Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante était représentée par son agent négociateur dans le cadre d’un grief - l’employeur a rejeté le grief - la plaignante a préféré s’adresser à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) plutôt que de renvoyer son grief à l’arbitrage - la CCDP a rejeté la plainte - la plaignante a alors décidé de renvoyer le grief à l’arbitrage, mais il était trop tard - l’agent négociateur a refusé de demander à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) d’accorder une prorogation du délai - la plaignante a déposé une plainte à la CRTFP contre son agent négociateur, pour défaut de représentation équitable - l’agent négociateur a objecté que la plainte était hors délai, parce que les événements qui la fondaient remontaient à quelques années - la Commission a jugé que la plainte était partiellement hors délai, mais que la Commission entendrait la plainte sur le fond quant à la décision de ne pas demander à la CRTFP d’accorder une prorogation du délai. Objection partiellement accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-12-21
  • Dossier:  561-02-181
  • Référence:  2009 CRTFP 177

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

CHANTAL RENAUD

plaignante

et

ASSOCIATION CANADIENNE DES EMPLOYÉS PROFESSIONNELS

défenderesse

Répertorié
Renaud c. Association canadienne des employés professionnels

Affaire concernant une plainte visée à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Marie-Josée Bédard, vice-présidente

Pour la plaignante:
Elle-même

Pour la défenderesse:
Lise Leduc, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 3 et 4 novembre 2009.

I. Plainte devant la Commission

1 Le 24 septembre 2007, Chantal Renaud (la « plaignante ») a déposé une plainte contre la défenderesse, l’Association canadienne des employés professionnels (l’ « ACEP »), son agent négociateur, en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). La plaignante allègue que la défenderesse a exercé une pratique déloyale, au sens de l’article 187 de la Loi, en contrevenant à son obligation de juste représentation. Dans le formulaire de plainte, la plaignante a exposé comme suit les reproches qu’elle formule à l’endroit de la défenderesse :

[…]

Plainte pour représentation inéquitable (Unfair Representation)

Le 13 août 2007, le défendeur ACEP a refusé de demander une prorogation des délais pour renvoyer mon grief à l’arbitrage.

Par ce refus du 13 août 2007, l’ACEP a aussi refusé de corriger une faute qu’elle avait commise, en juin 2006, en omettant de renvoyer mon grief à l’arbitrage à l’intérieur des délais.

Le 13 août 2007, en refusant de demander une prorogation des délais et en refusant de corriger sa propre faute, l’ACEP a agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de ma représentation, contrairement à l’article 187 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003 c. 22.

[…]

2 La défenderesse a soulevé une objection à la recevabilité de la plainte, alléguant qu’elle a été déposée à l’extérieur du délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi.

3 J’ai informé les parties, lors de l’audience du 3 novembre 2009, que je trancherais, dans un premier temps, l’objection à la recevabilité de la plainte et que l’audience ne porterait que sur cette objection.

II. Résumé de la preuve

4 Les événements qui ont donné lieu à la présente plainte ont débuté en 2004, et ils se sont succédé comme suit.

5 Le 8 décembre 2004 et le 21 mars 2005, la plaignante a déposé deux griefs dans lesquels elle alléguait avoir fait l’objet de discrimination de la part de son employeur. Ses griefs étaient fondés sur l’article 16 (élimination de la discrimination) de sa convention collective (convention collective entre le Conseil du Trésor et l’Association canadienne des employés professionnels (groupe Économique et services de sciences sociales)). Les griefs de la plaignante ont été traités aux différents paliers de la procédure interne de griefs de l’employeur et, le 16 juin 2006, l’employeur les a rejetés au dernier palier de la procédure.   

6 Le 7 décembre 2004, la plaignante avait également déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), dans laquelle elle formulait essentiellement les mêmes allégations que celles soulevées dans ses griefs. Le 9 mai 2005, la CCDP a décidé, en vertu du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré aux termes de l’alinéa 41(1)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (LCDP), de ne pas statuer sur la plainte de la plaignante, déclarant qu’elle devait d’abord épuiser les procédures de règlement de griefs qui s’offraient à elle.

7 Lorsque la plaignante a déposé sa plainte et ses griefs auprès de la CCDP, elle était conseillée par Jean Ouellette, qui était agent de relations de travail au sein de la défenderesse. En 2006, M. Ouellette a obtenu une promotion et le dossier de la plaignante a été transféré à Lionel Saurette, qui lui a succédé comme agent de relations de travail.

8 M. Saurette a déclaré avoir fait une analyse des dossiers de la plaignante en juin 2006. Il a expliqué que sous l’égide de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’ « ancienne Loi »), il était acquis en jurisprudence qu’un grief dont l’essence résidait dans une allégation de discrimination en violation de l’article de non-discrimination d’une convention collective ne pouvait être renvoyé à l’arbitrage, à moins qu’une autre disposition de la convention collective ne soit en cause, et que l’allégation de discrimination devait plutôt faire l’objet d’une plainte à la CCDP.

9 M. Saurette a affirmé qu’en raison de cet encadrement juridique, il estimait que les griefs de la plaignante ne pouvaient être renvoyés à l’arbitrage. Néanmoins, en mai 2006, il a eu des échanges avec l’employeur en vue de négocier un règlement des griefs de la plaignante, mais les parties n’ont pas réussi à s’entendre. Après que l’employeur eut rejeté les griefs de la plaignante au dernier palier de la procédure interne de règlement des griefs, le 16 juin 2006, M. Saurette a dit avoir recommandé à la plaignante de renvoyer ses griefs à l’arbitrage sur une base conditionnelle. M. Saurette a expliqué qu’un renvoi conditionnel à l’arbitrage consistait à renvoyer un grief à l’arbitrage afin de diriger le dossier aux services de médiation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») et tenter de négocier un règlement. Lorsqu’un renvoi conditionnel ne donne lieu à aucun règlement, les griefs sont retirés. M. Saurette a affirmé avoir eu une conversation téléphonique à cet effet avec la plaignante le 26 juin 2006, et l’avoir informée qu’ils avaient 40 jours ouvrables pour renvoyer les griefs à l’arbitrage, soit jusqu’au 25 juillet 2006. M. Saurette a indiqué que lors de cet entretien, la plaignante lui a indiqué qu’elle avait demandé à la CCDP de réactiver son dossier, ce que la CCDP avait accepté, et qu’elle était plus intéressée à poursuivre sa plainte à la CCDP qu’à renvoyer ses griefs à l’arbitrage.

10 M. Saurette a ajouté que l’ACEP ne pouvait renvoyer un grief individuel à l’arbitrage sans l’autorisation du fonctionnaire. Il a déclaré qu’il a donc tenté de joindre la plaignante, le 11 juillet 2006, pour lui demander, avant l’échéance du 25 juillet 2006, si elle avait décidé de renvoyer ses griefs à l’arbitrage. M. Saurette a affirmé qu’il n’avait pas joint la plaignante, mais qu’il lui avait laissé un message lui demandant de communiquer de nouveau avec lui. Il a affirmé que la plaignante ne l’avait jamais rappelé et que, par conséquent, les griefs de la plaignante n’ont pas été renvoyés à l’arbitrage. Les notes de M. Saurette, qui ont été déposées en preuve, font état de cet appel.

11 La plaignante, pour sa part, a admis avoir eu une conversation avec M. Saurette, au cours de laquelle il lui a recommandé de renvoyer ses griefs à l’arbitrage. Elle a admis lui avoir répondu qu’elle privilégiait la poursuite de sa plainte auprès de la CCDP comme le lui avait recommandé M. Ouellette lors du dépôt de sa plainte et de ses griefs. La plaignante a précisé que M. Saurette était nouvellement assigné à son dossier et qu’elle privilégiait les recommandations que lui avaient faites M. Ouellette. Elle a par ailleurs nié que M. Saurette lui ait dit qu’elle avait un délai pour renvoyer ses griefs à l’arbitrage et elle a nié avoir reçu un message de M. Saurette le 11 juillet 2006.

12 Témoignant au regard de la plainte déposée par la plaignante auprès de la CCDP, M. Saurette a affirmé que l’ACEP n’avait pas le mandat de représenter ses membres auprès de la CCDP, mais que l’ACEP acceptait d’agir comme ressource-conseil lorsqu’un membre déposait une plainte à la CCDP, en l’aidant notamment à rédiger les documents pertinents. M. Saurette a déclaré que c’est le type de soutien qu’il a donné à la plaignante. Le 20 août 2006, la plaignante a envoyé à M. Saurette un projet de document qu’elle entendait soumettre à la CCDP. M. Saurette a affirmé avoir discuté du contenu de ce document avec la plaignante le 24 août 2006. Sur la page d’envoi par télécopieur du document que lui avait acheminé la plaignante, M. Saurette a noté avoir eu une conversation avec la plaignante le 24 août 2006, au cours de laquelle ils ont discuté de modifications à apporter au document qu’elle lui avait envoyé. Il a également noté ceci : « De plus, elle comprend que les griefs sont terminés et que je fermerai les dossiers. »

13 La plaignante, pour sa part, a reconnu avoir eu des discussions avec M. Saurette concernant les documents qu’elle devait déposer à la CCDP, mais elle a nié que M. Saurette lui ait dit, à quelque moment que ce soit, que ses dossiers de griefs étaient terminés et que l’ACEP fermait ses dossiers.

14 Le 27 octobre 2006, la CCDP envoie une lettre à la plaignante dans laquelle le gestionnaire des enquêtes l’informe que l’enquête relative à sa plainte est terminée et qu’il lui transmet le rapport d’enquête qui sera soumis à la CCDP pour décision, afin qu’elle puisse présenter ses observations. Le rapport d’enquête fait état d’une recommandation que la CCDP ne statue pas sur la plainte de la plaignante, dans les termes suivants :

[…]

Recommandation

  1. Il est recommandé, en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, que la Commission ne statue pas sur la plainte parce que :

    • les questions sur lesquelles la Commission se pencherait en cours d’enquête ont déjà fait l’objet d’une enquête lors des procédures de grief.

[…]

15 La plaignante a fait parvenir le rapport d’enquête de la CCDP par courriel à M. Saurette le 31 octobre 2006. Le 6 novembre 2006, la plaignante a envoyé à M. Saurette une ébauche des observations qu’elle avait préparées à l’intention de la CCDP. Les observations de la plaignante ont éventuellement été envoyées à la CCDP.

16 Le 9 février 2007, la CCDP a envoyé une lettre à la plaignante l’informant qu’elle avait décidé de ne pas statuer sur sa plainte parce que « l’autre voie de recours a permis de trancher l’allégation de discrimination». La lettre mentionnait également la possibilité pour la plaignante de demander à la Cour fédérale de revoir la décision en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, si elle n’était pas satisfaite de la décision de la CCDP.

17 Le 20 février 2007, la plaignante a envoyé un courriel à MM. Saurette et Ouellette, dans lequel elle les informe de la décision de la CCDP et leur demande conseil. Le courriel contient, entre autres, ce qui suit :

[…]

Que se passe t-il? Pourquoi la Commission rejette mon dossier?

Présentement, je suis inscrite à un cours sur le droit du travail. J’ai discutée de mon cas avec mon professeur et il suggères quelques pistes de solutions (voir document en Msword). Cependant il hésite un peu car il a l’impression que la Commission ne veux plus s’occuper de mon dossier…pourtant en mai 2005 la lettre mentionnais :

« La commission acceptent la plainte mais la plaignante devrait épuiser les autres procédures d’appel ou de règlement des griefs qu s’offrent à elle, cependant si vous n’êtes pas satisfaite après la décision vous devez communiquer avec la Commission dès que possible. »                

Jean, dès le début tu m’as toujours conseiller d’aller à la Commission Canadienne des droits de la personne et M. Saurette, cet été, me conseillait d’aller en arbitrage

Est-ce qu’on peut aller en arbitrage suite à la décision de la Commission de ne pas statuer? Quels sont mes recours?

OU est-ce qu’on va à la Cour fédérale pour défendre notre dossier de la commission pour qui plaide ma cause? mais ceci risque d’être hardue.

Il faut prendre une décision éclairer d’ici la fin février et je compte sur votre expérience votre expertise votre savoir pour qu’il y a Justice dans mon dossier car j’ai été vraiment victime de discrimination à cause de mon handicap physique et je veux que Justice soit faite dans mon cas.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

18 M. Saurette a déclaré que lorsque l’ACEP doit décider si elle demandera la révision judiciaire d’une décision ou si elle appuiera une telle demande, elle demande l’opinion d’un cabinet d’avocats, ce qu’elle a fait eu égard à la décision de la CCDP. Sur la base de l’opinion juridique qu’elle a reçue, l’ACEP a décidé de ne pas appuyer une demande de révision judicaire de la décision de la CCDP.

19 M. Saurette a affirmé avoir eu une conversation téléphonique avec la plaignante le 28 février 2007, au cours de laquelle il l’a informé que l’ACEP n’appuierait pas une demande de révision judiciaire de la décision de la CCDP et ne ferait pas d’autre représentation dans son dossier. M. Saurette a noté ce qui suit après sa conversation avec la plaignante : « […] Je lui ai dit que selon ce que nous voyons dans le dossier notre représentation s’arrête ici. Nous n’appuierons pas une demande à la CF. Elle va réfléchir et elle nous revient. »

20 M. Saurette a affirmé ne pas avoir eu d’autre conversation avec la plaignante après le 28 février 2007.   

21 Le 9 mars 2007, la plaignante a déposé, de son propre chef, une demande de révision judiciaire de la décision de la CCDP à la Cour fédérale.

22 Le 14 mars 2007, l’ACEP a envoyé une lettre à la plaignante l’informant formellement de sa décision de ne pas appuyer une demande de contrôle judiciaire. La lettre contient ce qui suit :

[…]

Je vous écris pour vous informer de la décision de l’Association canadienne des employés professionnels (ACEP) relativement à votre demande que l’ACEP dépose une demande en contrôle judiciaire à la Cour fédérale pour contester la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) du février 2007 de ne pas statuer sur votre plainte.

Après une analyse exhaustive de votre dossier par notre avocate-conseil, nous sommes d’avis qu’une demande en contrôle judiciaire de la décision de la CCDP n’aurait que des chances minimes de succès à la Cour fédérale. À défaut d’avoir procédé au renvoi en arbitrage, vous ne disposez d’aucun autre recours à l’égard de votre plainte. Dans les circonstances, nous sommes d’avis qu’il ne serait pas dans les meilleurs intérêts de l’ACEP de vous fournir une représentation en ce qui concerne votre plainte déposée auprès de la CCDP.

Nous comprenons que ce n’est pas la réponse que vous vouliez, malheureusement les circonstances nous ne permettent pas de faire autrement.

[…]

23 Le 14 mars 2007, la plaignante a envoyé un courriel à M. Saurette, dans lequel elle lui demande de lui expliquer la phrase suivante qu’elle dit ne pas comprendre : « À défaut d’avoir procédé au renvoi en arbitrage, vous ne disposez d’aucun autre recours à l’égard de votre plainte.»

24 Le 15 mars 2007, M. Saurette lui a répondu ce qui suit par courriel :

[…]

Autrement dit, vous avez épuisé vos recours au sens suivant : vous avez déposé deux griefs, mais vous n’avez pas procédé au renvoi en arbitrage, donc ce recours fut terminé en juillet 2006; et, vous avez déposé une plainte auprès de la CCDP laquelle a décidé de ne pas statuer sur votre plainte, donc ce recours fut terminé en février 2007.

Sauf, évidement vous disposez du recours de déposer une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale pour contester la décision de la CCDP. Mais l’ACEP, maintient, comme notre lettre le mentionne, que : Dans les circonstances, nous sommes d’avis qu’il ne serait pas dans les meilleurs intérêts de l’ACEP de vous fournir une représentation en ce qui concerne votre plainte déposée auprès de la CCDP.

[…]

25 La plaignante a déclaré avoir discuté de sa situation et de son dossier avec son professeur de droit du travail après la fin de la session universitaire du printemps 2007. Elle a affirmé que ces discussions lui ont fait réaliser qu’elle n’avait pas été bien représentée, ni bien dirigée par son agent négociateur, et que ses griefs auraient dû être renvoyés à l’arbitrage. Elle a affirmé que son professeur lui a également conseillé de se désister de sa demande de révision judiciaire à la Cour fédérale, parce qu’une telle procédure lui occasionnerait des coûts importants. La plaignante s’est effectivement désistée de sa demande de révision judiciaire en Cour fédérale.

26 Le 31 mai 2007, la plaignante s’est prévalue du mécanisme de plaintes de l’ACEP (Protocole no.2 – Représentation des membres) et elle a déposé une plainte auprès de M. Ouellette, en sa qualité de directeur des relations de travail de l’ACEP. Dans sa plainte, la plaignante reprochait notamment à la défenderesse de ne pas l’avoir convaincue de renvoyer ses griefs à l’arbitrage, de l’avoir mal conseillé lors du traitement de sa plainte par la CCDP, de ne pas avoir supporté sa demande de révision judiciaire de la décision de la CCDP et de ne pas avoir transféré son dossier à son nouvel agent négociateur. Quant aux reproches eu égard au renvoi à l’arbitrage de ses griefs, la plaignante s’est exprimée comme suit :

[…]

5) En juillet 2006, M. Saurette aurait dû insister pour aller en arbitrage, puisque « le grief appartient au syndicat ». Pour ma part, j’ai suivi les recommandations de M. Ouellette d’aller à la Commission canadienne des droits de la personne. Je réalise aujourd’hui que M. Saurette aurait dû m’empêcher d’aller à la Commission canadienne des droits de la personne. Vu que « le syndicat est maître du grief », le syndicat aurait dû m’imposer la décision d’aller en arbitrage plutôt que d’aller à la Commission canadienne des droits de la personne.

[…]

27 À titre de mesure corrective, la plaignante réclamait que l’ACEP soumette à la Commission une demande de prorogation des délais pour renvoyer ses griefs à l’arbitrage. Elle s’exprime comme suit :

[…]

Comme vous le savez, l’association canadienne des employés professionnels a l’obligation de fournir des services à tous ses membres.

Dans le 3ième paragraphe du Protocole no. 2, il est cité :

Si un membre estime que son affaire a été traitée de façon arbitraire

Dans mon dossier, j’estime que mon affaire a été traitée de façon arbitraire par le syndicat tel que décrit à l’Annexe A ci-jointe.

J’ai déjà discuté de ce problème avec l’agent des relations de travail, soit M. Lionel Saurette, sans résultat. Par conséquent, je vous soumets maintenant l’affaire en vertu du protocole no. 2 – Protocole de représentation des membres.

Par la suite, en conséquence, je demande que mes 2 griefs no. 675-3-282 et 675-3-283 soit renvoyés à l’arbitrage à la Commission des relations de travail dans la fonction publique.

Je suis consciente qu’ayant reçu la réponse au dernier palier, soit le 25 juin 2006, le délai de 40 jours est écoulé. Cependant cela est dû au fait que l’Association canadienne des employés professionnels m’a conseillé d’aller à la Commission canadienne des droits de la personne, plutôt que d’aller en arbitrage.

Je demande donc à l’association canadienne des employés professionnels d’obtenir la prorogation des délais en vertu de l’alinéa 12 (a) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (DORS/2005-79).

Ce que je désire maintenant, c’est d’avoir la chance d’obtenir une audition d’arbitrage publique et impartiale, de faire venir mes nombreux témoins en cour et finalement avoir justice.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

28 Le 5 juin 2007, M. Ouellette a écrit à la plaignante pour l’informer qu’il était satisfait que son dossier n’avait pas été traité de façon arbitraire par l’ACEP.

29 Le 19 juin 2007, la plaignante a fait parvenir sa plainte au prochain palier de la procédure interne de plainte, soit à Claude Danik, directeur exécutif de l’ACEP. Le 27 juin 2007, M. Danik lui a répondu ce qui suit :

[…]

[…] Plus particulièrement, vous affirmez que le travail a été effectué de façon arbitraire, et vous demandez que l’ACEP obtienne une prorogation du délai pour le renvoi de vos griefs en arbitrage.

J’ai lu attentivement votre lettre ainsi que le résumé que vous m’avez fait parvenir en document attaché (l’Annexe A). J’ai demandé et examiné les dossiers de l’ACEP qui contiennent l’information et la documentation de vos griefs et de votre plainte. J’ai lu attentivement les avis de nos avocats conseils.

Il appert que l’Association a préparé et présenté des griefs bien documentés. Les dossiers indiquent aussi que vous avez bien été en communication avec votre agent de relations de travail tant pour discuter du bien fondé de vos revendications que de l’administration des recours. Je vois aussi que votre agent de relations de travail a utilisé avec bon escient nos avocats conseils. Je ne peux de tous les faits observés conclure que les décisions de l’ACEP à l’égard de vos dossiers ont été arbitraires. Je suis confiant que l’Association a soigneusement mené à bien vos dossiers et a pris ses décisions dans votre meilleur intérêt.

[…]

30 Le 3 juillet 2007, la plaignante a fait parvenir sa plainte au président de l’ACEP, José Aggrey. Le 13 août 2007, M. Aggrey a rejeté la demande de la plaignante. Dans la lettre qu’il lui a envoyée, il s’exprime comme suit :

[…]

J’ai examiné votre lettre et la pièce qui y était jointe. J’ai aussi examiné certains des documents versés à vos dossiers. Sur la foi de cet examen, je suis convaincu que l’ACEP n’a pas traité votre affaire de manière arbitraire. J’estime que l’ACEP vous a fourni des services de représentation professionnels. L’ACEP, dans sa représentation, a parfaitement tenu compte de vos intérêts et de vos préoccupations.

[…]

31 Le 24 septembre 2007, la plaignante a déposé la présente plainte de pratique déloyale.      

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la défenderesse

32 La défenderesse soumet que les événements qui ont donné lieu à la plainte se sont produits en juillet 2006, lorsque les griefs de la plaignante n’ont pas été renvoyés à l’arbitrage. La défenderesse soumet que la plaignante lui reproche plus  spécifiquement de ne pas l’avoir convaincue, en juillet 2006, qu’elle devait renvoyer ses griefs à l’arbitrage plutôt que de poursuivre son dossier de plainte auprès de la CCDP. La défenderesse soutient que la faute que lui reproche la plaignante remonte donc à juillet 2006 et que, dès lors, le délai de 90 jours pour déposer une plainte commençait à courir à ce moment, plus précisément le 25 juillet 2006, soit à l’échéance du délai pour renvoyer les griefs à l’arbitrage.  

33 La défenderesse soutient que le délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi est un délai obligatoire que la Commission n’a pas le pouvoir de proroger. Elle a fait référence à cet égard à Castonguay c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 78 et à Cunningham c. Service correctionnel du Canada et Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN, 2009 CRTFP 96. 

34 La défenderesse a également renvoyé à Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 100, dans laquelle l’arbitre de grief a précisé que le délai commençait à courir dès que le plaignant avait connaissance de la faute alléguée et que toute discussion ou négociation ultérieure ne pouvait avoir pour effet de proroger les délais. 

35 La défenderesse soutient que le seul motif invoqué par la plaignante pour ne pas avoir déposé sa plainte à l’intérieur des délais réside dans son ignorance des délais. Or, la défenderesse soutient que l’ignorance de la Loi ne peut constituer une excuse. La Loi prévoit clairement que le délai court à compter du moment où la personne avait ou aurait dû avoir connaissance des circonstances donnant lieu à la plainte. La défenderesse a renvoyé, à cet égard, à Hérold c. Alliance de la Fonction publique et Gritti, 2009 CRTFP 132.

36 La défenderesse a aussi traité des événements de février 2007, lorsque la plaignante a été informée que la CCDP ne statuerait pas sur sa plainte et que la défenderesse n’appuierait pas une demande de révision judiciaire à l’encontre de cette décision et qu’elle cessait toute représentation dans son dossier. La défenderesse a précisé que le 28 février 2007 et le 14 mars 2007, elle avait clairement informé la plaignante qu’elle cessait toute représentation dans son dossier et qu’elle n’appuierait pas une demande de révision judiciaire de la décision de la CCDP. La défenderesse soutient qu’à la limite, le délai de 90 jours pour déposer une plainte contre la défenderesse commençait à courir à compter de ce moment-là.   

37 La défenderesse soutient que la procédure interne de plaintes que la plaignante a entamée auprès de l’ACEP, en mai 2007, ne peut avoir pour effet de proroger les délais pour déposer une plainte en vertu du paragraphe 190(2) de la Loi. Elle a ajouté que les seules circonstances dans le cadre desquelles un membre doit se prévaloir des mécanismes de recours internes de l’agent négociateur, avant de pouvoir déposer une plainte, sont celles qui sont prévues aux alinéas 188b) et c) de la Loi. 

38 La défenderesse a finalement renvoyé à Canada (Procureur général) c. Boutilier, [2000] 3 C.F. 27, qui a confirmé que sous l’égide de l’ancienne Loi, une allégation de discrimination devait faire l’objet d’une plainte auprès de la CCDP et non d’un grief. 

B. Pour la plaignante

39 La plaignante soutient que sa plainte a été déposée à l’intérieur du délai de 90 jours prévu à la Loi et que ce délai courait à compter du 13 août 2007, lorsque la défenderesse a rejeté sa plainte de représentation inadéquate et refusé de saisir la Commission pour demander une prorogation pour renvoyer ses griefs à l’arbitrage.

40 La plaignante a indiqué qu’en juillet 2006, elle était convaincue qu’elle devait poursuivre ses démarches auprès de la CCDP. À cet égard, elle a affirmé qu’elle se fiait aux recommandations que lui avait faites M. Ouellette et qu’elle avait l’impression que M. Saurette ne connaissait pas bien son dossier. La plaignante reproche à M. Saurette de ne pas l’avoir mieux aiguillé en juillet 2006 en lui expliquant qu’elle devait privilégier le renvoi de ses griefs à l’arbitrage, plutôt que de poursuivre le processus de plainte auprès de la CCDP. Elle soutient également que les griefs appartiennent à l’agent négociateur et que la défenderesse aurait dû, devant son refus de renvoyer ses griefs à l’arbitrage, prendre l’initiative de renvoyer ses griefs à l’arbitrage en juillet 2006. 

41 La plaignante a également soutenu qu’à aucun moment elle n’a compris, ou été informée, qu’en ne renvoyant pas ses griefs à l’arbitrage en juillet 2006, elle abandonnait ses griefs. La plaignante soutient qu’elle croyait que ses griefs seraient traités par la CCDP.

42 La plaignante dit avoir été surprise et confuse lorsqu’elle a reçu la décision de la CCDP en février 2007. Elle a déclaré avoir compris de la décision de la CCDP et d’une conversation téléphonique qu’elle a eue en mars 2007 avec l’enquêtrice au dossier, que la CCDP avait cru que ses griefs avaient été entendus par un arbitre de grief et qu’elle avait reçu une compensation financière. Elle a affirmé avoir demandé conseil à MM. Saurette et Ouellette. Elle a déclaré qu’elle aurait aimé que la défenderesse l’appuie et la représente dans le cadre de la demande de révision judiciaire, mais qu’en raison du refus de la défenderesse, elle avait dû abandonner ce recours, faute de ressources financières.

43 La plaignante affirme avoir consulté le professeur qui lui avait enseigné en droit du travail au cours de la session d’hiver 2007 et avoir également consulté un avocat de pratique privée. Elle soutient que ce sont ces consultations qui lui ont fait comprendre qu’elle n’avait pas été bien représentée par l’ACEP et que cette dernière aurait dû renvoyer ses griefs à l’arbitrage au lieu de la diriger à la CCDP. La plaignante soutient que c’est ce qui l’a amené à déposer une plainte en vertu du mécanisme interne de plaintes en matière de représentation et à demander à la défenderesse de saisir la Commission pour demander une prorogation de délai pour renvoyer ses griefs à l’arbitrage.         

IV. Motifs

44 Le paragraphe 190(2) de la Loi stipule qu’une plainte fondée sur le paragraphe 190(1) de la Loi doit être déposée dans les 90 jours :

[…] les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu – ou, selon la Commission, aurait dû avoir – connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

45 La Commission a statué à plusieurs reprises que ce délai est obligatoire et qu’elle ne disposait pas du pouvoir de le proroger (Castonguay; Cunningham; Panula c. Agence du revenu du Canada et Bannon, 2008 CRTFP 4; Dumont et al. c. Ministère du développement social, 2008 CRTFP 15, Cuming c. Butcher et al., 2008 CRTFP 76). 

46 Pour trancher l’objection soulevée par la défenderesse, je dois donc déterminer à quel moment la plaignante a eu, ou aurait dû avoir connaissance des circonstances ayant donné lieu à sa plainte. La plaignante reproche à la défenderesse de ne pas avoir renvoyé ses griefs à l’arbitrage en juillet 2006; elle lui reproche également de ne pas avoir demandé à la Commission, en août 2007, une prorogation des délais pour renvoyer ses griefs à l’arbitrage. Même si les deux reproches formulés à l’endroit de la défenderesse mettent en cause ses actions ou omissions eu égard aux mêmes griefs, je considère que les événements de juillet 2006 et d’août 2007 sont survenus dans des circonstances différentes et qu’ils doivent, aux fins de la plainte, être considérés comme « […] des circonstances ayant donné lieu [à la plainte] […] » qui sont distinctes. J’y reviendrai plus loin dans la décision.    

47 Je vais, dans un premier temps, traiter des événements de juillet 2006. Certains éléments de la preuve sont contradictoires au regard des faits ayant entouré le non-renvoi des griefs de la plaignante à l’arbitrage, mais un des éléments qui m’apparaît déterminant en l’espèce, ne l’est pas : la plaignante et M. Saurette ont eu une conversation dans la cadre de laquelle M. Saurette a recommandé à la plaignante de renvoyer ses griefs à l’arbitrage, ce à quoi elle a répondu qu’elle avait demandé à la CCDP de réactiver son dossier et qu’elle privilégiait la poursuite du processus de plainte plutôt que le recours à l’arbitrage de ses griefs. Je conclus, de cette conversation, que la plaignante savait, ou qu’à tout le moins, elle devait savoir, que ses griefs ne seraient pas renvoyés à l’arbitrage. Or, le reproche qu’elle formule à l’endroit de la défenderesse est de ne pas l’avoir convaincue de renvoyer ses griefs à l’arbitrage ou de ne pas les avoir renvoyé elle-même. Le délai pour déposer une plainte courrait dès ce moment et cet élément de la plainte déposée en septembre 2007 est clairement hors délai.   

48 La plaignante soutient qu’elle ne savait pas qu’il y avait un délai pour renvoyer ses griefs à l’arbitrage, et que ce n’est qu’au printemps 2007, après que la CCDP eut rendu sa décision et qu’elle eut consulté son professeur de droit et un autre avocat, qu’elle a compris que la défenderesse avait commis une erreur en ne renvoyant pas ses griefs à l’arbitrage. La plaignante soutient que c’est à ce moment-là que les circonstances donnant lieu à sa plainte sont survenues.  

49 Avec égard, je ne partage pas son avis. Les circonstances donnant lieu à la plainte correspondent au reproche formulé à l’endroit de la défenderesse, soit le défaut allégué de juste représentation, et non le fait, qu’à un moment donné, la plaignante apprend qu’elle a possiblement été mal représentée et qu’elle peut entreprendre un recours contre la défenderesse. Dans Cuming c. Butcher et al., la Commission a écarté un tel argument et indiqué que le libellé du paragraphe 190(2) de la Loi ne permettait pas de conclure que la connaissance des circonstances survenait lorsque le plaignant était informé de l’existence du recours. L’ignorance par un plaignant de ses droits ne peut ni retarder le point de départ du délai ni en prolonger la durée. Le législateur a choisi d’imposer un délai de rigueur assorti d’un critère objectif pour en déterminer le point de départ : le moment où la plaignante a eu, ou aurait dû avoir, connaissance des circonstances donnant lieu à la plainte. En l’espèce, la plaignante invoque son ignorance des délais pour renvoyer ses griefs à l’arbitrage, son ignorance des conséquences de ne pas renvoyer ses griefs à l’arbitrage et son ignorance du fait que la défenderesse était fautive en ne lui recommandant pas les bonnes avenues. Je considère que la plaignante aurait dû savoir à la fin juillet 2006 que ses griefs ne seraient pas renvoyés à l’arbitrage, et c’était là le point de départ du délai.

50 Je conclus donc que la plainte déposée par la plaignante ne peut couvrir les événements de juillet 2006, parce qu’ils sont survenus bien plus de 90 jours avant le dépôt de la plainte.

51 Même si la présente décision ne traite pas du bien-fondé, j’estime utile d’ajouter que l’argument de la plaignante selon lequel la défenderesse aurait dû renvoyer ses griefs à l’arbitrage malgré son refus à elle de le faire, parce que les griefs appartiennent à l’agent négociateur, ne tient pas la route en vertu de la Loi. Dans le régime des relations de travail au sein de la fonction publique fédérale, le grief individuel appartient au fonctionnaire qui s’estime lésé, et non pas à son agent négociateur, et l’article 209 de la Loi indique clairement que c’est « le fonctionnaire » qui peut renvoyer son grief à l’arbitrage dans les circonstances énumérées. Dans certaines circonstances, il doit obtenir de son agent négociateur qu’il accepte de le représenter dans le cadre de l’arbitrage (paragraphe 209(2) de la Loi), mais même dans ces cas, c’est au fonctionnaire qu’il revient de renvoyer son grief à l’arbitrage et non à son agent négociateur.    

52 Je vais maintenant traiter des événements de 2007. J’estime utile de remettre en contexte certains événements qui permettent de mieux comprendre le chevauchement entre la plainte auprès de la CCDP, les griefs et les différentes actions posées, tant par la plaignante que par la défenderesse et qui ont abouti à la plainte du 24 septembre 2007.

53 D’abord, un mot sur le contexte juridique qui prévalait lorsque la plaignante a déposé sa plainte auprès de la CCDP et ses griefs. La plaignante a affirmé avoir compris, au printemps 2007, qu’elle aurait dû privilégier le recours à l’arbitrage, en juillet 2006, plutôt que le processus de plainte à la CCDP. Elle a également affirmé avoir compris par la même occasion que la défenderesse l’avait mal conseillée à cet égard en juillet 2006. Il y a, à mon avis, des éléments au dossier qui permettent d’expliquer que la compréhension qu’avait la plaignante de sa situation à l’époque était raisonnable, mais que les recommandations de la défenderesse l’étaient tout autant. 

54 La plaignante a déposé ses griefs et sa plainte auprès de la CCDP en décembre 2004, soit avant que l’actuelle Loi entre en vigueur. En vertu des dispositions de l’ancienne Loi et suivant la jurisprudence de l’époque, un fonctionnaire qui alléguait avoir été victime de discrimination en violation de la LCDP ne pouvait, a priori, déposer un grief; il devait plutôt déposer une plainte auprès de la CCDP. La CCDP, par ailleurs, disposait de la discrétion de décider, soit de traiter la plainte ou de renvoyer le plaignant à la procédure de grief. Dans Canada (Procureur général) c. Boutilier, 2000 3 CF 27, la Cour d’appel fédérale s’est exprimée comme suit :

[…]

[17] […] En vertu du paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, le législateur a également choisi de priver un employé lésé de son droit non absolu de présenter un grief dans les circonstances où un autre recours administratif de réparation existe sous le régime d’une loi fédérale. Par conséquent, lorsqu’un grief potentiel porte essentiellement sur une plainte d’acte discriminatoire dans le contexte de l’interprétation d’une convention collective, les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne s’appliquent et régissent la procédure à suivre. En pareilles circonstances, l’employé lésé doit donc déposer une plainte auprès de la Commission. L’affaire peut uniquement être entendue comme un grief en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique dans le cas où la Commission détermine, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré aux alinéas 41(1)a) ou 44(2)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, que la procédure de règlement des griefs doit d’abord être épuisée.

[18] Le juge McGillis a aussi expliqué que la CCDP pouvait, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du paragraphe 41 (1) [mod par L.C. 1995, ch. 44, art. 49] de la LCDP, renvoyer l’affaire à la procédure de grief [aux pages 475 et 476] :

Les alinéas 41(1)a) et 44(2)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne constituent d’importants pouvoirs discrétionnaires dans la gamme des mécanismes mis à la disposition de la Commission pour lui permettre d’assumer son rôle dans le traitement d’une plainte et, dans les cas appropriés, d’obliger le plaignant à épuiser les procédures de règlements des griefs. Les alinéas 41(1)a) et 44(2)a) indiquent également que le législateur a expressément envisagé la possibilité que des conflits ou des chevauchements se produisent entre des procédures de règlement des griefs prescrites par différentes lois, comme celle qui est prévue dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, et les procédures et pouvoirs législatifs prévus dans la Loi canadienne sur les droits de la personne concernant le traitement des plaintes au sujet d’actes discriminatoires. En cas de conflit ou de chevauchement, donc, le législateur a choisi d’autoriser la Commission, aux termes des alinéas 44(1)a) et 44(2)a), à déterminer si la question devrait être réglée comme un grief en vertu de l’autre loi comme la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, ou en tant que plainte fondée sur la Loi canadienne sur les droits de la personne. En fait, la capacité de la Commission de prendre une telle décision va de pair avec son rôle crucial dans la gestion et le traitement des plaintes portant sur des actes discriminatoires.          

55 Dans ce contexte, la recommandation que M. Ouellette a faite à la plaignante en décembre 2004 de déposer parallèlement une plainte à la CCDP et des griefs auprès de son employeur était conforme à l’état du droit.

56 Le 9 mai 2005, la CCDP a décidé de ne pas traiter la plainte de la plaignante et a déclaré qu’elle devait d’abord épuiser la procédure de règlement des griefs. Cette décision changeait le contexte et venait légitimer la poursuite du processus relatif aux griefs de la plaignante, parce que la CCDP, en vertu du pouvoir discrétionnaire qui lui était dévolu, avait décidé que la plaignante devait d’abord épuiser la procédure de règlement des griefs. La décision de la CCDP permettait donc à la plaignante de renvoyer ses griefs à l’arbitrage. 

57 La situation n’est toutefois pas demeurée aussi simple. Je m’explique.

58 La procédure de grief n’est épuisée que lorsqu’un grief a été renvoyé à l’arbitrage et qu’un arbitre de grief en a disposé. En principe donc, et conformément à la décision prise par la CCDP le 9 mai 2005, la plaignante devait renvoyer ses griefs à l’arbitrage et attendre la décision de l’arbitre de grief avant de pouvoir saisir de nouveau la CCDP. Or, en juin 2006, après que l’employeur eut rejeté ses griefs au dernier palier de la procédure interne de règlement des griefs, mais sans que ses griefs n’aient été renvoyés à l’arbitrage, la plaignante a demandé à la CCDP de réactiver son dossier de plainte, ce que la CCDP a accepté de faire.

59 Il est surprenant que la CCDP ait accepté de réactiver la plainte de la plaignante à ce stade-là, puisque la procédure de règlement des griefs n’était pas encore épuisée, contrairement à ce que la CCDP avait elle-même prescrit dans sa décision du 9 mai 2005. J’infère toutefois du contenu du rapport d’enquête de la CCDP et la décision du 9 février 2007, que la CCDP a vraisemblablement pensé que les griefs de la plaignante avaient été traités par un arbitre de grief et que dès lors, la plaignante avait épuisé la procédure de règlement des griefs. Mon hypothèse est fondée sur les éléments suivants du rapport d’enquête sur lequel la CCDP a fondé sa décision de refuser de statuer sur la plainte de la plaignante :

[…]

Contexte

  1. La plaignante allègue avoir été défavorisée en cours d’emploi par rapport aux autres employés en raison de sa déficience […]
  2. Le 9 mai 2005, la Commission avise la plaignante qu’elle ne peut statuer jusqu’à l’épuisement des autres recours. Le 26 juin 2006, insatisfaite de la réponse de grief au dernier palier datée du 16 juin 2006, la plaignante demande une réactivation de la plainte.

Renseignements supplémentaires

[…]

  1. La réponse du grief au deuxième niveau tient compte des questions soulevées par la plaignante en vertu de la LCDP. Ces réponses ont été appuyées par la tenue d’une enquête et d’une analyse. Cette réponse est jointe au présent rapport.
  2. Selon la réponse du dernier palier, datée du 16 juin 2006, puisque la plaignante n’avait apporté aucun fait additionnel, il a été décidé de ne pas procéder à l’audition du 3ème palier. La décision de rejet du deuxième palier a été maintenue.
  3. En accord avec Société canadienne des postes c. Barette (2000), la Commission doit examiner la décision de l’arbitre, non pas pour déterminer si elle est liée par cette décision, mais plutôt pour répondre à la question de savoir si, compte tenu de la décision de l’arbitre les questions soulevées en vertu de la LCDP ont été traitées et répondues.

Analyse

  1. Bien que la plaignante puisse ne pas être satisfaite de la décision des procédures de griefs, il appert que les questions soulevées par sa plainte en vertu de la LCDP y ont été traitées. Le rôle de la Commission lorsqu’une plainte a été traitée suite à une décision, est de s’assurer les éléments concernant les droits de la personne ont été traités et de vérifier s’il y a un intérêt public à traiter la plainte. Or, le rapport de grief au deuxième palier démontre que les éléments sur lesquels la Commission se pencherait en cours d’enquête ont été traités.

Recommandation

  1. Il est recommandé, en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, que la Commission ne statue pas sur la plainte parce que :

    • Les questions sur lesquelles la Commission se pencherait en cours d’enquête ont déjà fait l’objet d’une enquête lors des procédures de grief.

60 Je comprends de la référence que fait l’enquêteur à la décision Société canadienne des postes, qu’il croyait que tout comme dans cette affaire, les allégations de discrimination de la plaignante avaient été tranchées par un arbitre de grief.

61 Le fait que la CCDP ait accepté, en juin 2006, de réactiver le dossier de plainte, a vraisemblablement poussé la plaignante à privilégier le processus de plainte plutôt que celui de l’arbitrage de grief.

62 Je n’ai pas à déterminer si la recommandation de la défenderesse de procéder à un renvoi à l’arbitrage conditionnel des griefs de la plaignante était raisonnable, en l’espèce, mais chose certaine, la décision de la CCDP de réactiver le dossier de plainte, alors que les griefs n’avaient pas été renvoyés à l’arbitrage, était de nature à semer la confusion quant à la compétence d’un arbitre de grief dans un contexte où le législateur n’envisageait pas la possibilité d’une dualité de recours à l’égard d’allégations de discrimination.   

63 La situation de la plaignante a par ailleurs changé lorsque la CCDP a rendu sa décision le 9 février 2007. La plaignante se trouvait alors dans une situation où la CCDP refusait de statuer sur sa plainte au motif que ses allégations de discrimination avaient été tranchées dans le cadre de la procédure de règlement des griefs, alors que dans les faits, la procédure de règlement des griefs n’avait pas été épuisée et ses griefs n’avaient jamais été tranchés par un arbitre de grief. La plaignante a exprimé son désarroi face à cette décision, qui la plaçait dans une situation où, ni sa plainte, ni ses griefs, ne seraient traités.

64 La plaignante a donc demandé conseil à la défenderesse. Dans le courriel qu’elle a envoyé à MM. Saurette et Ouellette le 20 février 2007, elle a demandé à la défenderesse de lui indiquer quels étaient ses recours.

65 La défenderesse a refusé d’appuyer une demande de révision judiciaire de la décision de la CCDP et elle a refusé de réactiver les dossiers de griefs de la plaignante.

66 M. Saurette a affirmé avoir eu une conversation téléphonique avec la plaignante le 28 février 2007, au cours de laquelle il l’a informée que l’ACEP n’appuierait pas une demande de révision judiciaire de la décision de la CCDP et ne ferait pas d’autre représentation dans son dossier.

67 Le 14 mars 2007, l’ACEP lui a envoyé une lettre l’informant formellement de sa décision de ne pas appuyer une demande de contrôle judiciaire.

68 Le 14 mars 2007, la plaignante a envoyé un courriel à M. Saurette, dans lequel elle lui demande de lui expliquer la phrase suivante qu’elle dit ne pas comprendre : « À défaut d’avoir procédé au renvoi en arbitrage, vous ne disposez d’aucun autre recours à l’égard de votre plainte. »

69 Le 15 mars 2007, M. Saurette lui a répondu que le recours à l’arbitrage n’était plus possible, et qu’il ne lui restait que le contrôle judiciaire de la décision de la CCDP, que l’ACEP n’appuierait pas.

70 Entre-temps, la plaignante avait déposé de son propre chef une demande de révision judiciaire à l’encontre de la décision de la CCDP, mais elle s’en est subséquemment désistée.

71 La plaignante a par la suite décidé de recourir au processus interne de plainte de la défenderesse et elle a déposé une plainte le 31 mai 2007. D’après sa plainte, elle n’avait pas été convenablement représentée par la défenderesse et elle lui a demandé de réactiver ses dossiers de griefs en demandant à la Commission de proroger les délais pour renvoyer ses griefs à l’arbitrage.

72 Je considère que le refus de la défenderesse d’appuyer la demande de révision judiciaire déposée par la plaignante de même que son refus de faire une demande de prorogation des délais pour renvoyer les griefs de la plaignante à l’arbitrage constituent de nouvelles « circonstances » pouvant donner lieu à une plainte de pratique déloyale. Je considère que les demandes à la défenderesse formulées en février 2007 doivent être distinguées des circonstances de juillet 2006 et ce, même si se sont toujours les mêmes griefs en cause. Le dossier de la plaignante a évolué entre juillet 2006 et février 2007, et les circonstances ont changé. La décision de la CCDP de refuser de statuer sur la plainte de la plaignante a poussé la plaignante à solliciter de nouveau l’aide et les conseils de la défenderesse. Elle lui a demandé si elle devait demander la révision judiciaire de la décision de la CCDP ou si elle devait renvoyer ses griefs à l’arbitrage. La défenderesse a refusé d’appuyer une demande de révision judiciaire de la décision de la CCDP et de réactiver ses griefs et se sont ces décisions qui ont poussé la plaignante à déposer une plainte auprès de la Commission et qui en constituent « [l]es mesures ou [l]es circonstances y ayant donné lieu », aux fins de calculs des délais pour déposer une plainte prévu au paragraphe 190(2) de la Loi.  

73 Avant de déposer une plainte de pratique déloyale auprès de la Commission, en vertu de l’article 190 de la Loi, la plaignante a choisi de se prévaloir du mécanisme interne de plainte au sein de l’ACEP. Dans cette plainte, la plaignante a allégué avoir été mal représentée et elle a réitéré sa demande que la défenderesse saisisse la Commission pour demander une prorogation des délais pour renvoyer ses griefs à l’arbitrage. 

74 La défenderesse prétend que le recours au mécanisme interne de plaintes ne peut proroger les délais prévus au paragraphe 190(2) de la Loi. Je considère pour ma part que le délai de 90 jours ne commençait à courir qu’à l’issue du recours interne. Il est vrai que dans les situations prévues aux alinéas 188b) et c) de la Loi, le législateur a exigé, au paragraphe 190(3) de la Loi, que le fonctionnaire ait épuisé les mécanismes de recours internes pour qu’une plainte soit recevable. Cette obligation n’empêche pas que, dans d’autres circonstances, un fonctionnaire puisse se prévaloir d’un mécanisme interne de plaintes, si un tel mécanisme existe au sein de son agent négociateur, avant de déposer une plainte formelle en vertu de l’article 190 de la Loi. Le fonctionnaire qui reproche à son agent négociateur d’avoir exercé à son endroit une pratique déloyale, au sens de l’article 187, n’a pas l’obligation de se prévaloir du mécanisme interne de plainte avant de pouvoir déposer une plainte. Rien, par ailleurs, ne l’empêche de le faire avant de déposer une plainte auprès de la Commission. 

75 En adoptant un mécanisme interne de plaintes lorsqu’un membre estime avoir reçu une représentation injuste ou arbitraire, la défenderesse incite elle-même ses membres à se prévaloir de ce recours avant de saisir la Commission. Elle ne peut par la suite, lorsqu’un membre s’est prévalu de ce mécanisme, plaider que ce mécanisme n’a pas pour effet de retarder le délai pour présenter une plainte. Si tel était le cas, le recours serait dans bien des cas préjudiciable aux membres de l’ACEP, puisqu’en se prévalant de ce mécanisme, les membres risqueraient de se voir par la suite opposer un délai de prescription les empêchant de déposer une plainte à la Commission. Une telle situation serait complètement illogique.  

76 J’estime qu’il faut distinguer la présente situation de celles qui prévalaient dans Cuming, Boshra et Shutiak c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 29, où la Commission a jugé que les négociations ou les efforts d’un plaignant pour que l’agent négociateur ou l’employeur change la décision donnant lieu à la plainte ne pouvaient servir à retarder le point de départ ou à proroger le délai pour déposer une plainte. En l’espèce, la plaignante n’a pas simplement tenté d’amener la défenderesse à changer d’idée, elle s’est prévalue d’un mécanisme formel de plainte instauré par la défenderesse à l’intention des membres qui estiment avoir fait l’objet d’une représentation inadéquate.  

77 Je considère donc que le recours par la plaignante au mécanisme interne de plainte de la défenderesse a eu pour effet de retarder le point de départ du délai de 90 jours dont elle disposait pour déposer sa plainte. Le délai a donc commencé à courir le 13 août 2007 lorsque la défenderesse a refusé d’accéder aux demandes de la plaignante, au dernier palier du mécanisme interne de plainte et la plainte déposée le 24 septembre 2007 a été déposée à l’intérieur du délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi.      

78 Ceci dit, la plainte ne peut avoir pour objet les événements de 2006 et les circonstances ayant entouré la décision de ne pas renvoyer les griefs à l’arbitrage en juillet 2006 parce que la plainte à leur égard a été déposée à l’extérieur du délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi. Les événements de 2006 pourront, par contre, être invoqués pour donner le contexte dans lequel sont survenus les événements de 2007 visés par la plainte. 

79 Quant aux événements de 2007, la plaignante dans sa plainte a reproché à la défenderesse de ne pas avoir accepté de re-saisir la Commission pour demander une prorogation des délais pour renvoyer ses griefs à l’arbitrage. La plainte ne traite pas du refus de la défenderesse de représenter la plaignante dans le cadre de sa demande de révision judiciaire à l’encontre de la décision de la CCDP.

80 La Commission se penchera donc sur la question à savoir si, en refusant de demander une prorogation pour renvoyer les griefs de la plaignante à l’arbitrage, en août 2007, la défenderesse a enfreint son obligation de juste représentation à l’égard de la plaignante.  

81 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

82 L’objection de la défenderesse est accueillie partiellement. La plainte est hors délai eu égard aux événements de juillet 2006.

83 Une demande aux Services du greffe de la Commission sera faite afin de fixer des dates d’audience pour disposer du bien-fondé de la plainte. 

Le 21 décembre 2009.

Marie-Josée Bédard,
vice-présidente

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