Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué qu’il a fait l’objet, en contravention de la convention collective, de discrimination fondée sur son origine ethnique et sa confession religieuse à l’occasion de son renvoi en cours de stage - la convention collective prévoyait que <<[i]l n’y aura aucune discrimination [...] du fait de [...] son origine ethnique, sa confession religieuse [...]>> - l’employeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre de grief d’entendre un grief portant sur un renvoi en cours de stage - l’arbitre de grief a conclu qu’elle avait compétence pour entendre l’allégation selon laquelle l’employeur avait enfreint la convention collective - l’arbitre de grief a aussi conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’est pas déchargé de son fardeau de présenter une preuve prima facie, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a fait l’objet de discrimination à l’occasion de son renvoi en cours de stage. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-11-05
  • Dossier:  566-03-1273
  • Référence:  2009 CRTFP 145

Devant un arbitre de grief


ENTRE

FATHI SOUAKER

fonctionnaire s'estimant lésé

et

COMMISSION CANADIENNE DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE

employeur

Répertorié
Souaker c. Commission canadienne de sûreté nucléaire

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Marie-Josée Bédard, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Valérie Charrette, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour le défendeur:
Karl Chemsi, avocat

Affaire entendue à Montréal (Québec),
les 13 et 14 mai et les 18 et 19 août 2009.

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Le fonctionnaire s’estimant lésé, Fathi Souaker, a été embauché par la Commission canadienne de sûreté nucléaire (la « CCSN » ou l’ « employeur ») le 13 février 2006 dans un poste d’inspecteur à la Division de l’inspection et des activités autorisées, au bureau régional de l’Est, à Laval (Québec). Il était couvert par la convention collective intervenue entre la CCSN et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (la « convention collective »). M. Souaker était soumis à une période de stage de 12 mois. Le 30 mars 2007, alors qu’il était toujours en stage, l’employeur a mis fin à son emploi, invoquant qu’il ne répondait pas aux exigences du poste. Le 11 avril 2007, M. Souaker a déposé un grief dans lequel il allègue que son renvoi en cours de stage a été effectué de mauvaise foi et de façon arbitraire et discriminatoire contrairement à l’article 6 de la convention collective, qui interdit toute discrimination illicite. La clause 6.01 de la convention collective se lit comme suit :

Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation de famille, son état civil, son incapacité mentale ou physique, sa situation matrimoniale, ou une condamnation pour laquelle il a obtenu son pardon ou son adhésion à l’institut ou son activité dans celui-ci.

2 M. Souaker a renvoyé son grief à l’arbitrage le 4 juin 2007 en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch.22, qui traite des griefs relatifs à l’interprétation ou à l’application d’une disposition d’une convention collective. M. Souaker prétend avoir été victime de discrimination en raison de son origine ethnique et de sa confession religieuse. M. Souaker est originaire de l’Algérie et il est de confession musulmane.   

3 Le 5 juillet 2007, l’employeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre de grief à entendre le grief de M. Souaker au motif qu’un renvoi en période de stage ne peut faire l’objet d’un renvoi à l’arbitrage en vertu de l’article 209 de la Loi. L’employeur invoque que le grief ne porte pas sur l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention collective ni sur une mesure disciplinaire. Au début de l’audience, l’employeur a réitéré son objection et, après avoir entendu les représentations des parties, j’ai décidé de la prendre sous réserve et d’entendre la preuve sur le fond.    

4 Les allégations de discrimination de M. Souaker sont au cœur du débat. Dans l’avis que M. Souaker a envoyé à la Commission canadienne des droits de la personne (la « CCDP »), comme l’exige l’article 210 de la Loi lorsqu’une partie soulève une question liée à l’interprétation ou l’application de la Loi canadienne des droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 ( la « LCDP »), M. Souaker a consigné ses allégations et il m’apparait utile de les citer à ce stade-ci pour bien comprendre le contexte dans lequel les parties on présenté leur preuve :

Mon renvoi en cours de stage, à la Commission canadienne de sûreté nucléaire, a été effectué de mauvaise foi, de façon arbitraire et discriminatoire.

J’aimerais notamment, souligner les fais suivants à l’appui de mes allégations :

1. J’ai commencé à travailler comme inspecteur à la Commission canadienne de sûreté nucléaire, bureau de Laval, le 13 février 2006. Je n’ai jamais reçu de commentaires négatifs sur mon travail de février à octobre 2006, soit pendant plus de 8 mois, de la part des 3 inspecteurs qui m’accompagnaient au cours de visites d’inspection.

2. Le 2 octobre 2006, M. Rick McCabe, Directeur de la division des inspections dont le bureau est situé à Ottawa, m’informe pour la première fois que mon travail doit s’améliorer. Il me dit que cette évaluation est basée sur les commentaires des trois inspecteurs qui me supervisent (Louise Simard, Daniel Alu et Éric Fortier). Extrêmement surpris par cette déclaration, j’ai interrogé les trois inspecteurs concernés afin de savoir s’ils étaient insatisfaits de mon travail.

3. Les inspecteurs Louise Simard, avec qui j’effectuais 80% des visites d’inspection, et M. Daniel Alu m’ont assuré qu’ils n’étaient pas d’accord avec les commentaires transmis par Éric Fortier, inspecteur et coordonateur du bureau de Laval (plus haut niveau d’autorité au niveau régional) à M. McCabe. Ils ont d’ailleurs écrit à M. Rick McCabe afin de dénoncer le système d’évaluation en place. De plus j’ai envoyé à M. McCabe un tableau faisant état des inspections que j’avais effectuées et des commentaires positifs de Mme Simard et M. Alu.

4. Lorsque j’ai interrogé notre coordonateur, M. Éric Fortier, sur la qualité de mon travail, il n’a émis aucun commentaire. Il m’a cependant dit que j’étais « un homme fermé et sans personnalité » et qu’il en avait fait part à M. McCabe. Il m’a dit plus tard qu’il avait fait une erreur en faisant une interprétation personnelle de mon travail et qu’il allait la corriger. Il est important de souligner, qu’au moment de ma rencontre avec Rick McCabe, le 2 octobre 2006, je n’avais effectué que quelques visites avec M. Fortier.

5. Malgré les rectifications faites par les inspecteurs sur la qualité de mon travail, il a été convenu que j’effectuerais des visites supervisées au mois d’octobre avec M. Fortier et M. Poirier (au autre inspecteur) afin d’améliorer ma formation, Je tiens à préciser qu’aucun critère d’évaluation ne m’a alors été fourni.

6. Les visites effectuées avec M. Poirier se sont bien déroulées. Cependant, la semaine passée avec M. Fortier s’est avérée extrêmement éprouvante pour moi. Lors de notre voyage à Terre-Neuve, du 15 au 19 octobre 2006, M. Fortier n’a pas hésité à dénigrer ma religion et mes origines, et cela en plusieurs occasions :

  • Il me disait « vous les musulmans vous êtes des gens fermés, vous dites à vos femmes aujourd’hui on couche ici, on fait des enfants et vos femmes n’ont aucune liberté et vivent sous votre merci ».
  • Il m’a posé des questions concernant l’éducation de mes enfants et puis m’a questionné bizarrement : « Qu’est-ce que tu fais si tes enfants deviennent chrétiens? ». J’ai répondu « je ne m’attends pas à ça, mais s’ils le font ça va être leur choix ». M. Fortier m’a alors répondu « Pourquoi alors es-tu venu au Canada vaut mieux que tu rentres en Algérie. Il a ensuite enchaîné avec une série de questions sur notre niveau de vie en Algérie, sur l’existence de magasins, de logements et d’infrastructures sociales. Il a demandé si nous vivions comme les africains noirs, il a cité l’exemple de l’Éthiopie.
  • Il a également tenu des propos sur le hijab (habit de la femme musulman). Il m’a demandé si ma femme portait le hijab, et j’ai répondu par l’affirmation, il n’a pas tardé à me dire : « pourquoi vous les musulmans, vous cachez vos femmes ? C’est une façon dépassée, comment faites vous pour vivre avec cette religion. »
  • Il me parlait d’un ton moqueur lorsque je ne prenais pas d’alcool, et faisait toujours allusion à ma religion en qualifiant mon choix de ridicule, il disait : « c’est ridicule mais son (sic) ton choix ».
  • De plus, M. Fortier a refusé d’émettre tout commentaire sur les visites effectuées avec lui à Terre-Neuve.

7. Suite aux visites supplémentaires effectuées avec M. Fortier et Poirier, je n’ai plus eu de commentaires sur mon travail.

8. Le 12 janvier 2007, je suis convoqué à une réunion avec M. McCabe et M. Fortier. M. McCabe me remet alors une lettre, datée du 8 janvier, faisant état de plusieurs difficultés constatées dans mon travail et m’annonçant que ma période probatoire sera prolongée. La lettre est rédigée en termes vagues, contient plusieurs inexactitudes et n’est basée sur aucune évaluation objective de mon travail. Je suis alors abasourdis par la réception de cette lettre. N’ayant reçu aucun commentaire depuis les visites d’octobre, je croyais que tout allait bien. J’ai alors tenté d’avoir des précisions sur les comportements reprochés. M. McCabe me mentionne alors qu’il n’a pas ses notes, aucune précision ne me sera fournies par la suite malgré plusieurs tentatives de ma part pour en obtenir.

9. Suite à la réunion du 12 janvier, j’ai été complètement isolé au travail. J’allais régulièrement demandé du travail à M. Fortier. Ce dernier me disait qu’il allait m’en fournir mais ne faisait rien. Les inspecteurs avec qui je travaillais habituellement, Mme Simard et M. Alu refusaient également de sortir faire des inspections avec moi. J’ai appris plus tard, suite à une demande d’accès à l’information personnelle, que M. Fortier avait demandé explicitement à Mme Simard et M. Alu de ne plus me donner de travail.

10. En janvier, j’ai demandé de l’aide de mon syndicat. Nous avons demandé de rencontrer la direction afin de faire la lumière sur la lettre du 8 janvier et de clarifier les attentes de la gestion. Cette rencontre a été refusée et on m’a remis une lettre de congédiement le 29 mars 2007.

11. Ma situation au travail a commencé à se détériorer suite l’intervention du coordonateur M. Fortier qui a fait des commentaires négatifs à mon égard en octobre 2006, commentaires qui ont été désavoués par mes principaux superviseurs par la suite. M. Fortier a toujours manqué de transparence avec moi. Il a toujours refusé de commenter mon travail et à me faire part d’objectifs précis à rencontrer. Les seules remarques dont m’a fait part M. Fortier portaient sur ma personne, mon origine et ma religion. Finalement, il m’a isolé lors de la période critique de prolongation de mon stage, m’empêchant ainsi de démontrer ma capacité à accomplir les tâches du poste d’inspecteur. Les circonstances entourant l’évaluation de mon travail et mon renvoi me portent à conclure sans équivoque que j’ai été traité de manière discriminatoire en raison de mon origine algérienne et de ma religion.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

II. Résumé de la preuve

5 La preuve présentée de part et d’autre s’est rapportée aux principales allégations de M. Souaker et aux événements qui ont mené à son renvoi en cours de stage. Les parties ont par ailleurs présenté une vision bien différente des événements et la preuve a été contradictoire à plusieurs égards. Comme l’appréciation des faits et la crédibilité des témoins sont importantes dans l’analyse du dossier, je vais résumer de façon assez exhaustive la preuve soumise par chaque partie. Bien que les parties n’aient pas débattu de leur fardeau de preuve respectif au début de l’audience, l’employeur a présenté sa preuve en premier et M. Souaker a témoigné après avoir entendu les témoins de l’employeur et je suivrai le même ordre de présentation.

A. Pour l’employeur

6 L’employeur a fait entendre trois témoins : Rick McCabe, qui était directeur de la Division des Inspections et des activités autorisées à l’époque de l’embauche et du renvoi de M. Souaker, Éric Fortier, inspecteur-coordonnateur au Bureau régional de Laval de la CCSN et Jean-Claude Poirier, inspecteur-coordonnateur au Bureau régional d’Ottawa.

7 La CCSN a pour mission de réglementer le développement, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire et des matières nucléaires au Canada, afin de protéger la santé et la sécurité des personnes, de protéger l’environnement et de respecter les engagements internationaux du Canada à l’égard de l’utilisation de l’énergie nucléaire. La CCSN règlemente le développement et l’utilisation de l’énergie nucléaire dans toutes ses applications, que ce soit au sein des centrales nucléaires, des instituts de recherche, des hôpitaux ou des entreprises industrielles. Les organismes et entreprises qui utilisent de l’énergie ou des matières nucléaires doivent détenir un permis d’exploitation émis par la CCSN et ils font l’objet de mesures de contrôle afin d’assurer qu’ils exercent leurs activités conformément à la réglementation applicable et aux conditions de leurs permis. Ce contrôle est exercé par les inspecteurs, qui procèdent à des inspections aux fins de vérifier que les titulaires de permis exercent leurs activités de façon conforme à la règlementation et aux conditions de leurs permis. La CCSN compte près de 3 000 titulaires de permis, dont 2 200 font l’objet d’inspections.  

8 La CCSN exerce ses activités à partir de quatre bureaux régionaux, dont les bureaux de Laval et d’Ottawa. M. Souaker a été embauché pour travailler comme inspecteur au bureau de Laval. M. Souaker est originaire de l’Algérie. Il est détenteur d’un titre d’ingénieur en automatisation et en instrumentation obtenu en Algérie, de même que d’un diplôme d’études supérieures spécialisées en génie nucléaire. Avant d’immigrer au Canada et d’être embauché à la CCSN, M. Souaker avait travaillé 13 ans comme attaché de recherche, Instrumentation de radioprotection au Centre de recherche nucléaire de Birine (Algérie).

9 Les inspecteurs sont normalement embauchés à la CCSN au niveau salarial NR-SI-05 ou NR-SI-06. M. Souaker a été embauché au niveau NR-SI-06 en raison de son expertise et de son expérience.   

10 À l’époque pertinente à l’emploi de M. Souaker au sein de la CCSN, M. McCabe avait notamment la responsabilité de coordonner l’embauche du personnel, de superviser et de gérer les ressources humaines et d’assurer le contrôle de la qualité du travail. M. McCabe était le supérieur hiérarchique des inspecteurs, mais les activités des bureaux régionaux étaient coordonnées par des inspecteurs-coordonnateurs. M. Fortier est l’inspecteur coordonnateur pour le bureau de Laval et il a indiqué que son travail de coordonnateur prend près de 40 % de son temps et qu’il a notamment comme responsabilité d’attribuer les ressources humaines et matérielles de façon adéquate. Il a déclaré qu’il était le point de contact avec le bureau d’Ottawa et qu’il se percevait comme les yeux et les oreilles du directeur, tout en précisant qu’il n’avait pas de rôle de supervision à l’égard des inspecteurs ni de véritable pouvoir décisionnel.

11 Outre M. Souaker et M. Fortier, deux autres inspecteurs travaillaient au bureau de Laval : Louise Simard et Daniel Alu.     

12 L’exécution des responsabilités des inspecteurs eu égard aux inspections des titulaires de permis sont au cœur des reproches formulés par l’employeur à l’endroit de M. Souaker. L’inspecteur chargé d’une inspection doit planifier son inspection, étudier le dossier du titulaire de permis, faire les arrangements de voyage lorsque l’inspection est à l’extérieur et coordonner la logistique afférente à la visite. Durant l’inspection, l’inspecteur fait une visite des lieux, procède à la vérification des documents de contrôle et des registres et dirige une entrevue, généralement auprès du responsable de la radioprotection du titulaire de permis. M. McCabe a déclaré que l’étape de l’entrevue est cruciale, car c’est à ce moment que les inspecteurs recueillent de l’information et qu’ils posent des questions qui peuvent les amener à détecter des non-conformités ou des irrégularités. M. McCabe a indiqué que les inspecteurs doivent être attentifs aux réactions des personnes qu’ils interrogent, à leur comportement et à leurs réponses afin de mesurer la véracité de leurs propos et détecter toute omission ou mensonge. Il a insisté sur le fait que les inspecteurs doivent être intuitifs, perspicaces et dotés d’un esprit « d’enquêteur » pour être à même d’analyser et d’interpréter les renseignements qu’ils recueillent en vue de détecter toute non-conformité du titulaire de permis. Les inspecteurs doivent également être prudents pour assurer leur propre sécurité, puisqu’ils peuvent être exposés à divers risques. M. McCabe a également insisté sur la nécessité pour les inspecteurs de posséder de bonnes habiletés de conducteur, puisqu’ils sont appelés à voyager dans des endroits isolés et dans des conditions difficiles. Pour préparer et diriger leurs inspections, les inspecteurs disposent d’une liste de contrôle (nommée « check-list » par tous les témoins) qui sert de guide, notamment lors des entrevues et du suivi auprès des titulaires de permis.

13 Les nouveaux inspecteurs sont assujettis à un programme de formation qui comprend un volet théorique, de la formation pratique et du jumelage avec des inspecteurs expérimentés. Lors de leur embauche, les inspecteurs détiennent le statut d’inspecteur junior et ils ne sont pas habiletés à réaliser des inspections de façon autonome tant qu’ils n’ont pas reçu la certification d’inspecteur, au sens de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, L.C. 1997, ch. 9, qui est émise par le directeur général de la CCSN. L’obtention de cette certification prend généralement un peu plus d’un an. Dans la période qui suit leur embauche, les inspecteurs accompagnent les inspecteurs certifiés à titre d’observateurs. Après un certain temps, les inspecteurs juniors planifient et réalisent eux-mêmes des inspections, sous la supervision d’un inspecteur certifié et ce jusqu’à ce qu’ils obtiennent leur certification. Au cours de sa période d’embauche, M. Souaker a effectué environ 75 inspections.

14 M. McCabe a déclaré que, dès le mois de mars 2006, il a été informé que M. Souaker avec des difficultés à effectuer certaines tâches routinières et à s’adapter à certains aspects pratiques du travail d’inspecteur. Il dit avoir rencontré M. Souaker le 4 avril 2006 pour discuter avec lui de son rendement. Les notes préparées par M. McCabe à la suite à cette rencontre ont été déposées en preuve et elles contiennent ce qui suit :

[Traduction]

Des préoccupations m’ont été signalées très tôt au sujet de son rendement. Il était incapable de faire un plein d’essence, de s’inscrire dans un hôtel sans aide, de conduire correctement un véhicule et de retourner seul au bureau après avoir été déposé à un garage situé à environ trois coins de rue.

Ces types de comportement ne sont pas compatibles avec l’esprit d’initiative, les aptitudes d’improvisation et l’indépendance nécessaires à la fonction d’inspecteur.

J’ai expliqué à Fathi qu’il devait prendre plus d’initiatives, et je l’ai clairement autorisé à le faire. Je lui ai expliqué que, compte tenu de sa nature calme et polie, il ne devait pas avoir peur de fâcher les gens. Je lui ai clairement expliqué que je souhaitais sa réussite à titre d’inspecteur, et que sa formation et son expérience devraient faciliter son accession au poste d’inspecteur. Il a indiqué qu’il trouvait le travail facile et avait simplement besoin d’un peu d’aide pour maîtriser les processus. Je lui ai expliqué que tous les nouveaux employés en avaient besoin, et je lui ai demandé de m’aviser s’il avait besoin d’autre chose pour faciliter sa transition.

La conversation était plaisante et a duré environ vingt minutes. Je lui ai expliqué que je serais inquiet de l’envoyer dans une ville étrangère, puisqu’il avait démontré qu’il ne pouvait pas se débrouiller dans un endroit qu’il connaissait. Il a dit plusieurs fois qu’il me comprenait, et qu’il commencerait à prendre des initiatives.

M. McCabe a indiqué avoir fait part à M. Souaker du contenu de ses notes et lui avoir également indiqué que son habileté au niveau de la conduite était mise en doute. Il a, à cet égard, déclaré que M. Souaker avait échoué un examen de conduite préventive du CAA-Québec et qu’il avait dû le reprendre. 

15 M. McCabe a déclaré que les inspecteurs qui travaillaient avec M. Souaker le considérait très intelligent, très fort techniquement, très agréable, mais trouvaient qu’il ne semblait pas posséder les habiletés pratiques nécessaires pour bien fonctionner sur le terrain et mener à bien ses inspections.

16 En juillet 2006, M. Fortier a fait une série d’inspections en compagnie de M. Souaker. Il a constaté des lacunes dans la façon dont M. Souaker menait ses inspections, notamment dans sa manière d’interagir avec les représentants des titulaires de permis. M. Fortier a trouvé que M. Souaker manquait d’expérience sur le terrain, ne saisissait pas toujours les informations que lui transmettaient les titulaires de permis, avait tendance à procéder de façon très mécanique lors des entrevues, était très dépendant de sa liste de contrôle, avait tendance à poser plusieurs fois les mêmes questions, n’écoutait ou ne comprenait pas toujours les questions qui lui étaient posées, n’était pas intuitif, ne percevait pas toujours les problèmes potentiels et manquait d’initiative. M. Fortier a rédigé un rapport d’observations qu’il a envoyé à M. McCabe sans en avoir discuté avec M. Souaker, parce que, dit-il, il n’était pas le supérieur hiérarchique de M. Souaker.

17 M. Fortier a acheminé un courriel à M. McCabe le 2 octobre 2006, dans lequel il lui a fait part de son évaluation du rendement de M. Souaker et relaté les commentaires qu’il dit avoir recueillis des deux autres inspecteurs du bureau de Laval. Ce courriel se lit comme suit :

[Traduction]

Je joins l’évaluation que j’ai faite de Fathi.

Daniel et Louise n’ont rien sur papier à ce sujet, mais voici quelques-uns des commentaires qu’ils ont faits de vive voix :

1- Fathi est bon, mais un peu lent. Après six mois à faire des inspections, il devrait être mieux en mesure de départager ce qui est important de ce qui ne l’est pas. Il perd énormément de temps à de petits détails et n’en a plus assez pour les choses plus importantes. Il me fait penser à   parce qu’il n’arrive pas à lâcher prise. (Louise)

2- Fathi n’est pas encore prêt à recevoir sa certification. Il devrait aller davantage sur le terrain pour acquérir de l’expérience. Je persiste à croire qu’il n’a pas le profil de l’emploi. (Daniel)

Voici mon évaluation des cinq inspections que j’ai faites avec Fathi et des commentaires fournis par d’autres inspecteurs :

C’est un très bon gars, bien informé, mais l’emploi n’est tout simplement pas pour lui. Il devrait travailler à un bureau à revoir des documents. Il n’a pas beaucoup d’entregent et ne m’a pas encore convaincu qu’il pouvait planifier et réaliser une semaine complète d’inspections à l’extérieur de Montréal.

18 M. McCabe a indiqué avoir rencontré M. Souaker le 2 octobre 2006 et déclaré que cette rencontre faisait office d’évaluation de rendement après six mois, comme requis par les politiques de gestion des ressources humaines de la CCSN, et qu’elle visait à faire le point sur les forces et les lacunes de M. Souaker et à préciser les objectifs que M. Souaker devait atteindre. Il a indiqué avoir informé M. Souaker des lacunes constatées au niveau de ses habiletés pratiques et de communication. Il dit avoir également discuté avec M. Souaker de l’examen de conduite préventive qu’il avait échoué et précisé que M. Souaker avait contesté les résultats de cet examen, mis en doute l’objectivité de l’examinateur et déclaré qu’il n’avait pas été traité de façon juste. M. McCabe a consigné le contenu de la rencontre et ses notes ont été déposées. On y lit notamment ce qui suit :  

[Traduction]

J’ai rencontré M. Souaker en avril lorsque nous avons remarqué qu’il avait du mal à s’orienter dans les villes, qu’il ne prenait aucune initiative dans son nouvel emploi et qu’il était un piètre conducteur. Nous en avons discuté, et M. Souaker m’a assuré qu’il comprenait et qu’il se retrousserait les manches, puis il a manifesté son engagement à l’égard de l’emploi.

J’ai rencontré M. Souaker à Laval en privé à une autre occasion, afin de voir comment il progressait et s’il avait besoin de quoi que ce soit pour réussir.

J’ai recueilli les commentaires de toutes les personnes ayant interagi avec lui au cours d’inspections ou au bureau.

Le message des inspecteurs certifiés était toujours le même. M. Souaker est intelligent et capable de saisir les aspects techniques. Il entretient de bonnes relations interpersonnelles et se montre aimable.

Par contre, il a tendance à s’empêtrer dans de menus détails sans avoir aucune raison de chercher aussi loin. Il n’a pas un esprit pratique, et ses aptitudes de conducteur laissent clairement à désirer. Le personnel s’inquiète de ses aptitudes au volant. La formation des inspecteurs nécessite une certaine forme d’entraînement à la conduite automobile et une évaluation des aptitudes au volant. La conduite automobile représente un danger important pour les inspecteurs de la Division.

Quatre inspecteurs, dont M. Souaker, ont suivi le même cours de conduite donné par le CAA-Québec. Trois des personnes ont réussi, mais pas M. Souaker. J’ai immédiatement avisé son coordonnateur de ne pas permettre à M. Souaker de conduire avant que l’affaire ne soit résolue. M. Souaker est venu à mon bureau pour exprimer ses préoccupations quant à l’impartialité de son évaluation et pour se plaindre d’avoir été singularisé. Il n’acceptait pas l’évaluation ni le fait qu’il doit améliorer sa conduite automobile. Cette évaluation devait être impartiale puisque menée par une personne extérieure à la CCSN. Nous en avons discuté pendant un certain temps, et il est devenu clair qu’il n’acceptait pas l’évaluation et niait qu’il était un mauvais conducteur. Il a répété qu’il possédait un permis de conduire du Québec, et qu’il se considérait un bon conducteur malgré toute affirmation contraire.

La réponse susmentionnée de M. Souaker était la même que celle que j’ai reçue pendant nos échanges depuis son arrivée à la CCSN. Il rejetait les renseignements que je lui communiquais sur le besoin d’améliorer son rendement au travail. Il revenait constamment à des commentaires isolés de ses collègues et ne voyait pas le tableau d’ensemble. M. Souaker est incapable d’accepter une critique constructive, et il n’a pas fait beaucoup de progrès à titre d’inspecteur.

Il a traité mes commentaires sur son manque d’initiative, sur l’attention trop soutenue qu’il accordait aux détails avant même qu’il ne soit manifestement nécessaire et sur son manque d’aptitudes pratiques pour le domaine, de la même manière qu’il a traité de l’évaluation de l’examinateur de conduite automobile. Il n’a pas pris le temps de les évaluer, et s’est borné à les nier et à laisser entendre que tout le monde lui dit qu’il se débrouille bien, mais me raconte autre chose. Je lui ai expliqué que ce n’était pas le travail d’un inspecteur de l’évaluer à la lumière d’une inspection, mais que ma responsabilité consistait à résumer toutes les informations.

Je lui ai dit que je me préoccupais de sa capacité de veiller à sa propre sécurité s’il devait travailler seul, de la manière dont il reçoit les critiques constructives et de son manque d’initiative et d’aptitudes pratiques. Je lui ai expliqué que je serais inquiet de le voir inspecter des installations industrielles, puisqu’il ne semble pas conscient de son environnement et que les dangers peuvent être importants. Il revenait sans cesse au fait qu’il trouvait le travail facile et qu’il s’en acquittait bien. Je lui ai plusieurs fois répété que nos opinions divergeaient à propos de son rendement. Il a semblé épuisé par les discussions et a acquiescé à contrecœur.

À la suite de nos discussions, son coordonnateur a organisé une session de formation intensive de six semaines pour M. Souaker, et nous avons convenu d’évaluer ses progrès à la lumière des résultats de cette nouvelle formation. En plus de la formation régulière, le programme lui permettait d’être accompagné d’un employé bilingue de sorte qu’il n’y ait aucune barrière linguistique et qu’il puisse obtenir de la rétroaction le plus rapidement possible. Les résultats des évaluations devaient être transmis à son coordonnateur, puis m’être acheminés. J’ai accepté de rencontrer M. Souaker vers le 15 novembre 2006.

Note : Des raisons familiales m’ont empêché de tenir une réunion le 15 novembre 2006, et j’ai verbalement informé M. Souaker de ce changement à l’horaire.

M. McCabe dit avoir discuté avec M. Souaker de tous les éléments consignés dans ses notes, mais a précisé que M. Souaker n’était pas d’accord avec son évaluation de rendement et avait tenté de réfuter chacun des éléments. En raison des lacunes observées, M. McCabe a décidé d’assujettir M. Souaker à ce qu’il a qualifié de « formation supplémentaire d’une d’urée de 6 semaines », au cours de laquelle M. Souaker devait réaliser des inspections en compagnie d’inspecteurs expérimentés et bilingues qui pourraient l’épauler et lui donner de la rétroaction.

19 Suite à la rencontre qu’il a eue avec M. Souaker le 2 octobre 2006, M. McCabe a reçu, le 10 octobre 2006, le courriel suivant de M. Alu :

[Traduction]

J’aimerais signaler que je désapprouve le système d’évaluation actuellement utilisé par la CCSN. J’ai évalué Fathi de manière très informelle avec quelques remarques à l’emporte-pièce. Je n’avais pas réalisé que ces paroles se retrouveraient mot pour mot dans son rapport d’évaluation final. Si j’avais mis ces commentaires par écrit,  je les aurais formulés plus prudemment. Si vous m’en donnez la permission, j’aimerais donc soumettre à nouveau mon évaluation.

Organisation : Je crois que Fathi se dépêche pour obtenir son certificat d’inspecteur. Il en prend trop et ses rapports, ses suivis et toutes ses autres responsabilités quotidiennes prennent du retard. Dernièrement, j’ai exprimé ma crainte à Fathi et à Eric à ce sujet.

Inspections : J’ai constaté une amélioration graduelle et constante de son travail. Pendant les inspections, si je jugeais qu’il y avait une erreur, je prenais Fathi à part et j’en discutais tout de suite avec lui. Je dois ajouter que cela ne s’est pas produit très souvent. À la fin de la journée, nous discutions de façon informelle des aspects généraux de l’inspection. Les rapports d’inspection étaient bien rédigés et n’exigeaient que des changements mineurs.

Adaptation à l’emploi : Lorsque Fathi a commencé à travailler ici, il avait de la difficulté à exécuter certaines tâches de base, comme la réservation d’une chambre d’hôtel ou la conduite automobile. Je crois qu’il s’est amélioré de ce côté-là, mais qu’il y a encore place à amélioration.

Dans l’ensemble : Je crois que Fathi aura besoin de temps pour se perfectionner. S’il continue de s’améliorer, alors je crois qu’il aura les outils qu’il faut pour travailler correctement et efficacement. Je recommande une autre évaluation à une date ultérieure.

Quant aux nouveaux inspecteurs, je n’ai pas de problème à les accompagner, pour autant que ce ne soit pas moi qui les évalue à ce moment-ci. Cependant, lorsqu’ils commencent à faire des inspections et que je les supervise, j’aimerais pouvoir compter sur des lignes directrices. J’aimerais que nous puissions remplir un quelconque formulaire d’évaluation après chaque inspection.

20 Suite à la rencontre du 2 octobre 2006, M. Souaker a fait trois séries d’inspections dans le cadre de la « formation additionnelle » : une première série d’inspections, du 16 au 19 octobre 2006 à Terre-Neuve, en compagnie de M. Fortier, une deuxième série d’inspections en Alberta, du 23 au 27 octobre 2006, en compagnie de M. Poirier et une troisième série d’inspections, toujours en compagnie de M. Poirier, dans la région de Gatineau (Québec), du 6 au 8 novembre 2006. M. McCabe a choisi M. Poirier parce qu’il ne travaillait pas directement avec M. Souaker, qu’il offrirait une perspective neutre et qu’il possédait une solide expertise doublée d’une longue expérience en matière de formation et d’évaluation.

21 Lors de sa semaine passée avec M. Souaker, M. Fortier dit avoir constaté que M. Souaker manquait encore d’expérience, qu’il était trop dépendant de sa liste de contrôle, utilisait parfois un vocabulaire que les titulaires de permis ne comprenaient pas, ne semblait pas toujours comprendre les renseignements transmis par les titulaires, ne saisissait pas les indices dans le comportement des titulaires et dans l’information qui pouvaient laisser soupçonner des non-conformités et avait parfois de la difficulté à identifier ce qui était pertinent. M. Fortier a indiqué qu’il avait donné de la rétroaction à M. Souaker à la fin de chaque journée d’inspections et qu’il a rédigé un rapport d’observations qu’il a transmis à M. McCabe.

22 M. Fortier a été interrogé sur les allégations de discrimination de M. Souaker à son égard et sur les propos que lui prête M. Souaker au cours de cette semaine d’inspections. Il a déclaré avoir pris connaissance des allégations de M. Souaker et de l’avis qu’il a acheminé à la CCDP deux semaines avant son témoignage. Il a nié avoir tenu à l’endroit de M. Souaker quelque propos discriminatoire et déclaré que certains de ses propos avaient été déformés et présentés totalement hors contexte. M. Fortier a déclaré qu’il a été bouleversé de constater que M. Souaker lui mettait des mots dans la bouche et qu’il présentait hors contexte certaines choses qu’il avait dites. Il a par ailleurs vigoureusement nié les propos discriminatoires que lui a attribués M. Souaker et il commenté certaines des allégations de M. Souaker.

23 Dans un premier temps, il a nié avoir dit que M. Souaker était un homme fermé et sans personnalité. Il a par ailleurs reconnu avoir eu une discussion avec M. Souaker au sujet de son origine ethnique et de sa confession religieuse. Il en a présenté la version suivante. Le premier jour du voyage, M. Souaker et lui se sont arrêtés à l’heure du lunch et il a constaté que M. Souaker n’avait rien commandé à manger. Il lui a alors demandé pourquoi il ne mangeait pas et M. Souaker lui a expliqué qu’il observait le Ramadan et qu’il ne pouvait pas manger tant que le soleil était levé. Ils ont par la suite eu une discussion sur l’Algérie et sur l’islam. M. Fortier a déclaré qu’il était curieux, car, a-t-il affirmé, il était « ignorant » de cette religion et a affirmé avoir posé des questions à M. Souaker par intérêt. Il dit avoir posé des questions sur l’Algérie, sur ses structures sociales et sa richesse et pris l’Éthiopie comme point de comparaison pour comprendre où se situait l’Algérie entre le Canada et l’Éthiopie. M. Fortier dit avoir compris des explications de M. Souaker que l’Algérie était plus près du Canada que de l’Éthiopie. M. Fortier a également déclaré avoir demandé à M. Souaker en quoi consistait le hijab et qu’elle était sa raison d’être. Il a nié tous les autres propos discriminatoires que M. Souaker lui a attribués relativement aux femmes musulmanes et à l’islam.

24 M. Fortier a déclaré que la discussion avait été très amicale, que le reste de la semaine s’était bien déroulée et qu’il n’avait senti aucun malaise entre lui et M. Souaker.

25 M. Fortier a aussi témoigné relativement aux commentaires qu’il aurait fait à M. Souaker parce qu’il ne prenait pas d’alcool. Il a nié avoir tenu ces propos et déclaré qu’un membre de sa famille immédiate avait eu des problèmes d’alcool et qu’il ne ridiculiserait jamais le fait que quelqu’un s’abstienne de prendre de l’alcool.

26 M. Poirier a témoigné relativement aux deux séries d’inspections au cours desquelles il a accompagné M. Souaker. Ses observations ont été, à plusieurs égards, similaires à celles de M. Fortier. Il a indiqué que M. Souaker manquait d’habiletés pratiques, était beaucoup trop attaché à sa liste de contrôle qu’il suivait systématiquement lors des entrevues avec les titulaires, avait de la difficulté à se faire comprendre des titulaires de permis parce qu’il n’ajustait pas son vocabulaire au niveau de celui de leurs représentants et que son accent, tant en anglais qu’en français, était difficilement compris par certains titulaires de permis. Il a également indiqué que M. Souaker procédait de façon trop mécanique, avait tendance à manquer des indices pouvant mener à la découverte de non-conformités, ne semblait pas écouter les renseignements et les réponses donnés par les titulaires de permis et se concentrait plutôt sur la prochaine question qu’il devait poser. M. Poirier a préparé, à l’intention de M. McCabe, un rapport d’observations des deux semaines passées en compagnie de M. Souaker. Ce rapport a été déposé en preuve.

27 M. Poirier dit avoir fait part de ses observations à M. Souaker et lui avoir donné de la rétroaction à la fin de chaque journée d’inspections. Il a indiqué que, malgré ses interventions, M. Souaker répétait les mêmes erreurs, ce qui l’a amené à s’inquiéter de la capacité de M. Souaker de s’adapter et d’apprendre de ses erreurs et de celles des autres. M. Poirier a également indiqué que M. Souaker n’était pas réceptif aux critiques. Pour M. Poirier, il était clair que la courbe d’apprentissage de M. Souaker était beaucoup plus lente que celle des autres inspecteurs et qu’il prendrait quelques années avant de devenir un bon inspecteur.

28 M. Poirier a déclaré que la deuxième semaine d’inspections s’était terminée de façon bouleversante pour lui. Le mercredi de la deuxième semaine, M. Souaker lui a dit qu’il risquait de perdre son emploi s’il ne lui donnait pas une évaluation favorable de son rendement. Il a déclaré que M. Souaker avait les larmes aux yeux lors de cette discussion. Il dit avoir alors informé M. Souaker qu’il était représentant syndical et qu’il pouvait le référer à un autre représentant syndical s’il souhaitait l’appui de son agent négociateur. M. Poirier a indiqué que le même sujet de discussion avait été soulevé le lendemain, que M. Souaker pleurait et qu’il lui avait demandé de lui donner une évaluation positive. M. Poirier a affirmé avoir répondu à M. Souaker qu’il avait le devoir de commenter objectivement ses observations.

29 M. McCabe dit avoir compris des observations de M. Fortier et de M. Poirier que, durant ces trois semaines d’inspections, M. Souaker n’avait pas progressé de façon substantielle, que les lacunes observées demeuraient et que M. Souaker avait démontré son incapacité à accepter les critiques et à recevoir de la rétroaction.

30 M. McCabe a également reçu de M. Fortier une note datée du 9 octobre 2006, dans laquelle il a relaté une discussion qu’il a eue avec deux inspecteurs qui ont assisté à une formation en compagnie de M. Souaker et qui lui reprochaient son comportement lors de cette formation, indiquant notamment qu’il n’était pas réceptif aux commentaires et conseils de ses collègues, était très directif et qu’il avait fait une remarque dénigrante relativement au travail d’une inspectrice.

31 Fondé sur l’ensemble des informations dont il disposait, M. McCabe a décidé de prolonger la période de stage de M. Souaker. Il a indiqué qu’il devait rencontrer M. Souaker le 15 novembre 2006 pour faire le point et discuter avec lui des observations faites par MM. Fortier et Poirier. Il a cependant dû reporter cette rencontre pour des raisons familiales. Il a finalement rencontré M. Souaker le 12 janvier 2007, en présence de M. Fortier.  

32 Lors de cette rencontre, M. McCabe a remis à M. Souaker une lettre qu’il avait signée le 8 janvier 2007 et qui décrit comme suit les lacunes reprochées à M. Souaker :

Objet : Problèmes de rendement

Faisant suite à nos réunions du 4 avril 2006 et du 2 octobre 2006, je souhaite confirmer les discussions que nous avons eues au sujet de votre rendement depuis votre arrivée à la CCSN le 13 février 2006.

Lors de nos discussions, je vous ai mentionné que vous devez améliorer votre rendement. Nous avons constaté que vous manquez d’initiative et d’habiletés pratiques, vous perdez du temps en vous attardant à des détails de façon indue et vous avez de la difficulté à accepter les commentaires constructifs propices à améliorer votre rendement. Étant donné que vous ne semblez pas bien connaître l’environnement de travail et les graves dangers qu’il peut présenter, je vous ai exprimé mes inquiétudes à l’égard du fait que vous êtes appelé à inspecter des installations industrielles.

Comme je vous l’ai signalé, ces problèmes contrastent avec les qualités requises pour être un bon inspecteur, notamment, l’initiative, l’intuition, l’ouverture et l’indépendance. Vous avez fait savoir à plusieurs reprises que vous comprenez les problèmes et que vous ferez dorénavant preuve d’initiative.

Malgré les efforts déployés pour vous aider, c’est-à-dire le suivi, la formation en milieu de travail, le mentorat, le soutien et les conseils, vous n’avez pas démontré que vous possédez les compétences et la faculté d’adaptation qui s’imposent pour accomplir les tâches qui vous sont assignées. Par conséquent, nous avons mis au point une formation de six semaines supplémentaires (2oct-8nov) pour évaluer vos progrès et vous donner de la rétroaction afin de vous aider à obtenir un rendement satisfaisant. Les résultats des évaluations effectuées pour la formation supplémentaire démontrent que vous avez de la difficulté à faire votre travail. Des exemples récents ont montré que vous éprouvez encore de la difficulté à adapter les techniques d’inspection, vous effectuez vos inspections de manière trop mécanique, certaines de vos questions n’ont rien à voir avec l’activité autorisée et il vous arrive de répéter une question même si le titulaire y a déjà répondu. Vos difficultés à coordonner les activités et accepter les commentaires constructifs persistent et votre sens de l’orientation fait défaut.       

33 M. McCabe a déclaré qu’au cours de cette rencontre, il a offert à M. Souaker de l’accompagner dans une tournée d’inspections, en compagnie de M. Fortier, pour lui donner une chance de lui démontrer ses habiletés. Il a déclaré avoir également suggéré à M. Souaker de chercher des opportunités d’emploi au sein de la CCSN dans un domaine plus conforme à son expérience et à son profil.

34 Au paragraphe 9 de l’annexe 1 de l’avis qu’il a acheminé à la CCDP, M. Souaker allègue avoir été complètement isolé au travail après la rencontre du 12 janvier 2007, que M. Alu et Mme Simard refusaient de faire des inspections avec lui et qu’il avait appris plus tard, en lisant les documents reçus à la suite d’une demande d’accès à l’information, que M. Fortier avait demandé explicitement à M. Alu et Mme Simard de ne pas lui donner de travail. M. Fortier a témoigné relativement à ces allégations. Il a nié avoir isolé M. Souaker et avoir demandé à M. Alu et Mme Simard de ne pas lui donner de travail. Enfin, il a nié que M. Souaker venait le voir tous les jours pour lui demander du travail et que M. Alu et Mme Simard aient refusé de faire des inspections avec M. Souaker. L’employeur a déposé un courriel que M. Souaker a obtenu à la suite d’une demande d’accès à l’information, qui n’est pas daté et qui est adressé par M. Fortier à M. Alu et Mme Simard, avec copie conforme adressée à M. Souaker qui se lit comme suit

À partir de maintenant et ce jusqu’à nouvel ordre, je vous demande de ne plus donner de travail à Fathi. Je vous demande aussi de reprendre tout ce qui est en marche avec lui.

Ce courriel était accompagné d’une copie d’un écran informatisé indiquant qu’il n’avait jamais été envoyé. M. Fortier a déclaré ne pas se souvenir de ce courriel. Il a cependant indiqué qu’il avait dû le préparer dans le cadre de discussions avec M. McCabe concernant la formation de M. Souaker, mais qu’ils avaient dû changer d’idée par la suite. 

35 M. McCabe, pour sa part, a indiqué que M. Souaker ne lui avait jamais fait part qu’il avait été isolé au travail suite à la rencontre du 12 janvier 2007.  

36 M. McCabe a accompagné M. Souaker lors de cinq inspections menées dans la semaine du 12 février 2007, dont une inspection en anglais et quatre en français. M. McCabe dit avoir constaté les mêmes lacunes chez M. Souaker que celles constatées par les inspecteurs. Il a indiqué, que lors de la première inspection, même le représentant du titulaire de permis avait fait la remarque que M. Souaker semblait collé à sa liste de contrôle. M. McCabe a indiqué que, lors d’une autre inspection, il fut constaté qu’un travailleur avait été surexposé à des matières radioactives, que le représentant du titulaire de permis n’avait pas de processus adéquat en place pour éviter ce genre de situation et que M. Souaker n’a pas saisi la gravité de la situation. Contre-interrogé sur sa capacité de suivre ce qui se passait lors des inspections en français, M. McCabe a déclaré qu’il se fiait à la liste de contrôle pour suivre.  

37 Après la troisième journée d’inspections, M. McCabe a fait annuler les inspections prévues la quatrième journée en raison du mauvais temps et des conditions routières. Il a déclaré que, de toute façon, il avait suffisamment observé M. Souaker pour tirer ses propres conclusions. Il a également indiqué qu’il n’avait pas fait de commentaire à M. Souaker à la fin de chacune des inspections, pour ne pas le décourager.

38 M. McCabe a rencontré M. Souaker à leur retour au bureau, le 15 février 2007, pour lui faire part de ses observations. Il l’a également revu le lendemain. M. McCabe a indiqué qu’au cours de leurs discussions, M. Souaker était revenu sur l’examen de conduite qu’il avait passé au CAA-Québec et qu’il avait échoué à son premier essai, et qu’il remettait encore en doute l’objectivité de l’examinateur, précisant que l’examinateur lui avait demandé d’où il venait. M. McCabe dit avoir alors demandé à M. Souaker s’il estimait avoir fait l’objet d’un traitement discriminatoire de la part de l’examinateur ou de toute autre personne et que M. Souaker a d’abord répondu par un non timide. M. McCabe dit lui avoir reposé la question et M. Souaker a nié avoir fait l’objet d’un traitement discriminatoire.

39 M. McCabe a nié que M. Souaker l’ait informé, à quelque moment que ce soit, avoir fait l’objet d’un traitement discriminatoire. Contre-interrogé sur une rencontre qu’il aurait eue avec les représentants syndicaux de M. Souaker le 19 janvier 2007, M. McCabe a déclaré que ceux-ci souhaitaient discuter du dossier de M. Souaker et des possibilités qu’il puisse trouver un autre emploi au sein de la CCSN. M. McCabe a indiqué qu’aucune allusion à des allégations de traitement discriminatoire n’avait été faite au cours de cette rencontre. Les notes qu’il a prises au cours de cette rencontre, et qui ont été déposées en preuve, ne rapportent pas d’allégations de discrimination de la part de M. Souaker.

40 M. McCabe a analysé l’ensemble de la situation et recommandé au directeur général de la direction de la réglementation des substances nucléaires de la CCSN, Ramzi Jammal, le renvoi en cours de stage de M. Souaker parce qu’il ne répondait pas aux exigences de son poste. Il a acheminé une note de service à la directrice des ressources humaines, dans laquelle il lui a fait part de son appréciation de rendement de M. Souaker et de sa recommandation.

41 En date du 29 mars 2007, M. Jammal a signé la lettre de renvoi de M. Souaker qui contient les éléments suivants :

Un examen de votre rendement global a indiqué que vous ne répondez pas aux exigences de votre poste. Bien que vous ayez été clairement informé des déficiences et qu’on vous ait donné du coaching supplémentaire et du temps pour améliorer votre rendement à un niveau satisfaisant, les lacunes à l’égard de la maîtrise des tâches et de l’adaptabilité aux tâches demeurent.

Malgré les efforts déployés afin de vous aider qu’il s’agisse de surveillance, de formation en milieu de travail, d’encadrement, d’aide et d’orientation et d’une formation supplémentaire ciblée de six semaines, vous n’avez pas démontré la maîtrise et l’adaptabilité requises pour les tâches assignées. Donc d’autres mesures ont été prises, telles que le prolongement de votre période de probation et la tenue de plusieurs inspections accompagnées par votre directeur et le coordonnateur du bureau régional, afin de vous aider à améliorer votre rendement à un niveau satisfaisant.

Vous avez été informé des exigences liées à votre poste lors de plusieurs réunions et pendant le soutien fourni, tel que décrit ci-dessus, afin de vous aider à vous améliorer. Vous avez également été informé dans une lettre, datée du 8 janvier 2007, de vos lacunes et des conséquences si vous ne réussissez pas à satisfaire aux exigences.

Votre capacité à coordonner des activités, à adapter les techniques d’inspection, à développer les compétences d’un inspecteur, à accepter la rétroaction constructive et à mettre en œuvre des mesures correctives sont inférieures à la norme prévue pour un employé à votre poste. Par conséquent, je n’ai d’autre choix que de vous rejeter en période de probation à compter de la fermeture des bureaux le 30 mars 2007.        

[Sic pour l’ensemble de la citation]

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

42 M. Souaker a décrit le travail d’inspecteur d’une façon conforme à la description donnée par les témoins de l’employeur. Il a par ailleurs indiqué que M. Fortier était son supérieur immédiat : c’est lui qui assurait sa supervision directe. M. Fortier supervisait le personnel et procédait à l’évaluation du rendement du personnel. Selon M. Souaker, M. McCabe était beaucoup plus loin des activités.

43 M. Souaker a témoigné à propos de son intégration au bureau de Laval. Il a indiqué que, lors de sa deuxième journée, M. Fortier lui a parlé du niveau auquel il avait été embauché, soit un niveau NR-SI-06, lui disant que, comme il avait été recruté à un niveau aussi élevé, il devait posséder les compétences pour effectuer des inspections de façon autonome. M. Fortier lui aurait également indiqué que son embauche à ce niveau ne faisait pas l’unanimité parmi les inspecteurs du bureau.

44 M. Souaker a indiqué que, dans les semaines qui ont suivies son embauche, il a fait de la lecture alors que les autres inspecteurs embauchés en même temps que lui avaient commencé à observer des inspections dès leur deuxième semaine de travail. Il a déclaré qu’il avait dû attendre six semaines avant d’observer ses premières inspections, lors d’un voyage en Alberta. Il a indiqué qu’entre le 13 mars 2006 et son départ pour l’Alberta, le 23 mars 2006, il avait fait de la lecture, que M. Fortier était son unique contact et que, lorsqu’il avait des questions à poser à M. Fortier, ce dernier lui répondait que lui aussi était nouveau et que M. Souaker allait être son cobaye. M. Souaker a précisé qu’avant son départ pour l’Alberta, il n’avait jamais vu une liste de contrôle, qui est le principal outil de travail des inspecteurs lors des inspections. Il dit avoir pris connaissance de la liste de contrôle lors de son voyage en Alberta et a indiqué que l’inspecteur qui l’accompagnait avait été étonné de constater qu’il n’était pas encore familier avec cet outil de travail fondamental.

45 M. Souaker a témoigné relativement à la rencontre qu’il a eue avec M. McCabe le 4 avril 2006, mais il en a donné une version qui diffère complètement de celle de M. McCabe. M. Souaker a déclaré que cette rencontre n’avait pas été planifiée et qu’elle s’était tenue alors qu’il avait pris l’initiative de passer saluer ses collègues du bureau d’Ottawa avant de se rendre à une rencontre avec la présidente de la CCSN, qui avait invité les nouveaux employés à la rencontrer. Il a précisé que sa visite avait duré tout au plus 5 minutes et qu’il avait vu M. Larabie, M. Poirier et M. McCabe. M. Souaker a déclaré que M. McCabe ne lui avait fait aucun reproche lors de cet entretien et qu’au contraire, il l’avait encouragé dans son nouveau travail.

46 M. Souaker a réfuté le contenu des notes que M. McCabe dit avoir prises suite à la rencontre. Il a nié que la rencontre ait duré 20 minutes et que M. McCabe lui ait fait quelque reproche que ce soit concernant son rendement. Il a aussi réfuté chacun des reproches formulés dans les notes, précisant en outre qu’il n’avait jamais éprouvé de difficulté à s’enregistrer dans un hôtel ou à faire un plein d’essence. Il a aussi mis en contexte l’allégation contenue dans les notes de M. McCabe selon laquelle il avait été incapable de se rendre seul d’un garage au bureau, précisant qu’il avait pris une sortie d’autoroute différente de celle empruntée par M. Fortier, ce qui avait allongé son trajet. 

47 M. Souaker a également témoigné de sa rencontre du 2 octobre 2006 avec M. McCabe. Il a indiqué que cette rencontre n’avait pas été planifiée à l’avance et s’était tenue spontanément lors de son passage à Ottawa pour suivre un cours. Il a indiqué être passé saluer ses collègues du bureau d’Ottawa avant de se rendre à son cours, tout comme il l’avait fait le 4 avril 2006. Il a déclaré qu’à ce moment-là, M. McCabe l’a informé qu’il souhaitait le rencontrer et qu’au cours de leur rencontre, M. McCabe avait abordé deux sujets : l’examen de conduite du CAA-Québec, qu’il devait reprendre, et des présumés commentaires négatifs émis par les inspecteurs de Laval eu égard à son rendement.

48 M. Souaker dit que M. McCabe l’a informé qu’il avait reçu un rapport négatif concernant son rendement de la part des trois inspecteurs de Laval et ce, relativement à trois volets précis : son initiative, sa réaction sur le terrain et son adaptabilité. M. Souaker a indiqué avoir été très surpris et en avoir informé M. McCabe, puisque les inspecteurs ne lui avaient jamais fait ce genre de remarques ou d’autres remarques majeures lorsqu’il les accompagnait lors d’inspections. Il a déclaré avoir indiqué à M. McCabe qu’au contraire, les inspecteurs lui disaient qu’il travaillait bien. M. Souaker dit avoir demandé à M. McCabe s’il pouvait rencontrer ses collègues pour comprendre leurs commentaires ou clarifier les choses, ce à quoi M. McCabe aurait acquiescé, lui demandant de les rencontrer individuellement.

49 M. Souaker a déclaré que, durant sa rencontre avec M. McCabe, ce dernier avait adopté un ton très intimidant. Il a indiqué que M. McCabe lui avait demandé s’il se prenait pour un scientifique, lui indiquant que, si le travail ne lui plaisait pas, il pouvait aller « rouler des cotes de calculs dans la division des réacteurs ». Il a également déclaré avoir demandé à M. McCabe de lui donner des exemples des lacunes alléguées par ses collègues et tenté de lui donner des explications quant aux reproches qui lui étaient faits, mais que M. McCabe ne lui avait donné aucun exemple précis. M. McCabe ne l’avait pas laissé s’expliquer et lui avait dit ceci : « toi, tu n’écoutes pas et, puisque tu n’écoutes pas, tu vas me répéter tout ce que je t’ai dit depuis le début de la réunion. » M. Souaker a déclaré qu’il a alors dû répéter à M. McCabe tout ce qu’il lui avait dit depuis le début de la réunion.

50 M. Souaker a déclaré s’être senti humilié par l’attitude de M. McCabe à son endroit et victime d’une injustice, puisqu’il faisait bien son travail, avait de bons rapports avec ses collègues et n’avait jamais fait l’objet de commentaires négatifs de leur part. Il a précisé qu’au contraire, lors de ses sorties d’inspections, les inspecteurs lui faisaient des observations positives et notaient quelques points d’amélioration, mais ne lui faisaient jamais de remarques majeures. M. Souaker a précisé que la majorité de ses sorties avaient été faites en compagnie de Mme Simard.

51 M. Souaker a déclaré avoir rencontré individuellement ses trois collègues à son retour au bureau de Laval. Il a d’abord rencontré M. Fortier pour lui demander pourquoi il avait envoyé un rapport négatif à M. McCabe à son sujet, sans lui en avoir d’abord parlé. Il a indiqué que M. Fortier lui a répondu « en tout cas, nous, on ne voulait pas qu’il te rentre dedans » et a ajouté avoir dit à M. McCabe qu’il trouvait que M. Souaker était un homme fermé et sans personnalité.

52 M. Souaker a ensuite rencontré M. Alu, et a affirmé que ce dernier lui avait confirmé que les commentaires négatifs acheminés à M. McCabe ne venaient pas de lui. Il a indiqué que M. Alu lui avait dit qu’au contraire, il le trouvait bon et qu’il était très étonné des propos de M. McCabe.

53 M. Souaker a déclaré avoir par la suite rencontré Mme Simard, qui lui aurait affirmé avoir envoyé un seul document comportant des commentaires quant à son rendement, soit un courriel daté du 25 août 2006 qu’elle avait adressé à M. Fortier. Mme Simard a acheminé une copie de ce courriel à M. Souaker, qui l’a déposé en preuve lors de l’audience. Le courriel se lit comme suit :

En général pour les inspections elle-même il sait bien les faire même si c’est un peu long mais il devrait prendre de la vitesse avec le temps. Pour les laboratoires de recherches ça été correct excepté qu’il avait oublié de vérifier la contamination. Pour labo SM ce fut long mais le titulaire n’était pas très bien organisé. Pour la médecine nucléaire il s’est assez bien débrouillé mais il ne comprend pas encore assez comment ça marche. Un stage d’une journée dans un département lui serait profitable. Surtout pour comprendre les différents systèmes d’inventaire et d’examens qu’ils effectuent. Pour le côté pratique c’est OK avec l’aide du GPS il a su trouver les endroits. Tant qu’à préparer les rendez-vous et faire l’historique des inspections des titulaires ou nous allons, il aura besoin de pratique. Ce que je compte faire pour la préparation d’Halifax. Côté positif il est très méticuleux, poli et avec le check-list il réussie à faire des inspections correctement. Quelques petits oublis mais il apprend vite.   

[Sic pour l’ensemble de la citation]

54 M. Souaker a préparé un tableau précisant toutes les inspections qu’il avait effectuées et a déclaré y avoir inséré les commentaires que M. Alu lui avait faits lorsqu’il l’a rencontré suite à sa rencontre du 2 octobre 2006 avec M. McCabe. Il a également indiqué que Mme Simard avait, pour sa part, écrit elle-même sur le tableau ses commentaires quant au rendement de M. Souaker lors de chacune des inspections. M. Souaker a indiqué avoir acheminé ce tableau à M. McCabe, lequel était accompagné du message suivant, après avoir rencontré ses trois collègues:

[Traduction]

Comme je vous l’ai proposé, j’ai discuté avec le personnel.  Eric avait des obligations familiales : il m’a écouté mais n’a fait aucun commentaire avant de quitter le bureau.

Daniel a confirmé qu’il était satisfait de mes inspections et que j’avais fait du bon travail. Il n’a soulevé aucun problème particulier. Je lui ai parlé d’adaptation, d’initiative et de réaction sur le terrain, et il m’a dit qu’il n’avait observé aucun problème à ces égards. Il m’a rappelé l’occasion où nous étions à Québec et qu’il faisait une inspection intégrée. Il m’a trouvé très utile et positif lorsque je l’ai aidé en prenant des notes, en inspectant les instruments des laboratoires, en effectuant des tests de contamination et en vérifiant toutes les affiches et tous les collants. Il m’a dit qu’il avait intégré mes notes à son rapport.

Dans le rapport sur les inspections (en annexe) que vous m’avez demandé, il m’a proposé d’écrire ce commentaire : le superviseur était satisfait à la fin de l’inspection et il m’a confirmé que j’avais fait un bon travail, tous les commentaires ont été formulés pendant l’inspection.

Louise m’a confirmé que je fais de bonnes inspections, que je prends des initiatives, que je réagis bien sur le terrain et que je n’ai aucun problème particulier d’adaptation. Il y a certains points à améliorer, mais le temps fera son œuvre et, pendant les inspections, j’apprendrai par l’exemple à accélérer le rythme. Les commentaires inscrits dans mon rapport d’inspection viennent d’elle. Je lui ai demandé de commenter chaque inspection que j’ai faite avec elle, et c’est ce qu’elle a fait.

55 M. Souaker a déclaré que Mme Simard lui a même suggéré de contester l’évaluation qu’avait faite M. McCabe.

56 M. Souaker a déclaré que M. Alu et Mme Simard avaient fait part à M. McCabe de leur désaccord quant à l’évaluation du rendement de M. Souaker et la façon dont leurs commentaires avaient été traités et qu’ils  avaient, par la suite, refusé d’accompagner les nouveaux inspecteurs.

57 M. Souaker est revenu sur la formation supplémentaire que lui avait imposée M. McCabe et indiqué que, dans les faits, il n’y avait pas eu de plan spécifique de formation. On lui avait plutôt demandé de faire son travail habituel, c’est-à-dire de préparer et de procéder à des inspections alors qu’il serait accompagné de M. Poirier et de M. Fortier. Aucun objectif ne lui avait été communiqué.

58 M. Souaker a témoigné relativement à la semaine passée à Terre-Neuve en compagnie de M. Fortier et affirmé qu’elle ne s’était pas bien passée. Il a commenté, dans un premier temps, la qualité de sa relation avec M. Fortier. Il a indiqué que M. Fortier ne lui parlait plus depuis le mois d’octobre 2006. Il impute l’attitude de M. Fortier au fait que sa propre relation avec les deux autres inspecteurs du bureau de Laval s’était dégradée parce qu’ils avaient manifesté leur désaccord avec l’évaluation qu’avait faite M. Fortier du rendement de M. Souaker et avec les commentaires que M. Fortier leur avait attribués à cet égard. M. Souaker a indiqué que, depuis ces incidents, M. Fortier ne lui parlait que pour le strict nécessaire, sur le plan professionnel uniquement, et toujours lors de rencontres en groupe.

59 M. Souaker a affirmé que M. Fortier ne lui avait donné aucune rétroaction après les inspections d’octobre 2006 et qu’il lui avait dit que, lorsqu’il écrirait son rapport, il lui en remettrait une copie. M. Souaker a affirmé n’avoir jamais reçu le rapport de M. Fortier et indiqué que M. Fortier lui-même avait admis devant M. McCabe, lors de leur réunion du 15 février 2007, qu’il n’avait donné aucune rétroaction à M. Souaker au cours de la semaine d’inspections. M. Souaker dit avoir obtenu une copie du rapport de M. Fortier le 22 janvier 2007, après lui en avoir fait la demande officiellement et alors qu’il était assisté par son agent négociateur.  

60 M. Souaker a également réfuté la déclaration de M. Fortier suivant laquelle la discussion sur son origine ethnique et sa confession religieuse s’était engagée après que M. Fortier ait constaté, lors du premier lunch à Terre-Neuve, que M. Souaker ne mangeait pas. M. Souaker a déclaré que M. Fortier savait, bien avant leur départ pour Terre-Neuve, qu’il observait le Ramadan et que, se faisant, il ne pouvait ni manger ni boire du levé jusqu’au coucher du soleil. M. Souaker a précisé qu’en 2006, le Ramadan avait débuté le 24 septembre et s’était poursuivi jusqu’au 23 octobre. Entre le 24 septembre et leur départ pour Terre-Neuve le 15 octobre 2006, il a observé le Ramadan et affirmé que tout le monde au bureau était au courant. Il a déclaré qu’à l’heure du lunch, il s’assoyait avec ses collègues, même si lui ne mangeait pas, et qu’il avait parlé du Ramadan avec ses collègues à plusieurs reprises et ce, souvent en présence de M. Fortier. 

61 M. Souaker a déclaré que la discussion qu’il a eue avec M. Fortier relativement à son origine ethnique et à sa confession religieuse s’était engagée dans la voiture lors de leur retour d’une inspection. Il a indiqué que M. Fortier avait engagé la conversation en lui demandant pourquoi il avait immigré au Canada. Il a indiqué lui avoir alors parlé du processus d’immigration, de ses motivations et de celles de sa famille. Il a indiqué que M. Fortier avait ensuite abordé les difficultés des pays musulmans, notamment le terrorisme et l’économie en difficulté, ce à quoi il dit avoir rétorqué que la situation en Algérie n’était pas aussi terrible que ça. La conversation se serait poursuivie et, à un certain moment, M. Fortier aurait déclaré que, pour lui, les Musulmans étaient des gens fermés qui dictent à leurs femmes ce qu’elles doivent faire et que ces dernières ne jouissent d’aucune liberté. M. Souaker a affirmé avoir senti de la provocation dans les propos de M. Fortier et indiqué qu’il ne voulait pas lui répondre de la même façon. Il lui a plutôt expliqué les grands messages de l’islam et ce que l’islam représentait pour lui. La discussion se serait poursuivie et M. Fortier aurait demandé à M. Souaker s’il allait à l’église. M. Souaker a indiqué avoir expliqué à M. Fortier que les Musulmans vont à la mosquée et non à l’église, précisé qu’il allait à la mosquée et qu’il en était de même pour sa femme et ses enfants. Il a ensuite indiqué que M. Fortier lui a demandé ce qu’il ferait si ses enfants devenaient Chrétiens, ce à quoi il lui avait répondu que ça le toucherait comme père, mais que, s’ils prenaient cette décision à l’âge adulte, le choix leur appartenait. M. Souaker a indiqué que M. Fortier lui a alors demandé pourquoi il était venu au Canada et ne retournait pas en Algérie.

62 La conversation se serait poursuivie sur l’Algérie et M. Fortier lui aurait demandé s’il y avait des routes et des magasins comme ici ou si les Algériens vivaient dehors comme en Éthiopie. M. Souaker dit avoir répondu que l’Algérie n’était pas le Canada, mais que les gens ne vivent pas dehors et qu’ils possèdent le nécessaire. M. Souaker a déclaré s’être tû, en espérant que M. Fortier changerait de sujet, car la tournure de la conversation le touchait beaucoup.

63 Selon M. Souaker, M. Fortier a poursuivi la conversation en indiquant qu’il avait vu de belles femmes musulmanes porter le foulard et en lui demandant si sa femme portait le foulard. M. Souaker dit avoir répondu par l’affirmative et expliqué que le foulard faisait partie du hijab. M. Fortier lui aurait alors demandé ceci : « pourquoi, vous les Musulmans, vous cachez vos femmes ; ce sont des méthodes dépassées, comment faites-vous pour vivre avec cette religion?» M. Souaker dit avoir répondu que le port du hijab était un ordre divin, les musulmanes le portent par conviction et ce n’est pas l’apparence qui fait d’elles des femmes libres ou soumises. M. Souaker a déclaré que la conversation s’est ainsi terminée.

64 M. Souaker a également indiqué que M. Fortier avait commenté le fait qu’il ne prenait pas d’alcool. Il a indiqué qu’après chaque journée d’inspections, ils arrêtaient se prendre un repas et, à chaque fois, M. Fortier prenait une boisson alcoolisée, alors que lui prenait toujours un jus ou une boisson gazeuse. M. Souaker dit que M. Fortier ne ratait jamais une occasion de lui dire « c’est ça que tu mets dans ton verre ; c’est ridicule, mais c’est ton choix.» M. Souaker a déclaré avoir alors dit à M. Fortier qu’il était Musulman et qu’il avait choisi de ne pas prendre d’alcool.

65 M. Souaker a ensuite témoigné sur le contenu de l’avis qu’il a envoyé à la CCDP. M. Souaker a déclaré que l’annexe 1 (contenant ses allégations) avait été préparée par la représentante de son agent négociateur et que celle-ci l’avait rédigée à partir des informations qu’il lui avait fournies. Il a également confirmé avoir entériné la version définitive de l’annexe avant qu’elle ne soit acheminée à la CCDP.

66 M. Souaker a également témoigné relativement aux deux semaines d’inspections passées en compagnie de M. Poirier. Il a déclaré que, de façon générale, les inspections s’étaient bien passées et que M. Poirier lui avait fait des commentaires positifs et certaines remarques sur des éléments à améliorer. Il s’est par ailleurs dit en désaccord avec l’évaluation de rendement faite par M. Poirier et précisé que M. Poirier ne lui avait pas mentionné toutes les lacunes consignées dans ses rapports d’observations. M. Souaker a relaté les commentaires qu’il dit avoir reçus de M. Poirier. Suite à une inspection, M. Poirier lui aurait recommandé d’adapter son niveau de langage à celui de son interlocuteur, en précisant que les titulaires de permis et leur représentant n’ont pas tous le même niveau d’éducation. M. Souaker dit avoir répondu à M. Poirier qu’il avait utilisé un français standard, que l’inspection s’était bien déroulée et que le titulaire avait répondu à toutes ses questions, sans demander de clarification. Suite à une autre inspection, M. Poirier lui aurait fait la remarque que la personne qu’ils avaient rencontrée n’avait pas compris les questions que lui avait posées M. Souaker, parce qu’il s’exprimait dans un français européen, et qu’il devait adapter son accent et son langage en fonction du titulaire de permis. M. Souaker a déclaré avoir répondu à M. Poirier qu’il reconnaissait que la dame lui avait demandé de répéter et de préciser certains éléments, ce qui avait permis de dissiper toute incompréhension.

67 M. Souaker a indiqué que M. Poirier lui avait également fait des commentaires sur l’importance du langage corporel, lui transmettant des notions qu’il enseignait dans un cours que M. Souaker n’avait pas encore suivi, sans toutefois lui faire de reproches et sans faire de parallèle avec sa façon de procéder lors des inspections. M. Poirier lui aurait également indiqué que son anglais n’était pas bien compris de tous les titulaires de permis, surtout dans l’Ouest canadien.

68 M. Souaker a déclaré qu’il n’avait jamais pris connaissance avant l’audience des rapports d’observations préparés par M. Poirier. Il a indiqué avoir communiqué avec M. Poirier pour lui demander d’obtenir copie de ses rapports d’observations et que ce dernier avait refusé, lui indiquant qu’il allait suivre la procédure et les acheminer à M. Fortier, auprès de qui M. Souaker devrait s’adresser pour en obtenir copie. M. Souaker a déclaré avoir par la suite demandé à M. Fortier de lui remettre les rapports de M. Poirier, ce que M. Fortier a refusé.      

69 M. Souaker a témoigné à l’égard des déclarations de M. Poirier, selon lesquelles M. Souaker lui aurait demandé, avec beaucoup d’émotion, de lui donner une bonne évaluation, car il avait peur de perdre son emploi. M. Souaker a démenti cet événement et déclaré que, lors des rencontres de rétroaction avec M. Poirier, il n’a jamais imploré la pitié de ce dernier pour qu’il lui donne une évaluation positive ni évoqué avec lui la possibilité qu’il perde son emploi.

70 Quant aux déclarations de M. Poirier selon lesquelles il aurait informé M. Souaker qu’il était représentant syndical et qu’il pouvait le référer à l’agent négociateur, M. Souaker a à nouveau démenti les propos de M. Poirier, précisant qu’il ne savait même pas à cette époque que M. Poirier était délégué syndical et que, durant cette période, il ne sentait pas le besoin de solliciter l’aide de son agent négociateur. Il a déclaré avoir entrepris ses premiers contacts auprès de son agent négociateur après sa rencontre du 12 janvier 2007 avec M. McCabe.  

71 Lors de son témoignage, M. Souaker a réfuté les reproches formulés à son endroit. Il a déposé en preuve les résultats des tests de langue seconde lors de son embauche, qui démontrent qu’il a obtenu des résultats supérieurs aux exigences de son poste. Il a également donné de nombreux exemples concrets survenus lors d’inspections pour démontrer qu’il savait faire preuve d’initiative, de perspicacité et d’adaptabilité sur le terrain et qu’il n’était pas collé sur sa liste de contrôle. Il a aussi témoigné en regard des reproches qui lui étaient faits sur ses qualités de conducteur. Il a déposé un extrait de son dossier de conduite auprès de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), qui indique qu’il n’a jamais commis d’infraction ni obtenu de points d’inaptitude. Quant à son examen de conduite auprès du CAA-Québec, il a déclaré avoir été très surpris de l’avoir échoué la première fois et que, lors de la reprise, il avait obtenu une note de 88 %. Il dit avoir également été surpris que M. McCabe lui ait reproché la qualité de sa conduite automobile en janvier 2007, alors qu’il avait repassé l’examen et obtenu la note de 88 %. Il a également rapporté avoir conduit dans différents endroits et environnements dans le cadre de son travail et n’avoir jamais eu d’accident ou endommagé un véhicule.

72 M. Souaker a également témoigné relativement aux reproches qui auraient été formulés par les deux inspecteurs avec qui il avait suivi une formation en octobre 2006. Il a déclaré n’avoir jamais été informé de ces reproches et déclaré ne pas avoir adopté de comportement inapproprié lors de ce cours.

73 M. Souaker a témoigné relativement à la rencontre qu’il avait eue le 12 janvier 2007 avec M. McCabe et M. Fortier. Il a indiqué qu’il ne connaissait pas à l’avance le but de cette rencontre et avait été totalement étonné lorsqu’il avait pris connaissance de la lettre datée du 8 janvier 2007 que lui a remise M. McCabe. N’ayant reçu aucun suivi après les inspections faites en compagnie de M. Fortier et M. Poirier, il pensait que tout était rentré dans l’ordre. Il a réitéré que M. Fortier ne lui avait fait aucun commentaire lors des inspections qu’il avait faites avec lui en octobre 2006. M. Fortier s’était toutefois engagé à lui remettre un rapport, ce qu’il n’avait pas fait. Quant aux commentaires que lui avait formulés M. Poirier, ils n’avaient rien à voir avec ce qui lui était reproché dans la lettre datée du 8 janvier 2007.

74 M. Souaker a déclaré que, lorsque M. McCabe lui a proposé de l’accompagner lors d’inspections, avec M. Fortier, il lui a promis qu’il serait transparent, qu’il lui donnerait de la rétroaction après chacune des inspections et lui donnerait l’occasion de commenter le rapport qu’il rédigerait par la suite.

75 M. Souaker a ajouté avoir demandé à M. McCabe de lui donner des exemples eu égard aux reproches formulés dans la lettre datée du 8 janvier 2007. M. McCabe lui a répondu qu’il n’avait pas ses notes avec lui, mais qu’il les lui enverrait. Il ne l’a jamais fait, bien que M. Souaker le lui ait redemandé par courriel. M. Souaker a aussi déclaré que eux égards aux inspections au cours desquelles il l’accompagnerait, M. McCabe ne lui a fourni aucun plan ou objectif, se contentant de lui demander de préparer un horaire d’inspections et de procéder comme il le faisait normalement.

76 M. Souaker a déclaré qu’entre le 12 janvier 2007 et le 12 février 2007, il a été complètement isolé au travail ; on ne lui donnait aucune inspection à effectuer et il était complètement ignoré de ses collègues. Il a indiqué qu’à tous les jours, il allait voir M. Fortier pour lui demander de lui donner des inspections à faire. M. Fortier lui disait qu’il allait lui en donner, mais, dans les faits, il ne lui en a jamais donné. M. Souaker a déclaré n’avoir réussi à participer qu’à une seule inspection au cours de cette période.  

77 M. Souaker a déclaré qu’en janvier et février 2007, sa situation correspondait à de la torture morale et qu’il ne méritait pas ce traitement. Il a déclaré avoir communiqué avec M. McCabe pour lui demander, en vain, d’intervenir. 

78 M. Souaker a témoigné à propos des inspections faites en présence de M. McCabe et M. Fortier. Il a déclaré que les inspections, qui devaient se dérouler sur une semaine complète, s’étaient limitées à 2 jours au cours desquels il avait fait cinq inspections en français et une inspection en anglais. M. McCabe avait annulé les autres inspections en raison des conditions climatiques.

79 Témoignant au regard de l’incident lié à la surexposition d’un travailleur relaté par M. McCabe, M. Souaker a affirmé que c’est lui qui a découvert qu’un travailleur avait été surexposé à des matières radioactives, qu’il avait très bien saisi la gravité de cette situation et avait effectué les suivis appropriés auprès du titulaire de permis. Quant au commentaire que M. McCabe a attribué à l’un des représentants d’un titulaire de permis, suivant lequel M. Souaker était collé sur sa liste de contrôle, M. Souaker l’a nié.  

80 M. Souaker a déclaré n’avoir reçu aucun commentaire ni rétroaction de MM. McCabe et Fortier après chacune des inspections. M. Souaker a déclaré avoir parlé avec M. McCabe lorsqu’il s’est retrouvé seul avec lui au retour et affirmé lui avoir alors rappelé qu’il lui avait promis d’être transparent et de lui donner de la rétroaction après chacune des inspections. M. Souaker a affirmé que M. McCabe lui a alors répondu qu’il n’était pas un inspecteur mais que M. Fortier allait préparer un rapport d’évaluation et que M. Souaker aurait l’occasion de commenter ce rapport. M. Souaker a déclaré n’avoir jamais reçu ledit rapport.

81 M. Souaker a déclaré que la seule rétroaction qu’il a reçue avait été faite le 15 février 2007 lors d’une rencontre avec M. McCabe. Au cours de cette rencontre, M. McCabe lui aurait fait certaines remarques et lui aurait notamment reproché d’avoir posé la même question à trois reprises. M. Souaker a déclaré avoir demandé à M. McCabe s’il avait constaté les éléments qui lui étaient reprochés dans la lettre datée du 8 janvier 2007. M. McCabe lui a dit que, bien qu’il n’avait pas remarqué de « défauts techniques », il trouvait qu’il travaillait comme un inspecteur junior. M. McCabe lui aurait également suggéré de poser des questions ouvertes au lieu de questions fermées durant les entrevues avec les titulaires de permis et de prendre son temps lors des inspections. M. McCabe aurait ajouté que M. Souaker éprouvait des problèmes de communication. M. Souaker a affirmé que M. McCabe lui a dit qu’il lui reparlerait de son rendement la semaine suivante, mais qu’il ne lui en a pas reparlé avant de le congédier.

82 M. Souaker a également affirmé avoir revu M. McCabe le 16 février. Il dit lui avoir alors indiqué qu’il était isolé au bureau de Laval depuis le 12 janvier 2007. Il a affirmé l’avoir également informé qu’il faisait l’objet de discrimination. M. Souaker a déclaré que M. McCabe lui avait alors dit « je ne suis pas un juge » et avait ensuite quitté la pièce pour y revenir avec M. Fortier. M. Souaker a indiqué que M. McCabe a alors demandé à M. Fortier si M. Souaker avait été isolé, ce à quoi M. Fortier aurait répondu affirmativement, précisant que M. Alu et Mme Simard refusaient de faire des inspections avec lui. M. Souaker a affirmé que M. McCabe a alors déclaré à M. Fortier qu’il souhaitait que M. Souaker recommence à faire des inspections. M. Souaker a affirmé que M. McCabe n’était pas revenu sur l’allégation de discrimination.

83 M. Souaker a déclaré être devenu inquiet suite à ces rencontres parce que M. McCabe ne lui avait pas reparlé de son rendement, contrairement à ce qu’il lui avait dit. Il a donc consulté son agent négociateur et demandé une rencontre avec le directeur général, M. Ramzi, pour lui donner sa version des faits. M. Souaker a déclaré que cette rencontre avait été fixée et annulée à la dernière minute, pour des raisons qu’il ignore. Il a également déposé des échanges de courriels qui attestent que la rencontre a effectivement été annulée par l’employeur.    

84 M. Souaker a témoigné de la période qui a suivi son renvoi. Il a déclaré que cette période avait été très difficile et que cela avait nui à sa santé et à sa vie familiale. Il a affirmé avoir vécu beaucoup de stress et d’insomnie et, qu’avec le temps, il s’était  replacé. Il a également témoigné des démarches qu’il a faites et des emplois qu’il a occupés depuis son renvoi de la CCSN.

85 À la fin de son témoignage, M. Souaker a déclaré qu’il attribuait son renvoi au comportement discriminatoire de M. Fortier à son endroit. Il a affirmé que, dès son embauche, M. Fortier ne l’aimait pas, qu’il n’avait pas été transparent avec lui et que lors de leur voyage à Terre-Neuve il l’avait ébranlé avec des commentaires sur sa confession religieuse et son origine ethnique. Il a ajouté que M. Fortier avait transmis une évaluation de son rendement à M. McCabe en ne citant pas correctement les commentaires de M. Alu et de Mme Simard et l’avait par la suite isolé pendant un mois.

86 M. Souaker a confirmé que seul M. Fortier avait tenu des propos discriminatoires à son endroit. M. Souaker a affirmé que M. McCabe avait été intimidant et que son comportement à son égard était inadéquat, mais qu’il ne l’avait jamais entendu lui faire des commentaires discriminatoires. Il a également reconnu que M. Alu, Mme Simard et M. Poirier n’avaient jamais tenu à son endroit des propos discriminatoires.

87 M. Souaker a aussi confirmé qu’il n’avait pas consulté son agent négociateur relativement à l’intimidation dont il allègue avoir été l’objet. Il a également confirmé qu’il n’avait pas informé M. Poirier, lors des deux semaines passées avec lui, des propos et du comportement discriminatoires que M. Fortier avait eus à son endroit quelques semaines auparavant. Il a aussi reconnu ne pas en avoir parlé à M. McCabe en janvier 2007 et affirmé qu’il avait contacté son agent négociateur en janvier 2007. Son agent négociateur avait alors tenté de régler le problème lié à l’emploi de M. Souaker sans invoquer les allégations de discrimination, pour éviter les frictions et tenter de régler la situation.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

88 L’employeur soutient que le grief de M. Souaker n’est par arbitrable parce que le renvoi en période de stage ne correspond pas à l’une des matières pouvant être renvoyées à l’arbitrage en vertu de l’article 209 de la Loi et ce, bien que l’article 211 de la Loi ne s’applique pas en l’espèce parce que la CCSN est un organisme distinct non assujetti à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, édictée par les articles 12 et 13 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique. 

89 L’employeur a traité de chacun des alinéas du paragraphe (1) de l’article 209 de la Loi. Il a d’emblée écarté l’application de l’alinéa 209(1)c) de la Loi, parce que M. Souaker n’est pas un fonctionnaire de l’administration centrale, et l’alinéa 209(1)d) de la Loi, parce que la CCSN n’est pas un organisme distinct que le gouverneur en conseil a assujetti à cet alinéa par décret.

90 Contrairement aux prétentions de M. Souaker, l’employeur soutient que le renvoi à l’arbitrage du grief ne peut être fondé sur l’alinéa 209(1)a) de la Loi, qui traite des griefs mettant en cause l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention collective. L’employeur soutient qu’il faut cerner l’essence d’un grief pour déterminer s’il s’agit d’un grief arbitrable et pour identifier en vertu de quel alinéa de l’article 209 de la Loi le renvoi peut être fondé. En l’espèce, l’employeur prétend que, bien que M. Souaker allègue avoir fait l’objet de discrimination et invoque une violation de la clause de non-discrimination de la convention collective, l’essence de son grief réside dans la contestation de son renvoi en cours de stage. Or, du point de vue de l’employeur, le législateur a prévu de façon limitative les circonstances dans lesquelles un grief contestant une fin d’emploi peut être renvoyé à l’arbitrage et ce, à l’alinéa 209(1)b), au sous-alinéa 209(1)c)(i) et à l’alinéa 209(1)d) de la Loi. Le renvoi en cours de stage n’entre pas dans les catégories de licenciement qui sont arbitrables, à moins d’être en présence d’une mesure disciplinaire déguisée.

91 L’employeur ajoute que la convention collective, pour sa part, ne prévoit pas la possibilité de déposer un grief à l’encontre d’un licenciement et que la clause de non-discrimination ne peut servir d’assise à un grief qui a comme objet essentiel de contester un licenciement. L’employeur soutient que fonder le renvoi à l’arbitrage d’un grief contestant un licenciement, qui autrement ne serait pas arbitrable, sur la clause de non-discrimination de la convention collective ne respecterait pas l’intention du législateur, qui a choisi de ne pas accorder le droit à l’arbitrage aux fonctionnaires renvoyés en période de stage : Porcupine Area Ambulance Service v. Canadian Union of Public Employees, Local 1484 (1974), 7 L.A.C. (2d) 182.

92 Reste l’alinéa 209(1)b) de la Loi qui traite des griefs à l’encontre de mesures disciplinaires. L’employeur maintient que les paramètres développés par la jurisprudence en matière de renvoi en cours de stage au sein de l’administration publique centrale s’appliquent à un organisme distinct et qu’un arbitre de grief possède la compétence d’examiner si le renvoi en cours de stage constitue un subterfuge qui camoufle dans les faits une mesure disciplinaire déguisée motivée par la mauvaise foi ou la discrimination. Dans ce contexte, l’employeur reconnaît qu’il a le fardeau initial de démontrer que le renvoi en cours de stage était réellement fondé sur des motifs liés à l’emploi. Le cas échéant, il n’a pas à démontrer que les motifs invoqués justifiaient le renvoi. L’employeur a soutenu qu’il appartenait ensuite au fonctionnaire de faire la preuve que son renvoi constituait en fait une mesure disciplinaire déguisée, un subterfuge camouflant un licenciement fait de mauvaise foi ou de façon discriminatoire. Dans ce contexte, l’article 6 de la convention collective devenait pertinent pour déterminer si le renvoi avait été exercé de façon discriminatoire. L’employeur soutient donc que la clause de non-discrimination dans la convention collective peut être invoquée pour examiner si le renvoi camoufle un subterfuge, un licenciement de mauvaise foi ou de nature disciplinaire. Dans un tel cas, le renvoi à l’arbitrage doit être fondé sur l’alinéa 209(1)b) de la Loi et non sur l’alinéa 209(1)a).  

93 L’employeur m’a renvoyée aux affaires Canada (Procureur général) c. Leonarduzzi, 2001 CFPI 529, Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.), Archambault c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CF 183, Lundin c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2004 CRTFP 167, Chaudhry c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 72, Arnould c. Conseil du Trésor (Pêches et Océans Canada), 2004 CRTFP 80, Melanson c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 33, et Ondo-Mvondo c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2009 CRTFP 52.

94 L’employeur soutient qu’en l’espèce, la preuve démontre clairement que le renvoi de M. Souaker était lié à son emploi, notamment à son rendement, et que M. Souaker n’a pas démontré que son renvoi avait été motivé par des considérations discriminatoires, qu’il avait été fait de mauvaise foi ou qu’il camouflait une mesure disciplinaire déguisée.

95 L’employeur reconnaît que M. Souaker et les témoins de l’employeur, principalement M. Fortier, ont présenté des témoignages contradictoires et que je devrai soupeser leur crédibilité respective. À cet égard, l’employeur m’a renvoyée aux critères d’appréciation de la crédibilité des témoins retenus par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, et soutenu qu’en l’espèce, la preuve de l’employeur devait être préférée au témoignage de M. Souaker.

96 L’employeur soutient que la preuve a démontré de façon non équivoque que la décision de renvoyer M. Souaker était fondée sur les lacunes constatées dans son rendement, et plus particulièrement, sur ses habiletés pratiques. L’employeur soutient que les lacunes quant aux habiletés pratiques de M. Souaker ont été constatées par tous les inspecteurs qui ont observé M. Souaker faire des inspections, que ce soit M. Poirier, M. Fortier, Mme Simard ou M. Alu. M. McCabe a lui aussi fait les mêmes constats lorsqu’il a accompagné M. Souaker lors d’une tournée d’inspections en février 2007. L’employeur soutient que les observations faites par les personnes qui ne sont aucunement visées par les allégations de discrimination à l’endroit de M. Souaker, et qui n’avaient aucune raison de vouloir défavoriser M. Souaker, suffisent pour démontrer que son renvoi a été motivé par des lacunes de rendement, notamment au niveau de ses habiletés pratiques.

97 L’employeur soutient par ailleurs que les propositions de M. Souaker, selon lesquelles il faisait adéquatement son travail d’inspecteur, l’employeur ne l’a pas appuyé et ne lui a pas donné de rétroaction, ne sont pas crédibles. L’employeur soutient que le comportement de M. Souaker, tant au sein de la CCSN que lors de son témoignage, démontre une personne qui estime avoir toujours raison, qui nie avoir quelque lacune que ce soit, qui tente toujours de réfuter chacun des reproches qui lui sont faits, qui est en désaccord avec les observations de MM. Fortier, Poirier, McCabe et dans une certaine mesure, avec celles de M. Alu.

98 Quant aux allégations de discrimination de M. Souaker, l’employeur insiste, dans un premier temps, sur le fait qu’elles sont dirigées exclusivement vers M. Fortier et que M. Souaker n’a pas prétendu que MM. Poirier, Alu, McCabe ou Mme Simard l’avaient traité de façon discriminatoire ou avaient tenu à son endroit des propos discriminatoires. L’employeur soutient que les allégations de discrimination de M. Souaker ne sont pas crédibles et ont été faites à la dernière heure, lorsqu’il a compris qu’il perdrait son emploi. Pour l’employeur, il apparaît invraisemblable qu’un homme comme M. Souaker, qui est éduqué et possède un bon bagage de vie, ait été victime de discrimination de la part de la personne qu’il considère comme son supérieur immédiat et n’ait pas dénoncé ce comportement au moment opportun : il n’en a jamais parlé à M. Poirier; n’en n’a pas parlé à M. McCabe avant février 2007, selon sa propre version; n’en a pas parlé à son agent négociateur avant janvier 2007, alors qu’il savait, depuis au moins octobre 2006, que M. McCabe mettait en doute ses capacités à satisfaire aux exigences du poste d’inspecteur et, depuis le 12 janvier 2007, que M. McCabe avait décidé de prolonger sa période de stage.

99 L’employeur soutient qu’il est tout aussi invraisemblable que l’agent négociateur de M. Souaker ait été informé de ses allégations de discrimination et ait néanmoins choisi de na pas invoquer cet élément auprès de l’employeur alors que l’employeur mettait en doute la capacité de M. Souaker de faire son travail d’inspecteur de façon satisfaisante et que ce dernier risquait de perdre son emploi.

100 L’employeur soutient, de plus, que le témoignage de M. Fortier doit être préféré à celui de M. Souaker, car il est plus vraisemblable que celui de M. Souaker et est plus compatible avec l’ensemble de la preuve. L’employeur insiste sur le fait que M. Fortier n’a pas nié avoir eu une conversation avec M. Souaker relativement à l’origine ethnique et à la confession religieuse de ce dernier. M. Fortier a peut-être été maladroit à certains égards, ayant lui-même déclaré qu’il était ignorant de la culture algérienne et de l’islam, mais il n’a pas tenu de propos discriminatoires.    

101 L’employeur soutient également que, même si je devais retenir la version de M. Souaker eu égard aux propos et au comportement attribués à M. Fortier, la preuve ne permet pas de conclure qu’il y a un lien de cause à effet entre ces propos et comportement et la décision de renvoyer M. Souaker en cours de stage. L’employeur soutient à cet égard que la décision de recommander le renvoi de M. Souaker a été prise par M. McCabe, et non par M. Fortier, et était fondée sur les observations concordantes de plusieurs personnes et non uniquement sur celles de M. Fortier. L’employeur soutient également que, selon la version même de M. Souaker, M. McCabe n’a pas été informé avant le 15 février 2007 des allégations de discrimination formulées par M. Souaker et qu’à ce moment-là, son appréciation du rendement de M. Souaker était déjà faite.

102 De façon subsidiaire, l’employeur soumet que, si le grief de M. Souaker est arbitrable, la compétence d’un arbitre de grief à l’encontre d’un renvoi en cours de stage doit se limiter à examiner si la décision de l’employeur a été prise pour des raisons liées au rendement de l’employé et il m’a renvoyée aux principes élaborés dans Porcupine.   

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

103 M. Souaker envisage son grief dans une perspective différente de celle présentée par l’employeur. Il soutient que son grief n’est pas fondé sur l’alinéa 209(1)(b) de la Loi,qui traite de mesures disciplinaires, puisqu’il ne prétend pas avoir fait l’objet d’une mesure disciplinaire ou d’une mesure disciplinaire déguisée.

104 M. Souaker soutient plutôt que son grief est fondé sur l’alinéa 209(1)a) de la Loi, qui traite des griefs mettant en cause l’interprétation ou l’application de la convention collective. Il prétend que son renvoi en cours de stage a été motivé par des considérations discriminatoires liées à son origine ethnique et à sa confession religieuse et ce, contrairement à l’article 6 de la convention collective et à la LCDP. M. Souaker m’a renvoyée au libellé du grief, qui évoque clairement une allégation de discrimination en contravention avec la convention collective :

Je conteste mon renvoi en cours de stage, qui a eu lieu le 29 mars 2007, car il a été effectué de mauvaise foi. Il est arbitraire et discriminatoire (article 6 de la convention collective).

105 M. Souaker s’est dit en désaccord avec la proposition de l’employeur voulant que l’essence de son grief réside en une contestation de son renvoi en cours de stage et non en un litige découlant de l’application ou de l’interprétation de la convention collective. Il soutient qu’au contraire, l’essence du litige réside dans le traitement discriminatoire dont il a fait l’objet, lequel s’est d’abord traduit par des propos discriminatoires de la part de M. Fortier, suivi d’un traitement défavorable, pour se terminer par son renvoi. Pour M. Souaker, son renvoi constituait l’aboutissement du traitement discriminatoire dont il a fait l’objet et l’essence de son grief est rattachée à ses allégations de discrimination.

106 À cet égard, M. Souaker soutient que l’article 6 de la convention collective prohibe expressément toute forme de discrimination et que cette disposition peut valablement servir de fondement à son grief. M. Souaker soutient que l’article 6 de la convention collective accorde clairement des droits substantifs aux employés. M. Souaker soumet, au surplus, que l’alinéa 226(1)g) de la Loi donne compétence à un arbitre de grief pour interpréter et appliquer la LCDPet pour rendre les ordonnances prévues à l’alinéa 53(2)e) de la LCDP. E n l’espèce, le traitement défavorable dont il a été l’objet et son renvoi ont été basés sur sa confession religieuse et son origine ethnique, lesquelles constituent des motifs de distinction illicite au sens des articles 3 et 7 de la LCDP.

107 M. Souaker soutient que la jurisprudence n’exige pas la preuve que la discrimination a constitué le seul motif ou le motif déterminant de la mesure contestée, mais exige plutôt la preuve que la mesure contestée a été motivée, en tout ou en partie, par des motifs discriminatoires. Au soutien de sa proposition, M. Souaker me renvoie à Bergeron c. Télébec Ltée, 2005 CF 879. 

108 Quant au fardeau de preuve lui incombant, M. Souaker soutient qu’il devait faire une preuve prima facie qu’il a été victime de discrimination et il m’a renvoyée à cet égard à Rodovanovic c. Via Rail Canada Inc., [1994] D.C.D.P. No 5 (QL), rendue par le Tribunal canadien des droits de la personne. Il soumet également qu’en présence d’une preuve prima facie, l’employeur doit réfuter ses éléments de preuve. À cet égard, il m’a renvoyé à Compagnie minière Québec Cartier c. Québec (Commission des droits de la personne), 1998 CanLII 12609 (C.A. Qué.) et plus particulièrement au passage suivant :

77. Avant d’étudier la proposition fondamentale de Québec Cartier suivant laquelle le juge a manifestement erré en concluant que Blais avait été licencié en partie à cause de son âge, je désire humblement dire ceci concernant la doctrine du prima facie dont traite le juge : dans toute cause, lorsque, d’une façon quelconque, le réclamant a prouvé les allégations essentielles de sa procédure et que les éléments de preuve sont crus par le tribunal, le défendeur sera condamné à moins qu’il ne détruise les éléments de preuve apportés par le réclamant. Il ne s’agit pas d’une règle de droit spéciale, mais d’une simple application de la logique. Je ne vois pas que la façon de prouver un fait par présomption dans les causes où on allègue une violation d’un droit ou d’une liberté de la personne est ou devrait être différente de la façon dont la preuve par présomption est faite dans toute autre cause civile.

109 M. Souaker affirme avoir présenté une preuve prima facie démontrant qu’il a été victime de discrimination de la part de l’employeur, notamment de la part de M. Fortier, qui agissait comme son véritable supérieur immédiat et qui a influencé M. McCabe dans sa décision de recommander son renvoi en cours de stage.  

110 M. Souaker a reconnu que je devrai trancher entre des thèses et versions contradictoires, principalement entre les versions de M. Fortier et M. Souaker et que, pour ce faire, je devrai appliquer les critères d’appréciation de la crédibilité des témoins développés par la jurisprudence et retenir les témoignages qui sont les plus cohérents avec l’ensemble des éléments mis en preuve. À cet égard, il m’a renvoyée à Faryna.

111 M. Souaker a également soutenu que le témoignage d’un témoin qui affirme qu’un événement s’est produit doit être préféré à celui d’une personne qui en nie l’existence et m’a renvoyée au soutien de son assertion à Lefeunteum v. Beaudoin (1897), 28 S.C.R. 89.

112 M. Souaker soutient qu’en l’espèce, une analyse de l’ensemble de la preuve et l’application des critères d’appréciation de la crédibilité des témoins mènent à la conclusion que sa version doit être retenue, parce qu’elle est plus crédible et probable que celle de l’employeur.

113 M. Souaker a soutenu, dans un premier temps, qu’il a clairement témoigné du contexte et de la nature des propos racistes tenus par M. Fortier, de même que son comportement inadéquat à son endroit : M. Fortier ne l’a jamais soutenu, n’a pas été transparent avec lui, ne lui a pas donné de rétroaction et ne l’informait pas des évaluations des autres inspecteurs. De plus, M. Fortier a tenu des propos racistes et dénigrants lors de leur semaine d’inspections à Terre-Neuve, l’a isolé pendant un mois lors de la prolongation de sa période de stage et a mal cité les propos des inspecteurs Simard et Alu quant à l’appréciation de son rendement. M. Fortier, pour sa part, s’est contenté de nier les propos racistes que lui attribue M. Souaker, affirmant avoir été cité hors contexte et avoir eu un comportement adéquat à l’égard de M. Souaker.

114 M. Souaker est revenu sur les propos de l’employeur attaquant sa crédibilité en raison du fait qu’il n’avait pas contacté son agent négociateur en octobre ou novembre 2006, alors qu’il savait que son emploi était menacé. Il a indiqué avoir affirmé ne pas avoir été inquiet en octobre 2006, puisque les informations reçues de M. McCabe quant aux commentaires des trois inspecteurs du bureau de Laval ne correspondaient pas aux commentaires qu’il avait lui-même reçus et qu’il était convaincu de pouvoir rectifier les faits en rencontrant les inspecteurs. Il ne sentait donc pas le besoin de contacter son agent négociateur à ce moment et aucune conclusion ne peut être tirée du fait qu’il n’a pas communiqué avec ses représentants syndicaux à cette période là.

115 M. Souaker a également soutenu que le même commentaire s’appliquait eu égard à l’assertion de l’employeur suivant laquelle il n’était pas plausible de croire que l’agent négociateur était au courant des allégations de discrimination de M. Souaker et avait choisi de ne pas en informer l’employeur. Il s’agissait là d’une stratégie, alors que la priorité de l’agent négociateur était de sauver l’emploi de M. Souaker, et aucune conclusion quant à sa ne peut être tirée de cet élément.

116 M. Souaker a également soutenu qu’il ressortait des témoignages de MM. Fortier, McCabe et Poirier que l’employeur n’a pas fait ce qu’il aurait dû pour l’aider et le soutenir durant sa période de stage. De plus, le comportement des représentants de l’employeur mettait en doute la thèse de l’employeur selon laquelle le renvoi de M. Souaker était motivé uniquement par son incapacité à effectuer adéquatement les tâches d’inspecteur. M. Souaker a notamment insisté sur les éléments suivants :

  • dès son arrivée, M. Fortier lui a dit qu’il avait été embauché à un niveau d’inspecteur NR-SI-06 et que, par conséquent, il devait être en mesure de préparer et de faire des inspections de façon autonome; il lui a également indiqué que le niveau auquel il avait été embauché créait de l’insatisfaction au sein de l’équipe;
  • contrairement aux inspecteurs embauchés en même temps que lui, qui ont observé des inspections dès la deuxième semaine suivant leur embauche, lui avait dû attendre au 26 mars, soit 6 semaines après son embauche, pour observer sa première inspection en Alberta; de plus, c’est lors de cette première inspection qu’il a pris connaissance de la liste de contrôle pour la première fois, alors qu’il s’agit du principal outil de travail des inspecteurs;
  • Il est invraisemblable que M. McCabe ait été informé dès le début avril 2006 de ses  lacunes, alors que la première inspection à laquelle il a participé a été faite le 26 mars 2006, ce qui donne une période trop courte pour évaluer ses capacités;
  • lorsque M. McCabe a fait l’évaluation de son rendement en octobre 2006, il a retenu uniquement les éléments négatifs des évaluations de son rendement faites par Mme Simard et M. Alu, alors que ces évaluations, bien que relevant certains éléments à améliorer, contenaient plusieurs éléments positifs qui n’ont pas été considérés;
  • sa relation avec M. Fortier s’était détériorée en octobre 2006, à partir du moment où il a mis en doute l’évaluation que M. McCabe avait faite de son rendement sur la base des observations des inspecteurs du bureau de Laval qui avaient été transmises par M. Fortier, et suite au désaccord qu’ont exprimé M. Alu et Mme Simard quant à la façon dont l’évaluation avait été faite;  
  • la formation additionnelle qu’il devait recevoir à l’automne 2006 a, dans les faits, consisté à lui demander de faire son travail habituel et il n’a reçu ni coaching, ni formation;
  • il a eu beaucoup de difficulté à obtenir de la rétroaction concrète avec des exemples des lacunes qu’on lui reprochait et il était impossible pour lui de conceptualiser ces reproches sans détail ni exemple; M. McCabe refusait de lui donner des exemples concrets des reproches qu’il lui faisait, et omettait de faire des suivis qu’il avait promis de faire; M. Fortier ne lui avait donné aucune rétroaction lors des inspections faites avec lui et avait refusé de lui remettre les observations écrites de M. Poirier; M. Fortier ne lui a jamais fait part du rapport négatif fait par les inspecteurs ayant participé à une formation avec lui;
  • l’employeur n’a pas respecté sa propre politique de gestion du rendement, qui prévoit qu’une évaluation formelle du rendement doit être faite en présence de problèmes de rendement, ce qui n’a pas été fait en l’espèce;  
  • l’employeur lui a reproché la qualité de son anglais, bien que les résultats qu’il a obtenus à ses tests de langue seconde démontrent que son niveau d’anglais était supérieur aux exigences linguistiques du poste d’inspecteur;
  • l’employeur a mis en doute ses qualités de conducteur, alors que son dossier de conduite auprès de la SAAQ démontre qu’il n’a jamais commis d’infraction, ni obtenu de point d’inaptitude;
  • M. McCabe a déclaré que sa décision n’était pas encore prise en janvier 2007, alors que des échanges de courriels entre M. McCabe et M. Fortier, en novembre 2006, démontrent clairement que l’employeur avait déjà l’intention de le renvoyer en cours de stage;
  • l’employeur n’a pas jugé bon de recourir à nouveau à M. Poirier pour l’aider, alors que ce dernier était le spécialiste de la formation;
  • il a été isolé pendant la période de prolongation de son stage; l’employeur ne lui donnait pas de travail, alors que l’heure était critique et ce, malgré ses demandes insistantes et les promesses de M. Fortier de lui donner du travail;
  • M. McCabe a déclaré avoir prolongé sa période de stage et l’avoir accompagné lors d’inspections dans le but de lui donner une dernière chance de démontrer ses capacités, mais, dans les faits, M. McCabe a fait annuler un bon nombre d’inspections, il l’a accompagné lors d’inspections en français alors qu’il ne comprenait pas le français et il ne lui a pas donné de rétroaction;  
  • alors que tous les témoins de l’employeur lui avaient reproché d’être trop collé sur la liste de contrôle lors de ses inspections, M. McCabe a déclaré s’être basé sur cette même liste de contrôle pour suivre le déroulement des inspections en français au cours desquelles il l’a accompagné et évalué son rendement.   

117 M. Souaker a également insisté sur les nombreux exemples qu’il a fournis lors de son témoignage, qui démontrent ses capacités et contredisent le portrait qui a été dépeint de lui par les témoins de l’employeur.

118 M. Souaker soutient donc qu’une analyse complète de la preuve démontre que son renvoi en cours de stage n’était pas véritablement basé sur son rendement et que le comportement discriminatoire de M. Fortier à son endroit a influencé la décision de le renvoyer.  

119 M. Souaker soutient que l’employeur est responsable des faits et gestes de ses gestionnaires et qu’il ne peut prétendre avoir été diligent lorsqu’il a été informé de la situation. À cet égard, il m’a renvoyée à Rodovanovic. Il soutient, de plus, que l’employeur n’a pas traité avec sérieux ses allégations de discrimination et n’a pas fait le suivi qu’il aurait dû faire. M. McCabe a été informé de ses allégations de discrimination lors de la rencontre du 15 février 2007, mais n’y pas donné suite. M. Fortier, pour sa part, a indiqué avoir pris connaissance des allégations de discrimination de M. Souaker deux semaines avant son témoignage. Ceci démontre que l’employeur n’a pas véritablement fait d’enquête, bien que, dans sa réponse au dernier palier de la procédure interne de grief, il indique que son enquête l’a amené à conclure que les allégations de discrimination n’étaient pas fondées.

IV. Motifs

120 Je dois, dans un premier temps, trancher l’objection à ma compétence soulevée par l’employeur et déterminer si le grief de M. Souaker peut être renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)(a) de la Loi. Les parties envisagent l’objet du grief dans une perspective différente : M. Souaker soutient que le renvoi à l’arbitrage de son grief est fondé sur l’alinéa 209(1)a) de la Loi, qui traite de l’application ou de l’interprétation de dispositions de la convention collective, alors que l’employeur soutient que le grief de M. Souaker ne peut être renvoyé à l’arbitrage en vertu de cet alinéa et que seul l’alinéa 209(1)b) de la Loi pourrait servir d’assise au renvoi à l’arbitrage et ce, uniquement en présence d’une preuve que le renvoi en cours de stage de M. Souaker était un subterfuge qui camouflait un licenciement de nature disciplinaire. À cet égard, l’employeur soutient que les principes développés par la jurisprudence en matière de renvoi en cours de stage doivent s’appliquer.

121 Pour les motifs qui suivent, je ne partage pas le point de vue de l’employeur et je conclus que le grief de M. Souaker a été valablement renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi

122 L’employeur a avancé plusieurs arguments à l’encontre de la position de M. Souaker. Il a prétendu, dans un premier temps, que l’essence du grief de M. Souaker réside dans la contestation de son renvoi en cours de stage et non dans une allégation de discrimination. Avec égard, je considère que la contestation du renvoi de M. Souaker est indissociable de son allégation de discrimination : il soutient avoir fait l’objet d’un traitement discriminatoire sur la base de son origine ethnique et de sa confession religieuse, ce qui a ultimement mené à son renvoi en cours de stage. Les allégations de discrimination de M. Souaker m’apparaissent donc au cœur du litige et en constituent l’essence, même si la mesure contestée est le renvoi.    

123 L’employeur a également soutenu que l’article 209 de la Loiprévoit de façon limitative les circonstances dans lesquelles un grief contestant un licenciement peut être renvoyé à l’arbitrage et que le renvoi en cours de stage ne fait pas partie des licenciements mentionnés à l’un ou l’autre des alinéas de l’article 209, à moins que la preuve ne démontre que le renvoi était en fait un subterfuge qui camoufle un licenciement fait de mauvaise foi et de nature disciplinaire.

124 Je conviens que le droit d’un fonctionnaire de renvoyer un grief à l’arbitrage prend sa source dans la Loi et non dans la convention collective. Le législateur a prévu à l’article 209 de la Loi, de façon expresse et limitative, les matières qui peuvent être renvoyées à l’arbitrage et, en principe, un licenciement à l’encontre d’un renvoi en cours de stage n’est pas arbitrable. Cette conclusion ne suffit toutefois pas, à mon avis, à régler la question de ma compétence. Outre les griefs à l’encontre des mesures qui sont expressément mentionnées aux alinéas 209(1)b), (c) et d) de la Loi, le législateur a aussi prévu, à l’alinéa 209(1)a) de la Loi, que les griefs mettant en cause l’application ou l’interprétation de la convention collective sont arbitrables. Or, M. Souaker soutient que son licenciement a été fait en violation de l’article 6 de la convention collective. La clause 6.01 de la convention collective se lit comme suit :

Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation de famille, son état civil, son incapacité mentale ou physique, sa situation matrimoniale, ou une condamnation pour laquelle il a obtenu son pardon ou son adhésion à l’institut ou son activité dans celui-ci.

[Je souligne]

Cette disposition est sans équivoque : elle prévoit le droit pour chaque employé d’être traité en toute égalité et de ne pas faire l’objet de discrimination. Elle impose à l’employeur l’obligation correspondante de traiter ses fonctionnaires en toute égalité et sans discrimination.Je ne vois pas sur quelle base je pourrais conclure que cette clause n’accorde pas de droits substantifs aux employés et qu’elle ne peut servir d’assise à un grief.

125 Lorsqu’un fonctionnaire allègue, dans un grief, qu’une décision qui affecte ses conditions d’emploi ou met en cause la survie même de son lien d’emploi a été motivée par des considérations discriminatoires et que la convention collective prévoit spécifiquement l’absence de toute discrimination en milieu de travail, il s’agit, à mon sens, d’un grief qui met en cause l’application de la convention collective au sens de l’alinéa 209(1)a) de la Loi et un arbitre de grief est compétent pour disposer de l’allégation de discrimination.

126 Contrairement aux prétentions de l’employeur, je considère que permettre le renvoi à l’arbitrage, en vertu de l’alinéa 209(1)(a) de la Loi, du renvoi en cours de stage d’un fonctionnaire qui allègue que son licenciement a été motivé par des considérations discriminatoires en violation de la convention collective, ne viole pas l’intention du législateur, parce que le législateur n’a certainement pas souhaité qu’une violation de la convention collective échappe à l’examen d’un arbitre de grief.

127 Il est également utile de noter que les alinéas 226(1)g) et h) de la Loi accordent expressément compétence à un arbitre de grief pour « interpréter et appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne » et « rendre les ordonnances prévues à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la Loi canadienne des droits de la personne. »

128 Je rejette donc l’objection à ma compétence soulevée par l’employeur et conclus que j’ai compétence pour disposer du grief de M. Souaker, qui a été valablement renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi. Un mot par ailleurs sur l’étendue de ma compétence.  

129 Bien que l’article 6 de la convention collective me confère compétence à l’égard du grief de M. Souaker, cette compétence se limite à examiner si le renvoi en cours de stage a été fait de façon discriminatoire et ne me permet pas de procéder à un examen du mérite du renvoi. Le législateur a choisi d’assujettir les nouveaux employés à une période de stage et de ne pas leur accorder le droit à l’arbitrage de grief lorsqu’ils sont renvoyés en cours de stage. Un arbitre de grief doit donc se garder d’évaluer le bien-fondé de la décision de renvoyer un fonctionnaire en cours de stage sous prétexte qu’il a compétence pour examiner si le renvoi a été motivé par des considérations discriminatoires.

130 Comme j’ai conclu que M. Souaker avait valablement renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)(a) de la Loi, je n’ai pas à me prononcer sur la question de savoir si M. Souaker aurait pu renvoyer son grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)(b) ni à appliquer les critères développés par la jurisprudence dans les cas où un fonctionnaire renvoyé en cours de stage allègue que son renvoi en cours de stage camoufle un licenciement de nature disciplinaire.

131 Passons maintenant aux allégations de discrimination soulevées par M. Souaker. Il est bien établi en jurisprudence que la personne qui allègue avoir été victime de discrimination doit faire une preuve prima facie de ses allégations. Lorsque cette personne a satisfait à son fardeau, il incombe alors à la partie défenderesse de fournir une explication pour démontrer qu’elle n’a pas agi de façon discriminatoire ou que sa conduite était autrement justifiée. La Cour d’appel fédérale a rappelé comme suit le concept de la preuve prima facie dans Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204:

[…]

[18] Les arrêts Etobicoke et O’Malley, précités, prévoient les règles de base concernant l’établissement, par un plaignant, d’une preuve prima facie de discrimination en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Selon le juge McIntyre, dans l’affaire Etobicoke, à la page 208 : « Lorsqu’un plaignant établit devant une commission d’enquête qu’il est, de prime abord, victime de discrimination, […] il a droit à un redressement en l’absence de justification de la part de l’employeur. » Le juge McIntyre a repris le critère permettant d’établir une preuve prima facie de discrimination dans O’Malley, précité à la page 558 :

Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire qu’il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu’ à preuve du contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé.

[…]

132 Les tribunaux ont également reconnu qu’une mesure, en l’espèce le renvoi en cours de stage de M. Souaker, peut avoir été motivée par plusieurs raisons et que, s’il est établi que l’une de ces raisons est discriminatoire, la mesure est considérée illégitime : Holden v. Canadian National Railway (1990), 112 N.R. 395 (F.C.A.).  

133 Enfin, il est reconnu que le fardeau de la preuve applicable en matière de discrimination est celui de la prépondérance des probabilités.

134 En l’espèce, pour satisfaire à son fardeau de preuve, M. Souaker devait présenter une preuve prima facie, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a fait l’objet d’un traitement discriminatoire et que ce traitement discriminatoire a été l’une des raisons qui a motivé son renvoi en cours de stage. Pour les motifs qui suivent, je considère que M. Souaker n’a pas fait cette preuve prima facie.

135 Je vais reprendre le résumé que M. Souaker fait de sa perception de la situation dans l’avis qu’il a envoyé à la CCDP :

[…]

11. Ma situation au travail a commencé à se détériorer suite l’intervention du coordonnateur M. Fortier qui a fait des commentaires négatifs à mon égard en octobre 2006, commentaires qui ont été désavoués par mes principaux superviseurs par la suite. M. Fortier a toujours manqué de transparence avec moi. Il a toujours refusé de commenter mon travail et à me [sic] faire part d’objectifs précis à rencontrer. Les seules remarques dont m’a fait part M. Fortier portaient sur ma personne, mon origine et ma religion. Finalement, il m’a isolé lors de la période critique de prolongation de mon stage, m’empêchant ainsi de démontrer ma capacité à accomplir les tâches du poste d’inspecteur. Les circonstances entourant l’évaluation de mon travail et mon renvoi me portent à conclure sans équivoque que j’ai été traité de manière discriminatoire en raison de mon origine algérienne et de ma religion.

[…]

136 Les propositions des parties sont diamétralement opposées : M. Souaker prétend que M. Fortier a tenu à son endroit des propos discriminatoires, l’a défavorisé sur la base de considérations discriminatoires et a influencé la décision ultime de le renvoyer en cours de stage. L’employeur, pour sa part, nie que M. Fortier ait tenu des propos discriminatoires ou adopté un comportement discriminatoire à l’endroit de M. Souaker et soutient, au surplus, que les propos et le comportement prêtés à M. Fortier n’ont eu aucune influence sur la décision de renvoyer M. Souaker en cours de stage.     

137 La preuve a été largement contradictoire. Je dois donc apprécier la crédibilité des témoins et déterminer la version des faits qui m’apparaît la plus probable eu égard à l’ensemble des éléments du présent dossier. Les parties m’ont renvoyée aux critères énoncés dans Faryna pour m’aider à apprécier la crédibilité des témoins et j’estime que le passage suivant est particulièrement à propos :

[Traduction]

[…]

9. Cependant, la validité des éléments de preuve ne dépend pas, en fin de compte, des circonstances où ils demeurent non contestés ou de la circonstance où le juge aurait pu faire des observations favorables ou défavorables à l’égard de la preuve ou du comportement d’un témoin; ce sont des éléments de vérification de la preuve, mais il faut d’abord que la preuve soit compatible avec les probabilités propres à l’affaire dans son ensemble et ayant été démontrées comme existantes à ce moment; et cf. Brethour c. Law Society of B.C., [1951] 2 D.L.R. 138, p. 141-2.

10. Si la conclusion du juge de première instance à propos de la crédibilité doit tenir à la question de savoir qui, à son avis, donne l’impression d’être le plus sincère à la barre des témoins, sa conclusion sera purement arbitraire et l’administration de la justice se fera en fonction des déclarations des personnes qui se sont révélées les plus performants à la barre des témoins. Réflexion faite, il devient presque évident que l’apparence de sincérité n’est qu’un des éléments qui entre en ligne de compte lorsqu’il s’agit d’apprécier la crédibilité d’un témoin. Les possibilités qu’avait le témoin d’être au courant des faits, sa capacité d’observation, son jugement, sa mémoire, son aptitude à décrire avec précision ce qu’il a vu et entendu contribuent, de concert avec d’autres facteurs, à créer ce qu’on appelle la crédibilité [...] Par son attitude, un témoin peut créer une impression très défavorable quant à sa sincérité, alors que les circonstances permettent de conclure de façon indubitable qu’il dit la vérité. Je ne songe pas ici aux cas somme toute assez peu fréquents où l’on surprend le témoin en train de dire un mensonge maladroit.

11. On ne peut pas évaluer la crédibilité des témoins intéressés, notamment lorsque la preuve est contradictoire, en se demandant seulement si, par son comportement, le témoin donne l’impression de dire la vérité. Sa version des faits doit faire l’objet d’un examen raisonnable visant à établir si elle concorde avec les probabilités entourant les conditions qui existaient alors. Bref, ce qui permet de vérifier réellement si le témoin dit la vérité en pareil cas, c’est que son témoignage doit être compatible avec la prépondérance des probabilités qu’une personne pratique et bien renseignée reconnaîtrait aisément comme raisonnable dans ce lieu et dans ces conditions. […] Le juge de première instance qui déclare avoir cru le témoin parce qu’il estimait l’avoir entendu dire la vérité arrive à une conclusion en ne tenant compte que de la moitié du problème. En réalité, cela peut être un jugement personnel dangereux.

12. Le juge qui instruit l’affaire devrait aller plus loin en stipulant que les déclarations du témoin qu’il croit sont conformes à la prépondérance des probabilités dans l’affaire et, pour que son jugement soit digne de confiance, il doit aussi préciser ses raisons d’arriver à une telle conclusion. La loi ne confère pas aux juges la faculté divine de sonder les esprits et les cœurs des témoins, et la Cour d’appel doit être convaincue que la crédibilité accordée au témoin par le juge de première instance est fondée non pas sur un seul élément à l’exclusion des autres, mais bien sur tous les éléments pouvant attester de la véracité du témoignage en l’occurrence.  

[…]

138 Une analyse de l’ensemble de la preuve en l’espèce m’amène à conclure que la version des faits présentée par les témoins de l’employeur est plus vraisemblable et plus probable que celle de M. Souaker et que certains facteurs affaiblissent la crédibilité de M. Souaker.

139 Dans un premier temps, je retiens, pour les raisons qui suivent, le témoignage de M. Fortier plutôt que celui de M. Souaker.

140 Je vais d’abord traiter de la déclaration de M. Souaker suivant laquelle, lorsqu’il a rencontré M. Fortier suite à la rencontre qu’il a eu le 2 octobre 2006 avec M. McCabe, M. Fortier lui aurait dit avoir informé M. McCabe qu’il trouvait que M. Souaker était un homme fermé et sans personnalité. Je considère que l’affirmation de M. Souaker ne concorde pas avec certains éléments de la preuve.

141 D’abord, M. Fortier a envoyé un courriel à M. McCabe le 2 octobre 2006, soit juste avant que ce dernier ne rencontre M. Souaker. Dans ce courriel, M. Fortier exprime son opinion sur M. Souaker et y indique que M. Souaker est un chic type qui possède de très bonnes connaissances, mais qui n’occupe pas un poste qui lui convient. J’estime que le contenu de ce courriel ne cadre pas du tout avec les propos que M. Souaker prête à M. Fortier au sujet de sa personnalité. Deuxièmement, je trouve surprenant que, dans le courriel qu’il a acheminé à M. McCabe après avoir rencontré M. Fortier et les deux autres inspecteurs, M. Souaker ne fasse aucune mention des propos négatifs qu’il prête à M. Fortier au cours de son entretien avec lui. Au contraire, M. Souaker écrit que M. Fortier n’avait émis aucun commentaire et qu’il avait quitté parce qu’il avait des obligations familiales. Enfin, les propos négatifs que M. Fortier aurait transmis à M. McCabe à l’endroit de M. Souakercontrastent avec l’extrait suivant des notes rédigées par M. McCabe après sa du 2 octobre 2006 avec M. Souaker, dans lequel il décrit la perception qu’ont les inspecteurs de M. Souaker :

[Traduction]

J’ai recueilli les commentaires de toutes les personnes ayant interagi avec lui lors d’inspections ou au bureau.

Le message des inspecteurs était toujours le même. Il est intelligent et capable de relever les aspects techniques. Bonnes relations interpersonnelles et aimable.

Ce passage ne fait pas état de commentaires négatifs que M. Fortier aurait fait à M. McCabe relativement à la personnalité de M. Souaker. Au contraire, il fait état d’un consensus positif parmi les collègues de M. Souaker. Les notes de M. McCabe sont détaillées et j’estime plus probable de penser que M. McCabe aurait consigné un commentaire de la nature de celui que M. Souaker attribue à M. Fortier, s’il avait été réellement fait. 

142 Je vais maintenant traiter de l’affirmation de M. Souaker suivant laquelle sa relation avec M. Fortier s’était dégradée à compter du mois d’octobre 2006, soit après que M. Souaker ait contesté son évaluation de rendement et que la propre relation de M. Fortier avec Mme Simard et M. Alu se soit dégradée après que ces derniers aient manifesté leur désaccord avec l’évaluation qu’avait faite M. Fortier du rendement de M. Souaker et des commentaires qu’il leur avait attribué à cet égard. M. Souaker a indiqué que, depuis ces événements, M. Fortier ne lui adressait plus la parole, sauf à des fins strictement professionnelles, et qu’il le faisait toujours en groupe. Il m’apparaît difficile de concevoir que M. Fortier ait pu engager une discussion sur un sujet aussi personnel que la religion, pendant leur semaine d’inspections à Terre-Neuve du 16 au 19 octobre 2006, si la relation entre eux s’était à ce point détériorée. De plus, cette déclaration de M. Souaker contraste avec les commentaires formulés par M. Fortier dans les observations écrites qu’il a transmises à M. McCabe après cette semaine d’inspections, où, après avoir mentionné des lacunes qu’il avait constatées, M. Fortier a souligné les éléments positifs des qualités et de l’attitude de M. Souaker. Il écrit ce qui suit :

[…]

Cependant, Fathi a une bonne connaissance de la loi et des règlements. Il est connaissant en instrumentation et en physique nucléaire théorique. De plus, il a une volonté de travail hors du commun. Il n’est jamais trop tard ou trop tôt pour Fathi. Il est disponible pour voyager comme aucun autre inspecteur au bureau de Laval.   

[…]

Ces commentaires ne démontrent aucune animosité de la part de M. Fortier à l’endroit de M. Souaker. Au contraire, ils démontrent une volonté de ne pas insister uniquement sur les aspects négatifs du rendement de M. Souaker. J’ajoute que je n’ai pas senti d’animosité de la part de M. Fortier à l’égard de M. Souaker lors de son témoignage.

143 Une troisième affirmation de M. Souaker me laisse songeuse : M. Souaker a déclaré que M. Fortier lui avait fait des commentaires déplacés sur le fait qu’il ne prenait pas d’alcool. Dans son témoignage, M. Fortier a nié avoir tenu de tels propos et expliqué que, puisqu’un membre de sa propre famille avait eu des problèmes d’alcool, il ne ridiculiserait jamais le choix de quelqu’un de ne pas en consommer. J’ai beaucoup de difficulté à imaginer que M. Fortier ait pu « inventer » une telle explication, qui est très personnelle, pour justifier ne pas avoir tenu de tels propos.     

144 M. Souaker a également affirmé que M. Fortier avait mal cité M. Alu et Mme Simard lorsqu’il a transmis leur appréciation de son rendement à M. McCabe et que ces derniers n’avaient pas formulé de commentaires négatifs à son endroit. Or, le courriel que M. Alu a acheminé à M. McCabe le 10 octobre 2006 et celui que Mme Simard a envoyé à M. Fortier le 25 août 2006 font état de commentaires positifs de leur part, mais également de points à améliorer.  

145 Un autre élément soulève des doutes dans mon esprit quant à la vraisemblance de la version présentée par M. Souaker : outre les divergences entre son témoignage et celui de M. Fortier, le témoignage de M. Souaker comporte aussi des divergences importantes avec le témoignage de M. Poirier et celui de M. McCabe.

146 Voici, d’abord, certaines contradictions que j’ai relevées entre le témoignage de M. Souaker et celui de M. Poirier :   

  • M. Souaker a affirmé que M. Poirier ne lui a jamais fait part de toutes les lacunes qu’il a consignées dans ses rapports d’observations et que les seuls commentaires qu’il lui avait faits concernaient son accent en anglais et en français et son niveau de langage, que les titulaires de permis avaient de la difficulté à comprendre; M. Poirier a soutenu, au contraire, qu’il avait discuté avec M. Souaker de tous les éléments contenus dans ses rapports d’observation;
  • M. Poirier a affirmé que M. Souaker lui a demandé de lui donner une évaluation positive, parce qu’il craignait perdre son emploi; M. Souaker a nié complètement cette allégation et ajouté qu’en octobre 2006, il ne craignait pas de perdre son emploi et ne sentait pas le besoin de consulter son agent négociateur, parce qu’il estimait être en mesure de rectifier les faits en rencontrant les inspecteurs qui avaient fait des commentaires négatifs sur son rendement;
  • M. Poirier a affirmé avoir informé M. Souaker, en novembre 2006, qu’il était représentant syndical et lui avoir offert de le référer à un autre représentant syndical s’il estimait que l’agent négociateur pouvait lui venir en aide; M. Souaker a nié cette conversation et affirmé ne pas avoir appris, avant 2007, que M. Poirier était représentant syndical;       
  • M. Poirier a déclaré qu’il avait observé plusieurs lacunes dans le rendement de M. Souaker et que ce dernier sentait, déjà en octobre 2006, que son emploi était en jeu; ces éléments ne cadrent pas avec la proposition de M. Souaker selon laquelle son rendement était adéquat et il n’était pas inquiet de son sort en octobre 2006.

147 Je considère, à la lumière de tous les éléments au dossier, que le témoignage de M. Poirier est plus vraisemblable que celui de M. Souaker. M. Poirier est complètement neutre, il n’est pas visé par les allégations de discrimination de M. Souaker et il n’a aucune raison de vouloir défavoriser M. Souaker. Au contraire, son rôle de représentant syndical l’incitait plutôt à vouloir offrir du soutien à M. Souaker et à le référer à l’agent négociateur pour de l’aide. M. Poirier a témoigné de façon objective, sans animosité envers M. Souaker, et il a démontré un malaise non feint lorsqu’il a relaté les discussions très émotives qu’il a eues avec M. Souaker. Je considère que M. Poirier n’avait aucune raison ni aucun intérêt à inventer les discussions qu’il a rapportées avoir eues avec M. Souaker. Je considère également que M. Poirier n’avait aucune raison de ne pas procéder à une évaluation objective de M. Souaker ou de ne pas lui donner une rétroaction complète : il avait accepté de l’accompagner spécifiquement pour l’évaluer et lui donner de la rétroaction et avait été choisi par M. McCabe parce qu’il était neutre et possédait une solide expertise en formation.

148 Les observations faites par M. Poirier m’amènent également à porter foi aux observations faites par M. Fortier. M. Souaker réfute tant les observations de M. Fortier que celles de M. Poirier. Or, la preuve démontre que les observations de M. Poirier et de M. Fortier ont été, pour l’essentiel, convergentes et similaires et, comme je l’ai indiqué, rien ne me permet de douter de l’objectivité de M. Poirier.

149 Le témoignage de M. Souaker comporte également de nombreuses contradictions avec le témoignage de M. McCabe, dont voici certains éléments :

  • M. McCabe soutient qu’il a rencontré M. Souaker le 4 avril 2006 pour discuter de certaines lacunes au niveau de son rendement, alors que M. Souaker nie que M. McCabe lui ait fait des reproches lors de cette rencontre;
  • M. McCabe a affirmé que, lors de sa rencontre avec M. Souaker le 2 octobre 2006, il lui a fait part de tous les éléments rapportés dans les notes qu’il a rédigées après cette rencontre; M. Souaker a pour sa part affirmé que M. McCabe lui avait parlé de l’examen de conduite automobile qu’il devait reprendre et des commentaires qu’il avait reçus des trois inspecteurs, qui se limitaient à trois volets (son initiative, sa réaction sur le terrain et son adaptabilité); 
  • M. Souaker a affirmé avoir informé M. McCabe, d’abord par téléphone et ensuite lors de leur rencontre du 15 ou du 16 février 2007, qu’il avait été isolé par M. Fortier à la suite de la rencontre du 12 janvier 2007; M. McCabe a nié que M. Souaker l’ait informé qu’il était isolé;
  • M. McCabe a affirmé que, lorsqu’il a accompagné M. Souaker en inspection, un titulaire de permis a fait la remarque que M. Souaker semblait collé à sa liste de contrôle; M. Souaker a nié cet événement; 
  • M. McCabe a affirmé que, dans le cadre d’une autre inspection, M. Souaker n’avait pas saisi la gravité de la surexposition d’un travailleur à des matières radioactives; M. Souaker a nié ceci et affirmé que c’est lui qui avait découvert la surdose et qu’il en avait saisi la gravité; 
  • M. Souaker prétend avoir informé M. McCabe, lors de leur rencontre du 15 février 2007, qu’il estimait avoir été victime de discrimination; M. McCabe a soutenu, au contraire, qu’il a spécifiquement demandé à M. Souaker, suite à une discussion au sujet de l’examen de conduite automobile qu’il avait échoué, s’il estimait avoir fait l’objet de discrimination de la part de l’examinateur ou de toute autre personne et que M. Souaker a répondu par la négative.

150 Certains éléments m’amènent à conclure que le témoignage de M. McCabe est plus vraisemblable que celui de M. Souaker. D’abord, un mot sur la rencontre du 4 avril 2006. M. McCabe a témoigné au sujet de cette rencontre et de son contenu et il en a fait mention dans les notes qu’il a rédigées après cette rencontre, dans les notes qu’il a préparées à la suite de la rencontre du 2 octobre 2006 et dans la lettre datée du 8 janvier 2007 qu’il a remise à M. Souaker. Je ne vois pas dans quel intérêt M. McCabe aurait menti sur le contenu de cette rencontre et j’estime que, si tel avait été le cas, M. Souaker aurait relevé l’inexactitude dans la lettre du 8 janvier 2007, qui réfère à cette rencontre. En janvier 2007, M. Souaker savait que son emploi était en jeu et faisait tout ce qu’il pouvait pour le sauvegarder. Si un élément susceptible de nuire au maintien de son emploi avait été inexact, je suis convaincue qu’il l’aurait soulevé.

151 Deuxièmement, dans son témoignage, M. Souaker a réfuté les reproches que M. McCabe affirmait lui avoir faits lors de la rencontre du 4 avril 2006 relativement à ses habiletés de conducteur automobile et à ses difficultés à s’enregistrer dans un hôtel. Or, ces lacunes sont également rapportées par M. Alu dans un courriel qu’il a acheminé à M. Souaker le 10 octobre 2006, où il a écrit ce qui suit :

Lorsque Fathi a commence à travailler ici, il avait de la difficulté à effectuer des tâches aussi simple que réserver une chambre d’hôtel ou conduire une automobile. Je crois bien qu’il se soit amélioré à ces égards mais il y a encore place à l’amélioration.

152 Troisièmement, M. Souaker a affirmé que M. McCabe avait adopté un ton intimidant avec lui lors de la rencontre du 2 octobre 2006 et qu’il s’était senti intimidé et humilié par l’attitude de M. McCabe à son endroit. Je trouve cette affirmation difficile à concilier avec la déclaration de M. Souaker à l’effet qu’il n’était pas inquiet en octobre 2006, ne sentait aucunement que son emploi était en jeu et n’avait pas senti le besoin de parler de l’attitude de M. McCabe ou de M. Fortier avec des collègues ou encore avec son agent négociateur.        

153 D’autres éléments militent également en faveur de la version de M. McCabe. D'abord, M. McCabe n’est pas visé par les allégations de discrimination de M. Souaker. Rien dans la preuve ne laisse transparaître de l’animosité de la part de M. McCabe à l’endroit de M. Souaker ou une attitude compatible avec le désir de se départir des services de M. Souaker. Au contraire, la preuve démontre que M. McCabe a voulu aider M. Souaker : il a demandé à MM. Fortier et Poirier de l’accompagner dans des séries d’inspections, il a accepté de prolonger sa période de stage alors qu’il n’avait aucune obligation de le faire et il a accepté de l’accompagner lui-même lors d’inspections pour lui donner l’occasion de démontrer ses capacités.

154 Le témoignage de M. McCabe, que j’estime plus vraisemblable que celui de M. Souaker, m’amène également à porter foi au témoignage de M. Fortier lorsque ce dernier affirme ne pas avoir isolé M. Souaker entre le 12 janvier 2007 et les inspections faites en compagnie de M. McCabe dans la semaine du 12 février 2007. M. McCabe a nié que M. Souaker l’ait informé qu’il avait été isolé, alors que M. Souaker a affirmé en avoir informé M. McCabe par téléphone après la rencontre du 12 janvier 2007 et lors de la rencontre du 15 février 2007.     

155 D’autres éléments m’amènent aussi à remettre en cause la version des événements présentée par M. Souaker.

156 M. Souaker nie et contredit tous les éléments qui ne lui sont pas favorables : il réfute tous les reproches qui lui ont été faits et tente de présenter l’image d’une personne dont le rendement était tout à fait adéquat et dont le renvoi n’a pu être motivé que par des raisons n’ayant rien à voir avec son rendement. Or, les observations de MM. Fortier, Poirier, McCabe et, dans une certaine mesure, celles de M. Alu vont toutes dans le même sens et font ressortir des lacunes quant aux aptitudes de M. Souaker à exécuter certaines fonctions d’un inspecteur.

157 Je trouve également difficile de croire que M. Fortier a tenu des propos discriminatoires à l’endroit de M. Souaker en octobre 2006 et que celui-ci n’a pas rapporté la situation à M. McCabe avant février 2007. Dans un premier temps, et malgré ses déclarations contraires, M. Souaker avait toutes les raisons de comprendre que son rendement soulevait de sérieuses questions dès octobre 2006 : M. McCabe a été clair et présumément intimidant lors de la rencontre du 2 octobre 2006 et Mme Simard lui a même suggéré de contester son évaluation. De plus, malgré ses interventions auprès de ses collègues et après en avoir fait part à M. McCabe, M. Souaker n’a pas réussi à rectifier la perception qu’avait de lui M. McCabe. En effet, M. McCabe lui a imposé trois semaines d’inspections en compagnie de MM. Fortier et Poirier. M. Souaker devait donc savoir que l’évaluation que MM. Fortier et Poirier feraient de lui serait importante.

158 Dans tout ce contexte, je trouve difficile de croire que M. Souaker n’ait pas jugé bon de rapporter les commentaires déplacés qu’aurait émis M. Fortier sur son manque de personnalité et les propos discriminatoires et dégradants qu’il aurait tenus lors de la semaine d’inspections à Terre-Neuve. Une telle omission m’apparaît complètement incompatible avec l’attitude combative que M. Souaker a démontrée pour convaincre M. McCabe, et pour me convaincre lors de l’audience, que l’évaluation que faisaient de lui les témoins de l’employeur n’était pas représentative de son rendement et de ses capacités. Je trouve encore plus invraisemblable que M. Souaker n’ait pas jugé bon de parler à M. McCabe, en janvier 2007, du traitement discriminatoire que M. Fortier lui avait infligé, alors qu’il savait que sa période de stage était  prolongée et que le maintien de son emploi était des plus incertain.

159 Un autre élément me laisse songeuse. Dans son témoignage, M. Souaker a fait part d’éléments laissant entendre que, dès le début de sa période d’emploi, M. Fortier l’a traité défavorablement : il a déclaré que, dès sa deuxième journée, M. Fortier lui avait fait des commentaires sur le niveau auquel il avait été embauché; que son intégration ne s’était pas faite normalement, puisqu’il avait dû attendre 6 semaines avant de pouvoir observer sa première inspection; et qu’il n’avait pas été bien préparé, puisqu’il ne savait même pas ce qu’était la liste de contrôle. Or, ces éléments n’ont pas été mentionnés dans l’avis que M. Souaker a acheminé à la CCDP, qui, pourtant, comporte un récit détaillé des allégations de M. Souaker et des faits au soutien de ses allégations.  

160 Sur la base de l’ensemble de la preuve qui a été présentée, je conclus donc que la prépondérance des probabilités n’appuie pas la version des faits présentée par M. Souaker à l’effet que M. Fortier a tenu à son endroit des propos discriminatoires et qu’il lui a imposé un traitement défavorable en raison de son origine ethnique et de sa confession religieuse.

161 De plus, même si j’avais conclu que M. Fortier avait tenu des propos discriminatoires à l’égard de M. Souaker et qu’il l’avait défavorisé en l’isolant durant la période de prolongation de son stage, je considère que la preuve ne permet pas d’établir un quelconque lien entre le comportement de M. Fortier et le renvoi de M. Souaker en cours de stage.  

162 Malgré la perception que pouvait en avoir M. Souaker, c’est M. McCabe qui était son supérieur immédiat et c’est lui qui a recommandé son renvoi en cours de stage. C’est aussi M. McCabe qui a procédé à l’évaluation de M. Souaker en octobre 2006, c’est M. McCabe qui a signé la lettre qui prolongeait sa période de stage et c’est avec M. McCabe qu’il discutait pour planifier la série d’inspections qu’il ferait en sa compagnie.

163 La preuve démontre clairement que M. McCabe était d’opinion que M. Souaker ne possédait pas toutes les aptitudes requises pour faire adéquatement son travail d’inspecteur. L’opinion de M. McCabe n’était pas fondée uniquement sur les observations et commentaires de M. Fortier, mais également sur celles de M. Poirier, sur celles de M. Alu et de Mme Simard et sur ses propres observations. Rien dans la preuve ne me permet de conclure que l’attitude de M. McCabe ou sa recommandation de mettre fin à l’emploi de M. Souaker était motivée de quelque manière que ce soit par des considérations discriminatoires. M. McCabe n’a jamais tenus de propos discriminatoires à l’endroit de M. Souaker et la preuve ne démontre aucune attitude discriminatoire de sa part. De plus, je n’ai pas détecté dans la preuve, même subtilement, de l’animosité ou des préjugés de la part de M. McCabe à l’endroit de M. Souaker.

164 Enfin, la prépondérance des probabilités est à l’effet que M. McCabe n’a jamais été informé des allégations de discrimination de M. Souaker avant de recommander son renvoi en cours de stage. Au contraire, M. McCabe a indiqué avoir spécifiquement demandé à M. Souaker s’il estimait avoir été victime de discrimination, ce à quoi ce dernier a répondu négativement. Même si je retenais la version des faits présentée par M. Souaker, M. McCabe a, au mieux, été informé le 15 février 2007 des allégations de discrimination formulée par M. Souaker. Or, le 15 février 2007, M. McCabe avait déjà pris plusieurs décisions relativement au rendement de M. Souaker, qu’il jugeait inadéquat. Il en avait discuté avec lui en avril 2006 et en octobre 2006, lui avait imposé un programme de formation, avait décidé de prolonger sa période de stage et venait d’observer M. Souaker lors d’inspections. Rien ne permet de conclure que sa recommandation de le renvoyer en cours de stage a été motivée ou influencée par les allégations de discrimination dont il aurait été informé le 15 février 2007.

165 Je reconnais que l’employeur n’est pas sans reproche quant au suivi et à la rétroaction qu’il a donnés à M. Souaker et, à cet égard, je pense que certains des éléments invoqués par M. Souaker sont exacts. Toutefois, je suis incapable de relier un tel manque de suivi ou de rigueur à des considérations discriminatoires.

166 Je conclus donc que M. Souaker n’a pas fait la démonstration prima facie qu’il a été victime de discrimination et que son renvoi en cours de stage était discriminatoire ou constituait un prétexte camouflant des considérations discriminatoires.  

167 Bien que j’aie conclu que le cadre d’analyse traditionnellement appliqué dans les griefs de renvoi en cours de stage ne s’applique pas en l’espèce, je tiens à préciser que, si j’avais appliqué ce cadre d’analyse, j’aurais accueilli l’objection que l’employeur a soulevée à l’égard de ma compétence. À cet égard, j’aurais conclu que l’employeur a établi qu’il a renvoyé M. Souaker en cours de stage pour des motifs liés à son rendement et que M. Souaker n’a pas établi que son renvoi avait été fait de mauvaise foi ou qu’il s’agissait d’un subterfuge.

168 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

169 Le grief est rejeté.

Le 5 novembre 2009

Marie-Josée Bédard,
arbitre de grief

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