Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le demandeur a présenté une demande de prorogation du délai pour transmettre au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs un grief contestant une suspension de trois jours, de même qu’une prorogation du délai de présentation de deux griefs contestant une suspension d’un jour et une suspension de deux jours - le demandeur alléguait que son état de santé l’avait empêché d’agir dans les délais prévus - la vice-présidente a décidé que l’état de santé du demandeur constituait à tout le moins une preuve suffisante à première vue de son incapacité à déposer les deux griefs dans le délai prévu et a admis que la situation qui existait au moment des faits expliquait de façon claire, logique et convaincante pourquoi le demandeur n’avait pas déposé les deux griefs dans les délais prévus - le demandeur avait agi avec suffisamment de diligence pour faire valoir ses droits et il n’y avait par ailleurs aucun élément de surprise pour l’employeur concernant le désir du demandeur de contester ses suspensions - le retard de quatre mois pour demander la prorogation du délai pour la présentation de deux griefs n’était pas excessif et le retard de neufs jours pour demander la prorogation du délai pour transmettre le troisième grief était négligeable - étant donné que le demandeur pourrait perdre son emploi, le souci d’équité doit l’emporter sur tout préjudice causé à l’employeur. Demande accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-11-24
  • Dossier:  568-02-167, 168 et 183
  • Référence:  2009 CRTFP 157

Devant le président de la Commission
des relations de travail dans la
fonction publique


ENTRE

TERRY RICHE

demandeur

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Ministère de la Défense nationale)

défendeur

Répertorié
Riche c. Conseil du Trésor

Affaire concernant des demandes de prorogation des délais visées à l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, vice-présidente

Pour le demandeur :
Alan Phillips, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour le défendeur:
Richard Fader, avocat

Affaire entendue à Halifax (Nouvelle-Écosse),
les 28 et 29 janvier 2009.
(Traduction de la CRTFP.)

I. Demandes soumises au président

1 Conformément à l’article 45 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, le président m’a autorisée, en ma qualité de vice-présidente, à exercer tous ses pouvoirs ou à m’acquitter de toutes ses fonctions en application de l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement ») pour entendre et trancher toute question relative à ces demandes de prorogation des délais.

II. Nature de l’affaire

2 Cette décision concerne une demande fondée sur l’alinéa 61b) du Règlement visant à obtenir une prorogation du délai de présentation du grief LAB-07-01-A-CPSC-03554-0382, contestant une suspension de trois jours, au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs (dossier de la CRTFP 568-02-183). La réponse du ministère de la Défense nationale (l’« employeur ») au premier palier a été reçue le 3 mars 2008; le représentant syndical a lui-même reçue le 6 mars 2008. Bien que le document de présentation du grief au deuxième palier ait été télécopié le 17 mars 2008, le demandeur, Terry Riche, ne l’a présenté à ses superviseurs que le 1er avril 2008, neuf jours après la date prescrite à cette fin par la convention collective.

3 La décision concerne également une autre demande elle aussi fondée sur l’alinéa 61b) du Règlement et visant de même à obtenir une prorogation du délai de présentation de deux griefs (dossiers de la CRTFP 568-02-167 et 168), contestant respectivement une suspension d’un jour datée du 5 mars 2007 et une suspension de deux jours datée du 4 avril 2007. La Commission a reçu cette demande le 15 août 2007.

4 Les griefs en question concernent des mesures disciplinaires progressives imposées au demandeur. Il est allégué que les griefs n’ont pas été déposés ou transmis dans les délais prescrits par la convention collective en raison de l’état de santé du demandeur décrit plus loin dans la présente décision qui l’empêchait de bien comprendre qu’il était tenu de présenter ces griefs dans le délai prescrit par la convention collective. Le demandeur a témoigné que les écrits qu’il devait produire en parallèle à l’égard des trois griefs qui font l’objet de la présente décision et d’autres griefs en instance ont semé la confusion dans son esprit. Le 1er avril 2008, il a déposé un grief « omnibus » contestant toutes les mesures disciplinaires antérieures et continues concernant son assiduité.

5 L’employeur part du principe qu’il a organisé une réunion disciplinaire pour chaque mesure disciplinaire ayant fait l’objet d’un grief, que le demandeur était représenté à chaque occasion par son représentant syndical local ou régional, et que son droit de présenter un grief était clairement précisé dans chaque lettre disciplinaire. Le représentant syndical a reçu copie de chacune de ces lettres. L’employeur s’oppose par conséquent aux trois demandes de prorogation des délais.

6 La question à trancher consiste à savoir si je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire de proroger les délais de présentation de chacun des trois griefs.

III. Résumé de la preuve

A. Pour le demandeur

7 Le demandeur est fonctionnaire fédéral depuis 2000; il est au service de l’employeur depuis le 6 mars 2006, à titre d’ingénieur de projet à la Section d’architecture navale de l’Établissement de maintenance de la Flotte Cape Scott.

8 Pour accepter cet emploi, le demandeur a laissé sa famille et ses amis à Ottawa. Les difficultés causées par cette séparation de ses liens sociaux l’ont rendu anxieux et à la longue cliniquement dépressif. Il a consulté; on lui a  prescrit des médicaments. Un changement de superviseurs a coïncidé avec le début de ses problèmes d’assiduité. À partir du 28 août 2006, on lui a reproché plusieurs fois son recours aux congés de maladie, ses retards répétés et ses absences. Il a été averti qu’il s’exposait à des mesures disciplinaires s’il persistait. Le 8 septembre 2006, une lettre de réprimande a été versée à son dossier. Son assiduité erratique a fait l’objet d’enquêtes sur ce qu’on alléguait être une « inconduite ». Le 21 février 2007, il a écopé d’une deuxième lettre de réprimande pour ne pas avoir déclaré en temps voulu son absence à deux reprises, pour deux jours différents. Cette lettre stipule que les absences elles-mêmes ne constituaient pas de l’inconduite, parce qu’elles ont été justifiées par un certificat médical.

9 Le 5 mars 2007, le demandeur s’est fait imposer une suspension d’un jour pour ne pas s’être présenté au travail à trois reprises. Le 4 avril 2007, il a écopé d’une suspension de deux jours pour ne pas s’être présenté au travail le 23 mars 2007. Le 5 juin 2007, il a reçu un avertissement concernant ses absences fréquentes. Le 28 juin 2007, il a écopé d’une suspension de cinq jours pour s’être absenté le 13 juin 2007.

10 Le 29 juin 2007, le demandeur a envoyé un courriel à son superviseur, le lieutenant Robyn Locke, pour l’informer de son intention de présenter un grief :

[Traduction]

[…]

Je tiens à contester la décision de me suspendre et le processus d’envoi de la lettre d’enquête. L’application de ces règles me cause trop de stress tant financier qu’à mon lieu de travail et porte par conséquent atteinte à mes droits personnels. Le résultat est que j’estime que l’application de cette forme de sanction sévère est au moins en partie sinon entièrement responsable du taux élevé d’absentéisme. Ma conclusion est étayée par les nombreux documents des RH que j’ai étudiés. Il est bien établi et c’est un fait reconnu que le stress en milieu de travail cause de l’absentéisme.

[…]

11 Le demandeur a continué à recevoir des avertissements lui reprochant ce qu’on alléguait être de l’inconduite due à son absentéisme. Le 11 décembre 2007, on lui a imposé une suspension de trois jours pour inconduite à cause de ses absences injustifiées les 15 et 16 novembre 2007. Il a continué à recevoir des avertissements pour des allégations d’inconduite en raison de ses absences répétées durant toute l’année 2008. Il a expliqué que, durant cette période, ses problèmes d’anxiété, de dépression et ses autres problèmes de santé faisaient en sorte qu’il avait de la difficulté à se tirer du lit le matin pour se rendre au travail. De plus, ses médicaments avaient des effets secondaires. Il a consulté le Programme d’aide aux employés (PAE) à deux ou trois occasions, mais cela n’avait pas donné grand-chose, puisqu’on l’a renvoyé à son médecin et à un collègue de travail formé en counseling.

12 L’employeur s’est adressé pour la première fois au médecin du demandeur le 15 décembre 2006 pour s’informer de son aptitude à travailler. Dre Alison Wiebe a répondu que le demandeur souffrait de problèmes de santé et qu’il devait rester en congé jusqu’à la fin de janvier 2007. Le 3 avril 2007, l’employeur a demandé à l’Agence d’hygiène et de sécurité au travail (AHST) d’effectuer une évaluation spéciale de l’aptitude du demandeur à travailler pour déterminer si des mesures d’adaptation s’imposaient. Le demandeur ne s’est pas présenté au rendez-vous. Il s’agissait selon lui d’une étape de plus de la procédure disciplinaire et il ne voulait pas compromettre son emploi. Le 22 juin 2007, après avoir obtenu le consentement du demandeur, l’employeur a récrit à l’AHST afin de prendre un nouveau rendez-vous pour lui. En juillet 2007, le demandeur s’est prêté à une étude du sommeil qui s’est conclue par un diagnostic de grave apnée du sommeil. Le demandeur a suivi le traitement recommandé, mais il n’a obtenu qu’un soulagement partiel de ses symptômes. Il a informé l’employeur du problème.

13 Le 9 août 2007, l’AHST a produit une évaluation préliminaire concluant que les problèmes médicaux du demandeur auraient pu être la cause du comportement que l’employeur avait constaté, en précisant toutefois qu’il lui fallait d’autres renseignements médicaux. Néanmoins, l’AHST a souligné que le demandeur semblait comprendre les conséquences de ses absences ou de ses arrivées tardives au travail, alors que ce n’était peut-être pas le cas dans le passé. Le 2 octobre 2007, après avoir obtenu des renseignements du médecin traitant du demandeur, l’AHST a confirmé ses premières observations, en ajoutant que les problèmes médicaux du demandeur lui avaient causé beaucoup de stress et que tout ce qui pourrait contribuer à éliminer ce stress lui serait bénéfique. Elle a confirmé que le demandeur était apte à occuper son poste d’attache sans restrictions.

14 Le 1er février 2008, l’AHST a remis à l’employeur une autre opinion sur le demandeur après avoir reçu un rapport d’un spécialiste. Bien que l’agent médical jugeait que le demandeur était apte à travailler sans limitations, elle a déclaré qu’il avait eu l’année précédente des problèmes de santé causés par du stress. C’était un cercle vicieux : le stress causait des problèmes médicaux qui entraînaient des problèmes au travail, problèmes qui aggravaient le stress; le demandeur comprenait les conséquences de ses problèmes de santé pour son travail. L’agent médical était d’avis que le demandeur serait en mesure d’améliorer son assiduité une fois que ses problèmes de santé seraient sous contrôle. Elle a recommandé que son rendement professionnel soit géré en ayant recours aux outils administratifs habituels plutôt qu’à d’autres évaluations médicales.

15 En réponse à la demande que l’employeur en date du 11 août 2007 afin d’obtenir une autre évaluation de l’aptitude du demandeur à travailler, le Dr Wiebe a répondu le 8 octobre 2008 qu’il souffrait depuis plusieurs années de problèmes de santé constants qui auraient pu l’empêcher de se présenter au travail et qui auraient pu affecter son jugement. En raison de la nature de ses symptômes dans le passé, son pronostic à long terme restait impossible à prédire.

16 Entre-temps, la situation financière du demandeur s’était nettement détériorée. Son revenu net diminuait sans cesse, parce qu’il avait épuisé ses congés de maladie même si l’employeur lui avait avancé une année entière de crédits de congé de maladie en décembre 2006. Par conséquent, chaque jour de congé de maladie qu’il prenait était déduit de son chèque de paie, et l’employeur non seulement recouvrait son avance de crédits de congé de maladie, mais aussi déduisait de sa paie les jours de suspension. En 2007, le demandeur touchait donc à peine la moitié de son chèque de paie. À la longue, il a dû se résoudre à habiter une pension délabrée qui n’avait pas le téléphone. Pour appeler au bureau le matin quand il était en retard ou qu’il ne pouvait pas se présenter, il aurait fallu qu’il se rende à pied jusqu’à un téléphone public, situé à une certaine distance de là, ce qui lui était très difficile. Il prenait l’autobus pour aller travailler, mais comme il y avait souvent des retards sur le trajet de l’autobus, il arrivait en retard au bureau.

17 Le 1er avril 2008, le demandeur a présenté un grief omnibus contestant la séquence des mesures disciplinaires et tout le processus administratif d’imposition de sanctions, en déclarant que les mesures et le processus étaient injustifiés à cause des effets de sa maladie et des facteurs de stress dans sa vie.

18 Gordon Grant est délégué syndical à l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC). Le 25 août 2006, il a rencontré le demandeur à l’occasion d’une réunion organisée par l’employeur au sujet des conditions que celui-ci imposait pour contrôler son absentéisme. Il n’a pas été question d’un grief. Le demandeur semblait épuisé et perturbé par ce que l’employeur faisait. Il a expliqué qu’il avait des problèmes de santé et qu’il était stressé à cause de son déménagement à Halifax; il a prié l’employeur d’être clément. M. Grant a assisté par la suite à plusieurs autres réunions où l’employeur alléguait l’inconduite du demandeur à cause de son absentéisme. Les mesures disciplinaires dont il a été question à chacune de ces réunions ont été ultérieurement confirmées dans des lettres envoyées au demandeur par le courrier interne. M. Grant en recevait habituellement copie. Il a parlé au demandeur de la possibilité de présenter des griefs. Le demandeur lui a dit qu’il considérait le contrôle constant de ses présences comme une forme de harcèlement. Il a admis que l’employeur avait de bons arguments contre lui. D’après M. Grant, le dossier d’assiduité du demandeur a été mauvais pendant l’été de 2006, mais il a vraiment tenté de s’améliorer par la suite. Il a fait des progrès pendant l’été de 2007, mais à chaque réunion disciplinaire, on lui rappelait sa piètre assiduité antérieure, ce qui ne servait qu’à le décourager.

19 Le 22 mars 2007, M. Grant et le demandeur ont rencontré Alan Phillips, le représentant régional de l’IPFPC, pour lui parler du refus de l’employeur d’accepter que son état de santé était la cause de son absentéisme. L’employeur insistait pour que le demandeur se présente à l’AHST pour subir une évaluation. En leur qualité d’agents de l’IPFPC, M. Grant et M. Phillips l’ont convaincu de se soumettre à cette évaluation.

B. Pour l’employeur

20 Paul Hartifen est le gestionnaire des ressources humaines de la Maintenance de la Flotte de l’Atlantique. Il a expliqué que la discipline progressive imposée au demandeur avait pour but de corriger un comportement considéré comme indésirable. Le demandeur est allé voir M. Hartifen en décembre 2006, parce que les mesures disciplinaires qu’on persistait à prendre à l’égard de son assiduité le perturbaient. M. Hartifen a proposé de lui avancer des congés de maladie afin qu’il puisse obtenir des soins médicaux et retourner au travail en améliorant son assiduité. Il lui av aussi permis de changer son horaire de travail afin qu’il puisse commencer sa journée plus tard. Il lui a également offert de travailler à temps partiel, mais le demandeur a refusé, parce qu’il avait besoin d’un plus gros revenu pour subvenir aux besoins de sa famille. Quand il a obtenu d’autres renseignements médicaux, l’employeur a offert au demandeur un moratoire consistant à ne plus lui imposer de mesures disciplinaires pendant un mois à condition qu’il se présente à des séances de counseling aux frais de l’employeur. L’assiduité du demandeur s’est améliorée jusqu’au dernier jour du moratoire, où il ne s’est pas présenté au travail, sans téléphoner non plus. À l’occasion d’une des séances de counseling qui ont suivi, il s’est fait offrir la possibilité de s’absenter du travail pour profiter du gymnase du bureau, si cela pouvait l’aider.

21 Les problèmes du demandeur ont été perçus différemment par son médecin (qui estimait qu’il s’agissait d’une question de santé) et par les ressources humaines (pour qui il s’agissait plutôt d’une question de stress). En mars 2008, le fait que son absentéisme involontaire risquait de lui coûter son emploi est devenu évident. On a dit au demandeur qu’il aurait avantage à consulter son syndicat. L’employeur voulait qu’il se fasse traiter par un médecin. Le demandeur s’est également fait dire qu’il risquait d’être renvoyé si son assiduité ne s’améliorait pas. Par la suite, elle s’est nettement améliorée.

22 Selon M. Hartifen, une piètre assiduité est un comportement indésirable  et coupable en ce sens que l’employé évite sciemment d’informer son superviseur de son absence en sachant que c’est répréhensible. L’employeur ne peut pas fonctionner sans savoir quand l’employé va se présenter au travail. D’après M. Hartifen, le demandeur croyait qu’il devait se présenter au travail seulement quand il était en mesure de le faire et qu’il n’était pas responsable de ses actes. M. Hartifen a admis que la direction savait que le demandeur souffrait de plusieurs problèmes de santé et qu’il prenait des antidépresseurs, mais elle espérait que les traitements qui lui avaient été recommandés pour traiter son apnée du sommeil amélioreraient son assiduité.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour le demandeur

23 Le demandeur déclare que le stress relatif à son assiduité a commencé quand le lieutenant Locke est devenu son superviseur. Même si celui-ci était au courant de son état de santé physique et psychologique, il le bombardait d’une lettre après l’autre l’accusant d’inconduite et le menaçant de sanctions disciplinaires. En décembre 2006, le demandeur a rencontré M. Hartifen. Leur rencontre s’est soldée par une atténuation de certains des facteurs stressants à son travail. Toutefois, même avec l’aide de M. Hartifen, qui lui a accordé une avance de crédits de congé de maladie et qui a autorisé un changement de son horaire de travail, les problèmes d’anxiété et de dépression du demandeur se sont aggravés en même temps que sa situation financière. À mesure que les mesures disciplinaires progressaient, il avait l’impression d’être incapable de réagir autrement qu’en se disant : [traduction] « …ils m’ont encore eu ».

24 Chaque lettre que le demandeur recevait lui recommandait de se prévaloir des services du PAE. Quand il l’a fait, il a tout simplement constaté qu’il devait raconter son histoire à un autre employé du ministère de la Défense nationale qui le renvoyait à un service de counseling ou à un psychologue. Comme le demandeur devait payer ces services-là de sa poche, il n’en avait pas les moyens. Son état de santé l’empêchait de prendre des décisions rationnelles.

25 Le demandeur souligne que tous les avis médicaux déclarent que son comportement passé pourrait être expliqué par ses nombreux problèmes médicaux. La plus récente déclaration de son médecin stipule qu’il pourrait faire une rechute. Même si le demandeur pouvait retourner travailler sans restrictions et que sa situation pouvait être gérée par des moyens administratifs, il devra composer avec les mesures disciplinaires qui lui ont déjà été imposées. Il comprend maintenant qu’il doit présenter des griefs et les documents connexes dans les délais, mais ce n’est que récemment qu’il l’a compris. Il a réussi à faire annuler sa suspension de cinq jours. Sa suspension de trois jours est encore en instance. Comme plusieurs griefs sont en cours, les documents à présenter ont été une source de confusion pour lui. Il ne devrait pas être pénalisé pour cela. Il a toujours manifesté son intention de présenter des griefs pour contester chacune des mesures disciplinaires dont il a fait l’objet. Le demandeur veut avoir l’occasion de prouver que ses absences n’étaient pas attribuables à une inconduite délibérée; il tient donc à avoir la possibilité de faire annuler les mesures disciplinaires progressives qui lui ont été imposées.

26 Le Règlement stipule que le délai de présentation d’un grief à un palier quelconque de la procédure de règlement des griefs peut être prorogé après son expiration « par souci d’équité ». Un retard de neuf jours pour présenter le grief au deuxième palier n’est pas insurmontable. La jurisprudence invoquée fait état de périodes beaucoup plus longues, pour lesquelles une prorogation a été accordée dans bien des cas. Compte tenu de sa situation difficile dans le passé et du fait que la prochaine mesure disciplinaire pourrait mener à son licenciement, le demandeur me prie de lui accorder des prorogations pour la présentation de ses griefs, par souci d’équité.

B. Pour l’employeur

27 L’employeur déclare que la présente affaire repose sur le principe que la procédure de règlement des griefs doit avoir une certaine finalité et que les parties se sont entendues sur les délais prescrits dans la convention collective pour cette raison-là. L’employeur rejette la prétention qu’il tente de licencier le demandeur. Il souligne que le demandeur a admis que les arguments de l’employeur contre lui sont irréfutables et qu’il n’avait pas l’intention de présenter un grief durant la période où il lui était loisible de le faire. Le fait que le demandeur ne s’est pas rendu compte de l’importance de déposer le formulaire de transmission au deuxième palier dans le délai prescrit ne satisfait à aucun des critères établis dans la jurisprudence.

28 L’employeur avance les arguments suivants pour démontrer qu’il n’existe aucune raison claire et convaincante d’accueillir la plainte :

-         le demandeur est fonctionnaire fédéral depuis 2000;

-         la lettre d’offre fait état des conditions de la convention collective;

-         les lettres de discipline et les réponses à chaque palier de la procédure de règlement des griefs mentionnent les délais de présentation d’un grief;

-         le demandeur a été représenté par son syndicat durant toute la procédure de règlement des griefs;

-         le demandeur était au travail durant la période visée par les griefs.

29 L’employeur allègue en outre que le demandeur doit démontrer qu’il était incapable de prendre des décisions ou de donner des instructions à son représentant, et qu’il ne l’a pas démontré. Le fait que le grief contestant sa suspension de cinq jours a non seulement été présenté, mais que le demandeur a eu gain de cause indique qu’il était bel et bien capable de prendre des décisions et de donner des instructions à son représentant. Le demandeur n’a pas respecté les délais dans ses deux premiers griefs alors qu’il l’a fait dans ceux qu’il a présentés ultérieurement.

30 Le retard de neuf jours pour présenter le grief au deuxième palier de la procédure n’était pas un signe de confusion, parce qu’après avoir reçu la réponse à ce grief au premier palier, le demandeur a présenté un autre grief dans le délai prescrit.

31 En ce qui concerne la suspension d’un jour qui lui a été imposée le 5 mars 2007 et celle de deux jours qui lui a été imposée le 4 avril 2007, le plaignant n’a déposé sa demande de prorogation du délai de présentation que le 15 août 2007, soit quatre mois après l’expiration du délai prévu dans la convention collective.

32 L’employeur déclare que ce sont de longs retards. Il affirme en outre qu’il s’est écoulé bien du temps depuis et qu’il pourrait être difficile de recueillir des preuves pour établir les faits. Le demandeur n’a pas démontré prima facie qu’il est probable que ses griefs seront accueillis. La seule mesure disciplinaire qu’il a fait annuler l’a été par l’employeur et non par un arbitre de grief. En outre, le demandeur a démontré qu’il comprend les conséquences de son absentéisme. La preuve médicale n’étaye pas ses prétentions qu’il était incapable de présenter un grief.

C. Réplique du demandeur

33 En réplique, le demandeur déclare avoir toujours eu l’intention de présenter des griefs. Il a informé l’employeur de ses problèmes médicaux, qui n’ont pas été mis en doute. Après s’être fait imposer des mesures disciplinaires en mars et en avril 2007, il a continué à travailler en subissant énormément de stress à cause de la surveillance constante de son assiduité par l’employeur. Les lettres des médecins ne sont pas détaillées parce que les professionnels de la santé ne donnent habituellement guère de détails, par souci de protéger la vie privée de leurs patients. Néanmoins, ils sont tous d’accord pour dire que les symptômes du demandeur auraient pu expliquer son comportement. Quand les médicaments qu’il prenait ont été stabilisés, il a pu prendre la décision raisonnée de poursuivre ses griefs. Bien qu’il reconnaisse que l’employeur a fait preuve de compassion à bien des égards, le demandeur estime que cela ne devrait pas l’empêcher d’obtenir une prorogation des délais de présentation de ses griefs.

V. Motifs

34 Les conventions collectives conclues entre les syndicats et les employeurs prévoient un délai de présentation des griefs pour assurer une certaine stabilité des relations du travail. La raison d’être d’un tel délai consiste à faire en sorte que l’employeur ne soit pas constamment susceptible de se défendre contre des griefs contestant des mesures prises depuis longtemps et que le syndicat ne doive pas présenter ces griefs et les faire valoir. Cela dit, le Règlement donne à la Commission le pouvoir discrétionnaire de proroger ce délai par souci d’équité :

[…]

61. Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle-ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration,

[…]

b) […] par le président, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

[…]

35 La Commission et son prédécesseur, l’ancienne CRTFP, ont tiré de la jurisprudence citée par les parties des critères fondamentaux pour déterminer si elle doit se prévaloir de son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai de présentation d’un grief :

-         le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;

-         la durée du retard;

-         la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;

-         l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;

-         les chances de succès du grief.

(Voir Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1.)

36 En outre, il est également justifié de peser le préjudice susceptible d’être causé à l’employeur par une prorogation dans les cas où le demandeur n’avait pas l’intention de déposer son grief avant l’expiration du délai, comme dans Wyborn c. Agence Parcs Canada, 2001 CRTFP 113.

37 Dans la présente affaire, je suis d’avis que les problèmes de santé du demandeur constituent au moins un argument prima facie pour justifier le fait que ses deux premiers griefs n’ont pas été présentés dans le délai prescrit par la convention collective. La preuve a établi que les troubles dont il souffrait auraient pu contribuer à son assiduité irrégulière et que l’employeur a accepté la preuve voulant qu’il ait souffert de dépression et d’apnée du sommeil durant la période pertinente. Je suis disposée à accepter que la situation factuelle durant cette période constitue une raison claire, logique et convaincante expliquant pourquoi le demandeur n’a pas présenté ses griefs à temps.

38 À cela s’ajoute une autre circonstance atténuante : en juillet 2007, le demandeur a eu un diagnostic de grave apnée du sommeil dont il souffrait depuis longtemps selon le médecin. Compte tenu de cela et des avis médicaux que j’ai déjà mentionnés, il est raisonnable de conclure que son argument selon lequel il était incapable de présenter un grief dans le délai prévu par la convention collective était fondé. En outre, dans un courriel daté du 29 juin 2007 (que j’ai cité dans cette décision), le demandeur a exprimé l’intention de présenter un grief. Même s’il ne s’exprimait pas parfaitement, je suis disposée à considérer ce qu’il a écrit comme une expression globale de son intention de présenter des griefs pour contester les mesures prises à son endroit le 5 mars et le 4 avril 2007. En ce sens, il a exercé une diligence raisonnable pour défendre ses droits.

39 Je suis également d’avis que, dans les circonstances particulières de cette affaire, le 15 août 2007 — quatre mois après l’expiration du délai — pour demander une prorogation à la Commission n’était pas un délai indu. Compte tenu du fait que l’employeur avait régulièrement affaire à un demandeur qui avait des problèmes d’assiduité en vue d’obtenir une évaluation médicale pour se faire expliquer son comportement, et que le syndicat était partie aux discussions, l’employeur ne peut pas prétendre être pris par surprise en apprenant que le demandeur voulait présenter des griefs pour contester ses suspensions.

40 En ce qui concerne la demande de prorogation du délai de présentation du grief au deuxième palier, j’estime qu’un retard de neuf jours est vraiment insignifiant et que je devrais accueillir la demande, compte tenu de la preuve qui m’a été présentée.

41 Étant donné que le demandeur risque d’être bientôt licencié à ce stade de la discipline progressive, le souci d’équité à son endroit doit prévaloir en l’espèce sur le préjudice susceptible d’être causé à l’employeur par la prorogation des délais. L’employeur a soulevé la question des souvenirs qui s’estompent, mais il l’a fait de façon abstraite, pas parce que les témoins ne seraient pas disponibles. La même question se pose pour le demandeur s’il devait prouver ce qu’il avance devant un arbitre de grief. On n’a avancé aucun argument sur les chances de succès des griefs en question.

42 Pour conclure, nul ne conteste que le demandeur a vécu une situation personnelle très difficile. Il faut espérer qu’il se rend maintenant compte non seulement que son assiduité est importante, mais aussi qu’il doit prendre le processus disciplinaire au sérieux. Bien que j’aie décidé de proroger les délais pour les trois affaires dont je suis saisie par souci d’équité, ma décision n’est absolument pas déterminante sur le fond des griefs du demandeur, et il devrait en être bien conscient.

43 Pour tous ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

44 Les demandes de prorogation des délais dans les dossiers de la CRTFP 568-02-167, 168 et 183 sont accueillies.

Le 24 novembre 2009.

Traduction de la CRTFP.

Michele A. Pineau,
vice-présidente

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