Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La demanderesse a été suspendue de ses fonctions au sein du syndicat défendeur en vertu d’une politique récemment adoptée parce qu’elle avait déposé une plainte auprès de la Commission contre le défendeur - dans la décision 2009 CRTFP 103, la Commission a accueilli la plainte et a ordonné au défendeur de modifier sa politique, afin de la rendre conforme à la Loi, et de réintégrer la plaignante dans les postes auxquels elle avait été élue - la qualité de membre du syndicat de la demanderesse a par la suite été suspendue - la demanderesse a demandé à la Commission de déposer sa décision initiale devant la Cour fédérale, aux fins d’exécution - la Commission a jugé que le défendeur s’était conformé adéquatement à l’ordonnance de modifier sa politique - la Commission a également statué que le défendeur ne s’était pas conformé, et n’avait pas l’intention de se conformer, à l’ordonnance relative à la réintégration de la plaignante dans les postes auxquels elle avait été élue - la Commission a conclu à l’utilité de déposer sa décision antérieure devant la Cour fédérale. Demande accueillie en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-12-04
  • Dossier:  521-34-3 XR: 561-34-202 et 309
  • Référence:  2009 CRTFP 159

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

IRENE J. BREMSAK

demanderesse

et

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défendeur

Répertorié
Bremsak c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Affaire concernant une demande de dépôt à la Cour fédérale prévue au paragraphe 52(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Marie-Josée Bédard, vice-présidente

Pour la demanderesse:
John Lee

Pour le défendeur:
Steven Welchner, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 22 septembre, les 21 et 29 octobre et les 12, 16 et 20 novembre 2009.
(Traduction de la CRTFP)

Demande devant la Commission

1 Le 1er septembre 2009, Irene J. Bremsak (la « demanderesse ») a présenté, à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »), une demande de dépôt, à la Cour fédérale, d’une copie certifiée conforme de sa décision rendue le 26 août 2009 dans Bremsak c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 103. La demande était formulée en vertu de l’article 52 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, qui se lit comme suit :

52. (1) Sur demande écrite de la personne ou de l’organisation touchée, la Commission dépose à la Cour fédérale une copie certifiée conforme du dispositif de l’ordonnance sauf si, à son avis,

a) soit rien ne laisse croire qu’elle n’a pas été exécutée ou ne le sera pas;

b) soit, pour d’autres motifs valables, le dépôt ne serait d’aucune utilité.

(2) En vue de son exécution, l’ordonnance rendue par la Commission, dès le dépôt à la Cour fédérale de la copie certifiée conforme, est assimilée à une ordonnance rendue par celle-ci. 

2 La demanderesse était la plaignante dans la procédure qui a abouti à la décision 2009 CRTFP 103. Dans ce cas, la Commission était saisie de deux plaintes déposées contre l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (le « défendeur ») aux termes de l’alinéa 190(1)g) de la Loi. La Commission a rejeté la première plainte mais a accueilli la deuxième plainte, dans laquelle la demanderesse alléguait que le défendeur avait contrevenu au sous-alinéa 188e)(ii) de la Loi. Dans sa décision, la Commission a décrit comme suit la nature de cette plainte :

[…]

[2] […] L’alinéa 188e) interdit à l’agent négociateur de faire des distinctions illicites à l’égard d’une personne en matière d’adhésion à une organisation syndicale, ainsi que d’user de menaces ou de coercition à son égard ou de lui imposer « une sanction, pécuniaire ou autre » pour avoir présenté une demande sous le régime de la Loi.

[…]

[4] La seconde plainte est datée du 11 avril 2008 (mais n’a été déposée devant la Commission que le 8 juillet 2008) et porte sur la décision de l’agent négociateur d’établir une politique concernant les demandes présentées à des « organismes extérieurs ». La Commission figure dans la liste des organismes extérieurs visés par cette politique. L’effet de la politique est le suivant : « […] [q]uand un […] membre[…] renvoie[…] une affaire, qui a été ou aurait dû être référée à la procédure interne de l’Institut, à un processus ou une procédure externe pour étude, ce[…] membre[…] [est] automatiquement suspendu[…] temporairement […] » des fonctions et des tâches liées à la charge ou au poste auquel il a été élu ou nommé. Le 9 avril 2008, le président intérimaire de l’agent négociateur a avisé la plaignante que, conformément à cette politique, elle était suspendue temporairement de quatre postes auxquels elle avait été élue ou nommée pour avoir déposé une plainte devant la Commission. Il indiquait également que la suspension temporaire serait levée dès que les procédures externes auraient pris fin, quelle qu’en soit la raison. La plaignante avance que la politique est discriminatoire et que l’agent négociateur a fait des distinctions illicites à son égard en matière d’adhésion à une organisation syndicale en lui appliquant cette politique et qu’il a usé de menaces ou de coercition et lui a imposé une sanction pécuniaire « ou autre » pour avoir présenté une demande à la Commission, en contravention du sous-alinéa 188e)(ii) de la Loi.

[…]

La Commission a accueilli la plainte et a ordonné ce qui suit :

[…]

[141] La plainte du 16 novembre 2007 est rejetée.

[142] La plainte du 11 avril 2008 est accueillie.

[143] L’agent négociateur doit annuler l’application de sa « Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs » à la plaignante.

[144] L’agent négociateur doit modifier sa « Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs » pour la rendre conforme à la Loi.

[145] L’agent négociateur doit rétablir la plaignante dans son rôle de dirigeante élue de l’unité de négociation et aviser ses membres et ses dirigeants, de la manière décrite au paragraphe 131 de la présente décision, que la plaignante a été réintégrée dans tous les postes auxquels elle a été élue et nommée, sous réserve de l’application régulière des statuts de l’agent négociateur.

[…]

3 La demanderesse a justifié sa demande de dépôt de la décision 2009 CRTFP 103 de la Commission à la Cour fédérale en indiquant que le défendeur ne s’était pas conformé à l’ordonnance de la Commission et n’avait aucunement l’intention de le faire.

4 Le 22 septembre 2009, le défendeur s’est opposé à la demande de la demanderesse et a indiqué qu’il avait présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision 2009 CRTFP 103 à la Cour d’appel fédérale ainsi qu’une requête de suspension de l’exécution de cette décision en attendant la fin de la procédure de contrôle judiciaire et que, par conséquent, le dépôt de la décision 2009 CRTFP 103 [traduction] « […] préjugerait de la requête de suspension de l’exécution de la décision et nuirait à la procédure de contrôle judiciaire entamée à la Cour ».

5 Le 28 octobre 2009, la Cour d’appel fédérale a rejeté la requête de suspension de l’exécution de la décision 2009 CRTFP 103; voir Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Bremsak, 2009 CAF 312.

6 Le 29 octobre 2009, la demanderesse a demandé de nouveau que la Commission dépose sa décision 2009 CRTFP 103 à la Cour fédérale, en faisant valoir qu’à la lumière de la décision de la Cour d’appel fédérale de rejeter la requête de suspension de l’exécution de la décision présentée par le défendeur, il n’y avait [traduction] « […] plus aucune raison empêchant la CRTFP de déposer les ordonnances à la Cour fédérale ».

7 Le 12 novembre 2009, le défendeur a soulevé de nouveaux éléments qui, à ses yeux, devraient inciter la Commission à refuser de déposer sa décision 2009 CRTFP 103 à la Cour fédérale.

8 Premièrement, le défendeur a indiqué que son Comité exécutif avait décidé de suspendre l’adhésion de la demanderesse pendant une période de cinq ans, à partir du 20 octobre 2009, à la suite d’une enquête sur des allégations de harcèlement à l’endroit de la demanderesse portées par d’autres membres du défendeur, à l’issue de laquelle le défendeur avait conclu que les allégations étaient bien fondées. Le défendeur affirme qu’à la lumière de la suspension de l’adhésion de la demanderesse, le dépôt de la décision 2009 CRTFP 103 à la Cour fédérale ne serait d’aucune utilité.

9 En ce qui concerne la partie de la décision 2009 CRTFP 103 ayant trait au contenu de la « Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs » (la « Politique »), le défendeur a indiqué qu’il se conformait à la décision 2009 CRTFP 103 étant donné qu’il était en train de modifier la Politique. Plus particulièrement, le défendeur a indiqué qu’une version révisée de la Politique avait été présentée à son assemblée générale annuelle les 6 et 7 novembre 2009 et qu’il s’attendait à ce qu’elle soit approuvée par son conseil d’administration la semaine suivante.

10 Le 13 novembre 2009, la Commission a ordonné au défendeur de soumettre sa politique révisée au plus tard le 20 novembre 2009 et a informé la demanderesse qu’elle aurait jusqu’au 20 novembre 2009 pour répondre à la lettre du défendeur datée du 12 novembre 2009.

11 Le 16 novembre 2009, la plaignante a répondu à la lettre du défendeur du 12 novembre 2009. Elle a allégué que le défendeur ne respectait toujours pas la décision 2009 CRTFP 103 et qu’il n’y avait aucune preuve ou garantie que la Politique révisée du défendeur serait conforme à la Loi. Pour ce qui est de la décision du défendeur de suspendre son adhésion, la demanderesse prétend que la décision faisait suite à des allégations non fondées de harcèlement, qui n’ont pas fait l’objet d’un suivi adéquat de la part du défendeur et que sa suspension est contraire aux dispositions de la Loi.

12 Le 20 novembre 2009, le défendeur a déposé une copie de sa politique révisée et a confirmé que celle-ci avait été adoptée officiellement par son conseil d’administration le 18 novembre 2009.

13 Le 20 novembre 2009, la demanderesse a déposé des arguments supplémentaires à propos de la politique révisée et a soutenu qu’elle ne respecte pas la décision 2009 CRTFP 103. La demanderesse a fait les affirmations suivantes :

[Traduction]

[…]

[…] la Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs adoptée récemment le 18 novembre 2009 par les défendeurs n’est pas conforme à la cinquième ordonnance émise par le commissaire Steeves, à savoir que « L’agent négociateur doit modifier sa « Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs » pour la rendre conforme à la Loi ».

Cette politique nouvellement révisée permet toujours aux défendeurs :

  1. de prendre des mesures disciplinaires contre un fonctionnaire ou de lui imposer une sanction quelconque en appliquant d’une manière discriminatoire les normes de discipline de l’organisation syndicale;
  2. d’expulser un fonctionnaire de l’organisation syndicale, de le suspendre, de prendre contre lui des mesures disciplinaires ou de lui imposer une sanction quelconque parce qu’il a exercé un droit prévu par la présente partie ou la partie 2 ou qu’il a refusé d’accomplir un acte contraire à la présente partie;
  3. de faire des distinctions illicites à l’égard d’une personne en matière d’adhésion à une organisation syndicale, d’user de menaces ou de coercition à son égard ou de lui imposer une sanction, pécuniaire ou autre, pour l’un ou l’autre des motifs suivants

(i) elle a participé, à titre de témoin ou autrement, à une procédure prévue par la présente partie ou la partie 2, ou pourrait le faire,

(ii) elle a soit présenté une demande ou déposé une plainte sous le régime de la présente partie, soit déposé un grief sous le régime de la partie 2

Chacun de ces points contrevient à la LRTFP. Par conséquent, cette politique nouvellement révisée ne respecte pas la LRTFP de quelque façon que ce soit. Le but et l’objet de la Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs sont fondamentalement en contradiction avec l’article 188 de la LRTFP qui vise à protéger l’employé contre tout abus de la part de l’organisation à laquelle il appartient pour avoir exercé n’importe quel droit en vertu de la LRTFP.

La plaignante avance, en toute déférence, que cette omission de la part des défendeurs de s’assurer que la Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs est conforme à la LRTFP entraîne un besoin immédiat pour la CRTFP de déposer les ordonnance à la Cour fédérale.

Motifs

14 Le mécanisme exposé à l’article 52 de la Loi est un nouvel élément qui a été introduit le 1er avril 2005 lorsque la Loi est entrée en vigueur. La version qui la précédait, l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, ne prévoyait aucun mécanisme visant à assurer l’exécution des décisions rendues par l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique.

15 Pour souci de commodité, je reproduirai ici de nouveau le libellé de l’article 52 de la Loi :

52. (1) Sur demande écrite de la personne ou de l’organisation touchée, la Commission dépose à la Cour fédérale une copie certifiée conforme du dispositif de l’ordonnance sauf si, à son avis,

a) soit rien ne laisse croire qu’elle n’a pas été exécutée ou ne le sera pas;

b) soit, pour d’autres motifs valables, le dépôt ne serait d’aucune utilité.

(2) En vue de son exécution, l’ordonnance rendue par la Commission, dès le dépôt à la Cour fédérale de la copie certifiée conforme, est assimilée à une ordonnance rendue par celle-ci. 

16 Dans un même temps, le Parlement a institué un autre mécanisme permettant de déposer une décision rendue par un arbitre de grief à la Cour fédérale à l’article 234 de la Loi, qui est formulé comme suit :

234. Toute partie à l’affaire qui a donné lieu à l’ordonnance peut, après la date d’exécution qui y est fixée ou, à défaut d’une telle date, après un délai de trente jours suivant la date de l’ordonnance, déposer à la Cour fédérale une copie certifiée conforme du dispositif de l’ordonnance. En vue de son exécution, celle-ci, dès le dépôt de la copie certifiée conforme, est assimilée à une ordonnance rendue par la Cour fédérale.

17 Le libellé utilisé à l’article 52 et celui utilisé à l’article 234 de la Loi diffèrent considérablement. L’article 234 de la Loi crée un mécanisme par lequel la décision d’un arbitre de grief peut être déposée à la Cour fédérale, à des fins d’exécution, à la seule initiative et discrétion d’une partie à l’affaire devant l’arbitre de grief. La discrétion de déposer ainsi la décision de l’arbitre de grief appartient aux parties, et ni l’arbitre de grief ni la Commission n’a voix au chapitre du processus.

18 Par contraste, en vertu de l’article 52 de la Loi, le dépôt d’une décision rendue par la Commission n’est pas automatique et ne dépend pas de la seule volonté des parties. La discrétion de déposer la décision appartient à la Commission, qui doit procéder à une analyse et déterminer si les critères énoncés à l’alinéa 52(1)a) ou b) s’appliquent dans les circonstances d’un cas particulier.

19 L’article 52 de la Loi est très similaire au paragraphe 23(1) du Code canadien du travail (le « Code »), L.R.C. (1985), ch. L-2, qui se lit comme suit :

23. (1) Sur demande écrite de la personne ou de l’organisation intéressée, le Conseil dépose à la Cour fédérale une copie du dispositif de la décision ou de l’ordonnance sauf si, à son avis,

a) ou bien rien ne laisse croire qu’elle n’a pas été exécutée ou ne le sera pas;

b) ou bien, pour d’autres motifs valables, le dépôt ne serait d’aucune utilité.

20 Le Conseil canadien des relations industrielles (le « CCRI ») a établi depuis longtemps une jurisprudence sur l’interprétation à donner aux critères énoncés au paragraphe 23(1) du Code qui, étant donné la similarité du libellé utilisé et celui à l’article 52 de la Loi, peut être d’une certaine utilité dans le contexte de la demande examinée ici. L’affaire Le Syndicat international des marins canadiens et Seaspan International Ltd., Vancouver-Nord, C.-B. (1979), 33 di 544, est toujours citée comme la décision déterminante en ce qui concerne le pouvoir dont est investi le CCRI d’appliquer le paragraphe 23(1) du Code. Dans cette décision, le Conseil canadien des relations du travail (le « CCRT »), qui précédait le CCRI, a décrit comme suit l’interprétation qu’il fallait donner, à son avis, à l’article 123 (qui est devenu l’article 23) du Code :

[…]

Fait plus important, le Parlement a situé la procédure de dépôt dans un contexte plus général et a apporté des modifications à la loi qui sont mieux adaptées au rôle plus étendu et moins répressif confié au Conseil concernant la solution de conflits de travail ainsi qu’aux procédures établies en vertu des modifications apportées au Code. […]

[…]

Ces dispositions ont pour but principal de permettre au Conseil d’employer ses agents, ses procédures administratives et son autorité pour adopter une approche d’accommodement lorsqu’il s’agit de résoudre divers conflits de travail et aussi de donner une signification plus profonde et une portée plus grande aux décisions qu’il rend. L’ensemble de ces dispositions répond aux objectifs de la Partie V, exprimés dans le préambule, lorsqu’elles touchent aux multiples situations et intérêts antagonistes qui se soulèvent dans le milieu des relations industrielles.

Regardons maintenant de plus près les nouvelles dispositions de l’article 123 [maintenant l’article 23]. Le dépôt d’une ordonnance du Conseil sur requête écrite de toute personne ou de tout organisme concerné par ladite ordonnance ou décision est mandataire à moins « que de l’avis du Conseil » l’une des deux situations suivantes ne se présente. La première survient lorsque « rien ne permet de croire à l’inobservation actuelle ou prévisible de l’ordonnance ou de la décision », et ce, pour au moins trois raisons. En premier lieu, cette situation permet au tribunal qui a rendu la décision, soit le Conseil, d’être celui qui détermine s’il y a eu défaut de s’y conformer. Ainsi, le Parlement reconnaît que le Conseil est l’organisme le plus apte à interpréter la signification de sa propre décision ou ordonnance. Cette situation permet ensuite au Conseil, soit directement, soit par l’intermédiaire de ses agents, de chercher à régler le différend par un accommodement, avant d’avoir recours à des procédures judiciaires. Enfin, une raison plus subtile mais tout aussi réaliste veut que le Conseil puisse ainsi réviser ses propres ordonnances aux termes des articles 119 et 121 pour modifier une ordonnance ou une décision afin de tenir compte de toute observation partielle de ladite ordonnance ou de tout événement rattaché à l’objet de l’ordonnance, qui se produit après que celle-ci a été rendue. Ceci est la consécration de la pratique selon laquelle le Conseil informe les parties de la portée de sa décision et les encourage à participer à son exécution avant qu’une ordonnance ne soit rendue. Cette pratique a pour but d’encourager le règlement positif des différends tel qu’il est prévu au Préambule. Le critère de « l’inobservation prévisible » informe les parties du rôle actif joué par le Conseil et indique que la disposition n’a pas été adoptée dans le seul but d’être un substitut des procédures prescrites dans les jugements de la Cour.

Le Code décrit d’une façon très générale la seconde situation où le Conseil ne peut déposer une ordonnance : « (s’)il existe d’autres bonnes raisons pour lesquelles le dépôt de l’ordonnance ou de la décision à la Cour fédérale ne servirait aucune fin utile ». C’est dans une telle situation que le Conseil peut davantage exercer son rôle d’accommodement et adopter l’attitude non répressive prévue au Code pour résoudre les conflits de travail. La compétence dont jouit le Conseil pour juger des critères applicables implicitement à cette deuxième situation, tout comme ceux qui régissent l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au Conseil en vertu de l’article 194 pour autoriser des poursuites, doit être exercée dans le sens des objectifs et des buts de Code dans toute circonstance. (Une étude de la compétence accordée au Conseil en vertu de l’article 194 figure dans les décisions rendues dans les affaires Conseil des Ports nationaux, supra, décisions nos 195 et 197, publiées dans le présent numéro). En bref, l’emphase n’est pas mise sur l’adhésion rigoureuse à des principes exigeant l’obéissance aux ordonnances des tribunaux dans une société ordonnée. Le Code reconnaît plutôt que le Conseil doit servir d’instrument souple dans le monde changeant des relations industrielles, où des procédures engagées après qu’une décision a été rendue peuvent devenir inutiles ou incompatibles avec l’évolution des circonstances entourant une affaire donnée. Le Conseil doit se montrer sensible à la position que les parties adoptent sur les plans social, économique et politique dans leur milieu des relations du travail et doit chercher avant tout à favoriser un accommodement constructif. La dernière ou une autre once de punition pour obtenir l’obéissance rigoureuse d’une ordonnance du Conseil peut dans certaines circonstances exceptionnelles ne pas favoriser de futures bonnes relations, spécialement si d’autres remèdes ou interventions du Conseil peuvent obtenir les mêmes résultats d’une autre façon.

[…]

De façon générale, je partage l’interprétation donnée par le CCRT et j’estime qu’elle devrait me guider pour déterminer si les critères énoncés à l’article 52 de la Loi s’appliquent en l’espèce. Pour déterminer si la décision 2009 CRTFP 103 devrait être déposée à la Cour fédérale aux fins d’exécution, je dois répondre aux deux questions suivantes :

  1. Le défendeur s’est-il conformé à la décision de la Commission?
  2. Dans la négative, y a-t-il un motif valable pour lequel le dépôt de la décision 2009 CRTFP 103 à la Cour fédérale ne serait d’aucune utilité?

21 Je commencerai par la première question. Je trouve qu’il est utile, à ce stade-ci, de préciser une fois de plus ce que la Commission a ordonné dans la décision 2009 CRTFP 103 :

[…]

 [141]  La plainte du 16 novembre 2007 est rejetée.

[142] La plainte du 11 avril 2008 est accueillie.

[143] L’agent négociateur doit annuler l’application de sa « Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs » à la plaignante.

[144] L’agent négociateur doit modifier sa « Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs » pour la rendre conforme à la Loi.

[145] L’agent négociateur doit rétablir la plaignante dans son rôle de dirigeante élue de l’unité de négociation et aviser ses membres et ses dirigeants, de la manière décrite au paragraphe 131 de la présente décision, que la plaignante a été réintégrée dans tous les postes auxquels elle a été élue et nommée, sous réserve de l’application régulière des statuts de l’agent négociateur.

[…]

22 Je me pencherai d’abord sur la partie de la décision 2009 CRTFP 103 qui traite de la modification de la Politique. Le défendeur prétend que sa politique révisée respecte la Loi, comme l’a ordonné la Commission, tandis que la demanderesse affirme que la politique révisée n’est pas conforme à la décision 2009 CRTFP 103.

23 Pour les motifs suivants, je considère que la politique révisée est satisfaisante et qu’elle est conforme à la décision 2009 CRTFP 103. Dans sa version initiale, la Politique prévoyait que lorsqu’un membre présente à un organisme extérieur, y compris à la Commission, une demande au sujet d’une question interne, il est automatiquement suspendu temporairement des fonctions et des tâches liées à la charge ou au poste auquel il a été élu ou nommé. La Politique était formulée comme suit :

[…]

2. PROCESSUS OU PROCÉDURES EXTERNES

Cette politique s’appliquera si un membre renvoie une affaire à un quelconque processus externe alors qu’elle a été ou aurait dû être traitée en ayant recours aux procédures internes de l’Institut. Dans le cadre de cette politique, les processus ou procédures externes comprennent le recours aux organismes suivants, mais n’y sont pas limités :

[…]

• la Commission des relations de travail dans la fonction publique;

[…]

3. POLITIQUE

(1) Quand un ou des membres renvoient une affaire, qui a été ou aurait dû être référée à la procédure interne de l’Institut, à un processus ou une procédure externe pour étude, ce ou ces membres sont automatiquement suspendus temporairement des fonctions et des tâches liées à la charge ou au poste auquel ils ont été élus ou nommés à l’Institut. Cette suspension temporaire cesse dès que les procédures externes prennent fin, quelle qu’en soit la raison.

(2) Il est entendu qu’il est contraire à son devoir de loyauté envers l’Institut qu’un membre du Conseil d’administration ou de tout organisme décisionnaire de l’Institut, qu’il soit national, régional, local, de groupe, de sous-groupe, de chapitre, ou que tout membre nommé à un poste représentent ou participent de quelque façon au soutien d’un ou de plusieurs membres dans tous processus ou procédures externes contre l’Institut. Tout membre appartenant aux organismes décisionnaires évoqués ci-dessus ou occupant un poste auquel il a été nommé et qui représenterait un ou plusieurs membres ou participerait au soutien d’un ou de plusieurs membres dans un processus ou une procédure externes sera automatiquement réputé avoir démissionné de tous les postes auxquels il a été élu ou nommé.

[…]

24 Dans sa décision 2009 CRTFP 103, la Commission a statué que la Politique était contraire au sous-alinéa 188e)(ii) de la Loi, qui porte ce qui suit :

188. Il est interdit à l’organisation syndicale, à ses dirigeants ou représentants ainsi qu’aux autres personnes agissant pour son compte

[…]

e) de faire des distinctions illicites à l’égard d’une personne en matière d’adhésion à une organisation syndicale, d’user de menaces ou de coercition à son égard ou de lui imposer une sanction, pécuniaire ou autre, pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

[…]

(ii) elle a soit présenté une demande ou déposé une plainte sous le régime de la présente partie, soit déposé un grief sous le régime de la partie 2.

Dans ses motifs, la Commission a précisé que c’était l’enclenchement automatique de la suspension qui était problématique et que c’est cela qui faisait que la Politique contrevenait au sous-alinéa 188e)(ii) de la Loi. Sur ce point, la Commission a déclaré ce qui suit :

[…]

[115] En fin de compte, j’en déduis que c’est le fait même de présenter une demande à un organisme extérieur qui enclenche l’application de la politique et, surtout, qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait un conflit réel ou une apparence raisonnable de conflit entre l’objet de la demande et le devoir de loyauté envers l’agent négociateur. Autrement dit, le simple fait de présenter une demande ou d’être partie à une demande semble créer une présomption de conflit. Je note également que la suspension s’applique à toutes les fonctions détenues par le membre, et non pas exclusivement à celles qui occasionnent le conflit avec l’objet de la demande.

[116] J’admets que ces situations mettent parfois en jeu des intérêts personnels et philosophiques très puissants qu’il est plus simple dans ces cas-là de suspendre carrément le membre de toutes ses fonctions sans exception. Je conviens par ailleurs que ce ne sont pas des situations faciles. D’une part, l’agent négociateur a le droit de protéger ses intérêts contre le risque de préjudice. D’autre part, les dirigeants élus ou nommés, auxquels les membres ont confié d’importantes responsabilités, ont le droit de s’acquitter de leurs obligations. Parallèlement, les dirigeants élus doivent agir de façon cohérente avec leur devoir de loyauté envers l’agent négociateur. Pire encore, il arrive que le dirigeant élu interprète son mandat d’une manière qui n’est pas cohérente avec son devoir de loyauté envers l’agent négociateur ou, comme dans ce cas-ci, que l’agent négociateur et le dirigeant élu ne s’entendent pas sur la manière dont ce devoir doit être exercé.

[117] Je reconnais que tout cela est complexe, mais je suis néanmoins incapable d’admettre que, chaque fois qu’un membre élu présente une demande à un organisme extérieur, une suspension doit lui être imposée ou que la suspension doit s’appliquer à toutes les fonctions du poste en question. Un critère quelconque de proportionnalité est nécessaire, selon moi, afin de pondérer les divers facteurs en cause, de manière à ce que les intérêts légitimes de l’agent négociateur soient protégés et à ce que les actes préjudiciables d’un dirigeant élu ne nuisent pas à ces intérêts. Je ne trouve malheureusement aucun critère de ce genre dans la politique en litige et je constate que sa portée est beaucoup trop étendue. Le droit de présenter une demande sous le régime de la Loi est un droit fondamental et j’irais jusqu’à dire que la politique de l’agent négociateur ne porte pas directement atteinte à ce droit. Il n’en reste pas moins que le droit de common law de présenter une demande à la Commission (ou à un autre organisme extérieur) est un droit fondamental et qu’il m’apparaît évident que la perspective d’être suspendu d’une charge élective est une raison suffisante pour ne pas présenter une demande. Pour les motifs que j’ai exposés ci-dessus, j’estime qu’une suspension peut être justifiée dans certains cas, en raison du risque réel de préjudice pour l’agent négociateur et du devoir de loyauté du dirigeant envers l’agent négociateur. Cela dit, je ne crois pas que ce risque peut être présumé du simple fait qu’une demande est présentée à un organisme extérieur. Je suis d’avis que le fait de suspendre une personne des postes auxquels elle a été élue, pour une raison arbitraire, constitue « une sanction quelconque ».         

[…]

[136] La seconde plainte porte sur une politique de l’agent négociateur voulant que tout dirigeant élu qui dépose une plainte devant un organisme extérieur à propos d’une question de régie interne soit automatiquement suspendu des postes auxquels il a été élu jusqu’à ce que la procédure externe ait pris fin. La plaignante allègue que cette politique n’est pas conforme au sous-alinéa 188e)(ii) de la Loi.

[137] Je conclus que la politique de l’agent négociateur relative aux demandes présentées à des organismes extérieurs est généralement conforme à la politique visant à protéger les intérêts légitimes et importants de l’agent négociateur contre le risque de préjudice. J’estime par ailleurs que la portée de cette politique est trop étendue, dans la mesure où chaque demande présentée à un organisme extérieur à propos d’une question de régie interne est systématiquement considérée comme un manquement au devoir de loyauté envers l’agent négociateur. Dans ce cas-ci, la plainte déposée devant la Commission portait sur un conflit entre la plaignante et une autre membre de l’unité de négociation et un conflit à propos de la façon dont l’agent négociateur avait résolu ce premier conflit. Cette plainte n’a aucunement nui aux intérêts importants et légitimes de l’agent négociateur. 

[…]

25 Dans sa décision 2009 CRTFP 103, la Commission n’a pas ordonné que le défendeur élimine, dans toutes les circonstances, la possibilité d’imposer une suspension ou une autre mesure à l’encontre d’un membre qui présente une demande à un organisme extérieur. Les préoccupations de la Commission avaient trait plutôt à l’absence d’un mécanisme permettant de pondérer les intérêts des deux parties et d’évaluer, compte tenu des circonstances de chaque cas, la nature de la demande présentée à un organisme extérieur et la possibilité pour le membre d’accomplir ses fonctions loyalement en dépit de la demande présentée à l’organisme extérieur et sans porter atteinte aux intérêts légitimes du défendeur. La Commission a utilisé des termes généraux lorsqu’elle a ordonné que la Politique soit modifiée afin de la rendre conforme à la Loi.

26 La politique révisée renferme les dispositions suivantes :

[Traduction]

[…]

 (1)     Lorsqu’un ou plusieurs membres renvoient une affaire, qui a été ou aurait dû être référée à la procédure interne de l’Institut, à un processus ou à une instance externe aux fins d’examen, on procède comme suit :

  1. L’affaire doit être renvoyée, dès réception par l’Institut du document renvoyant l’affaire à un organisme extérieur, à un comité spécial composé du secrétaire exécutif, du conseiller général aux affaires juridiques et d’une troisième personne, avocat ou avocate d’expérience, choisie par le secrétaire exécutif et le conseiller général aux affaires juridiques.
  2. Le Comité spécial examine le document qui lui est soumis et tient compte des facteurs suivants :
    1. les postes des personnes qui déposent la plainte à un organisme extérieur, qu’elles soient élues ou nommées;
    2. la nature de la plainte déposée par cette ou ces personnes et;
    3. si la nature du poste occupé et la nature de la plainte, dans chaque cas, soulèvent des préoccupations quant à savoir si la ou les personnes qui déposent la plainte seraient en mesure de s’acquitter des fonctions de leur poste sans qu’il y ait conflit et manquement au devoir de loyauté envers l’Institut.
  3. Le Comité spécial convoque une réunion en personne ou par téléconférence pour discuter de l’affaire dans les dix (10) jours ouvrables de l’Institut à compter de la date à laquelle l’Institut a été avisé du dépôt de la plainte à un organisme extérieur par le ou les membres en question.
  4. Le Comité spécial présente une recommandation au Comité exécutif de l’Institut dès que possible mais au plus tard dix (10) jours ouvrables de l’Institut après la conclusion de la réunion mentionnée plus haut. Les recommandations doivent contenir les motifs avec les étapes à suivre par le Comité exécutif le cas échéant à l’égard de l’un ou l’autre des postes occupés par le ou les membres.
  5. Le Comité exécutif reçoit la recommandation du Comité spécial avec les autres documents à l’appui, dont la plainte à un organisme extérieur déposé par le ou les membres. Le Comité exécutif se réunit dès que possible après la réception de ces documents et au plus tard dix (10) jours ouvrables de l’Institut pour déterminer la mesure à prendre le cas échéant. Dès la réception de la recommandation du Comité spécial, le Comité exécutif informe le ou les membres de la réception du dossier et leur demande s’ils désirent ou non faire des présentations au Comité exécutif afin de déterminer si la plainte devrait ou non entraîner la prise d’une mesure par l’Institut, y compris la suspension d’un ou de tous les postes occupés par le ou les membres. Cette présentation ne doit pas faire plus de cinq (5) pages à double interligne et peut être préparée dans l’une ou l’autre des langues officielles. Il faut noter que le ou les membres ne sont pas tenus de faire une telle présentation, mais s’ils choisissent de le faire, ils doivent la remettre dans les dix (10) jours ouvrables de l’Institut suivant la date à laquelle le Comité exécutif a avisé le ou les membres de la réception du dossier.
  6. Le Comité exécutif rend une décision quant à la mesure qui sera prise et une fois la décision arrêtée, la met en œuvre sans délai.
  7. La décision du Comité exécutif, accompagnée de tous les documents à l’appui, est remise au Conseil d’administration à temps pour sa prochaine réunion régulière. Le ou les membres en question sont avisés de la décision du Comité exécutif et informés de leur droit d’en appeler de la décision rendue par le Comité exécutif au Conseil d’administration. Un tel appel doit être interjeté dans les dix (10) jours ouvrables de l’Institut suivant la réception par le ou les membres de la décision du Comité exécutif. La décision du Conseil d’administration à l’égard de l’appel est finale et exécutoire et ne peut faire l’objet d’un autre appel auprès d’un autre organisme de l’Institut.

27 Je considère qu’en adoptant l’approche décrite ci-après, qui est nettement plus nuancée que la version originale, la politique révisée répond adéquatement aux préoccupations de la Commission :

  • la suspension automatique d’un membre qui présente une demande à un organisme extérieur a été éliminée;
  • le comité exécutif et le conseil d’administration du défendeur doivent évaluer, au cas par cas, l’effet du recours à un organisme extérieur et la capacité pour le membre de remplir loyalement ses responsabilités d’agent négociateur;
  • le membre concerné a la possibilité de fournir des observations ou arguments avant que le défendeur rende sa décision définitive.

Contrairement à la version originale, le libellé de la politique révisée ne peut en soi être considéré comme contraire au sous-alinéa 188e)(ii) de la Loi. Cependant, la manière dont le défendeur appliquera la Politique aux circonstances d’un cas particulier sera toujours sujette à une détermination visant à établir si le défendeur respecte l’article 188 de la Loi. Par conséquent, je statue que le défendeur a respecté l’ordonnance de la Commission sur cette question.

28 Je tourne maintenant mon attention vers la partie de la décision 2009 CRTFP 103 qui porte sur le rétablissement de la demanderesse en tant que représentante élue du défendeur. Il n’est pas contesté que le défendeur n’a pas respecté cette partie de la décision de la Commission et qu’il n’a pas l’intention de le faire, compte tenu de sa suspension de l’adhésion de la demanderesse pendant une période de cinq ans à compter du 20 octobre 2009, ce qui empêche à la demanderesse d’occuper un quelconque poste auquel elle aurait été élue à l’Institut.

29 Cela m’amène à la deuxième question, soit celle de savoir s’il y a un motif valable selon lequel le dépôt de la décision 2009 CRTFP 103 ne serait d’aucune utilité. Lorsqu’elle applique ce critère, la Commission doit s’efforcer de s’assurer que ses décisions sont respectées, tout en déterminant si le dépôt de la décision à la Cour fédérale est utile.

30 Je me pencherai sur chacun des arguments du défendeur à cet égard. Premièrement, le défendeur a allégué que le dépôt de la décision 2009 CRTFP 103 aurait préjugé de la requête de suspension de l’exécution de la décision déposée à la Cour d’appel fédérale. Je considère que cet argument est devenu théorique étant donné que la Cour d’appel fédérale a statué sur la requête de suspension et l’a rejetée. Deuxièmement, le défendeur a allégué que le dépôt de la décision 2009 CRTFP 103 nuirait à la procédure de contrôle judiciaire de cette décision. Je ne partage pas l’avis du défendeur et j’estime qu’en rejetant la requête de suspension, la Cour d’appel fédérale a clairement indiqué qu’il n’y avait aucune raison pour laquelle la décision de la Commission ne devrait pas être exécutée en attendant le résultat de la procédure de contrôle judiciaire. La Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[4]      Selon l’affidavit de Mme Bremsak, l’Institut ne s’est pas encore conformé à l’ordonnance de la Commission, en dépit du fait qu’elle ait été rendue le 26 août 2009. La première demande de suspension de l’Institut a été déposée le 3 septembre 2009, tandis que la deuxième a été déposée le 21 septembre 2009.

[5]      Les conditions à satisfaire pour qu’une suspension puisse être accordée sont bien connues :

a) Il doit exister une question sérieuse à juger;

b) le demandeur doit démontrer qu’il subira un préjudice irréparable si la suspension n’est pas accordée;

c) une évaluation de la prépondérance des inconvénients doit favoriser le demandeur.

Voir RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général) [1994] 1 R.C.S. 311

[6]      À mon avis, il y a clairement une question sérieuse à juger en ce sens que l’application de l’article 188 de la Loi aux processus internes de l’Institut est une question qui est ni banale ni réglée d’avance. La question cruciale sur laquelle il faut se pencher est celle de savoir si l’Institut subira un préjudice irréparable s’il est obligé de se conformer à l’ordonnance de la Commission et, en particulier, s’il est obligé de réintégrer Mme Bremsak aux postes auxquels elle avait été élue ou nommée à l’origine.

[7]      Cette question a été soumise à ma collègue, la J.C.A Trudel, dans Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Veillette, 2009 CAF 256, [2009] A.C.F., no 1004, où on lui a demandé de suspendre l’exécution d’une ordonnance de la Commission réintégrant M. Veillette dans des circonstances similaires à celles en l’espèce. L’Institut a fait valoir, dans ce cas-là, qu’un préjudice irréparable serait causé parce que d’autres personnes élues ou nommées aux postes dont M. Veillette avait été suspendu seraient nécessairement obligées d’en démissionner afin de permettre la réintégration de M. Veillette. Ma collègue a rejeté cet argument, en affirmant qu’il s’agissait simplement des conséquences normales d’une ordonnance de réintégration, un redressement courant dans le domaine des relations de travail. En outre, il n’y avait aucune raison pour laquelle les droits démocratiques des personnes ayant élu les personnes remplaçant M. Veillette auraient préséance sur les droits démocratiques des personnes qui avaient élu M. Veillette à l’origine.

[8]      En l’espèce, le demandeur avance un argument différent, à savoir que le recours de Mme Bremsak à un tribunal administratif extérieur pour obtenir une mesure de réparation à l’encontre de son propre syndicat la place dans une position où elle ne peut accomplir ses fonctions sans éviter d’avoir des allégeances divisées. L’Institut affirme qu’il ne devrait pas se retrouver dans une position où Mme Bremsak peut formuler des conseils, exercer de l’influence et rendre des décisions dans des postes auxquels elle a été nommée ou élue, tout en continuant de se trouver dans une situation de conflit d’intérêts. En résumé, le principal objectif de l’Institut est d’éviter qu’un membre occupe un poste de dirigeant tout en saisissant un tribunal administratif extérieur d’une plainte visant l’Institut.

[9]     Tandis que les circonstances actuelles créent une situation inconfortable pour l’Institut, à mon avis, ce serait une exagération de dire qu’il s’agit d’un préjudice irréparable. Mme Bremsak est peut-être opposée à son syndicat dans un litige particulier mais il n’y a aucune raison de penser qu’elle ne soutient pas les buts et objectifs globaux du syndicat et est incapable de faire la distinction entre ses intérêts et ceux des membres du syndicat. Si des événements montrent que Mme Bremsak a abusé de son poste, dans ce cas-là, la procédure disciplinaire habituelle, telle que prévue dans les statuts, s’appliquerait.

[10]    Quoi qu’il en soit, la prépondérance des inconvénients favorise nettement Mme Bremsak. Durant la période qui s’est écoulée depuis sa suspension, le mandat d’un certain nombre de postes auxquels elle avait été élue a expiré. Si l’ordonnance de la Commission est suspendue jusqu’au règlement définitif de la question, tous les mandats pourraient expirer avant qu’elle ait eu la possibilité de reprendre ses fonctions, en supposant qu’elle obtienne gain de cause. À ce moment-là, il s’agirait simplement d’une question théorique du point de vue de Mme Bremsak.

[11]    Pour ce qui est de la suspension de l’ordonnance de la Commission jusqu’au règlement du cas Veillette, il y asuffisamment de différences entre les deux cas que le règlement de ce dernier cas n’aurait pas un effet déterminant sur le règlement ultime du cas examiné ici. Par conséquent, les questions du préjudice irréparable et de la prépondérance des inconvénients doivent être examinées et une fois qu’elles le seront, le résultat sera le même pour les deux requêtes.

[…]

31 J’examinerai maintenant la troisième raison avancée par le défendeur pour suggérer que le dépôt de la décision de la Commission à la Cour fédérale n’est d’aucune utilité, à savoir la suspension de l’adhésion de la demanderesse. Est-ce que la décision du défendeur de suspendre l’adhésion de la demanderesse rend inutile le dépôt de la décision 2009 CRTFP 103? Ce n’est pas mon avis et je considère que le dépôt de la décision 2009 CRTFP 103 à la Cour fédérale est utile.

32 Le défendeur affirme essentiellement qu’étant donné la suspension de l’adhésion de la demanderesse, la décision de la Commission de la rétablir dans les postes auxquels elle avait été élue n’est plus exécutable et que, par conséquent, le dépôt de la décision 2009 CRTFP 103 à la Cour fédérale n’est d’aucune utilité.

33 La réelle question soulevée par l’argument du défendeur est de savoir si la décision de la Commission peut toujours être exécutée, et à mon avis, cette question devrait être tranchée par la Cour fédérale.

34 Le Parlement, à l’article 52 de la Loi, a investi la Commission du pouvoir de déterminer si les parties se conforment à ses décisions, mais il n’a pas investi la Commission du pouvoir de forcer l’exécution d’une décision une fois qu’il a été établi que sa décision n’a pas été respectée. Le Parlement a décidé d’investir la Cour fédérale de ce pouvoir et de prévoir, à l’article 52, un mécanisme de dépôt des décisions de la Commission à la Cour fédérale. Une fois qu’une décision a été déposée à la Cour fédérale, elle est assimilée à une ordonnance rendue par la Cour et peut être exécutée à ce titre (paragraphe 52(2)). J’estime que la question de savoir si une décision de la Commission à force exécutoire est assez différente de celle de savoir si une décision a été respectée : la première question devrait être déterminée par l’organisme investi du pouvoir de trancher les questions ayant trait à l’exécution d’une ordonnance. Pour les motifs qui précède, je conclus donc que le défendeur ne m’a pas convaincue que le dépôt de la décision 2009 CRTFP 103 à la Cour fédérale ne serait d’aucune utilité.

35 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

36 Je déclare que le défendeur s’est conformé au paragraphe 144 de la décision de la Commission dans Bremsak c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 103.

37 Je déclare par ailleurs que le défendeur ne s’est pas conformé aux paragraphes 143 et 145 de la décision de la Commission dans Bremsak c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 103.

38 La Commission est tenue de déposer, à la Cour fédérale, l’ordonnance qu’elle a rendue dans Bremsak c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 103.

Le 4 décembre 2009.

Traduction de la CRTFP

Marie-Josée Bédard,
vice-présidente

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