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Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé (le <<fonctionnaire>>) a déclaré que son employeur lui avait injustement refusé l’occasion de faire des heures supplémentaires, contrevenant ainsi à l’article de la convention collective qui traite de la répartition des heures supplémentaires - l’employeur a instauré une politique qui donne aux employés la possibilité de faire des heures supplémentaires uniquement s’ils ont atteint les niveaux de production établis au cours du mois qui précède l’attribution des heures supplémentaires - l’employeur a admis que le fonctionnaire a les compétences nécessaires à sa fonction, mais que celui-ci n’est pas productif et n’arrive pas à satisfaire aux normes de production fixées - l’arbitre de grief a déterminé qu’une telle exigence contrevient à la convention collective - les critères adoptés par l’employeur sont arbitraires - les dispositions de la convention collective ne permettent pas à l’employeur d’imposer pareils critères - l’article de la convention collective qui s’applique limite le droit de la direction de répartir les heures supplémentaires. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-10-29
  • Dossier:  166-02-36553
  • Référence:  2009 CRTFP 142

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JASON FOOTE

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux)

employeur

Répertorié
Foote c. Conseil du Trésor (Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux)

Affaire concernant un grief renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
George Filliter, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Douglas Hill, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Caroline Engmann, avocate

Affaire entendue à Moncton (Nouveau Brunswick),
le 6 octobre 2009.
(Traduction de la CRTFP.)

I. Grief renvoyé à l’arbitrage

1  Jason Foote, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») est au service du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (l’« employeur ») depuis 2001. Il a déposé un grief dans lequel il allègue que l’employeur lui a refusé la possibilité de faire des heures supplémentaires, violant ainsi la clause 28.05a) de la convention collective conclue à l’égard du groupe Services des programmes et de l’administration entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), date d’expiration : 20 juin 2003 (la « convention collective »).

2 Je dois décider si l’introduction d’une politique de l’employeur refusant aux employés la possibilité de faire des heures supplémentaires à moins d’avoir atteint un certain niveau de production au cours du mois précédent contrevient aux dispositions applicables de la convention collective.

3 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l’arbitrage des griefs doit être tranché sous le régime de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne Loi »).

II. Question de procédure

4 Dès le début de l’audience, le représentant du fonctionnaire a déclaré que le grief était un grief continu et que le redressement réclamé était un dédommagement jusqu’en juillet 2007, quand le fonctionnaire a quitté le poste en question. L’avocate de l’employeur a déclaré n’avoir jamais été informée de cette position.

5 Après avoir entendu les représentations des parties sur la nature continue du grief, j’ai décidé, avec leur consentement, de poursuivre sans ajournement l’audience sur l’allégation de violation de la convention collective. Si je devais conclure que la convention collective a effectivement été violée et que les parties étaient incapables de s’entendre sur un redressement, je fixerais une autre date d’audience pour entendre leurs représentations sur le redressement approprié.

III. Résumé de la preuve

6 Les deux avocats ont commencé par présenter un exposé conjoint des faits en consentant au dépôt de plusieurs documents comme pièces. Cet exposé conjoint des faits se lit comme il suit :

[…]

[Traduction]

  1. Au moment où il a présenté son grief, le fonctionnaire s’estimant lésé, Jason Foote, occupait un poste de conseiller en pension CR-05 dans le Secteur des pensions de retraite de TPSGC.
  2. Durant toute la période pertinente, le fonctionnaire était assujetti à la convention collective du groupe Services des programmes et de l’administration conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (date d’expiration : 20 juin 2003). Cette convention prévoyait l’attribution du travail supplémentaire de la façon suivante (article 28) (Document no 1) :

    28.05a) Sous réserve des nécessités du service, l’Employeur s’efforce autant que possible de ne pas prescrire un nombre excessif d’heures supplémentaires et d’offrir le travail supplémentaire de façon équitable entre les employé-e-s qualifiés qui sont facilement disponibles.

  3. En janvier 2004, l’Employeur avait établi un plan pour éponger l’arriéré de la Division de prestation des services des programmes. Il avait organisé des réunions générales du personnel pour l’informer de ce plan de gestion. À la suite de ces réunions, une note de service datée du 8 janvier 2004 avait été envoyée à tout le personnel de la Division pour confirmer qu’un plan avait été établi afin d’éponger l’arriéré grâce aux heures supplémentaires. (Document no 2).
  4. En mars 2004, le fonctionnaire s’estimant lésé avait fait 30 heures supplémentaires et 17,8 heures de travail de production normales.
  5. Le 18 mai 2004, il a déposé un grief qui se lit comme il suit (Document no 3) :

    Je proteste parce que l’employeur a continuellement offert du travail supplémentaire en fonction des résultats de la production des employés et qu’il persiste à le faire. Sa pratique passée et actuelle d’offrir du travail supplémentaire en fonction de la production des employés est une violation de l’article 28 – Heures supplémentaires de la convention collective du groupe Services des programmes et de l’administration (tous les employés) et de tous les autres articles connexes.

    Je me réserve le droit, à l’appui du présent grief, d’introduire tout autre article connexe de la convention collective.

Le fonctionnaire a réclamé les redressements suivants :

Que l’employeur respecte l’Article 28 – Heures supplémentaires de la convention collective du groupe Services des programmes et de l’administration (tous les employés) et qu’il cesse d’offrir le travail supplémentaire en fonction des résultats de la production des employés. Que l’employeur me dédommage au taux des heures supplémentaires applicable pour toutes les possibilités de travail supplémentaire que j’ai ratées à compter du premier jour où il a utilisé cette méthode injustifiée d’attribuer le travail supplémentaire. Que l’employeur me dédommage au taux des heures supplémentaires approprié pour toutes les possibilités de faire des heures supplémentaires que je raterai à cause de sa persistance à utiliser cette méthode injustifiée d’attribuer le travail supplémentaire. Que je sois indemnisé.

  1. La direction a rejeté le grief à chaque palier de la procédure de règlement des griefs. (Document no 4)
  2. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 9 septembre 2005.
  3. Le fonctionnaire s’estimant lésé a été nommé pour une période indéterminée à un poste de spécialiste de l’intégrité des comptes CR-04 à Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC) à Shediac (N.-B.) et il est actuellement en congé.

[…]

7 En plus de présenter cet exposé conjoint des faits, les parties ont fait comparaître deux témoins chacune et produit d’autres documents à l’appui de leur position respective. Le fonctionnaire a été appelé à témoigner tout comme Edward Lane, premier vice-président de la section locale 60018 du Syndicat des services gouvernementaux, un élément de l’AFPC. L’employeur a fait témoigner Adeline Matchett, gestionnaire du Groupe des opérations durant la période pertinente, ainsi qu’Ivan Jefferies, qui a occupé un poste de mentor de l’équipe, puis de chef d’équipe, et qui a travaillé avec le fonctionnaire.

8 Mme Matchett a témoigné qu’elle s’était rendu compte en 2003 qu’il fallait éponger un arriéré de travail. Le 5 janvier 2004, elle avait envoyé à son directeur, Michel Doiron, une note de service (Pièce 21) dans laquelle elle résumait sa justification du recours aux heures supplémentaires pour éliminer l’arriéré constaté l’année précédente.

9 La note de service avait pour but d’obtenir de M. Doiron l’approbation du financement des heures supplémentaires. Mme Matchett y indiquait qu’elle estimait qu’un total de 5 250,5 heures de temps supplémentaire serait nécessaire pour éponger l’arriéré. De ce total, il faudrait 1 918,5 heures supplémentaires pour l’arriéré de la Région de l’Ontario. Le fonctionnaire devait être affecté à des tâches dans la Région de l’Ontario. Pour justifier sa demande, Mme Matchett proposait plusieurs conditions que M. Doiron a fini par accepter.

10 Le travail supplémentaire a été proposé au personnel dans une note de service datée du 8 janvier 2004 (Pièce 9). Les conditions qu’il fallait respecter n’étaient pas expressément précisées dans cette note de service, mais Mme Matchett a témoigné que la direction avait organisé des réunions avant l’introduction du travail supplémentaire et qu’elle avait expliqué les conditions au personnel. Selon son témoignage, qui n’a pas été contredit,  les lignes directrices exposées dans sa note de service à M. Doiron (Pièce 21) avaient été expliquées au personnel. Le fonctionnaire ne l’a pas contesté.

11 Quoi qu’il en soit, les lignes directrices suivantes ont été adoptées comme conditions préalables pour que les employés puissent se faire offrir du travail supplémentaire :

[Traduction]

[…]

  • … pour être admissibles à faire ce travail supplémentaire, les conseillers doivent avoir une moyenne minimale de 60 heures de production normale (HPN);
  • on vérifiera sur une base mensuelle le nombre d’heures de production normale (HPN) individuelles des employés faisant des heures supplémentaires, en tenant un registre de contrôle des heures supplémentaires, pour veiller à ce que le nombre des HPN soit équivalent ou supérieur au nombre des heures supplémentaires dont l’employé réclame le paiement. Si ce n’est pas le cas, on n’offrira pas à l’employé de travail  supplémentaire le mois suivant;
  • pour limiter les risques d’épuisement professionnel, le nombre maximum d’heures supplémentaires autorisées par conseiller sera de 31,5 heures par mois;
  • les employés qui suivent le cours de quatre semaines sur les prestations initiales ne seront pas autorisés à faire des heures supplémentaires.

[…]

12 Personne ne conteste que le fonctionnaire et ses collègues faisaient un travail axé sur des tâches. En d’autres termes, on leur confiait à tous certaines tâches à accomplir, et c’est seulement lorsque ces tâches étaient accomplies qu’on leur créditait le nombre approprié d’heures de production normale (HPN), telles que déterminées par l’employeur. Mme Matchett a témoigné qu’au cours d’un mois quelconque, un employé travaillait normalement quelque 150 heures (37,5 heures par semaine x quatre semaines) et que le total minimum de HPN attendues était 60 heures.

13 Personne ne conteste non plus que le fonctionnaire était généralement incapable d’arriver au minimum mensuel de 60 HPN. En fait, en mars 2004, il n’avait accumulé que 17,8 HPN. Mme Matchett a expliqué dans son témoignage le paragraphe 4 de l’exposé conjoint des faits. Son explication (qui n’a pas été contredite) revenait à dire que les 17,8 HPN étaient les heures que le fonctionnaire avait accumulées après avoir travaillé environ 150 heures ce mois-là, plus les 30 heures supplémentaires qu’on lui avait offertes. En contre-interrogatoire, Mme Matchett a admis que le fonctionnaire était qualifié dans son poste, en déclarant toutefois qu’il n’était pas productif.

14 L’employeur n’a pas offert de travail supplémentaire au fonctionnaire hormis les 30 heures qui lui avaient été offertes en mars 2004, et cela même si l’intéressé lui avait envoyé un courriel en mai 2004 pour l’informer qu’il souhaitait faire des heures supplémentaires (Pièce 19).

15 On a déposé de nombreux éléments de preuve à l’audience pour démontrer que le fonctionnaire était incapable d’atteindre les normes de production imposées par l’employeur. Trois de ses évaluations de rendement ont été déposées en preuve (Pièces 15, 16 et 17); il est précisé dans toutes les trois que sa productivité est inférieure à la moyenne. En outre, l’employeur a fait la preuve qu’on avait mis en place un programme pour venir en aide au fonctionnaire. Je me contenterai de dire qu’une grande partie de ces éléments de preuve ne m’ont guère été utiles pour me prononcer sur la question que je dois trancher.

16 Je conclus que le fonctionnaire n’était pas en mesure, pour une raison quelconque, d’atteindre les normes de production imposées par l’employeur, et qu’on ne lui a donc pas offert de travail supplémentaire.

IV. Question à trancher

17 La question dont je suis saisi est simple. Je dois déterminer si l’introduction par l’employeur de normes de production comme facteur déterminant pour offrir du travail supplémentaire violait la clause 28.05a) de la convention collective.

V. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire

18 Le fonctionnaire estime que l’introduction par l’employeur de normes de production comme facteur déterminant pour offrir le travail supplémentaire équivaut à une modification arbitraire de la convention collective. Il allègue que lorsqu’il a introduit cette modification arbitraire, l’employeur n’a pas  offert le travail supplémentaire « de façon équitable entre les employé-e-s qualifié-e-s qui sont facilement disponibles », comme la convention collective l’exige.

19 Autrement dit, le fonctionnaire déclare que la pratique de l’employeur modifiait les dispositions de la convention collective. Ce faisant, il fait valoir qu’une telle modification ne peut être introduite qu’à la table de négociation. À l’appui de sa position, le fonctionnaire m’a renvoyé à Bunyan et al. c. Conseil du Trésor (Ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 85; Zelisko et Audia c. Conseil du Trésor (Citoyenneté et Immigration Canada), 2003 CRTFP 67, ainsi qu’à Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 5:3222, 2:1423 et 2:1422.

B. Pour l’employeur

20 L’employeur, pour sa part, soutient que la direction a parfaitement le droit d’organiser le travail et que son introduction de normes de production comme facteur déterminant de l’offre de travail supplémentaire ne violait pas les dispositions de la convention collective. Son avocate m’a rappelé que je dois tenir compte de l’intention des parties pour interpréter la convention collective. Elle m’a posé la question rhétorique suivante : « Les parties auraient-elles voulu qu’un employé incapable d’atteindre les normes de production ait droit à des possibilités de faire des heures supplémentaires? » L’employeur fait également valoir que la possibilité de faire des heures supplémentaires n’est pas un droit de l’employé.

21 Fondamentalement, l’employeur estime qu’exiger un niveau de productivité acceptable est une approche raisonnable pour assurer l’efficacité de ses activités. Qui plus est, cette exigence n’influe pas sur l’offre équitable du travail supplémentaire, puisqu’un employé incapable d’atteindre le niveau de productivité requis n’a aucun droit au travail supplémentaire.

22 À l’appui des arguments de l’employeur, son avocate m’a renvoyé à Ball et al. c. Conseil du Trésor (Postes Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-12997 à 13014 et 13017 à 13051 (19850325) et à Canadian Labour Arbitration, 4:2100, 5:000, 5:3220 et 5:3224.

VI. Analyse

23 Il vaut la peine de reproduire ici l’alinéa 28.05a) de la convention collective, qui se lit comme il suit :

[…]

28.05 Attribution du travail supplémentaire

a) Sous réserve des nécessités du service, l’Employeur s’efforce autant que possible de ne pas prescrire un nombre excessif d’heures supplémentaires et d’offrir le travail supplémentaire de façon équitable entre les employé-e-s qualifiés qui sont facilement disponibles.

[…]

24 Plusieurs tribunaux ont produit des décisions dont les décideurs peuvent s’inspirer pour interpréter les conventions. Je souscris à l’argument de l’employeur que l’approche que je devrais retenir consiste à déterminer la véritable intention des parties au moment où elles ont conclu la convention collective. À cette fin, je dois commencer par revenir au sens des mots tels qu’elles les ont employés (voir Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 R.C.S. 129, et Jerry MacNeil Architects Ltd. c. Roman Catholic Archbishop of Moncton et al., 2001 NBQB 135).

25 À cet égard, je dois aussi tenir compte du contexte dans lequel ces mots ont été employés (voir Stenstrom v. McCain Foods Ltd., 2000 NBCA 13 et Robichaud et al. v. Pharmacie Acadienne de Beresford Ltée et al., 2008 NBCA 12, par. 18).

26 L’adoption de cette approche par les arbitres en droit du travail a été favorablement accueillie par de nombreux tribunaux et plus particulièrement par la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick. Dans Irving Pulp & Paper Ltd. c. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 30, 2002 NBCA 30, l’arbitre de grief qui a entendu cette affaire a rendu une décision judicieuse dans laquelle il a déclaré :

[Traduction]

[…]

[10]    Il est reconnu que la tâche d’interpréter une convention collective n’est pas différente de celle des autres arbitres de grief appelés à interpréter des lois ou des contrats privés : voir D.J.M. Brown & D.M. Beatty, Canadian Labour Arbitration (3rd Ed.), broché (Aurora (Ont.) : Canada Law Book, Inc., 2001), pp. 4-35. Dans le contexte contractuel, on commence par la proposition que l’objet fondamental de la démarche d’interprétation consiste à déterminer l’intention des parties. On suppose alors que les parties sont censées avoir voulu dire ce qu’elles ont dit et que le sens d’une disposition d’une convention collective doit d’abord être cherché dans ses dispositions expresses. En cherchant l’intention des parties, les auteurs déclarent que les arbitres ont généralement supposé que la disposition en question devrait être interprétée dans son sens normal ou ordinaire à moins que cette interprétation n’aboutisse à une absurdité ou à une incompatibilité avec les autres dispositions de la convention collective : voir Canadian Labour Arbitration, aux pp. 4-38. Bref, il faut donner aux mots d’une convention collective leur sens ordinaire normal à moins d’avoir une raison valable d’en adopter un autre. De même, les mots doivent être interprétés dans leur contexte immédiat et dans le contexte de la convention prise dans son ensemble. Autrement, l’interprétation basée sur le sens normal pourrait être incompatible avec une autre disposition.

[…]

27 Bref, en partant du principe que les parties voulaient dire ce qu’elles ont dit et que le sens de la convention collective doit être cherché dans ses dispositions expresses, je dois déterminer le sens de la proposition « … de façon équitable entre les employé-e-s qualifié-e-s qui sont facilement disponibles. »

28 Pour déterminer le sens normal ordinaire des mots, le point de départ est qu’on suppose que les parties voulaient dire ce qu’elles ont dit. Il peut arriver à l’occasion qu’un arbitre ou un arbitre de grief doive déduire la présence implicite d’un mot, mais cela se produit seulement lorsqu’il faut donner à la convention collective l’efficacité d’une convention collective ou commerciale, et ce seulement s’il est déterminé que les parties se seraient entendues sans hésitation sur le terme implicite dans l’éventualité où elles auraient été informées d’une telle lacune (voir Brown et Beatty, 4:2100).

29 À mon avis, la clause 28.05a) de la convention collective ne souffre pas d’une telle lacune et peut être interprétée sans qu’il soit nécessaire d’y ajouter implicitement quoi que ce soit. En fait, un autre arbitre de grief de la Commission s’est déjà penché sur cette question et je souscris à sa conclusion : mon collègue dans Bunyan et al. s’est prononcé sur le sens du mot « équitable » dans le contexte de la clause même dont je suis saisi,  en se servant du Petit Robert, édition 2004 mise à jour et augmentée, qui définit ce mot, dans le cas d’une personne, comme « [q]ui a de l’équité » ou, pour une chose, comme « [c]onforme à l’équité ». Dans son examen, il a conclu comme moi que la notion sous-jacente au mot « équitable » est la justice naturelle.

30 Par conséquent, dans l’application de la procédure que l’employeur a adoptée en l’espèce, à savoir exiger que l’employé atteigne un certain niveau de productivité pour lui offrir du travail supplémentaire, le principe de justice naturelle ou d’équité a-t-il été appliqué?

31 L’arbitre qui a rendu la décision dans Bunyan et al. devait déterminer si la décision de l’employeur de limiter l’offre de travail supplémentaire aux employés en n’en offrant pas à ceux qui travaillaient dans des sections qui n’atteignaient pas les objectifs de production globaux était « équitable ». Même si la situation factuelle dont il était saisi était différente de celle qui m’est présentée, ce savant arbitre a conclu que de telles restrictions étaient non seulement inéquitables, mais aussi indéfendables, et il a déclaré ce qui suit :

[…]

88      Souscrire à l’idée qu’il serait équitable d’ajouter aux conventions collectives des restrictions telles que la production d’un bureau est dangereux, car si l’on pouvait ajouter un critère arbitraire comme le seuil de productivité acceptable d’un bureau pour que les employés qui y travaillent aient le droit individuel de faire des heures supplémentaires, on pourrait aussi introduire des règles comme l’obligation d’avoir un dossier disciplinaire vierge, une ou plusieurs évaluations avec la cote entièrement satisfaisant, une utilisation des congés de maladie égale ou inférieure à la moyenne, etc. Comme l’employeur le sait fort bien, des changements comme ceux-là ne peuvent être introduits dans une convention collective qu’à la table de négociation.

[…]

32 Je le répète, la situation que l’arbitre de grief devait trancher dans Bunyan et al. était différente, mais j’estime que l’avertissement de ce savant arbitre inhérent à son emploi du mot « dangereux » est tout aussi important dans ce cas-ci.

33 Mme Matchett, qui a conçu les critères, a témoigné que les normes de production qui étaient devenues un facteur déterminant de l’offre du travail supplémentaire avaient été adoptées pour maximiser le recours aux heures supplémentaires. D’ailleurs, dans sa note de service à M. Doiron, elle avait déclaré : [traduction] « pour nous assurer de maximiser le recours aux heures supplémentaires dans la région, nous avons déterminé qu’elles seraient basées sur les critères suivants… »

34 Le critère que M. Doiron a accepté – et qui est devenu le facteur déterminant de l’attribution du travail supplémentaire – était arbitraire, à mon avis. Mme Matchett a expliqué qu’on avait établi un plafond de 31,5 heures de temps supplémentaire par employé et par mois pour limiter les risques d’épuisement professionnel des employés, mais c’est la seule explication qu’on ait donnée des autres critères.

35 Cela m’a laissé l’impression qu’il n’y avait aucune raison scientifique, voire opérationnelle qui justifiait les normes, si ce n’est l’intention déclarée de « maximiser le recours aux heures supplémentaires ». Je ne suis pas disposé à accepter que la clause 28.05a) de la convention collective, qui exige que le travail supplémentaire soit offert « … de façon équitable entre les employé-e-s qualifié-e-s qui sont facilement disponibles » permet à l’employeur d’imposer de tels critères.

36 Je conclus que le fonctionnaire, qui est un employé qualifié, l’employeur l’a admis, même s’il n’est pas le plus efficient, s’est vu refuser des possibilités de faire des heures supplémentaires en fonction de normes basées sur la productivité horaire établies de façon arbitraire. Cette conclusion est confirmée par les réponses aux trois paliers de la procédure de règlement des griefs, où il est invariablement reproché au fonctionnaire de n’avoir  [traduction] « … pas répondu aux attentes de la direction ». ce pourquoi il ne s’était pas fait offrir la possibilité de faire des heures supplémentaires après la fin de mars 2004 (voir la Pièce 3 - Réponse de Mme Matchett au grief). Je conclus donc que le fonctionnaire n’a pas été traité équitablement, ce qui constituait un manquement à la clause 28.05a) de la convention collective.

37 Je suis arrivé à cette conclusion en reconnaissant pertinemment la prérogative de l’employeur de décider comment le travail doit être fait, sauf dans les limites indiquées par la convention collective. À mon avis, la clause 28.05a) de la convention collective limite effectivement la prérogative de la direction d’attribuer le travail supplémentaire aux employés.

38 Une fois arrivé à cette conclusion, j’ai dû me demander si mon interprétation aboutit à une absurdité ou à une incompatibilité avec d’autres dispositions de la convention collective. En d’autres termes, mon interprétation des mots interprétés dans leur contexte immédiat et dans celui de la convention collective prise dans son ensemble est-elle incompatible avec d’autres dispositions de la convention collective?

39 Ni l’une ni l’autre des parties n’a allégué qu’une interprétation quelconque que j’aurais de la clause 28.05a) de la convention collective serait incompatible avec une autre de ses dispositions. En outre, dans mon examen indépendant de la convention collective, je suis convaincu que mon interprétation n’est pas incompatible avec une autre de ses dispositions.

VII. Motifs

40 Pour tous les motifs qui précèdent, je conclus que le grief est fondé et je déclare que l’employeur a violé la clause 28.05a) de la convention collective.

41 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VIII. Ordonnance

42 Le grief est accueilli.

43 Les parties ont accepté que je rende une décision déclaratoire en leur laissant le soin de déterminer le redressement. Néanmoins, je reste saisi du grief pour une période de 30 jours, dans l’éventualité où les parties seraient incapables de s’entendre sur le redressement.

Le 29 octobre 2009.

Traduction de la CRTFP.

George Filliter,
arbitre de grief

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