Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’employeur avait obligé les fonctionnaires s’estimant lésés à rembourser des heures de congé excessives prises lors de jours fériés désignés payés - l’écart était dû au fait que la longueur des quarts était supérieure aux huit heures correspondant à la durée du jour férié désigné payé - l’employeur procédait normalement à un rapprochement régulier des heures mais avait omis de le faire entre 2002 et 2006, parce qu’un employé était en retard dans son travail - les fonctionnaires s’estimant lésés ne contestaient pas le fait que, pour l’employeur, le jour férié désigné payé correspondait à huit heures et ils reconnaissaient le pouvoir de l’employeur de recouvrer les trop-payés au cours de l’année précédente, mais ont déclaré que l’employeur était allé trop loin en réclamant les trop-payés sur plusieurs années - l’arbitre de grief a rejeté l’argument de l’employeur qu’il ne possédait pas la compétence voulue pour examiner les griefs parce qu’ils ne portaient ni sur des mesures disciplinaires ni sur l’interprétation ou l’application de la convention collective - l’arbitre de grief a rejeté l’argument des fonctionnaires s’estimant lésés selon lequel l’employeur avait enfreint les dispositions sur les heures de travail et les salaires de la convention collective - tandis que l’employeur n’a pas fait preuve de diligence dans le rapprochement des heures et qu’il n’aurait pas dû attendre aussi longtemps pour recouvrer les montants, les fonctionnaires s’estimant lésés ont été négligents en ne signalant pas à l’employeur que des trop-payés s’étaient accumulés. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-11-17
  • Dossier:  566-02-636, 640, 643, 644, 648, 651, 652, 655 à 657, 751 et 1561
  • Référence:  2009 CRTFP 152

Devant un arbitre de grief


ENTRE

LANGIS VEILLEUX, SERGE ROUSSY, MICHEL DOUCET, MARIO MARTEL,
BENOÎT DESCHAMBAULT, ANNIE POIRIER, PIERRE GAUTHIER, ERIC GUILLEMETTE,
NOËL ROY ET MARIO ROIREAU

fonctionnaires s'estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Veilleux et al. c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Yvan Malo, avocat

Pour l'employeur:
Marie-Josée Bertrand, avocate

Affaire entendue à Montréal (Québec),
le 23 octobre 2009.

I. Griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

1 Entre mars 2006 et juin 2007, Langis Veilleux, Serge Roussy, Michel Doucet, Mario Martel, Benoît Deschambault, Annie Poirier, Pierre Gauthier, Eric Guillemette, Noël Roy et Mario Roireau (les « fonctionnaires s’estimant lésés »), ont déposé des griefs contre la décision du Service correctionnel du Canada (l’« employeur ») d’exiger d’eux le remboursement d’heures de congés prises en trop à l’occasion de journées fériées désignées payées. Les parties m’ont soumis que la convention collective applicable est celle signée le 2 avril 2001 pour le groupe des Services correctionnels entre le Conseil du Trésor et l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (la « convention collective »).

2 En 2006 ou en 2007, selon le cas, l’employeur a exigé que les fonctionnaires s’estimant lésés lui remboursent entre 9,5 et 52 heures pour des heures de congé accordées en trop lors de journées fériées désignées payées. Ces heures proviennent de l’écart entre le nombre d’heures prévues à l’horaire de travail des fonctionnaires s’estimant lésés et le nombre d’heures de congé que procure une journée fériée désignée payée. Ainsi, un fonctionnaire, dont l’horaire de travail est de 12 heures lors d’une journée fériée désignée payée, qui décide de prendre congé, contracte une dette de 4 heures envers l’employeur. L’employeur procède habituellement à un décompte régulier de ces heures avisant alors les fonctionnaires des heures dues s’il y a lieu. Entre 2002 et 2006, le décompte n’a pas été fait de façon régulière, ce qui a créé le litige à la base de ces griefs.

II. Résumé de la preuve

3 M. Veilleux, un des fonctionnaires s’estimant lésés, a témoigné. M. Veilleux, comme les autres fonctionnaires, est un agent correctionnel. Allessandria Page, directrice adjointe à l’intervention de l’établissement de Cowansville, a aussi témoigné. L’employeur a déposé quatre documents. Rien dans la preuve présentée par l’une ou l’autre des parties n’a été contredit.

4 Compte tenu que la question à trancher est la même pour tous les fonctionnaires s’estimant lésés, mais que les dates, les heures et les jours de congé diffèrent, les parties ont convenu de ne présenter que la situation de M. Veilleux. Ma décision s’appliquera aussi, avec les adaptations nécessaires, aux autres fonctionnaires s’estimant lésés.

5 Les fonctionnaires s’estimant lésés ne remettent pas en question l’interprétation de l’employeur voulant qu’une journée fériée désignée payée équivaut à huit heures de congé même si un employé est censé travailler plus de huit heures lors de la journée fériée. Ils reconnaissent qu’une telle situation génère un trop-payé d’heures.

6 La convention collective prévoit que les agents correctionnels sont payés pour 37,5 heures par semaine et 1 956 heures par année. Pour ces 1 956 heures, un agent correctionnel au groupe et niveau CX-02 reçoit un salaire annuel de 59 914 $ si, comme M. Veilleux, il a atteint le maximum de l’échelle salariale.

7 L’employeur prépare les horaires de travail et les agents correctionnels doivent s’y conformer. Pendant la période visée par son grief, M. Veilleux avait un horaire variable, car il travaillait chaque semaine un nombre d’heures supérieur ou inférieur aux 37,5 heures qui lui était payées. L’horaire était conçu de sorte que sur un cycle de 48 semaines, M. Veilleux travaillait 1 800 heures, soit une moyenne hebdomadaire de 37,5 heures.

8 En 2002, l’employeur a demandé à M. Veilleux de lui rembourser 12 heures de travail pour la différence entre le nombre d’heures de congé pris lors de journées fériées désignées payées et le nombre d’heures de congé auquel il avait droit pour ces mêmes jours. M. Veilleux a remboursé les 12 heures en question.

9 Le 10 mars 2006, l’employeur a informé M. Veilleux qu’il devait rembourser 28 heures pour la différence entre le nombre d’heures de congé pris lors de journées fériées désignées payées entre 2003 et 2006 et le nombre d’heures de congé auquel il avait droit pour ces mêmes jours. L’employeur a aussi informé M. Veilleux que le remboursement des 28 heures pouvait être fait sous trois formes : une déduction de 28 heures de congé annuel, une remise de 28 heures de travail ou le remboursement en argent des 28 heures. L’employeur ne lui a pas dit à quel taux de salaire le remboursement pouvait être fait, ni que ses relevés T-4 des années visées seraient modifiés en fonction du nouveau calcul de son salaire, une fois les trop-payés appliqués.

10 En février 2002, l’employeur a fait parvenir une note de service aux agents correctionnels du groupe et niveau CX-02 de l’établissement de Cowansville pour les informer des règles de mise en œuvre d’un projet pilote visant un horaire de travail de 12 heures par jour. Dans ce document, il est indiqué qu’un agent correctionnel qui bénéficie d’un congé lors d’une journée fériée désignée payée doit remettre quatre heures à l’employeur. En février 2003, l’employeur et le syndicat ont signé une entente locale sur l’horaire de 12 heures. Cette entente spécifiait entre autres qu’un agent correctionnel qui bénéficiait d’un congé lors d’une journée fériée désignée payée devait remettre quatre heures à l’employeur.

11 Ce n’est qu’en 2006 que l’employeur a constaté que certains agents correctionnels de l’établissement de Cowansville avaient bénéficié d’un trop grand nombre d’heures de congé lors de journées fériées désignées payées entre 2002 et 2006 et que ces heures n’avaient pas été remboursées. L’employeur reconnaît que le retard était attribuable à l’un de ses représentants qui n’était pas à jour dans son travail. Lorsque les trop-payés d’heures ont été identifiés, l’employeur a offert trois options pour le remboursement : des heures de congé annuel, des heures de congé non payé ou la remise en temps travaillé.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

12 Pour certains des fonctionnaires s’estimant lésés, l’employeur réclame rétroactivement des heures pour une période de cinq années. Ces réclamations et les prélèvements qu’elles impliquent sont illégaux.

13 L’employeur, par le biais de ses réclamations rétroactives, modifie les horaires établis, le nombre d’heures de travail offertes sur les périodes de référence et le salaire annuel prévu à la convention collective. Selon la convention collective, un agent correctionnel est payé 1 956 heures par année civile ou par année de congés définie par la convention collective (du 1er avril au 31 mars). Les horaires sont établis de sorte qu’un agent correctionnel est censé travailler 1 800 heures sur un cycle de 48 semaines. Les réclamations rétroactives de l’employeur modifient unilatéralement ces paramètres de sorte qu’une fois les réclamations appliquées, les fonctionnaires s’estimant lésés ne reçoivent plus la rémunération de 1 956 heures ou de 1 800 heures selon la période de référence utilisée. Qui plus est, le nombre d’heures de travail est aussi modifié à la baisse. L’employeur n’offre plus les heures de travail prévues à l’horaire qu’il a lui-même établi.

14 La convention collective ne contient aucune disposition permettant à l’employeur de réclamer de tels trop-payés d’heures de travail. L’employeur a exigé de M. Veilleux de lui payer rétroactivement des heures déjà payées depuis 2003 mais pour lesquelles on ne lui a pas offert d’heures de travail. Le trop-payé résulte directement des retards de l’employeur de calculer les heures travaillées. M. Veilleux ne devrait pas avoir à payer pour les erreurs de l’employeur qui exerce un contrôle unilatéral sur les horaires de travail et la comptabilisation des heures travaillées.

15 Les fonctionnaires s’estimant lésés reconnaissent le droit de l’employeur de balancer les heures travaillées chaque année et de réclamer d’eux, s’il y a lieu, les heures payées en trop au cours de l’année qui se termine. Ils considèrent cependant que l’employeur va trop loin en réclamant rétroactivement des heures payées en trop au cours des années précédentes. Si l’employeur est négligent ou fait des erreurs dans ses calculs, il doit en assumer la responsabilité et non pas faire payer aux fonctionnaires s’estimant lésés le prix de sa propre négligence.

16 En appui à leurs arguments, les fonctionnaires s’estimant lésés me renvoient à UCCO-SAC-CSN c. Conseil du Trésor, 2004 CRTFP 38, et à UCCO-SAC-CSN c. Conseil du Trésor, 2007 CRTFP 120.

B. Pour l’employeur

17 Les griefs des fonctionnaires s’estimant lésés ne sont pas des griefs qui ont trait à l’application ou l’interprétation de la convention collective ou à des mesures disciplinaires. Les fonctionnaires s’estimant lésés ne contestent pas l’interprétation que fait l’employeur de la convention collective, mais plutôt le droit de l’employeur de réclamer rétroactivement des trop-payés d’heures de congés. En vertu du paragraphe 209(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), un arbitre de grief n’a donc pas compétence pour disposer des griefs.

18 Les fonctionnaires s’estimant lésés admettent que l’employeur peut récupérer des heures de congé accordées en trop au cours d’une année particulière. Ce qu’ils contestent, c’est la décision de l’employeur de réclamer des heures des années précédentes. Or, rien dans la convention collective ne prévoit une prescription pour la récupération de trop-payés. Si les parties voulaient une telle prescription, il aurait fallu qu’elles en conviennent dans la convention collective.

19 Si l’arbitre de grief décide qu’il a compétence pour disposer du grief, l’employeur demande que l’arbitre de grief rejette les griefs au motif qu’il n’a fait aucune erreur dans le calcul des heures de congé auxquelles les fonctionnaires s’estimant lésés avaient droit. Les fonctionnaires s’estimant lésés savaient qu’ils devaient rembourser des heures chaque fois qu’ils prenaient un congé lors d’une journée fériée désignée payée. En l’occurrence, M. Veilleux avait dû rembourser des heures en 2002 pour des congés pris cette même année. Il savait que la même règle s’appliquait pour les années subséquentes, mais il a décidé de ne pas en parler avec l’employeur. Certes, l’employeur a tardé à réclamer les heures de congé accordées en trop, mais M. Veilleux avait lui aussi la responsabilité de faire part à l’employeur qu’il avait bénéficié de trop d’heures de congé.

20 En appui à ses arguments, l’employeur me renvoie à Ménard c. Canada (C.A.), [1992] 3 C.F. 521.

IV. Motifs

21 Les fonctionnaires s’estimant lésés contestent la décision de l’employeur de réclamer sur une base rétroactive allant jusqu’à cinq années des trop-payés résultant de l’écart entre les heures de congé qui auraient dues être accordées et celles prises lors de journées fériées désignées payées. Les fonctionnaires s’estimant lésés reconnaissent qu’il y a effectivement des trop-payés mais contestent la décision de l’employeur de retourner en arrière au-delà de l’année qui se termine. L’employeur admet qu’il a été lent à agir pour réclamer les trop payés mais prétend qu’il était quand même en droit de présenter ses réclamations. 

22 Je n’accepte pas l’argument de l’employeur voulant que je n’ai pas compétence à l’égard des griefs. Je reconnais qu’il n’y a pas de litige sur le sens à donner aux dispositions de la convention collective, les fonctionnaires s’estimant lésés concédant que les calculs de l’employeur des heures de congés dues sont corrects. Par contre, je souscris aux conclusions de l’arbitre de grief dans la décision 2007 CRTFP 120, voulant qu’un arbitre de grief a compétence pour examiner la question du moment du paiement de la rémunération. À cet égard, je cite le paragraphe 24 de cette décision :

24 En l’espèce, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la direction porte sur le moment du paiement de la rémunération due aux termes de la convention collective. Si l’employeur agit de façon déraisonnable dans le cadre du traitement des paiements prévus par la convention collective, les dispositions applicables en matière d’heures supplémentaires et de primes seront annulées ou minées. Par conséquent, il existe une exigence implicite de payer la rémunération prévue par la convention collective dans un délai raisonnable.

23 Dans cette décision, l’arbitre de grief a établi que des délais déraisonnables à l’égard du versement des paiements prévus à la convention collective minent les dispositions de cette dernière. J’ajouterais que l’employeur se doit aussi d’être raisonnable dans la façon dont il perçoit les trop-payés, sans quoi les dispositions de la convention collective pourraient être minées.   

24 Je rejette l’allégation des fonctionnaires s’estimant lésés voulant que l’employeur a enfreint les dispositions relatives aux heures de travail ou au salaire de la convention collective. La raison en est fort simple. Un employeur n’enfreint pas la convention collective du seul fait qu’il réclame de ses employés des heures de congé auxquelles ils n’avaient pas droit. Certes, il pourrait en résulter, une fois les trop-payés remboursés, que les fonctionnaires s’estimant lésés n’aient pas été payés 1 956 heures au cours de l’année ou 1 800 heures au cours des 48 semaines en question. Il pourrait aussi en résulter que l’horaire des fonctionnaires s’estimant lésés n’ait pas été de 1 956 heures au cours de l’année ou de 1 800 heures au cours des 48 semaines en question, mais il ne s’agit pas pour autant d’un non-respect de la convention collective. Les fonctionnaires s’estimant lésés l’admettent d’ailleurs implicitement en reconnaissant à l’employeur le droit de réclamer des trop-payés pour l’année qui se termine, ces derniers étant le plus souvent payables l’année qui suit.

25 Enfin, même s’il résultait de l’application d’un trop-payé d’heures qu’un agent correctionnel ne travaille pas 1 956 heures dans une année, il ne s’agirait pas pour autant d’une infraction à la convention collective. En effet, comme spécifié à la clause 21.04 de la convention collective, les dispositions sur l’horaire de travail ne peuvent être interprétées comme garantissant une durée de travail minimale.

26 La preuve démontre que M. Veilleux savait en 2002 qu’il devait remettre des heures après un congé pris lors d’une journée fériée désignée payée. L’employeur l’en avait avisé. De plus, l’employeur avait convenu avec l’unité syndicale locale en 2003, que la prise de congé lors d’une journée fériée désignée payée pour les agents correctionnels travaillant un horaire de 12 heures générait un trop-payé de congé de 4 heures. Certes, l’employeur aurait pu agir avant et ne pas attendre trois ans pour réclamer ce qui lui était dû, mais M. Veilleux a lui aussi été négligent en n’avisant pas la direction qu’il accumulait chaque année un trop-payé d’heures de congé.

27 Les deux parties me semblent conjointement responsables de la problématique qui m’est soumise. L’employeur n’a pas été diligent dans la compilation des heures de congé et M. Veilleux n’a pas informé la direction qu’il n’avait pas travaillé assez d’heures. Par contre, lorsque l’employeur a constaté la situation des trop-payés, il a agi de façon raisonnable en offrant diverses options de remboursement. Qui plus est, les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas présenté de preuve voulant que l’employeur ne leur aurait pas donné un délai raisonnable pour choisir parmi les options offertes et pour rembourser les trop-payés.

28 Je ne donne donc pas droit au grief de M. Veilleux, ni à ceux des neuf autres fonctionnaires s’estimant lésés.

29 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

30 Les griefs sont rejetés.

Le 17 novembre 2009.

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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