Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La Commission était saisie d’une demande de dépôt d’une ordonnance selon laquelle l’agent négociateur devait rétablir un de ses membres dans ses fonctions syndicales - la Commission a tenu compte des critères fixés à l’article 52 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique - la Commission a jugé qu’il convenait de déposer l’ordonnance à la Cour fédérale, puisqu’elle n’avait pas été exécutée, qu’il était peu probable qu’elle le soit, et qu’il n’existait aucune raison de croire que le dépôt ne serait d’aucune utilité. Demande accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-12-11
  • Dossier:  521-34-2 XR: 561-34-153
  • Référence:  2009 CRTFP 174

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

GUY VEILLETTE

demandeur

et

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défendeur

Répertorié
Veillette c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Affaire concernant une demande de dépôt à la Cour fédérale prévue au paragraphe 52(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, vice-présidente

Pour le demandeur:
Lui-même

Pour le défendeur:
Robert Dury, avocat

Décision rendue sur la base d'arguments écrits
déposés les 7, 11,13 et 29 septembre 2009.

I. Demande devant la Commission

1 Le demandeur, Guy Veillette, est un fonctionnaire fédéral. En janvier 2007, le conseil d’administration de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’ « Institut » ou le « défendeur ») lui a imposé une sanction disciplinaire le suspendant de ses fonctions syndicales pour une période de deux ans jusqu’au 15 janvier 2009. M. Veillette a déposé une plainte en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP). Le 7 mai 2009, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») a accueilli la plainte du demandeur au motif que le processus disciplinaire menant à la suspension et la suspension imposée au demandeur ne respectaient pas les principes de justice naturelle. La Commission a ordonné que le demandeur soit réintégré dans son statut de délégué syndical et dans les fonctions syndicales qu’il occupait au moment de sa suspension. La soussignée a indiqué qu’elle demeurait saisie de l’affaire pour une période de 45 jours afin de trancher toute question découlant de l’exécution de la décision (voir 2009 CRTFP 58). M. Veillette demande à la Commission de déposer à la Cour fédérale l’ordonnance 2009 CRTFP 58, afin de la rendre exécutoire.

2 Par ailleurs, pour plus de précisions, il y a lieu d’ajouter que le 27 janvier 2009, l’Institut a suspendu le demandeur rétroactivement au 15 janvier 2009 pour des raisons dites administratives, jusqu’à ce que les procédures concernant son dossier devant la Commission soient terminées. Cette deuxième suspension a donné lieu à une deuxième plainte qui a été tranchée en faveur du demandeur. Le Commissaire saisi de cette affaire n’a pas accordé la réintégration du demandeur mais a ordonné à l’Institut d’amender sa politique disciplinaire pour la rendre conforme à la loi (voir 2009 CRTFP 64). Cette décision fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire par l’Institut.

3 Depuis l’émission de l’ordonnance dont M. Veillette demande le dépôt, l’Institut n’a pas réintégré le demandeur et a demandé le contrôle judiciaire de cette décision et entre autres requêtes, une suspension des procédures devant la Commission. L’Institut n’a pas donné suite à l’ordonnance de réintégration de la Commission. Le demandeur a demandé d’être entendu par la Commission concernant l’exécution de l’ordonnance. Après avoir entendu les représentations des parties, la Commission a suspendu les procédures dans le dossier jusqu’à ce que la Cour d’appel fédérale se soit prononcée concernant les requêtes déposées par l’Institut. Le demandeur a demandé à nouveau l’exécution de l’ordonnance nonobstant les requêtes de l’Institut devant la Cour d’appel fédérale.

4 Le 29 juin 2009, la Commission a informé les parties à la présente affaire qu’elle ouvrait un dossier pour traiter de ce qu’elle jugeait être une demande d’exécution de la décision 2009 CRTFP 58 en vertu de l’article 52 de la LRTFP, article qui prévoit le dépôt d’une ordonnance de la Commission en Cour fédérale à des fins d’exécution.

5 La Commission a adressé une lettre aux parties et leur a demandé de soumettre leurs arguments écrits sur le bien-fondé de la demande de dépôt de la décision 2009 CRTFP 58 :

[…]

La présente lettre fait suite aux courriels de Maître Katty Duranleau et Monsieur Guy Veillette, reçus les 23 et 25 juin 2009, dans l’affaire 561-34-153.

La Commission m’a demandé d’informer les parties de ce qui suit :

« Le 22 juin 2009, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) a suspendu les procédures devant elle dans son dossier 561-34-153 en attendant la décision de la Cour d’appel fédérale concernant deux demandes déposées par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’Institut) (dossier la Cour d’appel fédérale A-229-09). Les demandes devant la Cour d’appel fédérale sont les suivantes : la première demande, déposée le 5 juin 2009, recherche le contrôle judiciaire de la décision Veillette c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 58, et le sursis d’exécution de cette décision; la deuxième demande, déposée le 18 juin 2009, vise le sursis de la reprise des procédures devant la Commission dans son dossier 561-34-153 (demande d’exercice de la compétence conservée par la Commission), jusqu’à ce que la Cour d’appel fédérale se soit prononcée sur la demande de contrôle judiciaire présentée par l’Institut.

Le 22 juin 2009, l’Institut a informé le plaignant, Guy Veillette, que la Cour d’appel fédérale n’avait pas accepté le dépôt de la demande de sursis de reprise des procédures devant la Commission, à cause d’un vice de procédure. L’Institut a aussi fait savoir qu’il s’apprêtait à faire parvenir à M. Veillette une nouvelle demande de sursis de reprise des procédures devant la Commission, conformément aux Règles des Cours fédérales, lorsqu’il a reçu le courriel du greffe de la Commission l’informant de la suspension des procédures dans le dossier de la Commission 561-34-153.

L’Institut s’est alors adressé à la Commission pour faire préciser ce qu’elle entendait par une « suspension des procédures ». La Commission a précisé que toutes les procédures devant elle, y compris une téléconférence prévue pour le 23 juin 2009, étaient suspendues en attendant la décision de la Cour d’appel fédérale. La Commission faisait alors référence à la reprise des procédures dans son dossier 561-34-153, puisque la demande de contrôle judiciaire de la décision 2009 CRTFP 58 est pendante devant la Cour d’appel fédérale et que cette demande contient une demande de sursis d’exécution de cette même décision.

L’Institut a répondu en demandant si la Commission était en mesure de procéder à une téléconférence, sinon l’Institut devrait déposer devant la Cour d’appel fédérale une nouvelle demande de sursis de reprise des procédures devant la Commission. La Commission a demandé à M. Veillette de lui fournir sa position sur cette demande de l’Institut.

M. Veillette a répondu comme suit :

Dans un premier temps, j’aimerais vous souligner que jusqu’à ce jour, je me soumets aux demandes et ordonnances de la CRFTP.

Dans un deuxième temps, j’allègue que le cabinet Trudel, Nadeau est en conflit d’intérêt dans cette cause et devrait se désister du dossier. 

Finalement, des ordonnances de la CRFTP dans la cause Veillette c. Institut professionnel de la fonction publique (2009 CRTFP 58) sont très claires. À savoir, et je cite les paragraphes :

« [55] La mesure disciplinaire est annulée.

[56]  M. Veillette est réintégré dans son statut de délégué syndical et les fonctions syndicales qu’il occupait au moment de sa suspension. »
Ces ordonnances furent émises par la Commission le 7 mai 2009.

C’est pourquoi, j’allègue qu’à défaut d’une ordonnance contraire d’un tribunal de juridiction supérieure, l’Institut et son dirigeant attitré doivent se soumettre aux ordonnances de la CRTFP et ce, à compter du 7 mai 2009.

Bien que M. Veillette n’invoque pas l’article 52 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) dans sa réponse, la Commission estime que cette réponse constitue une demande visant l’exécution de la décision 2009 CRTFP 58. Par conséquent, la Commission ouvre le dossier 521-34-2 pour traiter la demande visant l’exécution de la décision 2009 CRTFP 58 en vertu de l’article 52 de la LRTFP. »

[…]

La Commission demande aux parties de lui présenter leurs arguments écrits sur le bien-fondé de la demande d’exécution de la décision 2009 CRTFP 58, selon l’échéancier qui suit :

  1. l’Institut a jusqu’au 13 juillet 2009, pour déposer ses arguments écrits en réponse à la demande d’exécution présentée en vertu de l’article 52;
  2. M. Veillette aura ensuite jusqu’au 20 juillet 2009, pour déposer sa réplique.

Lorsque l’échange des arguments écrits sera terminé, l’affaire sera soumise à la Commissaire qui rendra une décision.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[…]

6 La Commission a reçu la réplique de l’Institut le 13 juillet 2009 et a reçu celle du demandeur le 19 juillet 2009.

7 Le 3 septembre 2009, la Cour d’appel fédérale a rendu une décision concernant la requête de l’Institut visant le sursis des procédures devant la Commission (2009 CAF 256). La demande de sursis de la décision 2009 CRTFP 58 a été rejetée. Voici l’extrait pertinent de cette décision :

[…]

[15] Ainsi, l’Institut plaide, sans plus de détails, que l’éviction des titulaires des postes qu’occupait monsieur Veillette constitue un préjudice irréparable. Étonnamment, cet argument ne correspond pas aux déclarations du secrétaire exécutif de l’Institut qui a signé l’affidavit au soutien de la requête sous étude. En effet, selon ce dernier, la réintégration de monsieur Veillette irait à l’encontre des statuts et règlements de l’Institut puisqu’il y aurait alors deux titulaires aux postes qu’il occupait : la personne élue ou nommée à chacun des postes et monsieur Veillette.

[16] Quel que soit l’angle sous lequel le préjudice irréparable est envisagé (l’éviction des titulaires en poste ou le non respect des statuts de l’Institut), je suis d’avis que l’Institut n’a pas fait la preuve d’un préjudice irréparable.

[17] Le préjudice allégué de manière très générale n’est rien de plus que la conséquence usuelle d’une ordonnance de réintégration.

[18] Par ailleurs, le demandeur invite aussi la Cour à prendre en compte, à cette étape, l’intérêt public des membres généraux de l’Institut.

[19] Il me semble plus approprié d’en tenir compte à la troisième étape de l’analyse. Ceci dit, à tout événement, l’exercice de démocratie syndicale qui avait mené au choix du défendeur est tout aussi important que l’exercice subséquent qui a mené au choix de ses remplaçants. Dans le présent contexte, il n’y a pas lieu d’en préférer l’un par rapport à l’autre en lui accordant une importance accrue. Selon l’affidavit précité, les postes qu’occupait le défendeur en 2007, et auxquels d’autres titulaires ont accédés, constituent des mandats de deux ou trois ans. Les membres à la base seront donc appelés à nouveau à exercer leur droit.

[20] Puisque j’en viens à la conclusion que l’Institut n’a pas fait la preuve d’un préjudice irréparable, il n’y a pas lieu de discuter du troisième volet, soit la balance des inconvénients.

[21] La demande sursis sera rejetée sans frais.

[…]

II. Les arguments du défendeur

8 Au soutien de sa demande de rejeter la demande de dépôt de l’ordonnance rendue dans la décision 2009 CRTFP 58 à la Cour d’appel fédérale, l’Institut fait valoir que la réintégration du demandeur est impossible parce que les fonctions qu’il exerçait au moment de la suspension sont actuellement occupées par des personnes ayant été élues ou désignées conformément aux statuts régissant de telles fonctions et qu’il ne peut agir sans déposséder les membres qui occupent actuellement les fonctions du demandeur.

9 L’Institut soumet que la Commission devrait appliquer le critère de la prépondérance des inconvénients jusqu’à ce que la Cour d’appel fédérale ait statué sur le mérite de la demande de contrôle judiciaire déposée le 5 juin 2009. Ainsi, l’Institut soumet que la question est sérieuse selon les critères énoncés dans RJR — Macdonald Inc. c. Canada (Procureur Général), [1994] 1 R.C.S. 322, que le préjudice est irréparable vue l’obligation de démettre d’autres délégués syndicaux de leurs fonctions pour donner suite à l’ordonnance de la Commission et que la prépondérance des inconvénients doit jouer en sa faveur, compte tenu du besoin de maintenir l’intégrité de la démocratie syndicale.

10 Le défendeur argue que la Commission dispose d’une grande discrétion pour refuser d’effectuer le dépôt de l’ordonnance si elle juge que le dépôt de l’ordonnance ne serait d’aucune utilité. Le défendeur soumet que dans le présent dossier l’Institut ne peut agir sans affecter les droits de membres élus et qu’aucune fin utile ne serait servie en réintégrant le demandeur dans ses fonctions syndicales.

III. Les arguments du demandeur

11 Le demandeur fait valoir que, jusqu’à présent, le défendeur ne s’est pas soumis aux ordonnances de la Commission et rien ne porte à croire qu’il le fera sans le dépôt de l’ordonnance de la décision 2009 CRTFP 58. Au soutien de cet argument, le demandeur cite une note de service en date du 2 juin 2009 dans laquelle le conseiller général aux affaires juridiques avise le conseil d’administration que l’Institut n’entend pas mettre en application l’ordonnance de la Commission étant donné qu’il cherche à obtenir un sursis de l’ordonnance. Voici le texte de la note de service en question :

NOTE DE SERVICE

À :        Conseil d’administration

DE :      Geoffrey Grenville-Wood         DATE : Le 2 juin 2009
            Conseiller général aux affaires juridiques

POUR INFORMATION

SUJET : Veillette c. IPFPC — 2009 CRTFP 58
Demande de contrôle judiciaire et demande de sursis

INTRODUCTION

Je circule cette note comme suivi à ma présentation au conseil le vendredi 29 mai 2009.

HISTORIQUE

Le 7 mai 2009, la CRTFP a maintenu la plainte de M. Veillette selon laquelle la suspension disciplinaire de 2 ans qui lui a été imposée était en violation de l’article 188c) de la LRTFP.

L’ordonnance exige que L’Institut prenne les mesures nécessaires afin de rétablir M. Veillette dans toutes les fonctions qu’il exerçait au moment de la suspension. Une série de questions ont été soulevées en relation à cette ordonnance et sa mise en œuvre.

PROCHAINES ÉTAPES

L’Institut déposera une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Elle sera déposée au plus tard le 8 juin 2009 et sera accompagnée d’une demande de sursis de l’ordonnance. Ainsi, et puisque nous cherchons à obtenir un sursis de l’ordonnance, nous ne prendrons aucune démarche afin de mettre en application l’ordonnance de la CRTFP.

Toute question ou demande d’informations [sic] devrait être portée à l’attention du bureau du conseiller général aux affaires juridiques.

12 Le demandeur soutient qu’en refusant de se conformer à l’ordonnance l’Institut contrevient à nouveau au paragraphe 188e) de la LRTFP. Le demandeur me souligne que la Commission dispose de larges pouvoirs, dont celui d’émettre toute ordonnance qu’elle estime indiquée dans les circonstances, et de rendre exécutoire l’ordonnance rendue dans la décision 2009 CRTFP 58, sans tenir compte d’une demande de contrôle judiciaire.

13 Le demandeur soutient que la question est sérieuse parce que l’Institut continue à faire fi des principes de justice naturelle et, en acceptant de suspendre l’effet de l’ordonnance qu’elle a rendue, la Commission contribuerait à prolonger le préjudice qu’il a subi en raison de la suspension de ses fonctions syndicales. 

14 Le demandeur fait valoir qu’il a été élu démocratiquement, qu’aucune faute ne lui a été reprochée et qu’hormis la suspension illégale de ses fonctions par le conseil d’administration de l’Institut, il serait probablement encore en fonction puisqu’il n’a jamais perdu d’élection syndicale depuis son entrée en poste.

15 Le demandeur fait valoir que la prépondérance des inconvénients doit le favoriser puisqu’il est un délégué syndicat d’expérience, que le renouvellement du mandat de délégué est presque routinier, que l’Institut n’impose aucune limite au nombre de délégués syndicaux et que l’Institut est toujours à la recherche de délégués.

IV. Motifs

16 Avec l’entrée en vigueur de la nouvelle LRTFP le 1er avril 2005, est aussi entrée en vigueur une nouvelle disposition, l’article 52, qui permet à certaines conditions le dépôt à la Cour fédérale d’une ordonnance de la Commission en vue de son exécution :

52. (1) Sur demande écrite de la personne ou de l’organisation touchée, la Commission dépose à la Cour fédérale une copie certifiée conforme du dispositif de l’ordonnance sauf si, à son avis :

a) soit rien ne laisse croire qu’elle n’a pas été exécutée ou ne le sera pas;

b) soit, pour d’autres motifs valables, le dépôt ne serait d’aucune utilité.

(2) En vue de son exécution, l’ordonnance rendue par la Commission, dès le dépôt à la Cour fédérale de la copie certifiée conforme, est assimilée à une ordonnance rendue par celle-ci.

17 Parallèlement à l’article 52, l’article 234 de la LRTFP prévoit des dispositions distinctes concernant la démarche d’exécution d’une décision d’un arbitre de grief :

234. Toute partie à l’affaire qui a donné lieu à l’ordonnance peut, après la date d’exécution qui y est fixée ou, à défaut d’une telle date, après un délai de trente jours suivant la date de l’ordonnance, déposer à la Cour fédérale une copie certifiée conforme du dispositif de l’ordonnance. En vue de son exécution, celle-ci, dès le dépôt de la copie certifiée conforme, est assimilée à une ordonnance rendue par la Cour fédérale.

18 Il y a lieu de constater que les dispositions concernant le dépôt d’une décision rendue par un arbitre de grief sont différentes de celles concernant le dépôt d’une décision de la Commission. Dans le cas d’une décision d’un arbitre de grief, toute partie peut déposer à la Cour fédérale une copie certifiée conforme du dispositif de l’ordonnance qui, dès son dépôt, est assimilée à une ordonnance rendue par la Cour fédérale.

19 Par contre, les décisions de la Commission ne font pas l’objet du même automatisme. La décision est laissée à la discrétion de la Commission en fonction des deux critères énoncés dans l’article 52. Il y a lieu de souligner que ces critères ne sont pas de droit nouveau. Des critères identiques régissent le dépôt d’une ordonnance rendue par le Conseil canadien des relations industrielles (le « Conseil »). En effet, le paragraphe 23(1) du Code canadien du travail (le « Code ») énonce des conditions identiques à celle de l’article 52 :

23.(1) Sur demande écrite de la personne ou de l’organisation intéressée, le Conseil dépose à la Cour fédérale une copie du dispositif de la décision ou de l’ordonnance sauf si, à son avis :

a) ou bien rien ne laisse croire qu’elle n’a pas été exécutée ou ne le sera pas;

b) ou bien, pour d’autres motifs valables, le dépôt ne serait d’aucune utilité.

20 Tout comme la LRTFP, le Code prévoit à l’article 66 l’effet automatique du dépôt par la personne touchée du dispositif de l’ordonnance ou de la décision d’un arbitre de grief nommé en vertu d’une convention collective, de sorte que le dépôt ne requiert aucune intervention du décideur :

66.(1) La personne ou l’organisation touchée par l’ordonnance ou la décision de l’arbitre ou du conseil d’arbitrage peut, après un délai de quatorze jours suivant la date de l’ordonnance ou de la décision ou après la date d’exécution qui y est fixée, si celle-ci est postérieure, déposer à la Cour fédérale une copie du dispositif de l’ordonnance ou de la décision.

     (2) L’ordonnance ou la décision d’un arbitre ou d’un conseil d’arbitrage déposée aux termes du paragraphe (1) est enregistrée à la Cour fédérale; l’enregistrement lui confère la valeur des autres jugements de ce tribunal et ouvre droit aux mêmes procédures ultérieures que ceux-ci.

21 Après l’entrée en vigueur de l’article 123 (devenu l’article 23 du Code), le Conseil canadien des relations de travail (tel qu’il l’était à l’époque) a émis une première décision dans Syndicat international des marins canadiens c. Seaspan International Ltd., (1979) 33 di 544 (C.C.R.T.) (ci-après « Seaspan »), où il fait une analyse des nouvelles dispositions tant pour leur contexte historique que pour leur signification par rapport aux pouvoirs élargis du Conseil.

22 Dans Seaspan, le syndicat tentait d’obtenir une suspension d’une ordonnance du Conseil jusqu’à ce que cette dernière ait été contrôlée par la Cour d’appel fédérale. Le syndicat ne soutenait pas qu’il y avait eu défaut de se conformer à l’ordonnance mais plutôt cherchait à ne pas s’y conformer en attendant une décision de la Cour. Le Conseil a fait état de l’historique des modifications au Code et comment ces modifications devaient se refléter dans l’approche du Conseil par rapport à ses décisions et ses ordonnances. L’expérience du Conseil après l’entrée en vigueur des modifications au Code mérite une attention particulière.

23 Le Conseil explique dans Seaspan que la décision de modifier le Code a été le résultat d’une série de jugements de la Cour fédérale portant sur des tentatives pour déposer des décisions et des ordonnances rendues par le Conseil et les tribunaux d’arbitrage après l’adoption du Code de 1973. En bref, la Cour fédérale avait décidé que deux conditions devaient être présentes avant qu’elle accorde une ordonnance d’exécution : un demandeur devait prouver le défaut de l’autre partie de se conformer à une ordonnance; et, l’ordonnance du Conseil devait être formulée en termes précis, inconditionnels et non ambigus. La Cour avait également reconnu que malgré sa compétence pour surseoir à l’exécution d’une décision du Conseil, le défaut de se conformer à une ordonnance du Conseil était une question qui pouvait être dûment tranchée au cours des procédures portant sur l’exécution d’une ordonnance plutôt qu’un recours devant la Cour.

24 La réponse du législateur aux décisions de la Cour fédérale a été de confier au Conseil la responsabilité d’élaborer une procédure à l’égard du dépôt et de l’enregistrement de ses ordonnances et une procédure a été mise en vigueur à cet effet. Le Conseil a pris la position que le pouvoir de faire exécuter ses décisions et ses ordonnances s’inscrivait dans le rôle plus étendu et moins répressif que lui conférait le législateur, à l’égard des questions suivantes : résolution de conflits de travail, pouvoirs de redressement, restrictions quant au contrôle judiciaire de ses décisions ainsi que l’attribution de nouveaux pouvoirs de surveillance sur, par exemple, le devoir de représentation équitable. Le Conseil a aussi vu dans ses nouveaux pouvoirs une occasion d’employer tous les moyens à sa disposition pour adopter une approche d’accommodement pour résoudre divers conflits de travail et pour donner une signification plus profonde à la portée de ses décisions, compte tenu des objectifs exprimés dans le préambule du Code.

25 Fort de ces principes et toujours dans Seaspan, le Conseil s’est prononcé sur le sens des nouvelles dispositions de l’article 123 du Code. Quant à la question soulevée par l’alinéa a), soit : « rien ne laisse croire [que l’ordonnance] n’a pas été exécutée ou ne le sera pas », le Conseil a décidé que trois occasions d’intervenir pouvaient se présenter: pour déterminer la volonté d’une partie de se conformer à l’ordonnance, puisque le Conseil est le plus apte à interpréter la signification de son ordonnance; pour chercher à régler le différend par un accommodement avant d’avoir recours à des procédures judiciaires; et pour envisager la possibilité de modifier une ordonnance ou une décision afin de tenir compte d’une observation partielle de l’ordonnance ou de tout événement subséquent.

26 En ce qui a trait à la question soulevée par l’alinéa b), soit : «pour d’autres motifs valables, le dépôt ne serait d’aucune utilité », le Conseil y a vu l’occasion d’exercer son pouvoir discrétionnaire au sens des objectifs du Code tout en reconnaissant que :

[…]

[…] le Conseil doit servir d’instrument souple dans le monde changeant des relations industrielles, où des procédures engagées après qu’une décision a été rendue peuvent devenir inutiles ou incompatibles avec l’évolution des circonstances entourant une affaire donnée. Le Conseil doit se montrer sensible à la position que les parties adoptent sur les plans social, économique et politique dans leur milieu des relations du travail et doit chercher avant tout à favoriser un accommodement constructif. La dernière ou une autre once de punition pour obtenir l’obéissance rigoureuse d’une ordonnance du Conseil peut dans certains circonstances exceptionnelles ne pas favoriser de futures bonnes relations, spécialement si d’autres remèdes ou interventions du Conseil peuvent obtenir les mêmes résultats d’une autre façon.

[…]

27 Malgré la très large discrétion accordée par le Code, au fil des ans le Conseil a fait preuve de grande circonspection dans l’exercice de sa discrétion par rapport au dépôt de ses ordonnances en vue de leur exécution. Je note que d’après Association internationale des débardeurs, section locale 1846 c. Association des employeurs maritimes (1987), 72 di 26 (C.C.R.T.) (ci-après « Association des employeurs maritimes » et voir ci-dessous), le Conseil accorde à peu près le tiers des demandes de dépôt d’une ordonnance à la Cour fédérale.

28 Dans Seaspan, le Conseil a rejeté la demande de dépôt de l’ordonnance du Conseil au motif que le dépôt de ladite ordonnance comme moyen de surseoir à l’ordonnance n’était d’aucune utilité dans le contexte du Code car il ne servirait qu’à aggraver une situation déjà propice à l’éclatement d’un conflit et mettrait en doute la volonté de l’employeur de se conformer à la décision du Conseil.

29 Dans Guilde de la marine marchande du Canada Inc. c. Dome Petroleum Limited, (1980), 41 di 169 (C.C.R.T.), suite à l’émission d’une ordonnance donnant au syndicat accès aux locaux de l’employeur, ce dernier a refusé de s’y conformer au motif qu’il entendait faire une demande de contrôle judiciaire, et que le dépôt ne servirait à aucune fin utile puisque la Cour d’appel fédérale allait sans doute ordonner un sursis de l’ordonnance. Le Conseil a accueilli la demande du syndicat afin de lui permettre d’entamer des procédures d’exécution de son ordonnance, vu que l’avancement de la saison mettait en péril son ordonnance et que l’octroi d’un sursis n’était pas chose faite.

30 Voici quelques autres exemples. Dans Compagnie des Chemins de fer nationaux du Canada c. Travailleurs unis des transports, section locale 1179 (1983), 52 di 166 (C.C.R.T.), l’employeur demandait concurremment au Conseil d’émettre une ordonnance de ne pas faire à l’égard d’une grève illégale et une ordonnance de dépôt à la Cour fédérale. Le Conseil a décidé qu’une ordonnance de dépôt n’était pas justifiée car les parties avaient à leur disposition d’autres moyens pour résoudre le problème dans un bon climat de relations de travail, dont une lettre d’entente visant à instaurer paisiblement le nouveau système d’appel au travail qui était le sujet du différend.

31 Dans Association des employeurs maritimes, le Conseil a refusé d’ordonner le dépôt d’une ordonnance parce qu’il a jugé que l’exécution ne serait d’aucune utilité. Dans cette affaire, l’association des employeurs refusait obstinément de nommer un représentant tel que prévu par le Code et aucun redressement n’était expressément prévu pour cette situation. Comme il était clair que le dépôt de l’ordonnance ne changerait rien à cette obstination, le Conseil a choisi de nommer le représentant patronal en se fondant sur la pluralité des employeurs ayant opté pour se faire représenter par une association patronale au sein de l’accréditation d’un employeur unique.

32 Dans Verreault c. Iberia (1988), 72 di 671 (C.C.R.T.), le dépôt d’une ordonnance n’a pas été accordé parce que le Conseil a été d’avis que le dépôt ne serait d’aucune utilité. Dans cette affaire, tel qu’ordonné, l’employeur avait distribué une copie de la décision du Conseil à ses employés, mais l’avait caviardée et y avait ajouté une interprétation qui justifiait son désaccord avec la décision. En se fondant sur la réserve de compétence notée dans sa décision, au lieu d’ordonner le dépôt, le Conseil a ordonné un autre type redressement, plus immédiat et plus pertinent que le dépôt devant la Cour fédérale pour exécution, soit la distribution de l’ordonnance originale à tous les employés, accompagnée d’une lettre d’explication dictée par le Conseil, sans les commentaires de l’employeur.

33 Dans NAV Canada c. Association canadienne du contrôle du trafic aérien (1999), 250 N.R. 321 (C.A.F.), l’employeur a demandé à la Cour d’appel fédérale d’annuler une ordonnance du Conseil au motif d’une violation des règles de justice naturelle et du Code. La décision visant le dépôt de ladite ordonnance avait été rendue sans que le défendeur ait eu la possibilité de présenter ses observations au Conseil quant au non-respect ou à la possibilité de non-respect de l’ordonnance. Lorsque le demandeur a demandé au Conseil d’annuler son ordonnance de dépôt, le Conseil a sollicité les observations des parties. Sans trancher la demande de contrôle judiciaire, la Cour a confirmé que les parties doivent d’abord s’adresser au Conseil pour qu’il formule son opinion sur une demande de dépôt avant de s’adresser à elle.

34 Une récente décision,British Columbia Maritime Employers Association c.  International Longshore and Warehouse Union, section locale 500, [2008] CCRI no 423, concernait une ordonnance de déclaration de grève illégale. L’employeur a demandé que le Conseil dépose une copie de son ordonnance auprès de la Cour suprême de la Colombie-Britannique (voir l’article 23.1 du Code). Sur la base des principes exprimés dans Seaspan, le Conseil a rejeté la demande. Compte tenu des positions diamétralement opposées des parties, le Conseil était d’avis que le dépôt de son ordonnance serait un redressement punitif. Il voyait son rôle comme étant de remédier aux effets des conflits de travail et non de placer les employés dans une situation où ils pourraient encourir des amendes ou des peines d’emprisonnement. Le Conseil a plutôt invité les parties à trouver une solution négociée.

35 Je suis d’avis que la jurisprudence du Conseil doit inspirer la prise de décision par rapport la présente instance mais qu’il faut aussi tenir compte des dispositions de la LRTFP et de la particularité d’une plainte faite selon l’article 190 de la LRTFP qui a suscité l’ordonnance qui fait l’objet de cette décision.

36 Dans un premier temps, venant du même législateur, il ne peut y avoir de doute que les dispositions de la LRTFP ont été inspirées par les dispositions du Code et que les décisions de la Cour fédérale qui ont précédé les modifications du Code ont le même sens pour les modifications qui ont été apportées à la LRTFP

37 Le pouvoir de la Commission de faire exécuter ses décisions et ses ordonnances fait partie du rôle plus étendu qui a été confié à la Commission lors de la modification de sa Loi et la Commission se doit d’employer les moyens à sa disposition, pour donner plus d’effet à ses décisions.

38 En vertu de l’alinéa 52(1)a), la Commission détermine si elle croit que son ordonnance sera exécutée ou ne le sera pas, et en vertu de l’alinéa 52(1)b) s’il y a d’autres motifs valables pour lesquels le dépôt ne serait d’aucune utilité.

39 Dans sa contestation de la demande de dépôt de l’ordonnance, l’Institut a soulevé les mêmes arguments que devant la Cour d’appel fédérale, soit qu’il ne peut agir sans déposséder les membres élus des fonctions syndicales qu’occupait le demandeur. Je suis du même avis que la Cour d’appel fédérale que l’éviction des titulaires qui occupent maintenant les postes du défendeur ne constitue pas un préjudice irréparable et n’est rien de plus que la conséquence d’une ordonnance de réintégration. En effet, le droit du demandeur de se faire réintégrer dans ses fonctions syndicales est tout aussi sérieux que l’exercice des droits syndicaux qui a mené au remplacement du demandeur. 

40 Dans cette conjoncture, le refus du défendeur de réintégrer le demandeur, tel qu’en fait foi la note de service du défendeur à son conseil d’administration le 2 juin 2009, satisfait aux circonstances de l’alinéa 52(1)a) que rien ne laisse croire que l’ordonnance rendue dans la décision 2009 CRTFP 58 sera exécutée. Par rapport à l’alinéa 52(1)b), le défendeur n’a présenté aucun motif valable pour soutenir que le dépôt ne serait d’aucune utilité. En rendant sa décision de ne pas surseoir à la décision de la Commission dans la décision 2009 CRTFP 58, la Cour d’appel fédérale a implicitement reconnu qu’une ordonnance de la Commission est exécutoire, ce qui est une question différente de celle à savoir si le défendeur a respecté l’ordonnance.

41 Le législateur a donné à la Commission le pouvoir d’émettre des ordonnances, mais a réservé à la Cour fédérale le pouvoir d’exécution des ordonnances. En effet, le paragraphe 52(1) prévoit expressément ce qui suit :

52. (2) En vue de son exécution, l’ordonnance rendue par la Commission, dès le dépôt à la Cour fédérale de la copie certifiée conforme, est assimilée à une ordonnance rendue par celle-ci.

42 Les parties ont eu la possibilité de présenter leurs observations écrites quant au non-respect de l’ordonnance; par conséquent, de réentendre les parties à nouveau sur la question de l’exécution de l’ordonnance rendue dans 2009 CRTFP 58 n’est pas une procédure utile. L’intransigeance des parties concernant leurs droits respectifs ne laisse prévoir aucune solution négociée. Contrairement aux décisions rapportées plus avant où il y a refus d’accorder le dépôt d’une ordonnance parce que le différend pouvait se régler autrement, j’estime que dans la présente affaire, il n’existe aucun autre redressement plus immédiat ou plus pertinent que le dépôt devant la Cour fédérale.

43 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

44 La Commission déclare que l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada n’a pas respecté l’ordonnance énoncée aux paragraphes [54] à [58] de la décision Veillette c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada 2009 CRTFP 58;

45 La Commission déposera son ordonnance dans Veillette c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada 2009 CRTFP 58 à la Cour fédérale.

Le 11 décembre 2009.

Michele A. Pineau,
Vice-présidente

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