Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), en sa qualité d’agent négociateur de l’ensemble des employés à l’Agence Parcs Canada (APC), avait présenté une demande de détermination selon laquelle une catégorie d’employés travaillant au lieu historique national du Canada de la Citadelle-d’Halifax était incluse à son unité de négociation - les employés en question étaient rémunérés par l’intermédiaire de la Halifax Citadel Regimental Association (HCRA) - depuis le 1e ravril1999, l’APC était un employeur distinct figurant à l’annexe V de la Loi sur la gestion des finances publiques - avant 1999, l’APC faisait partie de l’administration publique centrale et les nominations devaient se faire par la Commission de la fonction publique en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP) - l’AFPC a allégué qu’alors que les employés étaient rémunérés par la HCRA, l’APC conservait fondamentalement le contrôle relativement à leur emploi - l’AFPC a également renvoyé à l’arbitrage des griefs de personnes alléguant qu’elles sont ou étaient des employés de l’APC et qu’elles n’avaient pas été rémunérées conformément à l’article sur l’administration de la paye de la convention collective conclue entre l’APC et l’AFPC - l’APC a soulevé une objection à la compétence de la Commission d’entendre la demande et les griefs parce que les personnes en question ne satisfaisaient pas à la définition de fonctionnaire et n’étaient pas employées dans la fonction publique- la HCRA avait qualité d’intervenante dans le cadre de la demande et s’est également opposée à la compétence de la Commission - la Cour canadienne de l’impôt avait statué dans un cas distinct que les employés avaient occupé un emploi assurable à l’APC pendant 10 mois en 2005- la Commission a conclu que des éléments de preuve n’étaient pas nécessaires pour statuer sur l’étroite objection à la compétence et qu’il n’était pas nécessaire pour elle de faire quelconques hypothèses de fait- la décision de la Cour canadienne de l’impôt n’était pas considérée comme pertinente parce que le jugement sur consentement avait trait à la définition de <<fonctionnaire>> en vertu d’une législation autre que la LRTFP - le raisonnement suivi par la Cour suprême du Canada dans Econosult était considéré comme s’appliquant à l’APC - même si les formalités législatives entourant la nomination des employés à l’APC n’étaient pas aussi compliquées que celles contenues dans la LEFP, il fallait quand même que les exigences législatives soient respectées pour qu’une personne puisse être considérée comme un fonctionnaire - le pouvoir exclusif de procéder à une nomination appartenait au DG de l’APC - la LRTFP ne renferme pas une clause accordant à la Commission le pouvoir de trancher la question de savoir si une personne est un fonctionnaire - les griefs étaient également hors de la compétence de la Commission puisque les personnes en question n’avaient pas été nommées en conformité avec les exigences législatives - l’objection à la compétence a été accueillie. Demande et griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-12-16
  • Dossier:  547-33-13 et 566-33-2694 à 2698
  • Référence:  2009 CRTFP 176

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

L'ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

demanderesse

et

MARK ANTHONY HUBLEY, ANTHONY KILEY ET KANDRA SURETTE-AUCOIN

employés s'estimant lésés

et

AGENCE PARCS CANADA

défenderesse et employeur

et

HALIFAX CITADEL REGIMENTAL ASSOCIATION

intervenant

Répertorié
Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence Parcs Canada

Affaire concernant une demande de détermination de l’appartenance de fonctionnaires ou de catégories de fonctionnaires à une unité de négociation, tel que prévu à l’article 58 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et affaire concernant des griefs renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Ian R. Mackenzie, vice président et arbitre de grief

Pour la demanderesse et les employés s'estimant lésés:
Andrew Raven, avocat

Pour la défenderesse/l'employeur :
Caroline Engmann, avocate

Pour l'intervenant :
Noella Martin, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 19 décembre 2008, les 14 et 29 janvier, les 6 et 20 février, le 31 mars, le 30 avril et le 7 mai 2009.
(Traduction de la CRTFP)

I. Demande devant la Commission

1 L’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC ou la « demanderesse ») a déposé une demande en vertu de l’article 58 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22(LRTFP), à titre d’agent négociateur des employés de l’Agence Parcs Canada (« APC » ou la « défenderesse »). L’article 58 stipule que, sur réception d’une demande, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) se prononce sur l’appartenance de tout « […] fonctionnaire ou de toute catégorie de fonctionnaires […] » à une unité de négociation. La demanderesse veut incorporer dans l’unité de négociation la catégorie de fonctionnaires suivante : « [t]ous les employés saisonniers et à temps plein travaillant au lieu historique national de la Citadelle d'Halifax qui sont rémunérés par le Halifax Citadel Regimental Association (HCRA). » La demanderesse estime que cette catégorie comprend une dizaine d’employés.

2 La demanderesse allègue également ce qui suit :

[Traduction]

[…]

d) Même si les employés qui exécutent ce travail sont théoriquement rémunérés par le HCRA, c’est Parcs Canada qui exerce le contrôle fondamental sur leurs conditions d’emploi. Il n’existe pas de distinction significative entre le HCRA et l’Agence Parcs Canada. Les deux organismes sont pleinement intégrés et utilisent les mêmes locaux, les mêmes uniformes et le même matériel […]

[…]

3 L’APC estime que la CRTFP n’a pas compétence pour trancher la présente demande parce que les personnes en cause ne sont pas employées dans la fonction publique. L’APC soutient que le HCRA est l’employeur de ces personnes. Le HCRA, qui a obtenu le statut d’intervenant en l’espèce, invoque le même moyen que l’APC pour contester la compétence de la CRTFP.

4 Le président de la CRTFP a déterminé que la question de la compétence de la CRTFP serait tranchée à partir des arguments écrits des parties. Ces arguments ont été déposés devant la CRTFP et sont résumés plus loin dans la présente décision. Avant de soumettre leurs arguments, les parties ont résumé leurs positions dans des lettres adressées à la CRTFP et ces lettres ont également été prises en considération.

II. Griefs renvoyés à l’arbitrage

5 L’AFPC a également renvoyé cinq griefs de trois particuliers à l’arbitrage. Les employés s’estimant lésés allèguent qu’ils sont ou qu’ils étaient des employés de l’APC. Le HRCA et l’APC s’opposent à ces renvois au motif que ces employés ne sont pas des fonctionnaires au sens de la LRTFP. Subsidiairement, le HRCA s’oppose au renvoi des griefs au motif que les particuliers avaient été licenciés à la date de dépôt des griefs et au motif que les griefs sont hors délai. L’HRCA soutient également qu’aucune législation ne régit les employeurs communs et que les affaires ne satisfont pas aux critères de common law.

A. Contexte

6 La Citadelle d’Halifax est un lieu historique national situé dans le centre-ville d’Halifax.

7 Le 12 septembre 2008, la Cour canadienne de l’impôt a statué dans un jugement sur consentement (dossier no 2007-1505(AE)) que trois employés de HCRA avaient exercé un emploi assurable à l’APC du 1er janvier au 26 octobre 2005. Le défendeur dans cette cause était le ministre du Revenu.

8 L’APC est un employeur distinct créé par la Loi sur l’Agence Parcs Canada, L.C. 1998, ch. 31(LAPC), qui figure dans la liste des employeurs distincts de l’annexe V de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11 (LGFP). En mai 2001, l’AFPC a été accréditée à titre d’agent négociateur d’une unité de négociation unique composée de tous les fonctionnaires de l’APC (voir l’affaire Agence Parcs Canada c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2001 CRTFP 39).

9 Le HCRA est une société inscrite au Registre des sociétés de capitaux de la Nouvelle-Écosse. Depuis sa création en 1993, le HRCA a obtenu un certain nombre de contrats de l’APC pour fournir des services à la citadelle. Le HCRA fournit également des services ailleurs en Nouvelle-Écosse. Selon la société, le nombre d’employés du HCRA qui travaillent à la citadelle varie tout au long de l’année, dont plus d’une centaine durant la haute saison. Le 2 décembre 2008, le HCRA a indiqué que 30 de ses employés faisaient partie de l’effectif. L’AFPC fixe leur nombre approximatif à dix dans sa demande. Les personnes qui sont visées par la demande sont rémunérées par le HCRA.

10 Mark Anthony Hubley, Kandra Surette-Aucoin et Anthony Kiley ont présenté des griefs à l’APC, le 31 octobre 2008. Les cinq griefs ont été renvoyés à l’arbitrage le 9 janvier 2009. Les trois particuliers contestaient le fait qu’ils n’avaient pas été rémunérés conformément à l’article de la convention collective conclue entre l’APC et l’AFPC qui traite de l’administration de la rémunération. Les griefs contenaient tous la déclaration suivante : « [traduction] Bien que j’aie été rémunéré par une tierce partie, j’ai toujours été un employé de Parcs Canada. » M. Hubley indiquait dans son grief qu’il avait été employé d’avril 1992 à décembre 2006. M. Kiley indiquait qu’il avait été employé de 1997 à mai 2006 et Mme Surette-Aucoin indiquait qu’elle avait été employée de 1997 à septembre 2007. Mme Surette-Aucoin et M. Kiley alléguaient l’un et l’autre dans leurs griefs qu’ils avaient été licenciés pour des motifs disciplinaires. M. Kiley indiquait qu’il avait été licencié le 29 mai 2006 et Mme Surette-Aucoin indiquait qu’elle avait été licenciée en septembre 2007. Ils prétendaient tous les deux avoir été licenciés pour activisme syndical.

B. Question de compétence à trancher

11 La CRTFP a-t-elle compétence pour déterminer si une personne qui n’est pas nommée par l’APC est un employé? Autrement dit, le jugement rendu par la Cour suprême dans Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614 (généralement appelée la cause Econosult), s’applique-t-il à l’APC à titre d’employeur distinct?

12 Les employés s’estimant lésés sont-ils des « fonctionnaires » au sens de la LRTFP?

C. Dispositions législatives applicables

13 La LAPC établit l’autorité de l’APC en matière de nominations et de ressources humaines. La LAPC définit le terme « employé » comme suit : « […] Employé nommé en vertu du paragraphe 13(1). » L’article 13 est libellé comme suit :

[…]

13. (1) Le directeur général a le pouvoir exclusif :

a) de nommer, mettre en disponibilité ou licencier les employés de l’Agence;

b) d’élaborer des normes, procédures et méthodes régissant la dotation en personnel, notamment la nomination, la mise en disponibilité ou le licenciement autre que celui qui est motivé.

(2) La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique n’a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l’autorité du directeur général de régir les questions visées à l’alinéa  (1)b).

(3) […]le directeur général peut :

a) déterminer l’organisation de l’Agence et la classification des postes au sein de celle-ci;

b) fixer les conditions d’emploi — y compris en ce qui concerne le licenciement motivé — des employés ainsi que leur assigner des tâches;

c) réglementer les autres questions dans la mesure où il l’estime nécessaire pour la bonne gestion des ressources humaines de l’Agence.

[…]

14 Les termes « fonctionnaire », « organisation syndicale » et « employeur » sont définis comme suit au paragraphe 2(1) de la LRTFP :

[…]

« fonctionnaire » […] personne employée dans la fonction publique […]

[…]

« organisation syndicale » Organisation regroupant des fonctionnaires en vue, notamment, de la réglementation des relations entre les fonctionnaires et leur employeur pour l’application des parties 1 et 2; s’entend en outre, sauf indication contraire du contexte, de tout regroupement d’organisations syndicales.

 « employeur » Sa Majesté du chef du Canada, représentée :

a) par le Conseil du Trésor, dans le cas d’un ministère figurant à l’annexe I de la Loi sur la gestion des finances publiques ou d’un autre secteur de l’administration publique fédérale figurant à l’annexe IV de cette loi;

b) par l’organisme distinct en cause, dans le cas d’un secteur de l’administration publique fédérale figurant à l’annexe V de la Loi sur la gestion des finances publiques.

[…]

III. Résumé de l’argumentation

A. Arguments de l’APC

15 La CRTFP n’a pas compétence pour trancher la demande et les griefs parce que les personnes en cause ne sont pas des « fonctionnaires » au sens de la LRTFP. La Cour suprême a établi, dans l’arrêt Econosult, qu’une personne ne peut être un fonctionnaire fédéral sans qu’un poste soit créé, et sans qu’une nomination soit faite. Chaque nomination dans la fonction publique doit être faite conformément à un pouvoir délégué de dotation — une personne ne peut être nommée par inférence ou par erreur. Les personnes visées par la présente demande n’ont pas été nommées sous le régime d’une loi pertinente. La conclusion qui en découle est que ce ne sont pas des « fonctionnaires » au sens de la LRTFP et que la CRTFP n’a pas compétence pour trancher la demande et les griefs.

16 Les employés du HCRA visés par la demande et par les griefs n’ont pas été nommés à l’APC conformément au paragraphe 13(1) de la LAPC; ce ne sont donc pas des « fonctionnaires » au sens du paragraphe 2(1) et de l’article 58 de la LRTFP.

17 L’AFPC cherche essentiellement à obtenir une « déclaration d’employeur commun », un recours qui ne lui est pas ouvert sous le régime de la LRTFP et une demande qui déborde le cadre de l’article 58. De plus, l’AFPC ne remplit pas les conditions préalables nécessaires suivantes pour que la CRTFP tranche la demande ou les griefs : la demande et les griefs n’ont pas été présentés et déposés relativement à un « fonctionnaire » ou à une « catégorie de fonctionnaires » au sens de la LRTFP.

18 La CRTFP est un tribunal établi par une loi et sa compétence doit lui être conférée par la loi. La CRTFP a compétence seulement si une demande lui est présentée relativement à un fonctionnaire ou à une catégorie de fonctionnaires au sens de la LRTFP. De même, la compétence de l’arbitre de grief pour trancher des griefs déposés sous le régime de la LRTFP ne vaut que si les griefs sont renvoyés à l’arbitrage par un fonctionnaire, au sens où ce terme est défini dans la LRTFP.

19 Dans le cas qui nous occupe, la demande a été présentée par des personnes qui sont employées par le HCRA. Or le HCRA n’est pas un employeur au sens de la LRTFP; il s’ensuit que ses employés ne sont pas assujettis au régime de relations de travail établi par la LRTFP et qu’ils ne sont pas des « fonctionnaires » au sens du paragraphe 2(1). Par conséquent, ni la CRTFP ni l’arbitre de grief n’a compétence pour trancher la demande et les griefs renvoyés à l’arbitrage.

20 De plus, la LAPC confère à l’APC le pouvoir exclusif de doter ses postes. Sauf disposition contraire du paragraphe 13(1) de la LAPC, aucune autre loi fédérale n’autorise la nomination de personnes à l’APC. Le directeur général (DG) de l’APC a le pouvoir exclusif de faire des nominations. En conférant ce pouvoir à l’APC, le législateur cherchait à éviter la création d’une relation employeur-employé en dehors de l’exercice d’une autorité valide en vertu de la LAPC.

21 La CRTFP doit également tenir compte de la situation qui existait avant le 1er avril 1999 (avant l’entrée en vigueur de la LAPC), surtout dans le cas des griefs. Aux termes du régime qui existait à ce moment-là, une personne devait avoir été nommée par la Commission de la fonction publique (CFP) en vertu de la loi qui s’appliquait avant l’entrée en vigueur de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (LEFP). Or aucun des employés s’estimant lésés n’a été nommé par la CFP.

22 Depuis le 1er avril 1999, le terme « employé » désigne une personne nommée par le DG en vertu du paragraphe 13(1) de la LAPC. Avant le 1er avril 1999, la nomination devait avoir été faite par la CFP en vertu de l’ancienne LEFP. Les employés du HCRA n’ont pas été nommés par la CFP (avant le 1er avril 1999), ni par le DG de l’APC (après le 1er avril 1999), de sorte que ce ne sont pas des fonctionnaires au sens de la LRTFP.

23 L’approche interprétative qu’il faut appliquer est celle décrite par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Rizzo and Rizzo Shoes, [1998], 1 R.C.S. 27 : « [Il] faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. » Dans l’arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, la Cour suprême du Canada insiste sur l’importance de tenir compte du contexte pour interpréter les termes de la loi.

24 Il faut attribuer au terme « fonctionnaire » à l’article 58 de la LRTFP un sens qui s’harmonise avec la définition qu’en donne la Loi, en l’occurrence « […] une personne employée dans la fonction publique […] ». De même, il faut attribuer au terme « fonctionnaire » aux articles 208 et 209 un sens qui s’harmonise avec la définition contenue au paragraphe 206(1) et, partant, au paragraphe 2(1).

25 La décision de la Cour suprême du Canada dans la cause Econosult s’applique indéniablement à la présente demande. Les principes établis dans cette cause valent également pour la LAPC. Les dispositions pertinentes de la LEFP et de la LAPC doivent être interprétées de manière analogue (in pari materia). Suivant ce principe d’interprétation des lois, les lois qui portent sur le même sujet doivent être comprises, interprétées et appliquées de la même manière. La LAPC porte essentiellement sur le même sujet que la LEFP, si bien qu’elle doit être examinée dans la même optique. Dans l’ouvrage intitulé Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e édition, Ruth Sullivan énonce ce principe comme suit, à la page 324 :

[Traduction]

[…]

[…] les lois édictées par un organe législatif qui traitent du même sujet sont réputées avoir été rédigées en tenant compte l’une de l’autre, de manière à offrir un traitement cohérent et uniforme du sujet […]

[…]

26 Il est de jurisprudence constante que, dans le contexte de l’administration publique fédérale, une personne peut être un « fonctionnaire » à une fin particulière mais pas à une autre. Au vu de l’ensemble complexe de lois qui régissent l’emploi dans l’administration publique fédérale, « fonctionnaire » est un terme défini. C’est ce terme défini qui doit être interprété et situé dans le contexte législatif qui lui est propre conformément aux principes d’interprétation des lois décrits plus tôt dans la présente décision.

27 Le terme « employé » est défini sans ambiguïté dans la LRTFP et la LAPC respectivement. Il n’est donc pas nécessaire de se livrer à une analyse de common law.

28 La Cour suprême du Canada a conclu que le législateur n’avait pas conféré compétence (voir l’arrêt Econosult) à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) pour statuer sur les relations de travail des employés qui ne font pas partie de la fonction publique. Il est désormais bien établi en droit que pour être considérée comme un fonctionnaire, une personne doit d’abord avoir été « nomm[ée] » à un poste en vertu de la loi pertinente. Ce principe s’applique dans ce cas-ci, puisque la loi habilitante de l’APC utilise expressément le terme « nomination ». Du reste, la Cour suprême du Canada a clairement indiqué que le critère élaboré en common law ne pouvait pas être utilisé pour déterminer le statut professionnel d’une personne lorsque la loi définit expressément le terme « employé ». Dans ce cas-ci, la LAPC et la LRTFP contiennent l’une et l’autre des définitions explicites des termes « employé ».

29 Dans l’arrêt Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 6, la Cour d’appel fédérale a confirmé que l’obligation d’être nommé est une exigence préalable de la loi qui ne peut être contournée ou remplacée par la décision d’un tribunal. On a également signalé à mon attention l’arrêt Syndicat général du cinéma et de la télévision c. Canada (Office national du film-ONF), [1992] A.C.F. no 125 (QL) (« SGCT no 2 »).

30 Dans ses arguments écrits antérieurs, l’AFPC fait référence à la décision de la Cour fédérale dans la cause Syndicat général du cinéma et de la télévision c. Canada (Office national du film) [1978], 1 C.F. 346 (C.A.) (« SGCT no 1 ») pour m’exhorter à appliquer les critères de common law. Il se trouve que cette approche a été explicitement rejetée par la Cour suprême, dans l’arrêt Econosult, ainsi que par la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt SGCT no 2.

31 Les causes suivantes ont également été signalées à mon attention : Farrell c. Canada, 2002 CFPI 1271; Panagopoulos c. Canada, [1990] A.C.F. no 234 (QL); Gariépy c. Canada [1996] A.C.F. no 191 (QL), (confirmée dans [1998] A.C.F. no 698 (QL)); Association professionnelle des agents du service extérieur c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2001 CRTFP 132 (confirmée dans 2003 CAF 162) (APASE); et Rostrust Investments Inc. c. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 4266-05, Alliance de la Fonction publique du Canada et Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2005 CRTFP 1.

32 Dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision Estwick et Quintilio c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada) 2006 CRTFP 14 (confirmée par 2007 CF 894), la Cour fédérale a conclu que la décision de l’Agence de revenu du Canada (ARC) établissant que les demanderesses étaient des personnes employées dans la fonction publique au sens de la LEFP n’avait pas d’incidence sur la détermination de leur statut professionnel en vertu de cette loi et ne remplaçait pas l’obligation d’une nomination en bonne et due forme. Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général), la Cour d’appel fédérale a confirmé que le terme « employé » pouvait revêtir des sens différents à des fins différentes dans le contexte d’un emploi dans l’administration publique fédérale. L’obligation d’être nommé en vertu du paragraphe 13(1) de la LAPC pour obtenir le statut de fonctionnaire ne peut pas être contournée ni remplacée par une analyse de common law.

33 Le jugement sur consentement de la Cour de l’impôt ne s’applique pas et n’a pas de valeur probante dans ce cas-ci. Il s’ensuit que les personnes réputées être des employés aux fins du Régime de pensions du Canada et du régime d’assurance-emploi (a.-e.) ne deviennent pas des employés à toutes les fins. L’APC et le HCRA n’étaient pas parties à la cause devant la Cour de l’impôt ni au jugement sur consentement. Ce jugement porte sur une période particulière (dix mois en 2005), alors que la présente demande porte sur le présent et sur le futur. De plus, le jugement sur consentement ne visait que trois personnes, alors que la présente demande vise toutes les personnes employées par le HCRA.

34 En conclusion, l’APC avance que la CRTFP doit refuser d’exercer sa compétence pour trancher la demande et les griefs renvoyés à l’arbitrage.

B. Arguments du HCRA

35 La CRTFP n’a pas compétence pour instruire et trancher la demande, pour les raisons suivantes :

  • Les personnes en cause ne sont pas des fonctionnaires et le HCRA n’est pas un employeur au sens de la LRTFP.
  • La décision de la Cour suprême dans la cause Econosult explique comment la définition d’« employé » contenue dans la LRTFP doit être interprétée; or, les employés en cause dans ce cas-ci ne répondent pas à cette définition.
  • Le législateur a confirmé les définitions des termes « employé » et « employeur » contenues dans les modifications apportées à la législation sur les relations de travail en 2005.

36 À l’article 2 de la LRTFP, l’« employeur » est défini comme « […] Sa Majesté du chef du Canada […] », représentée par le Conseil du Trésor ou par l’organisme distinct figurant à l’annexe V de la LGFP. Cela signifie que le HCRA n’est pas un employeur au sens de la LRTFP.

37 Les employés du HCRA ne répondent pas à la définition d’« employé » contenue dans la LRTFP, c’est-à-dire que ce ne sont pas « […] [des] personne[s] employée[s] dans la fonction publique […] ». Puisque le HCRA ne fait pas partie de la fonction publique, ses employés ne sont pas « employ[és] dans la fonction publique ». Du reste, comme l’APC l’indique dans ses arguments, aucun des employés n’a pas été nommé dans la fonction publique.

38 Les employés du HCRA ne peuvent pas non plus être considérés comme des employés de l’APC par l’application d’un critère de common law. La CRTFP doit s’en tenir au sens ordinaire des définitions contenues dans la LRTFP et ne peut appliquer des principes de common law.

39 L’arrêt Econosult établit qu’une personne doit être nommée dans la fonction publique pour être considérée comme un « employé » au sens de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35(l’ancienne LRTFP). Le jugement confirme également que la CRTFP doit appliquer la définition de « fonctionnaire » contenue dans la loi et qu’elle ne peut pas recourir à une analyse de common law du terme « employé » ou « employeur ».

40 La Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a apporté de nombreux changements au régime fédéral de relations de travail. Cela n’a toutefois rien changé au fait qu’une personne doit être nommée à un poste de Sa Majesté pour être considérée comme un fonctionnaire. La nouvelle loi n’a pas modifié l’analyse contenue dans Econosult. Les définitions d’« employé » et d’« employeur » sont demeurées inchangées, ce qui confirme l’intention manifeste du législateur de conférer le statut d’« employé » aux personnes qui sont nommées dans la fonction publique.

C. Arguments écrits de l’AFPC

41 L’AFPC ne cherche pas à obtenir une déclaration d’employeur commun, malgré ce que prétend l’APC. L’AFPC estime que les employés en question sont des employés de l’APC à part entière.

42 L’APC renvoie à des précédents basés sur des lois dont l’une, la LEFP, confère à une tierce partie, en l’occurrence la CFP, le pouvoir exclusif de nommer (embaucher) des personnes dans la fonction publique. Cet ensemble de lois s’applique uniquement aux fonctionnaires et aux employeurs définis dans la LEFP, c’est-à-dire le Conseil du Trésor et les organismes distincts pour le compte desquels la CFP est habilitée à titre exclusif à faire des nominations. L’APC n’est pas assujettie à cet ensemble de lois. La LAPC confère le pouvoir de faire des nominations au DG et l’autorité administrative de recruter du personnel à la direction de l’APC. La LAPC n’établit aucun processus exprès de dotation, aucun organisme indépendant de dotation, ni aucune étape, formalité ou condition préalable particulière pour faire des nominations. Cela signifie qu’il n’est pas nécessaire d’avoir participé à un processus particulier de recrutement ou de posséder un acte de nomination exprès pour être considéré comme un employé de l’APC en vertu de la LAPC.

43 Cela étant, le statut professionnel des employés s’estimant lésés et la compétence de la CRTFP pour trancher la demande et les griefs ne sont pas tributaires de l’existence d’actes de nomination officiels dûment signés par le DG de l’APC. En fait, les pratiques d’embauche de l’ARC sont incompatibles avec cette exigence. Il s’ensuit que la CRTFP doit appliquer les principes législatifs régissant la détermination du statut professionnel et examiner la preuve factuelle applicable, comme cela a toujours été la règle dans des cas de ce genre. Sa compétence pour procéder de la sorte a été confirmée par la Cour d’appel fédérale et par la Cour suprême du Canada.

44 Dans presque toutes les causes sur lesquelles l’APC s’appuie, des preuves ont été présentées au tribunal pour établir les « faits attributifs de compétence » nécessaires. Étant donné que les questions en litige dans ce cas-ci seront tranchées à partir des arguments écrits des parties, la CRTFP doit tenir les faits avancés par la demanderesse pour avérés.

45 La présente demande concerne des employés qui sont embauchés pour travailler à l’APC au lieu historique national de la Citadelle d’Halifax, mais qui sont rémunérés par le HCRA. Les trois personnes dont les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage ont été employées de cette manière. Ils soutiennent qu’ils ont été licenciés pour avoir fait valoir des droits qui leur sont reconnus par la convention collective à titre d’employés de l’APC. Même s’ils étaient rémunérés individuellement par le HCRA, les fonds servant à payer leurs salaires étaient fournis par l’APC. Il est reconnu que les employés s’estimant lésés ont été embauchés pour exécuter des tâches pour l’APC dans le cadre d’une entente entre l’APC et le HCRA. Du reste, chaque aspect de leur emploi était contrôlé directement par l’APC : ils étaient supervisés par un gestionnaire de l’APC, ils utilisaient le matériel de l’APC et ils étaient obligés de porter l’uniforme de l’APC. Les employés travaillaient dans la section des services aux visiteurs, un secteur de l’administration d’un lieu historique national où travaillent généralement d’autres employés de l’APC. En 2005, les employés s’estimant lésés ont demandé à l’ARC de déterminer quel était leur véritable employeur en vertu de la loi. L’affaire a abouti devant la Cour de l’impôt, qui a confirmé qu’ils étaient des employés de l’APC.

46 Même si la structure du lieu historique national de la Citadelle de Halifax a quelque peu changé depuis que les employés s’estimant lésés ont été licenciés, l’AFPC soutient que toutes les personnes qui sont actuellement rémunérées par le HCRA sont des employés de l’APC et qu’il y a donc lieu de les intégrer dans l’unité de négociation accréditée par la CRTFP.

47 Les faits essentiels de la présente affaire doivent être établis de la manière habituelle, c’est-à-dire par la présentation de preuves à la CRTFP dans le cadre d’une audience. Cependant, aux fins de statuer sur l’exception déclinatoire de compétence, et au vu du fait que la présente affaire sera tranchée à partir des arguments écrits des parties, les faits allégués dans ce cas-ci doivent être tenus pour avérés; voir Addison & Leyen Ltd. c. Canada, 2006 CAF 107, au paragr. 6, contrôle judiciaire pour d’autres motifs dans l’arrêt Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33.

48 L’APC soutient que les employés en question n’ont pas été nommés en vertu de l’article 13 de la LAPC et présente cela comme un « fait substantiel non contesté ».La défenderesse et l’intervenant soutiennent que les personnes en cause sont ou étaient des employés du HCRA. Comme il a été indiqué précédemment dans la présente décision, l’AFPC est totalement en désaccord avec cette position. Au regard des faits et du droit, les employés en question ont été nommés en vertu du pouvoir général conféré par l’article 13 de la LAPC. Dans la mesure où la défenderesse soutient le contraire, les faits allégués doivent être établis dans le cadre d’une audience. Les points à trancher ne sont pas uniquement des questions de fait, mais des questions à la fois de droit et de fait. Avant d’établir qu’il y a eu une « nomination », la CRTFP doit déterminer quels sont les paramètres juridiques d’une nomination en vertu de l’article 13 de la LAPC. La CRTFP doit tirer des conclusions de fait sur la manière dont les employés en question ont été embauchés et appliquer ensuite ces conclusions aux paramètres juridiques d’une « nomination » en vertu de l’article 13.

49 Cette analyse révélera qu’il n’y a pas d’acte officiel ou de processus cohérent de nomination duquel les employés ont été exclus. Quoi qu’il en soit, l’examen du cadre législatif et des interprétations judiciaires applicables établissent clairement que pour que la CRTFP soit dénantie de sa compétence, il faut que la LAPC ou une autre loi pertinente contienne une disposition expresse en ce sens. Comme ce n’est pas le cas, la CRTFP conserve sa compétence pour appliquer les principes juridiques pertinents à la preuve et pour déterminer si les employés en question sont des employés de l’APC.

50 L’un des critères préliminaires qui s’appliquent nécessairement pour établir si la CRTFP a compétence pour trancher des demandes ou des griefs en vertu des articles 58 et 209 de la LRTFP est celui qui consiste à déterminer si les employés en question répondent à la définition de « fonctionnaire » contenue à l’article 2. À ce propos, il est intéressant de noter que la LRTFP définit le terme « employé » par renvoi explicite à l’employeur, comme en témoignent les définitions suivantes :

[…]

« fonctionnaire » Sauf à la partie 2, personne employée dans la fonction publique, à l’exclusion de toute personne :

[exclusion omise]

[…]

« fonction publique » Sauf à la partie 3, l’ensemble des postes qui sont compris dans les entités ci-après ou qui en relèvent :

a)       les ministères figurant à l’annexe I de la Loi sur la gestion des finances publiques;

b)       les autres secteurs de l’administration publique fédérale figurant à l’annexe IV de cette loi;

c)       les organismes distincts figurant à l’annexe V de la même loi.

[…]

51 L’APC est un organisme distinct figurant à l’annexe V de la LGFP. En vertu de la LEFP, la CFP a le pouvoir exclusif de faire des nominations dans la fonction publique, sauf si une autre loi fédérale accorde ce pouvoir à un autre organisme (voir la définition d’« employé » à l’article 2 et voir aussi l’article 29 de la LEFP). La LEFP décrit expressément les conditions préalables qui régissent les nominations dans la fonction publique relevant de l’autorité de la CFP. La plus importante de ces conditions est bien sûr la désignation de la CFP comme organisme indépendant habilité à faire les nominations, mais il y a aussi d’autres formalités qui sont expressément imposées, telles que l’obligation pour toutes les personnes nommées de prêter serment ou de faire une affirmation solennelle. On retrouve des dispositions similaires dans la loi habilitante de quelques organismes distincts (voir notamment la Loi sur la statistique, L.R.C. 1985, ch. S-19, art. 6; et la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. 1985, ch. C-23, art. 10).

52 L’article 13 de la LAPC indique expressément que le DG de l’APC a le pouvoir de nommer les employés de l’APC. Cela signifie que la LEFP ne s’applique pas aux activités d’embauche de l’APC et que la CFP n’exerce aucune autorité à cet égard. L’article 13 de la LAPC confirme l’intention du législateur de conférer le pouvoir d’embaucher du personnel exclusivement à la direction de l’APC. En conséquence, le régime juridique régissant les nominations et l’avancement à l’APC est foncièrement différent de celui qui est en place dans les ministères composant l’administration publique centrale. À la différence du processus de nomination établi par la LEFP, les pratiques d’embauche de l’APC relèvent de l’autorité générale du DG en vertu de l’article 13 de la LAPC, ce qui ouvre nécessairement la voie à l’application des critères de common law.

53 Il est établi en droit que l’existence d’un contrat d’entreprise ou d’une relation employeur-employé n’est pas déterminée en fonction de la « forme » du contrat ou du mode de rémunération. Un certain nombre de facteurs et de critères ont été énoncés dans la jurisprudence de common law pour aider les tribunaux à déterminer si une personne est un « employé » ou un entrepreneur indépendant ou à déterminer l’identité du véritable employeur en droit; voir Pointe-Claire (Ville) c. Québec (Tribunal du travail), [1997] 1 R.C.S. 1015; 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, aux paragr. 34 à 48; et Wiebe Door Services Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [1986] 3 C.F. 553 (C.A.), aux paragr. 2 à 18.Même si ces critères sont souvent utilisés dans des causes de common law telles que des affaires de congédiement injuste et de responsabilité du fait d’autrui, on s’en sert aussi fréquemment pour déterminer l’identité du « véritable » employeur aux fins de la loi; voir Pointe-Claire, aux paragr. 34 à 36; la décision Alliance de la Fonction publique du Canada c. Monnaie royale canadienne, [2003] CCRI no 229, aux paragr. 13 à 15, et Wiebe Door Services Ltd., aux paragr. 2 à 18.

54 Dans Econosult, la majorité de la Cour suprême du Canada a conclu que, dans l’administration publique centrale, le régime d’embauche défini par la LEFP avait préséance sur l’application des critères de common law. La défenderesse renvoie à Econosult au soutien de sa position que l’article 13 de la LAPC a pareillement préséance sur l’application des critères. Or, Econosult reconnaît sans réserves que, dans des situations comme celle-ci, la CRTFP a amplement le pouvoir d’appliquer les critères de common law pour déterminer le statut d’emploi des personnes en vertu de sa loi habilitante. Cette exception est bien admise par la jurisprudence et les articles de doctrine; voir Econosult; SGCT no 1; Catlos c. le Conseil du Trésor (Statistique Canada), dossier de la CRTFP 166-02-27473 et 149-02-162 (19980707)) (« Catlos »); l’ouvrage de Renée Caron intitulé Employment in the Federal Public Service (Aurora : Canada Law Book, 2006), aux paragraphes 2:20 à 2:120 et 7:320 à 7:360; et l’ouvrage de Christopher Rootham intitulé Labour and Employment Law in the Federal Public Service (Toronto : Irwin Law, 2007), aux pages 63 à 68.

55 Dans Econosult, la majorité de la Cour suprême du Canada a analysé la définition du terme « employé », ainsi que le sens des mots « personne employée dans la Fonction publique » et en est arrivée à la conclusion qu’aux termes de l’ancienne LRTFP, le statut d’employé de la fonction publique était régi par l’interaction des trois lois suivantes : l’ancienne LRTFP, la LGFP et la LEFP. La majorité a conclu qu’il n’y avait pas de place dans cette construction juridique pour un fonctionnaire « […] sans poste créé par le Conseil du Trésor, et sans nomination faite par la Commission de la fonction publique. » Le raisonnement qui sous-tend cette conclusion est basé sur les conditions préalables contenues dans la LEFP, conditions que l’ancienne CRTFP ne pouvait pas écarter pour appliquer l’ancienne LRTFP.

56 L’embauche des employés de l’APC n’est pas assujettie aux conditions préalables contenues dans la LEFP et les postes de l’APC ne sont pas créés par le Conseil du Trésor. L’APC est un employeur distinct et la nomination de ses employés est régie exclusivement par la LAPC. Le législateur a décidé de ne pas incorporer la LEFP par renvoi en ce qui concerne les nominations ou de ne pas fixer de conditions préalables ou de formalités de nomination analogues dans la LAPC qui auraient pu empêcher l’application des critères de common law pour déterminer le statut professionnel. En fait, la liberté d’action dont jouit l’APC par rapport à l’administration publique centrale constitue un élément essentiel de son statut d’« employeur distinct ».

57 Les employés de l’APC continuent d’être employés dans la fonction publique au sens de la LRTFP, sauf qu’ils ne possèdent ni acte de nomination officiel ni aucune autre attestation exigée par la loi pour établir qu’ils sont employés dans un secteur de l’administration publique fédérale indiqué à l’article 2 de la LRTFP. C’est pour cette raison qu’il est nécessaire et justifié d’appliquer les critères de common law pour trancher les litiges à propos du statut professionnel. Dans Econosult, la Cour suprême du Canada a résolu un problème identique en adoptant le raisonnement de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt SGCT no 1. Cette cause portait sur des personnes qui avaient été embauchées comme entrepreneurs indépendants par l’Office national du film en vertu de trois dispositions de la Loi sur le cinéma, L.R.C. 1985, ch. N-8 (LC). L’ancienne CRTFPavait rejeté la demande de l’agent négociateur visant à intégrer ces personnes dans l’unité de négociation, au motif qu’elles ne pouvaient pas être considérées comme des « employés » au sens de l’ancienne LRTFP. La Cour d’appel fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire de l’agent négociateur après avoir conclu qu’un grand nombre des personnes en cause avaient été embauchées en vertu d’une disposition de la LC qui ne contenait aucune formalité (au paragraphe 14) :

[…]

Une personne considérée comme un employé de l'Office selon les critères généraux permettant de distinguer un employé d'un entrepreneur indépendant, doit être réputée, à mon avis, occuper une poste au sens de l'article 14.  L'emploi d'une personne dans un poste autre qu'un poste continu n'est soumis à aucune formalité spéciale […] nonobstant la forme que revêt un tel contrat, il peut être établi, dans un cas particulier et à la lumière de toutes les circonstances, qu'il s'agit effectivement d'un emploi […]

[…]

58 La cause SGCT no 1 a été renvoyée de nouveau devant l’ancienne CRTFP, qui a appliqué les critères de common law pour déterminer le statut professionnel des personnes en cause. La majorité a conclu qu’un grand nombre d’entre elles étaient des fonctionnaires de fait et qu’elles devaient être intégrée dans les unités de négociation; voir Le Syndicat général du cinéma et de la télévision c. Canada (Office national du film) (Catégorie technique), dossier de la CRTFP 143-08-160 (19790117).

59 Dans Econosult, la Cour suprême du Canada a accepté d’emblée la conclusion essentielle de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt SGCT no 1. Il convient de noter que contrairement à la CFP, l’autorité habilitée à faire les nominations, dans SGCT no 1, n’était pas un organisme distinct de l’employeur. En l’absence de formalités législatives expresses, la Cour suprême du Canada a approuvé le processus décrit dans l’arrêt SGCT no 1 et la conclusion selon laquelle les personnes concernées étaient des employés. Renée Caron attire également l’attention sur cette distinction dans son ouvrage intitulé Employment in the Federal Public Service (aux paragraphes 7:320 à 7:360) :

[Traduction]

[…]

Cette décision [Econosult] établit clairement le principe que l’employé d’un sous-entrepreneur ne peut pas être un employé de fait dans les secteurs de l’administration publique pour le compte desquels la Commission de la fonction publique a le pouvoir exclusif de faire des nominations. Il s’ensuit que ces personnes ne peuvent pas être autorisées à déposer des griefs en vertu de l’article 208 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

La situation est différente dans les secteurs de l’administration publique qui ne relèvent pas de la compétence de la Commission de la fonction publique (c.-à-d. la plupart des organismes distincts).

[…]

Donc, la question de savoir si une personne peut être l’employé de fait d’un organisme distinct doit être analysée au regard de la loi habilitante de cet organisme. Lorsque cette loi impose peu de formalités, voir aucunes, pour embaucher du personnel, on serait fondé à conclure à l’existence de relations d’emploi de fait. Dans ces cas-là, les employés pourraient avoir accès à la procédure de règlement des griefs prévue par la Loi.

[Je souligne]

[…]

60 Les employés en cause ici sont exactement dans la même situation que les employés qui n’occupaient pas un emploi continu dans SGCT no 1. L’article 15 de la LC et l’article 13 de la LAPC confèrent l’un et l’autre à l’employeur le pouvoir d’embaucher des personnes et d’établir leurs conditions d’emploi. Aucune des deux dispositions ne fixe de conditions préalables ou de formalités de nomination expresses. Les formalités prévues par la loi doivent être très clairement définies pour établir l’existence du « fonctionnaire nommé en vertu de la loi » auquel fait allusion Econosult et pour écarter l’application de l’analyse de common law. Dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision Estwick et Quintilio, la Cour fédérale a conclu que, peu importe si les processus prévus par la LEFP avaient été appliqués en substance, toute nomination à un poste dans l’administration publique centrale doit se faire par « […] un acte de nomination en règle […] » :

[…]

[86]    Je souscris à l’argument du défendeur selon lequel il n’a pas été établi que les postes attribués aux demanderesses ont été créés et définis conformément à la LEFP, à la jurisprudence applicable et aux formes prévues pour une nomination à un poste de la fonction publique.

[Je souligne]

[…]

61 L’affaire SGCT no 1 n’est pas la seule cause dans laquelle l’ancienne CRTFPa conclu que les arbitres de griefs étaient habilités à appliquer l’analyse de common law pour déterminer si des personnes sont des fonctionnaires dans des situations analogues à celle-ci. Dans l’affaire Catlos, l’arbitre de grief procède à une analyse de Econosult dans un contexte similaire à celui-ci (aux paragr. 47 à 51) :

[…]

La Cour suprême du Canada faisait allusion, dans l’arrêt Econosult (précité), à la majorité de l’administration publique fédérale quand elle a affirmé qu’une personne ne pouvait pas être un « employé » aux termes de la LRTFP à moins d’avoir été nommée en vertu des dispositions de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP). L’article 8 de cette Loi admet expressément la possibilité de nominations aux termes d’autres lois lorsqu’il est précisé que la Commission de la fonction publique « a compétence exclusive pour nommer à des postes de la fonction publique des personnes, en faisant partie ou non, dont la nomination n’est régie par aucune autre loi fédérale ».

Le pouvoir dévolu à de nombreux employeurs distincts de nommer des employés se trouve dans leur loi constitutive respective. Le Conseil national de recherches du Canada est un exemple d’employeur distinct.

Par conséquent, l’argument de l’avocat de l’employeur selon lequel le fonctionnaire ne peut pas être un « fonctionnaire » aux termes de la LRTFP parce qu’il n’a pas été nommé en vertu de la LEFP ne tient pas. Cela est particulièrement vrai à la lumière du décret DORS/87-644 qui a ajouté un nouvel employeur distinct à la partie II de l’annexe I de la LRTFP : Opérations des enquêtes statistiques […]

Je dois donc trancher deux questions : en premier lieu, le fonctionnaire s’estimant lésé est-il un employé en common law par opposition à un entrepreneur indépendant? Je ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve pour trancher cette question […]

En second lieu, si le fonctionnaire s’estimant lésé est un fonctionnaire aux termes de la LRTFP, qui est alors son employeur? […]

[…]

[Je souligne]

62 Dans ce cas-ci, il est acquis au débat que les personnes en cause sont des « employés » et non pas des « entrepreneurs indépendants ». Seul le second volet de l’analyse décrit dans Catlos est nécessaire ici, c’est-à-dire qu’il faut déterminer l’identité juridique du véritable employeur aux fins du régime des relations de travail établi par la LRTFP. Pour ce faire, il faut appliquer le critère énoncé par la Cour suprême dans Pointe-Claire. Cette cause porte expressément sur la façon de procéder pour déterminer l’identité du véritable employeur aux fins des relations de travail dans les cas où les employés sont théoriquement rémunérés par un tierce partie. La Cour suprême a dressé une liste non exhaustive des éléments dont il faut tenir compte pour déterminer l’identité du véritable employeur aux fins des relations de travail :

[…]

48.[…] Sans établir une liste exhaustive des éléments se rapportant à la relation employeur-salarié, je mentionnerai à titre d’exemples, le processus de sélection, l’embauche, la formation, la discipline, l’évaluation, la supervision, l’assignation des tâches, la rémunération et l’intégration dans l’entreprise.

[…]

63 Le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) s’est fondé sur Pointe-Claire dans l’affaire AFPC c. Monnaie royale canadienne pour déterminer l’identité du véritable employeur d’un groupe d’employés qui étaient rémunérés par une tierce partie. L’application du critère défini dans Pointe-Claire a amené le CCRI à conclure que les employés en question n’étaient pas des entrepreneurs indépendants employés par l’« entrepreneur », mais qu’ils étaient assujettis en tout temps à un tel degré de contrôle que cela en faisait des employés de la Monnaie royale canadienne en fait et en droit.

64 Rien dans les arguments de l’APC ne permet de conclure à l’existence de formalités expressément prévues par la loi qui donneraient ouverture à l’application des principes énoncés dans l’arrêt Econosult. En fait, dans la mesure où de telles formalités s’inscrivent dans la pratique habituelle de l’APC, la défenderesse doit soumettre à la CRTFP, suivant la procédure habituelle, une preuve convaincante de l’existence de cette pratique. La manière dont les employés s’estimant lésés et les employés visés par la demande ont été embauchés coïncide à tous égards avec les paramètres d’une nomination faite en vertu de l’article 13 de la LAPC.

65 La demanderesse a mis en preuve trois exemples d’offres d’emploi faites par la direction de l’APC. Rien dans ces lettres n’indique à première vue que le processus d’embauche est basé sur une « formalité » cohérente. L’article 13 de la LAPC n’y est absolument pas mentionné. Les exemples de lettres confirment que le processus d’embauche de l’APC contredit la proposition voulant que les employés soient tous embauchés au moyen d’un acte de nomination signé par le DG. Comme dans la plupart des organisations, le processus d’embauche s’applique du haut vers le bas, du fait de la délégation générale de pouvoir, depuis les représentants de la haute direction jusqu’aux personnes responsables de l’administration quotidienne du processus.

66 La demanderesse a également mis en preuve une copie du procès-verbal d’une réunion du conseil exécutif du parc des montagnes datée d’avril 2008. Le document montre que même si l’APC a parfois recours à des processus formels comme le Programme fédéral d'expérience de travail étudiant (PFETE) pour recruter du personnel, cela ne l’empêche pas d’utiliser d’autres moyens de façon ponctuelle au cas par cas :

[Traduction]

[…]

Les unités régionales qui n’ont pas réussi à recruter des étudiants par le truchement du PFETE peuvent désormais obtenir l’autorisation de Merilee Davies, au cas par cas, pour recruter et embaucher des étudiants au niveau local.

[Je souligne]

[…]

67 La preuve produite dans ce cas-ci établira que, du fait de la relation contractuelle entre le HCRA et l’APC, qui est approuvée par le DG de l’APC, des personnes sont embauchées pour accomplir des tâches au profit de l’APC à titre d’employés en droit. Dans ces conditions, et conformément aux décisions Pointe-Claire et AFPC c. Monnaie royale canadienne, la CRTFP devra examiner attentivement l’entente contractuelle qui existe entre l’APC et le HCRA et le rôle de l’APC en ce concerne la supervision de ces contrats et la gestion du travail exécuté par les employés embauchés pour exécuter ces contrats.

68 Par exemple, l’un des employés s’estimant lésés, M. Kiley, soutient qu’il a été embauché par un gestionnaire de l’APC, qui lui avait laissé entendre qu’il allait être un employé en titre de l’APC. Un agent enquêteur de l’ARC a examiné cette allégation ainsi que l’ensemble des conditions d’emploi de M. Kiley. Il en est arrivé à la conclusion que rien ne différenciait son emploi de celui des employés de l’APC et que son véritable employeur était l’APC. Même si l’ARC a révisé le rapport de l’agent enquêteur pour arriver à la conclusion contraire après que la décision eut été portée en appel devant la Cour de l’impôt, l’ARC a consenti au jugement établissant que M. Kiley était employé par l’APC.

69 La décision de la Cour d’appel fédérale dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général) citée par l’APC portait sur une procédure distincte mais connexe de l’affaire AFPC c. Monnaie royale canadienne tranchée par le CCRI. Il s’agissait cette fois de la décision d’une agente de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada de ne pas autoriser certains employés à exercer leur droit de racheter des années de service ouvrant droit à pension pour la période précédent leur intégration officielle dans l’unité de négociation. La Cour d’appel fédérale a refusé d’infirmer la décision de l’agente après avoir conclu qu’elle était fondée à déterminer que les employés étaient des entrepreneurs indépendants pour les fins de l’établissement du service ouvrant droit à pension avant leur intégration dans l’unité de négociation. Cette décision n’a pas empêché le CCRI de conclure que pour les fins des relatons de travail, les personnes en question étaient des employés au sens de la Loi sur la Monnaie royale canadienne, L.R.C. 1985, ch. R-9, et du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2.

70 L’arrêt SGCT no 2 confirme, une fois de plus, que la CRTFP a effectivement compétence pour déterminer le statut professionnel de personnes qui travaillent dans des organismes distincts. La cause portait sur une allégation que l’employeur avait délibérément conclu des contrats de moins de six mois afin que les employés ne puissent pas être intégrés dans l’unité de négociation aux termes de l’exclusion contenue au paragraphe 2g) de l’ancienne LRTFP. Durant l’audition de la cause, il a été démontré, et la CRTFP a conclu en ce sens, qu’aucun des employés n’avait occupé un emploi pendant plus de six mois. L’affaire ne s’est pas arrêtée là. L’ancienne CRTFP a ensuite appliqué les principes de common law en vigueur et déterminé si les contrats en question étaient « nuls » ou simplement « annulables ». Après avoir conclu qu’ils étaient annulables, la CRTFP a rejeté la demande.

71 Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour d’appel fédérale a refusé d’infirmer la décision de la CRTFP. La Cour n’a pas conclu dans l’arrêt SGCT no 2 que l’ancienne CRTFP avait excédé sa compétence en appliquant des principes de common law dans le contexte de l’exclusion prévue au paragraphe 2g) de l’ancienne LRTFP. Du reste, en aucun moment dans l’arrêt SGCT no 2 la Cour d’appel fédérale ne s’écarte de sa décision de 1978 dans la cause SGCT no 1 selon laquelle la CRTFP a compétence pour appliquer l’analyse de common law et doit résoudre les différends à propos du statut des personnes travaillant pour des employeurs distincts comme l’Office national du film.

72 Les raisons pour lesquelles l’APC cite les causes APASE, Rostrust Investments Inc., Panagopoulos, et Estwick et Quintilio sont obscures. Ces causes n’appuient aucunement la position essentielle de la défenderesse. Tous les ministères dont il est question dans ces causes font partie de l’administration publique centrale dont l’employeur est le Conseil du Trésor, ce qui signifie que par l’effet de la LEFP, le processus d’embauche relève de la compétence exclusive de la CFP. Le statut d’employé a été refusé dans chaque cas, soit parce qu’il n’existait aucun « acte de nomination en règle », soit parce que les processus de nomination prévus par la loi n’avaient pas été appliqués. Il faut admettre que ces causes ne sont pas d’une grande utilité dans ce cas-ci.

73 Dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision rendue dans l’affaire APASE, la Cour d’appel fédérale a conclu que les personnes qui recevaient de la formation linguistique ne pouvaient pas être considérées comme des fonctionnaires aux termes de l’ancienne LRTFP tant que l’acte de nomination officiel n’avait pas été signé.

74 Dans Panagopoulos, la Cour fédérale décrit quelques-unes des conditions préalables de nomination imposées par la LEFP en vigueur à ce moment-là qui font obstacle au recours à l’analyse de common law pour déterminer si une personne est employée dans l’administration publique centrale mais qui ne s’appliquent pas à l’APC. Contrairement à la présente cause, il fallait absolument être nommé par la CFP pour être considéré comme un employé.

75 L’arrêt Farrell porte sur une requête présentée à la Cour fédérale par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) en vue d’obtenir un jugement sommaire rejetant une demande de réclamation pour congédiement injuste. Les faits de cette affaire étaient uniques. M. Farrell prétendait que son contrat clandestin avec le SCRS avait été résilié alors qu’il était employé par Postes Canada. Rien dans Farrell n’indique que le demandeur a défendu la position selon laquelle le SCRS faisait partie des exceptions susmentionnées à l’application de Econosult ou que l’application des critères de common law permettait de conclure que le SCRS était son véritable employeur. Il alléguait simplement qu’il y avait eu rupture de contrat avec le SCRS alors qu’il travaillait à Postes Canada. Quoi qu’il en soit, la Cour fédérale a conclu que les nominations au SCRS étaient assujetties à la LEFP qui était en vigueur à ce moment-là, tout comme les nominations dans l’administration publique centrale.

76 C’est un lieu commun de dire que, bien qu’une personne puisse être considérée comme un employé pour l’application d’une loi mais pas pour l’application d’une autre, il reste que les différences dans la formulation de chaque texte législatif doivent entrer en ligne de compte pour tirer une telle conclusion. Dans ce cas-ci, la Cour de l’impôt a conclu que les employés s’estimant lésés étaient des employés de l’APC aux fins du régime d’a.-e. Il n’y a guère de différences importantes entre les critères établis par la LRTFP/LAPC pour déterminer si une personne est un fonctionnaire/employé et les critères établis par la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23. Et s’agissant d’une question de fond, il serait absurde, sur le plan des relations de travail, de prétendre le contraire. La Cour de l’impôt a statué que, durant la période en cause, les employés s’estimant lésés étaient employés par l’APC, et que, partant de ce principe, des cotisations d’a.-e. étaient exigibles. La défenderesse n’avance pas d’arguments convaincants pour persuader la CRTFP que sa décision devrait être différente de celle de la Cour de l’impôt. Quoi qu’il en soit, l’AFPC et les employés s’estimant lésés répètent que s’il existe des différences au plan des lois et de la preuve applicables, ces différences doivent être examinées de la manière habituelle dans le cadre d’une audience publique. L’existence des jugements susmentionnés constitue à tout le moins un facteur important pour déterminer si les griefs et la demande doivent être rejetés de façon catégorique sur le fondement d’arguments écrits sans tenir d’audience publique pour entendre la preuve des parties, malgré la demande officielle formulée par la demanderesse.

77 En conclusion, la contestation de la compétence de la CRTFP par la défenderesse doit être rejetée et les affaires doivent être tranchées dans le cadre d’une audience publique conformément à la LRTFP.

D. Réplique de l’APC

78 Il semble acquis que la CRTFP n’a pas compétence pour trancher la demande visée à l’article 58, sauf si les dix employés non désignés nommément du HCRA répondent à la définition d’« employé » contenue dans la LRTFP. Il semble également acquis que la CRTFP n’a pas compétence pour instruire les griefs individuels renvoyés à l’arbitrage, à moins que les personnes concernées répondent elles aussi à cette définition. En vertu de la LRTFP, un « employé » est « […] personne employée dans la fonction publique […] ». Cela est également admis.

79 Ce qu’il y a de différent dans la présente affaire c’est que l’AFPC admet dans son argumentation qu’une personne doit avoir été nommée en vertu de l’alinéa 13(1)a) de la LAPC pour être considérée comme un employé de l’APC. Il est acquis au débat qu’en l’absence de nomination, la CRTFP n’a pas compétence pour trancher la question en litige.

80 Il semble maintenant que le litige porte sur la question de savoir si les personnes en cause ont été nommées. L’AFPC défend la position qu’une personne peut être nommée à l’APC par application des critères de common law, sans qu’il y ait d’autres conditions à remplir. Autrement dit, une personne peut être nommée à l’APC de manière involontaire ou fortuite ou par erreur. Si la CRTFP n’accepte pas l’argument de l’AFPC et conclut que le terme « nommer » à l’alinéa 13(1)a) de la LAPC sous-entend autre chose que le hasard ou que l’application pure et simple des critères de common law, la CRTFP se retrouve dès lors sans compétence. La CRTFP doit seulement conclure que le terme « nommer » à l’alinéa 13(1)a) de la LAPC sous-entend autre chose que l’application pure et simple des critères de common law. Nul n’est besoin de déterminer ce que ce terme suppose. L’AFPC ne peut invoquer que l’argument relatif à l’application des critères de common law pour établir le bien-fondé de sa cause et rien d’autre.

81 Un autre élément important de la présente affaire est que l’AFPC ne remet pas en question la validité continue de Econosult. L’AFPC dit plutôt que cette décision ne s’applique pas parce que l’employeur en cause dans cette affaire-là faisait partie de l’administration publique centrale alors que l’APC est un organisme distinct.

82 Dans le contexte d’une simple question de droit ayant trait à l’interprétation habituelle des lois, le terme « nommer » à l’alinéa 13(1)a) de la LAPC sous-entend autre chose que l’application pure et simple des critères de common law. Aucun des dix employés du HCRA, quels qu’ils soient, et aucun des prétendus employés s’estimant lésés n’ayant été nommé, la CRTFP est sans compétence pour trancher la demande et les griefs.

83 Dans le contexte d’une simple question de droit ayant trait à l’application habituelle d’un précédent exécutoire aux faits connus, Econosult permet de trancher la question préliminaire de compétence en cause dans ce cas-ci. Cet arrêt est indifférenciable et s’applique tout autant aux organismes distincts habilités à faire des nominations, tels que l’APC.

84 Subsidiairement, même si la CRTFP confirmait que la validité et la force exécutoire de Econosult se limitaient aux employeurs qui font partie de l’administration publique centrale, cette décision s’appliquerait à tout le moins aux trois prétendus employés s’estimant lésés qui étaient employés avant 1999 (année de la création de l’APC), ce qui signifie que l’arbitre de grief n’a pas compétence pour trancher les griefs renvoyés à l’arbitrage.

85 L’affaire se réduit à une simple question de droit. Il suffit donc de se livrer à l’exercice habituel d’interprétation des lois en s’interrogeant sur le sens qu’il faut attribuer à l’alinéa 13(1)a) de la LAPC, notamment au mot « nommer ». L’AFPC soutient que le problème est plus compliqué que cela et qu’il soulève une question de droit et de fait qui nécessite la tenue d’une audience publique pour entendre la preuve. Nous ne partageons pas ce point de vue.

86 L’alinéa 13(1)a) de la LAPC dit ceci : « Le directeur général a le pouvoir exclusif […] de nommer […] les employés de l’Agence […] ». Le terme « nommer »  n’est pas défini dans la LAPC, et l’utilisation de ce terme au paragraphe 13(1)a) ou ailleurs dans la LAPC n’a jamais fait l’objet d’une analyse judiciaire. La Cour d’appel fédérale offre certaines indications dans Lucas c. Canada (Commission d’appel de la Commission de la fonction publique), [1987] 3 C.F. 354 (C.A.). La conclusion ultime contenue dans cet arrêt est que le terme « appointment » [nomination] contenu dans la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique, S.R.C 1970, chap. P-32, est interchangeable avec le terme « assignment » [affectation]. Même si cette conclusion ultime présente peu d'intérêt dans ce cas-ci, le processus d’interprétation de la loi proposé et appliqué par la Cour d’appel fédérale et certaines des définitions du mot « appointment » [nommer] contenues dans les dictionnaires et citées avec approbation par la Cour nous fournissent des indications utiles.

87 La Cour d’appel fédérale a déclaré dans Lucas que les mots doivent être entendus dans leur sens grammatical ordinaire, à moins que le contexte, l'objectif de la loi où ils sont employés ou les circonstances dans lesquelles ils sont employés n'indiquent qu'ils ont été employés dans un sens différent de leur sens grammatical ordinaire. Cette conclusion a ouvert la voie aux principes d’interprétation des lois qui seront retenus et proposés par la Cour suprême dans Rizzo and Rizzo Shoes. Il faut commencer par examiner le sens grammatical ordinaire du mot « appointment » [nomination], dans ce cas-là, et du mot « appoint » [nommer] dans ce cas­-ci. Cet examen a amené la Cour d’appel fédérale à citer et à accepter les définitions suivantes du mot « appoint » [nommer] contenues dans les dictionnaires (au paragraphe 6) :

[…]

« Affecter par autorité à un usage particulier, à une charge ou à un poste; »

« Affecter par autorité à un usage particulier, à un poste, à une charge ou à un emploi; »

[…]

88 Le Cambridge Dictionaries Online définit le mot « appoint » [nommer] comme suit : « [traduction] choisir quelqu’un officiellement pour lui confier un poste ou une responsabilité » et donne les deux exemples pertinents suivants : « [traduction] Nous avons nommé trois nouveaux enseignants cette année » et « [traduction] Il vient d’être nommé directeur de la division de l’édition ». Le Merriam-Webster OnLine définit « appoint » [nommer] en partie comme suit : « [traduction] « prescrire ou établir officiellement » et « [traduction] nommer officiellement » comme dans « [traduction] elle sera nommée directrice du programme ».

89 Le texte français de l’alinéa 13(1)a) de la LAPC utilise le terme « nommer », qui a exactement le même sens que le terme « appoint » décrit ci-dessus. Le Petit Robert définit le mot « nommer » comme suit :« désigner, choisir (une personne) de sa propre autorité, pour remplir une fonction, une charge, être élevé à une dignité (opposé à élire). » L’utilisation des mots « appoint » et « nommer » procède de toute évidence d’un choix délibéré du législateur.

90 Le mot « nommer », tel qu’il est utilisé à l’alinéa 13(1)a) de la LAPC et tel qu’il a été défini plus tôt, est un verbe. Il dénote une action, une mesure positive prise sciemment ou délibérément et « [traduction] le fait de faire quelque chose » par opposition à quelque chose qui est fait passivement et involontairement et qui produit un résultat. L’action est prise de manière « officielle» ou « par autorité ». Ces termes traduisent l’essence du mot «nommer » et établissent une distinction avec les mots « embaucher » ou « employer », mots que le législateur aurait pu utiliser et qui auraient pu donner lieu à l’application pure et simple des critères de common law. Une personne n’est pas nommée en vertu de l’alinéa 13(1)a) tant que le DG, ou son représentant autorisé, n’a pas agi volontairement, sciemment, intentionnellement ou délibérément d’une manière officielle ou avec autorité, dans le cadre de sa charge ou en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés. L’alinéa 13(1)a) écarte la possibilité que des personnes deviennent des employés de manière involontaire, accidentelle ou de fait par suite de l’application des critères de common law.

91 La nécessité d’attribuer son sens ordinaire au mot « nommer » à l’alinéa 13(1)a) de la LAPC est confirmée par l’examen de l’objectif des lois qui s’appliquent à l’APC, en commençant par la LAPC. Dans le texte anglais de la LAPC, le paragraphe 5(2) confère aux dirigeants ou aux employés de l’APC le pouvoir d’exercer les attributions du ministre de l’Environnement, dans la mesure où ils ont été « appointed » [nommés] à un poste leur permettant d’exercer ces attributions. En utilisant le mot « appointed », le législateur voulait limiter et encadrer le groupe de personnes autorisées à exercer les attributions du ministre. Le législateur n’a certainement pas voulu que la catégorie de personnes autorisées à exercer les attributions d’un ministre ne soit assortie d’aucune limite précise par application des critères de common law et comprenne des employés devenus tels de manière involontaire, accidentelle ou de fait.

92 Le paragraphe 10(1) de la LAPC autorise et en fait oblige le gouverneur en conseil à « nommer » le DG de l’APC. De même, l’article 11 accorde au ministre le pouvoir de « appoint » [nommer] une personne par intérim pour remplacer le DG en cas de vacance de son poste. Nul doute que le législateur a voulu attribuer aux mots « nommer » et « appoint », au paragraphe 10(1) et à l’article 11, le sens d’une mesure volontaire et officielle ou prise par autorité qui déborde le cadre de l’application pure et simple des critères de common law. En matière d’interprétation des lois, il faut attribuer le même sens aux mêmes mots dans l’ensemble de la loi. Donc, si dans le contexte du paragraphe 10(1) et de l’article 11 le sens attribué aux mots « nommer » et « appoint » va au-delà de l’application des critères de common law et de la conclusion qu’une personne a été embauchée de manière involontaire ou fortuite ou par erreur, ces mots doivent vouloir dire la même chose à l’alinéa 13(1)a) de la LAPC.

93 La Loi sur les parcs nationaux du Canada, L.C. 2000, ch. 32 (LPNC), et son règlement d’application confèrent une pléthore de pouvoirs discrétionnaires aux directeurs. Pour porter le titre le directeur en vertu de l’article 2 de la LPNC, il faut avoir été « nommé ». La définition de « directeur » à l’article 2 de la LPNC en fait une condition expresse. La même définition s’applique aussi à toute personne « nommée » en vertu de cette loi que le directeur autorise à agir en son nom. Le directeur et les personnes autorisées par lui à agir en son nom sont habilitées à prendre de nombreuses mesures qui ont une incidence significative sur la vie des membres du public. C’est pour cette raison que cette catégorie ne comprend que des personnes qui sont « nommé[es] ». Le législateur n’a certainement pas voulu que la catégorie de personnes qui sont autorisées à exercer les vastes attributions qui leur sont conférées ne soit assortie d’aucune limite précise par l’application des critères de common law et comprenne des employés devenus tels de manière involontaire ou fortuite ou de fait.

94 Peu importe avec quelle précision on définit le mot « nommer » à l’alinéa 13(1)a) de la LAPC, l’utilisation de ce mot fait obstacle à l’embauche involontaire, fortuit ou de fait d’un employé, qui résulte de l’application des critères de common law et qui résulterait de la position défendue par l’AFPC dans le cas des employés ou anciens employés du HCRA. Pour qu’une personne soit nommée, il faut que quelque chose soit fait par autorité ou de manière officielle par le DG de l’APC, ou son représentant autorisé. Dans l’ensemble de la preuve soumise à la CRTFP de manière irrégulière (nous reviendrons sur ce point plus loin), ces employés ou anciens employés du HCRA n’ont pas produit le moindre bout de papier attestant que le DG ou son représentant autorisé avait l’intention de les nommer à l’APC.

95 Accepter l’argument de l’AFPC selon lequel une personne peut être nommée à l’APC en vertu de l’alinéa 13(1)a) de la LAPC en appliquant les critères de common law, sans plus, équivaudrait à rejeter le sens ordinaire qui est attribué au mot « nommer » dans la LAPC. Cela pourrait du reste entraîner l’attribution de vastes pouvoirs, y compris des pouvoirs ministériels, à des personnes auxquelles le législateur n’a jamais voulu conférer de tels pouvoirs. Il n’est pas nécessaire dans ce cas-ci que la CRTFP définisse avec précision le mot « nommer » à l’alinéa 13(1)a). Il lui suffit de conclure que ce terme sous-entend autre chose que l’application pure et simple des critères de common law. Si c’est ce que conclut la CRTFP, la seule autre conclusion possible à ce moment­-là c’est qu’aucune des personnes en cause ici n’est un « fonctionnaire » au sens de la LRTFP et que la CRTFP est incompétente pour trancher la demande et les griefs.

96 L’AFPC ne remet pas en cause la validité de Econosult. La demanderesse prétend plutôt que la décision ne s’applique pas parce que l’employeur en cause dans cette affaire-là faisait partie de l’administration publique centrale alors que l’APC est un organisme distinct. L’arrêt Econosult s’applique autant aux organismes distincts qui sont habilités à faire des nominations comme l’APC qu’à l’administration publique centrale. La Cour suprême du Canada a observé que la formulation de l’article 33 de l’ancienne LRTFP et la définition du mot « employé » contenue à l’article 2 de l’ancienne LRTFP étaient « pratiquement déterminante[s] ». Cela signifie qu’à elles seules, et sans l’application d’autres lois, ces deux dispositions de l’ancienne LRTFP ont pratiquement déterminé l’issue de la cause Econosult. L’article 33 de l’ancienne LRTFP se trouve aujourd’hui à l’article 58 de la LRTFP actuelle, la disposition sur laquelle est fondée la demande de l’AFPC, et la définition d’« employé » contenue dans l’ancienne LRTFP se trouve pareillement dans la LRTFP actuelle. De la même manière que l’article 33 et la définition d’« employé » contenus dans l’ancienne LRTFP ont été « pratiquement déterminante[s] » dans Econosult, l’article 58 et la définition d’« employé » contenus dans la LRTFP sont pratiquement déterminants dans ce cas-ci, avant même de se reporter à d’autres lois telles que la LAPC. La Cour suprême a observé que conclure qu’une personne peut devenir un employé de la fonction publique par application des critères de common law causerait un « certain nombre de problèmes ». Les mêmes « problèmes » que la Cour suprême a recensés et qui sont à l’origine, en partie du moins, de sa décision dans Econosult se poseraient dans ce cas-ci si les employés ou anciens employés du HCRA étaient considérés comme des employés de l’APC par application des critères de common law.

97 On aurait tort d’invoquer le fait que l’employeur et l’autorité habilitée à faire les nominations étaient des organismes différents dans Econosult pour écarter cette décision. Ce serait faire une distinction qui ne repose sur rien. Un examen attentif de Econosult révèle que l’employeur était le Conseil du Trésor et que l’autorité habilitée à faire les nominations était la CFP et que le fait qu’il s’agissait de deux organismes différents n’a eu aucune incidence sur l’issue de l’affaire. L’AFPC soutient que la LEFP contient certaines formalités de nomination qui excluent l’application de Econosult à l’APC. Cet argument n’est qu’une habile diversion. La question de savoir si le texte de la LEFP tel qu’il était libellé à ce moment-là contenait ou ne contenait pas de formalités de nomination n’a eu aucune incidence sur l’issue de l’affaire Econosult.

98 Même si cela avait un effet déterminant sur l’issue de l’affaire Econosult que le texte de la LEFP tel qu’il était libellé à ce moment-là contienne des formalités de nomination, cela n’est pas une raison suffisante pour faire une distinction entre la situation décrite dans Econosult et la situation qui prévaut à l’APC. L’alinéa 13(1)b) de la LAPC autorise l’élaboration de normes, de procédures et de méthodes régissant les nominations, entre autres choses, et attribue cette fonction exclusivement au DG. En dépit de ce que l’AFPC affirme inlassablement et à tort dans son argumentation, l’APC possède de telles normes, procédures et méthodes. Dans Farrell, la Cour a conclu qu’il est « […] de jurisprudence constante qu'une personne ne peut devenir un employé de Sa Majesté du chef du Canada sans qu'une nomination précise soit effectuée selon la procédure établie conformément à ces lois […] » (au paragraphe 9).

99 Les principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Econosult ont été appliqués par la suite à des organismes distincts ayant le pouvoir de faire des nominations, comme l’APC. Or l’AFPC ne mentionne aucune des décisions faisant autorité dans son argumentation. L’arrêt Farrell en est un bon exemple. Cette cause portait sur l’application de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité, laquelle accordait au directeur du SCRS, au paragraphe 8(1), un pouvoir de faire des nominations en tous points identique à celui que l’alinéa 13(1)a) de la LAPC accorde au DG de l’APC.

100 Dans le contexte d’une simple question de droit ayant trait à l’application habituelle d’un précédent exécutoire aux faits connus, la CRTFP est fondée à conclure que l’arrêt Econosult s’applique aussi à l’APC et qu’il a une incidence déterminante sur l’issue de la question préliminaire de compétence.

101 Nous faisons valoir, à titre subsidiaire, que l’arrêt Econosult est à tout le moins un jugement exécutoire qui permet de trancher la question préliminaire de la compétence de la CRTFP pour trancher les griefs des prétendus employés s’estimant lésés, lesquels sont ou étaient des employés du HCRA. L’APC ne connaît pas leurs antécédents professionnels puisqu’il n’est pas leur employeur. Cependant, aux fins de la présente décision, si l’on accepte sans réserve ce qu’ils disent dans leurs prétendus griefs individuels, M. Hubley a été embauché en avril 1992 et M. Kiley et Mme Surette-Aucoin ont été embauchés en 1997. Or avant avril 1999, l’APC faisait partie de l’administration publique centrale et n’avait pas le statut d’organisme distinct.

102 Même en acceptant l’argument de l’AFPC que l’arrêt Econosult s’applique exclusivement à l’administration publique centrale, cette décision est valide et exécutoire dans le cas, à tout le moins, des trois prétendus employés s’estimant lésés, ce qui signifie qu’ils ne sont pas des « fonctionnaires » au sens de la LRTFP et que la CRTFP n’a pas compétence pour trancher les griefs individuels renvoyés à l’arbitrage.

103 Il y a une façon acceptable de soumettre des preuves à la CRTFP. L’AFPC n’aurait pas dû présenter des éléments de preuve dans ses arguments écrits comme elle l’a fait. Son argumentation est truffée d’éléments de preuve. En plus de produire de la preuve de façon irrégulière, l’AFPC pousse l’audace jusqu’à soutenir que la CRTFP doit tenir cette preuve pour avérée en invoquant l’arrêt Addison & Leyen Ltd. c. Canada. Cette cause n’a aucun rapport avec cette proposition audacieuse. L’AFPC utilise l’arrêt Addison & Leyen Ltd. c. Canada hors contexte. Il s’agissait d’une affaire au civil visant à faire radier une déclaration, et non d’une affaire de relations de travail.

104 Bien que la CRTFP ne puisse pas tenir pour avérée la preuve soumise de façon irrégulière par l’AFPC, la question préliminaire de compétence qui nous occupe se résume à des questions de droit simples et précises, comme il a été indiqué plus tôt dans la présente décision, en l’occurrence l’interprétation de l’alinéa 13(1)a) de la LAPC ou l’application du précédent exécutoire établi par l’arrêt Econosult. La CRTFP peut écarter sans problèmes la preuve de l’AFPC pour rendre une décision justifiée sur la demande présentée en vertu de l’article 58 de la LRTFP et les prétendus griefs individuels renvoyés à l’arbitrage. Il n’est donc pas nécessaire que l’APC produise sa propre preuve pour contredire celle de l’AFPC. L’APC ne voudrait toutefois pas donner à penser, par son silence, que la preuve et le dossier de preuve produits de façon irrégulière par l’AFPC lui paraissent fondés et exhaustifs.

105 Dans son argumentation écrite, l’AFPC cite à profusion l’arrêt SGCT no 1. Un examen attentif de cette décision révèle que cet arrêt étaye en fait la position de l’APC et du HCRA plutôt que celle de l’AFPC. L’alinéa 10(1)d) de la LC autorisait l’Office national du film (ONF) à conclure des marchés de services personnels, ce qu’elle avait fait avec plusieurs personnes. L’agent négociateur avait alors présenté une demande en vertu de la disposition antérieure à l’article 58 de la LRTFP actuelle afin de faire reconnaître ces personnes comme des employés en vertu de l’ancienne LRTFP et de les intégrer dans l’unité de négociation. L’ONF avait le statut d’employeur distinct, tout comme l’APC. Les employés de l’APC doivent être nommés par l’autorité responsable des nominations en vertu de l’alinéa 13(1)a) de la LAPC. Les employés de l’ONF devaient pareillement être nommés par l’autorité responsable des nominations (en vertu de l’article 13 de la LC). L’article 13 de la LC utilise le terme « nommer », tout comme l’alinéa 13(1)a) de la LAPC. Le paragraphe 13(3) de la LC disait explicitement ceci : « […] l’Office peut nommer des personnes […] ». Or, le paragraphe 13(4) de la LC disait ceci : « La nomination, par l'Office, d'une personne à un poste continu […] ». Enfin, les nominations à l’ONF en vertu de l’article 13 de la LC ont fini par devenir des nominations à un « poste continu ».

106 Il n’y avait pas que des « poste[s] continu[s] » à l’ONF. Il y en avait en fait un second type. L’article 14 de la LC accordait à l’ONF une autre autorisation distincte; l’APC ne possède pas d’autorisation semblable. L’article 14 de la LC disait ceci : « L'Office peut employer, dans des charges autres que les postes continus se rattachant au plan approuvé selon l'article 13, les personnes requises, à l'occasion […] ». Autrement dit, les employés qui occupaient des « poste[s] continu[s] » devaient avoir été nommés en vertu de l’article 13 de la LC alors que cela n’était pas nécessaire pour être employé dans un autre type de poste en vertu de l’article 14 de la LC. La Cour d’appel fédérale a conclu que les personnes liées par des marchés de services personnels pouvaient être considérées comme des employés de l’ONF par application des critères de common law, mais qu’elles pouvaient seulement être considérées comme occupant un poste au sens de l’article 14 de la LC. Elles ne pouvaient pas être considérées comme occupant un poste au sens de l’article 13 de la LC.

107 L’AFPC s’égare toutefois lorsqu’elle trace un parallèle entre l’alinéa 13(1)a) de la LAPC et l’article 14 de la LC. L’alinéa 13(1)a) de la LAPC n’est pas identique à l’ancien article 13 de la LC, mais les deux dispositions ont à tout le moins un point important en commun : elles disent toutes deux qu’une personne doit être nommée pour être considérée comme un employé et elles utilisent toutes deux expressément le mot « nommer ». L’imposition d’une condition préalable de ce genre fait obstacle à l’application des critères de common law. Cela dit, l’alinéa 13(1)a) de la LAPC diffère de l’article 14 de la LC sur un point important à tout le moins : il est nécessaire d’avoir été nommé pour occuper un poste à l’APC en vertu de l’alinéa 13(1)a) de la LAPC, alors que cela n’était pas nécessaire pour occuper un poste à l’ONF en vertu de l’article 14, ce qui ouvrait la voie à l’application des critères de common law.

108 L’AFPC accorde aussi une grande importance à la décision Catlos. Or cette décision n’étaye pas la position de l’AFPC. Le seul enseignement utile qu’on peut en tirer est que le Conseil du Trésor n’est pas l’unique employeur et que la CFP n’est pas la seule autorité responsable des nominations dans l’administration publique fédérale. La CRTFP a finalement conclu dans l’affaire Catlos que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas présenté son grief au bon employeur.

109 À dire vrai, l’affaire Catlos étaye davantage la position de l’APC et du HCRA. L’autorisation légale dont il est question dans cette affaire était conférée par le paragraphe 5(1) de la Loi sur la statistique, L.R.C. 1985, ch. S-19, qui dit ceci : « Le ministre peut employer, de la manière autorisée par la loi, les commissionnaires, recenseurs, agents ou autres personnes […] ». Par son utilisation du mot « employer », cette disposition de la Loi sur la statistique est semblable à l’article 14 de la LC et différent de l’alinéa 13(1)a) de la LAPC, qui utilise le mot « nommer ».

110 L’affaire Catlos étaye la position de l’APC sur un autre point important. Considérant que l’AFPC estime que la question préliminaire de compétence est suffisamment complexe pour justifier la tenue d’une audience avec comparution de témoins et production d’éléments de preuve, l’affaire Catlos nous apprend que la même question préliminaire de compétence (Le fonctionnaire s’estimant lésé est-il un « fonctionnaire » au sens de l’ancienne LRTFP?) et une seconde question de compétence portant sur le respect du délai de présentation ont été tranchées ensemble en une demi-journée seulement et sur la foi de quatre pièces justificatives seulement.

111 L’AFPC tente de mettre à l’écart plusieurs causes pertinentes, établies et applicables citées par l’APC, laquelle n’a pas l’intention de réfuter les arguments écrits de l’AFPC cause par cause. Pour les raisons exposées dans l’argumentation écrite de l’APC, les affaires en question sont éloquentes, pertinentes et applicables.

E. Réplique du HCRA

112 La réplique de l’AFPC contient plusieurs preuves documentaires non avérées ainsi que plusieurs déclarations présentées comme des preuves basées sur des faits alors que ce n’est pas le cas. À titre d’exemple, l’AFPC fait plusieurs déclarations à propos des « employés s’estimant lésés » qui sont censées être des faits. Cette preuve n’aurait pas dû être soumise à la CRTFP et la CRTFP ne devrait pas en tenir compte.

113 La preuve n’aurait pas dû être soumise à la CRTFP pour deux raisons. La première c’est que les parties ont convenu qu’il n’était pas nécessaire de produire des preuves pour trancher la présente affaire. En fait l’avocat de l’AFPC a expressément indiqué qu’aucune preuve n’était nécessaire pour trancher la question de compétence. Dans une lettre à la CRTFP datée du 25 février 2009, l’avocat de l’AFPC demande à la CRTFP de tenir une audience d’une journée pour statuer exclusivement sur la question de sa compétence. Il écrit en toutes lettres que la question peut être tranchée sans la présentation de preuves. La CRTFP a décidé par la suite de statuer sur la question à partir des arguments écrits des parties. Le HCRA ne voit pas quelle différence il existe entre trancher la question de compétence en personne et trancher la même question à partir d’arguments écrits. Il serait inconvenant d’autoriser l’AFPC à soumettre des éléments de preuve alors qu’elle a indiqué que cela n’était pas nécessaire et alors que la CRTFP avait cette déclaration en mains lorsque le processus a été arrêté.

114 La seconde raison pour laquelle la preuve n’aurait pas dû être soumise est qu’il est bien établi en droit 1) que toute question ayant trait à la compétence d’une commission ou d’un conseil est une question de droit et 2) qu’aucune preuve n’est dès lors recevable pour trancher cette question. Dans l’affaire Matear c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie), 2008 CRTFP 11, la CRTFP a statué sur une objection préliminaire de compétence dans le cadre d’un grief individuel renvoyé à l’arbitrage. Les parties ont admis que la question de la compétence de l’arbitre de grief sous le régime de la LRTFP était une question de droit et la CRTFP leur a donné raison. De nombreuses cours de justice ont statué que les questions de compétence sont des questions de droit (voir Can-Euro Investments Ltd. v. Nova Scotia (Utility and Review Board), 2008 NSCA 123, et Davies c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 41). Compte tenu de ces précédents, il est indéniable qu’une question à propos de la compétence d’un tribunal administratif est une question de droit.

115 La jurisprudence établit du reste qu’aucune preuve n’est recevable pour trancher une question de droit; voir l’affaire Bank of Nova Scotia v. Ryan, [1992] A.J. no 526 (Alberta Master). Les Règles de la Cour de justice de l’Ontario consacrent même le principe que la preuve n’est pas recevable, sauf avec l’autorisation du juge ou sur consentement des parties; voir Sievert & Sawrantschuk LLP v. Hommel, [2008] O.J. no 5477 (Ont. S.C.J.). Étant donné qu’il est interdit de tenir compte d’éléments de preuve pour trancher des questions de droit, nous demandons respectueusement à la CRTFP de ne faire aucun cas de la preuve de l’AFPC.

116 En plus de soumettre de nouveaux éléments de preuve, l’AFPC affirme que les faits allégués dans le mémoire et dans la demande devaient être tenus pour avérés. Cette prétention est totalement dépourvue de fondement. L’AFPC cite Addison & Leyen Ltd. pour étayer son argument, mais il s’agit d’une requête en radiation d’une demande de contrôle judiciaire. Dans le cas d’une requête en radiation, les cours de justice ont reconnu que les faits allégués dans certains documents, tels qu’une déclaration, peuvent être tenus pour avérés afin de déterminer s’il y a lieu de poursuivre l’examen de la question. La question de la compétence du tribunal ne se pose pas comme telle dans ce genre d’affaire; il s’agit plutôt de déterminer si le dossier du requérant est suffisamment étoffé pour statuer sur la requête. L’affaire qui nous occupe soulève une question fondamentalement différente : La CRTFP a-t-elle compétence pour trancher une question concernant des personnes qui ne sont pas des fonctionnaires au sens de sa loi habilitante? Nous estimons que la CRTFP ne possède pas cette compétence.

117 Accepter l’approche de l’AFPC équivaudrait essentiellement à reporter le fardeau de la preuve sur la défenderesse qui n’aurait d’autre choix que de réfuter la preuve pour obtenir gain de cause sur la question préliminaire de compétence. En l’absence de libellé déplaçant le fardeau de la preuve, les règles habituelles s’appliquent, de sorte que les faits ne peuvent être tenus pour avérés.

118 Subsidiairement, même si la CRTFP décide d’admettre la preuve de l’AFPC, cette preuve n’étaye absolument pas la prétention de l’AFPC. De deux choses l’une, ou bien la preuve confirme que les personnes en question ne sont pas des fonctionnaires, ou bien elle est dénuée de pertinence.

119 Les offres d’emploi mises en preuve par la demanderesse sont des lettres de l’APC. Contrairement à ce que soutient l’AFPC, ces offres confirment qu’il y a un processus en place à l’APC pour embaucher du personnel. Fait à noter, rien ne permet d’établir que l’un ou l’autre des trois employés s’estimant lésés ou tout autre particulier visé par la présente demande a été embauché par l’APC d’une manière analogue à celle qui est proposée dans les lettres d’offre. Ajoutons à cela que l’une des lettres offres a été faite en 1999, bien avant que soit instituée la présente instance. Les autres offres se rapportent à des postes ailleurs qu’à la Citadelle d’Halifax.

120 Le procès-verbal d’une réunion du conseil exécutif des Moutain Parks n’a aucun rapport avec la présente affaire et n’est donc d’aucun secours pour étayer la position de l’AFPC.

121 Le rapport de l’ARC déposé par la demanderesse n’est pas davantage pertinent. Il comporte de plus tellement d’anomalies que la CRTFP ne peut tout simplement pas en tenir compte; ce n’est pas un document qui avait été communiqué au HCRA; la mention « [traduction] version provisoire » figure en évidence sur la première page; il n’est ni daté ni signé par la personne qui l’a rédigé; il fait référence à des onglets qui sont annexés, mais aucun n’est fourni; pour finir, comme le HCRA l’a indiqué plus tôt (et le réitère ci-après), les tribunaux ont reconnu que les questions touchant aux statut de personnes aux fins du Régime d’assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada étaient différentes de celles que la CRTFP est appelée à trancher et n’avaient aucune incidence sur l’issue de ces questions.

122 Le consentement à jugement de la Cour de l’impôt concernant trois anciens employés du HCRA n’a pareillement aucun rapport avec la présente instance, pour les raisons suivantes :

a) Ni l’APC ni le HCRA n’étaient partie à cette affaire ou n’y ont joué un rôle.

b) Le consentement à jugement portait sur la question très précise de savoir si certaines personnes « [traduction] […] occupaient un emploi assurable auprès de l’APC entre le 1er janvier et le 26 octobre 2005 ». Cette question est différente de celle que l’AFPC a tenté de soumettre à la CRTFP.

c) Aucune des personnes visées par le jugement de la Cour de l’impôt qui travaillaient pour le HCRA n’était un employé du HCRA en date du 2 décembre 2008.

d) Il est bien établi en droit qu’une décision de la Cour de l’impôt sur ce point se limite à la question particulière qui a été tranchée et n’a pas d’incidence sur la question de savoir si une personne est un fonctionnaire sous le régime de la LRTFP (Estwick et Quintilio).

123 Le fardeau de la preuve, dans une demande visée à l’article 58 de la LRTFP, appartient au requérant. L’une des nombreuses choses qui doivent être établies pour obtenir gain de cause c’est qu’il y a des fonctionnaires au sens de la LRTFP. Or il n’y en a pas ici. Au demeurant, aucune des causes citées par l’AFPC ne change quoi que ce soit à cette réalité. L’arrêt SGCT no 1 porte sur une question fondamentalement différente, c’est-à-dire la question de savoir si des personnes qui avaient conclu des marchés de services personnels avec l’ONF étaient des « employés ». Dans ce cas-ci, rien ne prouve que les personnes en cause avaient conclu des marchés de quelque nature que ce soit avec l’APC. Il s’ensuit que cette cause n’est d’aucune utilité pour analyser la situation. L’AFPC affirme que la décision rendue dans l’affaire Point-Claire fait autorité pour déterminer l’identité du « véritable » employeur aux fins de la loi, sauf que cette décision n’est pas un précédent sur lequel la CRTFP peut se fonder. La Cour suprême a pris soin de limiter son analyse à cette cause. La décision est extrêmement précise; elle ne constitue donc pas un précédent pour déterminer que le véritable employeur, dans ce cas-ci, n’est pas le HCRA.

124 La décision rendue dans l’affaire Sagaz Industries ne porte même pas sur une question liée à l’emploi. Les principes du droit de l’emploi y sont appliqués en passant pour déterminer si l’entreprise est responsable du fait d’autrui de la conduite répréhensible d’un consultant engagé pour faciliter l’obtention de contrats.

125 L’analyse contenue dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. ne s’applique pas non plus. Cette décision porte uniquement sur le paiement de cotisations au régime d’assurance-emploi et au Régime de pensions du Canada. La décision de la Cour fédérale dans la cause Estwick et Quintilio établit expressément qu’une décision rendue à cette fin particulière n’est pas déterminante pour le statut de particuliers selon la LRTFP.

IV. Motifs

A. Éléments de preuve et faits tenus pour avérés

126 La demanderesse soutient que la question de la compétence de la CRTFP doit être tranchée dans le cadre d’une audience publique. Le président de la CRTFP a déjà déterminé que cette question doit être tranchée à partir des arguments écrits des parties. La demanderesse ne peut présenter des arguments supplémentaires sur ce point. Dans sa lettre du 25 février 2009 à la CRTFP, l’avocat de l’agent négociateur déclare ceci : « [traduction] […] la Commission et les parties gagneraient à ce que l’ensemble de la jurisprudence soit analysée en profondeur; il ne serait d’ailleurs pas nécessaire de produire des éléments de preuve à l’audience. » Je conviens qu’aucune preuve n’est nécessaire pour statuer sur l’exception déclinatoire de compétence restreinte dont je suis saisi.

127 La demanderesse soutient qu’en l’absence d’audience, les faits allégués dans son argumentation doivent être tenus pour avérés aux fins de la demande. J’estime qu’il n’est pas nécessaire de formuler des hypothèses pour statuer sur l’exception déclinatoire de compétence.

B. Jugement de la Cour de l’impôt

128 Le jugement de la Cour de l’impôt ayant trait à certains employés du HCRA ne s’applique pas dans ce cas-ci, car le consentement à jugement portait sur la définition du terme « employé » en vertu d’une autre loi que la LRTFP. Je souscris à la conclusion contenue dans Estwick et Quintilio sur ce point (voir également Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général)).

C. Compétence de la CRTFP et de l’arbitre de grief

129 La présente décision porte sur la compétence de la CRTFP pour trancher la demande visée à l’article 58, de même que sur la compétence de l’arbitre de grief pour instruire les cinq griefs renvoyés à l’arbitrage. Les parties ont concentré leur argumentation sur la demande visée à l’article 58. Il va de soi que pour que l’arbitre de grief puisse se saisir des griefs, il faut que les personnes en cause soient des fonctionnaires au sens de la LRTFP.

130 Les parties à la présente demande s’accordent à dire que, dans l’administration publique centrale, une personne doit être nommée en vertu de la LEFP pour répondre à la définition de « fonctionnaire » contenue dans la LRTFP, conformément à la décision rendue dans la cause Econosult et à un certain nombre de décisions ultérieures de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale. La présente demande soulève la question de savoir si cela vaut pour un employeur distinct qui n’est pas assujetti à la LEFP. Pour les motifs exposés ci-dessous, j’ai conclu que l’analyse contenue dans Econosult s’applique aussi à l’APC.

131 Les décisions qui interprètent Econosult se concentrent sur l’interaction entre la LRTFP et la LEFP telles qu’elles existaient à ce moment-là. Or au paragraphe 21 de Econosult, la Cour suprême commence par examiner l’ancienne LRTFP, seule, et conclut que la formulation de la disposition relative à la détermination de l’unité de négociation (l’article 33 de l’ancienne LRTFP), conjuguée à la définition du terme « employé » à l’article 2, est « pratiquement déterminante » :

[…]

[…] L’article 33 vise à habiliter la Commission à décider si un employé ou une catégorie d’employés appartient à l’unité de négociation. S’il n’y avait pas de définition du mot « employé », on pourrait soutenir que la Commission peut décider si quelqu’un est un employé en vertu des critères généralement utilisés dans les affaires de relations de travail. Ces critères servent ordinairement à déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant. La définition expresse du mot « employé » montre cependant que le Parlement a clairement eu l’intention de déterminer lui-même la catégorie d’employés sur lesquels la Commission aurait compétence. Cette catégorie se limite aux personnes employées dans la Fonction publique et qui ne sont pas assujetties au Code canadien du travail. D’après le texte même de l’art. 33, le rôle de la Commission consiste non pas à déterminer qui est employé, mais plutôt à déterminer si les employés qui répondent à cette définition appartiennent à une unité particulière de négociation.

[…]

132 La Cour suprême conclut, au paragraphe 22, que l’ancienne LRTFP ne contient aucune disposition qui confère à l’ancienne CRTFP « […] compétence exclusive pour déterminer, en fonction de sa propre expertise, qui est un employé » tout en notant qu’il n’est pas rare de trouver des dispositions de ce genre dans d’autres lois portant sur les relations de travail.

133 La demanderesse s’appuie également sur l’arrêt SGCT no 1, une décision de la Cour d’appel fédérale antérieure à Econosult. La loi habilitante de l’ONF contenait une disposition à propos des « postes continus » qui faisait expressément mention du pouvoir de l’ONF de « nommer » des personnes et établissait d’autres formalités (l’article 13). L’article 14 de la LC conférait à l’ONF l’autorité générale d’« employer » des personnes dans des charges autres que des « postes continus ». Dans l’arrêt SGCT no 1, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il n’y avait pas de formalité particulière à suivre pour employer une personne dans une charge autre qu’un poste continu.

134 Dans Econosult, la Cour suprême a fait sienne l’analyse contenue dans l’arrêt SGCT no 1. La Cour suprême a pris acte de la conclusion de la Cour d’appel fédérale selon laquelle l'emploi d'une personne dans un poste autre qu'un poste continu n'était assujetti à « aucune formalité spéciale ». La Cour suprême a déclaré que l’arrêt SGCT no 1 ne permettait pas d’affirmer que « […] la Commission peut considérer des personnes comme des membres de la Fonction publique au mépris des formalités légales, en raison d'une conduite qui ne satisfait pas aux conditions légales préalables. »

135 Je souscris à la déclaration contenue au paragraphe 7:360 de l’ouvrage de Mme Caron selon laquelle la question de savoir si une personne peut être considérée comme l’employé de fait d’un employeur distinct « [traduction] […] doit être analysée au regard de la législation habilitante de cet employeur distinct. »

136 La disposition pertinente de la LAPC est libellée comme suit :

[…]

13. (1) Le directeur général a le pouvoir exclusif :

a) de nommer, mettre en disponibilité ou licencier les employés de l’Agence;

b) d’élaborer des normes, procédures et méthodes régissant la dotation en personnel, notamment la nomination, la mise en disponibilité ou le licenciement autre que celui qui est motivé.

Droit de l’employeur

(2) La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique n’a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l’autorité du directeur général de régir les questions visées à l’alinéa (1)b).

[…]

137 Le paragraphe 2(1) de la LAPC définit le terme « employé » comme suit : « […] employé nommé en vertu du paragraphe 13(1). »

138 Bien que les « formalités légales » régissant la nomination des employés de l’APC ne soient pas aussi exigeantes que celles contenues dans la LEFP ou la LC, il y a tout de même des conditions à remplir pour être considéré comme un employé. Le pouvoir exclusif de faire des nominations appartient au DG de l’APC. Le DG a également le pouvoir exclusif d’élaborer des « normes, des procédures et des méthodes » régissant les nominations. La LAPC indique aussi expressément que la LRTFP n’a pas pour effet de porter atteinte à l’autorité du DG de « régir » l’élaboration de ces normes, procédures et méthodes. Il s’ensuit que selon la loi, une personne doit être nommée par le DG de l’APC, conformément à toute norme, procédure ou méthode établie, pour être considérée comme un employé.

139 Il est également important d’examiner des lois fédérales analogues pour trouver des indications sur l’interprétation des dispositions de la LRTFP. Il existe une présomption, en matière d’interprétation des lois, que l’intention du législateur était de traiter les mêmes questions de la même manière; voir l’ouvrage intitulé Sullivan on the Construction of Statutes, 5e édition, 2008, à la page 416. Par exemple, la Cour suprême s’est basée sur l’existence d’une disposition qui ne se trouvait pas dans d’autres lois analogues pour étayer son interprétation du pouvoir des tribunaux de déclarer des parties coupables d’outrage au tribunal; voir l’arrêt Chrysler Canada Ltd. c. Canada (Tribunal de la concurrence), [1992] 2 R.C.S. 394.

140 Le Code canadien du travail (le « Code ») contient un libellé analogue à celui de la LRTFP. Au paragraphe 3(1) du Code, le terme « employé » est défini de la façon suivante : « […] personne travaillant pour un employeur; y sont assimilés les entrepreneurs dépendants […] ». Le paragraphe 16p) du Code confère également au CCRI le pouvoir de déterminer si une personne est un employé. La LRTFP ne contient pas de disposition similaire. Le fait que le CCRI ait le pouvoir de déterminer si une personne est un employé m’amène à conclure que la CRTFP ne possède pas ce pouvoir.

141 Dans l’arrêt Farrell, la Cour fédérale s’est penchée sur la question de savoir si une personne pouvait être l’employé de fait d’un employeur distinct. La Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité confère au directeur le pouvoir exclusif d’exercer les attributions de la CFP en vertu de la LEFP; cette loi établit un cadre législatif différent de celui de la LAPC. La Cour fédérale a conclu que la nomination d'un employé de la fonction publique doit être effectuée en conformité avec les pouvoirs conférés par la loi et que c’est l’unique façon de procéder.

142 Dans l’affaire Catlos (qui portait sur l’application de la Loi sur la statistique), l’arbitre de grief a conclu qu’il avait compétence pour déterminer si le fonctionnaire s’estimant lésé était un employé en common law ou un entrepreneur indépendant. La décision ne contient à peu près aucune analyse. Comme M. Rootham l’indique dans son ouvrage, les nominations effectuées en vertu de la Loi sur la statistique ne nécessitent aucune formalité (voir page 68). La différence ici c’est que la LAPC établit des formalités de nomination.

143 Dans sa demande, l’agent négociateur décrit la catégorie d’employés visés comme suit :  « [traduction] […] tous les employés saisonniers et à temps plein travaillant au lieu historique national de la Citadelle d’Halifax qui sont rémunérés par le Halifax Citadel Regimental Association. » Faute de nominations faites par l’APC conformément aux formalités contenues dans la LAPC, la CRTFP n’a pas compétence pour trancher la demande.

144 Les griefs renvoyés à l’arbitrage excéderont également la compétence de la Commission si les personnes concernées n’ont pas été nommées conformément à la loi. Par conséquent, les griefs de Mme Surette-Aucoin et de M. Hubley sont rejetés. M. Kiley allègue qu’il « [traduction] a été embauché par un gestionnaire de l’APC, qui lui avait laissé entendre qu’il allait être un employé en titre de l’APC » (voir les arguments de l’agent négociateur ci-dessus). Cette allégation est différente de celle des autres employés s’estimant lésés. Le problème relève du fait que M. Kiley a commencé à travailler en 1997, quand Parcs Canada était régi par la LEFP. En l’absence d’acte de nomination, M. Kiley ne peut pas être considéré comme un fonctionnaire. Il s’ensuit que son grief est également rejeté.

145 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

146 L’objection à la compétence de la CRTFP pour trancher la demande et les griefs est accueillie.

147 La demande est rejetée.

148 Les griefs de M. Kiley, de Mme Surette-Aucoin et de M. Hubley sont rejetés.

Le 16 décembre 2009.

Traduction de la CRTFP.

Ian R. Mackenzie,
vice-président et
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.