Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés étaient des préposés au courrier - ils travaillaient à la salle du courrier et recevaient et triaient le courrier puis le distribuaient aux autres employés - à quelques reprises, ils ont été affectés à la plateforme de chargement à titre de techniciens intérimaires-entrepôt et distribution - ils recevaient alors une rémunération d’intérim - en plus de leurs rôles à titre de préposés au courrier, on leur a assigné des fonctions à exécuter tôt le matin qui n’étaient pas assignées aux autres préposés au courrier - pour exécuter ces fonctions, ils devaient commencer à travailler une heure plus tôt que les autres préposés à la plateforme de chargement pour décharger deux camions postaux - les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait valoir que ces fonctions, lorsqu’elles sont exécutées dans le cadre de leurs postes d’attache, leur donnaient droit à une rémunération d’intérim à titre de techniciens-entrepôt et distribution - la description de travail des préposés au courrier comprenait l’exigence de recevoir, de traiter et de distribuer le courrier du ministère et indiquait que les préposés au courrier pouvaient être exposés au froid et à des émanations au moment de la réception du courrier sur la plateforme de chargement - même si cette fonction correspond clairement à une fonction incluse dans la description de travail d’un poste d’une classification supérieure, elles chevauchaient également certaines fonctions mentionnées dans la description de travail des préposés au courrier - ces fonctions faisaient partie des tâches que l'employeur peut demander aux préposés au courrier d'exécuter - quoi qu’il en soit, les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas <<exécuté en grande partie>> les fonctions d’un poste d’une classification supérieure puisque les fonctions en question représentaient tout au plus 25 % de leur journée de travail - de plus, les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas exécuté le travail pendant une période intérimaire - cette interprétation n’a donné lieu à aucune absurdité. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-12-04
  • Dossier:  566-34-2460 et 2461
  • Référence:  2009 CRTFP 160

Devant un arbitre de grief


ENTRE

CORNELIUS J. COOPER ET DEREK WAMBOLDT

fonctionnaire s'estimant lésés

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Cooper et Wamboldt c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
George Filliter, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Douglas Hill, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Anne-Marie Duquette, avocate

Affaire entendue à Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard),
le 29 octobre 2009.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs renvoyés à l’arbitrage

1 Cornelius J. Cooper (dossier de la CRTFP 566-34-2460) et Derek Wamboldt (dossier de la CRTFP 566-34-2461), les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires »), sont employés par l’Agence du revenu du Canada (l’« employeur »); ils occupent tous deux un poste classifié au groupe et au niveau CR-02. Le 21 juillet 2006, chacun a déposé un grief alléguant qu’il avait droit à une rémunération d’intérim aux termes de la clause 64.07a) de la convention collective conclue entre l’Agence des douanes et du revenu du Canada et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Exécution des programmes et des services administratifs, expirée le 31 octobre 2007 (la « convention collective »). Ils réclament une rémunération d’intérim pour avoir exercé les fonctions d’un poste classifié au groupe et au niveau GS-STS-04.

2  Je dois décider si la directive qui a été donnée aux fonctionnaires de décharger le courrier et d’exécuter d’autres fonctions connexes à la plateforme de chargement située à Summerside (Île-;du-;Prince-;Édouard) oblige l’employeur à leur payer une rémunération d’intérim. La clause 64.07a) de la convention collective dit expressément ceci :

64.07

  1. Lorsque l’employé-e est tenu par l’Employeur d’exécuter à titre intérimaire une grande partie des fonctions d’un niveau de classification supérieur et qu’il ou elle exécute ces fonctions pendant au moins trois (3) jours de travail ou postes consécutifs, il ou elle touche, pendant la période d’intérim, une rémunération d’intérim calculée à compter de la date à laquelle il ou elle commence à remplir ces fonctions, comme s’il ou elle avait été nommé à ce niveau supérieur.

II. Question de procédure

3 Au début de l’audience, les avocats des deux parties m’ont avisé que la preuve relative au grief de M. Wamboldt s’appliquait aux deux griefs.

4 De plus, les parties ont convenu de présenter des arguments sur le fond du grief seulement. Il a été décidé que, si je concluais que l’employeur avait contrevenu à la convention collective, une autre date d’audience serait fixée pour débattre de la question de la mesure de réparation si les parties étaient incapables de s’entendre sur ce point.

5 Les fonctionnaires ont défendu la position que peu importe la réparation qui pourrait leur être accordée, cette réparation doit s’appliquer à partir de décembre 2006. L’employeur a contesté cet argument en disant que la convention collective fixait un délai pour la présentation d’un grief et que la Cour d’appel fédérale s’était clairement prononcée sur cette question. Les parties ont convenu que la question du respect du délai et de la date d’application de la mesure de réparation pourrait être débattue dans le cadre de l’argumentation générale sur les mesures de réparation, si cela s’avérait nécessaire.

III. Résumé de la preuve

6 Seul M. Wamboldt a témoigné pour le compte des fonctionnaires. L’employeur a appelé Denise Murchison, actuellement chef d’équipe du Programme d’identification des inscrits de l’employeur, qui était chef d’équipe des services administratifs durant la période visée par les griefs. L’employeur a également appelé Calvin Desroches, qui est gestionnaire des services administratifs depuis quatre ans et demi.

7 M. Wamboldt était préposé au courrier, un poste classifié au groupe et au niveau CR-;02. À l’instar de Mme Murchison et M. Desroches, il a déclaré que les préposés au courrier travaillaient dans la salle du courrier où ils recevaient et triaient le courrier avant de le distribuer aux employés du bureau de Summerside (Île-;du-;Prince-;Édouard) (le « bureau »). À quelques reprises, M. Wamboldt a été affecté à la plateforme de chargement à titre de technicien intérimaire—entrepôt et distribution. Il recevait alors une rémunération d’intérim au groupe et au niveau GS-STS-04.

8 Cela dit, la preuve la plus pertinente, qui se rapporte aux griefs dont je suis saisi, concernait certaines fonctions attribuées aux fonctionnaires tôt le matin. Les témoignages ne concordent pas quant à l’étendue de ces fonctions. Ayant examiné la preuve de M. Wamboldt, j’ai constaté qu’il avait souvent de la difficulté à faire la différence entre les fonctions qu’il exécutait comme préposé au courrier et celles qu’il exécutait à titre intérimaire comme technicien—entrepôt et distribution. C’est pourquoi, chaque fois que les témoignages ne concordaient pas, j’ai été porté à privilégier la version des témoins de l’employeur.

9 Après avoir tiré cette conclusion, j’ai noté que M. Wamboldt avait oublié à quels moments il avait exercé à titre intérimaire les fonctions de technicien—entrepôt et distribution. Durant sont interrogatoire direct et son contre-;interrogatoire, il a été incapable de se rappeler les dates de ses affectations par intérim, d’indiquer clairement quand exactement il avait exécuté certaines fonctions et de répondre avec précision aux questions qui lui étaient posées. Je tiens à dire que la confusion de M. Wamboldt était, à mon sens, parfaitement involontaire et qu’il ne cherchait d’aucune manière à m’induire en erreur. J’aimerais ajouter que, même si j’avais accepté la preuve de M. Wamboldt, ma conclusion aurait été exactement la même, comme je l’explique plus loin dans mes motifs.

10 Quoi qu’il en soit, à l’époque où il a déposé son grief, M. Wamboldt devait se rendre au travail, comme préposé au courrier, à 4 h ou 4 h 30. Les autres préposés au courrier arrivaient habituellement à 5 h. À la différence de ses collègues qui se présentaient directement à la salle du courrier, M. Wamboldt commençait sa journée à la plateforme de chargement, située à une distance de 80 à 100 mètres de la salle du courrier. Au début, il y avait déjà un préposé à l’expédition sur place quand les fonctionnaires arrivaient au travail à 4 h, mais des changements ont été apportés par la suite, si bien que les fonctionnaires étaient fin seuls sur la plateforme à 4 h.

11 M. Wamboldt devait arriver à la plateforme de chargement avant les autres préposés au courrier afin de décharger les deux camions postaux (l’un en provenance de Moncton (Nouveau-;Brunswick) et l’autre d’Halifax (Nouvelle-;Écosse)) qui étaient attendus entre 4 h et 5 h. M. Wamboldt et son collègue, M. Cooper, avaient les clés de la plateforme de chargement.

12 En arrivant au travail, les fonctionnaires s’assuraient que la plateforme était dégagée afin de pouvoir décharger facilement les camions. À cette fin, ils utilisaient soit un élévateur à fourche, soit un chariot élévateur à conducteur à pied. M. Wamboldt a déclaré qu’il était qualifié pour utiliser l’un et l’autre type de chariot. Je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, ce travail prenait de 15 à 30 minutes environ.

13 Les camions postaux transportent deux types de courrier. Le premier, que j’appellerai le courrier ordinaire, était simplement transporté à la salle du courrier une fois déchargé du camion. Les autres préposés au courrier qui arrivaient aux alentours de 5 h triaient ce courrier et le distribuaient aux employés du bureau.

14 Le second type de courrier, que j’appellerai le courrier recommandé, devait être vérifié par M. Wamboldt, qui effectuait un rapprochement avec le reçu que lui avait remis le conducteur du camion postal. Une fois ce processus terminé, M. Wamboldt signait le reçu, qui était ultérieurement remis au conducteur d’un autre camion postal qui venait ramasser le courrier à expédier plus tard dans la journée. M. Wamboldt apportait ensuite le courrier recommandé à la salle du courrier, où il aidait les autres préposés à le trier et à le distribuer aux employés du bureau.

15 Je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, et selon le volume de courrier distribué, le traitement du courrier ordinaire prenait de 30 à 60 minutes. Et toujours selon le volume de courrier distribué, le traitement du courrier recommandé prenait de 30 à 90 minutes. M. Wamboldt a confirmé mes conclusions à propos du temps que les fonctionnaires consacraient aux fonctions. Il a déclaré qu’il arrivait généralement à la plateforme de chargement à 4 h et qu’il en repartait au plus tard à 8 h.

16 Pour décharger les camions postaux, M. Wamboldt utilisait généralement le chariot élévateur à conducteur à pied ou l’élévateur à fourche, selon, bien entendu, le volume de courrier et le type de conteneurs à décharger. De plus, dans les cas où des conteneurs avaient basculé dans le camion, M. Wamboldt utilisait la transpalette à main pour les dégager.

17 On a demandé à M. Wamboldt, durant son témoignage, d’établir un rapprochement entre les fonctions qu’il exécutait comme préposé au courrier et les « activités principales » du poste du niveau de classification supérieur, soit celui de technicien—entrepôt et distribution, GS-;STS-;04 (pièce 4, onglet 2, page 2). M. Wamboldt a déclaré qu’il exécutait la plupart des fonctions décrites dans les « activités principales ». Or, c’est à ce moment-là qu’il est devenu évident que M. Wamboldt ne se rappelait plus très bien à quels moments il avait exécuté les fonctions en question. Par exemple, la première fonction décrite est la suivante : [traduction] « Recevoir, inspecter, vérifier, quantifier, traiter, mettre en lieu sûr, entreposer et distribuer du matériel, y compris des formulaires, des fournitures de bureau, du mobilier et d’autres biens. » Il va de soi que les fournitures de bureau et le mobilier ne peuvent être distribués qu’après l’ouverture de bureaux à 8 h. Or, si l’on en croit son témoignage, M. Wamboldt avait généralement terminé son travail comme préposé au courrier à la plateforme de chargement à cette heure-;là. C’est donc à dire qu’il ne peut pas avoir exécuté cette activité principale à titre de préposé au courrier.

18 En examinant la liste des « activités principales » du technicien—entrepôt et distribution, j’ai noté que M. Wamboldt ne pouvait tout simplement pas avoir exécuté certaines des autres fonctions entre 4 h et 8 h. À titre d’exemple encore, l’une des « activités principales » était libellée comme suit : [traduction] « Planifier les services de photocopie et de reproduction pour les clientèles internes et externes et préparer les documents demandés afin de fournir des formulaires et des services. » Voilà une autre tâche que M. Wamboldt ne pouvait pas avoir exécutée ou n’aurait pas pu exécuter entre 4 h et 8 h.

19 Les témoignages de Mme Murchison et de M. Desroches ont confirmé que la tâche attribuée à M. Wamboldt tôt le matin, et parfois à d’autres préposés au courrier, était celle de décharger les camions postaux. S’il était accessoirement nécessaire de dégager la plateforme pour faciliter le déchargement du courrier, cela se limitait à cela.

20 Les témoins ont attiré mon attention sur le passage de la description de travail du préposé au courrier (pièce 4, onglet 1) qui dit ceci : [traduction] « Recevoir, traiter et distribuer le courrier pour tous les bureaux du Centre fiscal. » Sous la rubrique « Environnement », il est écrit que le préposé au courrier peut [traduction] « [ê]tre exposé au froid et à des émanations quand il reçoit du courrier sur la plateforme de chargement ».

21 Dans son témoignage, M. Wamboldt a déclaré que l’employeur avait embauché deux nouveaux techniciens—entrepôt et distribution pour exécuter les fonctions qu’il accomplissait jadis comme préposé au courrier. Aucune preuve n’a toutefois été produite pour étayer cette déclaration, si bien que je considère qu’il s’agit non pas d’un fait, mais d’une déclaration non corroborée.

IV. Question à trancher

22 La question dont je suis saisi est simple. Je dois déterminer si les fonctions attribuées à MM. Wamboldt et Cooper à la plateforme de chargement donnent ouverture à l’application de la clause 64.07a) de la convention collective et, partant, au paiement d’une rémunération d’intérim.

V. Positions des parties

A. Les fonctionnaires

23 Les fonctionnaires défendent la position qu’en étant affectés au déchargement des camions postaux qui arrivaient à la plateforme tôt le matin, ils étaient tenus par l’employeur « […] d’exécuter à titre intérimaire une grande partie des fonctions d’un niveau de classification supérieur […] », dans ce cas-;ci les fonctions d’une poste classifié au groupe et au niveau GS-STS-04. Comme ils ont exécuté la fonction pendant plus de trois « jours de travail ou postes » consécutifs, ils ont droit à une rémunération d’intérim conformément à la clause 64.07a) de la convention collective.

24 Le représentant des fonctionnaires a accordé beaucoup d’importance à une déclaration contenue dans la réponse au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. Peter Estey, sous-;commissaire, Opérations régionales–Atlantique, avait déclaré ceci : [traduction] « Quoi qu’il en soit, il se pourrait que l’obligation d’utiliser un élévateur à fourche pour décharger le camion postal ne fasse pas partie des fonctions de votre poste CR-;02; je demanderai donc à la direction de revoir l’attribution de cette tâche d’ici le 30 avril 2007 » (pièces 1 et 2).

25 Le représentant des fonctionnaires a attiré mon attention sur la jurisprudence suivante : Rice c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2004 CRTFP 128; Lavigne et al. c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 117; Bégin et al. c. Conseil du Trésor (Revenu Canada - Impôt), dossiers de la CRTFP 166-02-18911 à 18917 (19900207).

B. L’employeur

26 L’employeur avance pour sa part que les griefs doivent être rejetés pour trois raisons. La première est que les fonctionnaires n’ont pas exécuté une grande partie des fonctions d’un niveau de classification supérieur, contrairement à ce que prévoit la clause 64.07a) de la convention collective. L’employeur avance que, dans le meilleur des cas, les fonctionnaires ont exécuté accessoirement une partie des fonctions du niveau de classification supérieur et, encore, pendant une période ne dépassant pas les deux ou trois heures où M. Wamboldt travaillait à la plateforme de chargement chaque jour.

27 En réponse à l’argument des fonctionnaires à propos de la réponse au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, l’avocate de l’employeur a observé que l’auteur avait utilisé le mot « pourrait ». Cela signifie, selon elle, que cette déclaration ne peut en aucun cas être considérée comme un aveu de la part de l’employeur.

28 La deuxième raison pour laquelle les griefs doivent être rejetés est que les fonctionnaires n’ont pas exercé les fonctions à titre intérimaire, contrairement à ce que prévoit également la clause 64.07a) de la convention collective. À ce propos, l’employeur admet qu’il y a un certain recoupement entre les responsabilités du préposé au courrier qui travaille à la plateforme de chargement et celles du technicien—entrepôt et distribution, mais que cela ne veut pas dire que le préposé au courrier exécute à titre intérimaire les fonctions d’un niveau de classification supérieur.

29 Pour finir, l’employeur affirme que, vu que les fonctionnaires accomplissaient les tâches pendant deux ou trois heures par jour seulement, ils ne peuvent pas avoir exécuté les fonctions à titre intérimaire pendant trois « jours de travail ou postes consécutifs », même si toutes les autres conditions préalables de la clause 64.07a) de la convention collective étaient remplies.

30 Au soutien du témoignage de l’employeur, l’avocate de l’employeur a attiré mon attention sur la doctrine et la jurisprudence suivantes : Ronald M. Snyder, Collective Agreement Arbitration in Canada, 4e éd. (Markham (Ont.) : LexisNexis, 2009), au paragr. 2.10; Canada (Office national du film) c. Coallier, [1983] A.C.F. no 813 (C.A.F.); Lamy et Pichon c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 23; Babiuk et al. c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CRTFP 51; Doiron c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 77; Beaudry et al. c. Conseil du Trésor (ministères des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2006 CRTFP 75; Moritz c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2004 CRTFP 147; Shearer c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2002 CRTFP 82; Dufour c. le Conseil du Trésor (Agriculture Canada), dossier de la CRTFP 166-;02-25151 (19950126); Armitage et al. c. Conseil du Trésor (Revenu Canada - Impôt), dossiers de la CRTFP 166-02-17104 à 17109 (19880517).

VI. Analyse

A. L’état du droit en matière d’interprétation des clauses d’une convention collective

31 Plusieurs tribunaux ont énoncé des principes pour faciliter l’interprétation des contrats.

32 Je dois déterminer en premier lieu quelle était la véritable intention des parties au moment où elles ont conclu le contrat. À cette fin, je dois d’abord me référer au sens des mots que les parties ont employés (voir Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 R.C.S. 129, et Jerry MacNeil Architects Ltd. v. Roman Catholic Archbishop of Moncton et al., 2001 NBQB 135).

33 Pour répondre à cette question, je dois aussi tenir compte du contexte dans lequel les mots ont été employés (voir Stenstrom c. McCain Foods Ltd., 2000 NBCA 13, et Robichaud et al. c. Pharmacie Acadienne de Beresford Ltée et al., 2008 NBCA 12, au paragr. 18).

34 L’approche retenue par les arbitres de griefs a reçu l’approbation de nombreuses cours, notamment la Cour d’appel du Nouveau-;Brunswick. Dans Pâtes et Papier Irving, Ltée c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et des travailleurs du papier, section locale 30, 2002 NBCA 30, un juge de cette cour a déclaré ceci, dans une décision fort bien motivée :

[…]

[10]   Il est admis que la tâche d’interpréter une convention collective ne diffère pas de celle devant laquelle se trouvent les autres décideurs qui interprètent des lois ou des contrats privés : voir D.J.M. Brown et D.M. Beatty, Canadian Labour Arbitration, 3e éd., feuilles mobiles (Aurora (Ont.) : Canada Law Book Inc., 2001), à la page 4-35. Dans le contexte contractuel, il faut partir de la proposition que l’objectif fondamental de l’interprétation est de déterminer l’intention des parties. Or, la présomption de départ est que ce que les parties ont dit est censé refléter leur intention et qu’il faut d’abord chercher le sens d’une clause d’une convention collective dans son libellé exprès. Selon les auteurs de doctrine, quand ils cherchent à déterminer l’intention des parties, les arbitres partent généralement du principe que la clause en question devrait être interprétée dans son sens normal ou ordinaire, sauf si cette interprétation est susceptible d’entraîner une absurdité ou une incompatibilité avec d’autres clauses de la convention collective : voir Canadian Labour Arbitration, à la page 4-38. Pour résumer, les termes d’une convention collective doivent recevoir leur sens ordinaire, sauf s’il existe une raison valable pour en adopter un autre. Par ailleurs, les termes doivent être interprétés dans leur contexte immédiat et dans celui de l’ensemble de la convention. Sinon, l’interprétation en fonction du sens ordinaire peut entrer en conflit avec une autre.

[…]

B. Interprétation de la clause 64.07a) de la convention collective

35 Donc, si l’on présume en partant que ce que les parties ont dit reflétait leur intention et qu’il faut chercher le sens de la convention collective dans ses dispositions expresses, je dois déterminer quel est le sens de la phrase suivante :

Lorsque l’employé-e est tenu par l’Employeur d’exécuter à titre intérimaire une grande partie des fonctions d’un niveau de classification supérieur et qu’il ou elle exécute ces fonctions pendant au moins trois (3) jours de travail ou postes consécutifs.

36 Pour déterminer le sens normal et ordinaire des mots, il faut présumer en partant que ce que les parties ont dit reflétait leur intention. L’arbitre de différends ou l’arbitre de grief est parfois obligé de supposer l’existence implicite d’un terme, mais seulement lorsque cela est nécessaire pour attribuer à la convention collective « l’effet d’une entente commerciale ou d’une convention collective » et seulement s’il est déterminé que les parties auraient accepté d’emblée d’incorporer le terme implicite si la lacune leur avait été signalée (voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, au paragr. 4:2100).

37 J’estime que la clause 64.07a) de la convention collective ne comporte pas de lacunes et qu’elle peut être interprétée sans supposer l’existence d’un terme implicite.

38 Il m’apparaît que la clause 64.07a) de la convention collective oblige essentiellement les fonctionnaires à prouver que les quatre conditions suivantes sont remplies :

  • L’employeur exige que l’employé exécute certaines fonctions.
  • L’employé est tenu d’exécuter une grande partie des fonctions d’un niveau de classification supérieur.
  • L’employé exécute les fonctions à titre intérimaire.
  • L’employé exécute ces fonctions pendant au moins trois (3) jours de travail ou postes consécutifs.

C. L’employeur a-;t-;il exigé que les fonctionnaires exécutent les fonctions en question?

39 Les deux parties ont admis que l’employeur avait exigé que les fonctionnaires exécutent les fonctions en question. Je conclus donc sans hésiter que le premier élément du critère est rempli.

D. Les fonctionnaires ont-ils exécuté une grande partie des fonctions d’un niveau de classification supérieur?

40 Pour répondre à cette question, je dois d’abord déterminer si les fonctionnaires ont exécuté des fonctions d’un niveau de classification supérieur. Il ne fait aucun doute que la fonction de décharger du courrier sur la plateforme de chargement à l’aide de l’élévateur à fourche ou du chariot à conducteur à pied fait partie de la description de travail du technicien—entrepôt et distribution, qui est classifié à un niveau supérieur (GS-STS-04). Mais cela n’apporte pas réponse à la question.

41 Les descriptions de travail ne sont pas mutuellement exclusives. En fait, sauf indication contraire, on peut s’attendre à ce que certaines classifications se recoupent pour faciliter la gestion des effectifs. Donc, ce que je dois déterminer c’est plutôt si la description de travail du préposé au courrier, qui est classifié au groupe et au niveau CR-02, permet à l’employeur d’attribuer les fonctions en question aux préposés à la manutention du matériel.

42 J’ai déjà conclu que, selon la prépondérance des probabilités, les fonctions que les fonctionnaires ont exécutées comme préposés au courrier et qui, selon eux, faisaient partie de la description de travail du technicien—entrepôt et distribution étaient accessoires à leur travail. Pour arriver à cette conclusion, j’ai étudié les témoignages et les diverses descriptions de travail produites en preuve.

43 Je conclus également que, selon la preuve produite, la description de travail du préposé au courrier est suffisamment générale pour permettre à l’employeur de demander aux fonctionnaires d’arriver au travail tôt le matin afin de décharger le camion postal ou les camions postaux. J’estime que l’utilisation des divers appareils de manutention à la plateforme de chargement était un aspect accessoire de l’accomplissement de leurs fonctions.

44 De plus, je conclus que la description de travail du préposé au courrier est suffisamment générale pour englober le déchargement du courrier tôt le matin. Je note plus particulièrement que sous la rubrique « effort physique », on prévoit l’utilisation de chariots à conducteur à pied et que sous la rubrique « environnement », il est indiqué que le préposé au courrier peut être [traduction] « [e]xposé au froid ou à des émanations quand il reçoit le courrier à la plateforme de chargement ». Il est tout à fait raisonnable de conclure, à mon sens, que les fonctions en question font partie des tâches que l’employeur peut demander aux préposés au courrier d’exécuter.

45 En tirant cette conclusion, je me trouve à rejeter l’argument du représentant des fonctionnaires selon lequel la réponse de M. Estey au troisième palier de la procédure de règlement des griefs constituait un aveu que l’employeur avait contrevenu à la convention collective. Un examen attentif de la réponse indique clairement, selon moi, que cette observation n’était qu’une préoccupation.

46 Ayant tiré cette conclusion, je pourrais rejeter les griefs, mais au cas où je me serais trompé, permettez-;moi de poursuivre mon analyse. Autrement dit, même si ma conclusion est erronée et que les fonctions attribuées font partie de la description de travail du technicien—entrepôt et distribution classifié à un niveau supérieur, peut-;on dire que les fonctionnaires ont « exécuté […] une grande partie des fonctions » d’un niveau de classification supérieur?

47 La jurisprudence établissant à partir de quel pourcentage du temps on peut dire qu’un employé « exécut[e] […] une grande partie des fonctions » est assez variée. J’accepte la proposition des fonctionnaires selon laquelle il n’est pas nécessaire de s'acquitter de toutes les fonctions d'un niveau de classification supérieur pour avoir droit à une rémunération d'intérim (voir Rice, au paragraphe 7).

48 Cela dit, la jurisprudence n’est pas uniforme. De nombreux critères ont été établis pour trancher cette question; par exemple, il a été déterminé que l’employé qui exécute les fonctions du niveau de classification supérieur à 100 % pour au moins une journée de travail satisfait au critère, c’est-;à-dire qu’il a « exécuté une grande partie des fonctions » (voir Lavigne et al., au paragraphe 54). Dans un autre cas, il a été déterminé que l’employé qui exécute les fonctions du niveau de classification supérieur 40 % du temps ne satisfait pas au critère (voir Beaudry et al., aux paragraphes 29 à 33). Par contre, si les fonctions du niveau de classification supérieur sont exécutées 70 % du temps, la condition est remplie (voir Bégin et al.).

49 Compte tenu de la prépondérance des probabilités, j’arrive à la conclusion que, si l’utilisation de l’élévateur à fourche et du chariot à conducteur à pied était une fonction du niveau de classification supérieur, les fonctionnaires ont tout au plus utilisé ces appareils de manutention pendant une période maximale de deux heures par jour. Cela représentait, tout au plus, 25 % de leur journée de travail, ce qui est bien en-;dessous de tout niveau jugé acceptable dans des décisions d’arbitres de griefs antérieures. Donc, même si j’ai fait erreur en concluant que les fonctions en question faisaient partie de la description de travail du préposé au courrier, il n’en demeure pas moins que les fonctionnaires ne satisfont pas au critère de la clause 67.04a) de la convention collective, c’est-;à-;dire qu’ils n’ont pas « exécuté une grande partie des fonctions ».

E. Les fonctionnaires ont-ils exécuté les fonctions « à titre intérimaire »?

50 Même si je ne suis pas obligé d’appliquer ce critère, il reste que si je devais le faire, je ne conclurais pas que les fonctionnaires ont exercé les fonctions « à titre intérimaire », comme l’exige la clause 67.04a) de la convention collective. Pour arriver à cette conclusion, je ferais mien le raisonnement de l’arbitre de grief dans Babiuk et al. En essence, si les préoccupations des fonctionnaires sont réellement fondées, je suis d’avis, à ce moment-;là, qu’ils auraient mieux fait de contester la classification de leur poste que de réclamer une rémunération d’intérim.

F. Les fonctionnaires ont-ils exécuté les fonctions pendant au moins trois jours de travail ou postes consécutifs? 

51 Ici encore, au vu de ma conclusion précédente, je ne suis pas obligé d’examiner cette question, mais si j’avais été obligé de la faire, j’aurais fait mienne la décision rendue dans Dufour (à la page 5). Autrement dit, je n’aurais pas été convaincu que les fonctionnaires satisfaisaient au critère de la clause 67.04a) de la convention collective selon lequel ils avaient exercé les fonctions pendant trois jours consécutifs.

G. L’interprétation de la convention collective ou son application entraîne-t-elle une absurdité? 

52 Ayant tiré cette conclusion, je dois maintenant déterminer si cette interprétation entraîne une absurdité ou une incompatibilité avec d’autres dispositions de la convention collective. En d’autres termes, mon interprétation des termes dans leur contexte immédiat et dans celui de l’ensemble de la convention collective entre-;t-elle en conflit avec d’autres dispositions de la convention collective?

53 Ni l’une ni l’autre des parties n’a défendu la position que cette interprétation de la clause 64.07a) de la convention collective entrait en conflit avec d’autres dispositions. De plus, au terme de mon examen indépendant de la convention collective, je suis convaincu que mon interprétation n’entre pas en conflit avec une autre disposition.

VII. Motifs

54 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VIII. Ordonnance

55 Les griefs sont rejetés.

Le 4 décembre 2009.

Traduction de la CRTFP

George Filliter,
arbitre de grief

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