Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a renvoyé cinq griefs à l’arbitrage - l’arbitre de grief a accueilli le premier grief parce que le fonctionnaire s’estimant lésé a fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour un acte de harcèlement qui est survenu plusieurs années auparavant, ce qui est contraire à la politique de l’employeur sur le harcèlement - les griefs de nature disciplinaire relatifs au comportement du fonctionnaire s’estimant lésé ont été rejetés - enfin, l’arbitre de grief a déterminé qu’il n’avait pas compétence pour entendre le cinquième grief, qui portait sur une mesure administrative et non sur une mesure disciplinaire. Un grief accueilli. Quatre griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-12-22
  • Dossier:  566-02-800, 842, 843, 949 et 1268
  • Référence:  2009 CRTFP 178

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

MAHALINGAM SINGARAVELU

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Singaravelu c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Yavar Hameed, avocat

Pour le défendeur :
Karen Clifford, avocate

Affaire entendue à Kingston (Ontario)
du 29 juillet au 1er août et 16 et 17 octobre 2008.
Arguments écrits déposés les 13 octobre et 4 et 9 novembre 2009.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1  Mahalingam Singaravelu,le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), occupait un poste de superviseur des services techniques, 1re classe, au Service correctionnel du Canada (le SCC ou le « défendeur ») à Kingston (Ontario). C’est l’Alliance de la Fonction publique du Canada qui est l’agent négociateur du fonctionnaire, mais ce dernier a choisi de se faire représenter non pas par son agent négociateur, mais par un avocat dans la présente cause.

2 Dans le premier grief (dossier de la CRTFP 566-02-800), le fonctionnaire conteste une suspension d’un jour que le défendeur lui a imposée au motif d’une violation alléguée de la politique du SCC en matière de harcèlement et des Règles de conduite professionnelle du SCC. La suspension a été subie le 7 novembre 2006. Le grief a été déposé le 15 novembre 2006, puis renvoyé au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 19 décembre 2006. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 5 février 2007.

3 Dans le deuxième grief (dossier de la CRTFP 566-02-842), le fonctionnaire conteste une suspension d’un jour que le défendeur lui a imposée pour utilisation abusive alléguée du système de courrier électronique du SCC. La suspension a été subie le 16 novembre 2006. Le grief a été déposé le 17 novembre 2006, puis renvoyé au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 3 janvier 2007. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 15 février 2007.

4 Dans le troisième grief (dossier de la CRTFP 566-02-843), le fonctionnaire conteste une suspension d’un jour que le défendeur lui a imposée pour insubordination alléguée lors d’une rencontre tenue le 28 septembre 2006. La suspension a été subie le 21 novembre 2006. Le grief a été déposé le 17 novembre 2006, puis transmis au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 3 janvier 2007. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 15 février 2007.

5 Dans le quatrième grief (dossier de la CRTFP 566-02-949), le fonctionnaire conteste une suspension de trois jours que le défendeur lui a imposée pour comportement agressif allégué survenu le 1er novembre 2006. La suspension a été subie les 5, 6 et 7 décembre 2006. Le grief a été déposé le 7 décembre 2006, puis renvoyé au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 25 janvier 2007. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 9 mars 2007.

6 Dans ces quatre griefs, le fonctionnaire a demandé qu’on lui rembourse ses traitement et avantages correspondant aux jours de suspension. Il a également demandé que tous les documents soient retirés de son dossier d’employé et qu’on lui rembourse tous ses débours personnels et honoraires d’avocat.

7 Dans le cinquième grief (dossier de la CRTFP 566-02-1268), le fonctionnaire conteste la décision du défendeur de l’avoir forcé à prendre un congé non rémunéré, le 25 janvier 2007, à la suite d’une évaluation de santé et sécurité au travail dans laquelle on avait déterminé qu’il était inapte à occuper quelque poste que ce soit au SCC. Ce grief a été déposé le 26 février 2007, puis transmis au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 4 avril 2007. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 22 mai 2007.

8 Le cinquième grief se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

Par la présente, je conteste la décision du Service correctionnel du Canada (SCC) de m’avoir forcé à prendre un congé non rémunéré à la suite de l’évaluation du médecin en santé au travail datée du 25 janvier 2007, dans laquelle il était recommandé qu’on me place à un poste dans un autre ministère fédéral que le SCC.

Alors que, comme l’indiquait la lettre de la directrice d’établissement en date du 9 février 2007, il est possible que je sois admissible à des prestations d’invalidité et/ou d’assurance-emploi pendant mon congé sans solde, ces deux régimes ne me permettent pas de toucher un revenu comparable à mon traitement normal et mon niveau de rémunération. Je crois comprendre qu’il y a un délai de carence pour l’admissibilité à des prestations d’invalidité ou d’assurance-emploi, période pendant laquelle je ne toucherai aucun salaire. Par la suite, ma rémunération sera fixée à un niveau compris entre 45 et 70 % de mon traitement normal. Qui plus est, il est également peu probable que je sois admissible à des prestations d’invalidité, étant donné que je ne suis atteint d’aucune limitation particulière qui puisse nuire à ma capacité de travailler (ainsi que le précisait la lettre du médecin en santé au travail en date du 25 janvier 2007). La seule recommandation qui est faite dans la lettre du médecin est qu’on me transfère à un emploi hors du SCC.

La recommandation de mon transfert à l’extérieur du SCC fait suite à une série de recommandations médicales formulées par mon médecin traitant et par Santé Canada ainsi qu’à deux directives de sécurité/observations émanant de l’agent de santé et sécurité, Programme du travail, Développement des ressources humaines Canada. À moult reprises, le SCC ne s’est pas conformé aux recommandations/demandes d’observation qui ont été faites en vue d’évaluer la charge de travail qui m’était confiée et n’a pas voulu m’offrir la formation requise pour que je puisse m’acquitter des tâches qui m’étaient assignées. Ce sont le refus constant du SCC de dissiper mes préoccupations légitimes ainsi que la frustration que lui causait ma réintégration dans le lieu de travail qui ont été la cause de mon stress et m’ont forcé à prendre un congé médicalement approuvé pour cause de stress.

Le défaut du SCC de remédier à ce schème continu de comportement inapproprié a engendré une circonstance dans laquelle il m’était indiqué, sur le plan médical, de retourner travailler sous ses auspices. Dans ces circonstances, il est manifestement injuste que je doive supporter le fardeau financier de l’incapacité de mon employeur de m’accommoder au lieu de travail.

À titre de mesure corrective dans le présent grief, je demande à être remis dans ma position antérieure et à être dédommagé à tous égards, y compris, mais sans s’y limiter, pour ce qui est de me verser l’intégralité de mon salaire perdu depuis le 25 janvier 2007 et de la décision du SCC de m’interdire de retourner au lieu de travail. Qui plus est, le SCC a l’obligation de faciliter mon intégration dans un autre ministère de la fonction publique fédérale et, à cette fin, compte tenu de la décision prise par Santé Canada en date du 25 janvier, je demande à obtenir le plein accès à l’intranet du SCC et aux autres ressources qui m’aideront à trouver des avis de postes à pourvoir dans la fonction publique fédérale et qui aideront le conseiller en relations de travail du SCC, comme il a été indiqué dans la lettre de Mme T. Westfall, datée du 9 février 2007.

[…]

9 Les parties ont convenu de regrouper la preuve relative aux cinq griefs. Six journées d’audience ont eu lieu à Kingston (Ontario), entre le 29 juillet et le 1er août 2008 ainsi que les 16 et 17 octobre 2008. Durant ces six jours, le défendeur a présenté sa preuve relative aux cinq griefs. Peu après la sixième journée d’audience, le fonctionnaire a demandé que l’arbitre de grief se récuse lui-même. Sur la base des arguments écrits reçus les 12 et 25 novembre et 3 décembre 2008, l’arbitre de grief a rejeté cette demande de récusation (voir Singaravelu c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 8).

10 Après plusieurs communications avec les parties, il a été décidé que l’audience se poursuivrait du 28 septembre au 2 octobre 2009. Le 26 août 2009, la Commission a envoyé l’avis d’audience aux parties. Le 4 septembre 2009, le fonctionnaire a informé la Commission qu’il n’était pas disposé à prendre part à l’audience à moins que toute la procédure soit filmée. Le fonctionnaire a expliqué que cet enregistrement vidéo était nécessaire pour surveiller les messages « non verbaux » transmis dans la salle d’audience. Le 11 septembre 2009, la Commission a informé le fonctionnaire que sa demande d’enregistrement vidéo avait été rejetée au motif qu’il n’entrait pas dans les pratiques de la Commission d’autoriser l’enregistrement vidéo de ses procédures. Le 18 septembre 2009, le fonctionnaire a avisé la Commission qu’il n’assisterait pas à l’audience prévue pour la période du 28 septembre au 2 octobre 2009, mais qu’il maintenait ses griefs.

11 Étant donné que le fonctionnaire a refusé de se présenter à l’audience, mais qu’il a maintenu ses griefs, j’ai décidé que les arguments sur le fond des griefs seraient transmis par voie d’arguments écrits.

II. Résumé de la preuve

12 Comme témoins, le défendeur a fait intervenir Theresa Westfall, Brian Joyce, Tai-Yu Ngai, Glen Chambers, Robert Clooney, David Foster et Stewart Holland. Mme Westfall est la directrice du pénitencier de Kingston. En 2006, elle était la directrice du pénitencier de Joyceville. En 2006, M. Joyce était chef de la maintenance et des installations au pénitencier de Joyceville et M. Ngai était gestionnaire correctionnel au même établissement. En 2006, MM. Clooney, Foster et Holland étaient des ingénieurs de quart ou d’entretien à l’établissement de Joyceville. M. Chambers était le directeur adjoint des opérations au pénitencier de Collins Bay. Le défendeur a produit 50 pièces à l’audience.

13 Le fonctionnaire n’a pas appelé de témoins. Il aurait pu le faire lorsque l’audience a repris, le 28 septembre 2009, mais il a décidé de ne pas y participer. Le fonctionnaire a produit 19 pièces à l’audience, lors du contre-interrogatoire des témoins du défendeur.

A. Témoignage de Mme Westfall

14 Mme Westfall a été le premier témoin appelé par le défendeur. Début juin 2006, Mme Westfall a convenu d’accepter le retour au travail du fonctionnaire pour une affectation de trois mois à Joyceville. L’entente prévoyait que le fonctionnaire travaillerait à Joyceville, mais que c’est le pénitencier de Bath qui lui verserait son salaire pendant les trois mois. Le plan était que cette affectation procurerait au fonctionnaire un nouveau départ et qu’il pourrait ensuite retourner travailler à Bath.

15 Le poste d’attache du fonctionnaire était au pénitencier de Bath, où il occupait un emploi de superviseur des services techniques, poste classifié au groupe HP (chauffage et électricité) et au niveau 08. Le superviseur des services techniques est responsable des ingénieurs en poste au groupe électrogène, qui fournit l’électricité et l’eau des installations du pénitencier.

16 Pour son affectation temporaire à Joyceville, on n’a pas demandé au fonctionnaire d’accomplir toutes les tâches d’un superviseur des services techniques. En fait, le superviseur des services techniques de Joyceville, Dave Kearney, était toujours en poste pendant l’affectation du fonctionnaire. Initialement, les cinq tâches suivantes ont été confiées au fonctionnaire : effectuer toutes les inspections des chauffe-eau et des appareils à pression; planifier et coordonner le calendrier de congés de tous les ingénieurs; effectuer et consigner toutes les inspections de prévention des incendies et tous les exercices d’évacuation; mettre à jour tous les plans de sécurité-incendie des bâtiments; superviser la préparation d’un manuel de fonctionnement devant être rédigé par les ingénieurs de quart.

17 Début août 2006, on a fourni au fonctionnaire un compte de courrier électronique pour l’accomplissement de ses tâches et pour la communication pendant l’exécution de son travail. Lorsqu’ils utilisent leur compte de courriel, les employés du SCC sont assujettis à la directive du commissaire du SCC intitulée « Utilisation des réseaux électroniques » ainsi qu’à la politique d’utilisation des réseaux électroniques du Conseil du Trésor. Lorsque les employés du SCC allument leurs ordinateurs, un avertissement apparaît pour indiquer que le système est surveillé conformément à ces deux politiques, que les preuves d’une utilisation inacceptable ou illégale du système seront signalées et que des mesures disciplinaires pourront s’ensuivre. Également, Mme Westfall a adressé une note de service au fonctionnaire le 1er août 2006 et y a joint, pour son information, une copie de la directive du SCC sur l’utilisation des réseaux électroniques. Qui plus est, le 6 avril 2006, le conseiller juridique du SCC avait avisé le fonctionnaire par écrit qu’il ne s’était pas conformé aux conditions prévues d’utilisation du réseau du Service lorsqu’il avait utilisé ce réseau pour envoyer à un grand nombre de membres du personnel du SCC un article intitulé [traduction] « mauvais traitements aux mains du SCC ».

18 Le 4 août 2006, quelques jours après avoir obtenu l’accès à son compte de courrier électronique du SCC, le fonctionnaire a adressé aux hauts dirigeants du SCC un courriel auquel il a joint une plainte de harcèlement qu’il avait déposée contre M. Joyce. Le fonctionnaire a également envoyé une copie de ce courriel à plusieurs autres personnes, dont Beth Hoedicke, gestionnaire d’unité à Joyceville, et John Oddie, directeur adjoint par intérim des services administratifs à Joyceville. Plus tard, ce jour-là, le fonctionnaire a envoyé à M. Joyce un courriel dans lequel il indiquait qu’il avait déposé contre lui une plainte pour harcèlement et que M. Joyce le harcelait et abusait de ses pouvoirs. Le fonctionnaire a envoyé une copie de ce courriel à Debbie Gipson, qui relevait alors de M. Joyce. Un peu plus tard, ce jour-là, le fonctionnaire a fait suivre le contenu de ce même courriel à James Jackson, qui relevait lui aussi de M. Joyce.

19 Quelques heures après avoir reçu le courriel du fonctionnaire, Mme Hoedicke a écrit à Mme Westfall pour lui signifier qu’elle trouvait tout à fait déplacé et irrespectueux envers M. Joyce que le fonctionnaire ait envoyé cette information à autant de personnes. Mme Westfall a ensuite adressé à toutes les personnes qui avaient reçu le courriel du fonctionnaire un courriel dans lequel elle convenait du caractère déplacé du comportement du fonctionnaire.

20 Mme Westfall a estimé que le contenu du courriel envoyé par le fonctionnaire et sa distribution avaient miné l’autorité de M. Joyce à titre de gestionnaire et que cela avait engendré un climat de travail négatif. Le fonctionnaire aurait dû savoir qu’il ne lui était pas permis d’utiliser son compte de courriel à cette fin. Les politiques sur l’utilisation des réseaux électroniques lui avaient été transmises. Mme Westfall a décidé d’imposer une suspension d’un jour au fonctionnaire pour usage inapproprié de son compte de courriel du SCC.

21 Dans la note de service qu’elle a adressée au fonctionnaire pour l’informer de sa suspension, Mme Westfall a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Le 4 août 2006, à 9 h 43, vous avez envoyé une série de courriels à un certain nombre de personnes dans lequel était jointe une pièce faisant état d’une plainte de harcèlement contre M. Brian Joyce. Ce courriel a été distribué au sous-commissaire régional ainsi qu’à des personnes qui n’avaient pas un besoin manifeste de savoir cela, dont M. John Oddie et Mme Beth Hoedicke. Tant M. Oddie que Mme Hoedicke n’avait pas besoin d’apprendre toute information liée à une plainte de harcèlement contre M. Joyce.

Ce même jour, vous avez envoyé des courriels concernant le téléphone dans la salle de chauffe-eau et avez envoyé une copie de ces courriels à Mme Debbie Gipson et M. James Jackson. Dans cette série de courriels, vous faisiez allusion à votre plainte de harcèlement contre M. Joyce.

Cela s’est produit après la réouverture de votre compte de courriel du SCC, le 1er août 2006, et quelques jours seulement après qu’on vous eût renseigné sur la politique d’utilisation du courrier électronique. On vous a également remis une copie papier de cette politique.

Auparavant, le directeur du collège du personnel vous avait renseigné sur les usages appropriés du courrier électronique.

Les Services techniques de l’AR vous ont renseigné sur l’utilisation appropriée du courrier électronique.

Dans une lettre datée du 6 avril 2006, le conseiller juridique du SCC, M. Sater, a demandé à ce que votre conseiller juridique discute avec vous des usages appropriés du courrier électronique.

[…]

22 Mme Westfall a fixé au 28 septembre 2006 la date d’une rencontre avec le fonctionnaire, pour que l’on discute avec lui de plusieurs problèmes reliés au travail, dont son refus d’accomplir certaines des tâches qui lui étaient assignées. Ont également assisté à cette rencontre, M. Joyce et Helen Ronan, de la Direction des ressources humaines. À la demande du fonctionnaire, Mme Westfall a accepté que l’on fasse un enregistrement audio de cette rencontre. La cassette de cet enregistrement a été produite en preuve et Mme Westfall a livré témoignage pour clarifier son contenu. Pendant la rencontre, le fonctionnaire s’est plaint de son environnement de travail physique et du niveau sonore. Le ton du fonctionnaire était agressif et, à plusieurs reprises, il a crié après Mme Westfall. Il l’a également interrompue lorsqu’elle prenait la parole. Mme Westfall s’est offusquée du ton du fonctionnaire et lui a dit que son comportement n’était pas professionnel. Le fonctionnaire a accusé Mme Westfall de le harceler. Il a également accusé M. Joyce de mentir. À un moment donné, le fonctionnaire a déclaré qu’il était stressé. Mme Westfall a alors pris la décision d’interrompre la rencontre.

23 Le 8 novembre 2006, Mme Westfall a imposé une suspension d’un jour au fonctionnaire au motif du comportement qu’il avait eu à la rencontre du 28 septembre 2006. Dans la lettre de suspension, Mme Westfall a écrit que le fonctionnaire s’était conduit d’une manière qui relevait de l’insubordination et du comportement agressif et abusif. Le fonctionnaire a alors déposé un grief de harcèlement contre Mme Westfall. Ce grief a été rejeté au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et n’a pas été renvoyé à l’arbitrage.

24 Le défendeur a jugé qu’il était important que l’on fasse visiter les lieux du pénitencier de Joyceville au fonctionnaire, en sorte qu’il comprenne mieux les installations ainsi que l’information de sécurité-incendie qui avait besoin d’être actualisée. Le 18 octobre 2006, à 8 h 59, Wendy Smith a adressé un courriel au fonctionnaire pour l’aviser que M. Kearney allait lui faire visiter les lieux. À 9 h 07, le fonctionnaire a accusé réception du courriel de Mme Smith et a demandé à ce qu’on l’avertisse à l’avance pour effectuer une visite des lieux. Mme Smith s’est présentée un peu plus tard au poste de travail du fonctionnaire. Ce dernier a refusé de prendre part à la visite des lieux au motif qu’il était occupé et que cela prendrait trop de temps, étant donné qu’il lui faudrait prendre des notes sur plusieurs systèmes.

25 Le 31 octobre 2006, à 15 h 08, Mme Westfall a communiqué par courriel avec le fonctionnaire pour l’informer qu’elle prendrait des arrangements pour lui faire faire un tour des installations en compagnie d’un gestionnaire correctionnel, le lendemain. À 15 h 18, le fonctionnaire a répondu qu’il fallait que ce soit un technicien qui lui montre l’emplacement général des systèmes d’incendie et lui parle d’autres détails connexes. À 16 h 34, MmeWestfall a répondu au courriel du fonctionnaire et a maintenu sa décision d’envoyer un gestionnaire correctionnel pour lui faire visiter les installations.

26 Le 1er novembre 2006, à 9 h, MM. Ngai et Joyce se sont rendus au poste de travail du fonctionnaire pour lui faire faire une visite des installations. Le fonctionnaire était outré et a insisté pour que l’on enregistre sur bande la conversation. Après cela, MM. Ngai et Joyce ont tous deux rempli un rapport d’observation pour documenter l’incident. M. Joyce a écrit que le fonctionnaire avait insisté pour que toute conversation soit enregistrée, en pointant du doigt un magnétophone enregistreur. Il a également écrit que l’incident avec le fonctionnaire avait dégénéré au point de la confrontation, que le fonctionnaire était agité, qu’il haussait constamment le ton, qu’il refusait d’écouter quoi que ce soit de ce que M. Ngai avait à dire et qu’il se préoccupait avant tout d’imposer ses vues. Dans son rapport, M. Ngai a écrit que, à un moment donné, il avait dit au fonctionnaire que la conversation était terminée et qu’il irait voir la directrice de l’établissement au sujet de cet incident. Il a également écrit que le comportement insistant du fonctionnaire était menaçant et totalement inacceptable.

27 Le 1er décembre 2006, Mme Westfall a imposé au fonctionnaire une suspension de trois jours pour le comportement qu’il avait eu le 1er novembre 2006. Dans la lettre de suspension, Mme Westfall a écrit que le fonctionnaire avait manifesté de l’hostilité et de l’agressivité envers MM. Ngai et Joyce et que c’était inacceptable. En adoptant un tel comportement, le fonctionnaire avait violé les Règles de conduite professionnelle du SCC. Mme Westfall a également écrit qu’elle avait tenu compte du fait que le fonctionnaire avait déjà été l’objet de sanctions disciplinaires pour son comportement abusif et son insubordination, le 28 septembre 2006, et qu’il n’avait pas corrigé son comportement.

28 Mme Westfall a témoigné que le SCC prenait le harcèlement très au sérieux. Le SCC adhère à la politique du Conseil du Trésor en matière de harcèlement. Le SCC dispose de coordonnateurs régionaux de prévention du harcèlement qui se chargent du traitement des plaintes en ce domaine. Le défendeur a produit en preuve la politique sur le harcèlement. Cette politique définit le harcèlement et établit les responsabilités des employés, plaignants, défendeurs, témoins, gestionnaires et enquêteurs. Les employés doivent déposer leurs plaintes par écrit dans l’année qui suit le harcèlement allégué. Sauf en cas de circonstances atténuantes, le gestionnaire délégué élimine les plaintes déposées au-delà de ce délai d’un an.

29 Mme Westfall a expliqué que son rôle consistait à faciliter le retour au travail du fonctionnaire après l’absence de ce dernier pour des raisons de santé. Pendant cette période, M. Joyce a supervisé le fonctionnaire et, en bout de ligne, a fait rapport à Mme Westfall, la directrice du pénitencier de Joyceville. À l’été 2006, Mme Westfall a reçu le rapport détaillé de M. Chambers. Ce dernier avait mené une enquête sur des plaintes de harcèlement déposées par sept employés du SCC à l’encontre du fonctionnaire. Dans son rapport, daté du 1er mai 2006, M. Chambers a conclu qu’il y avait quatre allégations fondées de comportement inapproprié de la part du fonctionnaire.

30 Devant les constatations de M. Chambers, Mme Westfall a imposé une suspension d’un jour au fonctionnaire. Dans la lettre de suspension, datée du 6 novembre 2006, Mme Westfall blâme le fonctionnaire pour ce qui suit : accuser M. Clooney d’avoir brisé la vanne papillon et avoir révélé ce soupçon à un détenu; suivre des membres du personnel jusqu’aux toilettes; parler de membres du personnel en tenant des propos désobligeants les concernant; déclarer à M. Holland que son état mental et physique est si instable que sa place n’est pas dans une installation de chauffage central, mais plutôt dans un hôpital. Mme Westfall a fait remarquer que le fonctionnaire n’avait exprimé aucun regret quant au comportement qu’il avait eu.

31 Mme Westfall a nourri des préoccupations quant à la santé du fonctionnaire et a commencé à se demander s’il était suffisamment en santé pour demeurer au lieu de travail. Il sortait de ses gonds dans sa zone de travail, où circulent des détenus et d’autres membres du personnel. Mme Westfall avait déjà fourni au fonctionnaire, le 29 septembre 2006, une liste de noms et de numéros à appeler au cas où il aurait besoin d’une certaine assistance dans le cadre du Programme d’aide aux employés.

32 Le 28 octobre 2006, Mme Westfall a adressé une longue lettre au Dr Jeffrey Chernin, médecin en santé du travail à Santé Canada. Le Dr Chernin avait déjà examiné le fonctionnaire par le passé. Elle a prié le Dr Chernin de fournir des clarifications sur l’aptitude du fonctionnaire à continuer de travailler dans tout environnement. Plus précisément, Mme Westfall a demandé au Dr Chernin si le fonctionnaire était apte à reprendre ses fonctions à temps plein, à titre de mécanicien de machines fixes de première classe, et à être réintégré dans son poste d’attache, au pénitencier de Bath. Elle a également demandé que soient indiquées les éventuelles limitations du fonctionnaire s’il n’était pas apte à retourner à ses tâches à plein temps et que soit précisé l’échéancier pertinent. Enfin, Mme Westfall a demandé si le fonctionnaire était apte à participer à des réunions/rencontres, des auditions de grief ou des audiences disciplinaires.

33 Le 25 janvier 2007, le Dr Chernin a répondu aux demandes de renseignements de Mme Westfall au sujet de la santé du fonctionnaire. Le Dr Chernin a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Sur la base de recommandations formulées par notre expert, recommandations auxquelles je souscris en tout point, il est recommandé que M. Singaravelu ne retourne pas travailler au Service correctionnel du Canada. Néanmoins, son profil pourrait correspondre à un autre poste, à un niveau équivalent, à l’extérieur du SCC, dans un autre secteur de la fonction publique fédérale. Pour le moment, je ne poserai aucune limitation sur son emploi dans ces secteurs.

[…]

34 Mme Westfall n’avait jamais vu pareille évaluation médicale émanant de Santé Canada. Habituellement, les évaluations comportent des limitations, mais cette fois il s’agissait d’une complète interdiction de travailler au SCC. Mme Westfall a consulté un spécialiste du SCC à l’administration centrale et elle a écrit au fonctionnaire, le 16 février 2007, pour l’informer de la situation et l’enjoindre à ne pas se présenter à nouveau au travail. Mme Westfall a demandé au fonctionnaire de communiquer avec Mme Ronan, à la Direction des ressources humaines, et d’indiquer à cette dernière l’endroit ainsi que le type de poste qu’il serait prêt à envisager. Mme Westfall a également demandé un exemplaire à jour du curriculum vitæ du fonctionnaire. Elle lui a également envoyé un formulaire d’auto-identification de la fonction publique fédérale. Mme Westfall a informé le fonctionnaire qu’il serait en congé de maladie jusqu’au 28 février 2007 et que, après cette date, il serait en congé sans solde.

35 Le 14 mars 2007, Mme Ronan a communiqué avec le fonctionnaire pour le renseigner sur les sites Web d’emplois des gouvernements fédéral et de l’Ontario. Elle lui a également suggéré de s’inscrire au site Carrière à l’écoute de la fonction publique. Elle lui a donné les numéros de téléphone des ministères de la Défense nationale et des Anciens combattants. Le même jour, le fonctionnaire a répondu qu’on devrait l’autoriser à accéder à l’intranet du SCC pour sa recherche d’emploi. Il a également précisé qu’il ne communiquerait avec aucun ministère fédéral ou provincial parce que l’on n’étudierait pas la demande d’un candidat de son âge et que ce n’était pas à lui de le faire.

36 Dans son témoignage, Mme Westfall a déclaré que le fonctionnaire n’avait jamais produit de certificat médical contredisant l’évaluation médicale écrite faite par le Dr Chernin, en date du 25 janvier 2007. Même si le SCC n’avait aucune obligation d’aider le fonctionnaire, le SCC a décidé de lui prêter une certaine assistance dans sa recherche d’emploi. Un gros cartable d’offres d’emploi que le SCC a envoyé au fonctionnaire a été produit en preuve. Mme Westfall a préféré envoyer au fonctionnaire les copies papier de listes d’emplois plutôt que de lui ouvrir l’accès de l’intranet. En raison de son comportement passé, on nourrissait quelques préoccupations sur la façon dont le fonctionnaire se servirait de l’intranet.

37 En contre-interrogatoire, Mme Westfall a déclaré que, avant l’arrivée du fonctionnaire au pénitencier de Joyceville, son dossier disciplinaire était vierge. Comme il était temporairement affecté à ce pénitencier, toute mesure disciplinaire aurait été prise à son endroit par les gestionnaires travaillant dans cet établissement. En raison de la relation tendue entre M. Joyce et le fonctionnaire, MmeWestfall a décidé de se charger elle-même de l’aspect disciplinaire. En outre, l’administration régionale lui a demandé de se prononcer elle-même sur la nécessité de discipliner ou non le fonctionnaire relativement aux incidents de harcèlement qui s’étaient produits au pénitencier de Bath, puisque le directeur de cet établissement était sur son départ. Mme Westfall a reçu l’instruction de prendre cette décision en juin 2006. Toutefois, beaucoup de correspondance avec le fonctionnaire avait besoin d’être traitée alors, et le fonctionnaire a été en congé de maladie à plusieurs reprises.

38 Mme Westfall voulait que l’audition du grief ait lieu en octobre 2006, mais le fonctionnaire a produit un certificat médical indiquant que l’audience pourrait avoir un effet défavorable sur son rétablissement. Mme Westfall a finalement décidé qu’il n’y aurait pas d’audience. À la place, le fonctionnaire s’est vu proposer la possibilité de présenter des arguments par écrit et de produire les documents qu’il souhaitait soumettre à l’examen de Mme Westfall avant qu’elle se prononce définitivement sur la mesure disciplinaire à prendre. Les arguments porteraient sur les trois incidents disciplinaires suivants : le harcèlement au pénitencier de Bath; la diffusion inappropriée d’un courriel; le comportement d’insubordination lors de la rencontre du 28 septembre 2006.

39 Lors du contre-interrogatoire, le fonctionnaire a produit la copie d’une déclaration qu’il avait signée le 23 octobre 2006 et dans laquelle il était attesté qu’il avait reçu les documents de Règles de conduite professionnelle et de Code de discipline du SCC. Mme Westfall a témoigné qu’elle avait demandé au fonctionnaire de signer cette nouvelle déclaration pour rafraîchir sa mémoire. Le fonctionnaire l’avait déjà signée le 12 mars 2003.

40 Dans son témoignage, Mme Westfall a indiqué que des enquêteurs en matière de harcèlement avaient été nommés par le coordonnateur anti-harcèlement, en consultation avec la Direction des ressources humaines. Habituellement, les enquêteurs sont des gestionnaires du SCC en qui la haute direction du Service et l’agent négociateur ont confiance. Nul n’a le pouvoir d’ordonner à un enquêteur de modifier son rapport. Mme Westfall a pris la décision de discipliner le fonctionnaire à la lumière des résultats du rapport d’enquête de M. Chambers.

41 Lors du contre-interrogatoire, le fonctionnaire a produit en preuve plusieurs courriels que les gestionnaires du SCC avaient échangés à son sujet.

42 Le 7 juin 2006, Mike Sadler, agent des relations de travail pour la région de l’Ontario du SCC, a rédigé un courriel intitulé [traduction] « Prochaines étapes – Singa ». Il vaut particulièrement de citer le passage suivant, qu’il a écrit à l’attention de Mme Westfall : [traduction] « Si je puis me permettre d’être direct, je dirais que cette affaire pourrait avoir de très sérieuses implications pour l’individu et je suis sûr que Nancy aurait besoin d’une intervention directe de votre part, à vous les EX. » Dans son témoignage, Mme Westfall a expliqué que ce commentaire ne faisait pas allusion à des mesures disciplinaires, mais plutôt au caractère sérieux du plan de retour au travail. Initialement, le plan de retour au travail devait durer trois mois, et le fonctionnaire était censé retourner travailler au pénitencier de Bath après cela.

43 Les 11 et 12 octobre 2006, M. Sadler et Mme Westfall ont échangé des courriels. Mme Westfall a décrit en détail les problèmes qu’elle avait rencontrés avec le fonctionnaire. Elle a demandé des clarifications sur plusieurs points, dont le moment auquel imposer une mesure disciplinaire en rapport avec le harcèlement au pénitencier de Bath, la possibilité qu’une autre enquête soit menée pour établir les faits relativement à son refus de retourner au travail, sa réticence à réadresser le fonctionnaire à Santé Canada et la possibilité de le rétrograder ou de le congédier. Mme Westfall a également écrit qu’elle pensait que l’enquêteur en matière de droits de la personne avait commencé à mener son enquête et que la question du choix du moment allait se poser incessamment. Dans son témoignage, Mme Westfall a expliqué qu’il y avait un consensus sur le fait que le fonctionnaire était apte à faire son travail, mais qu’il se comportait avec beaucoup de défiance.

44 M. Sadler et Mme Westfall ont également échangé des courriels les 10 et 11 octobre 2006. Mme Westfall a demandé si l’on avait déjà envisagé de rétrograder le fonctionnaire, puisqu’il s’était apparemment bien débrouillé comme ingénieur de quart à la Défense nationale et que, une fois promu, il n’avait pas bien fait. Dans sa réponse, M. Sadler a écrit ce qui suit : [traduction] « C’est exactement là que je veux qu’on se dirige et c’est la raison pour laquelle nous serons en conférence téléphonique cette semaine. » Mme Westfall a expliqué dans son témoignage que le fonctionnaire semblait avoir eu du succès dans son précédent emploi d’ingénieur de quart, mais que, une fois promu au rang de superviseur au pénitencier de Bath, son rendement est devenu problématique. Mme Westfall a déclaré qu’elle cherchait simplement des façons d’accommoder le fonctionnaire.

45 Le 29 septembre 2006, M. Sadler a envoyé un courriel à MmeWestfall pour indiquer que, si le fonctionnaire prenait un congé de maladie de plus de deux jours pour surcroît de stress, elle devrait lui demander un certificat médical. Il a également écrit ce qui suit dans ce courriel : [traduction] « C’est une occasion qui se présente; ne la ratons pas. » Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer ce que M. Sadler voulait dire par là, Mme Westfall a répondu qu’elle l’ignorait.

46 Le 24 novembre 2006, Mme Westfall a adressé un courriel à Nancy Stableforth, la sous-commissaire du SCC pour la région de l’Ontario. Au sujet du fonctionnaire, Mme Westfall a brièvement expliqué les mesures disciplinaires qu’elle avait prises à l’endroit de ce dernier. Elle a également écrit qu’il y avait 4 autres litiges qui nécessitaient une audience disciplinaire et que, dans les 2 prochaines semaines, le fonctionnaire atteindrait le seuil des 10 jours de suspension disciplinaire et que cela le rapprocherait du licenciement. Elle a ajouté que la stratégie consistait à faire en sorte que le Dr Chernin, de Santé Canada, voit le fonctionnaire le plus tôt possible, avant que toute décision de le licencier soit prise. Dans son témoignage, Mme Westfall a expliqué que les infractions du fonctionnaire s’accumulaient et que le SCC allait emprunter la voie disciplinaire en ce qui le concernait. Il avait déjà écopé de trois suspensions, et d’autres allaient s’ajouter à la liste. Sur la base de ce qu’elle avait observé, Mme Westfall pensait que le fonctionnaire continuerait d’adopter son comportement incorrect et que, à terme, cela donnerait lieu à son congédiement. Dans le même temps, elle avait pris la décision de l’adresser au Dr Chernin pour évaluation.

B. Témoignage de M. Joyce

47 Pendant son affectation temporaire au pénitencier de Joyceville, le fonctionnaire relevait directement de M. Joyce. On lui avait donné à accomplir cinq tâches qui ne représentaient pas les fonctions complètes d’un employé HP-08. On n’a pas demandé au fonctionnaire de superviser du personnel, ce que fait normalement un employé HP-08. Le fonctionnaire était parfaitement qualifié pour accomplir ces tâches, lesquelles lui ont été clairement expliquées. Pour accomplir ses fonctions, le fonctionnaire devait visiter les installations. M. Joyce avait essayé d’organiser une telle visite, mais le fonctionnaire voulait qu’on l’avertisse de l’heure exacte à laquelle se ferait cette visite. Il n’a pas été possible de fixer une heure précise, du fait que les besoins liés à la sécurité ne pouvaient être évalués à l’avance.

48 Le 4 août 2006, le fonctionnaire a avisé M. Joyce par courriel qu’il avait déposé une plainte officielle de harcèlement contre lui et qu’il ne voulait avoir aucun contact avec lui tant que l’on n’aurait pas enquêté sur sa plainte. M. Joyce a été étonné à la lecture de ce courriel, car il pensait avoir toujours traité le fonctionnaire de façon juste. En 28 années de service au SCC, il n’avait fait l’objet d’aucune plainte de harcèlement. M. Joyce a estimé qu’il était tout à fait inapproprié que le fonctionnaire ait informé plusieurs personnes par courriel qu’il avait déposé une plainte. Parmi ces personnes, il y avait deux employés qui relevaient de M. Joyce, en plus d’autres gestionnaires. M. Joyce a été ébranlé par le fait que ces personnes aient été mises au courant de la plainte. Il a jugé que ces propos étaient extrêmement déplacés à son endroit et que cela minait son autorité.

49 M. Joyce se souvient bien de la rencontre du 28 septembre 2006 avec le fonctionnaire et Mme Westfall. Mme Westfall avait convoqué cette rencontre pour fournir au fonctionnaire quelques clarifications sur son affectation et ses tâches. Le fonctionnaire ne voulait pas que M. Joyce parle de l’affectation et ne voulait pas recevoir de directives de sa part. Il voulait plutôt imposer ses propres idées. Le fonctionnaire était extrêmement irrité pendant la rencontre. Il a eu un comportement agressif, irrespectueux et menaçant. M. Joyce ne s’était jamais heurté à un tel comportement de la part d’un employé qui lui était subalterne.

50 Le 31 octobre 2006, Mme Westfall a informé le fonctionnaire que la visite se ferait le lendemain, sans préciser l’heure exacte. Le 1er novembre 2006, M. Joyce, accompagné de M. Ngai, s’est présenté au bureau du fonctionnaire. Ce dernier les a vus arriver et les a rencontrés à la porte de façon très agressive. Il avait un magnétophone à la main et a dit à MM. Joyce et Ngai qu’il enregistrerait sur bande tout ce qu’ils diraient. Il était très clair que le fonctionnaire n’avait aucune intention d’écouter ce qu’ils avaient à dire. M. Joyce craignait que le fonctionnaire ne devienne violent. Il avait une posture agressive et un air menaçant. Il était en colère, parlait fort et sortait de ses gonds. Il a pointé son doigt sur M. Ngai comme s’il était sur le point de l’agresser. Il a été très intrusif et son comportement a été totalement inacceptable. Des détenus travaillaient dans cette zone, ce qui faisait empirer les choses. MM. Joyce et Ngai se sont retirés pour éviter que la situation ne dégénère.

51 En contre-interrogatoire, M. Joyce a expliqué qu’il avait mis au point les cinq tâches ou objectifs de travail assignés au fonctionnaire, à son arrivée au pénitencier de Joyceville. Selon lui, le fonctionnaire était parfaitement qualifié pour accomplir ces tâches. Lors de la rencontre du 28 septembre 2006, M. Joyce se souvient que, à un moment donné, le fonctionnaire a dit qu’il était stressé et a demandé à ce que l’on interrompe la rencontre. La rencontre a alors été interrompue.

C. Témoignage de M. Ngai

52 En 2006, M. Ngai était responsable des déplacements des détenus dans son unité. Il était très familier avec les installations du pénitencier de Joyceville. À l’occasion, il faisait visiter les installations aux nouveaux employés, lorsque la directrice de l’établissement le lui demandait. M. Ngai a expliqué que chaque fois qu’un incident ou quelque chose d’anormal se produit, les employés correctionnels sont censés rédiger un rapport d’observation pour documenter l’incident. C’est la raison pour laquelle il a rédigé un tel rapport à la suite de l’incident survenu avec le fonctionnaire, le 1er novembre 2006.

53 Ce jour-là, MM. Ngai et Joyce se dirigeaient en marchant vers la salle du groupe électrogène, où travaillait le fonctionnaire, pour lui faire faire une visite des installations. Lorsque le fonctionnaire les a vus arriver, il s’est levé avec un magnétophone enregistreur à la main. Il parlait sèchement et abruptement, et il pointait son doigt en direction de M. Ngai. La voix et le langage corporel du fonctionnaire respiraient l’agressivité. M. Ngai lui a dit d’arrêter, mais le fonctionnaire n’a pas écouté. MM. Ngai et Joyce ont décidé de partir. M. Ngai a témoigné que, dans toute sa carrière, il n’avait jamais été traité de la sorte par un autre employé.

D. Témoignage de M. Chambers

54 L’administration du SCC pour la région de l’Ontario a demandé à M. Chambers de mener une enquête sur des plaintes de harcèlement déposées contre le fonctionnaire, en mars 2005, par des employés du pénitencier de Bath. M. Chambers était très au courant de la politique en matière de harcèlement du Conseil du Trésor. Il avait reçu une formation en enquête sur les cas de harcèlement et avait mené environ 25 enquêtes au long de sa carrière, dont 5 sur des plaintes de harcèlement.

55 M. Chambers a procédé à des entrevues auprès des plaignants en avril et mai 2005. M. Chambers a offert de mener une entrevue auprès du fonctionnaire, mais ce dernier a refusé et a plutôt choisi de transmettre plusieurs documents. M. Chambers a envoyé au fonctionnaire une copie de ses constatations préliminaires le 21 septembre 2005. Le 30 septembre 2005, le fonctionnaire a écrit à M. Chambers pour indiquer son mécontentement à l’égard des constatations de M. Chambers et qu’il avait demandé à ce que l’enquêteur se retire du processus. M. Chambers a indiqué dans son rapport que l’administration régionale du SCC pour l’Ontario lui avait demandé de ne pas mettre la dernière main à son rapport. Cette instruction a changé le 27 avril 2006, lorsqu’on lui a demandé de terminer son rapport.

56 Sur les 25 allégations faites par les plaignants, M. Chambers a conclu que les quatre allégations suivantes étaient fondées : 1) accuser M. Clooney d’avoir brisé la vanne papillon et avoir révélé ce soupçon à un détenu, 2) suivre des membres du personnel jusqu’aux toilettes, 3) parler de membres du personnel en tenant des propos désobligeants les concernant, 4) déclarer à M. Holland que son état mental et physique est si instable que sa place n’est pas dans une installation de chauffage central, mais plutôt dans un hôpital. Dans son rapport, M. Chambers indique que ces événements se sont produits à peu près aux dates suivantes : pour la première allégation, à l’automne ou aux mois de novembre et décembre 2003; pour la deuxième allégation, à l’automne 2003 - hiver 2004; pour la troisième allégation, à l’automne 2003; pour la quatrième allégation, à l’été 2003. Il n’y a, dans le rapport de M. Chambers, aucun commentaire indiquant qu’il existait des circonstances atténuantes ayant empêché les plaignants de déposer leur plainte dans l’année qui a suivi les incidents.

57 Pendant les entrevues qu’il a menées, M. Chambers n’a pas trouvé que les plaignants étaient motivés par le racisme. Leurs plaintes avaient plutôt trait au style de gestion du fonctionnaire. Le rôle de M. Chambers se limitait à l’établissement des faits et à la rédaction de son rapport. Il n’a pas été mêlé à la prise de décisions disciplinaires concernant le fonctionnaire.

58 En contre-interrogatoire, M. Chambers a déclaré qu’il pensait que l’enquête avait été juste, même si le fonctionnaire n’avait pas été interviewé. Bien que M. Chambers ait convié le fonctionnaire à une entrevue à plusieurs reprises, ce dernier a refusé de s’y prêter. M. Chambers a déclaré qu’il n’était pas au courant des deux rapports signés par le Dr Chernin, en date des 25 janvier et 14 avril 2005, au sujet de l’état de santé du fonctionnaire et de son attitude au travail. Dans son rapport de janvier, le Dr Chernin a écrit que le fonctionnaire devrait être considéré comme apte à retourner, à l’essai, au lieu de travail. En avril, il a réitéré que le fonctionnaire était apte au travail. Il a déclaré qu’il avait quelques problèmes administratifs à régler, dont la question que le SCC devait s’assurer que les tâches assignées au fonctionnaire pouvaient être accomplies par un employé dans une semaine de 37,5 heures. M. Chambers a témoigné que, même s’il avait eu connaissance de ces rapports du Dr Chernin, il aurait été de l’avant avec son enquête.

59 M. Chambers a également dit, dans son témoignage, que si on lui avait produit un certificat médical comme celui concernant le fonctionnaire qui a été présenté le 20 octobre 2006, il aurait reporté la conduite de son enquête. Dans ce certificat, le médecin déclarait que le rétablissement du fonctionnaire pourrait être mis en péril si on lui demandait de participer à une audience disciplinaire le 23 octobre 2006.

E. Témoignages de MM. Clooney, Foster et Holland

60 Avant que M. Clooney commence à témoigner, le fonctionnaire a demandé qu’on l’autorise lui, plutôt que son avocat, à poser directement des questions au témoin. J’ai rejeté cette demande et déclaré que l’avocat du fonctionnaire serait autorisé à poser des questions en contre-interrogatoire. Je ne permettrai pas au fonctionnaire de questionner directement un témoin qui a déposé une plainte de harcèlement contre lui. S’il y avait des questions d’ordre technique liées au métier du fonctionnaire, ce dernier pourrait les consigner par écrit à l’intention de son avocat, lequel pourrait ensuite les poser. Si du temps était nécessaire pour rédiger ces questions, j’autoriserais des ajournements à cette fin.

61 M. Clooney a témoigné que le fonctionnaire était toujours pressé et qu’il le suivait jusqu’aux toilettes. M. Clooney disait au fonctionnaire de s’arrêter, mais celui-ci continuait. M. Clooney a témoigné qu’une rencontre avait eu lieu en novembre 2003 ou 2004 avec tous les autres ingénieurs et qu’ils y avaient discuté des problèmes que leur posait le fonctionnaire. Ils ont décidé de mettre leurs faits par écrit. Pour M. Clooney, le problème n’avait rien à voir avec la culture du fonctionnaire, mais plutôt avec son attitude au travail. En contre-interrogatoire, M. Clooney a admis que lui et d’autres employés avaient coutume de prendre de très longues pauses-repas qui duraient souvent plus d’une heure et demie.

62 M. Foster a témoigné qu’il avait entendu le fonctionnaire faire des remarques négatives au sujet de MM. Clooney et Holland. Au bout d’un certain temps, M. Foster a commencé à prendre des congés en raison du climat de travail. M. Foster a expliqué qu’ils avaient attendu longtemps avant de déposer leurs plaintes car ils avaient porté la question à l’attention du gestionnaire et qu’ils pensaient que les problèmes se règleraient. Dans son témoignage, M. Foster a dit avoir vu le fonctionnaire suivre M. Clooney jusque dans les toilettes. Le fonctionnaire a également suivi M. Foster jusqu’aux toilettes.

63 M. Holland a témoigné que, lorsque le fonctionnaire avait été nommé comme son superviseur, il avait confié au fonctionnaire qu’il avait une incapacité. Au début, ils se faisaient beaucoup confiance, mais les choses ont changé après deux ou trois mois. Aux dires de M. Holland, le fonctionnaire utilisait contre lui cette information au sujet de son incapacité. Cette situation a causé beaucoup de stress à M. Holland, qui a commencé à mal dormir. En contre-interrogatoire, M. Holland a déclaré qu’il ne se souvenait pas des commentaires désobligeants que le fonctionnaire l’accusait d’avoir faits à son endroit.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

1. Abandon des griefs

64 Le 26 août 2009, la Commission a envoyé un avis d’audience pour la continuation de cette affaire. L’avis d’audience précisait que si le fonctionnaire omettait de se présenter à l’audience ou à toute poursuite des procédures, la Commission pourrait trancher la question sur la base des preuves produites et des observations faites à l’audience sans qu’un nouvel avis soit envoyé au fonctionnaire. Le 4 septembre 2009, l’avocat du fonctionnaire a envoyé à la Commission un courriel exigeant que toute l’instance soit enregistrée sur vidéo et déclarant que si l’exigence du fonctionnaire n’était pas satisfaite, celui-ci ne participerait à aucune autre audience. Son exigence n’a pas été satisfaite, et le fonctionnaire a refusé de se présenter à l’audience. Compte tenu du refus du fonctionnaire d’assister à l’audience prévue, le défendeur prétend que le fonctionnaire a soit abandonné ses griefs, soit s’est retiré de la procédure d’arbitrage, de sorte que les griefs devaient être rejetés.

65 Pour étayer cet argument, le défendeur m’a cité la jurisprudence suivante de la Commission : Synowski c. Administrateur général (ministère de la Santé), 2007 CRTFP 63; Jeewanjee c. Conseil du Trésor (Agence canadienne de développement international), 2007 CRTFP 109.

2. Dossier de la CRTFP 566-02-800

66 Des membres du personnel qui relevaient du fonctionnaire ont déposé des plaintes voulant qu’il les ait harcelés. C’est ainsi qu’en avril 2005 une enquête a été ouverte sur les allégations de harcèlement. L’enquêteur, M. Chambers, a conclu que les quatre allégations suivantes faites par les plaignants étaient fondées : 1) accuser M. Clooney d’avoir brisé la vanne papillon et avoir révélé ce soupçon à un détenu; 2) suivre des membres du personnel jusqu’aux toilettes; 3) parler de membres du personnel en tenant des propos désobligeants les concernant; 4) déclarer à M. Holland que son état mental et physique est si instable que sa place n’est pas dans une installation de chauffage central, mais plutôt dans un hôpital.

67 M. Chambers a témoigné au sujet du refus du fonctionnaire de se prêter à une entrevue malgré de nombreuses demandes à cet égard.

68 Les faits révélés par l’enquête démontrent que les actions du fonctionnaire justifient la prise de mesures disciplinaires. Le comportement du fonctionnaire a constitué une violation manifeste des Règles de conduite professionnelle du SCC, dont le fonctionnaire avait convenu qu’elles régiraient son comportement. Dans ces circonstances, la suspension d’un jour qui a été imposée à la suite des allégations de harcèlement n’était pas déraisonnable.

69 À l’appui de ces arguments, le défendeur m’a cité les décisions suivantes : Nowen c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel du Canada), 2001 CRTFP 47; Loyer c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2004 CRTFP 16; Sobey’s Inc. v. National Automobile, Aerospace, Transportation and General Workers’ Union of Canada (CAW-Canada), Local 1090, (2004) 126 L.A.C. (4e) 334.

3. Dossier de la CRTFP 566-02-842

70 Lorsque le fonctionnaire a commencé son affectation à l’établissement de Joyceville, il a demandé à avoir accès à un ordinateur et à son mot de passe de compte de courrier électronique. Selon la preuve non contestée, le fonctionnaire a été renseigné sur l’utilisation appropriée des réseaux électroniques et mis en garde contre les éventuelles mesures disciplinaires que pourrait entraîner un usage abusif ou inapproprié.

71 Le 4 août 2006, le fonctionnaire a envoyé deux messages accusant M. Joyce, son superviseur, de le harceler. En plus de faire preuve d’insubordination et d’abus de langage envers M. Joyce, le fonctionnaire a envoyé une copie de ce message à d’autres employés. Certains d’entre eux étaient des gestionnaires qui n’étaient pas mêlés à la plainte de harcèlement, tandis que d’autres étaient des employés subalternes de M. Joyce. Cela a créé un environnement de travail négatif.

72 Indépendamment de la question de l’utilisation des réseaux électroniques, le ton adopté par le fonctionnaire dans son courriel et le contenu de celui-ci relevaient de l’insubordination et commandaient une mesure disciplinaire. Le fonctionnaire a miné l’autorité de son superviseur et lui a manqué de respect. Dans ces circonstances, et tout particulièrement devant l’absence de remords du fonctionnaire et son manque de conscience de ses actes, la décision de lui imposer une suspension d’un jour était appropriée et ne devrait pas être modifiée.

73 À l’appui de ces arguments, le défendeur m’a renvoyé aux décisions Briar et al. c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 3 et Camosun College v. Canadian Union of Public Employees, Local 2081, [1999] B.C.C.A.A.A. No. 490 (QL).

4. Dossier de la CRTFP 566-02-843

74 Le 28 septembre 2006, le fonctionnaire a rencontré M. Joyce et Mme Westfall. Mme Ronan, de la Direction des ressources humaines, était aussi présente en qualité d’observatrice. À la demande du fonctionnaire, la rencontre a été enregistrée sur bande audio. Une copie de cette bande a été produite en preuve à l’audience. Mme Westfall et M. Joyce ont témoigné que le fonctionnaire était très agressif, qu’il interrompait continuellement ses interlocuteurs et qu’il n’écoutait pas. Dans la lettre de mesure disciplinaire datée du 8 novembre 2006, Mme Westfall a écrit que le fonctionnaire s’était conduit de manière insubordonnée, agressive et abusive, en dépit de nombreuses mises en garde qui lui ont été faites de se comporter de façon appropriée.

75 La preuve produite à l’audience au sujet du comportement marqué d’insubordination du fonctionnaire est claire et non contestée. Eu égard aux circonstances et aux autorités en cause, une suspension d’un jour était tout à fait raisonnable.

76 À l’appui de ces arguments, le défendeur m’a cité les décisions Crossley Carpet Mills Ltd. v. National Automobile, Aerospace and Agricultural Implement Workers Union of Canada (CAW-Canada), Local 4612, [2003] N.S.L.A.A. No. 22 (QL) et MacLean c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douanes, Accise et Impôt), dossier de la CRTFP 166-02-27968 (19990107).

5. Dossier de la CRTFP 566-02-949

77 Le fonctionnaire a demandé à ce qu’on lui fasse visiter le pénitencier, et on lui a dit que l’on pourrait organiser pour lui une visite le 1er novembre 2006. Le matin du 1er novembre 2006, MM. Ngai et Joyce se sont présentés au bureau du fonctionnaire. Le fonctionnaire les a rencontrés à la porte de son bureau et a immédiatement commencé à se conduire de façon extrême. Son attention était centrée sur l’enregistrement de l’échange et il brandissait un magnétophone. Il avait une attitude agressive, parlait fort et était sorti de ses gonds. Il a pointé son doigt sur le visage de M. Ngai.

78 C’est avec raison que Mme Westfall a imposé au fonctionnaire une suspension de trois jours pour cet incident. Le fonctionnaire a fait preuve d’hostilité et d’agressivité envers MM. Ngai et Joyce, et ses actes n’ont pas été provoqués. Le fonctionnaire avait déjà fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour insubordination et comportement abusif lors de la rencontre du 28 septembre 2006, et il n’avait pas corrigé son comportement. Qui plus est, il n’y a aucune preuve d’éventuels facteurs atténuants devant l’arbitre de grief.

79 À l’appui de ces arguments, le défendeur m’a cité les décisions suivantes : Thomas c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douanes, Accise et Impôt), dossiers de la CRTFP 166-02-27608, 28503 et 28504 et 149-02-172 (19991105); Robillard c. Conseil du Trésor (ministère des Finances), 2007 CRTFP 41; Otis Canada Inc., [2005] O.L.R.D. No. 4077 (QL).

6. Dossier de la CRTFP 566-02-1268

80 Le 25 janvier 2007, Santé Canada a avisé le SCC que le fonctionnaire n’était pas apte à retourner travailler au SCC. Le 16 février 2007, Mme Westfall a écrit au fonctionnaire pour l’informer que, à la suite des recommandations médicales, il ne retournerait pas travailler au SCC. On a fait savoir au fonctionnaire qu’il pourrait, dans un premier temps, utiliser ses crédits de congé de maladie, mais que, après cela, on le placerait en congé non rémunéré à compter du 28 février 2007.

81 Dans son grief, le fonctionnaire a déclaré qu’il contestait la décision de le mettre en congé non rémunéré. S’il ne fait mention d’aucune contestation de la conclusion selon laquelle il ne lui serait pas médicalement indiqué de retourner travailler au SCC, il déclare néanmoins que, selon lui, les problèmes de santé qu’il a sont la faute du défendeur, ce dernier ne l’ayant supposément pas accommodé. Il mentionne aussi que des prestations d’invalidité ou d’assurance-emploi lui procureraient un revenu moindre que son plein salaire et ses avantages sociaux complets.

82 Si le grief prétend faire trancher des questions régies par la convention collective, comme la situation de congé non payé (articles 34 et 52) ou le défaut de prendre des mesures d’adaptation (article 19), alors aussi bien la clause 18.02b) de la convention collective que le paragraphe 209(2) de la Loi empêchent le fonctionnaire de présenter pareil grief sans l’approbation et la représentation de l’agent négociateur. Le fonctionnaire n’est pas représenté par son agent négociateur dans la présente affaire.

83 Le formulaire de renvoi à l’arbitrage cite ce grief comme étant présenté en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi. Le fonctionnaire allègue maintenant que les actions du défendeur ont constitué une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire. La position du défendeur est qu’il n’y a pas eu de mesure disciplinaire, mais plutôt que le placement du fonctionnaire en congé sans solde a découlé directement de la lettre de Santé Canada. Par conséquent, l’action du défendeur est de nature administrative et la Commission n’a pas compétence sur ce grief.

84 Pour que l’arbitre de grief examine ce grief, il lui faut déterminer si l’action du défendeur de mettre le fonctionnaire en congé non rémunéré équivaut à une mesure disciplinaire déguisée. Bien que le fonctionnaire ait été placé en congé sans solde et n’ait pas été suspendu, la jurisprudence relative à la question de l’assimilation ou non d’une suspension à une mesure administrative ou disciplinaire peut s’appliquer par analogie. Au moment de déterminer si l’action de placer le fonctionnaire en congé non rémunéré était une mesure administrative ou disciplinaire, il est indiqué, pour l’arbitre de grief, de déterminer si l’intention du défendeur était de sanctionner le fonctionnaire.

85 La lettre de Mme Westfall datée du 16 février 2007 est claire dans son objet comme dans son effet. Elle suit la recommandation médicale de Santé Canada que le fonctionnaire ne retourne pas travailler pour le défendeur. Le fonctionnaire n’a produit aucune preuve voulant qu’il n’était pas indiqué, pour Mme Westfall, de se fier aux recommandations de Santé Canada. Le défendeur avait le droit et l’obligation d’exiger que le fonctionnaire soit apte au travail. En apprenant que le fonctionnaire n’était pas apte à retourner travailler au SCC, il aurait été inapproprié, pour le défendeur, de faire fi de la recommandation des experts médicaux. Rien, dans la lettre, ne revêt un caractère disciplinaire, et il n’y a aucune indication de sanction pour le fonctionnaire.

86 Après que le fonctionnaire eût été placé en congé non rémunéré, le SCC lui a offert son assistance en lui obtenant un poste ailleurs dans la fonction publique ainsi qu’en lui faisant quelques suggestions pertinentes et en lui donnant des conseils. Le défendeur a produit en preuve des informations détaillées sur les efforts que le SCC a déployés pour assister le fonctionnaire dans sa recherche d’emploi. Le défendeur affirme que sa volonté de prêter assistance au fonctionnaire dans sa recherche d’emploi ne cadre assurément pas avec quelque insinuation que ce soit que ses actions étaient de nature disciplinaire.

87 C’est au fonctionnaire qu’il incombe de prouver que son placement en congé sans solde était une mesure disciplinaire plutôt qu’administrative. En l’absence d’une preuve orale pouvant faire l’objet d’un contre-interrogatoire, le fonctionnaire ne peut se libérer de ce fardeau de la preuve. Par conséquent, à la lumière de la preuve devant l’arbitre de grief, il est clair que la Commission n’a pas compétence pour instruire ce grief. En conséquence de quoi, il serait opportun de rejeter le grief pour cause d’absence de compétence.

88 À l’appui de cette thèse, le défendeur m’a cité les décisions suivantes : Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109; Shneidman c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 192; Delage c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2008 CRTFP 56; Hanna c. Administrateur général (ministère des Affaires indiennes et du Nord), 2009 CRTFP 94; Lee c. Administrateur général (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2008 CRTFP 5; Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176; Canada (Procureur général) v. Basra, 2008 CF 606; Garcia Marin c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada), 2006 CRTFP 16; Rinke c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2004 CRTFP 143.

B. Pour le fonctionnaire

1. Dossier de la CRTFP 566-02-800

89 Cette affaire disciplinaire se rapporte aux constatations de harcèlement à l’endroit du fonctionnaire en vertu de plaintes de harcèlement déposées contre lui par ses collègues du pénitencier de Bath. La haute direction a reçu instruction d’enquêter sur les plaintes qu’elle a reçues en rapport avec les événements qui se sont produits quelques années auparavant; la possibilité de répondre à ces allégations n’avait pas été donnée au fonctionnaire. L’information que l’enquêteur avait examinée était incomplète et le fonctionnaire n’avait jamais été soumis à une entrevue. En particulier, il n’a pas été tenu compte de la preuve documentaire à laquelle avait accès l’enquêteur au pénitencier de Bath.

90 Les plaintes formelles ont été signées en 2005 et faisaient état d’incidents qui remontaient, dans certains cas, à l’été 2003. Ces plaintes ont été déposées à la demande de la direction, lors d’une réunion avec les ingénieurs de la centrale qui s’est tenue en l’absence du fonctionnaire.

91 Selon la politique en matière de harcèlement du Conseil du Trésor, quelque chose aurait dû être fait pour traiter de plusieurs problèmes directement avec le fonctionnaire avant que les plaintes de harcèlement contre lui aient été officialisées. Formuler des plaintes officielles contre le fonctionnaire sans suivre le protocole nécessaire de traitement des litiges est inhabituel et semble avoir été conçu pour imposer une sanction disciplinaire. Le moment auquel ont été déposées les plaintes de harcèlement et le contexte doivent être remis en question.

92 Qui plus est, il n’y a pas de preuve claire étayant les quatre incidents pour lesquels le fonctionnaire a été déclaré coupable de harcèlement. M. Holland ne s’est pas souvenu du fonctionnaire tenant les propos désobligeants qu’il l’a accusé d’avoir faits à son endroit. M. Clooney n’a pu expliquer la preuve contradictoire d’Al Lewin au sujet des incidents des toilettes. L’enquêteur n’a pu fournir de date précise à laquelle le fonctionnaire aurait supposément tenu des propos discriminatoires au sujet des plaignants.

2. Dossier de la CRTFP 566-02-842

93 Le défendeur a discipliné le fonctionnaire pour avoir diffusé de l’information sur une plainte de harcèlement qu’il avait déposée contre M. Joyce. Plus précisément, le fonctionnaire s’est vu imposer les mesures disciplinaires au motif qu’il avait transmis l’information à des personnes qui n’avaient pas besoin d’être mises au courant de la plainte. Nulle part, dans les politiques pertinentes citées par le défendeur, il n’y a d’indication d’un « critère du besoin de savoir » appliqué au système de courrier électronique du SCC. C’est là un point important puisque le défendeur n’invoque pas d’interdiction générale de communiquer des plaintes par courriel. Eu égard aux politiques applicables, c’est plutôt une analyse au cas par cas du caractère approprié de tout courriel qui est requise.

94 Le défendeur a argué que le fonctionnaire avait manifestement été mis au courant des politiques relatives à l’utilisation d’Internet au SCC. Toutefois, la façon dont les actions du fonctionnaire ont constitué une violation des Règles de conduite professionnelle n’est pas clairement établie. Il n’y a aucune mention de non-divulgation d’information à des personnes selon le critère du « besoin de connaître ». En outre, la disposition applicable stipule que les employés ne doivent pas critiquer la politique ou les activités devant des délinquants ou la population.

95 Nulle part il n’est indiqué comment une plainte au sujet des activités au lieu de travail adressée à un superviseur constitue une divulgation de renseignements personnels. Aucun renseignement personnel n’a été divulgué et, si des renseignements ont été communiqués à des membres du personnel du SCC au sujet de questions opérationnelles au SCC, cela n’a déclenché l’application d’aucune disposition législative en matière de protection des renseignements personnels ou d’accès à l’information.

96 L’avis de mesure disciplinaire n’était pas formulé relativement au harcèlement de collègues ou de membres du personnel et ne comportait aucune indication que le fonctionnaire n’avait pas le droit de se plaindre. Il est soumis que, alors que Mme Hoedicke pensait que les communications du fonctionnaire étaient inappropriées, elle était précisément la personne qui aurait dû être informée d’une telle plainte. Elle ne relevait pas de M. Joyce et, durant la période pertinente, a en fait tenu temporairement le rôle de superviseure du fonctionnaire. Il n’y a pas de preuve que Mme Gipson ou M. Jackson aient déposé des plaintes.

3. Dossier de la CRTFP 566-02-843

97 Avant la rencontre du 28 septembre 2006, le fonctionnaire avait clairement signifié son intention d’être averti à l’avance de toute rencontre, de manière qu’il puisse prendre les arrangements nécessaires pour se présenter à la réunion ou pour y envoyer un représentant. Comme on peut l’entendre dans l’enregistrement audio, il avait aussi demandé qu’on lui fournisse un programme, lequel ne lui a pas été fourni. En raison du climat de méfiance qui régnait entre les parties, la rencontre a été enregistrée, ce qui, en soi, dénote la nature tendue des relations.

98 Bien que la rencontre ait été organisée sans que l’on en avise à l’avance le fonctionnaire, ainsi qu’il l’avait demandé, il a accepté de s’y rendre. Son stress a été provoqué lorsque Mme Westfall a refusé de lui accorder une pause au moment où il commençait à souffrir d’anxiété. Plutôt que de prêter assistance au fonctionnaire, Mme Westfall et M. Joyce ont choisi de poursuivre, accentuant ainsi le stress et l’inconfort du fonctionnaire. La rencontre, qui a été tenue sans avis et de façon précipitée, a causé du stress au fonctionnaire et a eu des répercussions directes sur son état d’esprit ainsi que sur son bien-être mental et physique.

99 Il était inapproprié de continuer la rencontre malgré les protestations du fonctionnaire. En conséquence, au motif tant de l’absence d’équité procédurale que du défaut de prendre des mesures d’adaptation, la conduite du fonctionnaire lors de la rencontre du 28 septembre 2006 ne devrait pas donner lieu à la prise de mesures disciplinaires à son endroit.

4. Dossier de la CRTFP 566-02-949

100 M. Joyce a organisé la visite avec M. Ngai sans informer le fonctionnaire que cette visite se ferait le 1er novembre 2006. Ainsi, le 1er novembre 2006, le fonctionnaire ne pouvait pas avoir été mis au courant de la visite et ignorait le rôle ou la position qu’assumerait M. Ngai. Qui plus est, il n’y a aucune preuve que des détenus aient pu entendre ce qui se passait ou être témoins du comportement ou des déclarations du fonctionnaire.

101 M. Ngai n’était pas au courant des problèmes existants entre le fonctionnaire et M. Joyce ni du fait que le fonctionnaire avait déposé une plainte de harcèlement contre M. Joyce. À ce moment-là, M. Ngai n’avait aucune idée de la raison pour laquelle le fonctionnaire avait agi comme il l’avait fait, mais il a admis que, s’il avait possédé davantage de renseignements, son approche aurait été différente.

102 Comme il ressort de l’évaluation que Santé Canada a faite du fonctionnaire sur la base d’une évaluation datée de janvier 2007, le fonctionnaire ressentait un énorme stress au moment pertinent, à tel point que l’on a recommandé qu’il ne retourne pas au SCC. Ainsi, tout comportement déplacé de la part du fonctionnaire est atténué par son état de santé. Ni M. Joyce ni Mme Westfall n’ont fourni d’explication sur les raisons pour lesquelles on n’avait pas averti le fonctionnaire du fait qu’il y aurait une visite le 1er novembre 2006. Si un préavis avait été envoyé au fonctionnaire, le malentendu de ce matin-là aurait pu être évité.

103 La rencontre du 1er novembre 2006 soulève des questions à la fois d’accommodement raisonnable et d’envoi d’avis, deux questions qui sont interreliées en l’espèce. M. Joyce connaissait les points sensibles du fonctionnaire, et il aurait dû prendre des mesures pour l’accommoder comme il se doit. De fait, la rencontre en question aurait pu être une réunion disciplinaire ou quelque chose de semblable, de sorte qu’une représentation ou une forme ou une autre d’enregistrement aurait été mise à la disposition du fonctionnaire.

5. Dossier de la CRTFP 566-02-1268

104 Le défendeur a argué que ce grief, tant dans sa forme que sur le fond, a trait à des violations de la convention collective sur lesquelles la Commission n’a pas compétence pour se prononcer. Le grief renvoie à la mauvaise foi de l’employeur qui, à moult reprises, ne s’est pas conformé aux recommandations de Santé Canada et ne veut pas offrir au fonctionnaire les possibilités de formation requises.

105 Le défendeur a fait valoir que la nature du grief pouvait probablement faire intervenir des dispositions de la convention collective, mais il en va de même de tout congédiement discriminatoire ou suspension illégale. Cependant, lorsque l’action en question se traduit par une perte financière pour le fonctionnaire, elle devient un motif recevable de renvoi à l’arbitrage en l’absence d’approbation de l’agent négociateur du fonctionnaire. Compartimenter les griefs comme ressortissant soit à une mesure disciplinaire soit à des violations de la convention collective n’a pas lieu d’être.

106 Du contenu du grief du 26 février 2007, il ressort que le défendeur était clairement capable de discerner le fond de ce grief. Le grief traite de la mauvaise foi dont le défendeur a fait preuve en refusant d’accommoder le fonctionnaire, ce qui a entraîné une sanction financière permanente. Cela équivaut au congédiement du fonctionnaire. Toutefois, le fait que l’on n’ait pas mis fin à l’emploi du fonctionnaire ne rend pas pour autant théoriques ou sans objet la conduite de mauvaise foi et le refus délibéré du défendeur de prendre des mesures d’adaptation pour répondre aux besoins du fonctionnaire.

107 Également, il ressort clairement du grief que le fonctionnaire veut pouvoir accéder aux ressources de recherche d’emploi du SCC à partir de l’intranet du SCC. C’est là une requête raisonnable, et le défendeur n’a aucunement motivé son refus de permettre cet accès du point de vue des relations de travail. Dans les faits, la preuve montre que le défendeur n’a pas fourni la moindre référence ou occasion pendant les trois premiers mois qui ont suivi la lettre de Santé Canada datée du 25 janvier 2007.

108 Les actions contestées étaient de nature disciplinaire. L’explication de la position du fonctionnaire sur ce point est claire dans le grief en tant que tel. Le défaut du défendeur de fournir une assistance ou un renvoi au fonctionnaire au cours des trois premiers mois qui ont suivi la recommandation de Santé Canada justifie l’allégation de conduite irrégulière et injustifiée, laquelle a effectivement équivalu à une mesure disciplinaire à l’endroit du fonctionnaire. Qui plus est, il faut mettre cela dans le contexte d’une stratégie globale et délibérée du défendeur de discipliner le fonctionnaire en vue de le licencier.

109 Le fonctionnaire m’a cité les affaires suivantes : Canada (Procureur général) c. Matthews, [1997] A.C.F. no 1692 (QL); Toronto East General & Orthopaedic Hospital Inc. v. A.A.H.P.O. (1989), 8 L.A.C. (4e) 391; Canada (Procureur général) c. Grover, 2007 CF 28; Olson c. Canada (Procureur général), 2008 CF 209.

6. Contexte de tous les griefs

110 Le fonctionnaire a soumis que le défendeur menait une stratégie délibérée, organisée au niveau de la haute direction et faisant appel à la direction du pénitencier de Joyceville, en vue de le discipliner au point d’entraîner son congédiement.

111 Le 7 juin 2006, M. Sadler a écrit à Mme Westfall en faisant allusion à une stratégie qui aurait de « sérieuses implications » pour le fonctionnaire. La stratégie du SCC a été conçue pour isoler et sanctionner le fonctionnaire, en raison de la perception que l’on avait de lui comme étant un employé à problèmes. En particulier, M. Sadler a écrit ce qui suit : [traduction] « Si je puis me permettre d’être direct, je dirais que cette affaire pourrait avoir de très sérieuses implications pour l’individu et je suis sûr que Nancy aurait besoin d’une intervention directe de votre part, à vous les EX. »

112 Avant même que le fonctionnaire ne commence son affectation à Joyceville, en juillet 2006, la directrice de cet établissement avait été avertie qu’il était un employé à problèmes sur le point d’être congédié. On avait alerté la haute direction de son cas en précisant la façon de [traduction] « régler son cas » au moyen d’une stratégie disciplinaire faisant intervenir plusieurs parties. Contrairement à ce qu’a dit Mme Westfall dans son témoignage, l’objectif n’était pas d’accommoder le fonctionnaire, mais de régler son cas en vue d’accélérer son départ du lieu de travail au moyen d’un licenciement.

113 Le 12 octobre 2006, Mme Westfall a envoyé un courriel à M. Sadler indiquant ce qui suit : [traduction] « [p]rocédez [mot expurgé] à sa rétrogradation ou son congédiement. Je crois comprendre que l’enquêteur des droits de la personne a commencé à parler de son enquête; la question du choix du moment se pose à nouveau dans cette affaire. » Au 12 octobre 2006, avant d’avoir rendu sa décision du 24 octobre 2006, Mme Westfall avait déjà envisagé de prendre des mesures en vue de discipliner ou de rétrograder le fonctionnaire. Est également significatif le choix du moment où prendre cette mesure disciplinaire, moment qui a été déterminé en fonction de la plainte du fonctionnaire fondée sur les droits de la personne. Autrement dit, la stratégie générale consistait à continuer de discipliner le fonctionnaire avec précaution et de manière délibérée. Envisager ces actions sans faire mention soit du dossier disciplinaire du fonctionnaire soit de la priorité ostensible de l’accommoder au lieu de travail donne à penser que la direction agissait de mauvaise foi en imposant des mesures disciplinaires au fonctionnaire plutôt qu’en le traitant de façon juste et objective.

114 Dans un échange de courriels entre Mme Westfall et M. Sadler, les 10 et 11 octobre 2006, Mme Westfall a posé la question suivante à M. Sadler : [traduction] « [A]-t-on déjà envisagé la rétrogradation, puisqu’il s’est apparemment bien débrouillé au MDN, comme ingénieur de quart, et, une fois promu, n’a pas bien fait? » Dans sa réponse, M. Sadler a dit ce qui suit : [traduction] « C’est exactement là que je veux qu’on se dirige et c’est la raison pour laquelle nous serons en conférence téléphonique cette semaine. » Là encore, le même genre d’analyse et de choix du moment pour discipliner, rétrograder et sanctionner le fonctionnaire ressort clairement d’une stratégie concertée de la direction sans allusion à une conduite ou une infraction disciplinaire en particulier. En d’autres termes, la sanction ou le résultat était prédéterminé.

115 Le 24 novembre 2006, Mme Westfall a envoyé un courriel à Mme Stableforth qui disait ce qui suit :

[Traduction]

Dans les deux prochaines semaines, [M. Singaravelu] atteindra le seuil des dix jours de suspension disciplinaire et se rapprochera du licenciement. La stratégie consiste à faire que le Dr Chernin, de Santé Canada, voit le fonctionnaire le plus tôt possible, avant que toute décision de le licencier ne soit envisagée.

Ce qui est étonnant dans ce courriel, c’est que, le 24 novembre 2006, le fonctionnaire n’avait accumulé que trois jours de suspension disciplinaire dans son dossier. Comment Mme Westfall savait-elle que, deux semaines après, le fonctionnaire se retrouvait avec sept autres jours de suspension disciplinaire? Il semble que Mme Westfall avait déterminé d’avance les mesures disciplinaires qui seraient imposées au fonctionnaire.

116 De septembre à décembre 2006, le fonctionnaire a fait l’objet d’une série de mesures disciplinaires. Bien que le défendeur ait soutenu que sa priorité était d’accommoder le fonctionnaire au lieu de travail, il a communiqué avec ce dernier de façon agressive et a convoqué des rencontres sans préavis tout en fomentant une stratégie globale d’imposition de mesures disciplinaire au fonctionnaire. Dans le contexte de la recommandation de Santé Canada datée du 25 janvier 2007, il est soumis que le schème de comportement du défendeur correspondait au traitement qu’il avait antérieurement réservé au fonctionnaire ainsi qu’à son défaut de prendre des mesures d’adaptation pour le fonctionnaire au lieu de travail. La priorité de la haute direction était de discipliner le fonctionnaire au point d’entraîner son licenciement.

117 Une fois que le départ du fonctionnaire du lieu de travail était bien enclenché, le défendeur a abandonné le fonctionnaire à son propre sort. La recommandation de Santé Canada a été utilisée pour prendre une autre mesure disciplinaire contre lui. La priorité était d’exclure le fonctionnaire du lieu de travail indépendamment de la mesure disciplinaire qui était méritée dans les circonstances. Cette mesure disciplinaire n’a pas été méritée. Un plan d’accommodement transparent et complet qui corresponde aux capacités du fonctionnaire et cadre avec les recommandations de Santé Canada aurait dû être mis au point.

IV. Motifs

A. Abandon des griefs

118 Le défendeur a affirmé que, en refusant de se présenter à l’audience fixée au 28 septembre 2009, le fonctionnaire soit a abandonné ses griefs, soit s’est retiré de la procédure d’arbitrage.

119 Le 26 août 2009, la Commission a envoyé l’avis d’audience au fonctionnaire et au défendeur. Le 4 septembre 2009, l’avocat du fonctionnaire a écrit à la Commission pour indiquer que le fonctionnaire n’était pas disposé à poursuivre avec les dates fixées à moins que l’on fasse un enregistrement vidéo de toute la procédure. Il a également indiqué que le fonctionnaire ne participerait à aucune autre audience si la Commission refusait d’accéder à sa demande de filmer l’audience. La Commission a rejeté cette demande. Le 18 septembre 2009, l’avocat du fonctionnaire a écrit à la Commission pour signifier à nouveau que le fonctionnaire n’avait pas d’autres observations à faire au sujet de la continuation de l’audience, mais qu’il maintenait ses griefs.

120 Au vu de la correspondance reçue du fonctionnaire, il est clair que ce dernier n’allait pas participer à la poursuite de l’audience. Il est également clair qu’il n’abandonnait pas ses griefs ni ne les retirait. Une preuve abondante avait déjà été produite pendant les six jours d’audience. Il aurait été important d’entendre le témoignage du fonctionnaire ainsi que son interprétation des faits ayant mené à la présentation de ses cinq griefs. Toutefois, le fonctionnaire ne voulait pas poursuivre l’audience.

121 J’aurais pu en arriver à la conclusion que le fonctionnaire avant abandonné ses griefs, comme l’ont fait les arbitres de grief dans Synowski et Jeewanjee. Dans Synowski, le fonctionnaire s’estimant lésé a avisé la Commission, 18 jours avant la tenue de l’audience, qu’il ne s’y présenterait pas en raison de l’assignation de son affaire à un certain arbitre de grief. La Commission a avisé ce fonctionnaire qu’elle allait poursuivre l’audience. Le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’y est pas présenté. L’arbitre de grief a conclu que M. Synowski avait abandonné son grief ou qu’il l’avait retiré de la procédure d’arbitrage. Dans Jeewanjee, le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’est pas présenté à l’audience et l’arbitre de grief a décidé d’ajourner celle-ci pendant un jour, dans l’espoir de le joindre. Le lendemain, à 8 h 33, le fonctionnaire s’estimant lésé a envoyé un courriel à la Commission pour demander un ajournement. À 8 h 40, la Commission a informé le fonctionnaire s’estimant lésé que sa demande était refusée et lui a demandé de se présenter à l’audience à 9 h 30. Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas obtempéré aux instructions de la Commission et ne s’est pas présenté à l’audience. L’arbitre de grief a alors jugé que le grief avait été abandonné.

122 Dans la présente affaire, les faits diffèrent de ceux de Jeewanjee en ce que le fonctionnaire n’a envoyé aucun avis indiquant qu’il ne participerait pas à l’audience. En l’espèce, la Commission était bien au courant de l’intention du fonctionnaire de ne pas s’y présenter. C’était aussi le cas de Synowski, dans laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé avait avisé la Commission, avant la tenue de l’audience, qu’il n’y participerait pas. Toutefois, dans Synowski, l’audience n’avait pas encore commencé. Dans la présente affaire, une preuve abondante avait déjà été présentée au long de six jours d’audience. En exerçant son pouvoir discrétionnaire, l’arbitre de grief dans Synowski a décidé de poursuivre l’audience. Dans la présente affaire, j’ai pris une décision différente et j’ai offert aux parties la possibilité de présenter des arguments par écrit à l’appui de leurs thèses respectives.

123 Je ne saurais conclure, ainsi que le demande le défendeur, que le fonctionnaire a soit abandonné ses griefs, soit les a retirés de la procédure d’arbitrage. Le fonctionnaire a clairement dit que ce n’était pas le cas. La procédure lui posait un problème, et il a demandé à ce que l’on fasse un enregistrement vidéo de l’audience. J’ai refusé d’accéder à sa demande au motif que la Commission n’a jamais souscrit à pareille pratique, laquelle serait contreproductive. Toutefois, j’ai estimé que le fonctionnaire devrait au moins avoir une possibilité de présenter des arguments à l’appui de sa position.

B. Dossier de la CRTFP 566-02-800

124 Sur la base du rapport d’enquête de M. Chambers, le défendeur a imposé au fonctionnaire, le 6 novembre 2006, une suspension d’un jour à subir le jour suivant. M. Chambers a conclu que le fonctionnaire était coupable de harcèlement pour avoir posé les actions suivantes : 1) accuser M. Clooney d’avoir brisé la vanne papillon et avoir révélé ce soupçon à un détenu, 2) suivre des membres du personnel jusqu’aux toilettes, 3) parler de membres du personnel en tenant des propos désobligeants les concernant, 4) déclarer à M. Holland que son état mental et physique est si instable que sa place n’est pas dans une installation de chauffage central, mais plutôt dans un hôpital.

125 Le défendeur a présenté une preuve orale pour étayer le fait que ces incidents étaient survenus, comme en faisait état le rapport de M. Chambers. Dans son argumentation, le fonctionnaire a présenté une interprétation différente de ce qui était arrivé.

126 Je suis très préoccupé par la chronologie des événements qui ont abouti au dépôt de la plainte de harcèlement, à la rédaction du rapport d’enquête et à la prise de la mesure disciplinaire. La plupart des incidents de harcèlement sont survenus à l’été ou l’automne 2003 et un incident a pu se produire à l’automne 2003 ou l’hiver 2004. Les employés en cause ont déposé leur plainte de harcèlement en mars 2005, soit plus d’un an et demi après la plupart des incidents. La politique applicable à la prévention et au règlement des cas de harcèlement stipule clairement que les employés doivent soumettre une plainte dans l’année qui suit le harcèlement allégué. Le gestionnaire responsable procède à un filtrage des plaintes qu’il ou elle reçoit. Le premier critère de présélection est que la plainte doit avoir été déposée dans l’année qui suit le harcèlement allégué, à moins que des circonstances atténuantes aient empêché ce dépôt. Aucune preuve ne m’a été présentée quant à l’existence de telles circonstances dans ce cas.

127 Le 18 avril 2005, le sous-commissaire par intérim du SCC pour la région de l’Ontario a chargé M. Chambers de conduire l’enquête sur ces allégations, qui pour la plupart ne satisfaisaient pas au critère du délai de production énoncé dans la politique. M. Chambers a mené toutes ses entrevues en avril et mai 2005. Il a tenté de convaincre le fonctionnaire de se prêter à une entrevue, mais celui-ci a refusé. M. Chambers a envoyé ses constatations au fonctionnaire le 21 septembre 2005, et le fonctionnaire les a envoyées par écrit le 30 septembre 2005. Le rapport aurait dû être publié quelques semaines plus tard, mais M. Chambers avait reçu, de l’administration régionale du SCC, l’instruction de ne pas le déposer. Fin avril 2006, ces instructions avaient changé, et M. Chambers a déposé son rapport. Ce rapport est daté du 1er mai 2006. On ne sait toujours pas exactement pourquoi les supérieurs de M. Chambers lui ont donné l’instruction de retarder la rédaction du rapport d’environ six mois.

128 Cependant, la question du délai dans cette affaire n’était pas encore terminée. Dans son témoignage, Mme Westfall a déclaré avoir reçu le rapport de M. Chambers à l’été 2006. Elle a attendu le 6 novembre 2006 pour prendre des mesures disciplinaires à l’endroit du fonctionnaire.

129 Le 7 novembre 2006, le fonctionnaire a subi sa suspension relativement aux incidents qui étaient survenus environ trois ans auparavant, à l’été et à l’automne 2003. En premier lieu, le défendeur n’a pas respecté sa propre politique concernant les enquêtes menées sur des incidents qui se sont produits plus d’un an avant le dépôt des plaintes correspondantes. En deuxième lieu, il a fallu attendre plus d’une autre année pour que le rapport d’enquête soit terminé. Après la publication du rapport, le défendeur a attendu plusieurs mois avant de discipliner le fonctionnaire. À cette date, le fonctionnaire avait été impliqué dans trois autres incidents qui lui ont valu, ultérieurement, des mesures disciplinaires.

130 Un défendeur a l’obligation de respecter ses propres politiques, en particulier celles dont l’application pourrait entraîner une action disciplinaire. Il me semble illogique qu’un employeur discipline un employé en invoquant une politique qu’il ne respecte pas lui-même. La chose est aggravée par le fait que le défendeur a retardé de plusieurs mois la publication du rapport d’enquête et que, après cela, a encore laissé s’écouler un certain temps avant d’imposer les mesures disciplinaires. Une mesure disciplinaire perd une grand part de son objectif de corriger un comportement lorsque très peu de diligence est exercée dans son application.

131 Compte tenu de ce qui précède, j’en conclus que le défendeur a commis une erreur en imposant une suspension d’un jour au fonctionnaire, le 6 novembre 2006, pour le comportement que ce dernier avait eu en 2003.

C. Dossier de la CRTFP 566-02-842

132 Dans sa lettre du 7 novembre 2006, Mme Westfall a informé le fonctionnaire qu’il était suspendu pour un jour au motif qu’il avait, le 4 août 2006, informé M. Oddie, Mme Hoedicke, Mme Gipson et M. Jackson du fait qu’il avait déposé une plainte contre M. Joyce. Mme Westfall a blâmé le fonctionnaire pour avoir communiqué ses plaintes contre M. Joyce à des personnes qui n’avaient pas besoin de les connaître, ce qui a eu de fâcheuses répercussions sur le climat de travail et a miné l’autorisé de M. Joyce.

133 En août 2006, M. Oddie occupait le poste de directeur adjoint intérimaire des services administratifs au pénitencier de Joyceville. Son poste d’attache était administrateur régional des services techniques. D’après les témoins du défendeur, Mme Hoedicke était gestionnaire d’unité à l’établissement de Joyceville et n’avait aucun rapport hiérarchique avec le fonctionnaire. D’après les arguments écrits du fonctionnaire, Mme Hoedicke agissait temporairement, pendant la période pertinente, comme sa superviseure. Toutefois, le fonctionnaire n’a produit aucune preuve à l’appui de cela. Mme Gipson et M. Jackson relevaient de M. Joyce. Le défendeur a produit une preuve voulant que Mme Hoedicke ait estimé qu’il était déplacé, de la part du fonctionnaire, de l’avoir informée qu’il avait déposé une plainte de harcèlement contre M. Joyce. Aucune preuve n’a été produite voulant que les trois autres employés se soient plaints à ce sujet. M. Joyce a témoigné que, selon lui, il n’était pas éthique, de la part du fonctionnaire, d’avoir informé d’autres gens de la plainte qu’il avait déposée contre lui. Selon M. Joyce, le fait que Mme Gipson et M. Jackson aient été mis au courant de la plainte représentait un dur coup en ce que ces deux employés relevaient de lui.

134 Le fonctionnaire a soutenu qu’il était opportun d’envoyer l’information à Mme Hoedicke. Il a également argué que les trois autres personnes ne s’étaient pas plaintes d’avoir reçu ce courriel. Le fonctionnaire a également souligné que, contrairement à ce que dit le défendeur, il n’a pas violé les Règles de conduite professionnelle du SCC.

135 Je ne trouve pas pertinent que M. Oddie, M. Jackson et Mme Gipson ne se soient pas plaints d’avoir reçu ce courriel. Le fait est que le courriel leur a été envoyé et qu’ils n’avaient pas besoin de savoir que le fonctionnaire avait déposé une plainte contre M. Joyce. Il ne s’agissait pas d’une information anodine. Les plaintes de harcèlement comportent habituellement de sérieuses allégations. Elles peuvent entraîner le licenciement de l’auteur allégué du harcèlement. Même si l’employé visé est considéré comme innocent du harcèlement jusqu’à preuve du contraire, aucun employé ne voudrait être accusé de harcèlement et voir la victime alléguée répandre la nouvelle.

136 Je crois que M. Joyce a dû faire face à un dur coup lorsque le fonctionnaire a informé Mme Gipson et M. Jackson de sa plainte de harcèlement. Pourquoi le fonctionnaire répandrait cette information? Dans quel but? Je l’ignore. Aucune preuve n’a été produite pour expliquer les raisons pour lesquelles le fonctionnaire avait agi ainsi, ce qui aurait pu m’amener à croire qu’il n’y avait une raison logique à ce comportement.

137 Il ressort clairement de la preuve que le fonctionnaire était au courant des règles du SCC concernant l’utilisation du courrier électronique. Plus particulièrement, on l’avait averti de ne pas utiliser le réseau du SCC pour diffuser des renseignements sur les mauvais traitements dont il croyait avoir été victime de la part du SCC. Le fonctionnaire pourrait avoir raison lorsqu’il affirme qu’il n’a pas violé les Règles de conduite professionnelle du SCC. En fait, ces règles ne comportent aucune disposition abordant précisément ce que le fonctionnaire a fait. Cependant, des normes professionnelles ne peuvent pas couvrir toutes les situations comportementales possibles. Un employeur a tout à fait le droit d’imposer une mesure disciplinaire pour un motif valable, même si ce motif ne peut mettre l’infraction alléguée en lien direct avec une politique donnée ou une norme particulière.

138 Chez un employeur, l’existence d’un réseau électronique a pour objet de faciliter et d’accélérer les communications entre les personnes qui travaillent pour lui. Il n’entre certainement pas dans l’intention de l’employeur que l’on utilise ce réseau pour miner l’autorité d’un supérieur ou diffuser de l’information sur des plaintes contre l’organisation ou des problèmes touchant celle-ci. En avril 2006, on avait clairement averti le fonctionnaire de ne pas se servir du réseau du SCC à cette fin, mais il l’a quand même fait en août 2006. Même si cette infraction ne peut être directement mise en rapport avec une norme particulière des Règles de conduite professionnelle, elle n’en constitue pas moins un comportement déplacé. Par conséquent, je conclus que le défendeur avait un motif valable d’imposer une suspension d’un jour au fonctionnaire pour ce comportement inapproprié.

D. Dossier de la CRTFP 566-02-843

139 Le 28 septembre 2006, Mme Westfall, Mme Ronan et M. Joyce ont rencontré le fonctionnaire pour discuter de plusieurs problèmes reliés au travail, dont le fait que le fonctionnaire refusait d’accomplir certaines tâches qui lui étaient assignées. Un enregistrement audio de cette rencontre a été fait, et la bande a été produite en preuve. Je l’ai écoutée, et son contenu confirme en tout point les témoignages de Mme Westfall et de M. Joyce voulant que le ton du fonctionnaire était très agressif, qu’il a crié à plusieurs reprises contre Mme Westfall, qu’il l’a interrompue pendant qu’elle parlait et qu’il était extrêmement irrité et irrespectueux dans ses commentaires et son ton.

140 Le fonctionnaire n’a pas nié la plupart des faits. Il a plutôt affirmé que la rencontre avait été organisée sans qu’on l’en avise à l’avance, ainsi qu’il l’avait demandé. Il a également argué que Mme Westfall avait refusé de lui accorder une pause, pendant la réunion, lorsqu’il est devenu anxieux. La réunion a causé du stress au fonctionnaire et s’est directement répercutée sur son état d’esprit ainsi que sur son bien-être mental et physique.

141 Dans son témoignage, Mme Westfall a déclaré qu’elle avait interrompu la rencontre car le fonctionnaire était stressé. Aucune preuve n’a été présentée pour étayer l’argument du fonctionnaire selon lequel il avait demandé à ce que la rencontre soit interrompue en raison du stress qu’il ressentait et que Mme Westfall avait refusé. Il ne s’agissait pas d’une réunion disciplinaire, et Mme Westfall n’avait aucune obligation d’envoyer au fonctionnaire un préavis sur la tenue de la rencontre. Elle était la directrice de l’établissement pénitentiaire de Joyceville et était la patronne de M. Joyce et du fonctionnaire. À ce titre, Mme Westfall pouvait les convoquer à une rencontre à n’importe quel moment et sans préavis.

142 Le comportement que le fonctionnaire a eu à la rencontre du 28 septembre 2006 était inacceptable. Sa rudesse et son manque de respect envers sa supérieure équivalent à de l’insubordination. C’est tout à fait à bon droit que le défendeur a imposé une suspension d’un jour au fonctionnaire.

E. Dossier de la CRTFP 566-02-949

143 Le matin du 1er novembre 2006, M. Ngai et M. Joyce se sont rendus au bureau du fonctionnaire pour lui faire faire un tour des installations du pénitencier de Joyceville. Le fonctionnaire les a rencontrés à la porte de son bureau et a commencé à se comporter de manière extrême. MM. Joyce et Ngai ont témoigné que l’attention du fonctionnaire était centrée sur l’enregistrement audio de leur échange, qu’il brandissait un magnétophone, qu’il pointait son doigt sur le visage de M. Ngai, qu’il avait une posture agressive et un air menaçant, qu’il parlait fort et qu’il était sorti de ses gonds. Pour cet incident, Mme Westfall lui a imposé une suspension de trois jours, en prenant en considération le fait que le fonctionnaire avait déjà fait l’objet de mesures disciplinaires pour comportement abusif et insubordination et qu’il n’avait pas corrigé son comportement.

144 Le fonctionnaire a soutenu qu’on ne l’avait pas informé que la visite se ferait le 1er novembre 2006 et qu’il ignorait quel était le rôle de M. Ngai. M. Ngai ignorait que le fonctionnaire avait déposé une plainte de harcèlement contre M. Joyce. Le fonctionnaire a également souligné que, comme le témoignait l’évaluation du Dr Chernin datée de janvier 2007, il était aux prises avec un stress énorme durant la période pertinente. Si l’on avait envoyé au fonctionnaire un quelconque avis pour le prévenir à l’avance, le malentendu de ce matin-là aurait pu être évité. La rencontre en question aurait pu être qualifiée de réunion disciplinaire ou de quelque chose de semblable nécessitant une représentation ou une forme ou une autre d’enregistrement.

145 Le fonctionnaire n’a livré aucun témoignage pour contester la preuve produite par le défendeur selon laquelle le fonctionnaire avait agi de façon inappropriée et avec agressivité envers M. Joyce et M. Ngai le 1er novembre 2006. L’explication qu’il a fournie pour son comportement est qu’on ne l’avait pas avisé à l’avance que la visite se ferait le 1er novembre 2006 et qu’il ignorait pour quelles raisons M. Joyce et M. Ngai s’étaient présentés à son bureau ce matin-là.

146 Il ressort de la preuve que le 31 octobre 2006, à 15 h 08, M. Joyce a envoyé au fonctionnaire un courriel lui indiquant que la visite se ferait le lendemain, en présence d’un gestionnaire correctionnel. À 15 h 18, le fonctionnaire a renvoyé un courriel à M. Joyce pour lui indiquer que la visite devait se faire avec un technicien. À 16 h 34, M. Joyce a répondu que la présence d’un technicien n’était pas nécessaire.

147 Contrairement à ce qu’il a dit dans son argumentation, le fonctionnaire a reçu un préavis indiquant qu’une visite se ferait le 1er novembre 2006. Même s’il n’avait pas reçu ce préavis, son superviseur était parfaitement en droit de lui donner l’instruction de participer à une visite des installations de sorte qu’il soit mieux à même d’accomplir les tâches qui lui avaient été assignées.

148 Le fonctionnaire a réagi de façon agressive en présence de MM. Joyce et Ngai dans sa zone de travail, le matin du 1er novembre 2006. Il a pointé son doigt sur le visage de M. Ngai, avait une posture et un air agressifs, parlait fort et sortait de ses gonds. Comme ce n’était pas la première fois que le fonctionnaire faisait montre d’agressivité envers ses supérieurs, Mme Westfall avait de bonnes raisons de lui imposer une suspension de trois jours.

F. Dossier de la CRTFP 566-02-1268

149 Le 25 janvier 2007, après avoir évalué l’état de santé du fonctionnaire, Santé Canada a indiqué au SCC que le fonctionnaire ne devrait pas retourner travailler chez eux, mais que son profil conviendrait à un autre poste dans un autre secteur de la fonction publique fédérale. À la suite de cela, le SCC a placé le fonctionnaire en congé sans solde. Il ressort de la preuve que le SCC a offert une certaine assistance au fonctionnaire dans sa recherche d’emploi. Toutefois, le SCC a rejeté la demande du fonctionnaire d’avoir accès à son intranet, ce qui aurait facilité sa recherche d’emploi.

150 Le défendeur a soutenu que je n’avais pas compétence pour entendre ce grief. Le grief n’a pas été renvoyé à l’arbitrage par l’agent négociateur, et le fonctionnaire n’est pas représenté par son agent négociateur. Si le grief se rapporte à l’application de la convention collective, il doit être renvoyé à l’arbitrage par l’agent négociateur. Le fonctionnaire affirme maintenant que le grief a trait à des mesures disciplinaires, mais cela ne se voit pas dans son libellé. Comme il a été établi dans Burchill, un grief ne peut être modifié.

151 Le défendeur argue aussi que sa décision de mettre le fonctionnaire en congé non rémunéré est de nature administrative et non disciplinaire. Par conséquent, l’arbitre de grief n’a pas compétence pour instruire le grief.

152 Je conviens avec le défendeur que ce grief, tel qu’il est libellé, n’a rien à voir avec des mesures disciplinaires. Dans son grief (voir paragraphe 8 de la présente décision), le fonctionnaire a tout d’abord contesté la décision du SCC de le placer en congé sans solde. Ensuite, il a expliqué que cette décision impliquait qu’il allait perdre de l’argent. Ultérieurement, il a affirmé que le SCC n’avait pas suivi les recommandations médicales antérieures d’évaluer sa charge de travail et de lui fournir la formation requise. Ce faisant, le SCC n’a pas dissipé les préoccupations légitimes et frustrations du fonctionnaire. Le SCC a créé des circonstances dans lesquelles il n’était plus indiqué, pour le fonctionnaire, de retourner travailler au SCC. Finalement, le fonctionnaire a demandé à être dédommagé de sa perte financière, à être autorisé à se trouver sur les lieux du SCC et à avoir accès à l’intranet du SCC pour faciliter son intégration dans un autre ministère fédéral. Il n’est fait mention d’aucune mesure disciplinaire dans le grief.

153 Le fonctionnaire ne saurait soutenir à présent que j’ai compétence pour entendre ce grief au motif qu’il a trait à des mesures disciplinaires, puisque le grief en tant que tel ne traite pas de mesures disciplinaires. Ainsi qu’il a été établi dans Burchill, un fonctionnaire s’estimant lésé ne peut changer les paramètres au moment de l’arbitrage et convertir un grief non disciplinaire en un grief qui concerne une mesure disciplinaire. Ce principe a été reconfirmé par la Cour fédérale, dans Shneidman, ainsi que par la Commission, dans plusieurs décisions.

154 S’il me fallait déterminer si le grief avait trait à une mesure disciplinaire, je conclurais que le fonctionnaire n’a pas fait l’objet d’une mesure disciplinaire ou qu’il n’y a pas eu de mesure disciplinaire déguisée. Même si dans Matthews la Cour fédérale a déclaré que l’arbitre de grief avait compétence, la Cour a également écrit que c’est au fonctionnaire s’estimant lésé qu’il incombait de le prouver. En l’espèce, le fonctionnaire n’a pas apporté cette preuve. Dans Toronto General East & Orthopaedic Hospital Inc., l’arbitre de grief a conclu que priver un employé de l’admissibilité à une indemnité de disponibilité ou au service de rappel revêtait un caractère punitif et équivalait à une mesure disciplinaire. Dans le cas qui nous occupe, le fonctionnaire a été placé en congé non rémunéré à la suite d’une évaluation médicale qui disait qu’il ne pouvait plus travailler au SCC. Je ne saurais conclure que le SCC a agi de manière punitive lorsqu’il s’est conformé à une évaluation médicale. La situation dans Grover ne s’applique pas à l’espèce en ce que le fonctionnaire s’estimant lésé dans cette décision a fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour avoir refusé de s’être prêté à une évaluation médicale par Santé Canada.

155 Dans la présente affaire, le défendeur, après avoir reçu l’évaluation médicale indiquant que le fonctionnaire ne pourrait plus travailler au SCC, n’a pas eu d’autre choix que de placer ce dernier en congé non rémunéré. Il ne s’agissait plus d’accommoder le fonctionnaire, mais plutôt de le retirer du lieu de travail. Si le SCC n’avait pas renvoyé le fonctionnaire chez lui, il aurait clairement été considéré en situation de faute quant à la prise en compte de l’évaluation médicale qu’il avait reçue.

156 Le fonctionnaire a argué que le défendeur avait fait preuve de mauvaise foi et n’avait pas pris de mesures d’adaptation à son endroit. J’aurais compétence pour instruire un grief relativement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour autant que ce grief se rapporte à l’application de la convention collective ou d’une clause de cette convention collective interdisant la discrimination. Pour cela, il faut que le grief soit renvoyé à l’arbitrage par l’agent négociateur, ce qui n’est pas le cas ici. Sur ce point, le paragraphe 209(2) de la Loi est clair :

209. (2) Pour que le fonctionnaire puisse renvoyer à l’arbitrage un grief individuel du type visé à l’alinéa 1a), il faut que son agent négociateur accepte de le représenter dans la procédure d’arbitrage.

157 La décision du défendeur de mettre le fonctionnaire en congé non rémunéré est de nature administrative, et je n’ai pas compétence pour me prononcer là-dessus. Je n’ai pas davantage compétence pour déterminer si le défendeur a omis de s’acquitter de son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’endroit du fonctionnaire étant donné que le grief n’a pas été renvoyé à l’arbitrage par l’agent négociateur.

G. Contexte de tous les griefs

158 Le fonctionnaire a allégué que le défendeur avait délibérément mis au point une stratégie visant à le discipliner jusqu’à ce que son licenciement s’ensuive. Il a fondé cette allégation sur son interprétation des intentions exprimées dans plusieurs courriels rédigés par des membres de la haute direction du SCC.

159 Le fonctionnaire a placé le commentaire de M. Sadler du 7 juin 2006 hors de son contexte. Ce commentaire peut avoir plusieurs significations lorsqu’on le met en contexte, mais aucune preuve n’a été produite pour expliquer pleinement ce contexte. Le témoignage de M. Sadler n’a pas été sollicité pour qu’il explique ce qu’il voulait dire par ses commentaires.

160 Le fonctionnaire a soutenu que le SCC ne voulait pas l’accommoder, mais plutôt régler son cas dans le but de le licencier. Rien, dans la preuve, ne pourrait m’amener à croire à cette allégation. Il ressort plutôt de la preuve que le SCC a préparé un plan de travail raisonnable pour faciliter le retour progressif du fonctionnaire au travail.

161 Sur la base des courriels échangés les 10, 11 et 12 octobre par M. Sadler et Mme Westfall, le fonctionnaire a argué que, à cette époque-là, Mme Westfall envisageait déjà de lui imposer des mesures disciplinaires ou de le rétrograder. Je n’y vois rien de répréhensible si c’était vrai. À cette époque, Mme Westfall pensait que le fonctionnaire avait fait du bon travail lorsqu’il occupait un poste classifié HP-07. Il n’y a rien de répréhensible à réfléchir sur cette idée et échanger des courriels à ce sujet avec un autre gestionnaire. Toutefois, cela ne signifie pas que Mme Westfall avait dans l’intention de rétrograder le fonctionnaire. Par ailleurs, à ces dates, Mme Westfall était en possession d’un rapport d’enquête dans lequel on avait trouvé le fonctionnaire coupable de harcèlement. Par ailleurs, elle n’avait pas encore traité de l’incident du courriel du 4 août 2006 et de l’incident de la rencontre du 28 septembre 2006. Il n’y avait rien de mal à ce que Mme Westfall envisage de discipliner le fonctionnaire.

162 À la lumière d’un courriel que Mme Westfall a renvoyé à Mme Stableforth le 24 novembre 2006, le fonctionnaire a soutenu que Mme Westfall avait déterminé d’avance la mesure dans laquelle on le disciplinerait, puisqu’elle faisait mention du seuil des dix jours de suspension disciplinaire. Je ne souscris pas à l’interprétation du fonctionnaire. Il n’y avait rien de répréhensible dans ce que Mme Westfall a écrit à sa supérieure. À cette époque-là, elle avait déjà imposé trois suspensions au fonctionnaire. Une quatrième s’en venait, pour laquelle, incidemment, elle a imposé une suspension de trois jours, le 1er décembre 2006. De plus, compte tenu du comportement du fonctionnaire, Mme Westfall prévoyait qu’il y aurait d’autres suspensions.

163 Essentiellement, il n’y a rien, dans la preuve, qui indique que le défendeur était mêlé à une stratégie délibérée de discipliner le fonctionnaire au point d’entraîner son licenciement.

164 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

165 Dossier de la CRTFP 566-02-800 : le grief est accueilli. Le défendeur doit rembourser au fonctionnaire l’équivalent d’un jour de traitement et d’avantages sociaux au taux applicable dans les 60 jours qui suivent la présente décision.

166 Dossier de la CRTFP 566-02-842 : le grief est rejeté.

167 Dossier de la CRTFP 566-02-843 : le grief est rejeté.

168 Dossier de la CRTFP 566-02-949 : le grief est rejeté.

169 Dossier de la CRTFP 566-02-1268 : le grief est rejeté.

Le 22 décembre 2009.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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