Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Dans une décision antérieure, la Commission a rejeté une demande de restructuration des unités de négociation à la Chambre des communes - l’un des défendeurs a demandé une indemnisation pour les pertes que lui avait occasionnées la contestation de la demande - la Commission a décidé qu’elle n’avait pas compétence pour trancher cette question parce que les dommages-intérêts demandés correspondaient en réalité aux dépens. Compétence déclinée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations
de travail au Parlement

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-11-03
  • Dossier:  425-HC-5
  • Référence:  2009 CRTFP 144

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

CHAMBRE DES COMMUNES

requérante

et

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA,
ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA,
SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS, DE L’ÉNERGIE ET DU PAPIER ET
ASSOCIATION DES EMPLOYÉS DU SERVICE DE SÉCURITÉ DE LA
CHAMBRE DES COMMUNES

défendeurs

Répertorié
Chambre des communes c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada et al.

Affaire concernant une demande de révision des certificats d’accréditation d’unités de négociation en vertu de l’article 17 de la Loi sur les relations de travail au Parlement

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Georges Nadeau, commissaire

Pour la requérante:
Steven Chaplin, avocat

Pour l’Association des employés du Service de sécurité de la Chambre des communes, défenderesse:
Georges Marceau, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 22 mai et le 26 juin 2009.
(Traduction de la CRTFP)

I. Demande devant la Commission

1 Le 23 février 2009, j’ai rendu, pour le compte de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »), une décision rejetant la demande présentée par la Chambre des communes (Chambre des communes c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada et al., 2009 CRTFP 23) en vertu de l’article 17 de la Loi sur les relations de travail au Parlement, L.R.C. (1985), ch. 33 (2e suppl.) (la « LRTFP ») visant à restructurer les unités de négociation de la Chambre des communes et à les fusionner en une seule unité. En conclusion de ma décision, j’ai écrit ceci :

644 L’avocat de l’AESS a demandé que la demande de l’employeur soit rejetée pour absence de preuve et a demandé que la Commission demeure saisie de l’affaire pour entendre la preuve concernant la conséquence d’une telle décision, y compris la possibilité d’indemniser l’Association pour sa participation forcée à la procédure. À la lumière de ma décision de rejeter la demande pour le motif que la preuve n’a pas révélé un changement important qui rendrait la structure des unités de négociation insatisfaisante, je suis disposé à demeurer saisi de l’affaire pendant 90 jours pour entendre des éléments de preuve et des arguments concernant les répercussions sur l’AESS de sa participation forcée à la présente procédure.

Par conséquent, j’ai ensuite rendu l’ordonnance suivante :

647    Je demeure saisi de l’affaire pendant 90 jours pour entendre la preuve et les arguments concernant l’impact sur l’AESS de sa participation forcée à la présente procédure.

2 Le 30 avril 2009, au terme d’une conférence préparatoire, j’ai demandé aux parties de me soumettre des arguments écrits sur la question de la compétence de la Commission pour indemniser l’Association des employés du Service de sécurité de la Chambre des communes (l’« AESS ») dans les circonstances, ainsi que sur la question des critères qui s’appliquent pour accorder cette indemnisation.

II. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’AESS

3 L’AESS indique que le principal objectif de la partie 1 de la LRTP est de protéger les droits de négociation collective des employés. À cette fin, la Commission est investie de pouvoirs ayant un rapport avec la protection de ces droits. En exerçant ces pouvoirs, la Commission confirme des droits reconnus par la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »).

4 La Commission est compétente en vertu de l’article 10 de la LRTP pour indemniser l’AESS pour le préjudice que lui a causé sa participation forcée à la procédure introduite par la requérante dans l’affaire 2009 CRTFP 23, sans preuve à l’appui. L’indemnisation demandée ne constitue pas une mesure punitive; elle vise plutôt à remettre l’AESS dans la position antérieure. L’AESS a été forcée de participer à une procédure de révision qui était sans fondement.

5 L’AESS admet que l’employeur avait le droit de présenter une demande en vertu de l’article 17 de la LRTP. Cela dit, si la Commission se déclare compétente dans ce cas-ci, l’AESS entend démontrer que l’employeur a abusé de ce droit. L’AESS montrera que, dès le départ, l’employeur ne disposait d’aucune preuve pour étayer la fusion de l’unité de la sécurité avec les autres unités de négociation et qu’il s’agissait uniquement d’une manœuvre stratégique de sa part pour soutenir sa demande de révision.

6 L’AESS estime que la Commission a compétence pour accorder une indemnisation dans le cadre de son mandat et en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par sa loi habilitante. La décision de l’employeur d’utiliser une demande de révision pour des raisons stratégiques dans ce cas-ci représentait un abus d’un droit, qui a mis en péril l’existence même de l’AESS et compromis le processus des négociations collectives.

7 S’appuyant sur les décisions rendues dans les affaires Chénier c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 27, et Sabourin c. Chambre des communes, 2006 CRTFP 84, l’AESS avance que rien n’empêche la Commission d’allouer des dommages-intérêts pour l’inconduite de l’employeur et que les arbitres de griefs ont compétence pour accorder une indemnisation de ce genre. L’AESS ajoute qu’il a été reconnu que la Commission et son prédécesseur, l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique, avaient compétence pour accorder les dommages-intérêts demandés même si leurs lois habilitantes ne contiennent pas de dispositions expresses en ce sens.

8 Dans ce cas-ci, le rôle dévolu à la Commission au chapitre de l’application de la LRTP est défini à l’article 10 de la partie I. Cette disposition autorise la Commission à prendre des ordonnances « […] qui exigent l’observation de la présente partie […] », l’objectif principal étant la protection des droits de négociation collective et des autres droits en matière d’emploi.

9 L’AESS indique également que si l’AESS n’avait pas déployé des ressources financières et humaines considérables pour contester la demande de l’employeur, la structure de l’unité de négociation aurait été modifiée sans qu’il y ait de consultation valable, l’AESS aurait cessé d’exister et la survie même d’un processus efficace de négociations collectives aurait été menacée. Le coût de cette défense était que l’association et le processus des négociations collectives auraient pu cesser d’exister. C’est pourquoi l’AESS estime qu’une ordonnance d’indemnisation serait appropriée.

10 La position de l’AESS selon laquelle la Commission peut accorder des dommages-intérêts est étayée par la jurisprudence sur la compétence du Conseil canadien des relations du travail (le « CCRT »), le prédécesseur du Conseil canadien des relations industrielles (le « CCRI »).

11 Dans l’affaire Eamor v. Canadian Air Line Pilots Association, 96 CLLC 220-039, la Cour a confirmé la capacité du CCRT d’accorder des dommages-intérêts au regard de son large pouvoir réparateur, à la condition qu’il existe un lien causal direct avec la violation et que la mesure ne soit pas punitive, qu’elle n’enfreigne pas la Charte et qu’elle n’aille pas à l’encontre des objectifs du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le « CCT »).

12 La Cour suprême s’est également penchée sur l’étendue du pouvoir du CCRT d’accorder des réparations dans l’arrêt Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369. Dans cette décision, la Cour a conclu que l’employeur avait mis en péril l’existence même de la négociation collective en se livrant à des activités illégitimes, injustifiables et contraires à ce qui est admissible en matière de négociation de bonne foi. La Cour a également conclu que le libellé du CCT n’apportait pas de limitations précises à la compétence du CCRT, si bien qu’il avait toute latitude pour tenir compte des circonstances toujours différentes des litiges. La Cour a énoncé les conditions qui doivent être réunies pour déterminer si la réparation façonnée par un tribunal des relations du travail est raisonnable dans les termes suivants :

[…]

68      Il existe quatre cas dans lesquels une ordonnance réparatrice sera tenue pour manifestement déraisonnable: (1) lorsque la réparation est de nature punitive; (2) lorsque la réparation accordée porte atteinte à la Charte canadienne des droits et libertés; (3) lorsqu'il n'y a pas de lien rationnel entre la violation, ses conséquences et la réparation; et (4) lorsque la réparation va à l'encontre des objectifs du Code […]

[…]

13 L’AESS fait valoir que la Cour d’appel fédérale a appliqué, depuis, ces conditions de manière favorable dans son évaluation des ordonnances réparatrices rendues par le CCRI et le CCRT.

14 L’AESS défend la position selon laquelle, dans ce cas-ci, la demande de l’employeur n’est basée sur aucune preuve, que l’employeur s’en est servi à des fins purement stratégiques et que cela a compromis l’existence même de l’AESS en causant sa ruine financière. L’attribution de dommages-intérêts serait en accord avec l’objectif de la protection du droit de négociation collective et empêcherait qu’on porte atteinte à ce droit. La réparation aurait un lien rationnel avec la demande non fondée de l’employeur et ne constitue pas une mesure punitive. Rien ne permet de croire que cette réparation violerait la Charte. Cette mesure n’empêche aucunement une partie de présenter une demande de révision de bonne foi, basée sur la preuve. Une ordonnance d’indemnisation aurait pour effet de protéger le droit de négociation collective.

15 Pour finir, l’AESS déclare que la Commission est fondée à tenir pour avéré le préjudice causé à l’AESS et à se déclarer compétente pour accorder des dommages-intérêts dans ce cas-ci. Les conditions préliminaires sont réunies pour accorder une réparation lorsque les actions d’une partie représentent un abus d’un droit et mettent en péril l’existence même de l’autre partie et, de ce fait, le droit de négociation collective. Dans le cas où la Commission se déclarerait compétente pour accorder une indemnité, l’AESS démontrera que ces conditions sont réunies et que l’AESS doit être indemnisée pour sa participation forcée à la procédure dans l’affaire 2009 CRTFP 23.

B. Pour l’employeur

16 L’employeur défend la position selon laquelle la Commission n’a pas compétence pour allouer des dommages-intérêts équivalant aux dépens dans le cadre de ses procédures. Comme la Commission a été créée par une loi, ses pouvoirs pour accorder une quelconque réparation doivent lui être attribués par la LRTP. Pour qu’un tribunal administratif soit autorisé à adjuger les dépens, il faut que sa loi habilitante contienne une disposition en ce sens, or la LRTP n’en contient pas.

17 L’employeur avance que, même si la Commission conclut que la LRTP lui accorde la compétence voulue, il y a des raisons de principe voulant qu’une réparation de ce genre soit accordée dans des cas exceptionnels seulement. Or, la présente affaire ne constitue pas un cas exceptionnel. L’employeur a exercé son droit de présenter une demande en vertu de l’article 17 de la LRTP; rien ne prouve qu’il a agi de mauvaise foi, qu’il a abusé de son droit ou qu’il était motivé par un sentiment antisyndical.

18 Même si l’AESS soutient que l’indemnité demandée n’équivaut pas aux dépens, il est bien évident que c’est le contraire qui est vrai. La Commission a reconnu que l’AESS réclamait des dépens au paragraphe 396 de l’affaire Chambre des communes, lorsqu’elle a déclaré qu’elle se pencherait sur la question des dépens.

19 L’employeur fait valoir que les dépens ne peuvent pas être assimilés à des réparations, y compris des dommages-intérêts. Les dommages-intérêts visent à réparer un préjudice ou à résoudre la requête (ou la demande reconventionnelle) formulée. Les dépens désignent les frais engagés pour introduire ou défendre une instance. Les dommages-intérêts sont des sommes en argent qui représentent l’étendue du préjudice qu’une partie a causé à une autre. L’employeur renvoie à la décision de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans l’affaire Williamson v. William, [1998] N.S.J. No. 498 (QL), au soutien de cette distinction.

20 S’appuyant sur les décisions rendues dans les affaires Syndicat canadien de la fonction publique c. Conseil des relations du travail (Nouvelle-Écosse) et al., [1983] 2 R.C.S. 311, Loi sur l’Office national de l’énergie (Can.) (Re), [1986] 3 C.F. 275, Bellai Brothers Ltd., [1994] OLRB Rep. January 2, et Bank and Finance Workers’ Union v. National Bank of Canada, 84 CLLC 16,038, l’employeur soutient que les tribunaux administratifs doivent être expressément habilités à adjuger les dépens. Ces pouvoirs ne peuvent pas être inférés des dispositions qui leur confèrent des pouvoirs généraux d’accorder des réparations. Cette « limitation » des pouvoirs des tribunaux a été mise en relief à tous les paliers judiciaires, ainsi que par plusieurs tribunaux administratifs et par la Commission.

21 L’employeur attire l’attention sur le fait que l’article 121 du CCT est pratiquement identique au libellé de l’article 10 de la LRTP et du paragraphe 21(1) de la l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35, et que la Commission est arrivée à la même conclusion quand elle a interprété et appliqué ces dispositions dans l’affaire Nowen et al. c. UCCO-SACC-CSN, 2003 CRTFP 98. De plus, les arbitres de griefs nommés par la Commission ont conclu qu’un libellé explicite est nécessaire pour attribuer les dépens, comme en témoignent les décisions rendues dans les affaires Dépault c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2001 CRTFP 97; McMorrow c. le Conseil du Trésor (Anciens combattants Canada), dossier de la CRTFP 166-02-23967 (19941021); Lo c. le Conseil du Trésor (Secrétariat du Conseil du Trésor), dossier de la CRTFP 166-02-27825 (19980514); Matthews c. le Service canadien du renseignement de sécurité, dossier de la CRTFP 166-20-27336 (19990218); Lavigne c. le Conseil du Trésor (Travaux Publics), dossiers de la CRTFP 166-02-16452 à 16454, 16623, 16624 et 16650 (19881014); et Chong c. le Conseil du Trésor (Revenu Canada, Douanes et Accise), dossier de la CRTFP 166-02-16249 (19861224).

22 L’employeur avance que, bien que l’article 10 de la LRTP confère à la Commission un pouvoir discrétionnaire très général pour accorder des réparations, il ne va pas jusqu’à lui conférer le pouvoir d’attribuer les dépens; cette disposition ne peut pas non plus être interprétée comme signifiant que la Commission peut adjuger les dépens. Les pouvoirs qui sont conférés à la Commission dans le but de réaliser directement ou indirectement les objets de la partie 1 de la LRTP reposent sur l’idée de finalité en ce qu’il doit exister un lien entre l’objet de l’exercice du pouvoir et une disposition ou un objet de la LRTP. Toute réparation qui est accordée par la Commission doit découler de la demande ou de la plainte ou d’une violation.

23 L’employeur avance que les dépens ne peuvent pas être adjugés à titre de réparation. L’allocation des dépens ne découle pas de la demande de fusionnement des unités de négociation, vu que la réparation demandée n’a aucun rapport avec les droits en litige en vertu de l’article 17 de la LRTP, sur lequel la demande était fondée. La réparation demandée ne découle pas d’une violation présumée de la LRTP par l’employeur ou une partie. L’employeur avait le droit de présenter la demande en question.

24 L’employeur ajoute que la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse et la Commission des relations de travail de l’Ontario ont l’une et l’autre rejeté un argument similaire à celui de l’AESS dans les affaires Johnson v. Halifax (Regional Municipality) Police Service, 2005 NSCA 70 et United Steelworkers Local 1-2693 v. Kimberly-Clark Corporation, 2008 CanLII 23941 (CRT de l’Ont.) respectivement.

25 L’employeur estime que le libellé de l’article 10 de la LRTP ne peut pas être interprété de manière à accorder à la Commission le pouvoir d’allouer les dépens ou d’attribuer des dommages-intérêts équivalant aux dépens, lesquels représentent les frais engagés pour défendre ou poursuivre une demande en vertu de la LRTP.

26 L’absence de compétence de la Commission s’explique par diverses raisons de principe. Dans l’affaire Repac Construction & Materials Limited, [1976] OLRB Rep. October 610, la Commission des relations de travail de l’Ontario a exprimé l’avis selon lequel une procédure qui aboutit généralement à la désignation d’un gagnant et d’un perdant n’est pas propice à la réalisation de l’objet de la Loi sur les relations de travail de l’Ontario. De même, dans l’affaire Bank and Finance Workers’ Union, le CCRT a donné un certain nombre de raisons de principe pour conclure qu’il n’avait pas compétence pour attribuer les dépens en se basant sur des dispositions législatives pratiquement identiques au libellé de l’article 10 de la LRTP. Ces raisons de principe sont les suivantes :

[…]

- accorder les dépens revient à désigner un gagnant et un perdant, ce qui nuit au climat des relations de travail;

- un conseil des relations de travail ne dispose pas des mécanismes appropriés à l'évaluation du caractère raisonnable des dépens;

- la tâche d'évaluer si les dépens sont raisonnables ou non dérogerait aux fonctions premières du Conseil qui sont liées aux relations de travail;

- accorder les dépens implique une sanction, ce qui n'est pas pertinent dans le contexte des mesures de redressement en relations de travail;

- accorder les dépens dans certains types d'affaires susciterait des questions difficiles quant à leur détermination; et

- accorder les dépens ne supprime pas le préjudice réel.

[…]

27 La Commission des relations de travail de l’Ontario a invoqué des raisons de principe analogues pour ne pas présumer ou inférer qu’elle avait compétence pour attribuer les dépens. Ces raisons étaient les suivantes :

[Traduction]

[…]

L’attribution des dépens aura pour effet de dissuader les parties de présenter des demandes valables en droit;

Il est d’intérêt public que les conflits de travail soient résolus; l’attribution des dépens fera entrave au processus de résolution;

L’attribution des dépens aura des conséquences négatives sur les relations de travail en faisant un gagnant et un perdant;

Cela détournerait la Commission de sa fonction principale;

Les difficultés que cela occasionnera si le succès est divisé entre les parties;

La Commission n’est pas en mesure d’évaluer et d’attribuer les dépens.

[…]

(Voir Bellai Brothers Ltd.; Local 721 of the Bridge, Structural and Ornamental Ironworkers of America, [1995] O.L.R.D. No. 654 (QL); Hill v. International Brotherhood of Teamsters, Chauffeurs, Warehousemen and Helpers, Local 938, [1995] OLRB Rep. October 1249; et National Grocers Co., [2003] OLRB Rep. May/June 467).

28 L’employeur avance que, pour les raisons de principe décrites aux paragraphes 26 et 27 de la présente décision, condamner l’employeur aux dépens produirait un résultat contraire à l’objectif visé par l’article 10 de la LRTP. Au lieu de motiver les parties à demander l’aide de la Commission, cela aurait pour effet de les en dissuader et cela inciterait les requérants ou les défendeurs à réclamer les dépens dans toutes les futures causes.

29 L’employeur note que toutes les causes citées par l’AESS montrent qu’on peut accorder des dommages-intérêts à titre de réparation, mais non les dépens. Pas un seul cas ou précédent n’a été présenté dans lequel des frais juridiques ou des dommages-intérêts équivalant aux dépens ont été attribués par un conseil ou une commission des relations du travail en vertu d’une disposition législative lui conférant exclusivement des pouvoirs réparateurs. Un examen attentif des décisions Sabourin, Eamor et Royal Oak Mines Inc. citées par l’AESS montre qu’elles s’accordent avec la position de l’employeur que l’indemnisation doit être accordée pour les dommages-intérêts et non pour les dépens.

30 L’employeur observe que la demande présentée en vertu de l’article 17 de la LRTP visait à réviser la structure des unités de négociation à la Chambre des communes. Il n’existe pas de lien rationnel entre le litige qui oppose les parties et les dépens réclamés. Les sommes d’argent réclamées ne constituent pas une réparation basée sur la demande. Ils ne sont pas reliés à une obligation ou à un droit de l’employeur contenu dans la LRTP. Ils n’ont pas de rapport avec la présumée contravention ou violation de la LRTP en litige.

31 Dans le cas où la Commission se déclarerait compétente, l’employeur fait valoir, à titre subsidiaire, que la Commission doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour refuser d’accorder les dépens. La Commission doit tenir compte de tous les facteurs établis par les conseils et commissions des relations du travail et limiter l’exercice de son pouvoir discrétionnaire aux cas exceptionnels seulement, par exemple, lorsqu’il existe des preuves irréfutables de mauvaise foi, d’abus ou d’antisyndicalisme. Dans ce cas-ci, la Commission n’a aucune raison d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour condamner l’employeur aux dépens puisqu’il n’y a aucun facteur exceptionnel présent. Aucun des défendeurs, y compris l’AESS, n’a défendu la position que la Commission n’avait pas la compétence pour statuer sur la demande; de la jurisprudence a d’ailleurs été soumise pour démontrer que des demandes de restructuration d’unités de négociation avaient été accueillies à la suite de la refonte de systèmes de classification.

32 L’employeur avance que, contrairement à l’allégation de l’AESS que l’employeur cherchait à porter atteinte aux droits de négociation collective, la preuve établit de manière irréfutable que, dans la définition de l’unité de négociation proposée présentée dans la demande, l’employeur avait pris soin et avait véritablement tenté d’inclure tous les employés qui étaient membres d’unités de négociation à ce moment-là et qui, de ce fait, possédaient des droits de négociation collective.

33 Pour finir, l’employeur avance que l’AESS réclame les dépens ou des dommages-intérêts équivalant aux dépens; que ces dépens ne peuvent être adjugés à titre de réparation; qu’aucune disposition de la LRTP n’accorde expressément compétence à la Commission pour attribuer les dépens; que, pour allouer les dépens, il faut que la loi contienne une disposition explicite en ce sens; que la Commission n’a pas compétence, faute de cette autorisation explicite; et que le libellé particulier de l’article 10 de la LRTP accorde à la Commission le pouvoir d’accorder des réparations et de rendre des ordonnances relativement à des violations de la LRTP. L’attribution des dépens n’est pas reliée à des violations de la LRTP, et l’article 10 ne peut pas, en toute logique, être interprété de manière à accorder à la Commission le pouvoir d’attribuer les dépens. Dans l’hypothèse où l’article 10 peut être interprété dans un sens aussi large, de manière à englober les dépens, la Commission doit s’abstenir, pour des raisons de principe, d’attribuer les dépens, mais si elle en décide autrement, les dépens ne doivent être adjugés que dans des cas exceptionnels seulement.

34 L’employeur fait valoir qu’il avait le droit de présenter la demande en question et que, outre le fait qu’il n’y a aucune preuve d’abus ou d’antisyndicalisme, l’employeur s’est également assuré que les employés en cause à ce moment-là puissent exercer leur droit d’être représentés et qu’ils continuent d’exercer ce droit à l’intérieur de la structure d’unités de négociation proposée.

35 L’employeur estime que, pour ces motifs, la Commission doit refuser d’accorder l’indemnisation demandée, au motif qu’elle n’a pas compétence pour accueillir cette demande. Si, par ailleurs, la Commission est compétente, elle doit refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder des dommages-intérêts dans ce cas-ci.

36 Dans l’éventualité où la Commission déterminerait qu’elle est compétente et qu’elle doit accorder une indemnisation, l’employeur se réserve le droit de présenter des arguments à propos des montants demandés et de leur pertinence, de même qu’à propos des critères que la Commission doit appliquer pour décider du montant à accorder.

C. Réplique de l’AESS

37 Après avoir observé que l’employeur base principalement son argumentation observations sur l’hypothèse que l’AESS réclame les dépens plutôt que des dommages-intérêts, l’AESS indique qu’elle réclame des dommages-intérêts compensatoires à titre de réparation en vertu de la LRTP et note que la Commission ne fait aucune mention des dépens dans sa conclusion, sauf en lien avec la possibilité d’accorder une indemnité à l’AESS pour sa participation forcée à la procédure. La Commission a laissé en suspens la question de la nature de l’indemnisation demandée dans ce cas-ci. L’AESS avance que non seulement la Commission a compétence pour accorder la réparation demandée, mais que les raisons de principe citées par l’employeur étayent la position de l’AESS.

38 L’AESS avance que les conditions préliminaires pour accorder une indemnité sont réunies lorsque les actions d’une partie représentent un abus d’un droit et mettent en péril l’existence même de l’autre partie et, de ce fait, le droit de négociation collective. Or, pas une seule des décisions citées par l’employeur ne se rapporte à une situation de ce genre.

39 Après avoir observé que des conseils et commissions des relations du travail s’étaient déclarés compétents pour attribuer les dépens dans certains cas, l’AESS fait valoir que l’analyse de l’article 121 du CCT contenue dans la décision Bank and Finance Workers’ Union étaye la proposition que les commissions des relations du travail ont compétence pour attribuer les dépens quand cela permet de remédier ou de parer à une conséquence. Dans les causes citées par l’employeur, les tribunaux ne se sont pas nécessairement déclarés incompétents pour attribuer les dépens. C’est plutôt que, même s’ils s’estiment compétents, les conseils et commissions des relations du travail hésitent généralement à attribuer les dépens, pour des raisons de principe. Une fois appliquées à la présente cause, ces raisons de principe étayent la position de l’AESS.

40 Après avoir observé que les premières raisons de principe invoquées par l’employeur pour ne pas accorder une indemnité à l’AESS ont rapport à l’objectif qui sous-tend la législation sur les relations de travail, l’AESS indique que l’employeur se sert de ces raisons pour se soustraire à la pratique générale de l’adjudication des dépens. L’AESS ne défend pas la position que la demande d’indemnisation s’inscrit ici dans le contexte de cette pratique générale ou qu’elle devrait engendrer une telle pratique. L’AESS estime que la situation de fait présentée à la Commission dans ce cas-ci sort de l’ordinaire. L’employeur a inclus l’AESS dans sa demande en vertu de l’article 17 de la LRTP pour des raisons purement stratégiques, malgré l’absence de preuve pertinente. Dans le cas où la Commission se déclarerait compétente, l’AESS démontrera que la décision de l’employeur a mis son existence en péril. Le fait d’attribuer les dépens dans ce cas-ci n’ouvrira pas la porte à des demandes d’indemnisation similaires dans la grande majorité des causes qui sont entendues par la Commission.

41 Après avoir passé en revue les raisons de principe invoquées par l’employeur, l’AESS observe que, si l’objet intrinsèque de la LRTP est d’encourager la pratique de relations du travail harmonieuses, le paragraphe 5(1) protège explicitement les droits de négociation collective et les autres droits des employés. L’objet de la LRTP constitue une solide raison de principe pour accorder une indemnisation dans ce cas-ci.

42 L’AESS défend la position selon laquelle accorder une indemnisation ne reviendra pas à désigner un gagnant et un perdant. Les parties savent que l’employeur a déposé sa demande en vertu de l’article 17 de la LRTP pour des raisons purement stratégiques dans le cas de l’AESS et qu’il n’existe aucune preuve, comme l’indique la décision de la Commission, qui aurait pu convaincre la Commission de donner gain de cause à l’employeur.

43 Quant l’argument selon lequel les processus des conseils et commissions des relations du travail ne sont pas adaptés pour apprécier le caractère raisonnable des dépens, ou que cette tâche susciterait des questions difficiles quant aux cas dans lesquels les dépens doivent ou ne doivent pas être attribués, l’AESS attire l’attention sur les observations de la Cour suprême dans l’arrêt Royal Oak Mines Inc. à propos du fait qu’aucun autre organe n’a les compétences et l’expérience nécessaires en matière de relations de travail pour façonner une solution juste et raisonnable.

44 L’AESS soutient que l’attribution de dommages-intérêts ne détournerait pas la Commission de sa fonction première puisqu’il est de son devoir de protéger le droit de négociation collective.

45 L’AESS affirme que l’indemnisation demandée n’est pas une mesure punitive; elle vise plutôt à remettre l’AESS dans la position dans laquelle elle aurait été si l’employeur n’avait pas décidé de l’inclure dans sa demande fondée sur l’article 17 de la LRTP.

46 L’AESS insiste de nouveau sur la pertinence d’accorder une indemnisation, à la lumière de l’analyse des circonstances contenue dans son argumentation initiale.

47 L’AESS soutient que l’attribution d’une indemnité n’aurait pas pour effet de dissuader les parties de présenter des demandes valables en droit. Dans ce cas-ci, une partie a poursuivi une demande qui n’était pas fondée, et cela, en toute connaissance de cause. Même s’il est d’intérêt public que les conflits de travail soient résolus, la Commission ne dispose d’aucune preuve qu’une ordonnance d’indemnisation dissuaderait les parties de conclure une entente ou nuirait à ce processus de règlement. Cela aurait pour effet d’assurer la survie de l’AESS si une situation semblable se produisait de nouveau à l’avenir. L’AESS avance également que le montant de l’indemnité pourrait être déterminé rapidement, puisque le préjudice causé peut être comptabilisé.

48 L’AESS fait valoir que les parties doivent se garder d’exercer les droits qui lui leur sont reconnus par de LRTP de manière à compromettre l’existence du processus des négociations collectives et que, dans les cas où cette obligation n’est pas respectée, une indemnisation peut être justifiée.

49 Au dernier paragraphe de son argumentation, l’AESS note que l’employeur soutient que rien ne prouve qu’il a abusé de ses droits et que la Commission devrait s’abstenir d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder une indemnisation. L’AESS avance que la Commission a demandé à recevoir des arguments sur la question de sa compétence seulement. Dans le cas où la Commission se déclarerait compétente, l’AESS entend produire des preuves à l’appui de sa demande d’indemnisation.

50 Pour finir, l’AESS affirme qu’elle demande des dommages-intérêts et non pas les dépens et que la Commission a compétence pour accorder des dommages-intérêts. La Commission est compétente pour accorder les dépens si elle décide que c’est la réparation  qui s’applique. Les critères qui s’appliquent pour accorder une indemnité sont décrits dans l’argumentation initiale de l’AESS. Les raisons de principe invoquées par l’employeur font pencher la balance en faveur d’une décision de la Commission accordant une indemnisation à l’AESS pour sa participation forcée à la procédure dans l’affaire 2009 CRTFP 23.

III. Motifs

51 Dans l’affaire Chambre des communes, j’ai rendu une ordonnance indiquant que je demeurais saisi de l’affaire pour une période de 90 jours pour entendre la preuve et les arguments des parties concernant les répercussions sur l’AESS de sa participation forcée à la procédure.

52 Cette ordonnance découlait du motif suivant :

[…]

644 L’avocat de l’AESS a demandé que la demande de l’employeur soit rejetée pour absence de preuve et a demandé que la Commission demeure saisie de l’affaire pour entendre la preuve concernant la conséquence d’une telle décision, y compris la possibilité d’indemniser l’Association pour sa participation forcée à la procédure. À la lumière de ma décision de rejeter la demande pour le motif que la preuve n’a pas révélé un changement important qui rendrait la structure des unités de négociation insatisfaisante, je suis disposé à demeurer saisi de l’affaire pendant 90 jours pour entendre des éléments de preuve et des arguments concernant les répercussions sur l’AESS de sa participation forcée à la présente procédure.

[…]

53 En rendant cette ordonnance, je n’ai pas décidé si la Commission avait compétence pour statuer sur cette demande et, le cas échéant, si les circonstances justifiaient d’accorder une indemnisation. J’ai simplement dit que j’étais préparé à entendre la preuve et les arguments des parties au sujet de la demande.

54 Après avoir pris connaissance des arguments sur ma compétence et de la jurisprudence soumise par les parties, j’en suis venu à la conclusion qui suit.

55 La jurisprudence est limpide. Elle dit qu’en l’absence de dispositions explicites dans la Loi, la Commission n’a pas compétence, intrinsèquement, pour accorder les dépens. Cela dit, la jurisprudence reconnaît que les conseils et commissions des relations du travail ont le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts équivalant aux « frais juridiques » dans certains cas exceptionnels. Comme il est indiqué dans l’affaire Bellai Brothers Ltd. :

[Traduction]

[…]

[…] la Commission a le pouvoir et peut juger pertinent d’accorder des dommages-intérêts pour des dépenses qui s’apparentent à des « frais juridiques » mais n’en sont pas à proprement parler, ou qui sont des « frais juridiques» mais constituent aussi des dommages-intérêts découlant d’une violation de la Loi sur les relations de travail qui mérite réparation.

[…]

56 Dans l’affaire National Grocers Co., la Commission des relations de travail de l’Ontario a refusé d’accorder les dépens au motif que le syndicat tentait de se faire rembourser les frais juridiques qu’il avait engagés pour défendre sa demande d’accréditation. La Commission a conclu que ces frais juridiques ne constituaient pas des dommages-intérêts découlant d’une violation de la Loi de 1995 sur les relations de travail de l’Ontario, L.O. 1995, chap.1, annexe A, au sens où cela est entendu dans l’affaire Bellai Brothers Ltd.

57 Dans ses arguments finaux observations finales, l’AESS a défendu la position selon laquelle les conditions préliminaires pour accorder des dommages-intérêts sont réunies quand les actions de l’employeur représentent un abus d’un droit et mettent en péril l’existence même de l’autre partie et, de ce fait, le droit de négociation collective. Si je suis plutôt en accord avec cet argument, il reste que les circonstances de la présente affaire ne m’ont pas convaincu que la conduite de l’employeur constituait un abus d’un droit et que cela équivalait à une violation de la LRTP. J’ai rejeté la demande originale parce que rien dans la preuve n’indiquait qu’il y avait eu un changement important et que cela justifiait de modifier la structure des unités de négociations. On est loin ici d’une conclusion que l’employeur a abusé de ses droits et cela n’est certainement pas un motif suffisant pour accorder des dommages-intérêts équivalant aux « frais juridiques ».

58 L’AESS me demande de la « remettre dans la position antérieure » ou, en d’autres termes, d’adjuger les dépens, c’est-à-dire les frais juridiques se rapportant à la procédure devant la Commission. La Commission n’a pas compétence pour attribuer les dépens, car aucune disposition de sa loi habilitante ne lui accorde ce pouvoir. L’attribution de dommages-intérêts pour une violation de la LRTP est une toute autre question, qui devrait faire l’objet d’une demande distincte, car je n’ai pas déterminé que l’employeur avait violé la LRTP.

59 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

60 La Commission n’a pas la compétence pour statuer sur cette question, faute de pouvoir pour attribuer les frais juridiques.

Le 3 novembre 2009.

Traduction de la CRTFP.

Georges Nadeau,
commissaire

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