Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a déposé une plainte contre son agent négociateur, faisant valoir qu’il ne l’avait pas représentée de façon équitable - d’autres alinéas de l’article190 de la LRTFP ont été invoqués également - la défenderesse a soutenu que seul l’alinéa190(1)g) pourrait s’appliquer et que la plainte était hors délai - la plaignante a indiqué qu’en raison de son état de santé, elle a été incapable de déposer sa plainte plus tôt - la Commission a statué que le seul fondement de la plainte était l’alinéa190(1)g) de la LRTFP - sur la question du délai, la Commission a décidé de tenir une audience pour entendre la preuve sur l’état de santé de la plaignante. Objection accueillie en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-02-05
  • Dossier:  561-02-00355
  • Référence:  2009 CRTFP 14

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

RACHEL AGNES EXETER

plaignante

et

ASSOCIATION CANADIENNE DES EMPLOYÉS PROFESSIONNELS

défenderesse

Répertorié
Exeter c. Association canadienne des employés professionnels

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, commissaire

Pour la plaignante:
Elle même

Pour la défenderesse :
Fiona Campbell, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 13 novembre et les 1er, 5 et 9 décembre 2008.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1 Le 27 octobre 2008, Rachel Agnes Exeter (la « plaignante ») a déposé une plainte devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22. Dans sa plainte, elle allègue que l’Association canadienne des employés professionnels (l’ACEP ou la « défenderesse ») a contrevenu aux alinéas 190(1)a) à g) de la Loi.

2 Le « [c]ourt exposé de chaque action, omission ou situation reprochée » soumis par la plaignante (section 4 de la formule 16 prévue par le Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique) comprend six pages (« annexe A ») et 31 pièces justificatives. La plaignante décrit dans son exposé des situations qui sont survenues à son lieu de travail et qui l’ont amenée à déposer une série de griefs et de plaintes contre la direction de Statistique Canada à Ottawa. La plaignante allègue que la défenderesse ne lui a pas fourni une représentation adéquate ou qu’elle a refusé de la représenter dans certains dossiers, ce qui constitue, selon elle, un manquement au devoir de représentation équitable qui lui est imposé. Elle résume comme suit les « raisons » qui font que la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable :

[Traduction]

[…]

  • Les conflits, le manque de bonne volonté et l’hostilité personnelle qui ont caractérisé les relations entre la fonctionnaire et les dirigeants syndicaux à la suite d’une demande de retrait d’un grief de racisme;
  • Le manque total d’honnêteté envers la fonctionnaire (p. ex. le refus de lui communiquer certains renseignements);

    J’ai porté à la connaissance du syndicat divers points qui pourraient constituer matière à grief et je lui ai demandé d’agir en mon nom dans le contexte de décisions concernant la négociation et l’interprétation de la convention collective, mais je me suis heurtée à un refus.
  • Le syndicat n’a rien fait pour s’assurer que l’employeur avait appliqué le principe des mesures disciplinaires progressives avant de me remettre un avis de conditions d’emploi.
  • J’ai indiqué au syndicat que je ne voulais pas que [nom du médiateur] agisse comme médiateur dans mon dossier parce qu’il a la réputation de se liguer avec Statistique Canada contre les employés et qu’il a communiqué des renseignements personnels à l’employeur à propos d’un fonctionnaire. Or, le syndicat n’a pas tenu compte de mes objections. En fait, M. Claude Archambault m’a dit qu’il n’avait jamais entendu parler de [nom du médiateur] avant, ce qui est faux. C’est de la représentation par tromperie et j’estime que cela a eu un effet sur la façon dont le syndicat a défendu mes droits durant la médiation. J’ai pu constater, durant la médiation, que le représentant syndical était trop docile.
  • Le syndicat n’a pas fait enquête sur les circonstances ayant donné lieu aux suspensions qui m’ont été infligées avant de refuser — de manière arbitraire — de me fournir une représentation.
  • Le syndicat n’a pas obtenu les renseignements nécessaires de l’employeur avant de décider — de manière arbitraire — de retirer le grief de congédiement qui était en instance devant la Commission.
  • Les mesures disciplinaires/punitions injustes et excessives qui m’ont été infligées relativement à des allégations que j’avais refusé d’obéir aux ordres et que j’avais eu des communications inappropriées étaient disproportionnées par rapport à la faute reprochée; or le syndicat a refusé d’intervenir dans certains cas. Les quelques fois où il est intervenu, les dossiers ont été mis en veilleuse sous prétexte qu’il y avait des problèmes de fond, mais on ne m’a jamais expliqué de quoi il s’agissait. (Le syndicat a agi de manière arbitraire, au mépris flagrant de mes droits.)
  • L’employeur m’a infligé une suspension pendant que j’étais en congé de maladie, mais le syndicat ne s’y est pas opposé. Le syndicat a agi de manière arbitraire, au mépris flagrant de mes droits.
  • Mon directeur m’a abordée de manière hostile et le syndicat a refusé de déposer un grief pour mon compte, en me disant que c’était une perte de temps, vu la composition du comité chargé de l’examen des griefs à chaque palier de la procédure.
  • Il y a eu un manque flagrant d’honnêteté de la part du syndicat à mon endroit (p. ex. le syndicat a déposé des griefs en partie seulement et s’est ligué avec l’employeur).

[…]

3 La plaignante demande les mesures correctives suivantes :

a) Que la Commission ordonne au syndicat de porter mon grief jusqu’à l’arbitrage;

b) Que le syndicat prenne en charge les frais juridiques du conseiller juridique de mon choix, de manière à acquérir la certitude que mes droits en tant que membre seront défendus adéquatement par le syndicat;

c) Que les frais juridiques que j’ai engagés à ce jour et que je pourrais engager à l’avenir relativement au présent dossier me soient remboursés;

d) Que je sois indemnisée pour les souffrances et les douleurs que j’ai subies par suite de la violation des dispositions en cause et que la Commission des relations de travail dans la fonction publique m’accorde toute autre indemnité ou mesure corrective qu’elle jugera indiquée;

e) Que l’Association canadienne des employés professionnels me présente des excuses de vive voix et par écrit.

4 Selon les documents déposés par la plaignante, Statistique Canada a mis fin à son emploi le 6 juin 2008. Jusqu’à cette date, la plaignante occupait un poste classifié au niveau SI-03 dans le groupe Économique et Services des sciences sociales (EC), dont la défenderesse est l’agent négociateur accrédité.

5 Au vu de certaines déclarations contenues dans les arguments de la plaignante (notamment l’allégation selon laquelle : [traduction] « […] le représentant syndical, l’ACEP et Statistique Canada se sont ligués contre [elle] »), les Services du greffe de la Commission ont attribué à des représentants du Conseil du Trésor (l’« employeur ») le statut d’« autres personnes pouvant être intéressées » par la plainte et ont inscrit leurs noms sur la liste de diffusion des arguments se rapportant à la présente plainte.

6 Le vice-président de la Commission m’a désigné pour instruire et trancher la plainte en tant que banc de la Commission.

7 Selon les dossiers de la Commission, il y avait aussi huit griefs en instance devant un arbitre à propos de sanctions disciplinaires (dossiers de la CRTFP 566-02-01162 à 01164, 566-02-01362 à 01364, 566-02-01434 et 566-02-01482) à la date de présentation de la plainte visée à l’article 190 de la Loi. Un autre grief contestant son congédiement (dossier de la CRTFP 566-02-01593) figure aussi au rôle d’audience. Je note également que, dans Exeter c. Administrateur général (Statistique Canada), 2008 CRTFP 29, l’arbitre de grief a rejeté cinq autres griefs de la plaignante parce qu’il n’avait pas la compétence nécessaire pour rendre une décision. Il a conclu que les griefs se rapportaient à l’interprétation ou à l’application de la convention collective du groupe EC et que la plaignante n’avait pas l’appui de son agent négociateur pour les renvoyer à l’arbitrage.

8 La présente décision porte sur plusieurs questions préliminaires qui ont été soulevées à propos de la plainte.

II. Questions préliminaires

A. Dispositions applicables du paragraphe 190(1) de la Loi

9 La défenderesse a répondu à la plainte le 13 novembre 2008. Elle exhortait la Commission à supprimer de la plainte les renvois aux alinéas 190(1)a) à f) de la Loi, vu que la seule allégation contenue dans les actes de procédure de la plaignante était que la défenderesse avait contrevenu à l’alinéa 190(1)g) (devoir de représentation équitable).

10 Le même jour, des représentants de l’employeur ont demandé à la Commission d’indiquer quelles allégations de la plaignante se rapportaient à chacun des alinéas 190(1)a) à f) de la Loi. Étant donné que certaines de ces dispositions mettent directement en cause l’employeur, ses représentants faisaient valoir qu’ils avaient besoin des précisions demandées [traduction] « […] pour établir avec certitude quelle intervention [l’employeur] pourrait juger bon de faire dans ce dossier ».

11 La plaignante a répondu à la demande de la défenderesse le 5 décembre 2008. Elle convenait que sa plainte concernait une pratique déloyale de travail et indiquait qu’il s’agissait [traduction] « […] d’une allégation assez simple de manquement au devoir de représentation équitable ». Elle notait que l’employeur était susceptible d’être désigné partie intéressée [traduction] « […] étant donné le rôle qu’il a[vait] joué dans le manquement au devoir de représentation équitable du syndicat défendeur […] ». Concernant la demande de l’employeur à propos de l’application des autres dispositions du paragraphe 190(1) de la Loi citées dans la plainte, elle disait ceci :

[Traduction]

[…]

En ce qui concerne le lien qui existe entre les renseignements contenus dans la plainte contre le syndicat défendeur et les diverses dispositions de la Loi, dans la mesure où ces faits et ces dispositions visent directement ou indirectement l’employeur, rien ne l’empêche d’y répondre […]

[…]

En dépit du fait que M. Sullivan [un représentant de l’employeur] soit incapable d’établir quelle allégation se rapporte à quelle violation présumée, la plaignante estime que les faits décrits dans les actes de procédure étayent explicitement les violations présumées. À cet égard, la plaignante estime que ce serait abuser de la procédure de la Commission que de l’obliger à fournir des détails sur la nature de sa plainte selon les critères que semble poser M. Sullivan (sans le faire explicitement). Une lecture objective du texte de la plainte devrait permettre à M. Sullivan ou au conseiller juridique de l’employeur défendeur de déterminer la nature des nombreux manquements reprochés. La Loi ne contient aucune disposition qui oblige la plaignante de mettre en corrélation les faits allégués dans les actes de procédure avec les violations de dispositions particulières de la Loi; je considère cela comme une autre mesure dilatoire des défendeurs. Il serait inéquitable que la Commission oblige la plaignante, qui se représente elle-même après tout, à se livrer à cette tâche inutile […]

12 Même si l’employeur est désigné comme l’un des défendeurs dans le passage reproduit ci-dessus, l’examen du dossier indique que la plaignante ne l’a pas nommé comme défendeur dans sa plainte initiale et que la Commission n’a pas décidé de lui accorder ce statut dans la présente instance. Pour l’instant, les représentants de l’employeur continuent d’être considérés comme « d’autres personnes pouvant être intéressées » par la plainte et n’ont pas le statut d’« employeur défendeur ».

13 Cela dit, la Commission ne partage pas le point de vue de la plaignante que rien ne l’oblige à relier les allégations contenues dans sa plainte aux diverses dispositions du paragraphe 190(1) de la Loi citées par elle ou qu’il serait inéquitable de lui demander de le faire. Toute personne qui dépose une plainte a l’obligation de fournir les détails nécessaires pour établir à première vue en quoi les actes ou omissions reprochés contreviennent à une disposition particulière de la Loi. Si elle ne le fait pas, la Commission peut soit rejeter la plainte, soit supprimer de celle-ci les renvois aux dispositions de la Loi qui lui paraissent sans fondement à première vue.

14 Dans ce cas-ci, la plaignante a la charge d’établir à première vue qu’il existe un lien entre ses allégations et chacune des dispositions du paragraphe 190(1)a) à g) de la Loi mentionnées sur la formule 16. Le critère à remplir à cet égard n’est pas très contraignant. Une allégation est établie à première vue lorsque les faits allégués — et considérés comme avérés aux fins de la question préliminaire que je dois trancher ici — indiquent qu’il y a des motifs valables de croire que certaines dispositions de la loi n’ont pas été respectées. Dans sa plainte initiale, ou encore dans les arguments qu’elle a soumis en réponse à la demande de précisions de l’employeur, la plaignante avait la charge d’établir à la satisfaction de la Commission qu’il y a des motifs valables de croire que la défenderesse a contrevenu aux alinéas 190(1)a) à g) de la Loi.

15 Chacun des alinéas a) à g) du paragraphe 190(1) de la Loi renvoie à d’autres dispositions du texte législatif. Les plaintes visées à l’alinéa 190(1)a) allèguent que l’employeur a contrevenu à l’article 56, qui dit ceci :

          56. Après notification d’une demande d’accréditation faite en conformité avec la présente partie, l’employeur ne peut modifier les conditions d’emploi applicables aux fonctionnaires de l’unité de négociation proposée et pouvant figurer dans une convention collective, sauf si les modifications se font conformément à une convention collective ou sont approuvées par la Commission. Cette interdiction s’applique, selon le cas :

a) jusqu’au retrait de la demande par l’organisation syndicale ou au rejet de celle-ci par la Commission;

b) jusqu’à l’expiration du délai de trente jours suivant la date d’accréditation de l’organisation syndicale.

16 Les plaintes visées à l’alinéa 190(1)b) de la Loi allèguent que l’employeur a contrevenu à l’article 106, qui est libellé comme suit :

          106. Une fois l’avis de négociation collective donné, l’agent négociateur et l’employeur doivent sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties :

a) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;

b) faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

17 Les plaintes visées à l’alinéa 190(1)c) de la Loi allèguent que l’employeur, l’agent négociateur ou le fonctionnaire a contrevenu à l’article 107, qui dispose ce qui suit :

          107. Une fois l’avis de négociation collective donné, sauf entente à l’effet contraire entre les parties aux négociations et sous réserve de l’article 132, les parties, y compris les fonctionnaires de l’unité de négociation, sont tenues de respecter chaque condition d’emploi qui peut figurer dans une convention collective et qui est encore en vigueur au moment où l’avis de négocier a été donné, et ce, jusqu’à la conclusion d’une convention collective comportant cette condition ou :

a) dans le cas où le mode de règlement des différends est le renvoi à l’arbitrage, jusqu’à ce que la décision arbitrale soit rendue;

b) dans le cas où le mode de règlement des différends est le renvoi à la conciliation, jusqu’à ce qu’une grève puisse être déclarée ou autorisée, le cas échéant, sans qu’il y ait contravention au paragraphe 194(1).

18 Les plaintes visées à l’alinéa 190(1)d) de la Loi allèguent que l’employeur, l’agent négociateur ou l’administrateur général a contrevenu au paragraphe 110(3), qui dit ceci :

          110. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, l’employeur, l’agent négociateur d’une unité de négociation et l’administrateur général responsable d’un ministère figurant à l’annexe I de la Loi sur la gestion des finances publiques ou d’un autre secteur de l’administration publique fédérale figurant à l’annexe IV de cette loi peuvent décider conjointement d’entamer des négociations collectives sur toutes conditions d’emploi de tout fonctionnaire de l’unité de négociation employé au sein du ministère ou de l’autre secteur.

[…]

          (3) Les parties qui ont décidé d’entamer des négociations collectives au titre du paragraphe (1) doivent sans retard :

a) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;

b) faire tout effort raisonnable pour s’entendre sur les conditions d’emploi en cause.

19 Les plaintes visées à l’alinéa 190(1)e) de la Loi allèguent que l’employeur ou l’organisation syndicale a contrevenu aux articles 117 ou 157, qui sont libellés comme suit :

117. Sous réserve de l’affectation par le Parlement, ou sous son autorité, des crédits dont l’employeur peut avoir besoin à cette fin, les parties à une convention collective commencent à appliquer celle-ci :

a) au cours du délai éventuellement prévu à cette fin dans la convention;

b) en l’absence de délai de mise en application, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date de la signature de la convention ou dans le délai plus long dont peuvent convenir les parties ou que fixe la Commission sur demande de l’une ou l’autre des parties.

[…]

          157. Sous réserve de l’affectation, par le Parlement ou sous son autorité, des crédits dont l’employeur peut avoir besoin à cette fin, les parties commencent à appliquer les conditions d’emploi sur lesquelles statue la décision arbitrale dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date à compter de laquelle la décision arbitrale lie les parties ou dans le délai plus long dont celles-ci peuvent convenir ou que la Commission peut, sur demande de l’une d’elles, accorder.

20 Les plaintes visées à l’alinéa 190(1)f) de la Loi allèguent que l’employeur, l’agent négociateur ou le fonctionnaire a contrevenu à l’article 132, qui dispose ce qui suit :

132. Sauf entente à l’effet contraire entre les parties, toute condition d’emploi qui peut figurer dans une convention collective et qui est encore en vigueur au moment où l’avis de négocier a été donné continue de s’appliquer aux fonctionnaires qui occupent un poste nécessaire, aux termes de l’entente sur les services essentiels, pour permettre à l’employeur de fournir ces services et lie les parties, y compris les fonctionnaires en question, jusqu’à la conclusion d’une convention collective.

21 La Commission a étudié les détails de la plainte, tel qu’ils sont présentés à l’annexe A de la formule 16. Comme on l’a vu plus tôt, la plaignante indique elle-même quelle est la raison de sa plainte quand elle avance que la défenderesse a manqué au devoir de représentation équitable auquel elle est tenue à son endroit. Le devoir de représentation équitable auquel la plaignante fait allusion est décrit comme suit à l’article 187 de la Loi :

          187. Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

22 Les violations de l’article 187 de la Loi sont définies comme des « pratiques déloyales » à l’article 185 et peuvent faire l’objet de plaintes en vertu de l’alinéa 190(1)g) :

          190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

[…]

          185. Dans la présente section, « pratiques déloyales » s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

23 En se basant sur l’examen des détails de la plainte ainsi que sur le fait que la plaignante indique elle-même que sa plainte porte sur le devoir de représentation juste, la Commission estime que les allégations de la plaignante concernent exclusivement l’article 187 de la Loi. La plaignante n’a pas établi dans sa plainte ni dans ses arguments ultérieurs en date du 5 décembre 2008 qu’il y avait des motifs valables de croire que la défenderesse a contrevenu aux autres dispositions citées. La Commission en arrive donc à la conclusion que c’est l’alinéa 190(1)g) qui s’applique dans ce cas-ci; les renvois aux alinéas 190(1)a) à f) sont donc supprimés de la plainte.

B. Griefs individuels devant la Commission

24 Dans sa lettre du 13 novembre 2008, l’employeur demandait à la Commission d’indiquer si les questions soulevées dans les griefs individuels de la plaignante qui sont déjà en instance devant la Commission allaient être tranchées dans le cadre de la présente plainte.

25 La Commission estime que sa compétence dans ce dossier-ci se limite exclusivement à déterminer si la défenderesse a contrevenu à l’article 187 de la Loi comme le prétend la plaignante. À cet égard, la Commission n’a pas compétence pour examiner au fond les griefs individuels que la plaignante a renvoyés à l’arbitrage. Comme je l’ai indiqué précédemment, ces griefs individuels sont — ou seront bientôt — instruits par un arbitre nommé en vertu de la partie 2 de la Loi.

26 Cela dit, la Commission accepte la déclaration contenue dans les arguments de la plaignante, en date du 5 décembre 2008, et reproduite ci-après :

[Traduction]

[…]

Diverses questions sont en instance devant différents arbitres et les parties à chaque affaire ne sont les mêmes […], comme la jurisprudence nous l’enseigne explicitement, le bien-fondé d’un grief individuel ne permet pas de trancher de façon décisive la question de savoir si la défenderesse s’est acquittée adéquatement de son obligation de représenter ses membres de manière équitable […]

[…]

C. Respect du délai de présentation de la plainte

27 Le délai prescrit pour la présentation d’une plainte en vertu de l’alinéa 190(1)g) est établi comme suit au paragraphe 190(2) :

          (2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

28 Dans ses arguments écrits du 13 novembre 2008 et ses arguments complémentaires du 9 décembre 2008, la défenderesse avance que les allégations contenues dans la plainte sont hors délai et que la plainte doit être rejetée pour ce motif. Faisant référence à Castonguay c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 78, la défenderesse défend la position que le délai de 90 jours prescrit par le paragraphe 190(2) de la Loi revêt un caractère obligatoire et que la Commission ne peut pas le proroger. En l'espèce, la plaignante a déposé sa plainte le 27 octobre 2008. Donc, pour que la Commission conclue que la plainte a été présentée dans le délai prescrit, la plaignante doit démontrer que c’est seulement durant les 90 jours qui précèdent cette date (c’est-à-dire le 29 juillet 2008 ou après) qu’elle a eu connaissance des circonstances ayant donné lieu à sa plainte. En se basant sur l’examen des allégations de la plaignante, la défenderesse soutient que la plaignante a eu — ou aurait dû avoir – connaissance des faits contenus dans ses allégations avant le 29 juillet 2008 et, dans certains cas, bien avant cette date. La défenderesse observe notamment que la défenderesse a elle-même indiqué dans la section 5 de la formule 16 que le 6 juin 2008 était la « [d]ate à laquelle [elle] a pris connaissance de l'action, de l'omission ou de la situation ayant donné lieu à la plainte ».

29 La plaignante avance que c’est seulement après avoir examiné une série de documents et de courriels obtenus en réponse à une demande faite en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels qu’elle a eu connaissance des circonstances ayant donné lieu à sa plainte et qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’elle en eût eu connaissance avant. Elle dit que les documents lui ont été remis au début d’avril 2008, mais que [traduction] « […] [s]on état de santé [l]’a empêchée d’examiner et, à plus forte raison, d’assimiler le contenu de [ces documents] et d’entamer des démarches à ce propos […] » avant la mi-octobre 2008, mais que, à ce moment-là, elle s’est empressée de déposer sa plainte. Elle prétend que la défenderesse a en sa possession des éléments de preuve attestant la nature et la gravité de ses problèmes de santé.

30 La plaignante renvoie également à un courriel daté du 18 juillet 2008 dans lequel la défenderesse indique qu’elle avait décidé de ne plus la représenter. La plaignante semble défendre la position que le point de départ du délai de 90 jours devrait coïncider avec la date de ce courriel. À propos du délai qui s’est écoulé entre cette date et la date de présentation de sa plainte, c’est-à-dire le 27 octobre 2008, elle indique qu’il s’agit d’un retard « négligeable » ou « minime » de « quelques jours seulement ». Vu que le retard est à peine perceptible et qu’elle a fait diligence pour « [traduction] […] renvoyer son grief à l’arbitrage », la plaignante exhorte la Commission à pas tenir compte de l’objection de la défenderesse à propos du respect du délai de présentation de la plainte : voir Palmer c. Service canadien du renseignement de sécurité, 2006 CRTFP 9.

31 La défenderesse réplique que la plaignante n’a pas démontré que son état de santé l’avait empêchée de prendre connaissance des documents reçus durant la période en question et qu’elle (la défenderesse) n’a pas en sa possession des éléments de preuve attestant ses problèmes de santé, contrairement à ce que soutient la plaignante. La défenderesse indique de plus que les parties ont entretenu un « long échange de correspondance » durant la période où la plaignante avait censément des problèmes de santé, ce qui prouve qu’elle était capable de lire et d’examiner des documents. La plaignante a joint des copies de cet échange de correspondance à son argumentation sur la question du respect du délai de présentation de sa plainte.

32 La défenderesse soutient que Palmer sur laquelle la plaignante appuie son argumentation ne s’applique pas dans ce cas-ci, parce que les raisons données pour accorder un délai supplémentaire se rapportent exclusivement à l’arbitrage de griefs et, qui plus est, à l’arbitrage de griefs en vertu de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et de l’ancien Règlement.

33 La Commission a examiné attentivement les arguments écrits des parties à propos du respect du délai de présentation de la plainte. C’est la défenderesse qui doit démontrer que la Commission n’a pas la compétence nécessaire pour trancher la plainte. À cet égard, la Commission estime que les arguments avancés par la défenderesse au soutien de sa prétention que la plainte est hors délai sont crédibles. Son analyse des nombreux échanges qu’elle a eus avec la plaignante à propos des griefs, plaintes et appels qui ont donné lieu aux allégations de manquement au devoir de représentation juste indique à première vue que la plaignante a eu — ou aurait dû avoir — connaissance des circonstances ayant donné lieu à sa plainte avant le 29 juillet 2008.

34 À l’opposé, la défense de la plaignante ne me paraît pas très crédible. Un point, entre autres, soulève d’importantes questions; c’est sa prétention non corroborée (à ce jour) que [traduction] « […] [s]on état de santé [l]’a empêchée d’examiner et, à plus forte raison, d’assimiler le contenu de [ces documents] et d’entamer des démarches à ce propos […] » et que ce n’est qu’en octobre 2008 qu’elle a pris connaissance des documents reçus en avril 2008 en réponse à une demande faite en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Or, à en juger par les copies de documents et de courriels que la plaignante a annexées à sa plainte initiale (annexe A) et à ses arguments du 1er décembre 2008, il semble que durant les mois de mai et juin 2008 (à tout le moins), elle se soit livrée à un échange de correspondance soutenu avec l’agent négociateur et d’autres, échange qui n’aurait certainement pas été possible si elle n’avait pas été, du point de vue médical, capable de lire et d’étudier des documents. Voici deux exemples pour nous en convaincre. Le 14 mai 2008, la plaignante a expédié la lettre suivante à un arbitre de la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail :

[Traduction]

[…]

Je vous confirme par les présentes que je veux interjeter appel, aux termes de la Loi sur la sécurité professionnelle et d’assurance contre les accidents du travail, de la décision que vous avez rendue le 23 novembre 2007 relativement à la demande 23272395.

Le 11 mars 2008, je vous ai communiqué mes arguemnts et des faits additionnels à propos de votre rapport du 23 novembre 2007, or, vous ne m’avez toujours pas fait savoir si vous acceptez de réexaminer votre décision du 3 novembre 2007.

À cet égard, il est important que mon représentant syndical et moi­-même obtenions votre décision dans cette affaire le plus rapidement possible. Mon représentant syndical est […]

[…]

Cette lettre de la plaignante me paraît démontrer qu’elle était médicalement apte à déposer un document officiel dans le cadre d’un recours juridique durant la période où elle était censément incapable d’« entamer des démarches » à propos du contenu de certains documents.

35 Mon deuxième exemple est un courriel que la plaignante a expédié à la défenderesse, le 13 juin 2008, dans le cadre d’un long échange de courriels. Ce courriel dit ceci :

[Traduction]

[…]

Veuillez prendre note que je suis en droit de bénéficier d’une représentation équitable de mon syndicat, l’ACEP. Dans les documents annexés ci-dessus et dans un autre G1-304, on me refuse cela.

Je confirme par le présent courriel que j’ai l’intention d’obtenir justice.

Je communiquerai de nouveau avec vous à ce sujet.

[…]

Ce courriel nous autorise certainement à penser que non seulement la plaignante était capable d’étudier et de rassembler des documents à ce moment-là, mais aussi qu’elle avait tiré la conclusion, au plus tard le 13 juin 2008, que l’agent négociateur ne l’avait pas représentée de manière équitable et qu’elle avait décidé de réagir.

La Commission note également que la plaignante a elle-même indiqué sur la formule 16 que le 6 juin 2008 est la « [d]ate à laquelle [elle] a pris connaissance de l'action, de l'omission ou de la situation ayant donné lieu à la plainte ».

36 Après examen des arguments écrits reçus à ce jour de la défenderesse et de la plaignante, la Commission estime qu'elle pourrait décider dès maintenant d’accueillir l’objection de la défenderesse. Seulement, la Commission reconnaît que des faits importants sont allégués par les parties et qu’il n’y a pas eu expressément d’entente sur leur véracité et que des documents ont été produits dont la valeur probante n’a pas été éprouvée en contre-interrogatoire. Si la Commission estime qu’elle serait parfaitement justifiée dans ce cas-ci de statuer sur l’objection en se basant exclusivement sur les arguments écrits des parties, elle préfère néanmoins différer sa décision afin d’offrir le plus de chances possibles aux parties de faire valoir leurs arguments sur un point qui revêt évidemment une importance cruciale pour la poursuite de la plainte.

37 La Commission différera donc sa décision sur l’objection relative au délai de présentation de la plainte jusqu’à la tenue d’une audience publique. La question qui sera examinée à ce moment-là est la suivante : À quelle date la plaignante a-t-elle eu — ou aurait-elle dû avoir – connaissance des circonstances ayant donné lieu à sa plainte? À cet égard, dans le cas où la plaignante maintiendrait sa défense qu’elle était médicalement inapte, jusqu’en octobre 2008, à entamer des démarches pour déposer sa plainte, la Commission exigera des preuves que c’était effectivement le cas. La Commission a besoin de comprendre en quoi les problèmes de santé de la plaignante l’ont empêchée d’avoir connaissance des circonstances ayant donné lieu à sa plainte et de déposer sa plainte dans le délai prescrit par la Loi. Aux fins de rendre sa décision définitive sur l’objection relative au respect du délai de présentation de la plainte, la Commission considérera comme avérés les autres faits contenus dans les arguments au dossier qui ne se rapportent pas à la question de l’état de santé de la plaignante, sauf s’ils sont contestés à l’audience. La Commission prendra en considération tout argument oral supplémentaire que l’une ou l’autre partie, ou les deux, décidera de lui soumettre à propos du respect du délai de présentation de la plainte.

38 La Commission estime que le statut actuel des représentants de l’employeur en tant qu’« autres personnes pouvant être intéressées » par la plainte ne permet pas à l’employeur de participer de plein droit à l’audience. Si l’employeur souhaite intervenir à l’audience, il doit faire part de son intention dans la forme prescrite dans les dix jours suivant la date de la présente décision en indiquant les raisons de sa demande. La Commission offrira aux parties l’occasion de présenter des arguments sur cette demande, le cas échéant.

D. Demande de précisions à propos des documents

39 L’employeur soulève plusieurs questions à propos de l’identification des documents fournis par la plaignante. Dans ses arguments en date du 5 décembre 2008, la plaignante répond aux interrogations de l’employeur. Elle a également fourni deux autres documents le 9 décembre 2008.

40 La Commission ne peut dire s’il reste des questions en suspens à propos de l’identification ou de la communication de documents. Les parties ou les représentants de l’employeur ont la possibilité, comme d’habitude, de soumettre par écrit aux Services du greffe de la Commission les questions qu’elles pourraient encore avoir.

E. Liste des personnes ressources

41 Dans ses arguments en date du 5 décembre 2008, la plaignante écrit ceci :

[Traduction]

[…]

[…] il semble déraisonnable d’obliger la plaignante à répondre à et l’employeur défendeur, en la personne de M. Sullivan, et au conseiller juridique de la défenderesse. C’est pourquoi, à compter d’aujourd’hui, la plaignante correspondra exclusivement avec la conseillère juridique de l’employeur (Me Champagne), dont le nom figure sur la liste des destinataires de copies de la lettre de M. Sullivan en date du 13 novembre 2008.

[…]

42 La Commission note que la plaignante est obligée de faire tenir des copies de la correspondance et des documents à toutes les personnes dont le nom figure sur la liste officielle des personnes-ressources fournie par les Services du greffe de la Commission, telle que modifiée de temps à autre par ces Services. La plaignante peut adresser des copies à d’autres personnes qui ne figurent pas sur la liste officielle, mais rien ne l’y oblige. (Durant la période où les parties ont soumis des arguments écrits à propos de l’objection relative au respect du délai de présentation de la plainte, les noms de M. Sullivan et de Me Champagne ne figuraient pas sur la liste.) La plaignante n’a pas le droit de cesser de fournir des copies aux personnes dont le nom est indiqué sur la liste officielle des personnes-ressources.

III. Conclusion

43 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

44 La Commission supprime de la plainte les renvois aux alinéas 190(1)a) à f) de la Loi.

45 La Commission demande à la directrice, Opérations du greffe et Politiques, de consulter les parties pour établir les dates de l’audience. L’audience portera exclusivement sur l’examen de l’objection de la défenderesse à propos du respect du délai de présentation de la plainte et, plus particulièrement, sur les questions suivantes : À quelle date la plaignante a-t-elle eu — ou aurait-elle dû avoir — connaissance des circonstances ayant donné lieu à sa plainte? Se peut-il que son état de santé l’ait empêchée d’avoir connaissance des circonstances ayant donné lieu à sa plainte et de déposer une plainte dans le délai prescrit par la Loi?

46 Dans le cas où l’employeur voudrait intervenir à l’audience, il doit présenter une demande à la Commission dans les dix jours suivant la date de la présente décision.

Le 5 février 2009.

Traduction de la CRTFP

Dan Butler,
commissaire

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