Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé était employé comme agent d’enquêtes et de contrôle à Développement des ressources humaines Canada - il a été accusé d’enlèvement - la Gendarmerie royale du Canada a communiqué avec l’employeur afin qu’il prenne des mesures pour empêcher le fonctionnaire s’estimant lésé d’avoir accès aux données informatiques sur des citoyens canadiens - le fonctionnaire s’estimant lésé a d’abord été suspendu sans rémunération en attendant les résultats d’une enquête - le fonctionnaire s’estimant lésé a été licencié après avoir perdu sa cote de fiabilité approfondie - il a contesté sa suspension, son licenciement et la perte de sa cote de fiabilité approfondie - l’arbitre de grief a convenu avec l’employeur qu’il n’avait pas la compétence pour ce qui est de la suspension parce qu’il s’agissait d’une mesure administrative plutôt que d’une mesure disciplinaire - l’arbitre de grief a toutefois conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait fait l’objet d’un déni d’équité procédurale durant l’enquêtequi avait mené à la perte de sa cote de fiabilité approfondie - l’arbitre de grief a ordonné le paiement au fonctionnaire s’estimant lésé de la rémunération et des avantages qu’il aurait dû recevoir jusqu’à la fin de sa période d’emploi - l’arbitre de grief a également ordonné à l’employeur d’effectuer l’enquête en respectant la procédure établie. Un grief rejeté. Deux griefs accueillis en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-02-11
  • Dossier:  166-02-34325 à 34327
  • Référence:  2009 CRTFP 19

Devant un arbitre de grief


ENTRE

SANJEEV (SONNY) GILL

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

employeur

Répertorié
Gill c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

Affaire concernant des griefs renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan R. Quigley, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Jacek Janczur, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Jennifer Lewis, avocate

Affaire entendue à Vancouver (Colombie-Britannique),
du 6 au 9 novembre 2007 et du 27 au 30 octobre 2008.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs renvoyés à l’arbitrage

1 La présente décision porte sur trois griefs renvoyés à l’arbitrage par Sanjeev (Sonny) Gill (le « fonctionnaire s’estimant lésé »), ancien employé nommé pour une période déterminée au ministère qui portait alors le nom de Développement des ressources humaines Canada (DRHC ou l’« employeur »). Le fonctionnaire s’estimant lésé occupait le poste d’agent d’enquêtes et de contrôle (AEC), dans le groupe et au niveau PM-02, depuis le 15 octobre 2001.

2 Le premier grief (dossier de la CRTFP 166-02-34326) conteste la suspension qui a été imposée au fonctionnaire s’estimant lésé, sans rémunération, pour une période indéterminée, le 24 avril 2003, en attendant les résultats d’une enquête administrative sur les accusations au criminel dont il était l’objet. Le fonctionnaire s’estimant lésé demande la mesure corrective suivante :

[Traduction]

Que la suspension soit levée immédiatement et que je sois autorisé à retourner au travail; que la rémunération, les avantages sociaux et le service ouvrant droit à pension que j’ai perdus me soient restitués; que tout document se rapportant à cette affaire soit retiré de mon dossier et que je sois indemnisé intégralement.

3 Le deuxième grief (dossier de la CRTFP 166-02-34325) conteste la décision de l’employeur de révoquer la cote de fiabilité approfondie (CFA) du fonctionnaire s’estimant lésé, à partir du 26 août 2003, après avoir pris connaissance des résultats de l’enquête administrative. Le fonctionnaire s’estimant lésé demande la mesure corrective suivante : « [traduction] Que ma CFA soit rétablie et que je sois indemnisé intégralement. »

4 Le troisième grief (dossier de la CRTFP 166-02-34327) conteste la décision de l’employeur de congédier le fonctionnaire s’estimant lésé, le 26 août 2003, après la révocation de sa CFA. Le fonctionnaire s’estimant lésé demande la mesure corrective suivante :

[Traduction]

Que je sois réintégré dans mes fonctions; que je sois indemnisé intégralement. Que les lignes directrices contenues dans la Norme sur la sécurité du personnel soient appliquées à la lettre dans ce cas-ci et que je sois immédiatement réintégré dans mes fonctions. Que toutes les décisions concernant mon licenciement par suite de la révocation de ma cote soient déclarées nulles ab initio. Que je sois indemnisé intégralement.

5 L’intervalle de douze mois qui s’est écoulé entre les deux périodes d’audience s’explique par le fait que le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé ne pouvait pas se rendre disponible, pour des raisons de santé. Les seules dates qui convenaient à toutes les parties après la séance du 6 au 9 novembre 2007 étaient celles du 27 au 30 octobre 2008.       

6 Les deux parties ont présenté de brèves observations préliminaires. L’avocate de l’employeur a appelé 4 témoins et déposé 29 pièces justificatives. Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a appelé deux témoins, dont le fonctionnaire s’estimant lésé, et déposé sept pièces justificatives. Les parties ont déposé deux pièces justificatives sur consentement. Elles m’ont aussi demandé, et j’ai donné mon accord, à ce que certaines personnes soient désignées sous le nom de Messieurs X et Y et V-1 à V-22, en raison du caractère délicat de la preuve se rapportant à la procédure criminelle et l’enquête administrative.

7 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ces renvois à l’arbitrage de grief doivent être décidés conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne Loi »).

II. Résumé de la preuve

8 André Lefebvre est le directeur général de la Direction des enquêtes et requêtes au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. De 2002 à 2007, il a occupé le poste de gestionnaire, Direction générale de la sécurité, des enquêtes et des mesures d'urgence, DRHC. Avant 2002, il a travaillé pendant 26 ans à la Gendarmerie royale du Canada (GRC).

9 M. Lefebvre a reconnu la pièce E-1, un courriel expédié le 22 avril 2003 par Jeanine Arsenault, directrice régionale, Direction des ressources humaines, région de la C.-B. et du Yukon, DRHC, à Cathy Lee, gestionnaire, Préparatifs d’urgence, Gestion de la sécurité et de l’information, régions de la C.-B. et du Yukon, DRHC, et à Daniel Richer, gestionnaire, Services des relations de travail, DRHC, notamment. Dans ce courriel, Mme Arsenault indique que le sergent Dan Russell, du Groupe d’intervention sur les groupes criminalisés indo-canadiens de la GRC, a avisé Lydia Gledhill, directrice par intérim, DRHC, Abbotsford, et Claire Turgeon, chef d’équipe, Équipe mixte d’application, que le fonctionnaire s’estimant lésé avait été arrêté et accusé relativement à l’enlèvement d’un trafiquant de drogue survenu le 13 février 2003 et qu’il était en attente de son enquête sur le cautionnement. M. Lefebvre a précisé que Mme Lee lui avait fourni une copie de ce courriel.

10 M. Lefebvre a reconnu la pièce E-2, ses notes à propos d’une réunion avec le sergent Russell, le 23 avril 2003. Le sergent Russell l’avait informé qu’il faisait enquête sur un certain nombre d’homicides non résolus mettant en cause un groupe du crime organisé des Indes orientales. Il a confirmé que le fonctionnaire s’estimant lésé avait été arrêté et accusé dans l’affaire de l’enlèvement d’un trafiquant de drogue survenu le 13 février 2003. La GRC avait délivré la victime de l’enlèvement, qui avait été violemment battue. L’intervention avait été jugée nécessaire parce que le service de police craignait pour la vie de la victime. La GRC avait en sa possession des preuves d’écoute électronique et de filature qui démontraient que le fonctionnaire s’estimant lésé était associé au groupe du crime organisé et que son véhicule avait servi à transporter la victime de l’enlèvement. Le sergent Russell a également avisé M. Lefebvre que quatre hommes indo-canadiens étaient considérés comme des suspects dans six dossiers d’homicides non résolus.

11 M. Lefebvre a déclaré que, à titre d’AEC, le fonctionnaire s’estimant lésé avait accès à des renseignements confidentiels et privilégiés sur les citoyens canadiens. Le fait qu’il était associé au groupe du crime organisé constituait une menace pour les citoyens canadiens et la sécurité de DRHC. La GRC a demandé à DRHC de vérifier dans l’ordinateur du fonctionnaire s’estimant lésé s’il avait effectué des recherches sur MM. X et Y et 22 autres personnes d’intérêt pour la GRC (V-1 à V-22) (pièce E-7). DRHC a institué une enquête administrative, qui a duré environ quatre mois. Selon M. Lefebvre, il s’agissait de déterminer si le fonctionnaire s’estimant lésé était associé au groupe du crime organisé et si ce groupe avait eu accès à des renseignements contenus dans les systèmes de DRHC. M. Lefebvre a déclaré qu’il avait conclu, au terme de son enquête administrative, que rien ne permettait de croire que le fonctionnaire s’estimant lésé avait consulté des données de DRHC ou qu’il avait effectué des recherches sur MM. X et Y ou V-1 à V-22.

12 Le 24 avril 2003, M. Lefebvre a expédié un courriel (pièce E-3) à M. Richer et à Gilles Lajoie, Directeur national de la sécurité, des enquêtes et des mesures d'urgence, DRHC, dans lequel il recommandait de suspendre immédiatement le fonctionnaire s’estimant lésé, sans rémunération, pour les motifs suivants :

  • afin de déterminer si le fonctionnaire s’estimant lésé était associé au groupe du crime organisé;
  • afin d'attirer l'attention (en parallèle) sur le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé avait accès à des renseignements confidentiels et privilégiés sur les citoyens canadiens;
  • afin de protéger les biens de DRHC;
  • afin de déterminer si le fonctionnaire s’estimant lésé avait communiqué des renseignements à MM. X et Y et V-1 à V-22;
  • afin de déterminer si d’autres personnes associées au groupe du crime organisé s’étaient introduites dans les ordinateurs de DRHC avec l’aide du fonctionnaire s’estimant lésé.

13 Quand l’avocate de l’employeur lui a demandé s’il avait appliqué les critères énoncés dans Larson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2002 CRTFP 9, avant de recommander la suspension immédiate du fonctionnaire s’estimant lésé, sans rémunération, M. Lefebvre a répondu qu’il ne l’avait pas fait. Quand elle lui a demandé si la présence du fonctionnaire s’estimant lésé au lieu de travail constituait un risque « raisonnable », M. Lefebvre a répondu ceci : [traduction] « Oui, car il avait accès à une foule de renseignements privilégiés sur les citoyens canadiens. » Il a témoigné qu’un renseignement privilégié pouvait être un numéro d’assurance sociale (NAS) d’une personne, une adresse domiciliaire, des noms et prénoms, une date de naissance, des relevés d’emploi et des dossiers financiers, des demandes de prestations sociales comme les prestations d’aide sociale, d’assurance-emploi (a.-e.), etc.

14 M. Lefebvre a reconnu la pièce E-7, une lettre datée du 17 juin 2003 de l’inspecteur D. Henderson, officier responsable (OR), Lower Mainland, Section des homicides, Section des crimes graves de la Division E, GRC, qui décrivait notamment les preuves que la GRC allait produire au procès du fonctionnaire s’estimant lésé. M. Lefebvre a tenu compte de ces preuves pour recommander la révocation de la CFA du fonctionnaire s’estimant lésé. La lettre est reproduite en partie ci-après :

[Traduction]

[…]

RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS À PROPOS DE Sanjeev Singh GILL

Durant l’enquête du projet E – DECREASE, M. GILL était un très grand ami des principales personnes ciblées par l’enquête [V-15, V-19, V-9 et V-22]. Ces personnes sont considérées comme les suspects principaux dans plusieurs affaires d’homicide d’Indo-Canadiens dans le Lower Mainland (C.-B.).

Les preuves recueillies durant le projet E INTEGRATE seront produites au procès pour établir que M. GILL était en communication avec [MM. X et Y] pour planifier l’enlèvement et, vraisemblablement, le meurtre de [V-13]. La preuve révèle également que M. GILL s’est acquitté de certaines tâches pour le compte de [MM. X et Y] avant l’enlèvement, comme ramasser des armes et des postes de radio portatifs. La filature des principaux objectifs [MM. X et Y] nous a permis de confirmer l’identité de M. GILL et le rôle qu’il a joué dans l’enlèvement. Lors de l’arrestation de [MM. X et Y] avec la victime, de nombreux véhicules ayant vraisemblablement servi au transport de la victime ont été saisis et fouillés. Une grande tache de sang trouvée à l’intérieur du véhicule de M. GILL nous donne à penser que la victime a été transportée dans sa voiture. L’expertise judiciaire des pièces justificatives n’est cependant pas encore terminée.

Un mandat de perquisition a été obtenu pour vérifier les dossiers (photos) de la Direction des permis et immatriculations se rapportant à M. GILL. Lors d’un étalement de photos, la victime de l’enlèvement a désigné M. GILL comme le conducteur du véhicule dans lequel il aurait initialement été transporté au complexe de la rue Kent, à Vancouver.

Les enquêteurs poursuivent actuellement leur enquête sur M. GILL et sur ses liens avec les éléments criminels de la communauté indo-canadienne. Deux enquêtes d’envergure ont déjà permis de déterminer que M. GILL était étroitement associé à des suspects connus dans plusieurs affaires d’homicide, et, faute d’une meilleure description, que c’est un personnage du milieu indo-canadien du crime organisé dans le Lower Mainland.

Nous vous saurions gré de vérifier les noms suivants dans l’ordinateur de M. GILL afin de déterminer s’il a effectué des recherches sur ces personnes dans le passé :

[…]

Le sergent RUSSELL continue d’assurer la liaison avec les agents de la Section des enquêtes spéciales afin de leur fournir suffisamment de renseignements pour déterminer s’il y a eu des fuites de renseignements et d’aider DRHC à poursuivre ses démarches en vue de révoquer la cote de fiabilité approfondie de M. GILL. N’hésitez pas à communiquer avec le sergent Dan RUSSELL, Section des homicides, Lower Mainland, si vous avez besoin de renseignements complémentaires […]

Pour faire suite à la discussion que vous avez eue avec le sergent RUSSELL, je vous rappelle que la présente lettre contient des renseignements délicats à propos de M. GILL et des enquêtes policières en cours et qu’elle ne doit pas être distribuée. Prière de communiquer avec le sergent RUSSELL s’il vous apparaît nécessaire de communiquer ces renseignements à d’autres personnes que les membres de votre équipe d’enquête.

[…]             

15 M. Lefebvre a déclaré qu’il avait accepté l’information fournie par la GRC selon laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé était associé à un groupe du crime organisé et avait participé à l’enlèvement du trafiquant de drogue et à la tentative de meurtre contre lui. Il a également déclaré qu’il craignait que le fonctionnaire s’estimant lésé eût consulté la base de données du programme spécial de protection de témoins de DRHC pour en extraire des renseignements qu’il aurait ensuite transmis au groupe du crime organisé afin de les aider à repérer d’éventuelles victimes.

16 M. Lefebvre a indiqué que les candidats à un poste dans l’administration publique doivent obtenir une cote de sécurité et que celle-ci est basée sur les fonctions du poste; autrement dit, la cote de sécurité afférente à un poste est celle que le fonctionnaire doit détenir pour en accomplir les fonctions. Il a ajouté qu’à DRHC, tous les postes nécessitent au moins une cote de fiabilité approfondie, car les fonctionnaires sont appelés à consulter des documents et des données portant la cote Protégé « B ». Cette classification s’impose parce que les renseignements que DRHC détient sur les citoyens canadiens sont de nature délicate et que leur divulgation à des personnes non autorisées pourrait mettre la vie de quelqu’un en danger. Le fonctionnaire qui détient une CFA a accès à des renseignements classifiés; cette cote signifie que l’employeur lui accorde sa confiance pour consulter les données contenues dans ses systèmes. DRHC décrit les renseignements Protégé « B » et la marche à suivre pour en assurer la protection de la façon suivante (pièce E-14) :

[Traduction]

Définition

Renseignements très délicats, susceptibles de causer un préjudice grave aux particuliers.

Exemples

Renseignements personnels, médicaux ou financiers.

p. ex. formulaire de vérification de sécurité, de consentement et d'autorisation du personnel, documents de paie, résultats de tests, certificat de moralité, déclaration de conflits d’intérêts, admissibilité à des avantages sociaux, etc.

TRANSPORT* et TRANSMISSION*  Exigences minimales

En mains propres

 

Par courrier/service de messagerie

Par télécopieur

Par courrier électronique

Entreposage

 

 

Zone de sécurité minimale

 

Entre personnes autorisées seulement, suivant le principe de l’accès sélectif;

 

Enveloppe collée double, sans aucune annotation sur l’enveloppe extérieure;

Télécopieur sécurisé;

Système ministériel approuvé.

Système de rayonnages ouverts surveillés et dépôt central des dossiers, classeur fermé à clé ou contenant sécurisé approuvé par l’agent de sécurité régional.

 

Zone d’activité ou de sécurité.

Destruction

Niveau de sécurité personnelle

Déchiqueteuse à papier approuvée par l’agent de sécurité régional.

Cote de fiabilité

17 À titre d’AEC, le fonctionnaire s’estimant lésé devait détenir une CFA. Il existe toutefois deux niveaux de sécurité à DRHC, soit : Secret-niveau II et Très secret-niveau III. C’est l’agent de sécurité ministériel (ASM) qui attribue, refuse ou révoque la CFA, tandis que c’est l’administrateur général du ministère concerné ou le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) qui attribue, refuse ou révoque la cote Secret-niveau II ou Très secret-niveau III.

18 M. Lefebvre a déclaré que, avant de recommander la suspension immédiate du fonctionnaire s’estimant lésé, sans rémunération, il avait envisagé de le réaffecter ou de le nommer à un autre poste au sein de DRHC. Il avait toutefois dû renoncer à cette idée, car même réaffecté à la salle du courrier ou à un bureau de service, le fonctionnaire s’estimant lésé aurait continué d’avoir accès à des renseignements confidentiels sur les citoyens canadiens.

19 M. Lefebvre a indiqué que ce n’étaient pas les accusations d’enlèvement et l’arrestation du fonctionnaire s’estimant lésé qui causaient un préjudice à DRHC, mais le fait qu’il était associé à un groupe du crime organisé alors qu’il avait accès à des renseignements confidentiels sur les citoyens canadiens.

20 M. Lefebvre a déclaré qu’il avait tenté de réaliser la meilleure enquête administrative possible. Cette enquête, qui avait commencé le 23 avril 2003, ne portait pas sur les accusations d’enlèvement et l’arrestation du fonctionnaire s’estimant lésé; il s’agissait plutôt de déterminer s’il avait eu accès à des renseignements confidentiels sur les citoyens canadiens qu’il aurait transmis au groupe du crime organisé. On cherchait aussi à établir si ce groupe s’était introduit dans les ordinateurs de DRHC avec son aide.

21 M. Lefebvre a admis qu’au début, durant les discussions internes du 22 avril 2003, une certaine confusion régnait à propos de la question de savoir si le fonctionnaire s’estimant lésé était véritablement accusé d’enlèvement et de tentative de meurtre. Le 6 juin 2003, Joel Stelpstra, conseiller en relations du travail, avait expédié un courriel (pièce E-4) à Mme Gobeil, dans lequel il indiquait que le fonctionnaire s’estimant lésé avait été accusé formellement de tentative d’enlèvement.

22 Le 24 juin 2003, le fonctionnaire s’estimant lésé a été avisé par Nancy Emery, gestionnaire de la prestation des services, Services ministériels, DRHC, Abbotsford (pièce E-5), qu’il était convoqué à une réunion avec MM. Lefebvre et Lajoie, le 27 juin 2003, pour discuter de la nature et des conséquences des accusations au criminel dont il était l’objet.

23 M. Lefebvre a reconnu la pièce E-6, les notes dactylographiées des réunions qui se sont tenues le 25 juin 2003 avec les sergents Russell et Kirby et le 27 juin 2003 avec M. Lajoie, le fonctionnaire s’estimant lésé et Paul Facey, son représentant syndical. Même si d’autres personnes ont été interrogées le 27 juin 2003 à propos d’autres points concernant le fonctionnaire s’estimant lésé (pièce E-6), je relaterai uniquement les événements concernant son arrestation, car les autres points ne sont pas pertinents.

24 M. Lefebvre a déclaré que le fonctionnaire s’estimant lésé avait confirmé que la GRC l’avait arrêté à son domicile, le 16 avril 2003, et gardé en détention préventive pendant deux semaines. Quand il l’avait interrogé au sujet de MM. X et Y, il avait répondu que c’étaient de simples connaissances et qu’ils habitaient à deux pâtés de maisons les uns des autres, mais qu’il n’avait pas eu de contacts avec eux puisqu’ils étaient en prison. Il avait ensuite mentionné qu’il les connaissait seulement depuis un an, puis il avait déclaré qu’il avait reçu la consigne de son avocat de ne pas discuter de son arrestation.

25 M. Lefebvre a expliqué au fonctionnaire s’estimant lésé qu’il avait besoin de savoir pourquoi il avait été arrêté. Il a dit au fonctionnaire que s’il refusait de collaborer à l’enquête, il (M. Lefebvre) allait être obligé de déterminer si le fonctionnaire s’estimant lésé constituait une menace pour la sécurité de DRHC. Comme le fonctionnaire s’estimant lésé continuait de dire qu’il observait la consigne de son avocat, M. Lefebvre a mis fin à la réunion.

26 M. Lefebvre a déclaré qu’il avait rencontré M. Facey, à l’issue de la réunion, et que celui-ci s’était mis à sa disposition, au cas où le fonctionnaire s’estimant lésé changerait d’idée et déciderait d’expliquer les événements qui avaient mené à son arrestation.

27 M. Lefebvre a indiqué que les renseignements fournis par la GRC contenaient des faits, des dates et des heures très précises et fournissaient des détails sur la manière dont ils avaient été obtenus (c.-à-d. par écoute électronique et par filature) et qu’il ne voyait pas pourquoi il les aurait mis en doute. Il a également déclaré que la GRC était un service de police digne de confiance et crédible qui n’avait pas de raisons de fournir des renseignements erronés à DRHC. Il a mentionné qu’il n’avait pas vu la preuve que la GRC avait accumulée, car l’enquête de cette dernière n’était pas encore terminée. M. Lefebvre a aussi déclaré que, après la réunion du 27 juin 2003, il avait été incapable de déterminer dans quelle mesure le fonctionnaire s’estimant lésé constituait une menace pour la sécurité de DRHC, vu qu’il refusait de discuter des événements qui avaient mené à son arrestation. Il a ajouté : [traduction] « J’ai tenté de mettre les déclarations du fonctionnaire s’estimant lésé à propos de [MM. X et Y] et les renseignements fournis par la GRC en balance afin de déterminer lequel des deux disait vrai. »

28 M. Lefebvre a déclaré qu’il s’attendait à ce que le fonctionnaire s’estimant lésé lui apporte sa collaboration lors de la réunion du 27 juin 2003 et qu’il lui fournisse suffisamment de renseignements pour déterminer s’il était associé au groupe du crime organisé et dans quelle mesure il constituait une menace pour la sécurité de DRHC, le cas échéant. Or le fonctionnaire s’estimant lésé lui a tout juste fourni quelques renseignements de peu d’importance à propos de MM. X et Y, et ceux-ci ne concordaient pas avec ceux que la GRC avait transmis à DRHC.

29 M. Lefebvre a indiqué que, durant la réunion du 27 juin 2003, M. Facey lui avait fourni une copie de l’Engagement de caution du fonctionnaire s’estimant lésé, des lettres de recommandation du superviseur du fonctionnaire s’estimant lésé et de plusieurs de ses collègues et une carte de souhaits signée par des employés du bureau d’Abbotsford (pièce E-9).

30 Le 4 juillet 2003, M. Lefebvre a rencontré le directeur général et le directeur de la direction. Ils ont confirmé que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas tenté de consulter la base de données sur le programme spécial de protection de témoins. M. Lefebvre a poursuivi en disant que le directeur général lui avait dit que le fonctionnaire s’estimant lésé ne pouvait pas avoir accès à cette base de données parce qu’elle se trouve dans un ordinateur autonome auquel l’accès est limité.

31 Le 7 août 2003, M. Lefebvre a informé M. Facey que le fonctionnaire s’estimant lésé était convoqué à une autre réunion (pièce E-10), le 13 août 2003, dans le but d’obtenir des précisions ou ses commentaires à propos de nouveaux renseignements que M. Lefebvre avait obtenus. M. Lefebvre a précisé que ces renseignements lui avaient été communiqués par des collègues du fonctionnaire s’estimant lésé, son chef d’équipe et sa sœur, lors d’entrevues qu’il avait eues avec eux, du 11 au 14 août 2003. Il a ajouté qu’il n’avait pas reçu de nouveaux renseignements de la GRC à ce moment-là. Toujours est-il que le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’est pas présenté à la réunion.

32 M. Lefebvre a reconnu la pièce E-12, le Rapport sommaire d’enquête rédigé par lui, dans lequel il recommandait que M. Lajoie, l’ASM, révoque la CFA du fonctionnaire s’estimant lésé en raison des graves accusations criminelles dont il était l’objet et des doutes implicites que cela soulevait à propos de son intégrité et de sa crédibilité comme AEC. M. Lefebvre a confirmé qu’il avait écrit ceci dans la « Conclusion » de son Rapport sommaire d’enquête : [traduction] « […] ses liens confirmés avec le groupe du crime organisé. » Fait à noter, cette déclaration se trouvait dans la « Conclusion » plutôt que dans les « Recommandations » du rapport. M. Lefebvre a conseillé à M. Lajoie de prendre connaissance des deux sections de son rapport avant de décider s’il y avait lieu de révoquer la CFA du fonctionnaire s’estimant lésé.

33 En contre-interrogatoire, M. Lefebvre a convenu avec le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé qu’il avait conclu, au terme de son enquête administrative, que le fonctionnaire n’avait pas fait de recherches dans son ordinateur sur MM. X et Y ou V-1 à V-22.

34 M. Lefebvre a également convenu que les personnes qui sont accusées d’actes criminels reçoivent généralement la consigne de leurs avocats de ne pas discuter de leur cause avec qui que ce soit. M. Lefebvre estimait toutefois que rien n’empêchait le fonctionnaire s’estimant lésé de fournir plus de détails sur ses liens avec MM. X et Y.

35 M. Lefebvre a déclaré qu’il n’avait pas mis en doute la validité des allégations de la GRC pour la bonne raison que les agents lui avaient dit, de vive voix et par écrit, qu’ils avaient accumulé des preuves d’écoute électronique et de filature qui démontraient clairement que le fonctionnaire s’estimant lésé était associé au groupe du crime organisé. La GRC avait également informé DRHC que le fonctionnaire s’estimant lésé avait ramassé des armes, de la corde, du ruban adhésif en toile et des postes de radio portatifs pour le compte du groupe du crime organisé et qu’il avait utilisé son propre véhicule pour l’enlèvement. M. Lefebvre a répété que la GRC était un organisme crédible qui n’avait aucune raison de porter de fausses accusations contre le fonctionnaire s’estimant lésé.

36 M. Lefebvre a convenu que le sergent Russell avait communiqué avec Mme Gledhill, le 22 avril 2003, pour savoir qui était autorisé à révoquer la CFA du fonctionnaire s’estimant lésé. Il a expliqué que le Conseil du Trésor a la responsabilité de protéger les biens de DRHC et les renseignements sur les citoyens canadiens contenus dans ses systèmes et que DRHC doit veiller à protéger les citoyens canadiens contre une menace ou un risque perçu. Il a réitéré que l’ASM avait le pouvoir d’attribuer, de refuser ou de révoquer la CFA d’un fonctionnaire.

37 M. Lefebvre s’est dit convaincu qu’il n’y avait pas d’autre poste à DRHC auquel le fonctionnaire s’estimant lésé aurait pu être réaffecté sans avoir à des ordinateurs ou à des dossiers papier ou être témoin de conversations de nature délicate.

38 Quand le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé lui a demandé s’il s’était entretenu avec le criminaliste qui représentait le fonctionnaire s’estimant lésé, M. Lefebvre a répondu qu’il ne l’avait pas fait. Il a expliqué que, en tant que chargé de l’enquête administrative, son mandat se limitait à recueillir des renseignements auprès du fonctionnaire s’estimant lésé et des employés de DRHC, et qu’il n’était pas autorisé à interroger des personnes de l’extérieur.

39 Quand le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé lui a demandé s’il avait consulté les Lignes directrices pour la conduite d'enquêtes administratives (pièce G-1) en date d’octobre 2001, il a répondu qu’il ne l’avait pas fait parce qu’elles n’étaient plus en vigueur au moment où il a mené son enquête administrative.

40 M. Lefebvre a expliqué, en réfutation, que c’étaient les Lignes directrices pour la conduite d'enquêtes administratives (pièce E-13) de juillet 2003 qui s’appliquaient à ce moment-là. (Elles ont été approuvées par l’administrateur général en février 2002 et promulguées en juillet 2003.) M. Lefebvre a déclaré qu’il en connaissait très bien le contenu puisqu’il avait participé à leur rédaction.

41 M. Lefebvre a indiqué que la GRC avait initialement communiqué avec DRHC pour l’informer qu’elle allait tenter de révoquer la CFA du fonctionnaire s’estimant lésé. Il a expliqué que le rôle de la GRC est de s’assurer que le ministère protège les renseignements confidentiels sur les citoyens canadiens contenus dans ses systèmes. M. Lefebvre a observé que c’était M. Lajoie, à titre d’ASM, et non la GRC, qui avait révoqué la CFA du fonctionnaire s’estimant lésé à l’issue de l’enquête administrative.

42 M. Lefebvre a déclaré qu’il devait absolument interroger le fonctionnaire s’estimant lésé à propos des événements qui avaient mené à son arrestation et sur les liens qu’il avait avec MM. X et Y afin de déterminer s’il était associé au groupe du crime organisé et s’il constituait une menace pour la sécurité de DRHC.

43 M. Lefebvre a précisé que [traduction] « […] l’examen de la preuve recueillie par le service de police » auquel il fait allusion dans la « Conclusion » de son Rapport sommaire d’enquête (pièce E-12), c’est l’examen des renseignements obtenus du groupe d’intervention de la GRC qui faisait enquête sur un certain nombre d’homicides non résolus mettant en cause un groupe du crime organisé des Indes orientales. La GRC alléguait que le fonctionnaire s’estimant lésé était associé avec MM. X et Y depuis trois ans environ. La preuve de la GRC, obtenue par écoute électronique et par filature, démontrait que le fonctionnaire s’estimant lésé avait participé à l’enlèvement du trafiquant de drogue.

44 M. Lefebvre a confirmé que Mme Emery avait écrit au fonctionnaire s’estimant lésé, le 24 juin 2003 (pièce E-5), pour le convoquer à la réunion prévue le 27 juin 2003. Elle l’avait informé, par la même occasion, qu’un représentant de l’agent négociateur ou qu’une autre personne pouvait être présent afin de bénéficier de ses conseils. M. Lefebvre a déclaré que l’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas présent à la réunion.

45 Ce fut ensuite le tour de M. Lajoie de témoigner. M. Lajoie a commencé sa carrière dans la fonction publique, en janvier 1973, comme AEC. Il est devenu superviseur d’AEC en 1985, président de la sécurité pour DRHC au Québec en 1994, ASM en avril 2000 et Directeur national de la sécurité, des enquêtes et des mesures d'urgence en août 2003.

46 M. Lajoie a confirmé que M. Lefebvre l’avait informé que le fonctionnaire s’estimant lésé avait été arrêté et accusé de l’enlèvement d’un trafiquant de drogue.

47 M. Lajoie a déclaré qu’il était présent à la réunion du 27 juin 2003 et qu’il avait assisté aux entrevues qui se dont déroulées du 11 au 14 août 2003. Il a observé qu’il prenait part aux réunions seulement lorsque la sécurité de DRHC était en jeu. Il a confirmé que, à titre d’ASM, il possédait la délégation de pouvoir pour attribuer, refuser ou de révoquer la CFA d’un fonctionnaire. Il a ajouté qu’il était parfaitement au courant du dossier du fonctionnaire s’estimant lésé lorsqu’il a décidé de révoquer sa CFA.

48 M. Lajoie a confirmé qu’il avait développé le Guide de classification de l’information (pièce E-14), qui est remis à tous les fonctionnaires et qui leur explique comment déterminer la catégorie, la sensibilité et le niveau de protection des données de DRHC.

49 M. Lajoie a expliqué qu’il était de son devoir de prendre au sérieux toute menace qui pourrait avoir des conséquences sur les prestations d’a.-e., la pension de vieillesse, etc. de citoyens canadiens, de même que sur la sécurité de DRHC et de ses biens. Il a poursuivi en disant que, à titre d’ASM, il devait aussi appliquer la Politique sur la sécurité (pièce E-15), dont il a cité le Préambule, qui est libellé comme suit :

2. Préambule

Le Gouvernement du Canada dépend de son personnel et de ses biens afin de fournir les services qui protègent la santé, la sécurité et le bien-être économique des Canadiens et des Canadiennes. Il doit gérer ces ressources avec une diligence raisonnable et prendre les mesures appropriées pour les sauvegarder de tout préjudice.

Les menaces qui peuvent causer préjudice au personnel et aux biens du gouvernement, au Canada et à l'étranger, comprennent la violence envers les employés, l'accès non autorisé, le vol, la fraude, le vandalisme, les incendies, les catastrophes naturelles, les défaillances techniques et les dommages fortuits. Les menaces de « cyberattaques » et les actes malveillants par Internet sont courants et peuvent beaucoup nuire aux services électroniques et aux infrastructures essentielles. Les menaces à l'intérêt national dont les activités criminelles transnationales, de terrorisme et de services étrangers du renseignement continuent à évoluer selon les changements à l'échelle internationale.

La Politique du gouvernement sur la sécurité prescrit l'application de mesures de sauvegarde pour réduire le risque de préjudice. Elle est conçue pour protéger les employés, préserver la confidentialité, la disponibilité, l'intégrité et la valeur des biens, et assurer la prestation continue de services. Puisque le Gouvernement du Canada se fie beaucoup aux technologies de l'information (TI) pour sa prestation de services, cette politique souligne l'importance pour les ministères de surveiller leurs opérations électroniques.
[…]

[Le passage en gras l’est dans l’original]

50 M. Lajoie a déclaré que, à titre d’ASM, il devait aussi protéger les ressources du gouvernement du Canada. En cas d’incident majeur, il doit établir un plan d’urgence afin que les citoyens canadiens puissent continuer de bénéficier des services du gouvernement de manière sûre et fiable. La définition de biens contenue dans la Politique sur la sécurité (pièce E-15) est la suivante :

Appendice B – Glossaire

[…]

Biens (Assets) — éléments d'actifs corporels ou incorporels du Gouvernement du Canada. Ce terme s'applique, sans toutefois s'y limiter, aux renseignements, sous toutes leurs formes et quel que soit leur support, aux réseaux, aux systèmes, au matériel, aux biens immobiliers, aux ressources financières, à la confiance des employés et du public, et à la réputation internationale. (Les renseignements ont été inclus à cette définition exclusivement aux fins de la présente politique. On ne peut en conclure que les conséquences juridiques applicables aux biens dans le sens légal s'appliquent aussi aux renseignements).

[Les passages soulignés le sont dans l’original]

51 M. Lajoie a ajouté qu’il devait aussi se conformer aux exigences du programme de sécuritémentionné au paragraphe 10.1 de la Politique sur la sécurité :

Les ministères doivent nommer un agent de sécurité du ministère (ASM) chargé d'établir et de diriger un programme de sécurité qui assure la coordination de toutes les fonctions de la politique et la mise en œuvre de ses exigences. Ces fonctions comprennent l'administration générale (p. ex. procédures du ministère, formation et sensibilisation, identification des biens, gestion des risques pour la sécurité, partage des renseignements et des biens), le contrôle de l'accès, les vérifications de fiabilité et de sécurité, la sécurité matérielle, la protection des employés, la sécurité des technologies de l'information, la sécurité en cas d'urgence et de menace accrue, la planification de la continuité opérationnelle, la sécurité des marchés et les enquêtes sur les incidents de sécurité.

[…]

52 M. Lajoie a déclaré que le gouvernement du Canada devait s’assurer que les fonctionnaires qui ont accès à des renseignements confidentiels sont des personnes fiables et dignes de confiance. Il a renvoyé au paragraphe 10.9 de la Politique sur la sécurité, où il est question des enquêtes de sécurité :

[…]

[…] On doit tout particulièrement veiller à assurer la fiabilité et la loyauté continuelles de ces personnes et à prévenir tout acte malveillant et toute divulgation non autorisée de renseignements classifiés et protégés causés par le mécontentement de personnes en poste de confiance.

[…]

53 M. Lajoie a indiqué qu’à l’alinéa 10.9f) de la Politique sur la sécurité, il est écrit que le ministère doit « revoir, révoquer, suspendre ou déclasser pour un motif valable une cote précédemment accordée ». Lorsqu’on l’informe qu’un fonctionnaire ne satisfait pas aux exigences de son poste en matière de sécurité, il le rencontre pour déterminer si les biens et la sécurité de DRHC sont menacés. S’il conclut que oui, il peut décider de mener une enquête. À titre d’ASM, il a le pouvoir d’accorder, de refuser ou de révoquer une CFA, mais seul l’administrateur général ou le SCRS a le droit d’attribuer, de refuser ou de révoquer une habilitation de sécurité Secret-niveau II ou Très secret-niveau III.

54 M. Lajoie a également renvoyé à la Norme sur la sécurité du personnel du Conseil du Trésor (pièce E-16), dans laquelle on peut lire ceci : « […] La vérification de la fiabilité et l'évaluation de sécurité sont des conditions essentielles pour l'obtention d'un poste en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (LEFP). » Il a déclaré que la cote minimale qui est exigée dans la fonction publique est la cote de fiabilité de base, mais que DRHC exige pour sa part la CFA. Il a renvoyé à la section 2.2 de la Norme, qui explique chacune de ces deux cotes, dans les termes suivants :

2.2 Enquêtes requises

[…]

Une cote de fiabilitéde base est le type d'enquête de sécurité minimal exigé pour toutes les personnes qui sont nommées ou affectées à un poste pour six mois ou plus. La cote de fiabilité de base est également exigée pour les personnes sous contrat pendant plus de six mois qui doivent avoir accès régulièrement aux installations de l'État. Elle est facultative pour les période [sic] de moins de six mois. La personne ayant obtenu cette cote peut avoir accès aux renseignements et biens non classifiés ou non désignés.

Une cote de fiabilité approfondie est le type d'enquête de sécurité exigé quand les fonctions d'un poste ou d'un marché nécessitent un accès fréquent aux renseignements et biens désignés, quelle que soit la durée de l'affectation, de la nomination ou du marché. La personne ayant obtenu cette cote peut avoir accès, au besoin, à des renseignements et biens désignés.

[…]

55 M. Lajoie a déclaré que, si la CFA d’un fonctionnaire est révoquée, il détermine si cette personne peut être nommée ou réaffectée à un autre poste, ailleurs, dans le même groupe et au même niveau. Il a dit que cette possibilité a été envisagée dans le cas du fonctionnaire s’estimant lésé, mais que la cote de sécurité minimale qui est exigée pour avoir accès à des documents et des données cotés Protégé « B » est la CFA. M. Lajoie a déclaré : [traduction] « [o]n a envisagé de le nommer ou de le réaffecter à un autre poste, mais ce n’était pas possible. » Il a ajouté que le fonctionnaire qui veut contester la révocation de son habilitation de sécurité peut déposer un grief selon la procédure de règlement des griefs établie par la LRTFP.

56 M. Lajoie a dit qu’il était en accord avec la décision de suspendre immédiatement le fonctionnaire s’estimant lésé, sans rémunération, étant donné que ce dernier avait accès, à titre d’AEC, aux biens de DRHC et à des renseignements sur les citoyens canadiens. Les liens qu’il avait avec le groupe du crime organisé le préoccupaient au premier chef. Sachant que le fonctionnaire était accusé d’avoir participé à l’enlèvement d’un trafiquant de drogue, M. Lajoie en avait déduit qu’il était nécessairement associé au groupe du crime organisé. L’enquête administrative avait pour but [traduction] « [d]e faire éclater la vérité au grand jour, à défaut de quoi, nous étions obligés de prendre une décision en nous basant sur l’information dont nous disposions ». L’enquête administrative visait à déterminer si le groupe du crime organisé avait obtenu des renseignements sur des citoyens canadiens avec l’aide du fonctionnaire s’estimant lésé.

57 M. Lajoie a déclaré que si la GRC avait fourni de nouveaux renseignements ou que si le fonctionnaire s’estimant lésé avait démontré qu’il ne constituait pas une menace pour la sécurité de DRHC, il aurait fait lever sa suspension et l’aurait rétabli immédiatement dans ses fonctions. Quand l’avocate de l’employeur lui a demandé s’il avait tenu compte des critères énoncés dans Larson, M. Lajoie a répondu qu’il ne l’avait pas fait. L’avocate de l’employeur a alors passé ces critères en revue avec lui. Son témoignage sur ce point peut se résumer comme suit :

1) À titre d’AEC, le fonctionnaire s’estimant lésé constituait une menace pour la sécurité de DRHC, étant donné qu’il avait accès à des renseignements confidentiels sur les citoyens canadiens.

2) Les liens que le fonctionnaire s’estimant lésé avait avec le groupe du crime organisé ne manqueraient pas d’éveiller l’inquiétude de la population canadienne.

3) Bien qu’il n’ait pas participé à l’enquête criminelle de la GRC, M. Lajoie savait que cette enquête était en cours.

4) M. Lajoie a déclaré qu’il n’y avait pas de postes ailleurs à DRHC auquel le fonctionnaire s’estimant lésé pouvait être affecté et qui ne nécessitait pas l’utilisation d’ordinateurs ou la consultation de dossiers papier ou de renseignements de nature délicate.

5) M. Lajoie a déclaré qu’il avait avisé le fonctionnaire s’estimant lésé qu’il pouvait lui fournir des renseignements complémentaires en tout temps, mais le fonctionnaire en a décidé autrement.

58 M. Lajoie a déclaré qu’il avait révoqué la CFA du fonctionnaire s’estimant lésé [traduction] « [s]ur l’avis du conseiller juridique du ministère, après examen des renseignements contenus dans le dossier du fonctionnaire s’estimant lésé. Je lui ai donné la possibilité, lorsque nous nous sommes rencontrés, de m’expliquer quels liens il avait avec le groupe du crime organisé, mais il a refusé de le faire ». Il a déclaré que la décision avait été facile à prendre, car il avait des motifs raisonnables de croire que le fonctionnaire s’estimant lésé était susceptible de divulguer des renseignements sur des citoyens canadiens au groupe du crime organisé. Même si l’enquête administrative a révélé que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas fait de recherches dans son ordinateur sur MM. X et Y ou V-1 à V-22, M. Lajoie n’excluait pas la possibilité qu’il en eût fait sur d’autres personnes avec lesquelles il était associé, mais dont la GRC ou DRHC ne connaissaient pas l’existence. En conclusion, M. Lajoie a déclaré que le fonctionnaire s’estimant lésé constituait un haut niveau de risque pour la sécurité de DRHC du fait des liens qu’il avait avec le groupe du crime organisé.

59 En contre-interrogatoire, M. Lajoie a déclaré qu’on lui avait dit qu’il était pratiquement impossible de savoir si le fonctionnaire s’estimant lésé avait consulté d’autres dossiers que ceux qui lui étaient attribués. Comme des millions de données sont entrées dans les ordinateurs chaque jour, une telle vérification aurait monopolisé toute l’équipe de la TI.

60 M. Lajoie a répété plusieurs fois au représentant du fonctionnaire s’estimant lésé qu’il était surtout préoccupé par le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé avait des liens avec le groupe du crime organisé et non par les accusations au criminel dont il était l’objet. Il a mentionné de nouveau que lorsqu’on lui avait demandé, le 27 juin 2003, d’expliquer les liens qu’il avait avec MM. X et Y, le fonctionnaire s’estimant lésé avait fourni très peu de renseignements, même si M. Lefebvre et lui-même lui avaient expliqué ce à quoi il s’exposait s’il refusait de répondre à leurs questions. M. Lajoie a déclaré qu’il avait été obligé de prendre une décision en se basant sur les renseignements dont il disposait.

61 M. Lajoie a observé que, après la révocation de la CFA du fonctionnaire s’estimant lésé, il n’avait pas entrepris de démarches pour lui trouver un poste dans un autre ministère, pour la bonne raison qu’il ne voyait pas comment il aurait pu recommander quelqu’un qui était associé à un groupe du crime organisé.

62 M. Lajoie a convenu avec le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé que le fonctionnaire s’estimant lésé avait été acquitté de l’accusation d’enlèvement et que l’enquête administrative avait établi qu’il n’avait pas utilisé les ordinateurs de DRHC à mauvais escient. M. Lajoie a toutefois refusé d’admettre que le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas associé à un groupe du crime organisé, en raison de l’information qu’il avait reçue de la GRC. Après avoir convenu que la GRC voulait révoquer la CFA du fonctionnaire s’estimant lésé dès le 22 avril 2003, il a déclaré ceci :

[Traduction]

Nous ne faisions pas enquête pour le compte de la GRC. On nous avait demandé d’entrer les noms de certaines personnes pour voir si elles s’étaient introduites dans notre système informatique et nous l’avons fait. Le rôle de la GRC est de protéger les citoyens canadiens et elle ne faisait que s’acquitter de cette responsabilité.

63 M. Lajoie a expliqué que, même s’il n’avait pas rencontré l’équipe de surveillance de la GRC ou entendu les conversations enregistrées, les preuves que la GRC avait en sa possession et les renseignements fournis par l’inspecteur Henderson lui paraissaient suffisants pour prendre une décision.

64 Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a allégué à plusieurs reprises que la GRC [traduction] « voulait avoir la peau » du fonctionnaire s’estimant lésé et qu’elle avait déposé de fausses accusations contre lui comme elle l’avait fait pour David Milgard et pour Donald Marshall. Il a continué de répéter encore et encore que la GRC cherchait juste à obtenir une condamnation et qu’on ne devait pas lui faire confiance. Je suis intervenu à ce moment-là pour lui dire que, à moins de me présenter la preuve qu’il existait un complot contre le fonctionnaire s’estimant lésé, il devait poursuivre le contre-interrogatoire de M. Lajoie.

65 En réinterrogatoire, M. Lajoie a déclaré que, à titre d’AEC, le fonctionnaire s’estimant lésé avait la possibilité de visiter d’autres ministères, de même que des services provinciaux et municipaux. Rien ne l’empêchait, par exemple, de rendre visite à un bureau de l’aide sociale, sous le prétexte qu’il faisait enquête sur une personne. De même, à DRHC, il avait accès non seulement aux ordinateurs du ministère, mais aussi aux dossiers papier, qui contiennent des renseignements personnels sur les citoyens canadiens, tels que leur adresse domiciliaire, leur NAS, des données sur les prestations d’a.-e., de pension de vieillesse etc. Il a mentionné que ce sont là des renseignements qui intéressent les criminels.

66 M. Lajoie a indiqué qu’en perdant sa CFA, le fonctionnaire s’estimant lésé ne satisfaisait plus aux exigences de son poste d’AEC en matière de sécurité. Or, sans CFA, il était impossible de lui trouver un poste dans un autre ministère.

67 M. Lajoie a confirmé que, le 26 août 2003, il avait écrit (pièce E-19) à Bill Gardner, sous-ministre adjoint, région de la C.-B. et du Yukon, DRHC, pour l’informer qu’il souscrivait à la recommandation contenue dans le Rapport sommaire d’enquête deM. Lefebvre (pièce E-12) et qu’il révoquait immédiatement la CFA du fonctionnaire s’estimant lésé.

68 Mme Arsenault a ensuite été appelée à témoigner. Mme Arsenault a pris sa retraite en février 2005, après 32 années de service dans la fonction publique. En 2003, elle occupait le poste de gestionnaire régionale, Direction des ressources humaines, région de la C.-B. et du Yukon, DRHC, et relevait du directeur, Bob McMorine. Dans l’affaire concernant le fonctionnaire s’estimant lésé, ses interlocuteurs étaient MM. Richer et Stelpstra.

69 Mme Arsenault a renvoyé à un courriel daté du 24 avril 2003, de M. Lefebvre à M. Richer, de l’administration centrale de DRHC (pièce E-20), dans lequel M. Lefebvre indique que le ministère aurait tout intérêt à suspendre immédiatement le fonctionnaire s’estimant lésé, sans rémunération, en raison de ses liens confirmés (par la GRC) avec le groupe du crime organisé. M. Richer a répondu à M. Lefebvre que, pour imposer une suspension avant la fin d’une enquête administrative, il fallait appliquer les principes, questions et lignes directrices décrits dans Larson.

70 Mme Arsenault a déclaré qu’elle conseillait M. Gardner sur diverses questions de relations de travail et que, à ce titre, elle s’était employée à déterminer si les critères énoncés dans Larson s’appliquaient au cas du fonctionnaire s’estimant lésé. Elle a poursuivi en disant qu’elle avait indiqué à M. Gardner que DRHC avait tout intérêt à suspendre immédiatement le fonctionnaire s’estimant lésé, sans rémunération, en attendant la fin de l’enquête administrative. Elle a confirmé que, à titre d’AEC, le fonctionnaire s’estimant lésé avait accès à des renseignements confidentiels sur les citoyens canadiens et que ses liens avec le groupe du crime organisé constituaient une menace pour la sécurité de DRHC.

71 La nature des accusations au criminel et le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé était associé au groupe du crime organisé étaient préjudiciables à la réalisation du mandat de DRHC. Mme Arsenault a confirmé que les données conservées dans les systèmes de DRHC étaient cotées Protégé « B ».

72 Mme Arsenault a déclaré qu’elle savait qu’il y avait une enquête administrative en cours, mais qu’elle n’y avait joué aucun rôle.

73 Mme Arsenault a également indiqué que DRHC avait envisagé de réaffecter ou de nommer le fonctionnaire s’estimant lésé à un autre poste avant le début de l’enquête administrative, mais que l’idée avait été rejetée parce que sa présence ailleurs dans les bureaux de DHRC allait compromettre la sécurité, car toutes les sections ont des ordinateurs et des dossiers papier.

74 Mme Arsenault a confirmé que, le 24 avril 2003, M. Gardner avait avisé le fonctionnaire s’estimant lésé par écrit (pièce E-21) qu’il était suspendu immédiatement, sans rémunération, en attendant la fin d’une enquête. Elle a expliqué que [traduction] « [l]a suspension ne constituait pas une mesure disciplinaire, pour la bonne raison qu’il n’y avait pas eu de manquement à la discipline. L’enquête avait pour but de recueillir des faits et d’en arriver à une décision. »

75 Le 29 mai 2003, M. Gardner a de nouveau écrit (pièce E-27) au fonctionnaire s’estimant lésé pour l’informer de la tenue prochaine d’une enquête administrative et le prévenir qu’un enquêteur allait communiquer avec lui, le moment venu, pour recueillir sa version des faits. Dans l’intervalle, sa suspension non rémunérée était maintenue. Le même jour, Mme Arsenault a informé M. Gardner que les représentants des services de sécurité ministériels de DRHC attendaient de recevoir des renseignements complémentaires de la GRC avant d’entamer leur enquête interne. La divulgation de ces renseignements devait être autorisée au préalable par les conseillers juridiques de la GRC (pièce E-28).

76 Le 27 août 2003, M. Gardner a avisé le fonctionnaire s’estimant lésé que M. Lajoie avait révoqué sa CFA en raison de son association avec le groupe du crime organisé (pièce E-29). Il l’a également informé qu’il mettait fin à son emploi, à compter du 26 août 2003, en vertu des pouvoirs qui lui sont délégués par le paragraphe 11(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP),étant donné que le fonctionnaire s’estimant lésé devait avoir une CFA valide pour exercer les fonctions de son poste à DRHC.

77 En conclusion de son témoignage, Mme Arsenault a déclaré qu’un AEC qui n’a pas de CFA ne peut plus exercer les fonctions de son poste. Elle a émis l’opinion que tous les postes de la fonction publique fédérale nécessitent une CFA valide.

78 En contre-interrogatoire, le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a relevé que, dans son Rapport sommaire d’enquête (pièce E-12), M. Lefebvre recommande que [traduction] « […] l’ASM révoque la cote de fiabilité approfondie [« enhanced reliability clearance »] du fonctionnaire ». Or, dans le texte anglais de la section 2.2, Enquêtes requises, de la Norme sur la sécurité du personnel (pièce E-16), il est question de « basic reliability status » et de « enhanced reliability status ». Ce n’est rien d’autre qu’un point sur lequel le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a voulu attirer l’attention de Mme Arsenault. À cet égard, j’admets qu’il y a un manque d’uniformité dans le libellé des textes anglais des diverses pièces justificatives, mais je ne saurais dire quelle importance il faut y accorder.

79 Mme Arsenault a déclaré que, privé de sa CFA, qui constitue une condition d’emploi, le fonctionnaire s’estimant lésé ne pouvait plus exercer les fonctions de poste, d’où la décision de mettre fin à son emploi. Pour être certaine d’être bien comprise, elle a déclaré que : [traduction] « [l]a CFA a[vait] été révoquée et non pas abaissée. »

80 Mme Arsenault a convenu avec le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé que DRHC n’avait rien fait pour tenter de trouver un poste au fonctionnaire s’estimant lésé dans un autre ministère. Elle a toutefois déclaré que, même si sa cote avait été abaissée, il n’y avait pas de postes dans les autres ministères qui nécessitaient la cote de fiabilité de base. Elle a précisé de nouveau que l’habilitation de sécurité du fonctionnaire s’estimant lésé, c’est-à-dire sa CFA, avait été révoquée et non pas abaissée à la cote de fiabilité de base.

81 Mme Arsenault a également convenu avec le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé qu’elle avait précisé à M. Richer, le 8 mai 2003 (pièce G-3), que dans le courriel dont elle lui avait fait tenir copie (le 22 avril 2003, pièce E-1), elle indiquait seulement que le fonctionnaire s’estimant lésé était accusé d’enlèvement. C’est M. Lefebvre qui avait dit que le fonctionnaire s’estimant lésé avait été arrêté et accusé d’enlèvement et de tentative de meurtre (pièce E-20).

82 En réinterrogatoire, Mme Arsenault a déclaré, à propos de son courriel du 22 avril 2003 (pièce E-1), qu’on pouvait croire, en lisant les mots : [traduction] « la victime a été violemment battue », qu’il s’agissait d’une tentative de meurtre. Elle a expliqué qu’à ce stade-là de l’affaire, on ne savait pas trop ce qui s’était vraiment passé.

83 Andy Netzel compte 29 années de service dans la fonction publique. Il a fait carrière à la Commission d’assurance-chômage et à DRHC. Il occupe depuis trois ans le poste de cadre supérieur régional, C.-B./Alberta/Territoires, DRHC.

84 M. Netzel a déclaré qu’il avait déjà révoqué la CFA de deux fonctionnaires et qu’ils avaient tous deux perdu leur emploi.

85 En contre-interrogatoire, M. Netzel a déclaré qu’il ne pouvait pas dire s’il y avait des postes dans d’autres ministères qui nécessitent seulement une cote de fiabilité de base.

86 Le témoin suivant, Mme Turgeon, a été appelé par le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé. Mme Turgeon a pris sa retraite de la fonction publique en juin 2006. Elle était le chef d’équipe du fonctionnaire s’estimant lésé à DRHC.

87  Mme Turgeon a déclaré que le fonctionnaire s’estimant lésé était un excellent employé, qui jouissait de l’estime de ses collègues, et que c’était une personne fiable et intègre. C’était aussi un employé dévoué qui était sensible aux problèmes de sa clientèle. Elle n’avait elle-même jamais rien eu à lui reprocher au travail.

88 Mme Turgeon a mentionné que, le jour de l’arrestation du fonctionnaire s’estimant lésé, le sergent Russell lui avait dit qu’il ne pourrait plus jamais occuper un poste dans la fonction publique fédérale, étant donné qu’il avait été accusé d’enlèvement et de tentative de meurtre. Elle était d’avis que le sergent Russell avait décidé d’avoir la peau du fonctionnaire s’estimant lésé.

89 Mme Turgeon a déclaré qu’elle ne se rappelait pas si MM. Lajoie et Lefebvre lui avaient demandé, le jour où ils l’avaient interrogée, avec quel genre de personnes le fonctionnaire s’estimait lésé était associé. Elle s’est toutefois souvenue que MM. Lajoie et Lefebvre lui avaient expressément ordonné de ne pas communiquer avec lui.

90 Mme Turgeon n’a pas été contre-interrogée.

91 Ce fut ensuite au tour du fonctionnaire s’estimant lésé de témoigner. Il a déclaré qu’il avait été embauché comme AEC, pour une période déterminée, le 15 octobre 2001, au sein de l’Équipe mixte d’application, à Abbotsford (C.-B.). Puis, le 27 mars 2003, sa période d’emploi avait été prolongée jusqu’au 26 mars 2004.

92 Le fonctionnaire s’estimant lésé a indiqué que ses fonctions consistaient à faire enquête sur des travailleurs agricoles pour s’assurer qu’ils ne travaillaient pas ailleurs pendant qu’ils touchaient des prestations d’a.-e., à déterminer si des employeurs avaient délivré de faux relevés d’emploi, à s’assurer que les bénéficiaires de prestations d’a.-e. cherchaient activement un emploi et à leur rappeler les obligations qu’ils avaient durant leur période de prestations. Il a aussi indiqué qu’il parlait de ces sujets dans le cadre de ses fonctions, de sa propre initiative, à la station de radio panjabi, dans des temples sikh, dans des centres communautaires, à l’Agence du revenu du Canada et à DRHC.

93 Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré qu’il aimait son travail à DRHC, car il trouvait que cela [traduction] « [r]essemblait beaucoup au travail que font les policiers; c’était comme une sorte de jeu du chat et de la souris ».

94 Le fonctionnaire s’estimant lésé a indiqué qu’il connaissait seulement quelques programmes informatiques de DRHC, tels que le Système à accès direct de l’assurance et le Système de soutien aux agents, qu’il consultait pour obtenir le NAS et l’adresse domiciliaire de bénéficiaires de prestations d’a.-e. Comme il préférait manipuler des dossiers papier, a-t-il dit, il utilisait très peu l’ordinateur. À ce propos, il a observé : [traduction] « En fait, je n’ai jamais entré quoi que ce soit dans un ordinateur. Je m’en servais surtout comme outil de référence. »

95 Quand son représentant lui a demandé s’il avait utilisé les ordinateurs de DRHC pour autre chose que le travail, le fonctionnaire s’estimant lésé a répondu qu’il ne l’avait pas fait.

96 Quand son représentant lui a demandé si une personne autre qu’un employé de DRHC lui avait déjà demandé d’effectuer des recherches dans les ordinateurs de DRHC, il a répondu que personne ne lui avait fait une telle demande.

97 Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré qu’il s’était servi de ses privilèges d’accès à distance cinq ou six fois seulement durant ses trois années d’emploi à DRHC.

98 Le fonctionnaire s’estimant lésé a ensuite relaté les événements qui avaient à son arrestation et à sa mise en accusation.

99 Aux alentours du 14 février 2003, des agents de la GRC avaient confisqué son véhicule à son domicile, pendant qu’il était absent. Ils avaient toutefois laissé une carte de visite sur laquelle ils le priaient de communiquer avec eux. Il avait alors retenu les services d’un avocat et c’est avec lui qu’il a rencontré la GRC. Avant la rencontre, l’avocat lui avait conseillé d’écouter seulement et de ne pas poser de questions.

100 Sa voiture lui avait été rendue en mars 2003 par la GRC. Le 16 avril 2003, il avait été arrêté et accusé d’enlèvement et de séquestration. Les sergents Kirby et Russell l’avaient escorté au poste de la GRC à Surrey, où ils l’avaient placé en détention. Ils lui avaient dit que son monde allait bientôt s’écrouler et qu’il [traduction] « [p]ouvait dire adieu à son emploi pépère dans l’administration publique ».

101 Aux alentours de 21 h ce soir-là, les sergents Russell et Kirby l’avaient interviewé pendant une heure. Durant l’entrevue, qui était enregistrée sur magnétoscope, ils lui avaient dit à plusieurs reprises que sa CFA allait être révoquée et que son emploi [traduction] « aurait disparu » quand il serait libéré.

102 Le fonctionnaire s’estimant lésé a précisé que, durant l’entrevue, le sergent Kirby lui avait dit que c’est parce qu’il n’était pas dans la mire de la GRC qu’on ne l’avait pas arrêté en février 2003. Autrement dit, il n’était pas une personne d’intérêt connue.

103 Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré qu’il n’avait jamais été accusé de tentative de meurtre. Il a admis qu’une accusation d’agression avait été portée contre lui, en plus des accusations d’enlèvement et de séquestration. Avant d’être arrêté, il ne savait pas du tout qui était la victime de l’enlèvement, ni qui d’autre était accusé. Il a également déclaré qu’avant de confisquer sa voiture, la GRC ne l’avait jamais contacté ni accusé relativement à une enquête ou à un incident. Il a acquitté le cautionnement trois semaines après son arrestation, puis il a retenu les services d’un autre avocat.

104 Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que, durant la réunion du 27 juin 2003 avec MM. Lefebvre et Lajoie, il avait tenté de leur faire comprendre qu’il n’avait pas participé à l’enlèvement et qu’il avait observé que, s’il s’était avoué coupable, il serait derrière les barreaux. MM. Lefebvre et Lajoie lui avaient demandé s’il était associé avec MM. X et Y et il leur avait répondu qu’il les connaissait depuis un an environ. Ils ne lui avaient cependant posé aucune question au sujet des 22 autres personnes d’intérêt pour la GRC (V-1 à V-22), ni demandé s’il avait un casier judiciaire. Il leur avait dit, le 27 juin 2003, que son avocat lui avait conseillé de ne pas discuter de son cas avec quiconque, y compris les membres de sa famille, pour ne pas qu’ils soient assignés à comparaître durant le procès au criminel.

105 Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré qu’il n’avait pas comploté avec MM. X et Y, ni personne d’autre, dans l’affaire de l’enlèvement du trafiquant de drogue. Il a soutenu qu’il n’était associé à personne dans le milieu du crime organisé et que parmi les 22 personnes d’intérêt pour la GRC (V-1 à V-22), une seule lui était connue, V-19 (un coaccusé dans l’affaire d’enlèvement), qu’il connaissait depuis l’âge de cinq ans. Ils avaient été à l’école ensemble, de la huitième à la dixième année, et après leurs études secondaires, ils avaient joué des parties improvisées de basket-ball, de football et de soccer avec d’autres ressortissants des Indes orientales. Il a ajouté qu’il n’avait jamais ramassé d’armes ou de postes de radio portatifs pour qui que ce soit. La grande tache de sang qu’on avait trouvé sur le siège arrière de sa voiture n’était en fait que de la taille de la moitié d’un ongle de bébé. L’analyse génétique de la tache n’a jamais permis d’établir de lien avec la victime ou toute autre personne d’intérêt pour la GRC. MM. Lefebvre et Lajoie ne lui avaient pas posé de questions à propos des allégations de la GRC, ni communiqué les renseignements que la GRC leur avait fournis.

106 Le fonctionnaire s’estimant lésé a indiqué qu’aucune preuve d’écoute électronique, de filature ou d’analyse génétique de la tache de sang n’avait été produite à son procès.

107 Le procès avait duré deux jours et les 12 membres du jury l’avaient déclaré non coupable. L’acquittement avait été prononcé le 2 juillet 2006. Bref, il y avait eu erreur sur la personne.

108 Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas reçu de copie du Rapport sommaire d’enquête de M. Lefebvre (pièce E-12), de sorte qu’il n’a pas eu la chance de répondre aux allégations qu’il contenait ou de les réfuter avant d’être licencié. Quand son représentant lui a montré les Lignes directrices pour la conduite d’enquêtes administratives (pièce E-13) de juillet 2003 et, notamment, [traduction] « l’appendice G (Modèle de lettre à joindre au rapport de l’enquête administrative pour informer le fonctionnaire de son droit d’y répondre) », le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré qu’il n’avait jamais reçu ce document. Il a aussi indiqué que ni lui ni M. Facey n’avaient annulé la réunion prévue avec MM. Lefebvre et Lajoie, le 13 août 2003, et que c’est plutôt eux qui l’avaient fait.

109 Quand son représentant lui a demandé de décrire les conséquences que la perte de son emploi avait eues pour lui, le fonctionnaire s’estimant lésé a répondu qu’il [traduction] « n’arriv[ait] pas à décrocher un emploi », même s’il avait posé sa candidature à des postes dans l’administration fédérale et qu’il avait fait bonne figure aux entrevues orales et aux épreuves écrites, parce qu’il n’avait pas de cote de sécurité. Il a déclaré qu’on l’avait condamné d’avance. DRHC ne lui a pas communiqué les renseignements qu’il avait recueillis, de sorte qu’il n’a pas eu la chance d’y répondre. Il a été très troublé par son licenciement, qu’il considère comme un affront. Il a conclu son témoignage en disant qu’il était encore capable d’être un bon AEC.

110 En contre-interrogatoire, le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré qu’il ne faisait qu’obéir à la consigne de son avocat en refusant de répondre aux questions de MM. Lefebvre et Lajoie, le 27 juin 2003, à propos des événements entourant son arrestation. Il a ajouté qu’il leur avait tout de même remis la carte professionnelle de son avocat à l’issue de la réunion. Il a expliqué que son avocat exigeait des honoraires de 500 $ l’heure et que l’agent négociateur lui avait fourni l’aide de M. Facey à la réunion.

111 En réinterrogatoire, le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que l’autre raison pour laquelle il n’avait pas jugé bon d’exiger la présence de son avocat à la réunion avec MM. Lefebvre et Lajoie du 27 juin 2003, c’est qu’il ne pensait pas que MM. Lefebvre et Lajoie allaient lui poser des questions à propos des accusations au criminel.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

112 L’avocate de l’employeur a défendu la position que la décision de suspendre le fonctionnaire s’estimant lésé pendant une période indéterminée, sans rémunération, et celle de révoquer sa CFA étaient des mesures administratives et non des mesures disciplinaires. Par conséquent, conformément au paragraphe 92(1) de l’ancienne Loi, je n’ai pas la compétence pour trancher ces griefs.

113 Le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé est la conséquence de la révocation de sa CFA, laquelle constitue une condition d’emploi à DRHC, puisqu’il ne pouvait plus accomplir les fonctions de son poste. Cette mesure a été prise pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline et n’avait rien à voir avec les accusations au criminel. La question qu’il faut trancher, au dire de l’avocate de l’employeur, est celle de savoir si le licenciement était une mesure disciplinaire déguisée ou une mesure administrative. Rien ne prouve que l’employeur avait décidé ou avait l’intention de sévir contre le fonctionnaire s’estimant lésé en mettant fin à son emploi. Bref, l’intention de l’employeur n’était pas d’imposer une mesure disciplinaire.

114 Mme Arsenault a déclaré qu’elle avait appliqué les critères énoncés dans Larson, avant de recommander la suspension du fonctionnaire s’estimant lésé, sans rémunération.

115 Subsidiairement, l’avocate de l’employeur a fait valoir que si je décidais que l’employeur avait porté atteinte au droit à l’équité procédurale du fonctionnaire s’estimant lésé, je devais tenir compte du fait que sa période d’emploi prenait fin le 26 mars 2004. Ainsi donc, toute réparation que je déciderais de lui accorder ne doit s’appliquer que jusqu’à la fin de son contrat d’emploi puisque je n’ai pas le pouvoir de le réintégrer dans son poste d’AEC, ni de rétablir sa CFA.

116 L’avocate de l’employeur a conclu sa plaidoirie en m’exhortant à rejeter les griefs.

117 Au soutien de son argumentation, l’avocate de l’employeur m’a renvoyé aux affaires suivantes : Hillis c. Conseil du Trésor (Ministère du Développement des ressources humaines), 2004 CRTFP 151; Glowinski c. Canada (Conseil du Trésor), 2006 CF 78; Endicott c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 CF 253; Myers c. Canada (Procureur général), 2007 CF 947; R. v. Aulakh, 2006 BCSC 1257; Procureur général du Canada c. Basra, 2008 CF 606; et Larson.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

118 Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a défendu la position que DRHC n’avait pas interprété correctement les cinq critères énoncés dans Larson, qu’il prétend avoir appliqués.

119 Les premier et deuxième critères dans Larson doivent être interprétés comme s’ils ne faisaient qu’un. Il n’y a pas eu de preuve démontrant que les accusations au criminel déposées contre le fonctionnaire s’estimant lésé constituaient une menace pour la sécurité de DRHC ou qu’elles risquaient d’avoir un effet dommageable, préjudiciable ou nuisible pour sa réputation. L’enquête administrative a déterminé que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas utilisé les ordinateurs de DRHC pour effectuer des recherches sur MM. X et Y ou sur des membres connus du groupe criminalisé et des victimes d’homicide (V-1 à V-22). De même, l’employeur n’a pas démontré que le fonctionnaire s’estimant lésé s’était servi des ordinateurs de DRHC à des fins illicites.

120 Eu égard au troisième critère, l’employeur n’a pas retenu les services d’enquêteurs indépendants pour faire enquête sur les accusations au criminel ou sur les prétendus liens que le fonctionnaire s’estimant lésé entretenait avec le groupe du crime organisé. L’employeur a accepté sans discuter les renseignements fournis par la GRC. À part demander au fonctionnaire s’estimant lésé s’il connaissait MM. X et Y, l’employeur n’a pas entrepris de recherches pour déterminer s’il était associé au groupe du crime organisé.

121 En ce qui concerne le quatrième critère, l’employeur n’a pas pris de mesures raisonnables pour lui trouver un autre poste, même un poste nécessitant une habilitation de sécurité moins élevée, ou lui attribuer des fonctions réduites ou lui imposer une surveillance plus serrée. Aucune de ces possibilités n’a été envisagée.

122 Dans le cas du cinquième critère, l’employeur ne s’est pas acquitté de son obligation d’envisager objectivement la possibilité de réintégrer le fonctionnaire s’estimant lésé, même s’il avait déterminé, en août 2003, à l’issue de l’enquête administrative, que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas utilisé les ordinateurs de DRHC à des fins illicites. L’employeur n’a pas tenu compte de ce fait lorsqu’il a décidé de révoquer la CFA du fonctionnaire s’estimant lésé et de mettre fin à son emploi. Il n’a pas démontré qu’il avait fait des démarches auprès d’autres bureaux de la région de la vallée du Bas-Fraser en Colombie­-Britannique ou d’un autre ministère pour déterminer s’il y avait des postes disponibles.

123 Le fonctionnaire s’estimant lésé a admis en présence de MM. Lajoie et Lefebvre qu’il connaissait MM. X et Y depuis un an. Or, pour prouver qu’il n’était pas associé à un groupe du crime organisé, il aurait fallu qu’il mente en disant qu’il ne les connaissait pas. Bref, c’était une situation sans issue.

124 Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a avancé l’argument que le licenciement prévu par la LGFP doit être motivé, ce qui n’est pas le cas ici.

125 Il n’a pas été démontré qu’il n’existait pas de postes nécessitant la cote de fiabilité de base dans l’administration publique. Même si DRHC exige la CFA au départ, ce n’est pas nécessairement le cas des autres ministères.

126 Le fonctionnaire s’estimant lésé a remis la carte professionnelle de son avocat à MM. Lajoie et Lefebvre, qui n’ont jamais communiqué avec lui.

127 Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que je devais déterminer que DRHC a agi de mauvaise foi et qu’il a utilisé la révocation de sa CFA comme prétexte pour mettre fin à son emploi.

128 DRHC a tenu pour acquis que le fonctionnaire s’estimant lésé était associé à un groupe du crime organisé, du fait qu’il avait été arrêté et accusé dans l’affaire de l’enlèvement du trafiquant de drogue. Même si le fonctionnaire s’estimant lésé a dit à MM. Lajoie et Lefebvre qu’il avait présenté un plaidoyer de non-culpabilité, sans quoi il serait derrière les barreaux, on l’a quand même présumé coupable. Il n’a pas bénéficié de l’équité procédurale, puisque l’employeur ne lui a pas fourni de copie du Rapport sommaire d’enquête de M. Lefebvre(pièce E-12). L’employeur a conclu qu’il n’avait pas utilisé ses ordinateurs à des fins illicites. Au surplus, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas reçu de copie du « [traduction] Modèle de lettre à joindre au rapport de l’enquête administrative pour informer le fonctionnaire de son droit d’y répondre » contenu dans les Lignes directrices pour la conduite d’enquêtes administratives (pièce E-13) de juillet 2003. Il n’a donc pas eu la chance de formuler des observations sur le Rapport sommaire d’enquête de M. Lefebvre ou de le réfuter. Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que la réunion du 13 août 2003 avait été annulée par l’employeur, mais M. Lefebvre a prétendu que le fonctionnaire ne s’y était pas présenté.

129 En conclusion, le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que je devais ordonner à l’employeur de rétablir la CFA du fonctionnaire s’estimant lésé (en me renvoyant à la décision Copp c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 8) ou, subsidiairement, lui enjoindre de trouver un poste nécessitant la cote de fiabilité de base dans un autre ministère ou encore accorder une indemnité au fonctionnaire s’estimant lésé pour la période du 26 août 2003 au 26 mars 2004, date à laquelle son emploi pour une période déterminée devait prendre fin.

130 Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé m’a renvoyé aux affaires suivantes : Sullivan c. Service canadien du renseignement de sécurité, 2003 CRTFP 26; Deering c. le Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-26518 (19960208); Kampman c. le Conseil du Trésor (Solliciteur général – Service correctionnel Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-21656 et 21771 (19920110); Zhang c. Conseil du Trésor (Bureau du Conseil privé), 2005 CRTFP 173; Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 70; et Copp.

C. Réplique

131 L’avocate de l’employeur a fait valoir que la décision Hillis avait établi qu’il n’y avait plus de postes qui nécessitent seulement la cote de fiabilité de base dans l’administration publique.

IV. Motifs

132 Le fonctionnaire s’estimant lésé est entré en fonctions à DRHC comme AEC, le 15 octobre 2001. Le 16 avril 2003, il a été arrêté et accusé d’enlèvement et de séquestration. Le 22 avril 2003, le sergent Russell du Groupe d’intervention sur les groupes criminalisés indo-canadiens a avisé Mme Gledhill que le fonctionnaire s’estimant lésé avait été arrêté et accusé dans l’affaire de l’enlèvement d’un trafiquant de drogue survenu le 13 février 2003 et que la GRC allait tenter de révoquer sa CFA.

133 Le 23 avril 2003, le sergent Russell a rencontré M. Lefebvre pour l’informer que la GRC avait des preuves que le fonctionnaire s’estimant lésé était associé à un groupe du crime organisé. Le 17 juin 2003, l’inspecteur Henderson a confirmé par écrit à M. Lefebvre (pièce E-7) qu’on allait démontrer au procès du fonctionnaire s’estimant lésé qu’il avait eu des communications directes avec MM. X et Y dans le but défini de planifier l’enlèvement du trafiquant de drogue et vraisemblablement son meurtre. Il y avait aussi des preuves que le fonctionnaire s’estimant lésé avait ramassé des armes et des postes de radio portatifs avant l’enlèvement, pour le compte de MM. X et Y. La filature de MM. X et Y avait confirmé l’identité du fonctionnaire s’estimant lésé et le rôle qu’il avait joué dans la planification de l’enlèvement. On avait aussi trouvé une grande tache de sang à l’intérieur de son véhicule, ce qui donnait à penser que le fonctionnaire s’estimant lésé avait transporté la victime.

134 La GRC a demandé à DRHC de vérifier dans l’ordinateur du fonctionnaire s’estimant lésé s’il avait effectué des recherches sur MM. X et Y et V-1 à V-22 et pour déterminer s’il avait divulgué des renseignements au groupe du crime organisé durant la période où il était employé comme AEC.

A.  L’employeur était-il fondé de suspendre immédiatement le fonctionnaire s’estimant lésé, sans rémunération, pour une période indéterminée (dossier de la CRTFP 166-02-34326)?   

135 Le 24 avril 2003, M. Lefebvre a recommandé à MM. Richer et Lajoie de suspendre immédiatement le fonctionnaire s’estimant lésé, sans rémunération. Ses raisons pour recommander cette mesure étaient les suivantes : déterminer si le fonctionnaire s’estimant lésé était associé au groupe du crime organisé, attirer l’attention sur le fait qu’il avait accès à des renseignements privilégiés et confidentiels sur les citoyens canadiens, protéger les biens de DRHC, déterminer si le fonctionnaire s’estimant lésé avait utilisé les ordinateurs de DRHC pour effectuer des recherches sur MM. X et Y et V-1 à V-22, et déterminer si le groupe du crime organisé s’était introduit dans les ordinateurs de DRHC avec son aide.

136 Mme Arsenault a déclaré qu’elle avait pris en considération les critères énoncés dans Larson avant de dire à M. Gardner que DRHC avait tout intérêt à suspendre immédiatement le fonctionnaire s’estimant lésé, sans rémunération. Les cinq critères en question sont libellés comme suit :

  1. La question, dans un grief de cette nature, n’est pas de savoir si le fonctionnaire s’estimant lésé est coupable ou innocent, mais de déterminer si sa présence, en tant qu’employé de la compagnie, peut être considérée comme posant un risque raisonnablement sérieux et immédiat aux intérêts légitimes de l’employeur.
  2. C’est à la compagnie qu’il incombe de convaincre le tribunal de l’existence d’un tel risque, et le simple fait qu’une accusation au criminel a été portée n’est pas suffisant pour s’acquitter de ce fardeau. La compagnie doit aussi établir que la nature de l’accusation est telle qu’elle risque d’avoir un effet dommageable, préjudiciable ou nuisible pour la réputation de la compagnie ou du produit, qu’elle peut rendre l’employé inapte à s’acquitter correctement de ses fonctions, qu’elle aura un effet préjudiciable sur les autres employés de la compagnie ou sur ses clients, ou encore qu’elle entachera la réputation générale de la compagnie.
  3. La compagnie doit prouver qu’elle a bel et bien enquêté du mieux qu’elle le pouvait sur l’accusation au criminel, en essayant sincèrement d’évaluer le risque que présente le maintien de l’employé s’estimant lésé dans ses fonctions. Sur ce point, le fardeau de la preuve imposé à la compagnie est bien moindre lorsque la police a déjà enquêté sur l’affaire et qu’elle a déjà obtenu des preuves suffisantes pour que des accusation [sic] soient portées que lorsque c’est la compagnie qui entame les procédures.
  4. Il incombe également à la compagnie de démontrer qu’elle a pris des mesures raisonnables pour s’assurer si le risque lié au maintien de l’employé s’estimant lésé dans ses fonctions pouvait être réduit par des moyens tels qu’une surveillance plus serrée ou une mutation dans un autre poste.
  5. Pendant la période de suspension, il incombe toujours à la compagnie d’envisager objectivement la possibilité d’une réintégration de l’employé dans son poste dans un délai raisonnable suivant la suspension, à la lumière des nouveaux faits ou des nouvelles circonstances qui pourraient être portés à l’attention de la compagnie pendant la suspension. Là encore, ces aspects doivent être évalués compte tenu de l’existence d’un risque raisonnable pour les intérêts légitimes de la compagnie.

137 Le 24 avril 2003, M. Gardner a informé le fonctionnaire s’estimant léséqu’il le suspendait immédiatement de ses fonctions, sans rémunération, pour une période indéterminée, conformément à l’alinéa 11(2)f) de la LGFP (pièce E-21), qui est libellé comme suit :

Gestion du personnel

(2)      Sous réserve des seules dispositions de tout texte législatif concernant les pouvoirs et fonctions d’un employeur distinct, le Conseil du Trésor peut, dans l’exercice de ses attributions en matière de gestion du personnel, notamment de relations entre employeur et employés dans la fonction publique :

[…]

f) établir des normes de discipline dans la fonction publique et prescrire les sanctions pécuniaires et autres y compris le licenciement et la suspension, susceptibles d’être appliquées pour manquement à la discipline ou pour inconduite et indiquer dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces sanctions peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie;

[…]

138 L’employeur s’est appuyé sur l’alinéa 11(2)f) pour suspendre immédiatement le fonctionnaire s’estimant lésé, sans rémunération, pour une période indéterminée. Afin de dissiper tout doute, l’employeur a défendu la position que la suspension du fonctionnaire s’estimant lésé était une mesure administrative, et je lui ai donné raison sur ce point. Cela dit, la suspension aurait dû être imposée en vertu de l’alinéa 11(2)g), pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite. Cette disposition est libellée comme suit :

[…]

g) prévoir, pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur des personnes employées dans la fonction publique et indiquer dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces mesures peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie;

[…]

139 L’avocate de l’employeur a soutenu que je n’avais pas la compétence pour trancher les griefs en vertu du paragraphe 92(1) de l’ancienne Loi. L’employeur a défendu la position que la décision de suspendre le fonctionnaire s’estimant lésé, sans rémunération, et celle de révoquer sa CFA étaient des mesures administratives. Le paragraphe 92(1) est libellé comme suit :

Arbitrage de griefs

Renvoi à l’arbitrage

92. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief portant sur:

a) l’interprétation ou l’application, à son endroit, d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) dans le cas d’un fonctionnaire d’un ministère ou secteur de l’administration publique fédérale spécifié à la partie I de l’annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

140 Il est indéniable que la GRC et DRHC ont l’un et l’autre le mandat de protéger la confidentialité des renseignements personnels des citoyens canadiens et de s’assurer de l’intégrité des fonctionnaires qui y ont accès.

141 Après un examen attentif de la preuve et des arguments des parties, je conclus que, compte tenu des renseignements que DRHC avait reçus de la GRC à ce moment-là, DRHC était fondé de suspendre immédiatement le fonctionnaire s’estimant lésé, sans rémunération, en attendant les résultats de l’enquête administrative. J’estime que DRHC a correctement analysé et appliqué les cinq critères qui sont énoncés dans Larson. Je ne dispose d’aucune preuve que l’employeur a agi de mauvaise foi ou qu’il a imposé une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire.

142 Ce grief (dossier de la CRTFP 166-02-34326) est donc rejeté pour défaut de compétence.

B.  DRHC s’est-il déchargé du fardeau de la preuve en produisant des preuves suffisantes pour justifier la révocation de la CFA du fonctionnaire s’estimant lésé et son licenciement (dossiers de la CRTFP 166-02-34325 et 34327)? 

143  Dans sa lettre en date du 27 août 2003 (pièce E-29), M. Gardner informe le fonctionnaire s’estimant lésé que M. Lajoie a révoqué sa CFA après avoir pris connaissance du Rapport sommaire d’enquête de M. Lefebvre (pièce E-12), qui avait déterminé, au terme de son enquête administrative, que le fonctionnaire s’estimant lésé était associé au groupe du crime organisé.

144 M. Gardner informe également le fonctionnaire s’estimant lésé que, suite à la révocation de sa CFA, laquelle constitue une condition d’emploi à DRHC, il doit mettre fin à son emploi, à compter du 26 août 2003, en vertu du paragraphe 11(2) de la LGFP.

145 DRHC a décidé de révoquer la CFA du fonctionnaire s’estimant lésé après les réunions entre la GRC et MM. Lajoie et Lefebvre, l’examen de la correspondance reçue de l’inspecteur Henderson et la réunion du 27 juin 2003 entre MM. Lajoie et Lefebvre et le fonctionnaire s’estimant lésé.

146 M. Lajoie a déclaré qu’il avait expliqué au fonctionnaire s’estimant lésé qu’il devait lui fournir plus de détails sur les événements qui avaient mené à son arrestation et aux accusations au criminel afin que M. Lajoie puisse déterminer si le fonctionnaire s’estimant lésé constituait une menace pour la sécurité de DRHC. Il lui avait également dit que, faute d’obtenir des détails supplémentaires, il serait obligé de baser sa décision sur les renseignements que la GRC lui avait communiqués.

147 Seulement, le fonctionnaire s’estimant lésé, qui avait reçu de son avocat la consigne de garder le silence, a refusé de discuter de son arrestation et des accusations au criminel dont il était l’objet et de fournir des renseignements supplémentaires à ce sujet.

148 Dans B.C. Ferry and Marine Worker’s Union v. British Columbia Ferry Services Inc., 2008 BCSC 1464, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a confirmé que, si la jurisprudence admet que la décision de garder le silence ne constitue pas en soi une faute de conduite justifiant l’imposition d’une mesure disciplinaire, il n’en demeure pas moins que ce « droit au silence » n’est pas absolu. Dans les circonstances exceptionnelles de cette affaire (la disparition de deux passagers du NM Queen of the North, qui a fait naufrage et coulé le 22 mars 2006), l’intérêt qu’avait l’employeur à déterminer et à rendre publique la cause de l’accident l’emportait largement sur l’intérêt qu’avait l’employé à refuser de parler.

149 Dans ce cas-ci, aucun des arguments entendus de l’avocate de l’employeur ne m’a convaincu qu’il s’agissait d’un cas « exceptionnel ». Dans le même ordre d’idées, je ne considère pas que le fonctionnaire s’estimant lésé a commis une faute de conduite en se prévalant de son « droit de garder le silence » à propos des événements qui ont mené à son arrestation et aux accusations au criminel.

150 J’ai conclu que M. Lajoie avait eu raison de révoquer la CFA du fonctionnaire s’estimant lésé en se basant sur les renseignements reçus de la GRC, sur la décision du fonctionnaire s’estimant lésé de ne pas expliquer les événements ayant mené à son arrestation et aux accusations au criminel, et sur la nécessité de protéger la sécurité de DRHC, ses biens et les renseignements confidentiels concernant les citoyens canadiens.

151 Le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé était la conséquence logique de la révocation de sa CFA, qui constituait une condition indispensable pour exercer les fonctions d’AEC. Il faut bien comprendre que la CFA du fonctionnaire a été révoquée; elle n’a pas été suspendue ni abaissée. En révoquant sa CFA, l’employeur lui signifiait implicitement qu’il lui retirait sa confiance. Je ne vois pas pourquoi DRHC aurait entrepris de mousser sa candidature auprès d’un autre ministère, peu importe la cote de sécurité exigée, après avoir lui retiré sa CFA parce qu’il ne le considérait plus comme une personne fiable et digne de confiance.

152 Je conclus que la décision de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé était une mesure administrative et qu’elle a été prise pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline. Pour demeurer saisi de l’affaire, il faudrait que je sois convaincu que l’employeur a agi de mauvaise foi ou qu’il n’a pas respecté le droit du fonctionnaire s’estimant lésé à l’équité procédurale.

C.  DRHC a-t-il contrevenu aux règles d’équité procédurale en révoquant la CFA du fonctionnaire s’estimant lésé et, par le fait même, en mettant fin à son emploi?

153 Le fonctionnaire s’estimant lésé demande que sa CFA soit rétablie, parce que l’employeur ne lui pas donné la chance de réfuter le Rapport sommaire d’enquête de M. Lefebvre (pièce E-12) ou d’y répondre, et parce qu’il ne lui a pas communiqué les renseignements et les allégations que DRHC avait en sa possession et sur lesquels il a basé sa décision de révoquer sa CFA et, par le fait même, de mettre fin à son emploi. Le fonctionnaire s’estimant lésé défend la position que DRHC n’a pas respecté le droit à l’équité procédurale reconnu par le droit administratif.

154 J’ai conclu que la décision de suspendre immédiatement le fonctionnaire s’estimant lésé, sans rémunération, et celle de révoquer sa CFA, qui a entraîné son licenciement, étaient des mesures administratives et non des mesures disciplinaires, pour l’application de la LGFP. Même si j’en suis arrivé à cette conclusion, il n’en demeure pas moins que ces décisions ont suffisamment de conséquences sur les droits, privilèges et intérêts du fonctionnaire s’estimant lésé pour donner ouverture à l’application de l’obligation d’équité procédurale.

155 Dans Glowinski c. Canada (Conseil du trésor), 2006 CF 78, la Cour fédérale observe ceci au paragraphe 43 :

[…]

Une cour de justice ne devrait pas conférer force de loi à une politique, à moins que l’intention du Parlement n’ait clairement été de conférer un tel effet à ce texte législatif et à condition que la politique en cause soit claire et qu’elle ne contienne aucune disposition en contradiction des autres politiques […]

156 Le contenu de la Politique sur la sécurité (pièce E-15) et de la Norme sur la sécurité du personnel (pièce E-16) s’accorde avec le libellé de l’alinéa 7(1)e) de la LGFP, qui autorise le Conseil du Trésor à agir à l’égard de [traduction] « la gestion des ressources humaines dans l’administration publique fédérale, notamment la détermination des conditions d’emploi, ce qui suppose l’établissement des divers niveaux d’enquête de sécurité nécessaires pour obtenir l’assurance  que les fonctionnaires sont fiables et dignes de confiance ».

157 Au paragraphe 10.9 de la Politique sur la sécurité (pièce E-15), il est écrit que le gouvernement doit « [t]raiter [la personne visée] de façon juste et équitable, et lui donner l'occasion d'expliquer tout point défavorable avant qu'une décision soit prise » et « l'informer de ses droits touchant le réexamen et le recours en cas de refus, de suspension ou de révocation d'une cote ».

158 Comme il est indiqué au paragraphe 25 de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 :

[…]

Plus la décision est importante pour la vie des personnes visées et plus ses répercussions sont grandes pour ces personnes, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses

[…]

159 On ne saurait minimiser les efforts appréciables que déploie le gouvernement du Canada pour s’assurer que les fonctionnaires qui ont accès à des renseignements confidentiels et aux biens d’un ministère sont des personnes fiables et dignes de confiance. Cependant, la révocation de l’habilitation de sécurité d’un fonctionnaire signale, à toutes fins utiles, la fin de son emploi. Cette mesure a des conséquences fatales non seulement sur l’emploi actuel du fonctionnaire, mais aussi sur ses chances futures d’emploi dans l’administration publique. Dans ce contexte, la barre de l’équité procédurale est placée plus haut que la norme minimale.

160 Le fonctionnaire s’estimant lésé avait le droit de connaître les renseignements que DRHC avait recueillis à son sujet et l’employeur aurait dû lui donner la chance de fournir des explications et des précisions avant de révoquer sa CFA et de mettre fin à son emploi. Il aurait dû lui fournir une copie du Rapport sommaire d’enquête de M. Lefebvre (pièce E-12) et lui donner la possibilité de le réfuter. Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que, le 27 juin 2003, MM. Lefebvre et Lajoie lui avaient seulement posé des questions à propos de MM. X et Y. Il leur avait répondu qu’il les connaissait depuis un an environ et qu’ils habitaient à deux pâtés de maisons les uns des autres. En examinant le Rapport d’enquête de M. Lefebvre (pièce E-6), je relève que c’est la seule question qu’ils ont posé pour tenter d’établir un lien entre le fonctionnaire s’estimant lésé et le groupe du crime organisé auquel il était prétendument associé. Ils ne lui ont posé aucune question au sujet des 22 personnes d’intérêt pour la GRC (V-1 à V-22), les criminels connus et les victimes d’homicide, dont la GRC avait communiqué les noms à MM. Lefebvre et Lajoie. Le fonctionnaire s’estimant lésé s’est fait dire par MM. Lajoie et Lefebvre que, s’il ne fournissait pas plus de détails sur MM. X et Y et sur les événements ayant mené à son arrestation et aux accusations au criminel, M. Lajoie allait devoir baser sa décision sur les renseignements reçus de la GRC.

161 Le 4 juillet 2003, M. Lefebvre a été informé qu’il était impossible que le fonctionnaire s’estimant lésé eût consulté la base de données sur le programme spécial de protection de témoins. Il a aussi déclaré à l’audience qu’il n’y avait aucune preuve que le fonctionnaire s’estimant lésé avait utilisé illégalement les ordinateurs de DRHC et effectué des recherches sur MM. X et Y ou V-1 à V-22. Il est juste d’observer ici que, selon les renseignements dont DRHC disposait, le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas eu accès illégalement à ses données et ses systèmes informatiques.

162 Le 7 août 2003, M. Lefebvre a prévenu le représentant syndical du fonctionnaire s’estimant lésé, M. Facey, que le fonctionnaire s’estimant lésé allait être invité à une réunion, le 13 août 2003, au cours de laquelle il serait appelé à fournir des précisions ou à formuler des observations sur de nouveaux renseignements obtenus après la réunion du 27 juin 2003. Même si M. Lefebvre a déclaré à l’audience que le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’était pas présenté à la réunion, je retiens plutôt le témoignage non contesté du fonctionnaire s’estimant lésé selon lequel DRHC a annulé la réunion, et je dois dire que je trouve ce fait préoccupant.

163 M. Lefebvre a conclu son enquête administrative le 21 août 2003, et M. Gardner a licencié fonctionnaire s’estimant lésé le 27 août 2003. Indépendamment de l’explication fournie par M. Lefebvre à propos du fait qu’il n’avait pas recueilli de nouveaux renseignements, on aurait dû remettre une copie de son Rapport sommaire d’enquête au fonctionnaire s’estimant lésé et lui donner la possibilité de formuler des observations avant que M. Lajoie décide de révoquer sa CFA, et, par le fait même, de mettre fin à son emploi.

164 DRHC n’a pas communiqué au fonctionnaire s’estimant lésé les renseignements dont il disposait ou les allégations de la GRC sur lesquels il a basé sa décision, bien que je note que l’inspecteur Henderson (pièce E-7) lui demande de ne pas divulguer les renseignements délicats contenus dans sa lettre parce que l’enquête de la GRC n’est pas terminée. Il prie toutefois l’employeur de communiquer avec lui s’il lui apparaît nécessaire de divulguer ces renseignements à des personnes qui ne font pas partie de l’équipe d’enquête de DRHC (pièce E-7). Je n’ai trouvé aucune preuve interdisant expressément à DRHC de communiquer ces renseignements. Tout cela pour dire que les renseignements et allégations n’ont pas été portés à la connaissance du fonctionnaire s’estimant lésé. Même si la GRC voulait révoquer la CFA du fonctionnaire s’estimant lésé dès le 22 avril 2003, cette décision ne lui appartenait pas. Elle revenait à M. Lajoie, à titre d’ASM. M. Lefebvre ou M. Lajoie aurait dû prévenir la GRC que l’employeur se devait d’informer le fonctionnaire s’estimant lésé des renseignements et allégations avant de révoquer sa CFA et, partant, de mettre fin à son emploi. S’ils l’en avaient informé, peut-être aurait-il décidé de fournir des détails sur certains renseignements ou certaines allégations après avoir consulté son avocat ou qu’il aurait exigé la présence de ce dernier afin de s’assurer que sa CFA ne serait pas révoquée et qu’on ne mettait pas fin à son emploi.

165 La décision de M. Lajoie de révoquer la CFA du fonctionnaire s’estimant lésé et la décision de M. Gardner de mettre fin à son emploi ont non seulement eu des conséquences sur l’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé à DRHC, mais aussi sur ses futures chances d’emploi dans l’administration publique. Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que, même s’il faisait bonne figure aux entrevues orales et aux épreuves écrites, sa candidature finissait par être rejetée parce qu’il n’avait plus d’habilitation de sécurité valide.

166 Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas démontré que la décision de DRHC de révoquer sa CFA, et de mettre fin à son emploi par le fait même, avait été prise de mauvaise foi ou pour des raisons liées à un manquement à la discipline ou qu’elle était déraisonnable au vu des allégations et des renseignements que la GRC avait fournis à DRHC. Cela dit, on ne peut pas exclure la possibilité que la CFA du fonctionnaire s’estimant lésé n’aurait pas été révoquée s’il avait été informé de ces renseignements et allégations et s’il avait reçu une copie du Rapport sommaire d’enquête de M. Lefebvre et été autorisé à le réfuter ou à y répondre.

167 Il est difficile de comprendre pourquoi DRHC n’a pas interrogé le sergent Russell, qui a assisté à une partie de l’audience, sur la preuve que la GRC avait accumulée et les allégations dont le fonctionnaire s’estimant lésé était l’objet. Après tout, c’est ce sur quoi DRHC a basé sa décision de révoquer la CFA du fonctionnaire s’estimant lésé et, partant, de mettre fin à son emploi.

168 Il ressort très clairement de la jurisprudence que la décision de ne pas appeler un témoin qui pourrait témoigner sur les faits n’est pas sans signification. Lorsque cette décision n’est pas expliquée, on est autorisé à penser que le témoignage non entendu allait dans le sens contraire de la défense de la partie concernée ou que, à tout le moins, il ne lui était pas favorable.

169 L’un des principes qui sous-tend la règle de l’équité procédurale est que l’employé est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire. Dans ce cas-ci, le fonctionnaire s’estimant lésé a été présumé coupable dès le départ. C’est pourquoi j’ai conclu que l’employeur avait failli à son obligation d’équité procédure à son endroit. Je ne peux pas réintégrer le fonctionnaire s’estimant lésé dans son poste d’AEC, mais je peux ordonner à DRHC de l’indemniser pour la période allant de la date de son licenciement (le 26 août 2003) à la date à laquelle son emploi pour une période déterminée aurait pris fin (le 26 mars 2004).

170 Après avoir examiné la preuve et les arguments des parties, je conclus que DRHC a failli à son obligation d’équité procédurale à l’endroit du fonctionnaire s’estimant lésé et que cela a entraîné la révocation de sa CFA et, partant, la perte de son emploi. S’agissant d’un ancien fonctionnaire nommé pour une période déterminée, je dois déterminer la réparation qu’il convient de lui accorder. Quoique je ne puisse rétablir la CFA du fonctionnaire s’estimant lésé, j’ordonne à DRHC de désigner, dans les 60 jours suivant la réception de la présente décision, un agent d’enquête indépendant de DRHC n’ayant aucun lien avec la présente cause pour réexaminer la CFA du fonctionnaire s’estimant lésé, conformément au Manuel des politiques et méthodes de sécurité de DRHC (pièce E-17). Dans les 14 jours suivant la réévaluation de la CFA, DRHC informera le fonctionnaire s’estimant lésé, par écrit, de sa décision et des motifs pour lesquels il en est arrivé à cette décision.

171 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

172 Le grief constituant le dossier de la CRTFP 166-02-34326 est rejeté pour défaut de compétence.

173 Les griefs constituant les dossiers de la CRTFP 166-02-34325 et 166-02-34327 sont accueillis en partie.

174 DRHC indemnisera le fonctionnaire s’estimant lésé pour la période allant de la date de son licenciement (le 26 août 2003) à la date à laquelle son emploi pour une période déterminée aurait pris fin (le 26 mars 2004).

175 Dans les 60 jours suivant la réception de la présente décision, DRHC désignera un agent d’enquête indépendant de DRHC n’ayant aucun lien avec la présente cause pour réexaminer la CFA du fonctionnaire s’estimant lésé, conformément au Manuel des politiques et méthodes de sécurité de DRHC.

Le 11 février 2009.

Traduction de la CRTFP

D.R. Quigley,
arbitre de grief

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