non applicable

(3) Sans préjudice des droits prévus par les autres dispositions de la présente loi, les dispositions de toute convention collective ou de tout autre accord ou les conditions d’emploi applicables, l’employée ne peut plus se prévaloir du paragraphe (1) dès lors que le médecin en vient à une décision concernant l’existence ou l’absence du risque.

Réaffectation

(4) Pendant la période où l’employée se prévaut du paragraphe (1), l’employeur peut, en consultation avec l’employée, affecter celle-ci à un autre poste ne présentant pas le risque mentionné à ce paragraphe.

Statut de l’employée

(5) Qu’elle ait ou non été affectée à un autre poste, l’employée est, pendant cette période, réputée continuer à occuper son poste et à en exercer les fonctions, et continue de recevoir le salaire et de bénéficier des avantages qui y sont rattachés.

L.R. (1985), ch. L-2, art. 132; L.R. (1985), ch. 9 (1er suppl.), art. 4; 2000, ch. 20, art. 10

11 Dès la confirmation de sa grossesse Mme Turmel a avisé les représentants de l’employeur le 19 août 2006, le tout selon la procédure normale en vigueur à Donnacona.

12 L’avis de grossesse à l’employeur a aussi donné lieu à une discussion avec Josée Tremblay, directrice des relations de travail et aussi responsable de la relocalisation à Donnacona.

13 Dès qu’elle a eu connaissance de la grossesse de Mme Turmel, Mme Tremblay a eu des discussions préliminaires avec Mme Turmel et lui a indiqué les différentes possibilités de réaffections, y compris le secteur de l’administration au deuxième étage ainsi qu’une deuxième possibilité à l’administration préventive.

14 Finalement, sa réaffectation, à l’administration au deuxième étage avec possibilité d’être aussi affectée à la section préventive dans le même secteur mais à un autre étage, a été confirmée vers le 10 octobre 2006.

15 À l’administration au deuxième étage, Mme Turmel travaillait sous l’autorité de Mme Fortier, tandis qu’à la préventive, elle travaillait sous l’autorité de M. Chicoine, coordonnateur aux opérations correctionnelles.

16 Entre temps, Mme Turmel s’est présentée chez son médecin traitant, le Dr Jean-Marie Auger, qui était aussi son médecin traitant lors de son premier accouchement et qui connaissait bien, non seulement sa patiente, mais aussi l’établissement à sécurité maximale du SCC à Donnacona.

17 Le Dr Auger, du centre médical de Donnacona, a reconfirmé le 13 octobre 2006, la grossesse de Mme Turmel et a recommandé dans son certificat, une réaffectation à partir du 16 octobre 2006, à un poste qui répond aux conditions précisées dont la liste a été déposée en preuve (pièce U-2). Le certificat médical se lit comme suit :

[…]

Madame Turmel est enceinte de 11 semaines avec une date prévue d’accouchement le 30 avril 2007.

Suite à mon évaluation médicale, je recommande, a partir du 16 octobre 2006, une réaffectation à son travail à un poste où l’on retrouve les conditions suivantes :

Ø Aucun contact avec les détenus ;

Ø Aucun contact avec les visiteurs et leurs enfants ;

Ø Possibilité de changer de position a son gré sans postures contraignantes,

Ø Possibilité de sortir de son bureau en tout temps ;

Ø Pas de soulèvements répétés de charges et, si occasionnels, pas de soulèvements de plus de 10 kg à la fois ;

Ø Pas de flexions, extensions ou rotation répétées du tronc ;

Ø Pas de cadence imposée et rapide du travail ;

Ø Pas de manipulation d’arme à feu et de gaz lacrymogène ;

Ø Pas de contact visuel avec des scènes de violence ;

Ø Maximum de 8 heures par jour (de jour ou de soir) ;

Ø Maximum de 5 jours de travail consécutifs ;

Ø Congé de 2 jours minimum après 5 jours de travail ;

Ø Minimum de 30 minutes pour le repas ;

Ø Une pause d’au moins 15 minutes par ½ journée de travail.

Je suis disponible au besoin pour toute demande d’informations ou de précisions jugées utiles.

Veuillez agréer, madame, monsieur, mes sincères salutations.

[…]

18 Mme Fortier a aussi répété la consigne (voir paragraphe 21 ci-dessous) à suivre à Mme Turmel et cette dernière a commencé sa réaffectation à la section préventive le 17 octobre 2006.

19 Lorsque Mme Turmel a commencé sa réaffectation, elle n’avait reçu aucune description de tâches. Elle a donc demandé à sa déléguée syndicale, Annie Perreault, de vérifier et de régler cette lacune. Mme Perreault était agente correctionnelle et occupait la fonction de déléguée à la condition féminine pour les femmes enceintes au sein de l’établissement de Donnacona. C’était elle qui discutait avec l’employeur des modalités des conditions de travail que vivaient les employées enceintes.

20 Mme Turmel a été informée par Mme Tremblay, ce qui lui a ensuite été répété par Mme Fortier, que les seuls détenus qui pouvaient avoir accès aux deux lieux de travail de Mme Turmel selon un horaire précis qui était connu et affiché (pièce U-3) étaient les détenus-nettoyeurs. Mme Turmel a reçu le 23 octobre 2006 une copie de l’horaire des détenus-nettoyeurs, qui se lit comme suit :

[…]

Bien vouloir prendre note de l’horaire des détenus nettoyeurs de l’administration,

Détenu P., […], son horaire se lit comme suit :

8h30 à 9h30 tous les matins (pause de 9h30 à 9h45 –autorisé à aller dehors)

9h45 : retour en cellule

13h00 à 14h00 tous les après-midi (pause de 14h00 à 14h15-autorisé à aller dehors

14h15 : retour en cellule

Quant au détenu C., […], son horaire se lit comme suit :

Ø Heure arrivée A.M.           8H30

Ø Pause A.M.                       9H30 à 9H45
autorisé à aller dehors

Ø Retour en cellule :             10H45

Ø Heure Arrivée P.M.           13H00

Ø Pause P.M.                       14H à 14H15
autorisé à aller dehors

Ø Retour en cellule :             14h30 (détenu de la sécurité)

Il est primordial que cet horaire soit suivi à cause de la présence d’une personne enceinte dans notre secteur. Suite à cette restriction, le détenu C. n’est pas autorisé à monter à l’administration à moins d’avoir eu la permission du bureau opérationnel ou du contrôle B.

Advenant que vous constatiez que cet horaire n’est pas respecté, bien vouloir intervenir auprès des détenus et m’informer au poste 2126 où informer madame Chantal Fortier CAGM au poste 2120.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[Le nom des détenus-nettoyeurs ont été changés pour raison de confidentialité]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

21 La consigne donnée à Mme Turmel, et qui lui a été expliquée verbalement par Mme Tremblay et ensuite verbalement par Mme Fortier, était la suivante : lors du travail du détenu-nettoyeur aux heures prévues, Mme Turmel devait rester à l’intérieur de son bureau et en garder la porte fermée. Si elle souhaitait, ou devait sortir pour quelle que raison que ce soit, elle devait aviser par téléphone Mme Girard, responsable du détenu-nettoyeur, afin que cette dernière fasse sortir le détenu-nettoyeur temporairement du lieu de travail pour permettre à Mme Turmel d’aller où elle devrait se rendre au besoin : le but était d’éviter tout contact avec le détenu-nettoyeur.

22 Un premier contact (à l’encontre du certificat médical, voir paragraphe 17) a eu lieu entre Mme Turmel et un détenu-nettoyeur le 19 octobre 2006, deux jours après le début de sa réaffectation. D’ailleurs, entre le 19 octobre et le 23 novembre 2006, au total six incidents du genre se sont produits.

23 Je ferai l’analyse de chacun de ces contacts plus loin dans la décision.

24 Selon le témoignage de Mme Turmel, à la suite du premier contact entre elle et le détenu-nettoyeur, une conversation entre elle et Mme Fortier a eu lieu. Au cours de la conversation, Mme Fortier lui aurait demandé si elle avait peur des détenus et Mme Turmel aurait répondu : « Cela ne doit pas arriver parce qu’il ne doit pas y avoir aucun contact. »

25 Toujours selon son témoignage, après le premier incident, Mme Girard lui a rappelé qu’elle ne devait pas présumer que le détenu-nettoyeur avait quitté son lieu de travail à l’heure précise, et qu’elle devait appeler Mme Girard avant de quitter son bureau lorsqu’elle savait que, selon l’horaire, le détenu-nettoyeur avait déjà commencé à travailler dans sa section.

26 Toujours selon son témoignage, après le premier incident/contact, Mme Turmel a informé Mme Perreault des circonstances de cet incident.

27 Lors du deuxième incident/contact, le 24 octobre 2006, cette fois-ci, pour la première fois à la section administration au deuxième étage, le contact avec Mme Turmel a eu lieu après l’heure où, selon l’horaire, le détenu-nettoyeur était censé avoir quitté le corridor entre le bureau de Mme Turmel et les toilettes. Mme Girard, la personne responsable du détenu à cet endroit, a été témoin de ce contact.

28 La réaction de Mme Girard à ce contact à l’endroit de Mme Turmel était « qu’elle ne doit pas présumer que le détenu est parti du lieu de travail de Mme Turmel mais que cette dernière doit appeler Mme Girard avant de quitter son bureau lorsque le détenu a commencé son travail à 8h30 ».

29 Selon le syndicat, à l’époque du premier accouchement de Mme Turmel, la pratique à Donnacona était que la surveillante escortait le détenu-nettoyeur à l’extérieur du lieu de travail de la femme enceinte, après son quart de travail, contrairement à ce qui se passait à sa deuxième grossesse.

30 Le troisième contact a eu lieu le 26 octobre 2006 à la salle de l’informatique et l’argument du syndicat est que malgré la consigne prévoyant que Mme Turmel travaillerait dans un bureau fermé, on ne fermait pas la porte de la salle de l’informatique en raison de la circulation de plusieurs employés qui avaient à faire dans ce secteur.

31 Le quatrième contact a eu lieu le 27 octobre 2006 au bureau général de l’administration au deuxième étage, en présence de Mme Girard et de Mme Fortier, sa superviseure. Lors de ce contact, le détenu P est entré dans le bureau général, sans frapper. Ce jour là, Mme Turmel avait été prêtée au secteur du bureau général pour remplacer la téléphoniste absente. C’est Mme Girard qui a demandé au détenu-nettoyeur P de sortir du bureau général. Le même jour, vers la fin de l’après-midi, Mme Turmel a eu une discussion avec Mme Fortier sur ses états d’âmes à la suite du contact qui avait eu lieu ce jour-là et Mme Fortier lui a alors répété la consigne et lui a dit « C’est à toi de te responsabiliser et de gérer ton stress auprès des détenus. T’es trop rigide. »

32 À la suite de l’un des contacts survenus entre Mme Turmel et un détenu-nettoyeur dont Mme Fortier avait été témoin, le commentaire de Mme Fortier, selon le témoignage de Mme Turmel, a été le suivant : « C’est à toi de te responsabiliser et de gérer ton stress auprès des détenus. Tu es trop rigide. »

33 Le 13 novembre 2006, Mme Turmel a rencontré Mme Tremblay, tout a fait par hasard, pendant une séance de magasinage, et elle lui a fait part brièvement de l’inconfort et du dérangement qu’elle ressentait à chaque fois qu’un contact avait lieu avec un détenu-nettoyeur, et qu’elle ne se sentait pas en sécurité au travail. Mme Turmel lui avait aussi mentionné à cette occasion qu’elle en avait parlé à son patron, Mme Fortier, et que cette dernière ne voulait rien faire pour changer la situation. Toujours lors de cette rencontre au magasin, Mme Turmel aurait dit à Mme Tremblay que ces contacts contrevenaient aux conditions énoncées dans son certificat médical.

34 Le cinquième contact a eu lieu le 14 novembre 2006 encore une fois à la préventive. Selon le syndicat, il s’agit d’une nouvelle preuve que l’employeur n’a pas suffisamment sécurisé le lieu de travail de Mme Turmel et qu’il y a un manque de communication et de coordination efficace, de la part de l’employeur, entre les différents secteurs où Mme Turmel est réaffectée.

35 D’autres discussions ont eu lieu entre Mme Turmel et Mme Fortier au cours de la semaine du 20 novembre 2006, au sujet de contacts avec les détenus-nettoyeurs, mais Mme Fortier maintenait sa position, et Mme Turmel lui a mentionné que chaque contact la bouleversait.

36 Le 22 novembre 2006, Mme Turmel, accompagnée de Mme Perreault, a eu une rencontre avec Mme Fortier. L’objectif de la rencontre était de demander à l’employeur de respecter le certificat médical de Mme Turmel au travail.

37 Lors de cette rencontre du 22 novembre 2006, Mme Turmel a expliqué les nombreux contacts qui s’étaient produits avec les détenus-nettoyeurs et a répété qu’elle était profondément bouleversée à chacune des occasions. Mme Fortier a répété à Mme Turmel qu’elle devait contrôler ses émotions et sa crainte.

38 La conclusion de la rencontre du 22 novembre 2006 a été la suivante :

  • que Mme Tremblay n’était plus responsable de Mme Turmel et que Mme Fortier en était seule responsable;
  • le seul lieu de travail de Mme Turmel serait à l’administration au deuxième étage;
  • Mme Turmel devait faire les appels téléphoniques si elle voulait sortir de son bureau lorsque le détenu-nettoyeur se trouvait dans sa section;
  • selon l’employeur, il n’était pas nécessaire d’avoir une entente écrite quant à la procédure à suivre, même si le syndicat insistait pour que tout soit enregistré ou écrit.

39 Le lendemain, le 23 novembre 2006, lors de son arrivée au travail, un autre contact, le sixième, a eu lieu entre Mme Turmel et un détenu à la poterne de l’établissement. À la suite de cet incident, Mme Turmel a demandé une autre rencontre avec Mme Fortier, laquelle rencontre a eu lieu le même jour.

40 Lors de cette rencontre, Mme Fortier a laissé savoir à Mme Turmel qu’elle n’était pas contente d’avoir à parler de nouveau de ce dossier et que ce dossier lui pesait lourd.

41 Le 24 novembre 2006, Mme Turmel a informé Mme Fortier qu’elle se rendait à l’hôpital à Québec parce qu’elle perdait du sang et qu’elle craignait pour son bébé. Elle a rencontré le docteur C. Godin qui lui a délivré une attestation médicale et lui a prescrit un arrêt de travail, du 24 novembre au 2 décembre 2006, en précisant qu’elle devait voir son médecin traitant avant son retour au travail; le tout a été produit en preuve à la pièce U-4(a).

42 Le diagnostic du Dr Godin relaté à la pièce U-4(a) indique : « […] trouble de la grossesse (contraction prématuré, perte ultérienne, épuisement) précipité par difficulté vécus au travail. Arrêt de travail pour une semaine, a réévalué le 2 décembre 2006 par M.D. traitant » [sic pour l’ensemble de la citation].

43 Le 28 novembre 2006, Mme Turmel a déposé une réclamation à la CSST en invoquant le harcèlement psychologique de la gestionnaire Mme Fortier, dans le contexte de la réaffectation de poste en raison de sa grossesse. De plus, Mme Turmel a communiqué immédiatement avec l’employeur pour bénéficier du programme d’aide aux employés pour suivi psychologique.

44 Le 29 janvier 2007, une dernière rencontre a eu lieu pour discuter de la réaffectation de Mme Turmel. Celle-ci était présente ainsi que Mme Perreault, Mme Tremblay (nouvellement promue au poste de directrice adjointe de la Sécurité et de la gestion, DASG), Lynn Lachance, service administratif, et Yves Caron du programme d’aide aux employés.

45 L’employeur a proposé deux choix de poste à Mme Turmel : le même poste à l’administration au deuxième étage, mais avec un nouveau superviseur, Mme Lachance, ou encore le même poste, mais de soir.

46 Mme Turmel a plutôt proposé le télétravail à partir de son domicile ou dans d’autres bureaux du SCC dans la région, où il n’y aurait aucun contact avec des détenus.

47 L’employeur a rejeté les deux solutions proposées par Mme Turmel.

48 Mme Turmel a répliqué en demandant d’aménager, si possible, un local dans le magasin existant sur le terrain de l’établissement à Donnacona situé à quelques centaines de pieds des bâtiments principaux. Cette proposition a aussi été refusée par l’employeur.

49 L’employeur a par conséquent avisé Mme Turmel qu’elle serait en congé sans solde à compter du 30 janvier 2007.

50 Le congé sans solde s’est poursuivi jusqu’à l’accouchement de Mme Turmel le 12 avril 2007.

51 Le congé sans solde imposé à Mme Turmel est l’élément central à l’origine de la présente affaire.

52 En contre-interrogatoire, Mme Turmel a indiqué que lors de sa première grossesse, elle avait été réaffectée à la section de la voûte à Donnacona et qu’elle aurait accepté d’y retourner cette fois-ci mais que cette solution ne lui avait pas été proposée.

53 Nous avons aussi appris en contre-interrogatoire que le conjoint de Mme Turmel était aussi un agent correctionnel à Donnacona et que ce fait était l’un des motifs du refus de la demande de pouvoir travailler à partir du domicile (motifs de confidentialité de l’information ayant trait aux détenus).

54 Toujours dans la preuve de Mme Turmel, nous avons appris que le témoin, Annie Perreault, était non seulement une agente correctionnelle, qu’elle faisait partie de l’exécutif syndical, qu’elle était la déléguée à la condition féminine et la personne-ressource pour les femmes enceintes à l’établissement de Donnacona. De plus elle était une interlocutrice des femmes enceintes auprès de l’employeur, mais sa préoccupation principale envers les femmes enceintes était de connaître les conditions énoncées dans les certificats médicaux de chaque employée enceinte et de s’assurer du respect de ces conditions par l’employeur lors des réaffectations.

55 En raison de ses différentes responsabilités, Mme Perreault connaissait tous les lieux de réaffectation possibles à Donnacona. Lorsqu’elle a appris qu’un des postes proposés à Mme Turmel était à la préventive, elle était sceptique en raison du contact possible avec les détenus-nettoyeurs à cet endroit.

56 Mme Perreault était la seule employée à Donnacona ayant une responsabilité précise envers les femmes enceintes. De plus, elle connaissait les risques liés aux détenus violents dans un établissement à sécurité maximale et aux nombre élevé de détenus connus ayant des problèmes de drogues ou des problèmes médicaux associés au VIH ou à différentes formes d’hépatite.

57 À la suite du premier contact entre Mme Turmel et le détenu-nettoyeur au cours de sa première semaine de réaffectation, Mme Perreault a eu un entretien avec M. Chicoine, le responsable de la préventive. Ce dernier ne voulait rien changer aux façons de faire parce qu’il voulait maintenir la libre circulation au sein de son service en plus du fait qu’il avait confiance en son détenu-nettoyeur, tel qu’il est mentionné dans le document envoyé à M. Chicoine par Mme Perreault (pièce U-6). Selon son témoignage, Mme Perreault n’a jamais reçu de réponse à son courriel, pièce U-6.

58 L’élément crucial pour Mme Perreault, c’est que Mme Turmel n’ait jamais de contact avec un détenu au travail, en conformité avec le certificat médical de son médecin.

B. Pour l’employeur

59 Mme Tremblay est le seul témoin de l’employeur. Elle a débuté sa carrière au SCC en 1992 comme agente correctionnelle et a gravi les échelons jusqu’au poste de directeur-intérimaire de secteur à Trois-Rivières et Lanaudière. Elle est responsable des relations de travail et des détenus à Donnacona et compte 125 personnes sous son autorité. Elle connaît Mme Turmel et était responsable d’elle depuis 2006. Elle a été avisée de la deuxième grossesse de Mme Turmel dès le début.

60 Selon son témoignage, à la suite d’une discussion avec Mme Turmel, Mme Tremblay souhaitait trouver une réaffectation à l’établissement de Donnacona qui serait la plus intéressante et stimulante possible sur le plan intellectuel.

61 Ainsi, au moment de la recherche du meilleur poste possible pour une femme enceinte, elle a écarté une réaffectation possible dans le secteur du magasin à cause des vapeurs de CO² qui pourrait être nuisible à la santé de Mme Turmel. De même, une réaffectation au secteur de la voute a été écartée parce que ce n’était pas assez stimulant.

62 Mme Tremblay a arrêté son choix sur la section administration au deuxième étage, parce qu’à l’automne on y est très occupé et le travail y est plus varié.

63 Un autre secteur envisageable était celui de la sécurité préventive qui était au premier étage de la section administration. Le poste y serait ponctuel, car les besoins n’y étaient pas réguliers.

64 Avant de prendre un congé de maladie qui a duré environ un mois, de la mi-octobre à la mi-novembre 2006, Mme Tremblay s’est assuré que les consignes de travail ainsi que la personne responsable de Mme Turmel, Mme Fortier, de même que les personnes responsables des détenus-nettoyeurs étaient bien connues de Mme Turmel.

65 Il était clair que Mme Girard était responsable du détenu-nettoyeur au deuxième étage, à l’administration, que M. Chicoine était responsable du détenu-nettoyeur de la préventive et que, dans les deux cas, l’horaire des détenus-nettoyeurs serait transmis par écrit à toutes les personnes concernées, ce qui s’est finalement produit. L’horaire a été affiché le 21 octobre 2006 à la préventive ; quant à l’horaire du détenu-nettoyeur du deuxième étage à l’administration, selon la preuve, Mme Fortier ne l’a fait parvenir à Mme Turmel que le 23 octobre 2006.

66 Les consignes de travail adressées à Mme Turmel lui on été expliquées par Mme Tremblay avant qu’elle parte en congé de maladie, mais aussi par Mme Fortier, lors de la première journée de travail de Mme Turmel à l’administration au deuxième étage.

67 La consigne à Mme Turmel était simple, soit de s’assurer que lorsque le détenu-nettoyeur se trouvait sur les lieux de travail, elle devait rester dans son bureau (son lieu de travail) avec la porte fermée pendant la durée du travail de nettoyage dans le secteur de Mme Turmel. Mme Turmel devait utiliser, si nécessaire, son téléphone de bureau pour appeler Mme Girard ou une autre personne si elle devait, par exemple, aller aux toilettes ou quitter son bureau d’urgence pendant l’heure de travail du détenu-nettoyeur, et ce, afin d’éviter les contacts entre Mme Turmel et le détenu-nettoyeur, en conformité avec son certificat médical.

68 Non seulement la consigne était simple et facile à suivre mais j’ai ressenti dans le témoignage de Mme Tremblay un réel intérêt pour le bien-être de Mme Turmel.

69 Cette dernière impression se reflète dans le témoignage de Mme Tremblay, selon lequel le SCC essaie d’améliorer l’environnement de travail des femmes enceintes. Ainsi, elle a expliqué qu’il y a quelques années, les femmes enceintes au SCC travaillaient même dans les secteurs des prisons où il y avait le port d’armes, mais que cette pratique avait cessée.

70 Lorsqu’elle est retournée au travail le 14 novembre 2006, après son congé de maladie, Mme Tremblay n’était pas au courant des différents contacts qu’il y avait eus avec des détenus-nettoyeurs, sauf pour la brève discussion qu’elle avait eue dans un magasin avec Mme Turmel, le 13 novembre.

71 À la suite d’une série de contacts (six au total), Mme Turmel a été en congé de maladie avec certificat médical, du 24 novembre 2006 au 24 janvier 2007.

72 Le 29 janvier, Mme Tremblay a rencontré Mme Turmel une dernière fois pour lui soumettre les deux possibilités de réaffectation mentionnées ci-dessus au paragraphe 45. Mme Turmel a rejeté ces deux possibilités parce que, selon elle, les deux ne respectaient pas les dispositions de l’article 45 de la convention collective en vigueur ni les conditions fixées par son médecin traitant.

73 Finalement, lors de son témoignage en contre-interrogatoire, Mme Tremblay a dit que les deux seuls postes qu’on pouvait offrir à Mme Turmel en réaffectation correspondaient en fait au même poste, soit de jour ou soit de soir, d’abord parce qu’il fallait que les seules possibilités de réaffectation soient à un endroit où le travail était productif et où un poste était vacant.

74 En dernier lieu, Mme Tremblay nous a appris que les détenus-nettoyeurs avaient fait l’objet d’une évaluation de risque. Je reviendrai sur ce point dans mes motifs de décision.

75 L’avocate de l’employeur conclut en disant que je dois porter une inférence négative sur la crédibilité du témoignage de Mme Turmel parce qu’elle a lu une partie de son témoignage de ses notes manuscrite.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour Mme Turmel

76 Après la présentation d’un bref résumé des faits déjà relatés ci-dessus, Mme Turmel allègue qu’il n’y a pas eu de rencontre avant le début de la réaffectation afin de s’assurer de la bonne compréhension des modalités de la réaffectation.

77 Selon le syndicat, cette lacune a mené à un manque de surveillance des détenus-nettoyeurs de la part de l’employeur lorsque les détenus-nettoyeurs circulaient aux endroits où Mme Turmel était réaffectée.

78 Le syndicat allègue que ce manque de surveillance des détenus-nettoyeurs de la part de l’employeur indique un manque de sérieux dans le contrôle des déplacements de ces quelques détenus, et même qu’il s’agit de négligence après les six contacts qui ont eu lieu.

79 Après le premier incident/contact du 19 octobre à la sécurité préventive au premier étage, Mme Turmel en a parlé à Mme Fortier même si cette dernière n’était pas responsable de la section en question.

80 La réplique de Mme Fortier était que Mme Turmel était trop rigide et qu’elle devait gérer son stress.

81 Compte tenu des contacts qui ont eu lieu les 19, 24, 26 et 27 octobre 2006, le syndicat prétend qu’il n’y a pas de surveillance adéquate des détenus-nettoyeurs, sinon ces contacts n’auraient pas eu lieu.

82  Le syndicat répète qu’il ne doit y avoir aucun contact entre Mme Turmel et les détenus-nettoyeurs ou d’autres détenus parce que ceci est contraire au certificat médical. Après ce contact, Mme Turmel a demandé que la consigne soit mise par écrit, ce qui a été refusé.

83 D’après le syndicat, même après cinq contacts, Mme Turmel souhaitait toujours continuer à travailler malgré les manquements à sa sécurité et malgré le non-respect de son certificat médical.

84 Lorsque Mme Fortier l’a convoquée à une rencontre le 22 novembre 2006, Mme Turmel s’est présentée avec sa représentante syndicale, Mme Perreault. Mme Tremblay était aussi présente à la rencontre. Selon le syndicat, M. Chicoine, de la préventive, n’a malheureusement pas assisté à cette rencontre malgré le fait que deux des cinq contacts s’étaient passés dans son service.

85 À propos de ce dernier fait, le syndicat allègue de nouveau que chez l’employeur, il n’y a pas de communication efficace entre les différents services où Mme Turmel est réaffectée.

86 Finalement, le syndicat conclut que, lors de cette rencontre du 22 novembre, l’employeur n’a apporté aucun correctif ni en ce qui a trait à la sécurité et à la santé de Mme Turmel et de son fœtus, ni en ce qui a trait aux manquements à l’égard de son certificat médical.

87 Le lendemain matin, le 23 novembre 2006, le sixième contact a eu lieu à l’entrée principale, soit à la poterne de l’établissement. Cette fois-là, il s’agissait d’un contact avec un détenu escorté.

88 La dernière rencontre d’importance a eu lieu le 29 janvier 2007. Lors de cette rencontre, l’employeur a proposé à Mme Turmel les deux possibilités de réaffectation qui ont déjà été mentionnées ci-dessus et que Mme Turmel a rejetées. À la suite de ce refus, Mme Turmel a été placée en congé sans solde à compter du 30 janvier 2007.

89 Toujours dans l’argumentation de Mme Turmel, les points suivants, que j’examinerai dans les motifs de ma décision, ont été soulevés :

  • Détenus-nettoyeurs « en protection » : Ce qui ressort de cet argument c’est que même si les deux détenus-nettoyeurs ont fait l’objet d’une évaluation de risque à l’interne, il reste que ce sont des détenus condamnés pour des infractions graves et qu’en date de l’audition de la présente affaire, on ne connaissait ni la nature de leurs offenses, ni leurs chances de récidive, ni rien d’autre, par exemple leur état de santé (sont-ils porteurs d’une maladie, telle que l’hépatite ou une autre maladie contagieuse?)
  • Clause 45.02 de la convention collective : L’employeur n’a pas obtenu un avis médical indépendant. Par conséquent, l’employeur ne peut, par l’entremise de ses gestionnaires non médicaux, modifier les conditions fixées par le médecin traitant de Mme Turmel. N’ayant pas obtenu un avis médical indépendant, l’employeur, selon le syndicat, doit respecter à la lettre, le certificat médical au dossier qui se trouve devant l’arbitre.
  • Selon la clause 45.03 (b) de la convention collective, après six contacts, l’employeur aurait dû aviser Mme Turmel c’est-à-dire qu’il aurait dû l’informer par écrit qu’il était difficilement réalisable de la réaffecter, tout en respectant son certificat médical.

90 Selon le syndicat, l’employeur n’a pas présenté des conditions sécuritaires et n’a pas été en mesure de respecter le certificat médical de Mme Turmel. Celle-ci aurait donc dû bénéficier des dispositions de la clause 45.07 de la convention collective, et recevoir 10 semaines de salaire en plus des ajustements ayant trait aux avantages applicables à ces 10 semaines.

91 Toujours selon le syndicat, le fait que Mme Turmel se fasse dire par des gestionnaires « de gérer [son] stress » et de « ne pas être rigide » revient à se substituer au médecin de Mme Turmel. L’employeur aurait pu demander une opinion médicale indépendante, mais il ne l’a pas fait.

92 Aussi, selon l’argument de l’accommodement invoqué, à la pièce U-7, si l’employeur ne pouvait pas offrir une réaffectation acceptable, il avait l’obligation de la mettre en congé payé en vertu de la clause 45.07 de la convention collective.

93 Finalement, l’argumentation du syndicat me renvoie à l’article 132 du CCT et cite de la jurisprudence que j’analyserai dans les motifs de la présente décision.

B. Pour l’employeur

94 L’employeur me demande premièrement d’examiner le contexte législatif et contractuel. Selon l’employeur, la clause 45.07 de la convention collective n’a d’application que si j’en arrive à la conclusion que la réaffectation de Mme Turmel par l’employeur était difficilement réalisable.

95 L’employeur prétend aussi que les dispositions du CCT qui régissent les employées enceintes ou allaitantes, soit les paragraphes 132(1), (2), (3), (4) et (5), ne couvrent que la période jusqu’à ce que la femme enceinte obtienne son certificat médical. Autrement dit, si la femme enceinte obtient le certificat médical prévu au paragraphe 132(2), le premier jour de sa grossesse l’ensemble des dispositions de l’article 132 du CCT ne s’appliquent alors plus à elle. De même, si la femme enceinte obtient le certificat médical prévu au paragraphe 132(2) seulement le jour avant son accouchement, l’ensemble des dispositions de l’article 132 s’appliquent alors à la période entière de sa grossesse jusqu'à l’accouchement, selon l’employeur.

96 L’employeur fait valoir qu’en l’espèce il a mis en place ce qu’il croyait raisonnable pour Mme Turmel.  En résumé, l’employeur dit que si la réaffectation n’est « pas facilement réalisable », ce n’est pas à cause de l’employeur mais de Mme Turmel.

97 Selon l’employeur, la preuve démontre que par son comportement, Mme Turmel a rendu sa réaffectation difficile et elle a délibérément refusé de mettre en application les mesures « toute simples » établies par l’employeur.

98 Sur la question des contacts avec détenus, il n’y a pas de définition, ni dans la convention collective en vigueur, ni dans le CCT, ni dans aucune jurisprudence, ou dans la doctrine qui m’a été citée.

99 Par contre, l’employeur prétend dans son argument que si Mme Turmel avait appliqué les mesures proposées par l’employeur, « aucune de la majorité des contacts serait survenu [je souligne] ».

100 L’employeur suggère dans son argumentation l’examen de la preuve sous trois angles:

1) La preuve médicale;

2) La réaffectation;

3) L’accommodement et ses principes.

1. La preuve médicale

101 La seule preuve médicale au dossier est le certificat médical de Mme Turmel signé par son médecin traitant le 13 octobre 2006, et remis à l’employeur le 16 octobre 2006 (pièce U-2).

102 L’employeur admet qu’il n’est pas allé chercher une preuve médicale indépendante.

103 Selon l’employeur, les restrictions formulées dans le certificat médical (pièce U-2) sont des restrictions normales; l’employeur ne les conteste pas car elles sont faciles à respecter et à gérer.

104 Les mesures proposées par l’employeur démontrent qu’il voulait garder Mme Turmel au travail tout en respectant son certificat médical.

105 Le certificat ne fait état d’aucune question de santé particulière et tout ce qui y est indiqué est conforme à la normale.

106 Selon l’employeur, le médecin de Mme Turmel est le même que celui qui la suivait lors de son premier accouchement et l’employeur reconnaît que ce même médecin connaît bien le milieu de travail de sa patiente à l’établissement du SSC à Donnacona.

107 Selon l’employeur, si le médecin traitant avait eu une crainte pour sa patiente, il aurait proposé des limites médicales ou l’aurait mis en congé de maladie.

108 L’employeur conclut cette partie de son argument en soulignant que, selon la pièce U-4d), le médecin traitant de Mme Turmel a retourné sa patiente au travail sans aucune restriction médicale. L’employeur conclut qu’il ne s’agit pas du non-respect du certificat médical (pièce U-2), mais d’un conflit de travail entre Mme Turmel et la gestionnaire Mme Fortier.

109 L’employeur dit que le problème qui est réellement survenu en octobre et novembre 2006 n’est pas la réaffectation, mais le problème de relations de travail avec Mme Fortier, et que l’intention était de me faire conclure que Mme Turmel avait droit à un congé payé.

2. La réaffectation

110 L’argument de l’employeur à cet égard fait d’abord valoir que le témoignage de Mme Turmel est subjectif parce qu’elle a lu ses notes manuscrites en preuve. Alors, l’employeur en conclut que cela porte atteinte à sa crédibilité.

111 Il s’agit de sa deuxième grossesse à l’établissement de Donnacona. Elle connaît les aires de la place, les horaires et la gravité des sentences des détenus ainsi que le mode d’opération à l’intérieur de l’établissement.

112 Partout où elle a été réaffectée à l’exception de l’administration générale, elle avait un bureau fermé avec téléphone et une serrure de porte et malgré ces faits, elle n’a pas suivi les consignes qui lui ont été donnés. Alors, selon l’employeur si la réaffectation n’a pas réussi c’est l’unique faute de Mme Turmel.

i. Six contacts entre le 19 octobre et le 23 novembre 2006
a. Premier contact

113 Après avoir obtenu son certificat médical daté du 13 octobre 2006, Mme Turmel a commencé sa réaffectation le 16 octobre 2006 à la section préventive, sous la direction de M. Chicoine. Le 23 octobre 2006 seulement, elle a reçu de Mme Fortier l’horaire des détenus-nettoyeurs (pièce U-3) qui couvrait le secteur relevant de M. Chicoine et celui relevant de Mme Fortier. Le premier contact entre un détenu-nettoyeur et Mme Turmel a eu lieu le 19 octobre 2006.

114 L’employeur fait valoir que Mme Turmel n’a pas suivi la consigne en lui demandant de fermer la porte de son bureau et que c’était de sa faute s’il y avait eu contact.

b. Deuxième contact

115 Le deuxième contact a eu lieu le 24 octobre 2006 à l’administration au deuxième étage, après la fin de la période de travail du détenu-nettoyeur. Ce contact a été constaté par la surveillante, Mme Girard, dans le corridor, lorsque Mme Turmel se dirigeait vers les toilettes.

116 L’argument de l’employeur est que Mme Turmel n’avait qu’à téléphoner à la surveillante afin de vérifier si le détenu-nettoyeur était parti. Selon l’employeur, par son comportement, elle risquait le contact avec le détenu-nettoyeur parce qu’il était quelques minutes après 9 h 30.

c. Troisième contact

117 Le troisième contact a eu lieu à la salle de l’informatique le 26 octobre 2006, étant donné la porte n’y était pas fermée parce que plusieurs employés y avaient accès pour leur travail.

118 Dans son argumentation, l’employeur affirme que Mme Turmel savait que le détenu-nettoyeur était en devoir dans ce secteur-là et qu’elle avait la possibilité de fermer la porte pour éviter tout contact. Si elle se sentait en danger, elle aurait pu faire autrement et elle ne l’a pas fait. De plus, elle reconnaît que le contact a eu lieu très précisément pendant la période de travail du détenu-nettoyeur. Par ailleurs, selon l’employeur, elle prétend que plusieurs témoins étaient présents à cet incident, mais aucun témoin n’est venu collaborer ses dires.

d. Quatrième contact

119 Le quatrième contact a eu lieu le 27 octobre 2006 au bureau général de l’administration, en présence de Mme Fortier et Mme Girard. À cette occasion, Mme Turmel avait été prêtée au secteur du bureau général afin de remplacer la téléphoniste qui était absente.

120 L’employeur ne contredit pas le fait que cet événement ait eu lieu, mais se demande s’il s’agissait réellement d’un contact.

121 À propos de ce contact, l’employeur dit qu’il a agi immédiatement avec célérité et efficacité pour faire escorter le détenu-nettoyeur à l’extérieur de la pièce où se trouvaient Mmes Turmel, Fortier et Girard.

122 L’employeur mentionne que Mme Turmel lui avait alors dit qu’elle était satisfaite de la façon dont le détenu-nettoyeur avait été escorté à l’extérieur de la salle.

e. Cinquième contact

123 Le cinquième contact a eu lieu le 14 novembre 2006, encore une fois, à la sécurité préventive sous l’autorité de M. Chicoine.

124 Selon l’employeur, lors du contact, Mme Turmel se trouvait au télécopieur à l’heure où le détenu-nettoyeur était sur les lieux. Il se demandait ce qu’elle faisait là, sachant qu’elle devait garder la porte de son bureau fermée. L’employeur dit tout simplement qu’elle ne suivait pas la consigne connue.

f. Sixième contact

125 Le sixième contact a eu lieu le 23 novembre 2006 à l’entrée de la poterne de l’établissement avec des détenus à proximité d’un camion d’escorte. À propos de ce contact, l’employeur se demande pourquoi Mme Turmel, après avoir aperçu le camion d’escorte lors de son arrivée au stationnement, s’est-elle dirigée vers la poterne malgré cela, en sachant qu’un contact aurait lieu avec un ou plusieurs détenus ?

126 L’employeur affirme que ce qui s’est produit le 23 novembre 2006 n’est pas de sa faute.

127 De plus, l’employeur dit que Mme Turmel n’a pas participé à la réussite de sa réaffectation.

128 L’employeur soutient qu’on ne peut conclure logiquement que la réaffectation était difficilement réalisable en s’appuyant uniquement sur l’argument qu’il y a eu des contacts.

129 Il faut interpréter l’expression « pas facilement réalisable » par rapport à l’ensemble du comportement de Mme Turmel et par rapport aux efforts qu’elle a fait pour éviter les contacts; or, elle n’a pas fait de tels efforts, ce qui porte atteinte à sa crédibilité. Selon l’employeur, la valeur probante du témoignage et de son comportement est entre mes mains.

130 Selon l’employeur, il doit y avoir une collaboration entre l’employeur, les employés et le syndicat si l’on veut trouver un accommodement raisonnable. De plus, selon l’employeur, le témoignage de Mme Perreault confirme que Mme Turmel ne cherchait pas la collaboration entre les parties. Par contre, le témoignage de Mme Tremblay était crédible et professionnel et il faudrait lui attribuer une valeur probante.

3. L’accommodement

131 L’article 45 de la convention collective doit être interprété dans le contexte d’accommodement. Il doit donc être interprété de manière restrictive.

132 Finalement, l’employeur m’a cité trois arrêts de la Cour suprême du Canada, pour soutenir l’argument que le syndicat et Mme Turmel ont un devoir de collaborer avec l’employeur : Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, 1992; Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, rendu le 26 janvier 2007 ; Hydro Québec c. Syndicat des employés de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro Québec, section locale 2000, 2008, CSC 43.

IV. Motifs

133 Une analyse approfondie des faits, de l’ensemble de la preuve et de la jurisprudence soumise me permet de faire les commentaires et déclarations suivantes qui sont les fondements du rationnel de ma décision. D’entrer en jeu, j’écarte l’argument de l’employeur au paragraphe 75 qui questionne la crédibilité de Mme Turmel. Mme Turmel a répondu à toutes les questions qui lui ont été posées spontanément et sans hésitation. Elle était clair dans ces explications et ce n’est pas parce qu’elle consultait ses propres notes manuscrite occasionnellement qu’elle n’était pas crédible. L’ensemble de son témoignage et la prépondérance de la preuve est à l’effet qu’elle était parfaitement crédible.

134 Au départ, chaque fois qu’il est question d’un contact entre un détenu-nettoyeur et Mme Turmel, il faut tenir compte du certificat médical de cette dernière. Un des buts du certificat médical est de maintenir un équilibre raisonnable entre les risques possibles et la santé de la femme enceinte et de son fœtus pendant sa grossesse, lorsqu’elle est au travail.

135 De l’aveu de l’employeur, le Dr Auger, qui a signé le certificat médical de Mme Turmel, est un professionnel qui connaît bien l’établissement de Donnacona, en plus de connaître sa patiente dont il avait été le médecin traitant lors de sa première grossesse et qui la suivait maintenant pour sa deuxième grossesse.

136 Il est important de souligner que, en l’espèce, l’employeur n’a pas obtenu un avis médical indépendant. N’ayant pas exercé son droit d’obtenir un avis médical indépendant, l’employeur ne peut, par l’entremise de ses gestionnaires, se substitué à la seule preuve médicale existante.

137 De plus, l’employeur pouvait faire vérifier, selon la clause 45.02 de la convention collective, si la restriction de n’avoir aucun contact avec les détenus était justifiée. Tel qu’il est mentionné au paragraphe précédent, l’employeur n’a pas obtenu un avis médical indépendant et, en l’absence d’un tel avis applicable à la santé de Mme Turmel et de son fœtus, rien ne pouvait motiver l’employeur à ne pas appliquer les dispositions de la clause 45.04. Ce même paragraphe 137 de ma décision peut être répété intégralement en ce qui concerne la quatrième restriction du médecin de Mme Turmel (voir paragraphe 17 de cette décision), soit « la possibilité de sortir de son bureau en tout temps. » Cette clause se lit comme suit :

45.04 L'Employeur, dans la mesure du possible, modifie les tâches de l'employée ou la réaffecte.

138 Selon l’article 45, l’employeur a l’obligation, dans la mesure du possible, de modifier les tâches de l’employée ou de la réaffecter, tout en respectant les conditions précisées dans son certificat médical. Cette obligation de l’employeur est renforcée du fait que :

  • Premièrement, l’employeur n’a pas obtenu un avis médical indépendant en vertu de la clause 45.02 de la convention collective, pour tenir compte des circonstances particulières de Mme Turmel clairement énoncées dans son certificat médical;
  • Deuxièmement, l’employeur n’a pas obtenu une opinion médicale qui contredisait le certificat médical de Mme Turmel, qui je répète, est le seul certificat médicale en preuve. L’employeur, pour renverser le certificat médical en preuve, devait obtenir une opinion médicale qui contredisait chacune des conditions qui ne faisait pas l’affaire de l’employeur soit, spécifiquement la condition première du médecin Jean-Marie Auger : « Aucun contact avec les détenus; » ainsi que la quatrième condition de son médecin traitant qui prévoit pour Mme Turmel « la possibilité de sortir de son bureau en tout temps. » L’employeur pouvait et devait obtenir un tel certificat pour réussir mais il n’a rien fait à cet égard;
  • Troisièmement, dans son argumentation, l’employeur se dit d’accord avec le certificat médical de Mme Turmel;
  • Quatrièmement, l’employeur non seulement reconnaît et accepte le certificat médical de Mme Turmel, mais il reconnaît que le médecin qui a rédigé le certificat médical connaît bien les lieux de travail de sa patiente.

139  Nous ne sommes pas ici devant un certificat de complaisance, au contraire.

140 Le médecin traitant de Mme Turmel, dans son certificat médical (pièce U-2) adressé au SCC à Donnacona, date du 13 octobre 2006, a précisé à la fin ce qui suit : « je suis disponible au besoin pour toute demande d’information ou de précision jugée utiles [sic] ». Je n’ai aucune preuve ni argument de l’employeur devant moi, indiquant que l’employeur a tenté d’obtenir de l’information supplémentaire ou des précisions auprès du médecin de Mme Turmel.

141 L’attitude de l’employeur dans le cas des contacts qui ont eu lieu entre Mme Turmel et le détenu-nettoyeur à la section de la préventive démontre que l’employeur considérait qu’il était difficilement réalisable de réaffecter Mme Turmel de façon à éviter les activités ou les conditions mentionnées dans le certificat médical.

142 Ainsi l’employeur ne voulait tout simplement rien modifier aux façons de faire, ni sécuriser davantage les lieux de travail où Mme Turmel était réaffectée, en sachant qu’un contact non provoqué entre l’employée enceinte et un détenu-nettoyeur était susceptible de se produire et ce, à l’encontre des restrictions précisément énoncées dans un certificat médical connu de l’employeur.

143 La fréquence des contacts entre Mme Turmel et les détenus-nettoyeurs satisfont aux conditions précisées à la clause 45.07 de la convention collective, ouvrant droit à un congé payé pendant la période de risque mentionnée au certificat médical. La clause 45.07 de la convention collective se lit comme suit :

45.07 Nonobstant le paragraphe 45.05, dans le cas d'une employée qui travaille dans un établissement où elle a un contact direct et régulier avec les détenus, lorsque l'Employeur conclut qu'il est difficilement réalisable de modifier les tâches de l'employée ou de la réaffecter de façon à éviter les activités ou les conditions mentionnées dans le certificat médical, l'Employeur en informe l'employée par écrit et lui octroie un congé payé pendant la période du risque mentionnée au certificat médical. Toutefois, ce congé doit se terminer au plus tard à la date du début du congé de maternité non payé ou à la date de fin de la grossesse, selon la première de ces éventualités.

144 Il aurait pu en être autrement si l’employeur avait obtenu, selon les dispositions de la clause 45.02 de la convention collective, un avis médical indépendant contredisant le fait que la santé de Mme Turmel et de son fœtus justifiait la restriction voulant qu’elle n’ait aucun contact avec un détenu et aussi que Mme Turmel ait la possibilité de sortir de son bureau en tout temps. (Voir les restrictions du certificat médical au paragraphe 17.)

145 Nous savons que l’employeur n’a pas obtenu d’avis médical indépendant mais que s’il avait voulu en obtenir un, il aurait fallu qu’il examine les « circonstances particulières » de la demande de réaffectation tel qu’il est prévu à la clause 45.02 de la convention collective. Ainsi, l’avis médical recherché par l’employeur doit porter sur la demande particulière d’une femme enceinte qui est accompagné d’un certificat médical précisant les risques et les restrictions qui s’appliquent à sa situation particulière.

146 Je dois souligner que contrairement à ce que prétend l’employeur au paragraphe 109 de cette décision, la prépondérance de preuve ne supporte pas la position que le problème en octobre et novembre 2006 était un problème de relations de travail entre Mme Turmel et Mme Fortier. Au contraire, le réel problème était la question de la réaffectation de Mme Turmel, réaffectation nécessité par la nature de son poste d’attache.

147 Je vais continuer d’examiner la réaffectation dans le contexte précis des six contacts entre Mme Turmel et les détenus-nettoyeurs, en tenant compte de la jurisprudence pertinente de notre Commission ainsi que de celle de la Cour suprême du Canada.

148 Le premier contact a eu lieu le 19 octobre 2006, deux jours après le début de sa réaffectation à la préventive et quatre jours avant que Mme Turmel reçoive, le 23 octobre 2006, la copie de l’horaire du détenu-nettoyeur, de Mme Fortier, sa superviseure, qui n’était pas responsable du service de la préventive.

149 Il est vrai qu’elle n’a pas suivi la consigne de fermer la porte de son bureau dans ce département pour éviter les contacts. Comme il s’agissait de sa deuxième journée dans une nouvelle fonction et parce qu’elle n’avait pas encore reçu de copie de l’horaire du détenu-nettoyeur même si elle en avait été informée verbalement avant sa réaffectation le 19 octobre, elle se croyait à l’abri de contacts compte tenu des conditions dans ce service, et comme il s’agissait du premier contact, je lui accorde le bénéfice du doute. Mme Turmel n’est pas fautive ni responsable pour ce contact.

150 Le deuxième contact a eu lieu le 24 octobre 2006 au service de l’administration (secteur sous l’autorité de Mme Fortier) quelques minutes après la fin de la période de travail du détenu-nettoyeur. Mme Girard a été témoin de ce contact. Il est vrai que Mme Turmel devait appeler la personne responsable du détenu-nettoyeur avant de sortir de son bureau et elle ne l’a pas fait. Par contre, elle était en droit de s’attendre à ce que le détenu-nettoyeur ne soit plus dans le secteur après la fin de sa période de travail. Lorsque le contact a eu lieu dans le corridor qui mène aux toilettes, il est clair que la période de travail du détenu-nettoyeur était terminée.

151 Selon la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, l’employeur et Mme Turmel ont tous deux l’obligation de s’assurer de la réussite de l’accommodement. Bien que l’employeur ne puisse pas se disculper de toute violation de la convention collective en disant que Mme Turmel devait appeler avant de sortir de son bureau, non plus Mme Turmel ne peut pas se disculper de son obligation de participer à la réussite de l’accommodement en refusant de faire un appel. De plus, selon la preuve non contredite en l’espèce, la pratique en vigueur à l’époque où Mme Turmel était au travail à Donnacona lors de sa première grossesse consistait à escorter ou diriger le détenu-nettoyeur à l’extérieur du secteur où il avait exécuté ses travaux dès la fin de sa période de travail. Encore l’examen du certificat médical non contesté révèle plusieurs conditions dont la « possibilité de sortir de son bureau en tout temps. » J’ajoute que l’employeur n’a pas plaidé que cette pratique ne pouvait pas continuer. Alors, l’employeur ne peut plaider de contrainte excessive. Même si son certificat médical indique clairement « la possibilité de sortir de son bureau en tout temps », il y avait aussi une directive clair de l’employeur de téléphoner avant de sortir, comme précaution additionnel, le tout afin d’éviter un contact avec le détenu-nettoyeur. Malheureusement, Mme Turmel n’a pas effectué l’appel téléphonique qui aurait pu éviter le contact.

152 Il est à noter qu’entre les deux premiers contacts, des discussions ont eu lieu entre les représentants des deux parties mais qu’aucune précaution supplémentaire n’a été mise en place, sauf d’aviser Mme Turmel qu’elle ne devait pas présumer que le détenu-nettoyeur avait quitté les lieux à la fin de sa période de travail. Pour ce qui est du deuxième contact, les deux sont fautifs.

153 Le troisième contact a eu lieu dans un troisième lieu de travail, le 26 octobre 2006, à la salle de l’informatique. Dans ce service, plusieurs personnes circulent par affaire, en plus de Mme Turmel. La porte de cette salle est donc, par nécessité et efficacité de l’établissement, toujours ouverte.

154 Ici j’accepte en partie l’argument de l’employeur à l’effet que Mme Turmel était fautive pour ce contact parce qu’au moment où le contact a eu lieu Mme Turmel devait savoir que le détenu-nettoyeur se trouvait dans le secteur précisément pendant la période de travail prévue à l’horaire. L’employeur ne conteste pas qu’il y ait eu contact. Puisqu’il y a eu un contact entre un détenu et Mme Turmel, il y a eu violation des restrictions du certificat médicale de Mme Turmel. Cependant cette violation est attribuable à l’employeur et à Mme Turmel parce que les deux parties n’ont pas été assez vigilants dans les circonstances.

155 Le quatrième contact a eu lieu le 27 octobre 2006 au bureau général de l’administration, en présence de Mme Fortier et de Mme Girard à un moment où Mme Turmel avait été prêtée au service général pour remplacer la téléphoniste absente. En ce qui a trait à ce contact, qui n’est pas contredit par l’employeur, l’employeur est fautif. Par contre, ce dernier souligne qu’il se demande s’il s’agissait réellement d’un contact. On a présenté en preuve aucune définition de contact, ni jurisprudence, ni arguments sur ce point précis. Selon la prépondérance de la preuve, ainsi que le sens général de ce mot, je conclu qu’il y a eu contact avec Mme Turmel en violation de son certificat médicale. Il n’y a aucun doute qu’il s’agit d’un contact devant témoins de deux membres de supervision. Une des questions importantes en litige est de savoir si l’employeur est en violation de la convention collective en ne respectant pas le certificat médical, qui n’exigeait aucun contact. Dans l’espèce et selon la prépondérance de la preuve, l’employeur est en violation de la convention collective.

156 La prépondérance de la preuve indique qu’il ne s’agit pas nécessairement d’un contact physique avec le détenu mais qu’il s’agit en l’espèce d’un contact visuel à proximité, dans un rayon raisonnable, dans la même pièce ou le même lieu où Mme Turmel travaille. Il est évident, selon la preuve que Mme Turmel a vu le détenu-nettoyeur dans la même pièce qu’elle cette journée là et que ce contact est à l’encontre du certificat médical.

157 Dans le cas du quatrième contact, il ne suffit pas que l’employeur pour ce disculper plaide qu’il a agi avec célérité et efficacité pour faire escorter le détenu-nettoyeur à l’extérieur de la pièce où a eu lieu le contact. Il ne faut pas non plus, insister sur le fait que Mme Turmel s’est dite satisfaite de la façon dont le détenu-nettoyeur a été escorté rapidement de la pièce où était située Mme Turmel.

158 Le fait demeure que ce quatrième contact est en violation flagrante du certificat médical de Mme Turmel et en violation de l’esprit et de la lettre des dispositions du CCT et de la convention collective qui protègent les femmes enceintes au travail.

159  Le cinquième contact a eu lieu le 14 novembre 2006, encore une fois à la section Sécurité préventive, secteur sous l’autorité de M. Chicoine. Au moment du contact, Mme Turmel se trouvait au télécopieur à l’extérieur de son bureau, pendant la période de travail du détenu-nettoyeur. Dans ce cas-ci, l’employeur et Mme Turmel son fautifs pour des raisons différentes. D’abord, Mme Turmel parce qu’elle n’a pas suivi les consignes et aussi parce qu’il s’agissait du cinquième contact et qu’elle se devait d’être plus vigilante, surtout pendant la période de travail du détenu-nettoyeur. La faute de l’employeur est plus grave parce que les consignes du médecin traitant sont clairs : aucun contact. S’il y a eu 5 contacts, c’est à l’employeur d’être plus vigilant afin d’éviter tout contacts.

160 Le sixième et dernier contact a eu lieu le 23 novembre 2006 à la poterne de l’établissement, à l’extérieur du lieu de travail de Mme Turmel. Dans ce cas-là, il ne s’agissait pas d’un détenu-nettoyeur mais d’un transfert de détenus à l’entrée de l’établissement de Donnacona. Mme Turmel a constaté le transfert de détenus dès son entrée dans le stationnement de l’établissement et malgré cela, elle est descendue de sa voiture et s’est dirigée vers le lieu de risque pour elle et son fœtus. L’employeur ne peut pas être tenu responsable ni fautif même s’il y a eu contact. Mme Turmel doit assumer en partie la réussite de l’accommodement et elle ne l’a pas fait pour éviter ce dernier contact. Ce sixième contact ne constitue pas une violation de la convention collective de la part de l’employeur car ce contact avec le détenu-nettoyeur résulte du manque de vigilance et d’attention inexplicable d’elle seule.

161 Il est important de souligner que six contacts ont eu lieu au cours de cinq semaines de travail de Mme Turmel. Par contre, je constate, malgré l’argument contraire de l’employeur, que les trois parties (c’est une obligation à trois volets : 1) employeur, 2) employé, 3) syndicat) ont honnêtement tenté d’assurer la réussite de la réaffectation de Mme Turmel. Dans le cas de Mme Turmel, malgré six contacts, elle voulait continuer de travailler pour son employeur, en conformité avec son certificat médical. Pour ce qui est de l’employeur, il est indéniable qu’il souhaitait aussi la réussite de la réaffectation de Mme Turmel.

162 Parce que les deux parties ont une obligation de réussir la réaffectation (l’accommodement) et qu’ils ne l’on pas réussi totalement dans l’espèce même si j’ai décidé que les deux parties étaient de bonne foi et même s’il y a eu six contacts entre détenus et Mme Turmel dont quatre qui sont en violation de la convention collective, je maintiens que les deux parties ont manqué de réussir l’accommodement nécessaire en l’espèce.

163 Malgré la bonne volonté des deux parties, il y a eu des manquements de part et d’autre, pendant la période de la réaffectation. Je viens d’en énumérer quelques-uns.

164 En plus des manquements à l’égard de chacun des six contacts, je souligne les manquements suivants, qui pourront peut-être faciliter davantage la réussite de futures réaffectations de femmes enceintes dans les pénitenciers du Canada.

165 Il était évident, en l’espèce, qu’il y avait un manque de communication et de collaboration entre les divers services au sein de l’établissement en vue de réduire les contacts à zéro. D’abord, les divers services où la réaffectation devait avoir lieu était suffisamment proche les uns des autres pour favoriser une coordination efficace qu’aurait permis d’éviter tout contact. En deuxième lieu, pourquoi ne pas rétablir la pratique de faire appel à une escorte pour accompagner le détenu-nettoyeur hors du secteur où une femme enceinte a été réaffectée, dès qu’il a terminé sa période de travail en conformité avec un horaire préalablement établi. Cela n’est pas difficilement réalisable. La preuve non contredite nous indique que cela a déjà bien fonctionné à Donnacona.

166 De plus, une meilleure analyse des contacts qui se sont produits et du suivi qu’on en a fait, permettrait de tirer des leçons des erreurs commises afin d’éviter ces erreurs à l’avenir, et d’améliorer ainsi la situation des femmes enceintes surtout dans un milieu de travail connu de tous comme lieu de haut risque. Cet élément de haut risque pour les femmes enceintes est spécifiquement prévu par les parties à la section 45.07 de la convention collective, qui est explicite à cet égard. Si on avait sérieusement analysé les contacts, il se peut que dans le contexte de la présente affaire, six incidents n’auraient pas eu lieu.

167 Tel que je l’ai indiqué au paragraphe 162 ci-haut, les deux parties n’ont pas réussi entièrement leur obligation d’accommodement/ réaffectation. Me fondant sur la preuve documentaire et les témoignages entendus, il m’est apparu clair que Mme Turmel aurait pu faire mieux pour éviter certains contacts avec le détenu-nettoyeur et elle ne l’a pas fait. L’employeur aussi, aurait pu faire mieux et ne l’a pas fait. C’est pourquoi j’ai décidé de ne pas remettre à Mme Turmel une pleine compensation pour la période en question. J’estime que son manque de coopération a joué un rôle dans son congé sans solde.

168 De plus, et sans aucune prétention, les femmes enceintes travaillant dans les pénitenciers seraient peut-être d’avantage sécurisées et ainsi plus disposées à continuer à travailler dans les pénitenciers pendant leur grossesse, et ce, jusqu'à l’accouchement.

169 Même si les consignes sont simples, il y a peut-être lieu de mieux les expliquer avant le début de la réaffectation en faisant appel à des exemples d’erreurs et d’expériences vécues non seulement de l’établissement de Donnacona mais de tous les expériences de tous les établissements pénitenciers à la grandeur du Canada.

170 Ces quelques réflexions n’ont d’autre but que d’assurer la réussite future de la réaffectation en recherchant la pleine collaboration de l’employeur, de l’employée enceinte et du syndicat, tout en respectant l’avis médical de la femme enceinte.

171 Les parties ont démontré qu’elles voulaient permettre aux femmes enceintes de continuer à travailler dans les pénitenciers pendant leur grossesse, et ce, jusqu'à ce que leur médecin détermine qu’elles doivent cesser de travailler pour ne pas mettre en danger leur santé et celle de leur fœtus.

172 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

173 Par conséquent, je fais droit au grief en partie seulement et j’ordonne à l’employeur de payer huit semaines de rémunération à Mme Turmel sur les dix semaines réclamées.

Le 5 octobre 2009.

Roger Beaulieu,
arbitre de grief

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